LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME PREMIER — LES PEUPLES DE L’ANTIQUITÉ

LA GRÈCE — V. - LES ÎLES DE LA GRÈCE

 

 

LES GROUPES D’ÎLES. - LA CRÈTE. - L’EUBÉE. - ÉGINE ET SALAMINE. - LES ÎLES DE LA MER ÉGÉE. - LES CYCLADES. - LES ÎLES IONIENNES.

 

LES GROUPES D’ÎLES. — Les îles très nombreuses qui avoisinent la Grène n’ont jamais formé de groupement politique nettement déterminé ; la destinée historique de chacune d’elles s’est accomplie isolément et sans exercer une grande influence sur la destinée des îles voisines. C’est donc, uniquement d’après leur étendue ou leur emplacement géographique. et sans se préoccuper des rapports des gouvernements ou des races, qu’il est possible d’en établir le classement.

Sous le rapport de l’étendue, l’île de Crète et l’île d’Eubée sont les plus importantes, et c’est par elles que nous commencerons nôtre examen descriptif. Ensuite nous étudierons les îles de la côte orientale, Égine et Salamine, les îles de la mer Égée et les Cyclades. Enfin nous’ terminerons par les îles situées sur la côte occidentale et méridionale qu’on désigne généralement sous le nom d’îles Ioniennes.

 

LA CRÈTE. — L’île de Crète (Candie) présente un territoire fort allongé de l’est à l’ouest (fig. 431) et un contour irrégulier coupé de golfes profonds. Elle est traversée dans toute son étendue par une chaîne de montagnes, dont les principaux groupes forment le mont Ida et le mont Dicté, célèbres tous deux dans la mythologie. Cette île, qui se vantait d’avoir vu naître Jupiter et qui montrait avec orgueil son tombeau, était destinée, par sa situation, à servir de lien entre les traditions diverses de peuples dont la race, et le génie étaient absolument différents. Placée entre la Grèce, l’Asie Mineure, la Phénicie et l’Égypte, et continuellement visitée parles matelots venus de ces contrées, ollé était en outré peuplée de colons qui avaient apporté là leurs croyances multiples. Il n’est donc pas étonnant que les fables crétoises tiennent tant de place dans la mythologie et que tant de récits merveilleux viennent se rattacher au mont Ida et au mont Dicté.

Ces fables, dans ce qu’elles ont d’essentiel, rappellent d’ailleurs leur origine. Ce sont des Phrygiens qui, sous le nom de Dactiles Idéens ou de Curètes, apportèrent dans l’île les arts et les idées religieuses de l’Asie Mineure, et c’est à eux qu’on doit rattacher toutes les fables concernant l’enfance de Jupiter. L’histoire de l’enlèvement d’Europe est, au contraire, d’origine phénicienne. Aux Grecs appartient évidemment le côté poétique du récit, aussi bien que les jolis camées qui le reproduisent (fig. 432). Mais, quand le roi des dieux se change en taureau pour séduire la fille du roi de Phénicie, qu’il emporte, ensuite à travers les mers, il ne fait qu’emprunter la forme des divinités orientales, car, depuis le bœuf Apis qu’on adore aux bords du Nit jusqu’aux taureaux ailés qui gardent les palais de Ninive, l’idée du divin se manifeste partout sons cette forme.

La même idée se trouve reproduite dans la fable de Pasiphaé, amoureuse du taureau et donnant le jour an Minotaure, monstre à tête de taureau. On peut bien aussi voir un souvenir de l’Égypte dans ce fameux labyrinthe que Dédale construisit pour le roi Minos et qui rappelait celui des Égyptiens ; mais l’histoire de Thésée, tuant le Minotaure et se conduisant dans le labyrinthe avec le fil qu’Ariane lui a donné, est tout à fait conformé à l’esprit grec.

C’est près de Cnosse que cet événement s’est passé, et les monnaies de cette ville montrent effectivement la représentation du labyrinthe (fig. 434) ou celle du Minotaure (fig. 433). Des fragments de murailles de l’époque romaine sont tout ce qui reste aujourd’hui de l’antique cité, dont le sage roi Minos avait été le fondateur, et où les Crétois montraient avec orgueil le lieu où Jupiter avait passé son enfance et celui où il avait son tombeau.

Sur le versant opposé du mont Ida était l’ancienne Gortyne, dont les ruines disséminées sur une vaste étendue de terrain, attestent l’importance passée. Il y avait là un temple d’Apollon très vénéré.

Ces villes sont les seules de la Crète où l’on signale des antiquités. Cette île, qui possédait cent villes au temps d’Homère et qui demeura florissante pendant toute l’antiquité, est aujourd’hui habitée par une population misérable et peu nombreuse.

 

L’EUBÉE. — L’Eubée est une grande île qui s’étend du sud au nord, le long de l’Attique, de la Béotie, du pays des Locriens et d’une partie de la Thessalie. C’est une contrée extrêmement fertile, qui produit en abondance du blé, du vin, de l’huile et des fruits. On y trouve aussi des mines de cuivre et de fer, et ses ouvriers passaient pour très habiles dans l’art d’exploiter ces métaux. Les carrières du mont Ocha, près du port de Caryste, produisaient un marbre d’un vert grisâtre et veiné de différentes nuances, dont les, anciens faisaient un grand usage pour les colonnes des édifices.

L’île d’Eubée, qui ne rappelle pas de bien grands souvenirs historiques, ne présente pas non plus de ruines importantes. Elle possédait néanmoins quelques villes florissantes.

Chalcis, située sur le détroit, s’élevait sur le penchant d’une montagne : le travail du cuivre était la principale industrie des habitants. Un pont, jeté sur le bras le plus étroit de l’Euripe, réunissait l’île au continent. La ville était ornée de nombreux monuments dont il ne reste plus aucune trace aujourd’hui.

Érétrie, située également sur le détroit, mais un peu au sud de Chalcis, était renommée pour les tableaux et les statues qu’on y admirait. On accusait ses habitants d’avoir une prononciation un peu barbare, qui fut souvent au théâtre l’objet des moqueries des Athéniens. Le taureau tournant la tête et se grattant la patte, qu’on voit sur quelques monnaies d’Érétrie, est regardé comme un souvenir des emblèmes orientaux.

Non loin de la côte orientale de l’Eubée, on trouve la petite île de Scyros, où mourut Thésée, et où Achille, lorsqu’il était déguisé en fille à la cour du roi Lycomède, fut découvert par une ruse d’Ulysse.

 

ÉGINE ET SALAMINE. — Le golfe de Saronique, situé entre l’Attique et le Péloponnèse, renferme plusieurs îles, dont deux sont particulièrement remarquables par les souvenirs qui s’y rattachent.

L’île de Salamine, située tout près d’Athènes, éveille en nous les plus glorieux souvenirs de l’histoire grecque : malheureusement cette île, qui n’est aujourd’hui qu’un rocher stérile, n’a conservé aucun vestige d’antiquité qui mérite d’Être signalé.

L’île d’Égine est, sous ce rapport, mieux partagée ; elle est située à peu de distancé dû Péloponnèse, à peu près en face d’Épidaure. Égine porte le nom d’une nymphe célèbre dans la mythologie pour avoir été aimée de Jupiter. La contrée, ayant été ravagée par une peste horrible, fut repeuplée par dés fourmis que Jupiter changea en hommes à la prière d’Éaque, roi de file. Cette île devient extrêmement florissante dans la période historique ; l’art et l’industrie d’Égine atteignirent, dès le vie siècle avant notre ère, un degré de perfection qui la plaça à la tête de la Grèce. On a donné le nom d’école d’Égine à un groupe d’artistes, et principalement de sculpteurs, qui eurent, antérieurement à Phidias, une grande importance dans histoire de l’art.

L’île d’Égine renferme quelques ruines intéressantes, entre autres, le fameux temple de Minerve (fig. 435) connu sous le nom de temple de Jupiter Panhellénien. Le temple de Minerve, élevé sur trois gradins apparents faisant le tour de l’édifice, avait six colonnes de face sur douze de côté, en comprenant celles des angles. A l’intérieur, il contenait deux colonnades superposées. Le sujet représenté sur le fronton oriental était l’expédition des héros éginètes sous la conduite de Minerve, et on voyait sur le fronton occidental (fig. 436) le combat des Grecs et des Troyens autour du corps de Patrocle. Ces sculptures ont un caractère archaïque très prononcé, qui fait un singulier contraste avec celles du Parthénon, exécutées peut-être un demi-siècle après.

C’est principalement sur les restes du temple d’Égine que se sont appuyés les architectes qui ont voulu démontrer que la polychromie était en usage dans les monuments grecs. En effet, dit M. Charles Garnier, il n’y a pas, en Grèce, de temple qui conserve autant de traces de couleur que celui d’Égine, et, malgré les vingt-trois siècles qui se sont écoulés depuis sa fondation, les couleurs que l’on retrouve sont encore quelquefois d’un grand éclat et d’une grande vivacité. Lorsque j’en présentai la restauration extérieure et intérieure ; tout était complètement peint avec des tons très vigoureux. Je ne m’étais pas laissé aller à un caprice, nais j’avais suivi toutes les données qui existaient et qui avaient été vues soit par les voyageurs qui m’avaient précédé, soit par moi-même.

C’est dans l’île d’Égine que la numismatique paraît avoir pris naissance : les monnaies de l’île d’Égine (fig. 437-438) sont d’un caractère extrêmement archaïque.

 

LES ÎLES DE LA MER ÉGÉE. — La formation de ces îles, d’un sol généralement volcanique, s’expliquait mythologiquement par l’effroyable combat dans lequel les géants avaient fini par être écrasés sous les roches amoncelées. Poséidon (Neptune) avait joué un rôle important dans ce combat et puissamment contribué à la victoire de Jupiter. Une curieuse peinture de vase (fig. 439) montre le dieu des mers, qui vient de terrasser avec son trident le géant Éphialtes, et qui se prépare à l’ensevelir sous le poids d’une île qu’il tient à la main. Cette île est rendue sous la forme d’un rocher sur lequel on voit figurer des animaux et des plantes, qui expriment les productions de ce rocher. Dans les récits poétiques, ce sont de véritables îles et des contrées entières que les dieux lancent contre les géants.

La plus importante des îles de la mer Égée est celle de Lemnos (Stalimène).

Cette île volcanique était mythologiquement le séjour de Vulcain, qui tomba là lorsque son père le précipita du ciel. Il y établit sa première forge, fable qui prouve que’ les habitants de Lemnos ont été, dès la plus haute antiquité, renommés pour leur habileté dans, les travaux métallurgiques. C’est à Lemnos que le dieu forgeron épousa Vénus et découvrit ses intrigues avec Mars. Les femmes de Lemnos reprochèrent à la divinité son inconduite avec une vivacité telle, que Vénus irritée les frappa d’un fléau qui éloigna d’elles leurs maris. Furieuses de cet abandon, les Lemniennes massacrèrent tous les hommes de l’île, laquelle, par suite de ce crime serait infailliblement devenue déserte, si Jason et ses Argonautes n’étaient passés par là quelques années après. Telles sont les traditions mythologiques de Lemnos et elles étaient si populaires en Grèce que, pour parler d’une femme atroce, on la qualifiait de Lemnienne. C’est aussi à Lemnos que Philoctète fut abandonné par les Grecs. Dans la période historique, Lemnos fut une île florissante par son industrie, mais elle n’a aucun monument qui puisse témoigner de son ancienne opulence.

Samothrace, île peu fertile et dépourvue de commerce, a dû toute sa célébrité dans le monde antique à ses mystères religieux ou l’on retrouve une influence phénicienne très prononcée. Toutefois le culte énigmatique des dieux Cabires, dent la mythologie grecque taisait des fils de Vulcain, n’a pas encore été expliqué d’une manière bien satisfaisante. Ce fut à Samothrace que le Phénicien Cadmus épousa Harmonie et vit tous les dieux conviés à son festin de noces. On trouve dans cette île quelques constructions cyclopéennes, et les restes d’un temple qu’on croit avoir été dédié aux dieux Cabires.

L’île de Thasos, où les Phéniciens exploitaient autrefois des mines d’or, est située près des côtes de Thrace. Quelques restes de fortifications antiques subsistent encore dans cette île. Hercule et Bacchus étaient spécialement honorés à Thasos, et l’image de ces divinités est un emblème assez fréquent sur les monnaies de la ville (fig. 440).

 

LES CYCLADES. — On donne le nom de Cyclades (fig. 441) à un groupe d’îles situées au nord de la Crète, entre la Grèce et l’Asie Mineure. Habitées par une population mixte, où les Grecs se trouvaient mêlés à d’anciens colons phéniciens, ces îles ont longtemps servi de trait d’union entre l’Europe et l’Asie, et la civilisation y a pris de bonne heure un assez grand développement. Ces îles qui composent l’archipel des Cyclades sont fort nombreuses ; nous nous contenterons de nommer les principales.

Délos, l’île sacrée d’Apollon, que Neptune avait fait sortir des eaux pour servir d’asile à Latone et qui, après avoir longtemps flotté sur la mer, s’était enfin fixée au centre de l’archipel, était un des lieux de pèlerinage les plus fréquentés de la Grèce. Elle n’a pas laissé de ruines importantes, mais les débris disséminés partout attestent la grandeur de cet antique sanctuaire (fig. 442-443).

Mélos (Milo), où on a retrouvé la fameuse statue du Louvre, a conservé les ruines d’un théâtre et plusieurs tombeaux. La pomme qui paraît sur les monnaies de Mélos rappelle à la fois le nom grec de l’île qui veut dire pomme, et le fruit qui était un attribut de Vénus, divinité spécialement adorée à Mélos.

Naxos, de tous temps renommée pour ses vins exquis, était l’île chère à Bacchus : c’est sur ces rivages qu’il rencontra Ariane, que Thésée avait abandonnée.

 

ÎLES IONIENNES. — On désigne sous le nom d’îles Ioniennes un groupe d’îles qui s’étend irrégulièrement, du nord au sud, le long de la côte occidentale de la Grèce. Dans l’antiquité, ces îles étaient absolument séparées et indépendantes, en sorte qu’elles n’ont pas eu d’histoire collective.

Corcyre (Corfou) est le pays des Phéaciens, dont le roi Alcinoüs donna l’hospitalité à Ulysse. On montre encore l’endroit (tout à fait hypothétique, bien entendu) où la belle Nausicaa allait laver son linge lorsqu’elle aperçut le héros pour la première fois. On a tenté quelques fouilles dans l’antique ville de Corcyre, d’après la description qu’en fait Thucydide ; mais elles n’ont pas amené, de résultats bien importants (fig. 444-445).

L’île de Paros et celle de Leucade, où était autrefois un temple d’Apollon, n’offrent aujourd’hui rien de bien intéressant.

Ithaque, où vécut la chaste Pénélope, possède quelques débris de l’âge pélasgique, qu’on a voulu rattacher aux souvenirs d’Ulysse (fig. 446). Un débris d’enceinte, qu’on a baptisé palais d’Ulysse, un rocher où se cachèrent les prétendants pour surprendre Télémaque à son retour de Pylos, et une plaine où le berger Eumée menait paître ses troupeaux, sont les principales curiosités qu’on montre aux voyageurs.

Céphalénie, la plus grande des îles Ioniennes, et Zacynthe, où Énée éleva un temple à Vénus, n’ont pas conservé d’antiquités remarquables. Quant à Cythère (Cérigo), elle ne présente aujourd’hui qu’un rocher stérile, incapable de nourrir quelques malheureux qui l’habitent et hanté par d’innombrables chauves-souris. On n’a retrouvé aucune trace du temple de la déesse qui faisait naître des fleurs sous ses pas. Cythère a été autrefois une colonie phénicienne et l’on pense que c’est par là que le culte de Vénus a été introduit en Grèce.