LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME III — LE TRAVAIL DANS L’ANTIQUITÉ

L’AGRICULTURE. — I. - LA CHASSE.

 

 

LES CHASSEURS. - LES INSTRUMENTS DE LA CHASSE. - LES BÊTES FAUVES. - LES PARCS A GIBIER.

 

LES CHASSEURS. — La chasse est une nécessité pour les peuples primitifs, qui, étant peu habitués à l’agriculture, n’ont guère d’autre ressource pour vivre que les fruits qu’ils cueillent aux arbres, ou les animaux qu’ils tuent dans les bois. Quand les pasteurs parviennent à s’établir dans les plaines et le long des fleuves, les chasseurs, qui sont restés dans les contrées abruptes et montagneuses, mènent une vie très dure et ce sont eux qui fournissent toujours les hommes les plus intrépides. Aussi, les héros des légendes sont toujours des chasseurs : Adonis, que sa passion pour la chasse pousse à quitter les bras de Vénus malgré les supplications de la déesse, est le type des anciens chasseurs. La chasse offrait, en ces anciens temps, de très sérieux dangers, et la chasse du sanglier de Calydon a presque autant d’importance dans la mythologie que l’expédition des Argonautes ou la guerre de Thèbes. Dans les monuments de l’art, les grands chasseurs sont quelquefois représentés tout nus, comme on le voit sur la figure 1 qui a pour sujet le départ d’Adonis. Il est probable pourtant qu’ils étaient vêtus, et, si aguerris qu’ils pussent être, il est permis de présumer que, traversant continuellement les ronces et les broussailles, ils devaient avoir un costume capable de les garantir. Les peintures de vases nous montrent fréquemment des chasseurs complètement vêtus (fig. 2), et ces représentations, qui sont généralement très anciennes, nous renseignent bien mieux sur la véritable allure des chasseurs primitifs que les peintures ou les statues exécutées plus tard, quand les artistes avaient adopté déjà un mode conventionnel pour les représentations mythologiques.

Le chien, compagnon inséparable du chasseur et qui fait en quelque sorte partie de son outillage, apparaît sur tous les monuments relatifs à la chasse. Les chiens ainsi représentés appartiennent à des races différentes ; mais l’insuffisance du dessin empêche souvent qu’on en reconnaisse exactement l’espèce. Xénophon, dans son traité de la chasse, définit ainsi les qualités que les Grecs trouvaient les plus essentielles pour un chien de chasse : « D’abord il faut que les chiens de chasse soient grands, qu’ils aient la tête légère, courte et nerveuse, le bas, du front marqué de rides ; les yeux élevés, noirs, brillants ; le front haut et large ; les interstices prononcés ; le cou long, souple, rond ; la poitrine large, assez charnue où elle quitte les épaules ; les omoplates un peu distantes l’une de l’autre ; le train de devant court, droit, rond, musclé ; les jointures droites ; les côtes pas tout à fait plates, mais se dirigeant d’abord transversalement ; les reins charnus, ni trop longs ni trop courts ; les flancs ni trop mous ni trop fermes, ni trop grands, ni trop petits ; les hanches arrondies, charnues en arrière, assez espacées par le haut, et comme se rapprochant intérieurement ; que le bas-ventre et les parties adjacentes soient mollets ; la queue longue, droite et fine ; les cuisses fermes ; le train de derrière beaucoup plus haut que l’avant-train ; les pieds arrondis.

Quant à la couleur des chiens, il faut qu’elle ne soit ni rousse ni noire, ni tout à fait blanche ; ces couleurs annoncent un animal vulgaire, sauvage et non de bonne race. Les roux et les noirs doivent avoir, aux environs du front, un poil blanc. Les blancs seront marqués de roux au front. Je veux un poil droit et long au haut des cuisses, de même qu’aux reins et à la queue, mais plus court sur le dos.

Une statue de bronze, conservée à Naples, nous montre le vêtement habituel aux chasseurs dans l’époque romaine, aux oiseleurs, et en général, à la plupart des hommes que leur profession obligeait à vivre continuellement dans les bois et qui se trouvaient ainsi exposés à toutes les intempéries des saisons. Il se compose d’une tunique recouverte de l’amictus, mais l’un et l’autre sont en fourrure. Le chasseur dont notre figure 3 donne l’image est probablement un esclave chargé de prendre le gibier et de le vendre ; il exerce une fonction analogue à celle de nos gardes-chasse. Les bois formaient en effet une partie du revenu des grands propriétaires terriens.

Ce garde-chasse a un couteau de chasse dans la main droite ; deux colombes sont attachées à sa ceinture, il porte un lièvre sur son bras droit, et dans ses doigts on voit le nœud coulant où le gibier s’est pris.

 

LES INSTRUMENTS DE LA CHASSE. — Les Égyptiens se servaient du lasso à peu près de la même manière que les habitants de l’Amérique du Sud l’emploient encore aujourd’hui. Sur les peintures de Beni-Hassan, on voit des chasseurs qui, à l’aide du lasso, prennent en vie des gazelles ou d’autres animaux sauvages. Souvent aussi on les chassait simplement avec des flèches, mais la première manière était plus lucrative et plus estimée parce qu’on rapportait ainsi l’animal vivant ; que les Égyptiens avaient grand plaisir à élever. Nous voyons en effet, sur une peinture de Thèbes, un jeune chasseur qui rapporte sur ses épaules une gazelle vivante, dont il a eu soin de lier les pattes. Les deux chiens qu’il tient en laisse marchent à côté de lui (fig. 4).

La vallée du Nil, avec son grand fleuve tout couvert de roseaux, était peuplée d’une innombrable quantité d’oiseaux, dont la chasse offrait un profit assuré aux hommes qui en faisaient profession, en même temps qu’un amusement très recherché pour les classes riches. Cette chasse au marais se faisait de plusieurs manières, qui sont figurées dans les peintures des tombeaux. La plus curieuse est peut-être celle qui consiste à lancer contre les oiseaux un petit bâton enduit de glu. Si bizarre que paraisse ce genre de chasse, il était fort répandu en Égypte et on le voit reproduit sur les monuments. Voici comment on s’y prenait : les chasseurs allaient sur un bateau de papyrus, extrêmement léger, dans les grands lotus dont les touffes épaisses encombraient les bras du fleuve et qui servaient de retraite à une quantité innombrable de volatiles. On faisait remuer les plantes par leur base : les oiseaux, troublés dans leur quiétude, prenaient aussitôt leur vol en masse ; le chasseur, debout sur le bateau, lançait alors son bâton, comme nous le voyons dans la figure 5. Le bateau contient une espèce de boîte ou de panier où étaient placés des bâtons de rechange. Les Égyptiens étaient d’une extrême habileté dans cet exercice, qui était un des délassements habituels des classes riches. Plusieurs de ces bâtons de chasse ont été retrouvés dans les tombeaux et se voient aujourd’hui dans nos musées.

Parmi les chasseurs de profession, la manière la plus usitée pour prendre les oiseaux était le filet. Il y en avait de plusieurs sortes ; les uns étaient carrés, d’autres rectangulaires ou ronds. Le plus ordinairement on mettait une trappe composée de deux pans demi-circulaires se mouvant sur un axe. Quand la trappe était assujettie, les deux pans demeuraient ouverts et à plat sur le terrain. Des cordons, qui glissaient sur le côté, faisaient rapprocher les deux pans quand l’oiseau avait mordu à l’amorce. Ce genre de piège est figuré sur plusieurs Monuments. Dans les peintures égyptiennes, l’eau est toujours représentée par des lignes ondulées recouvertes d’une teinte bleue. On voit ici les chasseurs qui se tiennent cachés derrière une touffe de plantes aquatiques, figurées par un bouquet de lotus, Dès qu’ils ont reçu le signal d’un d’eux, plus rapproché que les autres du piège, ils tirent la corde qui fait tomber sur les oiseaux captifs les deux trappes du filet, avec un mouvement assez semblable à celui de deux volets qui se fermeraient brusquement ensemble (fig. 6). Quelques oies sauvages qui ont eu le bonheur d’échapper s’enfuient à tire-d’aile. Celles qui se sont laissé prendre sont aussitôt livrées à un homme chargé de les plumer ; celui-ci les transmet à un autre qui leur ouvre le ventre, puis elles sont dépecées et leurs quartiers prennent place dans des pots. Car les peintures égyptiennes sont la plupart du temps divisées en une succession d’épisodes où l’on voit se dérouler toute l’histoire de l’animal, depuis le moment où il est encore en liberté jusqu’à celui où il est salé et passé à l’état de conserve alimentaire.

Les filets ou rets dont les Grecs se servaient pour la chasse étaient de trois sortes : le dictua, l’arcus et l’énodia. Le dictua était le plus grand ; ses mailles étaient composées de seize fils réunis, tandis que les autres n’en avaient que neuf. Ces filets ou panneaux étendus sur la plaine, sur un assez grand espace, étaient destinés à empêcher le gibier de passer. L’animal, cherchant une issue, courait le long du filet et tombait alors dans l’arcus, autre filet plus petit que le précédent et qui présentait la forme d’un capuchon terminé en pointe. Quand l’animal était entré dans la concavité de l’arcus, les efforts qu’il faisait pour se dégager tiraient deux cordes, appelées péridrome et épidrome, qui l’enfermaient en serrant les mailles du filet contre lui. L’énodia était un filet de même genre que le précédent, mais qui se plaçait de préférence sur les chemins. Tous ces filets étaient toujours en lin et étaient retenus en place par des fourches.

Oppien a fait un poème sur la chasse dans lequel on trouve quelques renseignements sur les divers engins employés par les chasseurs : Voici, dit-il, les instruments et les armes de la chasse, ces armes qui ne respirent que le carnage, et que doivent porter dans les bois et sur les montagnes des chasseurs courageux et pleins d’ardeur pour ce noble travail : des rets, des fourches pour les supporter, des filets dans lesquels la proie gémira captive, des toiles, des osiers fortement tordus, une longue panagre, une lance à trois pointes, une pique de fer armée d’un large tranchant, un harpon, des pieux, des flèches ailées, des épées, des haches, un trident, des crochets, des anneaux de plomb, des ficelles de Sparte, des piéges, des nœuds, des perches et une gibecière faite d’un tissu de mailles nombreuses.

La figure 7, tirée d’un bas-relief qui décore un sarcophage, montre plusieurs chasseurs attaquant un sanglier. Deux d’entre eux sont armés de javelots, un troisième frappe l’animal avec sa massue et tient dans la main gauche une espèce de hache, enfin un quatrième lui jette une grosse pierre sur la tête.

 

LES BÊTES FAUVES. - La Libye et l’Éthiopie étaient autrefois infestées de bêtes féroces, et les lions, qui sont devenus assez rares dans cette contrée, y étaient jadis très communs. Diodore de Sicile raconte les dégâts qu’ils causaient parmi les populations à demi-sauvages qu’on rencontrait aux environs de la vallée du Nil : Les Rhizophages (ou mangeurs de racines), dit-il, habitent l’Éthiopie ; ils vivent constamment en paix les uns avec les autres, mais ils ont à combattre de nombreux lions, car ces animaux quittent les déserts brillants et envahissent le pays des Rhizophages, soit pour y chercher de l’ombre, soit pour y chasser des animaux de moindre taille. Il arrive souvent que les Éthiopiens, au moment de sortir de leurs marais, sont saisis par ces lions et se trouvent dans l’impossibilité de leur résister, ne connaissant pas l’usage des armes.

Les Égyptiens, plus civilisés que les Rhizophages dont parle Diodore, venaient facilement à bout des lions, et le roi Aménophis III en avait tué à lui seul cieux cents à la chasse ce fait est consigné sur un scarabée du Louvre. Aussi, le lion et les chasses qui s’y rapportent sont-ils assez souvent représentés sur les monuments égyptiens ; on en voit également sur lés monuments assyriens. La chasse au lion était évidemment l’amusement favori des rois de ce pays. Cette chasse se faisait à cheval, comme le montre la figure 8 ; la lionne blessée que représente la figure 9 est également un monument assyrien.

Il n’y a pas aujourd’hui de lions en Grèce. La tradition du lion de Némée semblerait indiquer qu’il y en avait autrefois, mais aucun fait historique n’atteste leur présence. En Italie, il n’y en a jamais eu, mais la quantité de lions qu’on faisait paraître dans les jeux de l’amphithéâtre sous l’empire prouve qu’ils étaient alors extrêmement communs dans la région du mont Atlas, où on les prenait presque tous. Il serait intéressant de savoir quel procédé les chasseurs employaient pour capturer des lions vivants, mais les renseignements que nous avons à cet égard sont extrêmement confus.

Xénophon dit seulement quelques mots sur les piéges qu’on tendait aux lions : Quelquefois, dit-il, on fait pour les prendre de grandes fosses rondes, laissant au milieu une élévation de terre qui forme une espèce de colonne depuis le fond de la fosse jusqu’à la superficie. Aux approches de la nuit, on y porte une chèvre qu’on y attache ; l’on forme autour de la fosse une enceinte circulaire de branchages qui cache l’intérieur de la circonférence et ne laisse aucune entrée. Ces animaux, au bêlement de la chèvre pendant la nuit, viennent rôder autour de ces bois qui bouchent la fosse, mais ne trouvant pas d’entrée, ils s’élancent dedans et sont pris.

Voici ce que Pline le Naturaliste raconte au sujet de cette chasse : Il était autrefois très difficile de prendre les lions. On n’y parvenait guère qu’en les faisant tomber dans des fosses. Sous l’empire de Claude, le hasard fournit un moyen honteux pour un tel animal. Un pasteur gétulien ayant arrêté l’impétuosité d’un lion en lui jetant sa casaque sur la tête, ce spectacle fut donné aussitôt dans l’arène. On ne saurait croire à quel point cet animal si féroce devient doux et traitable dès qu’un léger voile lui couvre la tête ; il se laisse enchaîner sans résistance, comme si toute sa force était dans ses yeux. Ce qui explique comment Lysimaque étrangla le lion avec lequel Alexandre l’avait fait enfermer.

Si des écrivains nous voulons passer aux monuments, nous y trouvons des renseignements encore plus bizarres. Le tombeau des Nasons, près de Rome, était décoré de plusieurs peintures représentant des scènes de chasse. Sur l’une d’elles (fig. 10) on voit huit hommes pourvus de grands boucliers et en lutte contre deux lions. L’un des chasseurs, qui vient d’être renversé, se couvre le corps avec son bouclier pour ne pas donner prise au lion. La scène se passe dans un parc, ainsi que la suivante (fig. 11), qui est également tirée du sépulcre des Nasons. Celle-ci est un document dont on est bien obligé de tenir compte, mais sans pouvoir garantir que le peintre n’a pas un peu puisé dans son imagination. La chasse aux bêtes féroces qu’il a représentée ici est en effet des plus singulières. Une panthère vient se prendre au piége au moyen d’un miroir placé devant une cage. Je laisse aux chasseurs de bêtes féroces le soin de juger si cette méthode présente un caractère vraiment pratique.

C’est également du côté de l’Éthiopie qu’on trouvait les éléphants. Les Éthiopiens éléphantomaques demeurent fort loin du côté du couchant. Ils habitent des endroits remplis de chênes et d’autres arbres ; ils montent sur les plus hauts pour découvrir les entrées et les sorties des éléphants. Ils n’attaquent point ces animaux en troupe, parce qu’alors ils n’espèrent pas s’en rendre maîtres ; mais, quand les éléphants marchent isolément, les Éthiopiens se jettent sur eus avec une audace extraordinaire. Lorsque l’éléphant passe à la droite de l’arbre où est caché celui qui le guette, l’Éthiopien saisit la queue de cet animal et appuie ses pieds sur la cuisse gauche. Ensuite, enlevant de son épaule, avec la main droite, une hache fort tranchante et assez légère pour s’en pouvoir servir utilement d’une seule main, le chasseur frappe à coups redoublés le jarret droit de l’éléphant et en coupe les tendons, pendant qu’il tient son propre corps en équilibre avec la main gauche. Ils apportent à cet exercice une adresse extrême, puisque leur vie est en jeu. Car il faut, ou que l’animal succombe, ou que le chasseur expire, ce combat n’ayant pas d’autre issue. Quelquefois, quand l’éléphant a ainsi les tendons coupés et ne peut plus se mouvoir, il tombe à l’endroit même où il a été blessé et tue l’Éthiopien sous lui. D’autrefois il l’applique contre une pierre ou contre un arbre jusqu’à ce qu’il l’ait écrasé sous son poids. Quelquefois l’éléphant s’enfuit à travers les plaines jusqu’à ce que le chasseur, le frappant continuellement au même endroit avec sa hache, lui ait coupé les tendons et l’ait étendu par terre. Quand l’animal est tombé, tous les Éthiopiens se jettent dessus par bandes, ils le dissèquent et enlèvent la chair des cuisses dont ils font un joyeux repas. (Diodore de Sicile.)

Les auteurs anciens nous ont transmis quelques détails sur la chasse à l’hippopotame, pour laquelle on employait un certain nombre d’hommes montés sur des barques jointes ensemble. L’hippopotame, dit Diodore de Sicile, est un animal fluvial et terrestre tout à la fois ; il passe le jour à s’ébattre dans la profondeur des eaux et la huit il se repaît sur le sol de blé et d’herbe, de telle façon que si la femelle était très féconde et qu’elle mît bas tous les ans, toutes les moissons de l’Égypte seraient bientôt dévastées. On s’empare de l’hippopotame à l’aide de harpons de fer qu’on manœuvre à force de bras. Dès qu’il s’est montré quelque part, on dirige toutes les barques vers cet endroit, et, se rangeant autour, on le blesse à coups de harpon munis de crochets de fer ; après avoir fixé une corde à un de ces harpons enfoncé dans les chairs, ils la lâchent jusqu’à ce que l’animal demeure épuisé par la perte de son sang. Sa chair est coriace et indigeste ; aucun des viscères du corps n’est mangeable.

La chasse à l’hippopotame que nous reproduisons figure 12 n’est pas tout à fait conforme au récit de l’historien grec, car, au lieu des barques multiples dont il parle, nous voyons un héros qui vient à bout du monstre. A en juger par sa taille, ce héros doit être un pharaon, mais le peintre égyptien, qui a voulu montrer sa force, nous fournit malgré tout de précieux renseignements sur les engins dont il se sert.

Il parait qu’on se servait de meutes de chiens pour prendre les autruches, qu’on était même, dit-on, parvenu à domestiquer dans quelques endroits. On mangeait leur chair, qui faisait même la nourriture principale d’une peuplade que Diodore de Sicile appelle les Struthophages, ou mangeurs d’autruches. On voit chez eux, dit-il, une espèce d’oiseau qui ne le cède pas en grosseur à un cerf de la plus grande taille ; il a le cou fort long, ses flancs sont arrondis et pourvus d’ailes, sa tête est mince et petite, ses cuisses et ses jambes sont très fortes et son pied est bifide. Il ne peut pas voler bien haut à cause de son poids, mais sa course est extrêmement rapide et à peine touche-t-il la terre du bout de ses pieds. Et, surtout quand le vent enfle ses ailes, il marche aussi vite qu’un navire voguant à pleines voiles. II se défend contre les chasseurs en se servant de ses pieds comme d’une fronde pour leur lancer des pierres de la grosseur d’un poing. Mais lorsqu’il est poursuivi pendant un temps calme, ses ailes sont bientôt lasses et, privé de tout autre secours naturel, il est aisément pris. Comme dans le pays il y a un nombre infini de ces oiseaux, les barbares inventent dans leur chasse les stratagèmes les plus divers. Ils prennent facilement un grand nombre de ces oiseaux ; ils en mangent la chair et réservent les peaux pour en faire des habits et des lits. Étant souvent en guerre avec les Éthiopiens Simes, les Struthophages se servent de cornes d’oryx (espèce d’antilopes) en guise d’armes pour repousser l’ennemi ; elles sont grandes, tranchantes et très propres aux combats. On en trouve un très grand nombre, car les animaux qui les fournissent sont très communs dans ce pays.

La chasse au sanglier est celle des temps héroïques de la Grèce. Ovide a raconté, dans l’histoire de Méléagre et du sanglier de Calydon, la manière dont on traquait le sanglier et comment on l’atteignait ensuite avec l’épieu.

Le récit de cette chasse et très émouvant dans Ovide, mais celui de Xénophon est plus explicite, parce que celui-ci parle en professeur : Quand vous aurez bien tendu vos filets, dit-il, vous rejoindrez les chiens pour les lâcher tous, et vous avancerez vers la bête, armés d’épieux et de javelots ; on mettra à la tête des chiens un des chasseurs qu’on jugera le plus expérimenté. Les autres le suivront en ordre et à de grands intervalles, afin de laisser au sanglier un passage suffisant ; en effet, si le sanglier trouvait sur son passage plusieurs personnes ensemble, elles courraient risque d’être blessées ; il décharge ordinairement sa fureur sur le premier qu’il rencontre.

Lorsque les chiens seront près de la bauge, ils donneront dessus ; le sanglier troublé se lèvera, fera sauter en l’air le premier chien qui se portera sur lui ; en courant, il tombera dans les filets ; s’il ne s’y jette pas, on le poursuivra. Le lieu où l’arrête le filet va-t-il en pente, il s’élancera ; si c’est en plaine, il se tiendra ferme sur ses jambes, portant autour de lui ses regards.

Dans ce moment les chiens le serreront de près ; les chasseurs se tiendront sur leurs gardes en lui lançant des javelots et des pierres ; ils l’investiront par derrière et à une certaine distance, jusqu’à ce qu’il se pousse en avant dans la direction du filet. Alors, l’épieu à la main, le plus expérimenté et le plus fort des veneurs ira le frapper en tête. Si, malgré les atteintes des javelots et des pierres, il ne donne point dans les filets, s’il se détourne pour revenir sur celui qui l’affronte, et le tournoie, il faut alors s’avancer sur lui avec un épieu, se tenant ferme, la main gauche en avant, la droite en arrière ; car c’est la gauche qui dirige le coup et la droite qui le porte. Le pied gauche sera sur la même ligne que la main gauche, le droit sur celle de la droite. Vous porterez le coup en n’écartant les jambes que du pas de la lutte, et vous tournerez le côté gauche dans la direction de la main gauche. On observera ensuite et le regard de l’animal et jusqu’au moindre mouvement de sa tête.

Lorsqu’on voudra frapper de l’épieu, on prendra garde que, par un mouvement de tête, il ne fasse sauter l’arme des mains ; le coup manqué, il est aussitôt sur l’homme. En pareil cas, il faut se jeter la face contre terre, se tenant fortement à ce qu’on y rencontre. La bête, vu la courbure de ses défenses, n’attaquera point en dessous le corps du chasseur ainsi couché ; s’il se tenait droit, il serait infailliblement blessé ; elle essaie, il est vrai, de relever l’homme, si elle ne le peut, elle le foule aux pieds. Il n’est qu’un seul moyen de salut, c’est que l’un des chasseurs s’approche, un épieu en main, pour irriter l’animal, feignant de lancer l’épieu, mais ne le lançant pas en effet, de peur qu’il ne blesse son compagnon renversé. Le sanglier, se voyant harcelé, quittera le chasseur qu’il tient sous lui et se retournera furieux contre celui qui l’irrite ; l’autre alors se lèvera d’un saut, et n’oubliera pas, en se relevant, d’avoir l’épieu à la main ; il ne peut en effet se sauver honorablement que par la victoire. Il l’attaquera de nouveau, comme auparavant, dirigeant son fer vers la gorge, entre les deux omoplates, et enfonçant le fer de toute sa force. L’animal furieux se lancera en avant. Si les traverses du fer de la lance ne l’arrêtaient, il se précipiterait te long de la hampe même, il arriverait à la main de celui qui tient l’arme. La force de l’animal est telle qu’on ne peut se l’imaginer...

Les peintures représentées sur les vases d’ancien style confirment les renseignements fournis par Xénophon. La figure 13 montre le sanglier atteint par les chasseurs qui le percent de leurs javelots.

Quand l’animal était tué, on le rapportait à l’aide d’une grande perche, à laquelle ses pattes étaient liées. C’est ce que montre la figure 14, qui est tirée d’une peinture de vase.

Une chasse au cerf est représentée sur une peinture de Pompéi (fig. 15). Deux chiens suivent leur piste sans dévier de la ligne droite ; le cerf court devant eux, tandis que deux biches effarées bondissent en prenant des directions différentes.

Une autre représentation de cette chasse est également figurée dans une peinture du tombeau des Nasons. Elle se passe dans un parc où il n’y a que deux ouvertures ; deux hommes gardent l’entrée, sans doute pour empêcher le cerf de s’échapper. Dans une autre peinture du même tombeau on voit deux chiens qui poursuivent des cerfs. L’un d’eux est retenu par un chasseur ; en effet, d’après un précepte donné par Xénophon, un chien qui n’est pas encore bien dressé se gâterait si on le laissait courir avec trop d’impétuosité. Sur la même peinture, on voit un autre homme qui se tient en dehors du parc et s’appuie sur la palissade (fig. 16).

 

LES PARCS À GIBIER. — Nos châteaux royaux ou princiers, lorsqu’ils sont prés d’une forêt, sont presque toujours accompagnés d’une faisanderie ou d’un parc à gibier. On donne ce nom à un vaste enclos dans lequel on rassemble une quantité de faisans, de lièvres, de chevreuils ou d’autres gibiers qu’on veut avoir sous la main quand on a envie de chasser. Cet usage n’est pas moderne, et il serait difficile de dire à quelle époque on en peut faire remonter l’origine ; mais les monuments de l’ancienne Égypte prouvent qu’il existait déjà au temps des pharaons. La figure 17 montre un chasseur d’une taille démesurée (ce qui indique un pharaon) occupé à dépeupler sou royaume de gibier. Les bêtes atteintes par les flèches du géant sont innombrables : des taureaux, des chèvres sauvages, des gazelles, des oiseaux de toute sorte, etc. Elles sont, suivant les habitudes de la peinture égyptienne, disposées sur plusieurs zones. Le chien de chasse court à côté du roi ; près (le celui= ci, l’artiste a placé un autre chasseur énormément plus petit, pour indiquer l’infériorité de son rang. La quantité énorme de gibier frappé par ces personnages, si elle n’est pas un simple emblème de l’habileté du roi, pourrait indiquer la présence en Égypte des parcs dont nous parlons.

Pour l’Asie, aucun doute n’est possible à cet égard. Ce n’est pas seulement du gibier ordinaire qu’on entasse dans les parcs pour les chasses des souverains, ce sont des bêtes féroces que le roi s’amuse à chasser. Les rois d’Assyrie, par exemple, n’avaient pas de plus grand plaisir qu’à tuer des lions, et, aujourd’hui encore, la chasse aux panthères est l’amusement favori des monarques orientaux.

Quinte-Curce, en parlant de la marche d’Alexandre dans la haute Asie, donne quelques renseignements sur les parcs qui, dans la Sogdiane, servaient à cet usage des rois : En cette contrée, dit-il, leur plus grande magnificence consiste en des parcs remplis de bêtes fauves, et, pour cet effet, ils choisissent de grandes forêts arrosées d’eaux et les ferment de murailles qu ils garnissent de tours pour la retraite des veneurs. On en lit voir un entre autres où il y avait quatre cents ans qu’on avait chassé. Le roi (Alexandre) entra dedans avec toute son armée et fit lancer des bêtes de tous côtés, parmi lesquelles il y eut un lion d’une épouvantable grandeur qui vint droit à lui, et Lysimaque, lequel régna depuis, se trouvant près du roi et présentant l’épieu à la bête, le roi le repoussa et lui commanda de se retirer, disant qu’il pouvait aussi bien tuer un lion qu’avait fait Lysimaque, car un jour, comme ce prince chassait en Syrie, il tua bien tout seul un lion prodigieusement grand ; aussi il en eut l’épaule déchirée jusqu’à l’os et fut en extrême danger de sa vie. Le roi donc, lui reprochant cela, fit encore mieux qu’il n’avait dit, puisque non seulement il ne manqua pas la bête, mais la tua d’un seul coup. Du reste, quoique ce combat lui eût réussi, les Macédoniens ordonnèrent, selon leur coutume, que le roi n’irait plus à la chasse à pied et sans avoir quelques-uns de ses officiers avec lui. Après avoir fait mettre par terre jusqu’à quatre mille bêtes, il fit festin à toute l’armée dans ce même parc.

La figure 18 montre une chasse royale en Perse ; les éléphants et les sangliers se pressent autour du souverain qui les abat avec ses flèches. L’usage d’avoir des grands parcs pour la chasse s’est toujours conservé en Orient. D’est probable que c’est en Asie que les Romains ont pris cette coutume qui date de la fin de la république, c’est-à-dire de l’époque où ils furent en rapport constant avec, l’Orient.

A Rome, les hommes opulents, les grands fonctionnaires, qui voulaient se reposer par la chasse, avaient sur leurs terres des parcs spécialement disposés à cet effet. Pline nous apprend en effet que Fulvius Lupinus a le premier établi des parcs pour les sangliers et les autres bêtes fauves dans les propriétés qu’il avait aux environs de Tarquinies, et qu’il fut bientôt surpassé par Lucullus et Q. Hortensius.

Varron est entré dans quelques détails sur la chasse : Le sanglier, dit-il, est un gibier de pare et on engraisse sans trop de peine l’animal qui y entre sauvage aussi bien que celui qui est né dans la domesticité. Dans la propriété que Varron a achetée aux environs de Tusculum, les sangliers et les chevreuils se rassemblent au son du cor, à heure fixe, pour prendre leur nourriture, tandis que d’un tertre réservé aux exercices gymnastiques, on jette aux uns du gland, aux autres de la vesce, ou quelque autre pâture semblable... Q. Hortensius a sur le territoire de Laurente un bois de plus de cinquante arpents, entouré de murailles. Au milieu du bois est une espèce d’élévation où l’on avait disposé trois lits et où on nous servit à souper. Hortensius fit venir Orphée, qui arrive en robe longue, la cithare à la main, et qui, sur l’ordre qu’il en reçoit, se met à jouer de la trompette. Au premier son de l’instrument nous nous voyons entourés d’une multitude de cerfs, de sangliers et autres bêtes fauves, si bien que le spectacle ne nous parut pas au-dessous des chasses sans bêtes féroces, dont les édiles nous donnent quelquefois le plaisir au grand cirque.

Dans des parcs de ce genre, la chasse méritait véritablement le nom de délassement, car elle n’entraînait pas de véritable fatigue. C’était bien ainsi que l’entendaient les Romains, comme on peut en juger par la lettre suivante que Pline le Jeune écrit à Tacite : Tu vas rire, eh bien ! ris tant qu’il te plaira. Ce Pline que tu connais a pris trois sangliers, et des plus beaux. Quoi ! lui-même ? Oui, lui-même. Ne va pourtant pas croire qu’il en ait conté beaucoup à mon repos et à ma paresse. J’étais assis près des toiles, ni pieu ni dard sous ma main, rien qu’un poinçon et des tablettes. Je rêvais, j’écrivais, et je me préparais la consolation de remporter mes pages pleines, si je m’en retournais les mains vides. Ne dédaigne pas cette manière d’étudier. Tu ne saurais croire combien le mouvement du corps donne de vivacité à l’esprit, sans compter que l’ombre des forêts, la solitude et ce profond silence qu’exige la chasse, sont très propres à nous inspirer. Ainsi, crois-moi, quand tu voudras te livrer à cet exercice emporte ta pannetière et ta bouteille ; mais n’oublie pas tes tablettes. Tu éprouveras que Minerve ne se plaît pas moins que Diane sur les montagnes. Adieu.