LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME PREMIER — LES PEUPLES DE L’ANTIQUITÉ

L’ITALIE. — III. - L’ITALIE MÉRIDIONALE

 

 

LA SICILE. - LA GRANDE-GRÈGE. - L’APULIE. - LA MESSAPIE. - LA LUCANIE. - LE BRUTIUM.

 

LA SICILE. — La Sicile (fig. 555) est le sol classique de la mythologie, au moins autant que la Grèce propre. L’île elle-même fait en quelque sorte partie de la mythologie : si elle occupe la place que nous lui voyons sur la carte, c’est que, dans la lutte des dieux contre les fils de la terre, elle a été lancée sur le géant Encelade, qu’elle écrase de son poids. Le géant vomit encore des flammes par le cratère de l’Etna, et, si le pays est sujet aux tremblements de terre, c’est qu’Encelade se démène parfois dans la position gênante où le courroux des dieux le retient depuis tant de siècles. C’est aussi dans les forges de l’Etna que Vulcain forge les foudres de Jupiter avec l’aide de ses hideux cyclopes.

Au centre de l’île est la plaine d’Enna, où habite Cérès : c’est là que sa fille Proserpine a été enlevée par Pluton, tandis qu’elle jouait avec ses jeunes compagnes et cueillait des fleurs dans la prairie.  Enna, dit Cicéron, est sur une hauteur qui domine tout au loin. A son sommet est un large plateau arrosé par des eaux qui ne tarissent jamais. Elle est isolée et comme détachée de toutes parts ; elle est partout environnée de lacs, de bois sacrés, où les fleurs les plus agréables se renouvellent dans toutes les saisons de l’année. Le seul aspect des lieux semble attester ce que nous avons appris dès notre enfance sur l’enlèvement de la jeune déesse. En effet on aperçoit à peu de distance une caverne ouverte au nord ; c’est de là, dit-on, que le dieu des enfers sortit tout à coup sur un char et vint enlever Proserpine.  Les dernières traces des temples de Cérès et de Proserpine ont disparu depuis longtemps de cette contrée, et les récits des poètes sont les seuls souvenirs qu’on puisse y évoquer.

L’art cependant est venu en aide aux poètes, et le fameux médaillon de Syracuse, où l’on voit. Proserpine, déesse des moissons, avec des poissons dans le champ, est un chef-d’œuvre comparable à ce que l’antiquité a produit de plus beau (fig. 556-557).

Historiquement les premiers habitants de la Sicile paraissent avoir été les Sicanes, ou Sicules, venus de l’Italie, lisais la Sicile a reçu très  anciennement des colonies phéniciennes, qui se sont établies sur le littoral, et plus tard des colonies grecques, qui’ fondèrent la plupart des grandes villes de la côté et arrivèrent promptement à un haut degré de prospérité et de civilisation. Ces différents peuples ont laissé des traces de leur passage sur le sol sicilien : on regarde comme appartenant aux plus anciens habitants les constructions de Céphalu et les excavations souterraines de file, et l’on a retrouvé aussi quelques sépultures phéniciennes. Les Grecs ont élevé partout de splendides monuments dont il reste, des ruines, imposantes : la sculpture y apparais dès le début et encore toute imprégnée de traditions orientales, comme on le voit aux métopes archaïques de Sélinonte.

Les monnaies grecques de la Sicile sont extrêmement nombreuses. Parmi les emblèmes qui les caractérisent, il y en a un fort singulier qui se rapporte à la forme triangulaire de l’île. Il représente trois jambes sans corps mais reliées ensemble et qui paraissent courir l’une après l’autre. Le bout du pied fait allusion à chacune des pointes du triangle (fig. 558-559). Les emblèmes maritimes sont également très  fréquents : ce sont habituellement des poissons, un fragment de navire ou bien le trident de Neptune.

La décadence de la Sicile date des guerres puniques : les Carthaginois ont détruit un grand nombre des plus belles cités grecques ; les Romains ont achevé de ruiner celles qui restaient. Strabon nous dépeint l’état de l’île au siècle d’Auguste. Dans l’intérieur, dit-il, on ne trouverait guère aujourd’hui que des habitations de bergers, car il n’y a plus, que je sache, de vrai centre de population, ni à Himéra, ni à Gélani à Callipolis, ni à Sélinonte, ni à Eubœa, etc., toutes villes dont l’origine est grecque. Quant aux villes fondées par les Barbares, comme l’était Camici, elles ont aussi pour la plupart complètement disparu. Frappé de cet abandon du pays, de riches Romains se rendirent acquéreurs des montagnes et de la meilleure partie des plaines et livrèrent ces terres à des éleveurs de chevaux, de bœufs et de brebis, leurs esclaves. Mais la présence de cette nouvelle population fit courir plus d’une fois aux Siciliens de grands dangers ; car ces pâtres, qui ne s’étaient d’abord livrés qu’à des brigandages isolés, individuels, finirent par former des bandes qui portèrent la dévastation jusque clans les villes, comme l’atteste l’occupation d’Enna par la bande d’Eunus. De nos jours, tout dernièrement même, on a amené à Rome un certain Sélurus, dit le fils de Ætna, parce qu’à la tête d’une véritable armée il avait longtemps couru et dévasté les environs de’ cette montagne, et nous l’avons vu dans le cirque, à la suite d’un combat de gladiateurs, déchiré par les bêtes.

Malgré son état de décadence, la Sicile était comme un grenier d’abondance pendant toute la durée de l’empire romain, et ses villes déchues ou ruinées étaient continuellement visitées par les jeunes gens .de grande famille qui venaient admirer les monuments encore debout ou jouir de la beauté des sites. Le mont Ætna était particulièrement fréquenté par les touristes qui voulaient faire l’ascension du volcan. Au pied même de la montagne était Catane, qui, malgré les destructions causées par le volcan et par les guerres, a conservé d’importantes antiquités. L’amphithéâtre, un des plus grands qu’ait élevés l’antiquité, est en partie recouvert par la lave et par des constructions modernes. Le théâtre était bâti sur le penchant d’une colline : les fondements grecs, découverts en 1864, supportaient un édifice de construction romaine : les colonnes et les bas-reliefs qui le décoraient ont été enlevés, avec une grande partie des matériaux, pendant le moyen âge, pour la construction  de la cathédrale. Près de là on trouve les restes d’un odéon, aujourd’hui presque entièrement recouvert par des habitations privées. On a trouvé aussi à Catane des bains et des sépultures romaines.

Messine (fig. 560-561) a été, sous ce rapport, moins favorisée et n’a laissé aucune ruine. Les monnaies de cette ville présentent une très grande variété, mais le lièvre courant est l’emblème qu’on y trouve le plus souvent.

Entre Catane et Messine était Taormina, ville fondée au IVe siècle avant Jésus-Christ par les habitants de Naxos, et dont il reste un théâtre fort curieux parce qu’il est un des mieux conservés que nous ait laissés l’antiquité. Il pouvait contenir 35.000 personnes, ce qui laisse présumer une population considérable pour cette ville, qui n’eut jamais une grande importance historique.

Non loin de là on trouvait Naxos (fig. 562-563) et Mégare, que Strabon regarde comme les plus anciennes colonies grecques de la Sicile. Ces villes n’ont pas de ruines ; mais on en a conservé de belles médailles.

Examinons maintenant ce qui reste de l’ancienne Syracuse (fig. 564). La ville moderne est tout entière renfermée dans l’île d’Ortygie, qui contient la fontaine Aréthuse, célèbre dans la mythologie et qui maintenant est le rendez-vous des blanchisseuses de la ville. La cathédrale est bâtie sur l’emplacement d’un édifice antique qu’on croit avoir été le temple de Minerve ; il en reste encore des colonnes engagées dans la maçonnerie. Ce temple, dont Cicéron vante la magnificence et qui fut dépouillé par Verrès, paraît avoir été construit sur un type analogue à ceux d’Agrigente et de Pæstum. Près de là était le temple de Diane, dont les restes sont enclavés dans une maison particulière.

L’Achradine, plateau complètement désert aujourd’hui, était la partie la plus peuplée de la ville antique. Ce quartier, fortifié par de hautes murailles dont les restes subsistent encore, renfermait la place du marché avec ses colonnades, la Curie et divers autres monuments On y a retrouvé des bains, de vastes catacombes qui s’étendaient également sous le quartier de Tyché. Elles forment des rues aboutissant à des carrefours et bordées de columbaria ou niches destinées à ensevelir les morts. Quelques-uns de ces tombeaux portent. des emblèmes chrétiens.

Le quartier de Tyché, encore très peuplé au commencement de l’empire romain, offre néanmoins peu de ruines remarquables. Mais il n’en est pas de même de Neapolis, la ville neuve : on trouve là l’amphithéâtre, situé sur une pente de terrain et en partie taillé dans le roc, et le théâtre, également taillé dans le roc et qui était, suivant Diodore, le plus beau de la Sicile. On a calculé qu’il pouvait contenir 24.000 spectateurs, et il en reste une quarantaine de gradins assez bien conservés. On trouve aussi dans Neapolis quelques tombeaux parmi lesquels il faut distinguer ceux qui ont reçu la dénomination assez arbitraire de tombeau de Timoléon et de tombeau d’Archimède.

Vis-à-vis de ces ruines sont les Latomies, vastes carrières exploitées par les Syracusains, qui y faisaient travailler leurs prisonniers de guerre, et lesquelles paraissent également avoir servi de prison. La plus importante est celle qui a reçu le nom d’Oreille de Denys, par suite d’une tradition d’après laquelle Denys avait fait construire des prisons dont l’acoustique, habilement ménagée, lui permettait d’entendre tout ce qui’ s’y disait à voix basse.

Le plateau des Épipoles, où était la citadelle, possède des fortifications assez bien conservées. Enfin sur un coteau placé près de la ville, on trouve deux colonnes, seuls restes d’un fameux temple de Jupiter olympien, où était une grande statue du dieu, couverte par Gélon d’un manteau d’or, que Denys lui enleva, sous prétexte qu’il était trop chaud pour l’été et trop froid pour l’hiver.

La ville de Syracuse est celle où l’art du graveur en médailles paraît avoir été poussé le plus loin. Nous en avons déjà donné des échantillons dans les figures 556, 557, 558, 559. La figure 565-566 nous montre un type différent ; elle représente le roi Hiéron II, qui fut l’allié des Carthaginois et s’attira par là la haine des Romains.

Il n’est resté aucune trace de Gela, ville autrefois riche et puissante, mais qui avait déjà cessé d’exister au temps d’Auguste. C’est le trop plein de la population de Gela qui alla fonder Agrigente, la plus belle ville des mortels selon Pindare. C’est là que le fameux tyran Phalaris mettait, dit-on, des captifs vivants dans un taureau d’airain rougi au feu, où ils expiraient en poussant des cris affreux. Sa cruauté le rendit odieux aux Grecs, qui adoptèrent le gouvernement démocratique. Agrigente atteignit bientôt un haut degré de prospérité, et sa population dépassa 200.000 habitants. Dans une suite de guerres heureuses contre les Carthaginois, les Agrigentins employèrent leurs nombreux prisonniers à faire de gigantesques constructions. Cependant la ville finit par être prise et en partie détruite par Hamilcar. Elle se releva pourtant un moment avec Timoléon, mais elle finit par succomber tout à fait dans sa lutte contre les Romains. Depuis ce temps, Agrigente (aujourd’hui Girgenti) perdit toute son importance, comme la plupart des villes situées sur la côte méridionale de la Sicile.

Les restes d’Agrigente offrent un spécimen des plus belles ruines connues. Il reste encore seize colonnes debout du temple de Junon, où Zeuxis avait peint la fameuse image de la déesse d’après le modèle des cinq plus belles jeunes filles de la ville. Près de là est le temple dit de la Concorde, remarquable par sa conservation, due peut-être à ce qu’il a servi d’église au moyen âge, et le temple d’Hercule, dont une seule colonne est restée debout au milieu des débris amoncelés. Là était une statue d’Hercule, ouvrage de Myron, dont Cicéron parle comme de la plus belle chose qu’il ait vue. Verrès voulut l’enlever ; mais les prêtres, soutenus par le peuple, repoussèrent ses satellites. On trouve ensuite le tombeau de Théron et les fondations du grand temple de Jupiter Olympien, le plus vaste édifice qu’aient jamais construit les artistes grecs. C’est, dit Diodore de Sicile, le plus grand de tous les temples de la Sicile, et on peut à cet égard le comparer avec les plus beaux qui existent, bien qu’il n’ait jamais été achevé. Sur la façade orientale on a représenté le combat des Géants, ouvrage de sculpture remarquable par sa dimension et sa beauté ; la prise de Troie est figurée sur la façade occidentale.

Les colonnes de cet édifice gigantesque ont un diamètre qui dépasse de 32 centimètres celui de la colonne Trajane à Rome ou de la colonne Vendôme à Paris, et chacune des cannelures peut servir de guérite à un homme. Le nom de temple des Géants, sous lequel cette ruine fut longtemps connue, vient des énormes figures d’Atlantes, dont trois étaient restées debout au XIVe siècle. Un de ces colosses est encore gisant sur le sol, au milieu des colonnes renversées, mais la plus grande partie des pierres de l’édifice a été enlevée pour la construction du môle de Girgenti. Des restes d’un temple de Vulcain, d’un temple d’Esculape, d’un temple de Castor et Pollux, et des débris de l’enceinte fortifiée complètent ce qui reste, des ruines d’Agrigente.

La ville d’Agrigente plaçait généralement la figure d’un crabe au revers de ses monnaies (fig. 567-568). Ce crabe, quelquefois mis seul, est souvent aussi accompagné d’autres emblèmes, comme le poisson, le lièvre ou le serpent qu’un aigle tient dans ses serres. Le culte de Jupiter est caractérisé sur plusieurs monnaies par l’aigle tenant le foudre du roi des dieux ou placé sur le chapiteau d’une colonne ; celui d’Apollon, par la tête du dieu, le trépied sacré ou le quadrige (fig. 569-570).

La fondation de Ségeste passait pour antérieure à celle de la plupart des colonies grecques de la Sicile. D’après la tradition, elle aurait été fondée par Énée et les Troyens fugitifs. Rivale de Sélinonte, elle invoqua l’aide des Athéniens ; mais, après la défaite de Nicias, elle fut soumise aux Carthaginois. Pendant les guerres puniques, Ségeste prit parti pour les Romains et n’eut pas à s’en repentir, car, après la destruction de Carthage, Scipion lui rendit une grande et admirable statue de Cérès qui avait été emportée à Carthage : cette statue fui ensuite ravie aux habitants par la cupidité de Verrès. Les vierges et les matrones de Ségeste, dit Cicéron, accompagnèrent la déesse jusqu’aux bornes de leur territoire, ne cessant de répandre sur cette image sacrée des essences, de brûler de l’encens et des parfums, de la couvrir de couronnes et de fleurs.

Ségeste, qui parait avoir été détruite par les Sarrasins au ixe siècle, a laissé quelques ruines : un temple dorique, composé de trente-six colonnes, d’une hauteur de 9 mètres, sur 2 mètres de diamètre. Un théâtre, placé sur une éminence voisine, montre encore ses vingt rangs de gradins. Au pied de la colline coulent deux ruisseaux, que les habitants de Ségeste appelaient le Simoïs et le Scamandre en souvenir de leur origine troyenne.

Les monnaies sont tout ce qui reste de la ville de Camarina, colonie des Syracusains. L’emblème qu’on y voit représenté (fig. 571) est un cygne, souvent accompagné d’une femme nue qu’il porte en croupe. Une autre monnaie de la même ville, mais celle-ci d’un caractère très archaïque, montre d’un côté un masque de théâtre ou une tête de Méduse et de l’autre six globules, marque du semis (fig. 572-573).

Sélinonte, une des plus grandes villes de la Sicile, est située sur la côte méridionale de l’île, presque en face de Carthage. Elle fut fondée au vue siècle avant notre ère, par une colonie de Mégariens : l’Acropole était située sur une colline, séparée de la ville par une vallée marécageuse qu’Empédocle était parvenu à dessécher, mais d’où s’exhalent aujourd’hui des miasmes pestilentiels qui rendent la contrée inhabitable. Les habitants de Sélinonte étaient en train de bâtir en cet endroit un nouveau quartier, quand une armée carthaginoise, forte de 100.000 hommes, vint assiéger la ville, qui fut mise à feu et à sang. Les habitants furent massacrés ou emmenés en esclavage. Sélinonte se releva pourtant peu à peu ; mais, cent cinquante ans plus tard, elle fut de nouveau détruite par les Carthaginois, et, depuis ce temps, elle n’existe plus qu’à l’état de souvenir. Les habitants furent transportés à Lilybée (aujourd’hui Marsala), et sous Auguste il n’y avait en ce lieu qu’un monceau de ruines.

Il n’existe aucune trace de la ville proprement dite, mais l’Acropole a laissé des ruines magnifiques. On y trouve plusieurs temples : celui qu’on croit avoir été consacré à Jupiter Olympien était un des plus vastes de l’antiquité. Il n’était pas complètement achevé au moment de sa destruction, car deux colonnes seulement sont cannelées ; d’autres sont taillées à facettes pour recevoir des cannelures, et d’autres sont encore rondes et unies. Les sculptures des métopes de Sélinonte sont recardées comme les plus anciens monuments de la statuaire grecque elles ont été transportées au musée de Palerme. La figure 574, qui représente Persée coupant la tête de Méduse est un des plus curieux spécimens de l’art grec dans son enfance.

Sur la pointe occidentale de la Sicile est Drépanum (aujourd’hui Trapani) au pied du mont Éryx. Cette ville antique, dont il ne reste aucune trace, est pleine de souvenirs mythologiques. Son nom grec veut dire faucille : il vient de ce que Saturne, chassé du ciel par Jupiter, laissa tomber en cet endroit la faucille avec laquelle il avait mutilé son père, ou, suivant d’autres, de ce que le rivage présente à cet endroit la forme d’une faucille. C’est là que mourut Anchise et qu’Énée célébra les jeux décrits par Virgile. Quand Hamilcar détruisit la ville d’Éryx, située sur un plateau, au sommet de la montagne voisine, il transporta les habitants dans la ville de Drépanum.

Ce mont Éryx était célèbre clans l’antiquité par le culte qu’on y rendait à Vénus : il est fort élevé et complètement isolé, ce qui le fait paraître encore plus haut. Éryx, fils de Vénus, qui fut tué par Hercule, avait été enterré en ce lieu. Dédale y avait élevé un temple à la déesse et fondé une ville qu’il avait entourée de fortes murailles. Historiquement, la ville d’Éryx semble avoir eu pour origine une colonie phénicienne, et le culte qu’on y rendait à Vénus rappelle la Vénus asiatique beaucoup plus que l’Aphrodite grecque.

On visite encore l’emplacement de l’ancienne Éryx, près de laquelle se trouve maintenant la ville de San-Giuliano : un couvent occupe la place du temple de Vénus, dont on a retrouvé les substructions, ainsi qu’un ancien puits où l’on prenait de l’eau pour les ablutions. D’innombrables colombes habitaient autrefois les jardins de la déesse : on sait que la colombe était l’oiseau consacré à Vénus. Ces oiseaux, dit M. de Quatrefages, ont conservé leurs anciennes habitudes, et bravent aujourd’hui les fusils des chasseurs, comme ils ont bravé au moyen âge les foudres de l’excommunication : ils viennent tous les ans nicher parmi les rochers du voisinage.

En continuant sa route par la côte septentrionale de l’Italie, on rencontrait Panorme, aujourd’hui Palerme. Cette ville était loin d’avoir dans l’antiquité l’importance qu’elle a acquise de nos jours. Ses jolies médailles sont tout ce qui lui reste de son passé (fig. 575-576).

Toute cette côte, ainsi que les îles qui l’avoisinent, est célèbre dans la mythologie. C’est là qu’on trouvait les cavernes habitées par les cyclopes ; c’est là que Polyphème chantait amoureusement pour attendrir Galatée, qui se riait de lui. Les îles Éoliennes (Lipari) habitées par Éole, le roi des vents, étaient, à cause de leur caractère volcanique, considérées également comme le séjour habituel de Vulcain, qui avait là ses forges : c’est pour cela que l’image de ce dieu se trouve sur les monnaies de ce groupe d’îles (fig. 577-578).

Beaucoup plus au nord se trouvent les îles de Sardaigne et de Corse, où les Phéniciens ont laissé des traces de leur passage, mais qui n’eurent aucune importance réelle dans le monde antique. On trouve en Sardaigne un assez grand nombre de monuments funèbres, appelés Nuraghes, qui présentent en général la forme d’une tous ou d’un cône et dont la construction est attribuée aux Pélasges.

 

LA GRANDE-GRÈCE. — Les côtes de l’Italie méridionale étaient couvertes de colonies grecques, formant des villes puissantes et nombreuses, qui pour la plupart étaient déjà ruinées à l’époque de la domination romaine, mais qui ont joué un rôle très important dans l’histoire ancienne. Ces colonies, souvent bien plus peuplées et surtout bien plus riches que la métropole, ont exercé une telle influence sur la contrée où elles s’étaient établies, que la langue grecque s’y est maintenue pendant plusieurs siècles après la conquête romaine. Le pays où se trouvaient la plupart d’entre elles a reçu le nom de Grande-Grèce, et était divisé en quatre parties, l’Apulie, la Messapie, la Lucanie et le Brutium (fig. 579).

 

L’APULIE. — L’Apulie, située le long de l’Adriatique, renfermait peu de villes importantes. On y voyait pourtant Lucerie, ville fondée par Diomède et qui fut longtemps puissante ; Venusium, la patrie d’Horace ; Canasium (Canosa), où l’on a découvert des tombeaux avec de nombreuses antiquités ; Teanum, Aquilonia, etc.

 

LA MESSAPIE. — La Messapie (aujourd’hui terre d’Otrante) était la partie de l’Italie la plus rapprochée de la Grèce. Brundusium (Brindisi), sans avoir l’importance qu’elle a acquise de nos jours, était déjà ne ville extrêmement commerçante. C’est là qu’aboutissait la voie Appienne. La ville la plus florissante de la contrée était Tarente, dont la fondation mythologique remonte à Taras, fils de Neptune. Ce personnage est représenté sur les monnaies de la ville monté sur un dauphin ou bien sur un cheval, animal également consacré à Neptune (fig. 580-581). Strabon signale à Tarente une statue de Jupiter en airain, qui était la plus grande que l’on connut après le colosse de Rhodes.

 

LA LUCANIE. — La Lucanie, entre le golfe de Tarente et celui de Pæstum, était couverte de colonies grecques. C’est là qu’un trouvait la riche Sybaris, dont le luxe était proverbial dans l’antiquité. Elle a été ruinée cinq fois et s’est relevée cinq fois ; sa destruction dernière a été si complète qu’il n’en est rien resté, et il n’a pas encore été possible de déterminer exactement son emplacement. La ville de Sybaris, dit Strabon, jouissait anciennement d’une prospérité extraordinaire : ainsi elle commandait à quatre peuples, ses voisins, et comptait dans sa dépendance immédiate jusqu’à vingt-cinq villes ; elle put armer 300.000 hommes contre Crotone, et son enceinte, près des bords du Crathis, mesurait une circonférence de 50 stades. Mais, par la faute de ses habitants, par un effet de leur mollesse et de leur indolence, toute cette prospérité fut anéantie par les Crotoniates, et cela dans l’espace de soixante-dix jours. Les Crotoniates, maîtres de la ville, détournèrent le cours du Crathis et la noyèrent sous les eaux du fleuve.

Une ville nouvelle du nom de Thurium s’est élevé près de l’endroit où avait été Sybaris ; mais pas plus que sa devancière elle n’a laissé de monuments pour témoigner de sa grandeur passée. On a seulement retrouvé des monnaies de ces deux villes, sur le rivage où elles étaient. L’emblème qu’on voit sur les plus anciennes monnaies de Sybaris est un taureau qui tourne la tête (fig. 582-583-584). Ces monnaies sont incuses, c’est-à-dire en relief d’un côté et creuses de l’autre. Le taureau apparaît également dans les monnaies de Thurium, mais avec un mouvement différent, et l’envers de ces monnaies représente une tête souvent fort belle et dont le casque est décoré d’une figure de Scylla moitié femme et moitié serpent (fig. 585-586).

Métaponte, ville puissante qui, au temps de Pausanias était déjà détruite, conserve pourtant encore quinze colonnes de son ancien temple dorique (fig. 587). Elle a aussi des monnaies dont l’emblème caractéristique est un épi d’orge (fig. 588-589). Non loin de là était Héraclée de Lucanie, où il n’est rien resté comme architecture, et dont on a retrouvé à grand’peine l’emplacement.

L’antique Posidonia, qui devint plus tard la colonie de Pæstum, était une ville consacrée à Neptune ; située dans une contrée aujourd’hui malsaine, elle est célèbre par la magnificence de ses ruines. Les temples de Pæstum comptent en effet parmi les restes les plus intéressants que nous ait laissés l’antiquité. Il y en a trois ; mais le plus important et le plus beau est celui du milieu, qu’on désigne ordinairement sous le nom de temple de Neptune. Il est d’ordre dorique et offre un des types les plus anciens et les mieux caractérisés de l’architecture grecque primitive. La figure 590 montre l’intérieur du temple de Neptune. Le temple de Cérès et l’édifice qu’on a qualifié sans beaucoup de raison de basilique complètent l’aspect des ruines de Paestum. Des peintures fort curieuses ont été découvertes dans les tombeaux du voisinage, et on y a exécuté récemment des fouilles intéressantes.

De charmantes médailles d’Élée (fig. 591-592), appelée plus tard Vélia (fig. 593-594), sont tout ce qui reste de cette ville, qui fut renommée par son école de philosophie.

 

LE BRUTIUM. — Le Brutium formait la pointe la plus méridionale de l’Italie, celle qui confine à la Sicile (fig. 595-596). Mais la ville là plus importante de la contrée, Crotone, était très rapprochée de Sybaris et sur le golfe de Tarente. Strabon nous apprend dans quelles circonstances cette ville fut élevée en même temps que Syracuse. Naxos et Mégare, dit-il, venaient d’être fondées, quand Archias arriva de Corinthe en Sicile et fonda lui-même Syracuse. Suivant certaines traditions, Archias s’était rendu à Delphes en même temps que Myscellus, et ils avaient consulté l’oracle ensemble. Le dieu, avant de répondre, avait voulu savoir ce que chacun d’eux préférait de la richesse ou de la santé ; et comme Archias avait choisi la richesse et Myscellus la santé, il avait désigné, au premier l’emplacement de Syracuse et l’emplacement de Crotone au second. Or les Crotoniates se trouvèrent en effet avoir bâti leur ville dans des conditions de salubrité merveilleuse ; et les Syracusains, de leur côté, s’élevèrent en peu de temps à l’apogée de la richesse et de l’opulence, témoin cet ancien proverbe : Ils n’auraient pas assez de la dîme de Syracuse, lequel se dit des gens prodigues et magnifiques.

La ville de Crotone était renommée pour ses gymnases. Crotone a fourni les plus célèbres athlètes de l’antiquité, entre autres le fameux Milon. L’enseignement philosophique de Pythagore a donné à cette ville une gloire plus sérieuse. Crotone, qui avait eu un commerce florissant et de puissantes armées, était déjà bien déchue quand Pyrrhos vint en Italie, et à l’époque de la bataille de Cannes elle était presque déserte.

Il n’est pas resté d’autres traces de cette ville que les nombreuses monnaies trouvées dans son sol. Le symbole des Crotoniates  était le trépied, soit parce que les Crotoniates avaient pour Apollon une dévotion particulière, soit parce que le prix décerné aux athlètes victorieux était habituellement un trépied. Le trépied est l’emblème caractéristique des monnaies de Crotone (fig. 597) ; souvent il est accompagné d’un personnage qui fait un sacrifice ou une libation, et qui, presque toujours, porte les attributs d’Hercule, par allusion à la force des athlètes, qu’on honorait particulièrement à Crotone.

Après Crotone, les villes les plus importantes du Brutium étaient Lucres, Hipponicum et Terina, dont on a conservé quelques jolies monnaies (fig. 598-599), et Rhegium (Reggio), située à l’extrémité du Brutium, sur le détroit de Messine. Fondée vers le VIIe siècle avant Jésus-Christ, Rhegium devint promptement une des villes les plus florissantes de la Grande-Grèce. Détruite plusieurs fois par des tremblements de terre, cette ville s’est toujours relevée, et elle a encore aujourd’hui une certaine importance commerciale ; mais elle n’a conservé aucune trace de sa splendeur passée.