LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME II — LA FAMILLE DANS L’ANTIQUITÉ

CONSTITUTION DE LA FAMILLE — XV. - PLATS ET USTENSILES ROMAINS

 

 

LES PLATS. - GRANDS VASES DE BRONZE. - BOUILLOIRES. - COUPES ET TASSES.- LES BOUTEILLES.- LES CUILLÈRES.

 

LES PLATS. — La forme des plats variait naturellement suivant l’usage qu’on en voulait faire. Il y en avait de profonds pour les mets liquides et d’autres qui ressemblaient à de véritables disques, et sur lesquels on mettait vraisemblablement de la grosse pâtisserie. Enfin il y en a dont la forme est tellement singulière qu’il est souvent difficile d’en expliquer l’usage.

La figure 230 nous montre un plat destiné à contenir des aliments liquides. Est-ce une soupière, un compotier, un saladier, un plat pour les ragoûts ? c’est ce qu’il est difficile de dire exactement. Il est en bronze et a été trouvé à Pompéi ; il repose sur des pieds de lion. La décoration des anses est particulièrement curieuse : elle est formée de deux lions couchés, près desquels deux serpents se -lissent sur les bords du vase comme pour s’y désaltérer : selon une opinion répandue parmi les anciens, les serpents, lorsqu’ils buvaient, se dépouillaient de leur venin, pour ne pas infecter leur boisson.

On ne peut rien imaginer de plus simple et de plus élégant que le rand plat que nous reproduisons (fig. 231). Les anses se contournent et e tordent sur elles-mêmes dans un mouvement gracieux. Ce plat était sans doute destiné à contenir de la viande, mais il est impossible de rien spécifier à ce sujet. Sauf les anses, qui ont un caractère tout particulier, il peut servir e type pour la forme, qui, au surplus, ne diffère pas essentiellement de celle que nous employons pour nos vases.

Voici un plat d’argent dont la destination n’est pas douteuse : les Romains avaient des plats d’une forme particulière pour servir les œufs. Il y en avait même de fort élégants et en argent, comme la belle pièce du trésor de Hildesheim que reproduit notre figure 232.

 

GRANDS VASES DE BRONZE. — On a trouvé à Pompéi beaucoup de vases de bronze, d’assez grande dimension, qui étaient certainement employés pour le service de la table, bien qu’il soit difficile de préciser l’usage particulièrement affecté à chacun d’eux (fig. 233 à 235). Ces vases n’étaient pas destinés à contenir des boissons, mais des mets liquides : potage ou marmelade, crème ou fruits confits clans leur jus. Ces vases sont variés dans leur forme, quoique se rattachant en somme à un type qui peut se définir ainsi : un goulot très ouvert sur un vase profond et très large de la panse. Quant aux anses, elles sont toujours placées près du goulot ; quelquefois il y a quatre anses, comme dans la figure 236, et alors les deux anses supplémentaires se trouvent au bas du vase.

Parmi les récipients qu’on a découverts, il y en a quelques-uns dont la base est complètement arrondie (fig. 237) et qu’il devait, par conséquent, être impossible de poser sur une table. D’un autre côté, comme ils n’ont pas non plus d’anses, il devait également être assez difficile de les prendre. On se servait, pour les porter, d’un manche qui n’était pas adhérent au bol, mais qui le tenait suspendu à l’aide d’un fil de bronze enserrant le goulot. L’ustensile assez énigmatique représenté figure 238 était probablement un de ces manches détachés de l’objet qu’ils devaient porter, et dont la figure précédente montre la représentation.

 

BOUILLOIRES. — Les anciens aimaient beaucoup les boissons chaudes ; il n’est donc pas bien surprenant qu’on ait trouvé à Pompéi divers récipients destinés à maintenir la chaleur du liquide qui y est renfermé. La figure 239 montre une pièce unique en son genre. Le mécanisme en est fort curieux M. Barré en a donné l’explication suivante dans son grand ouvrage sur Pompéi et Herculanum :

Ce vase de bronze, dont la forme est assez analogue à celle de nos théières, était destiné à contenir des boissons chaudes. Le corps du vase est une figure presque sphérique, tronquée à sa partie supérieure, où se trouve l’ouverture : la surface du sphéroïde est divisée en douze gros fuseaux convexes au dehors, et dont la cavité intérieure contient un cylindre, qui, rempli de charbons ardents, doit chauffer le liquide dont il est environné. La bouche, rétrécie par un cercle horizontal un peu incliné vers le centre, est fermée par deux couvercles : l’un, plat et entièrement mobile, a un trou dans le milieu pour laisser ouverte la bouche du fourneau cylindrique en couvrant seulement le liquide ; l’autre, de forme conique et cannelé, est attaché par une charnière au cercle horizontal que nous avons décrit, et il enveloppe à la fois et la bouche du fourneau et le couvercle mobile. Le corps du caldarium est soutenu par trois pieds de lion posés sur trois petits socles ronds : il est muni latéralement de deux anses à volutes, d’une forme très heureuse, et couvertes d’ornements bien travaillés. On peut y introduire le liquide soit par la grande ouverture, en levant les deux couvercles, soit par un petit récipient ou une espèce d’entonnoir, qui a lui-même la forme d’un petit vase, et qui est fixé, à distance égale des deux anses, au-dessous du bord du caldarium, par le moyen d’un petit tube servant de communication avec l’intérieur du grand vase. A l’extrémité opposée du diamètre, et à moitié de la hauteur du sphéroïde, se trouve un autre tube formant jadis robinet, au moyen d’une clef que l’on n’a pas retrouvée : il servait à extraire le liquide du vase. La disposition de cet ustensile en détermine suffisamment l’usage : il répond au goût, au besoin des boissons chaudes, qui était général chez les anciens.

On avait, pour se procurer des boissons chaudes, certains appareils assez compliqués, et dont le mécanisme est d’ailleurs ingénieux. Celui que nous reproduisons dans la figure 240 représente une espèce particulière de brasier découvert à Pompéi. Ce brasier d’airain, dit M. Barré (Pompéi et Herculanum), est d’une forme à la fois élégante et commode. C’est un quadrilatère, qui est soutenu par quatre petits sphinx ailés, et que l’on peut porter au moyen de poignées à charnière placées sur ses différentes faces. Nous disons que ce meuble, dont toutes les parties sont fixes, et qui est comme d’une seule pièce, offre quatre côtés, abstraction faite, bien entendu ; des renflements que forment Sur un de ces côtés deux parties circulaires. L’une de ces deux parties est d’abord un demi-cercle formé de deux plaques de métal, qui laissent un vide entre elles : cet espace devait servir à chauffer de l’eau, le milieu du demi-cercle étant rempli de charbons ardents. D’une part, on pouvait extraire l’eau chaude de ce double fond, par ce robinet orné d’un masque dont la chevelure même forme la clef, et placé un peu au-dessus du fond afin de ne donner que de l’eau parfaitement claire ; de l’autre, ce même double fond communiquait avec la seconde partie circulaire. Celle-ci est un vase cylindrique en forme de tour, dont le couvercle à charnière est surmonté d’un petit buste qui servait de bouton pour le lever. A la partie supérieure de ce vase se trouve un masque qui vomissait de la vapeur quand l’eau entrait en ébullition ; et cela devait arriver au moment où le liquide contenu entre les doubles parois du demi-cercle atteignait le 808 degré de chaleur : la rapidité avec laquelle le calorique se met en équilibre dans une masse de liquide est un principe qui n’avait pas échappé aux anciens. Le demi-cercle à double paroi est surmonté de trois oiseaux fantastiques, qui forment trois appuis sur lesquels on pouvait poser un plat afin de cuire ou de réchauffer quelques mets. Ce petit meuble devait garnir le triclinium, où il se prêtait à trois usages distincts : il pouvait chauffer l’appartement, tenir lieu de fourneau, de cuisine ou de table, et fournir l’eau chaude à volonté. (Barré.)

Les brasiers étaient quelquefois munis de créneaux qui rappelaient l’enceinte des villes fortifiées. En voici un (figure 241) qui affecte absolument la forme d’une citadelle. Non seulement les murs sont crénelés, mais chaque angle est muni d’une tour carrée également crénelée. Le mécanisme intérieur de ce brasier n’est pas moins curieux que son aspect. Ln effet, les quatre tours des encoignures sont creuses et pourvues d’un couvercle : elles forment en réalité quatre bouilloires pouvant contenir un liquide, qui, par le moyen de canaux pratiqués dans l’épaisseur des murs, communique à un robinet, qu’on voit sur la face dessinée dans l’ombre. Le feu se plaçait au milieu, entre les quatre tours, et, en mettant des tiges de fer entre les créneaux d’un mur et ceux du mur opposé, le foyer pouvait chauffer ou maintenir chauds plusieurs mets à la fois. Des charnières placées contre la muraille servaient à transporter ce curieux ustensile.

 

COUPES ET TASSES. — On se servait dans les festins de tasses et de coupes d’un travail extrêmement soigné et souvent sculptées à l’extérieur. Ces tasses étaient destinées à des cadeaux qu’on faisait aux invités ; car dans les festins il était d’usage d’emporter comme souvenir la coupe ou la tasse dans laquelle on avait bu. Le musée de Naples en possède quelques-unes qui sont pourvues d’inscriptions. L’une d’elles est fort curieuse (fig. 242) parce qu’elle vient à l’appui de ce que racontent les écrivains qui ont parlé des mœurs antiques. Sa décoration est formée par trois zones superposées qui entourent la panse du vase. La zone supérieure est composée d’oves et dans la zone inférieure on voit des animaux courant au travers de broussailles. Sur celle du milieu on lit l’inscription suivante : bibe armice de meo ; chaque lettre est séparée de la suivante par une feuille d’eau, et, entre le commencement et la fin de l’inscription, on voit une tête de femme sous une guirlande de feuilles et entre deux caducées. La personne qui invite (sans doute celle dont le portrait est gravé sur la tasse) fait un appel gracieux de prendre part à. ses richesses, que symbolisent des deux caducées placés près du portrait. Les cadeaux qu’on offrait ainsi pouvaient être quelquefois d’un grand prix, car les anciens, à partir des périodes macédonienne et romaine, se servaient fréquemment de vaisselle d’argent et même d’or.

La figure 243 nous montre une jolie tasse en argent, avec un gracieux feuillage de vigne ciselé tout autour. Quelques-unes de ces tasses étaient remarquables par leurs ciselures, et par suite fort recherchées par les amateurs.

Un usage romain, dont il est assez difficile d’expliquer l’origine, consistait à effeuiller les couronnes dans les coupes et à avaler ensuite le vin contenant les pétales ; c’est ce qu’on appelait boire les couronnes. Pline raconte à ce sujet l’anecdote suivante : Lorsqu’on faisait les préparatifs de la bataille d’Actium, Antoine, devenu défiant, redoutait jusqu’aux présents de la reine ; il ne mangeait rien qu’on en eût fait l’essai. Cléopâtre, s’amusant de ses frayeurs, mit sur sa tête une couronne de fleurs dont les bords avaient été empoisonnés. Bientôt, profitant de la gaieté des convives, elle invita Antoine à boire les couronnes. Était-ce le moment de soupçonner une trahison ? Il arrache les fleurs et les jette dans la coupe. Déjà, il allait boire ; elle l’arrêta : Antoine, lui dit-elle, voilà cette femme, contre laquelle tu prends des précautions si extraordinaires. Crois-tu que je manquerais de moyens ou d’occasions, si je pouvais vivre sans toi ? Un criminel amené en sa présence but la coupe par son ordre et expira sur-le-champ.

 

LES BOUTEILLES. — Les bouteilles n’avaient pas dans le service de la table l’importance qu’elles ont prise de nos jours. On en faisait pourtant en terre, en bronze et même en verre (fig. 244). Mais ces dernières étaient généralement assez rares. Au reste, on ne donnait pas aux bouteilles l’usage pour lequel nous les employons aujourd’hui. Elles contenaient rarement du vin, mais plutôt de l’huile ou d’autres liquides comestibles. Ainsi le porte-bouteilles découvert à Pompéi et représenté sur la figure 245 est probablement un huilier. Les bouteilles sont en verre et le porte-bouteilles en terre cuite.

 

LES CUILLÈRES. — On a trouvé à Pompéi un certain nombre de cuillères dont le manche imite tantôt une baguette ornée d’une boule, tantôt une patte d’animal. Quant au récipient, il est absolument pareil à celui des cuillères dont nous nous servons aujourd’hui, comme on peut s’en convaincre par les figures ci-dessus, figures 246 à 249.

Quant à la question si controversée des fourchettes, il est difficile à présent d’en parler avec certitude. Le silence des auteurs a fait croire généralement que la fourchette de table était inconnue des anciens ; cependant l’opinion contraire a trouvé aussi des partisans, et ils s’appuient sur deux objets antiques qui ressemblent, quoique d’assez loin, à nos fourchettes. Le premier, qui est en argent, est pourvu d’un manche en forme de pied de biche et de deux dents pointues et assez écartées l’une de l’autre : c’est une petite fourche, plutôt qu’une véritable fourchette. Elle a été découverte sur la voie Appienne et a appartenu au comte de Caylus : mais l’authenticité de cette pièce comme objet antique a été plusieurs fois révoquée en doute. Il n’en est pas de même de l’autre fourchette : celle-ci a été trouvée dans un tombeau de Pœstum et serait, par conséquent, d’origine grecque. Elle est pourvue de cinq dents, mais est-ce une fourchette de table ?

On se servait, pour manger les confitures, les crèmes et autres sucreries dont les dames romaines étaient si friandes, de petites cuillères pourvues d’un long manche et dont l’orifice, à peine creusé, ressemblait assez aux patères dont on usait pour les libations. Ces petits ustensiles de table sont représentés dans les figures 250, 251, 252.