LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME III — LE TRAVAIL DANS L’ANTIQUITÉ

LE COMMERCE. — I. - LA VENTE ET L’ACHAT

 

 

LES MARCHÉS ET LES BOUTIQUES. - LES ANNONCES. - LES DENRÉES. - LES POIDS ET LES MESURES.

 

LES MARCHÉS ET LES BOUTIQUES. — En Égypte, comme au reste chez tous les peuples de l’antiquité, les fêtes religieuses étaient de véritables foires. Le Nil était continuellement sillonné par une foule d’embarcations qui transportaient les pèlerins aux fêtes religieuses. Mais ces pèlerins mêlaient très bien leur piété avec leurs intérêts, et c’est bien ainsi que l’entendait le sacerdoce égyptien, toujours fort pratique dans les institutions qu’il a établies. Les sanctuaires placés sur tous les chemins conduisant à la vallée du Nil étaient en même temps des sortes de comptoirs, où les transactions du négoce étaient revêtues de formalités particulières qui reliaient intimement les intérêts du culte à ceux des particuliers. Ces stations religieuses et commerciales tout à la fois étaient- toujours placées dans les lieux où il y avait des sources d’eau vive, trésors inappréciables pour les caravanes arrivant du désert ou s’y dirigeant, et les bienfaits du dieu attiraient naturellement de nombreuses offrandes. La plus fréquentée de toutes était la fameuse oasis d’Ammon, non moins connue des marchands par ses excellentes sources que par son oracle. On consultait le dieu sur l’entreprise dans laquelle on allait s’aventurer, et on s’approvisionnait en même temps à la célèbre fontaine placée dans l’enceinte sacrée.

Diodore de Sicile nous a laissé une description de cette fontaine célèbre : Près de ce temple, dit-il, existe une fontaine à laquelle un phénomène qui s’y passe a fait donner le nom de fontaine du soleil. Son eau varie singulièrement de température aux différentes heures de la journée : au point du jour elle est tiède, et devient froide à mesure que le jour s’avance, jusqu’à midi, où elle atteint son maximum de froid ; la température s’élève à partir de midi, jusqu’à ce qu’elle ait atteint son maximum à minuit ; à partir de ce moment, la chaleur va en diminuant jusqu’à ce qu’elle arrive au degré qu’elle avait au lever du soleil.

Du côté du midi, des sanctuaires, émanations du grand corps sacerdotal de Thèbes, étaient échelonnés jusqu’à une très grande distance dans la vallée du Nil, en sorte que l’autorité théocratique rayonnait sur toute l’Éthiopie, et prêtait aux marchands l’appui qui leur était nécessaire dans ces contrées difficiles à traverser. C’est là que les tribus à demi sauvages apportaient les produits de leurs chasses et les richesses minérales de leur sol, pour subvenir aux besoins et aux merveilles de la civilisation égyptienne.

Primitivement les étrangers venaient trafiquer dans certains ; points déterminés, et ils trouvaient la sécurité sous la sauvegarde d’un sanctuaire. Il y a en Chine et au Japon certains ports qui sont comme le rendez-vous de tout le commerce européen ; il en était de même en Égypte où, depuis une antiquité très reculée, les Phéniciens avaient établi un comptoir à Memphis. Plus tard, le roi Amasis concéda aux Grecs l’établissement de Naucratis, où il leur permit de vivre suivant leurs lois : Amasis, dit Hérodote, aimait les Grecs ; du moins il accueillit avec faveur quelques-uns d’entre eux, et assigna pour résidence à ceux qui venaient en Égypte la ville de Naucratis. A ceux qui n’avaient pas dessein de s’y fixer et se bornaient à trafiquer par mer, il donna des emplacements où ils pussent ériger des autels et des temples. Le plus grand de ces enclos sacrés, le plus célèbre, le plus fréquenté, celui qu’on appelle Hellenium, a été bâti en commun par les Ioniens de Chios, de Téos, de Phocée et de Clazomène ; par les Doriens de Rhodes, de Cnide, d’Halicarnasse et de Phaselis, et par les Éoliens de la seule Mytilène. Le temple appartient à toutes ces villes, et les préposés aux affaires commerciales sont institués par elles. Les autres cités qui participent au temple le font sans y avoir droit. En outre, les Éginètes ont construit pour eux-mêmes le temple de Jupiter, les Samiens celui de Junon, les Milésiens celui d’Apollon... Mais Naucratis était autrefois le seul marché de l’Égypte ; il n’y en avait point d’autres. Si quelque navigateur remontait une autre bouche du fleuve, il devait jurer que ce n’était pas volontairement. Après ce’ serment, il fallait qu’il gagnât par mer la bouche canopienne. Si les vents contraires s’y opposaient, on l’obligeait à conduire sa cargaison sur des barques à travers le delta, jusqu’à Naucratis. Aussi cette ville était priviligiée.

La conquête de l’Égypte par les Perses et ensuite par les Grecs changea complètement cet état de choses, et, sous les Ptolémées, Alexandrie absorba à peu près tout le commerce de l’Égypte. Les mœurs nationales, si soigneusement maintenues par le sacerdoce dans les antiques traditions, se transformèrent sous cette influence étrangère et la profession d’interprète devint une des plus suivies dans un pays ouvert de tous côtés à des peuples parlant une langue différente.

Le commerce de l’Asie se faisait surtout par caravanes, et il devait y avoir dans les grands centres de population, comme Ninive et Babylone, des stations commerciales où les marchands se réunissaient en très grand nombre à des époques déterminées. Cependant un passage d’Hérodote relatif à l’histoire de Cyrus laisse croire qu’il n’y avait pas dans les villes de places spécialement affectées au commerce.

Lorsque le héraut eut rempli sa mission, dit-il, Cyrus demanda quels étaient ces Grecs qui tenaient un pareil langage et quel était leur nombre. Après qu’on l’en eut informé, il fit cette réponse : Je n’ai point crainte de ces hommes qui ont au milieu de leur cité une place qu’ils adoptent pour s’y réunir et se tromper les uns les autres, par de faux serments. Cyrus disait cela des Grecs, à cause de leurs agoras, où ils se rencontrent pour acheter et pour vendre : car les Perses ne savent pas ce que c’est qu’un agora et n’ont même pas de marché.

L’activité commerciale n’est pas une chose qui se prête beaucoup aux représentations plastiques. Aussi nous possédons peu de monuments qui s’y rattachent. Sur la figure 400 on voit deux hommes occupés à attacher un ballot de marchandises destiné probablement à une contrée lointaine. On y voit que le système employé pour l’emballage était à peu près le même dans l’antiquité que de nos jours.

Chez les Grecs et chez les Romains, l’activité commerciale, aussi bien que la vie politique, était tout entière sur la place publique (fig. 402). En Grèce, le lieu où le peuple tenait ses assemblées s’appelait l’agora. Les agoras étaient généralement environnés de portiques, qui n’étaient pas toujours continus. La place publique d’Élis, décrite par Pausanias, était traversée par plusieurs rues. A Athènes, à Mégalopolis, et dans d’autres villes, une partie des portiques était disposée de manière qu’on pût y rendre la justice. Quand ces portiques étaient décorés de peintures ils prenaient le nom de pœciles. Ces décorations avaient pour sujets la représentation de faits glorieux pour la cité. L’enceinte de l’agora comprenait souvent des temples, des autels et des statues consacrées aux dieux, ou destinées à immortaliser le souvenir des héros et des citoyens illustres. Aristote veut qu’on place l’agora dans le voisinage du temple. Comme les temples étaient généralement placés sur une hauteur, l’orateur qui parlait des affairés publiques pouvait montrer le temple au peuple en invoquant les dieux protecteurs de la cité. Anciennement l’agora était une vaste place irrégulière, mais le système ionien qui prévalut fit établir partout de belles places rectangulaires et entourées d’édifices.

Le forum des villes romaines répond à peu près à l’agora des cités grecques. Seulement dans les villes populeuses, où la vie politique prenait une grande importance, on établissait plusieurs forums, de telle façon que les marchands pouvaient se réunir pour traiter de leurs affaires particulières, en dehors du tumulte qui se produisait assez souvent autour des orateurs populaires. Des marchands de toute espèce s’établissaient sous les portiques, dont les villes antiques étaient toujours abondamment pourvues. C’étaient surtout des détaillants, car le commerce un peu relevé se faisait de préférence dans les boutiques, comme cela a encore lieu de nos jours. Plusieurs peintures, découvertes à Pompéi, montrent la disposition de ces petites boutiques improvisées sous les portiques (fig. 402 à 405).

Toutes les villes romaines avaient au moins un forum ; Rome en avait quatorze, parmi lesquels sept ou huit étaient de simples marchés.

Mais indépendamment de ces places, toujours encombrées de marchands, il,y avait dans les grandes villes un grand nombre de petites boutiques ambulantes qui s’installaient le long des édifices et dans toutes les rues. Il y avait même un tel encombrement de ces petites boutiques que Domitien fit un édit pour les interdire parce qu’elles rétrécissaient la voie publique. Martial fait allusion à cet édit dans une de ses épigrammes.

A César le Germanique.

L’audacieux boutiquier s’était emparé de Rome entière, et’ son échoppe obstruait l’entrée de toutes les maisons. Tu as fait élargir les voies trop étroites, et ce qui naguère n’était qu’un sentier est une rue aujourd’hui. Il n’y a plus de piliers entourés de bouteilles enchaînées ; et le préteur n’est plus obligé de marcher au milieu de la boue. Le rasoir du barbier ne fonctionne plus à l’aventure au milieu d’une foule qui se presse ; et de noirs cabarets n’encombrent plus la voie publique. Le barbier, le charcutier, le rôtisseur, le boucher restent chez eux : Rome est Rome maintenant ; naguère elle était une immense boutique.

La figure 406 reproduit un bas-relief du Vatican sur lequel on voit une boutique de coutelier, avec un citoyen revêtu de la toge, qui présente une bourse au coutelier en payement de sa marchandise. A Pompéi, les maisons, même celles des riches propriétaires, étaient souvent entourées de boutiques, dans lesquelles ceux-ci faisaient vendre leurs denrées, ou dont ils tiraient parti en les louant. Ces boutiques, généralement fort petites, s’ouvraient sur la rue. Le nom du marchand était écrit en lettres rouges au-dessus de la boutique. La plupart de ces boutiques étaient décorées de mosaïques et de peintures. Elles se fermaient sur la rue au moyen de volets glissant dans des rainures et retenus par des barres. Il en était probablement de même dans les autres villes de l’Italie.

 

LES ANNONCES. — Les annonces de tout genre qui devaient être portées à la connaissance du public étaient placées sur des tablettes que l’on suspendait dans les temples. Souvent aussi on les mettait dans un endroit apparent de la ville, et une couche de blanc effaçait les affiches anciennes et permettait d’en mettre de nouvelles. Les caractères étaient peints quelquefois en noir et le plus souvent en rouge ; mais les avis ou les ordonnances de l’autorité, destinées à être vues en permanence, étaient gravées d’une manière durable. Une peinture de Pompéi nous montre une place publique où on voit plusieurs personnages occupés à lire une longue inscription, sur un écriteau fixé à la base de trois statues équestres. C’est de cette façon qu’on informait le public des actes de l’autorité judiciaire, et depuis une très haute antiquité, les principaux événements étaient relatés sur des tablettes, que les pontifes exposaient dans les temples (fig. 407).

Les annonces du commerce ne pouvaient pas être faites avec autant de solennité ; on les accumulait sur certains points de la ville disposés pour les recevoir et qui faisaient le même office que la quatrième page de nos journaux.

En 1821, on a découvert à Pompéi un bâtiment dont la disposition architecturale se compose de pilastres corinthiens supportant un entablement et encadrant des espaces rectangulaires où étaient contenues des inscriptions écrites en couleur rouge. Des frontons alternativement courbes et triangulaires complètent cette décoration, qui n’est pas sans élégance. Les inscriptions qui annonçaient des ventes, des locations, ou les spectacles de l’amphithéâtre, n’existent plus aujourd’hui, mais elles ont été reproduites dans le grand ouvrage de Mazois, qui les a transcrites au moment où on venait d’en faire la découverte. Des inscriptions analogues, pouvant servir d’enseigne ou de réclame, ont été trouvées dans différentes parties de la ville, mais ici elles étaient accumulées dans un endroit spécial qui n’a jamais eu d’autre destination. C’était un grand mur blanc, divisé en compartiments par des pilastres, et situé près du forum (fig. 408).

 

LES DENRÉES. — M. Chabas a donné une liste des principaux produits importés en Égypte par les caravanes. Le commerce, dit-il, avait à se procurer au loin une foule d’objets devenus indispensables aux habitudes luxueuses des Égyptiens. Indépendamment de l’or, de l’argent, du bronze, du fer, du plomb, du lapis, des bois solides et précieux que diverses contrées leur fournissaient, ils importaient de l’étranger beaucoup de produits fabriqués, parmi lesquels on peut citer : les vases de Chypre ou de Crête ; les sièges marquetés de Kati ; les chars de Béryte, garnis de cristal, de lapis, d’argent et d’or, ayant des sièges du pays de Pehor et leurs timons du pays d’Aup ; les outres ou coffres garnis de peaux de Rehob ; les vins de Kanem et de Syrie, que ne remplaçaient pas les bons vins nationaux de Kakem, si propres à être mélangés avec le miel ; le kak, espèce de boisson de grains fabriquée à Kati ; divers autres liquides fournis par les pays de Kheta, d’Assour, de Singar, d’Amor et de Naharaïn ; des oiseaux et des poissons d’espèces multiples, parmi lesquels on remarque le poisson séché de Tyr ; les collyres de Kauma et de Syrie ; les fruits de la même provenance ; les chevaux de Singar ; d’autres animaux domestiques de Kheta, etc. Ces importations étaient effectuées soit par des caravanes étrangères, telles que celles des Galaadites qui achetèrent le patriarche Joseph, soit par des expéditions parties de l’Égypte elle-même.

Les céréales et le papyrus formaient les principales exportations. Nous ne connaissons aucun monument qui puisse se rapporter directement à l’histoire de Joseph. Mais la famine qui a attiré les Israélites en Égypte ne doit pas être considérée comme un fait isolé. La vallée du Nil était prodigieusement fertile et admirablement cultivée : si à tant de reprises différentes elle a tenté la cupidité des conquérants, elle a dû de même, dans les temps de disette, attirer les émigrés qui habitaient une contrée moins favorisée. Dans les hypogées de Beni-Hassan, on voit sur une peinture une famille d’émigrés asiatiques, qu’une famine a sans doute chassée de son pays, et qui vient chercher des ressources dans la fertile Égypte. Les hommes, couverts de manteaux de laine brodés, ont les pieds chaussés de sandales à longues tresses. Ils apportent avec eux leur bien, c’est-à-dire une lance, un casse-tête, un arc, une cithare et des outres pleines d’eau pour les besoins du voyage. Des femmes les accompagnent : elles ont le nez busqué, de larges pommettes et la taille ramassée. Leurs bras sont nus, leur front est ceint d’un simple bandeau, et des brodequins de peaux de bêtes forment leurs chaussures. Elles conduisent des ânes chargés d’étoffes et de paniers dans l’un desquels on voit deux petits enfants. Quels sont ces réfugiés ? devant cette peinture on songe involontairement à la famille de Joseph, mais les hypogées de Beni-Hassan passent pour être antérieurs à Joseph.

L’Égypte produisait du vin en assez grande quantité ; néanmoins elle en recevait aussi des pays étrangers, et ce qui est plus curieux, c’est que les vases où le vin étranger avait été apporté servaient ensuite à exporter l’eau du Nil, célèbre dans l’antiquité par son extrême salubrité.

Je vais parler d’un fait, dit Hérodote, qu’un petit nombre de ceux qui vont en Égypte par mer ont observé. De toute la Grèce et en outre de la Phénicie, deux fois par an, on amène en Égypte des vases de terre pleins de vin ; et cependant, lorsque ces vases ont été vidés, d’un si grand nombre on n’en revoit pas un seul. Où donc, demandera-t-on, sont-ils employés ? Je vais le dire : le magistrat de chaque ville est obligé de rassembler tous les vases de terre, et de les envoyer à Memphis, d’où on les transporte remplis d’eau dans le désert de la Syrie. Ainsi toute cette poterie que l’on importe en Égypte disparaît et rejoint en Syrie celle qui l’a précédée. Les Perses, depuis qu’ils sont maîtres de l’Égypte, en facilitent de cette manière l’accès, par la provision d’eau qu’ils envoient dans le désert. Alors, il n’y avait point d’eau placée sur la route.

Sous les Ptolémées, tout le commerce de l’Égypte fut concentra ; dans la ville grecque d’Alexandrie ; elle exportait dans toutes les provinces du monde connu les produits de ses manufactures, qui avaient remplacé celles de Tyr et de Sidon.

Le commerce des Phéniciens, qui se faisait surtout par la navigation, a été de beaucoup le plus important de l’antiquité primitive.

Dans ses anathèmes contre Tyr, le prophète Ézéchiel nous donne des détails circonstanciés sur l’industrie et le commerce de cette ville :

Tyr, ô toi qui habites aux avenues de la mer, qui fais le commerce avec les peuples dans plusieurs îles, Tyr, tu as dit : je suis parfaite en beauté ;

Tes confins sont au cœur de la mer, ceux qui t’ont bâtie t’ont rendue parfaite en beauté ;

Ils t’ont bâti de tous les côtés des navires de sapin de Scénir ; ils ont pris des cèdres du Liban pour te faire des mâts ;

Ils ont fait tes rames de chênes de Bascan et la troupe des Assyriens a fait tes bancs, d’ivoire apporté des îles de Kittin ;

Le fin lin en façon de broderie, apporté d’Égypte, a été ce que tu étendais pour te servir de voiles ; tu te couvrais de pourpre et d’écarlate apportées des îles d’Élisça ;

Les habitants de Sidon et d’Arvad étaient tes matelots ; les anciens de Guebal ont été parmi toi pour réparer tes brèches ; tous les navires de la mer et leurs mariniers ont été avec toi pour trafiquer et pour faire ton commerce ;

Ceux de Perse, de Lud et de Put ont été tes gens de guerre dans ton armée ; les enfants d’Arvad, avec ton armée, ont été sur les murailles tout autour, et ceux de Gammad ont été dans tes tours ;

Ceux de Tarscis ont trafiqué avec toi de toutes sortes de richesses, faisant valoir tes marchés, en argent, en fer, en étain et en plomb ;

Javan, Tubal et Mescec ont trafiqué avec toi, faisant valoir ton commerce en vendant des hommes et des vaisseaux d’airain ;

Ceux de Togarma ont fait valoir tes marchés en chevaux et en mulets ;

Les enfants de Dédan ont été avec toi ; tu avais dans ta main le commerce de plusieurs îles, et on t’a rendu en échange des dents d’ivoire et de l’ébène ;

La Syrie a trafiqué avec toi de tes ouvrages de toutes sortes ; on a fait valoir tes marchés en escarboucles, en écarlate, en broderie, en fin lin, en corail et en agate ;

Juda et le pays d’Israël ont trafiqué avec toi, faisant valoir ton commerce en blé, en miel, en huile et en baume ;

Damas a trafiqué avec toi en te donnant pour la multitude de tes ouvrages toutes sortes de richesses, du vin et de la laine blanche ;

Et Dan et Javan et Mosel ont trafiqué sur tes marchés avec du fer luisant ; la casse et le roseau aromatique ont été dans ton commerce ;

Ceux de Dédan ont négocié avec toi en draps précieux pour les chariots ; les Arabes ont été les marchands que tu avais dans ta main, trafiquant avec toi en agneaux, en moutons et en boucs ;

Les marchands de Scéba et de Rahma ont négocié avec toi, faisant valoir tes foires en toutes sortes de drogues les plus exquises et en toutes sortes de pierres précieuses et en or ;

Haran, et Canne et Heden ont fait trafic avec toi ; Scéba, Assur et Chilmad ont négocié avec toi ;

Ceux-ci ont négocié avec toi en draps de pourpre et broderies, et en caisses pour des vêtements précieux, serrés de cordes ; même les coffres de cèdre ont été dans ton trafic ;

Les navires de Tarscis ont été les principaux de ton commerce, et tu as été remplie et rendue fort glorieuse au milieu de la mer ;

Mais le vent d’Orient t’a brisée au milieu de la mer ; tes richesses et tes marchés, ton commerce, tes mariniers et tes pilotes, ceux qui réparaient tes brèches, tous les gens de guerre qui étaient dans toi, tomberont au milieu de la mer, au jour de ta ruine ;

Tes faubourgs trembleront au bruit du cri de tes pilotes ; et tous ceux qui manient la rame descendront de leurs navires, les mariniers et tous les pilotes de la mer ; ils se tiendront sur la terre ;

Et ils feront entendre sur toi leur voix et crieront amèrement ; ils jetteront de la poudre sur leurs têtes et se vautreront dans la cendre ;

Et ils s’arracheront les cheveux à cause de toi ; et ils se ceindront de sacs, et ils te pleureront dans l’amertume de leur âme d’une plainte amère ;

Et ils prononceront à haute voix sur toi une complainte ; dans leur lamentation et dans leur complainte ils diront : Quelle ville fut jamais telle que Tyr qui a été détruite au milieu de la mer ?

Les Phéniciens avaient établi des comptoirs sur une foule de points et leur commerce maritime embrassait toute l’étendue de la Méditerranée et s’étendait même sur les côtes de l’Océan, car leurs vaisseaux remontaient vers le Nord jusque sur les côtes de la Bretagne. La colonie phénicienne la plus importante, Carthage, doit également toute son importance au commerce maritime, mais nous avons peu de renseignements sur l’histoire de ce commerce, car ceux qu’on peut puiser dans les historiens anciens se rapportent surtout au récit de ses guerres avec Rome. Les cités grecques de l’Asie Mineure et de la Sicile, les îles, et quelques villes de la Grèce propre, comme Athènes et Corinthe, s’enrichirent également par le commerce ; après la ruine de Carthage et de Corinthe, l’Afrique et l’Orient étant tombés aux mains des Romains, le commerce cessa en quelque sorte d’être international, mais s’augmenta encore par les relations qui s’établirent de province à province. Sous l’empire romain, le commerce intérieur comprenait toutes les industries connues de l’antiquité et se faisait principalement sur la Méditerranée. Il se faisait peu d’exportations au dehors, mais la mer Rouge était alors très fréquentée ; les principaux articles d’importation qui arrivaient de l’Orient étaient les aromates, les pierres précieuses, les perles et la soie.

 

LES POIDS ET LES MESURES. — Les poids égyptiens qu’on a retrouvés ne portent pas de marques ; ils ont une forme ronde et plate, ou bien celle d’un cône tronqué. Il y a plusieurs espèces de balances. La plus primitive est un simple poteau fourchu supportant un fléau mobile ; rien ne garantit que le point d’appui est bien au milieu, en sorte que la justesse du pesage dépend beaucoup de l’adresse et de la bonne foi du peseur. Aussi dans les peintures on voit que le point d’appui occupe beaucoup les hommes chargés de peser. Dans la balance employée pour la pesée de l’or, les plateaux étaient remplacés par des crochets auxquels on suspendait les anneaux ou sacs d’or. Dans les monuments égyptiens représentant une balance, on voit ordinairement un scribe ou un officier public qui enregistre le chiffre de la pesée et eu constate l’exactitude. (Voir figure 270.)

D’autres balances présentent une tige perpendiculaire au sommet/ de laquelle le balancier tourne sur pivot ; un petit anneau mobile posé à la barre horizontale, et surmonté parfois d’un cynocéphale, emblème d’équilibre, servait à prouver la justesse du balancier, en le touchant légèrement de la main comme on le voit sur les peintures. Les plateaux étaient fixés par des cordes aux extrémités du balancier. Les plus grands étaient en bois, les plus petits en bronze (fig. 409).

Les animaux vivants se vendaient au poids, et on voit sur une peinture de Thèbes un lièvre ou un lapin en vie sur un des plateaux, tandis que l’autre supporte des poids qui ont la forme d’anneaux. La plupart des poids qu’on a recueillis sont en bronze, en granit, en hématite surtout.

Les balances des Grecs et des Romains ne différaient pas essentiellement de celles que nous avons vues chez les Égyptiens. Sur un vase de Bernay (fig. 410), on voit une grande balance sur les plateaux de laquelle sont placés d’un côté le corps d’Hector et de l’autre un cratère d’or, que Priam a apporté pour la rançon de son fils. Cette balance est posée sur trois pieds en triangle, mais le grand masque bachique qui rattache l’anse du vase à sa panse empêche qu’on ne joie comment est disposé le fléau.

Les balances que l’on conserve dans les cabinets d’antiquités sont disposées de diverses manières. La plus simple consiste en une barre de métal, avec un anneau placé au centre pour servir de poignée, et un plateau suspendu à chacune des extrémités. Quelquefois une aiguille jouant dans une châsse marque, par son plus ou moins d’inclinaison, les variations du poids. On se servait aussi de pesons formés d’une baguette divisée par des points en parties égales et qui se tenait en suspension au moyen d’une chaîne. Un crochet, auquel on suspendait le corps que l’on voulait peser (fig. 412), ou bien le plateau d’une balance (fig. 411) garnissait le bras court de cette baguette et un poids mobile se suspendait au bras le plus long.

Un bas-relief gallo-romain du musée de Caen représente un homme portant un instrument à double crochet, destiné à suspendre les objets qu’on voulait peser (fig. 413).

On a retrouvé à Pompéi une grande quantité de poids de toutes sortes, les uns en plomb, les autres en marbre ou en basalte. La plupart sont ronds et portent leur valeur indiquée par des inscriptions, ou par (les points en creux ou en relief. Quelquefois les poids et les mesures empruntaient la forme des objets vendus par le marchand qui en était possesseur. Le musée de Naples possède un poids en forme de porc, que l’on suppose avoir appartenu à un charcutier. On a découvert aussi des assortiments de poids qui sont des multiples les uns des autres et qui sont disposés de manière à s’emboîter les uns dans les autres. La livre romaine se divisait en douze onces et valait 326 grammes 337 ; ce qui fait les deux tiers à peu près de l’ancienne livre française.

Sur le fléau d’une balance conservée au musée de Naples, on lit une inscription dont le sens est : Sous le huitième consulat de Vespasien, empereur Auguste, et sous le sixième de Titus, empereur Auguste, vérifié au Capitole. La vérification des poids avait en effet une très grande importance sous l’empire romain. Des étalons de mesure étaient soigneusement conservés près des marchés, et des magistrats étaient chargés de vérifier les poids et les mesures quand il s’élevait une contestation (fig. 414).

Un monument de ce genre a été découvert à Pompéi ; on y lit une inscription dont le sens est : Aulus Clodius Flaccus, fils à Aulus, Narcœus Arellianus Calidus, fils de Narcœus, duumvirs chargés de rendre la justice, ont pris soin de jauger les mesures d’après un décret des décurions. On voit par cette inscription, dit M. E. Breton, que l’inspection des mesures qui, à Rome, était dans les attributions des édiles, était confiée, à Pompéi, aux duumvirs de justice. La surface de la pierre présente cinq cavités circulaires assez semblables à celles de nos fourneaux potagers ; elles sont rangées sur une seule ligne par ordre de capacité. Ces cavités sont un peu renflées au centre ; le fond arrondi est percé d’une ouverture circulaire qui, pour les mesures destinées aux solides, se fermait avec une coulisse de bronze et, pour celles réservées aux liquides, avec un bouchon ; ces ouvertures permettaient de vider facilement les mesures.

La métrète, mesure de capacité pour les liquides chez les anciens Grecs, valait environ trente-neuf litres. L’unité de mesure pour les liquides chez les Romains était l’amphore ou quadrantal, mesurant le cube du pied romain ; sa contenance équivalait à 26 litres 12 millilitres. Pour les choses sèches, l’unité de mesures des Grecs était le médimne (52 litres environ), et pour les Romains c’était le modius (8 litres 67 centilitres).

Les mesures de longueur les plus répandues étaient la coudée et le pied, mais ces mesures n’avaient pas partout la même étendue. Dans l’ancienne Égypte, il y avait deux sortes de coudées. La coudée royale, dont la longueur était de 525 millimètres, comprenait 28 doigts. Chacune de ses divisions était consacrée à une divinité spéciale. Nous avons au Louvre (salle civile, vitrine 1) une coudée égyptienne antique avec ses divisions. La coudée naturelle n’avait que 450 millimètres. C’est celle dont se servaient les ouvriers pour la construction des monuments. La coudée grecque présente 463 millimètres et la coudée romaine 444 millimètres. En Grèce, l’unité de mesure pour les longueurs était le pied olympique (309 millimètres) ; le pied romain présente en moyenne 296 millimètres.