LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME III — LE TRAVAIL DANS L’ANTIQUITÉ

LE COMMERCE. — III. - LES  TRANSACTIONS

 

 

LES MONNAIES. - LA CORRESPONDANCE. - LE CRÉDIT.

 

LES MONNAIES. — Bien avant l’invention des monnaies, les métaux précieux servaient comme un instrument de transactions, ce moyen d’échange étant considéré comme plus commode et en même temps comme plus sûr que les autres. Mais pendant une longue suite de. siècles, les métaux n’étaient qu’une simple marchandise qui se vendait, soit au poids, à l’état de lingots ; soit comme bijoux, ustensiles et ouvrages travaillés. C’est dans la vente des lingots qu’il faut chercher l’origine de-la monnaie, car suivant leur poids, ils représentaient. une valeur fixe et commode pour les échanges. Bien qu’aucun poinçon, émanant de l’autorité, n’en pût déterminer exactement la valeur, on leur donnait autant que possible une forme régulière et un poids exact, de telle sorte que l’opération du pesage ne fût à l’habitude qu’une simple vérification. II y avait des lingots de différentes dimensions et de divers poids. Dans l’ancienne Égypte, le cuivre, le fer et le plomb, étaient généralement en lingots carrés et aplatis, ayant la forme d’une brique, tandis que les lingots d’or et d’argent avaient plus habituellement la forme d’un anneau.

L’Asie employait des lingots du même genre, et dont la valeur était déterminée d’une manière fixe quoique non encore légale. Il y avait des étalons connus, pour les lingots qui servaient à la circulation, et qui, par conséquent, se rapprochaient beaucoup des monnaies employées postérieurement. La Genèse, dit M. François Lenormant, dans son ouvrage sur la Monnaie de l’antiquité, nous fait assister à toute la pratique de ce mécanisme. Quand Abraham achète aux Héthéens le terrain de sa sépulture de famille, il livre en les pesant à son vendeur 400 sicles d’argent tels qu’ils ont cours entre les marchands. Le même livre dépeint très exactement la valeur internationale de l’argent, en lingots réguliers de poids, entre la Palestine et l’Égypte. C’est avec de l’argent que les frères de Joseph vont acheter du blé en Égypte au moment de la famine, et cet, argent est d’une forme qui leur permet de l’emporter dans des bourses fermées. Comme les lingots en sont d’un poids régulier et conforme à certaines tailles d’un usage général et habituel, on les compte quelquefois à la pièce, aussi bien en Égypte qu’en Palestine. Ainsi font Abimélech, roi de Gerar, quand il offre un présent d’argent à Abraham ; les marchands madianites, quand ils achètent Joseph à ses frères, et Joseph, devenu ministre du Pharaon, quand il fait un cadeau à Benjamin, en l’envoyant chercher son père. Tout cela est bien près de l’usage de la monnaie ; mais ce n’en est pas encore réellement et complètement. Il y manquait ce que les jurisconsultes romains appelaient dans la monnaie la loi et la forme. Ni le poids ni le titre n’étaient garantis par des autorités publiques.

On n’est pas encore absolument d’accord pour savoir si les plus anciennes monnaies sont celles d’Épine ou celles de la Lydie. D’après l’opinion la plus accréditée, Phidon d’Argos aurait le premier fait à Égine des monnaies d’argent, tandis que Gygès, roi de Lydie, aurait le premier fait à Sardes de la monnaie d’or ; mais les documents font défaut pour décider lequel a eu l’antériorité sur l’autre. Ce qui est certain, c’est que l’usage de la monnaie rayonna promptement sur toutes les parties du monde hellénique, et que dès le vie siècle avant notre ère ce système était répandu dans toutes les cités grecques.

C’est aux rois lydiens, qu’ils avaient détrônés, que les rois de Perse empruntèrent le modèle de leurs dariques ; celles-ci du reste ne furent jamais d’un usage bien journalier dans l’intérieur de l’Asie. Chez les Phéniciens, les émissions monétaires ne paraissent pas remonter plus haut que les guerres médiques. Ce sont les colonies grecques qui ont apporté en Italie l’usage des monnaies et, sous l’influence romaine, cet usage s’est ensuite répandu dans toutes les parties du monde connu.

Dans une monnaie, il faut distinguer le flan, c’est-à-dire la fraction de métal qui constitue la pièce ; l’avers, sur lequel est gravée ordinairement la tête de la divinité protectrice ou du souverain ; le revers, qui, dans les plus anciennes monnaies, ne porte pas de gravure, mais qui ensuite présente divers emblèmes ; le champ, c’est-à-dire la partie des pièces sur lesquelles le type est gravé ; et l’exergue, c’est-à-dire la partie inférieure du champ quand elle est séparée. Les monnaies antiques étaient frappées ou moulées. Mais pour frapper, les anciens ne connaissaient pas le moyen puissant du balancier ; ils employaient le marteau et étaient toujours obligés de s’y reprendre à plusieurs fois pour frapper, ce qui explique bien des inégalités. On possède plusieurs coins monétaires romains. La matrice gravée est en acier trempé, et encastrée dans un cône tronqué, comme le montre la figure 443, ou bien elle est placée sur la face d’un cylindre, comme sur la figure 442 ; la pièce était placée entre les deux cylindres, dont l’un représentait l’avers et l’autre le revers. La monnaie avait quelquefois été coulée avant de recevoir la gravure que lui imprimait la frappe, et sa forme lenticulaire souvent assez accentuée était un obstacle pour la justesse des opérations de l’ouvrier chargé de frapper.

Les moules qui servaient à la fabrication des monnaies étaient généralement en pierre ou en terre cuite. La figure 444 représente un de ces moules ; il était destiné à contenir plusieurs modèles, avec le dessin gravé à l’envers des deux côtés. L’espace qui séparait les deux modèles devait correspondre exactement à l’épaisseur que devait avoir la monnaie. On versait le métal liquide dans la fente pratiquée sur le côté du moule ; il s’écoulait par les petits trous entre chaque lit de type et produisait ainsi une monnaie.

Les monnaies les plus anciennes sont épaisses et presque globuleuses ; elles n’ont de représentation figurée que d’un côté. Le revers est généralement un carré creux qui servait à fixer le flan sur l’enclume. A mesure que le monnayage se perfectionna, les carrés creux commencèrent à porter des types et des légendes, puis ils disparurent entièrement, et alors le revers fut aussi bien que l’avers orné d’une gravure en relief. La monnaie d’Égine, au type de la tortue (tome I, fig. 437) donne très bien l’idée de cette fabrication primitive. Ce fut plus tard que l’on commença à représenter sur les monnaies des têtes de divinité. Les têtes ainsi figurées étaient généralement celles de la divinité protectrice de la cité et- les emblèmes qui sont au revers s’y rattachent également. Mais la gravure change très souvent d’aspect, même quand les emblèmes représentés n’ont pas varié. Ainsi les monnaies d’Athènes montrent généralement la tête casquée de Minerve à l’avers, et sur le revers on voit quelques-uns des attributs de la déesse, comme la chouette, le rameau d’olivier et l’amphore d’huile qui est placée au bas. Mais sur la figure 445-446, la gravure a un caractère archaïque qu’elle n’a plus du tout sur la figure 447-448, bien que celle-ci représente exactement la même chose. Non seulement le type et le casque de la déesse ont changé de forme, mais la chouette, la branche d’olivier et l’amphore d’huile placées au revers ont un caractère tout autre bien qu’en conservant la même disposition.

Le revers des monnaies présente quelquefois, au lieu d’emblèmes religieux, la représentation d’une production particulière au pays.

Ainsi les monnaies de Cyrène, qui montrent d’un côté la tête de Jupiter Ammon, offrent, de l’autre, l’image, du silphium, plante indigène très célèbre dans l’antiquité (fig. 449-450). De même sur les monnaies de Gadès (Cadix) on voit d’un côté la tête d’Hercule, à qui la ville était consacrée, et de l’autre la représentation d’un poisson qui indique simplement le caractère maritime de la ville (fig. 451-452). Quelquefois aussi les emblèmes représentés sont une allusion à un fait particulier concernant l’histoire de la cité, ou à une légende se rattachant à ses origines. Sous la période macédonienne, la tête des rois occupe presque toujours la face principale de la monnaie.

Les monnaies romaines ont, dès l’origine, reçu une empreinte sur les deux côtés. Les emblèmes représentés, qui sous la république se rattachent aux divinités ou à l’histoire des peuples, furent sous l’empire consacrés à peu près exclusivement à célébrer la gloire des Césars dont les images successives produisent pour cette période un ensemble très complet de documents historiques.

A Rome, les ouvriers monnayeurs formaient une sorte de corporation placée sous la direction de magistrats spéciaux. Junon Moneta était la divinité protectrice des monnayeurs (fig. 453-454). Le dictateur Furius lui avait élevé, dès l’an 350 avant J.-C., un temple qui était sur le Capitole, à la place même ou la maison de Manlips avait été rasée.

Le droit de frapper monnaie a toujours été considéré comme un acte de souveraineté. Les villes libres et ensuite les princes souverains en ont usé tour à tour. Les monnaies grecques n’avaient pas partout la même valeur, mais la différence n’était pas très considérable, et la division adoptée était à peu près partout la même. La drachme était l’unité de la monnaie effective chez les Grecs ; sa valeur peut être évaluée approximativement à 90 centimes de nos jours. La drachme valait 6 oboles, l’obole représentant quinze centimes de notre monnaie. Il y avait des dioboles, des trioboles, des tétroboles, valant deux, trois et quatre fois l’unité. On se servait aussi de demi-oboles et de quarts d’oboles. Au-dessus de la drachme, il y avait des didrachmes, des tridrachmes et des tetradrachmes qui valaient deux, trois et quatre fois l’unité. Enfin comme monnaie de compte, on employait le statère d’or qui valait vingt drachmes, la mine qui valait cent drachmes, et le talent qui valait six mille drachmes (5.560 francs de notre monnaie). Nous parlons ici du talent attique, qui était le plus répandu, et qui est celui auquel les écrivains font presque toujours allusion, lorsqu’ils parlent du talent ; mais il est bon de rappeler que la valeur de là drachme n’était pas exactement la même partout. Il faut noter aussi que les monnaies grecques sont toujours frappées.

Le système monétaire des Romains a subi d’importantes variations dans les diverses périodes de leur histoire. A l’origine ils n’avaient que des monnaies d’airain. L’as libral ou primitif était une niasse de cuivre représentant au poids une livre romaine (c’est-à-dire 3 hectogrammes 27 grammes 187 milligrammes). Sous les décemvirs on coula des pièces en bronze de forme lenticulaire portant une empreinte avec le chiffre indicatif de sa valeur. La figure 455 montre le type de Janus, tel qu’on le voit sur ces monnaies primitives, mais elle n’en donne pas la dimension, car l’as primitif était beaucoup plus grand que nos pièces de cinq francs.

Comme l’image de la divinité représentée était la marque extérieure de la valeur monétaire, nous avons fait reproduire les types, mais sans nous occuper de l’échelle de proportions, qui n’avait pas du tout la même importance que dans les monnaies modernes, attendu que la valeur des pièces s’estimait d’après le poids bien plus que d’après le module, qui est loin de présenter une régularité parfaite. Il suffit en effet de rappeler que les monnaies qui représentaient une valeur plus importante étaient naturellement beaucoup plus grandes que les autres.

Le semis, qui pèse la moitié d’une livre, est caractérisé par la tête de Jupiter (fig. 456). Le triens, ou tiers de la livre, porte la tête de Minerve (fig. 457) ; le quadrans, ou quart de la livre, porte la tête d’Hercule (fig. 458) ; le sextans, ou sixième partie de la livre, porte la tête de Mercure (fig. 459) ; enfin l’once, qui est le douzième de la livre, porte la tête de la déesse Rome (fig. 460). Toutes ces monnaies de l’époque primitive sont coulées et non frappées ; le dessin en est extrêmement grossier. La dimension des pièces a beaucoup changé, parce que le poids de l’as, qui était primitivement de douze onces, a été réduit à quatre onces à la fin de la guerre du Samnium, à deux onces après la première guerre punique, et plus tard à une once seulement. Mais si ces monnaies de bronze ont changé de poids et par conséquent de dimension, elles ont conservé les mêmes types. Seulement, dans ces nouvelles séries, la monnaie est frappée au lieu d’être coulée, et la gravure est beaucoup meilleure (figures 461 à 466). C’est l’emploi des monnaies d’argent et d’or qui a amené ces transformations. On s’aperçut en effet qu’une petite monnaie d’argent était beaucoup plus commode qu’une lourde monnaie en cuivre, et le bronze, qui dans les temps primitifs avait été l’unique monnaie de Rome, ne servit plus que pour les monnaies d’une valeur infime.

Les monnaies d’argent, aussi bien que celles de bronze, ont plusieurs fois changé de dimension et de valeur. Le denier d’argent, qui représentait dix as, avait pour division le quinaire valant cinq as, et le sesterce, valant deux as et demi. Le denier porte au droit la tête de Pallas ou de Rome, et au revers les Dioscures à cheval, avec la légende Roma (fig. 467 et 468). Il y avait aussi des doubles deniers, valant vingt as et portant au droit une double tête imberbe, et au revers Jupiter dans un quadrige (fig. 469 et 470).

Le quinaire, qui est la moitié d’un denier, porte également une tête de Pallas au droit et les Dioscures au revers (fig. 471 et 472).

Le victoriat, qui est l’équivalent du quinaire et représente la même valeur, tire son nom d’une figure de la Victoire qui paraît au revers en remplacement des Dioscures (fig. 475 et 476). Le double victoriat est l’équivalent du denier (figure 473 et 474) et le demi-victoriat est l’équivalent du sesterce (fig. 477 et 478).

Le sesterce, dont la valeur est deux as et demi, présente une tète de Pallas avec les Dioscures au revers (fig. 479-480). C’est la dernière monnaie d’argent dont nous ayons à nous occuper.

Dans la série monétaire d’or, la plus petite monnaie est de 20 sesterces et représente d’un côté la tête de Mars et de l’autre un aigle sur un foudre avec la légende Roma (fig. 481-482). Le même type se voit sur les pièces de quarante sesterces (fig. 483-484) et sur celles de soixante sesterces (fig. 485-486). Ces deux dernières pièces sont d’origine campanienne et appartiennent à la première époque de l’or.

Le denier d’or ou aureus à une valeur de vingt-cinq deniers d’argent ou 100 sesterces. La tête de Jupiter est placée à l’avers et le revers montre l’aigle sur un foudre (fig. 487-488). Ce denier d’or appartient à la famille Cornelia. Le quinaire d’or ou demi-aureus présente au droit un buste de la Victoire et au revers un vase à sacrifice (fig. 489-490). Ce quinaire appartient à la famille Munatia.

Les peuples barbares n’ont employé la monnaie que d’une manière tout à fait exceptionnelle. En Perse il y avait des monnaies qu’on désigne sous le nom de dariques et qui représentent ordinairement un archer royal en train d’ajuster sa flèche. Ces monnaies servaient à payer les soldats mercenaires, ou les populations maritimes dont le roi soldait les navires, car en dehors des villes grecques de la côte, on faisait, pour les besoins du commerce, des échanges de métaux précieux que l’on évaluait au poids, mais qui ne portaient ni effigies, ni marques figuratives.

Les monnaies primitives des Gaulois étaient extrêmement grossière ; elles ne portaient ni figures, ni légendes, mais un petit signe, comme une étoile ou une croix. Quelquefois aussi c’étaient de simples morceaux de métal taillés en rondelles ou en anneaux. On a retrouvé quelques-unes de ces monnaies barbares : la figure 491 montre le modèle d’une de ces rondelles considérées comme la monnaie primitive des Gaulois.

 

LA CORRESPONDANCE. — L’Égypte, où croît le papyrus, est probablement le pays où l’usage des lettres sur papier a commencé. On a dû employer les lettres en papier à une époque où, dans le reste du monde, on n’avait encore d’autres moyens pour correspondre d’un lieu à un autre que les petites plaques faites de briques, ou les tablettes enduites de cire. Faut-il en conclure que les Égyptiens ont eu avant les autres nations un échange régulier de correspondance et un système de courriers chargés de transmettre des communications écrites, à des époques fixes, ou tout au moins d’après une méthode régulièrement établie ? On peut le supposer, car d’après l’état où la civilisation était parvenue dans ce pays, il est difficile d’admettre que les ordres du Pharaon et de ses ministres n’aient pas été transmis dans les provinces avec la ponctualité qu’on trouve dans toutes les branches de l’administration. L’Égypte était avant tout un pays de comptables, ce qui implique, en général, une grande régularité dans les rapports des subordonnés avec leurs chefs hiérarchiques. Toutefois aucun document ne vient à l’appui de cette hypothèse. et il est impossible dès lors de rien préciser à ce sujet.

C’est en Perse qu’on trouve les traces les plus anciennes d’un système de courriers régulièrement établi. Rien parmi les mortels, dit Hérodote, n’est aussi rapide que les messagers perses. Voici comment leur service est organisé ; autant de journées de marche, autant il y a d’hommes et de chevaux séparés les uns des autres par la distance qu’on franchit en un jour. Nul obstacle ne les empêche de faire ce trajet avec une extrême vitesse. Le premier courrier, au bout de son parcours, transmet au second et le second au troisième, le message, qui passe de l’un à l’autre, comme le flambeau chez les Grecs, pendant les fêtes de Vulcain. Toutefois, cette organisation, si complète qu’elle paraisse, était spéciale à la transmission des dépêches des satrapes, et il est au moins douteux qu’elle ait jamais été employée pour la correspondance des particuliers.

Chez les Grecs, peuple essentiellement navigateur, le transport des lettres, aussi bien que celui des colis, devait se faire surtout à l’aide des petits bâtiments qui se rendaient continuellement d’un port à un autre, mais il ne paraît pas y avoir eu de services réguliers ou se rattachant au gouvernement. Les lettres étaient confiées à des messagers ou à de simples commandants de navire qui se chargeaient de les transporter à destination. C’est seulement quand on arrive à l’empire romain que l’on trouve un système parfaitement régulier de messagers auquel on donnait le nom de course publique. L’Union postale de 1879 a publié sur l’organisation des messageries romaines un excellent travail de M. F. Desenne, qui résume très nettement tout ce qu’on sait sur ce sujet et que nous allons prendre pour guide.

La course publique des Romains, dit M. F. Desenne, est mieux connue que les angaries persanes, grâce aux codes théodosien et Justinien ; mais elle se présente à nous sous l’aspect d’une institution ayant pour but de faciliter les excursions des empereurs, le transport des courriers du gouvernement, des ambassadeurs étrangers, des fonctionnaires envoyés en mission, des voyageurs de distinction spécialement autorisés à cet effet, et de l’argent du trésor. Ses stations ne sont pas seulement des relais, mais encore des hôtelleries impériales abondamment approvisionnées, et des magasins d’effets militaires et de vivres pour les troupes en marche. Quant à la correspondance des particuliers, il n’en est pas plus question que si elle n’avait pas existé. Nous possédons assez de lettres des Romains pour savoir qu’ils pratiquaient l’usage de se communiquer leurs pensées par correspondance ; mais le silence absolu de leurs lois et de leurs écrits sur les transports particuliers donnerait presque à penser qu’ils n’écrivaient qu’autant qu’ils assuraient eux-mêmes l’acheminement de leurs lettres, soit par leurs serviteurs, soit par les occasions que pouvaient offrir les voyageurs ; ce qui aurait réduit la correspondance à bien peu de lettres et le nombre des correspondants à bien peu de gens.

Il est très probable que les lettres particulières passaient par l’intermédiaire des courriers du gouvernement ; cependant c’était l’exception, au moins dans les premiers temps de l’empire ; car l’empressement que met Pline à s’excuser par avance, auprès de son souverain et ami l’empereur Trajan, d’avoir autorisé sa femme à prendre la poste dans une circonstance grave, prouve surabondamment que la course publique n’était pas à l’usage de tout le monde. Certains détails familiers qu’on surprend dans la correspondance des anciens, comme d’accuser réception de plusieurs lettres du même correspondant, arrivées en même temps, ou de demander une réponse, par exprès, indiquent que toutes les lettres n’étaient pas acheminées par un service régulier, en admettant que ce service existât, et qu’elles n’étaient pas non plus toujours expédiées par un exprès. Il y avait donc d’autres intermédiaires que les exprès et les courriers du gouvernement. Or ces intermédiaires ne pouvaient être que des commissionnaires ou des messagers, voituriers, rouliers, comme celui dont parle Pétrone, qui possédait dix voitures et qu’il appelle tabellarius.

Tandis que le tabellaire officiel ou le voyageur privilégié, conduit par un postillon (veredarius ou mulio) et quelquefois précédé d’un courrier (cursor), relayait à la maison de poste (mansio) où son passeport (diploma ou litteræ evectionis) lui donnait droit gratuitement, non seulement à des moyens de locomotion de rechange, mais encore à une hospitalité abondante et même luxueuse, selon ce que comportaient les termes de l’écrit, le modeste messager privé se logeait avec ses chevaux, à ses frais, dans une auberge de la route. Nous pouvons, d’après l’organisation du roulage, avant que les chemins de fer eussent fait disparaître cette industrie de nos routes, nous figurer celle des messagers publics de l’empire romain. A un croisement de voies, le messager établissait, quand il le jugeait nécessaire, un entrepôt. C’était ou dans une auberge, ou peut-être dans un de ces petits temples auxquels le christianisme a substitué des croix sur le bord des routes ; car les temples païens n’étaient pas seulement consacrés au culte ; ils recevaient aussi des dépôts. Dans ce dernier cas, les objets restaient sous la garde des dieux des carrefours ; d’où probablement tire son origine la formule des lettres de voiture : A la garde de Dieu et sous la conduite de.... Ceux des voituriers qui desservaient la voie transversale prenaient au passage les objets qu’ils pouvaient acheminer. Lettres et colis étaient dirigés par les mêmes moyens.

 

LE CRÉDIT. — Les institutions de crédit qui ont cours dans les nations modernes n’étaient pas connues de l’antiquité. Cependant il y a eu de tout temps des prêteurs et des emprunteurs, sans cela le commerce n’aurait pas été possible, et toujours aussi l’argent prêté a dû porter intérêt. Nous trouvons dans l’ancienne Assyrie des mandats de payement ou des billets de commerce, seulement ces mandats n’étaient pas en papier ; ils consistaient en petites plaques quadrilatères en argile, dont plusieurs sont parvenues jusqu’à’ nous. Le texte était inscrit sur la terre molle et devenait inaltérable lorsqu’elle était cuite. M. Lenormant, dans son Histoire de la monnaie dans l’antiquité, a donné la traduction de quelques-unes de ces plaques. Voici par exemple le modèle d’une obligation simple

Quatre mines d’argent au poids de Karkémish (créance) de Nergalsurussur,

Sur Nabuzikiriddin, fils de Nabbiramnapisté,

De Dur-Sarkin,

A cinq sicles d’argent d’intérêt mensuel.

Le 26 aïr, éponymie de Gabbar (667 avant J.-C.).

Suivent les noms des témoins.

C’est, ajoute M. Lenormant, un intérêt annuel de 25 pour 100, et tel était le taux normal du loyer de l’argent en Assyrie. La plupart du temps, dans les obligations du genre de celle-ci, où il n’est pas fixé d’échéance de payement, on dit l’intérêt sera du quart ; on doit en conclure que lorsque l’échéance n’est pas indiquée, le prêt est fait pour un an.

Tel était en Assyrie le titre du créancier sur le débiteur, et la remise à ce dernier constatait sa libération.

Voici maintenant le modèle d’un mandat de payement d’un lieu sur un autre :

Quatre mines quinze sicles d’argent (créance) de Ardu-Nana, fils de Yakin, sur Mardukabalussur, fils de Mardukbalatirib.

Dans la ville d’Orchoé,

Mardukbalatirib payera,

Au mois de tebet,

Quatre mines quinze sicles d’argent,

A Belabaliddin, fils de Sinnaïd,

Our, le 14 arakhsamna,

L’an 2 de Nabonide,

Roi de Babylone,

Suivent les noms des témoins.

Il est facile, dit M. Lenormant, de juger d’après ces exemples ce qu’avait encore d’imparfait la forme de la lettre de change usitée chez les Assyriens et les Babyloniens. Ainsi, nous n’entrevoyons aucune garantie contre la présentation indue d’un effet de ce genre, perdu ou volé, par quelqu’un qui n’aurait pas eu réellement droit de le toucher. L’absence d’acceptation et d’endossement était également un grave inconvénient ; mais on y remédiait en partie par le moyen d’un acte spécial constatant la négociation de l’effet et donnant, par suite, au preneur de la lettre de change, un moyen de recours contre le tireur en cas de non payement, acte qui devait être annulé de plein droit par le payement. Il est probable que le tiers porteur était obligé de remettre l’instrument, en même temps que le mandat lui-même, à celui sur qui il était tiré.

Quoi qu’il en soit, il y a quelque chose de singulier au"premier abord et de tout à fait inattendu dans cette constatation de l’existence d’une forme de la lettre de change avant l’invention de la monnaie, quand les métaux servant d’instruments aux échanges et de commune mesure de la valeur des choses circulaient encore à l’état de simple marchandise. Pourtant, si l’on réfléchit aux conditions particulières dans lesquelles s’opérait le commerce des Assyriens et des Babyloniens, on se rend compte de ce phénomène d’abord étrange, on comprend les causes qui ont dû conduire ces peuples, de meilleure heure que les autres, à inventer le contrat de change. Le commerce de l’Assyrie et de Babylone était forcément, par suite de la situation géographique de ces contrées, un commerce de terre, qui se faisait par voie de caravanes et dans presque toutes les directions, ayant à traverser des déserts infestés de nomades pillards. Dans ces conditions, une des premières préoccupations des négociants a dû être la recherche des moyens d’éviter les transports lointains d’argent. Tout en faisait une loi, le caractère encombrant du numéraire métallique, le nombre de bêtes de somme qui devenaient nécessaires pour en porter de grandes quantités, aussi bien que l’insécurité des routes. Aussi, dès qu’il y a eu un créancier et un débiteur aux deux extrémités d’une ligne de caravanes, l’idée première du contrat de change a dû germer dans l’esprit du créancier.

A Athènes et à Rome, l’usure, car c’est le nom qu’on donnait à l’intérêt de l’argent sans que ce terme fût pris, comme chez nous, en mauvaise part, a presque toujours été très onéreuse pour l’emprunteur, et la législation a vainement tenté d’en fixer le taux. Pour les entreprises maritimes et courant de grands risques, l’intérêt de l’argent était de 36 pour 100 à Athènes et de 24 chez les Romains ; il était naturellement moindre lorsque les garanties présentaient plus de certitude. Néanmoins le taux de l’intérêt a toujours été assez élevé et à Rome l’usure a toujours été pour une grande part dans les querelles qui se sont élevées entre les plébéiens et les patriciens. En général l’intérêt de l’argent devait être payé chaque mois.