LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME II — LA FAMILLE DANS L’ANTIQUITÉ

LE VÊTEMENT. — VI. - LA CHAUSSURE

 

 

LES SANDALES. - LES BOTTINES. - LES SOULIERS.

 

LES SANDALES. — Malgré la diversité de leurs formes, les chaussures des anciens peuvent se rattacher à trois types principaux, la sandale, la bottine et le soulier fermé. La sandale est une semelle qui garantit le dessous du pied, mais ne recouvre pas le dessus et qui se fixe à la jambe au moyen de cordons ou de lacets. Les sandales égyptiennes, les plus anciennes que l’on connaisse, étaient généralement tressées avec des feuilles de palmier ou des tiges de papyrus. Quelquefois le travail était formé de petits carrés très serrés présentant .assez bien l’apparence d’un tissu (fig. 425) ; d’autres fois, il se composait de petites bandes plates, qu’on joignait les unes aux autres, comme le montre la figure 426. On employait également pour les semelles du cuir, du liége, ou même du bois.

Quelquefois les sandales égyptiennes sont doublées d’une toile sur laquelle sont des dessins. On y voit notamment des figures d’Asiatiques ou de nègres (fig. 427).

Ce n’est pas, comme on pourrait le croire, que les Égyptiens aient voulu se donner l’innocent plaisir de fouler aux pieds leurs ennemis. Il y a là un emblème religieux qu’on trouve également formulé dans les textes : Que tes ennemis soient sous tes sandales. Il s’agit simplement d’un vœu adressé au mort pour qu’il triomphe des puissances amies des ténèbres. Les sandales qui portent cette inscription sont toujours des objets funéraires.

Les sandales égyptiennes étaient retenues au pied soit à l’aide d’une simple corde (fig. 428), soit au moyen d’une grosse tresse.

La figure 429 représente une chaussure égyptienne faite en papyrus et qui appartient à la collection de Berlin : le lien est placé sur le cou-de-pied et pourvu d’un appendice destiné à passer entre le grand orteil et le doigt voisin. Ce genre de chaussure a été également employé par les Romains qui le fabriquaient avec des petites bandes de saules tressées, mais il n’était en usage que dans la classe pauvre.

Dans ces sandales, la semelle suit exactement la forme du pied, mais il y en a d’autres dont le bout se relève en pointe, en décrivant une ligne courbe quelquefois assez prononcée. Ces chaussures à extrémité relevée se rencontrent chez plusieurs peuples de l’Asie ; on en trouve également en Égypte, où elles ont peut-être été introduites à l’époque de Cambyse (fig. 430-431).

Quelquefois la sandale, au lieu de consister en une simple semelle, était pourvue d’un petit rebord qui entourait tout le pied sans cependant-en recouvrir la partie supérieure. La figure 432 nous offre un exemple de ce genre de chaussure telle qu’elle a été employée par les Égyptiens.

Les femmes portaient souvent en Grèce et à Rome des espèces de pantoufles, dont l’empeigne couvrait les doigts et la partie antérieure du pied, mais laissait le cou-de-pied à découvert ainsi que le talon. Les peintures de Pompéi montrent plusieurs exemples de ce genre de chaussure.

En Grèce, la chaussure, la plus habituelle pour les hommes, consistait en une peau de bœuf placée sous le pied comme semelle et se relevant un peu par-dessus les orteils. Des courroies la fixaient autour de la partie inférieure de la jambe et sur le cou-de-pied, comme on le voit sur les figures 433 et 434.

D’autres chaussures, également très communes, mais qui sont portées par une classe plus distinguée, présentent un peu plus de complication, puisqu’elles ont, contrairement aux précédentes, une semelle séparée du soulier, qui est cousu par-dessus comme les nôtres (fig. 435).

On fixait à cette semelle qui, est parfois assez épaisse, une pièce de cuir étroite qui recouvrait seulement le talon et les côtés du pied, mais à laquelle s’adaptaient des brides qu’on entrelaçait sur le cou-de-pied jusqu’à la cheville en formant des dessins de fantaisie. Cette chaussure fait en quelque sorte partie du costume national des Grecs, et c’est elle qui, presque partout, accompagne le pallium et la chlamyde sur les monuments. Il est à remarquer que la petite bande de cuir qui relie la semelle passe toujours entre l’orteil et le second doigt. Il faut observer aussi que le talon est quelquefois découvert comme on le voit sur les figures 436 et 437. La semelle dont se servaient les dames grecques et romaines était ordinairement en liège. On mettait quelquefois deux ou trois semelles adaptées l’une sur l’autre pour préserver le pied de l’humidité.

 

LES BOTTINES. — On se servait également de bottines montantes, dont la figure 438 nous offre un exemple. Il y en avait un grand nombre d’espèces différentes ; mais, le plus souvent, ce sont des brodequins ouverts par devant et percés de petits trous près des bords pour passer les lacets qui serrent la jambe. Les gens du peuple, surtout à la campagne, portaient des bottines de peau non tannée et garnie de son poil : elles montaient jusqu’au mollet et se laçaient par devant comme celles des gens de la ville. Les brodequins des chasseurs offraient souvent cette particularité que l’extrémité du pied était découverte, l’empeigne s’arrêtant un peu avant les doigts qui, de cette façon, demeuraient libres. C’est ce genre de chaussure que les sculpteurs donnent habituellement à Diane chasseresse.

La figure 439 nous montre également une bottine montante ouverte et lassée par devant : ce qu’elle offre de particulier, c’est que l’extrémité se relève en pointe comme cela arrive souvent dans les chaussures orientales. Outre ces bottines, on employait quelquefois de véritables bottes, comme celle qui est représentée sur la figure 440.

Les sénateurs romains portaient une chaussure particulière, montant sur la jambe jusqu’au bas du mollet, et attachée par des courroies qui se croisaient sur le cou-de-pied. Un ornement en forme de croissant était le caractère distinctif de cette chaussure ; toutefois cet ornement, appelé luna par les auteurs, n’est pas apparent dans les statues.

Le brodequin des acteurs tragiques, appelé cothurne, était caractérisé par l’épaisseur de la semelle ; nous décrirons cette chaussure en parlant du théâtre.

 

LES SOULIERS. — Les souliers, dont l’usage est si général chez les peuples modernes, étaient beaucoup moins employés dans l’antiquité. En Égypte, on ne paraît pas s’en être servi antérieurement aux Ptoléméen. La forme des souliers était à peu près pareille à celle qui a cours parmi nous.

Cependant il y a quelques différences qu’il est bon de signaler. La figure 441 montre un soulier qui se nouait par-dessus à l’aide d’un lacet ou d’un cordon qui était habituellement en cuir comme le soulier lui-même. Ce que cette chaussure offre de particulier, c’est qu’elle est dépourvue de semelle, le morceau de peau dont elle est formée présentant partout la même épaisseur.

Toutefois ce système n’était pas général et la figure 442 nous montre une chaussure égyptienne pourvue d’une forte semelle.

Nous avons vu déjà des sandales et des bottines dont l’extrémité se relève en décrivant une courbure assez prononcée. La figure 443 nous montre un soulier égyptien qui présente le même caractère. Presque tous les peuples de l’Asie ancienne ont employé des chaussures de ce genre, et on en trouve également sur les monuments étrusques. On peut en voir un exemple clans le grand sarcophage du musée Campana que reproduit notre figure 510 du tome Ier.

La figure 444 montre un soulier grec qui diffère peu de ceux que nous employons. Il est bon d’observer toutefois que ce genre de chaussures n’apparaît en Grèce que d’une manière tout à fait exceptionnelle. La bottine et la sandale sont beaucoup plus fréquentes sur les monuments.

Les soldats romains, qui faisaient des marches continuelles, devaient être chaussés très solidement. Pour empêcher la chaussure de s’user trop vite, et augmenter encore sa solidité, on mettait sous la semelle une quantité de gros clous, comme on en voit encore de nos jours aux paysans. Ces clous donnaient naturellement à la chaussure une grande pesanteur et c’est pour cela que Juvénal plaint le malheureux sur le pied duquel un soldat a marcha par mégarde. Il n’est pas resté de chaussures à clous, mais on en voit la représentation dans une curieuse lampe que nous reproduisons (fig. 445 et 446).

Les pauvres se servaient souvent de chaussures de bois comme nos sabots. Quant aux classes riches sous l’empire romain, le luxe qu’elles déployaient est tel que rien n’en peut donner une idée dans nos sociétés modernes. Les Pères de l’Église s’élevèrent avec véhémence contre cet abus, comme on peut le voir dans le passage suivant, tiré du Pédagogue de saint Clément d’Alexandrie.

Les femmes vaines et orgueilleuses montrent leur molle délicatesse jusque dans la chaussure même. Leurs sandales sont enrichies de broderies d’or et relevées par des clous du même métal. Plusieurs même y ont fait graver des embrassements amoureux, comme pour laisser sur la terre des traces de la corruption de leur âme. Loin de nous ces trompeuses chaussures où brillent l’or et les pierreries, les pantoufles d’Athènes et de Sicyone, les souliers de Perse et d’Étrurie ! Il suffit que les souliers remplissent bien l’usage naturel pour lequel ils ont été faits, c’est-à-dire de couvrir les pieds et de les défendre, en marchant, contre tout ce qui peut les blesser. On accordera aux femmes des souliers blancs quand elles demeureront à la ville et qu’elles ne feront point de voyages ; car, dans les voyages, on a besoin de souliers huilés et relevés de clous. Du reste, elles ne demeureront jamais les pieds nus, cela est contraire à la bienséance, et peut être nuisible à la délicatesse de leurs sens, plus facilement blessés que les nôtres. Quant aux hommes, il leur est honorable de ne point se servir de souliers, qui sont une espèce d’entrave et de liens ; c’est même un exercice très salutaire pour la santé et pour la souplesse des membres que d’aller pieds nus quand on peut le faire sans s’incommoder. Si nous n’allons point en voyage, et qu’il nous soit impossible d’aller pieds nus, nous vous servirons d’une simple semelle à laquelle les Athéniens donnent un nom particulier qui indique, je crois, que cette espèce de chaussure laisse approcher le pied de la poussière.