LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME PREMIER — LES PEUPLES DE L’ANTIQUITÉ

L’ASIE — VII. - L’ASIE CONQUISE

 

 

L’EMPIRE D’ALEXANDRE. - LES SÉLEUCIDES. - LE DÉMEMBREMENT. - LES PARTHES. - LES SASSANIDES.

 

L’EMPIRE D’ALEXANDRE. — Le vaste empire fondé par Alexandre comprenait, outre les possessions d’Europe, toutes les provinces qui avaient autrefois fait partie des empires d’Assyrie et de Perse. Alexandre, qui est mort à trente-deux ans, n’avait eu le temps de réaliser qu’une partie des projets qu’il expose dans une sorte de testament dont ses généraux prirent connaissance après sa mort. Les Mémoires laissés par Alexandre, dit Diodore de Sicile, renfermaient, entre autres grands projets, les suivants, qui méritent d’être rapportés. Alexandre ordonnait de construire mille bâtiments de guerre plus grands que les trirèmes, dans les chantiers de la Phénicie, de la Syrie, de la Cilicie, et de l’île de Chypre. Ces bâtiments devaient être employés à une expédition contre les Carthaginois et les autres nations qui habitent les côtes de la Libye, de l’Ibérie et tout le littoral jusqu’en Sicile. Une route devait être pratiquée tout le long des côtes de la Libye ; jusqu’aux colonnes d’Hercule. Il ordonnait d’élever six temples magnifiques dont chacun devait conter 1.500 talents (8.250.000 francs), d’établir des chantiers et de creuser des ports dans les emplacements les plus propices pour recevoir tant de navires. II voulait opérer une grande fusion dans les populations des divers Mats, transporter des colonies d’Asie en Europe et réciproquement, effectuer par des mariages et des alliances de famille une communauté d’intérêts entre ces deux grands continents. Après la lecture de ces projets, les Macédoniens, malgré leur respect pour Alexandre, décidèrent de n’y pas donner suite, parce qu’ils les regardèrent comme trop ardus et inexécutables.

Le système politique d’Alexandre est tout entier contenu dans ce passage : unir l’Orient et l’Occident, fondre la Grèce avec la Perse,’tel est le but invariable qu’il a poursuivi dans ses expéditions. Pour y arriver, il fondait des villes grecques et plaçait toujours ses officiers à la tête des troupes qu’il laissait dans les provinces conquises. Mais il laissait aux peuples vaincus les institutions qu’ils avaient auparavant, et confiait les fonctions civiles à des hommes nés dans le pays qu’ils étaient chargés d’administrer. Malheureusement son expédition d’Asie n’avait été qu’une course brillante et rapide : il avait ébauché maints projets qu’il n’avait pas eu le temps de réaliser. Les oppositions de races, de mœurs et surtout d’intérêts étaient autant de causes de dissolution qui devaient promptement détruire ses tentatives d’unité. Un fait remarquable à constater, c’est qu’aucune révolte ne se manifesta contre la domination grecque ; mais, tandis que les Grecs se disputaient entre eux, l’influence de leurs idées alla toujours en déclinant, et l’élément oriental, d’abord complètement effacé ; finit par reprendre complètement le dessus.

Aussitôt après la mort d’Alexandre, ses généraux, commencèrent à se disputer la prééminence nous n’avons pas à entrer dans le détail de cette guerre de succession. Un de ses principaux lieutenants, Antigone, prit, après de nombreux succès, le titre de roi d’Asie (fig. 301 et 302). C’est à cette occasion qu’un poète s’étant avisé de le qualifier de dieu, il répondit simplement : Mon valet de chambre sait bien le contraire, et congédia le poète. Antigone ne parvint pas à reconstituer l’empire d’Alexandre, car les autres généraux s’étant ligués contre lui, il fut vaincu et tué à la bataille d’Ipsus, l’an 301 av. J.-C.

 

LES SÉLEUCIDES. — Trois royaumes se formèrent après la mort d’Antigone des débris de l’empire d’Alexandre. Ce furent ceux de Macédoine, d’Égypte et de Syrie. Nous n’avons à nous occuper ici que de ce dernier qui eut pour fondateur Séleucus Nicator, un des généraux d’Alexandre, victorieux d’Antigone à la bataille d’Ipsus. Sous le nom de Syrie, Séleucus Ier, Nicator réunit sous le même sceptre la plus grande partie de l’Asie, et c’est de lui que vient le titre de Séleucides, que portèrent les princes qui régnèrent après lui. Les médailles de Séleucus Nicator ont, comme emblème, des cornes, en souvenir d’Alexandre, et des ailes, que portent quelquefois les Séleucides, par allusion à Persée de qui ils prétendaient descendre (fig. 303 et 304) ; au revers on voit une victoire et un trophée.

Ces emblèmes, toutefois, ne sont pas ceux qu’on trouve le plus communément aux Séleucides, qui portent plus souvent le diadème, emblème habituel des rois grecs de la période macédonienne. C’est cet emblème que nous voyons (fig. 305) à Antiochus Soter, fils et successeur de Séleucus Nicator. Le diadème des rois grecs est un large bandeau blanc attaché autour de la tête et noué par derrière. Une figure d’Apollon assis se voit au revers de cette médaille (fig. 306), dont les emblèmes sont absolument grecs, comme tous ceux qui se rattachent aux Séleucides

La puissance des Séleucides reçut une première atteinte sous le règne d’Antiochus Soter. Les Gaulois firent irruption en Asie Mineure et s’emparèrent d’une partie de la Phrygie, qui prit d’eux le nom de Galatie. Le royaume de Pergame se forma à la même époque, et l’on vit bientôt les Parthes former un État indépendant. D’autres États tentèrent peu à peu de se constituer aux dépens de l’empire des Séleucides.

Les emblèmes des Séleucides ne varièrent pas beaucoup, comme nous le montre la médaille de Séleucus II, qui porte également le diadème (fig. 307) et dont le revers (fig. 308) présente aussi une image d’Apollon. Le soulèvement des Macchabées sous Antiochus le Grand, et plusieurs autres révoltes fomentées par les Romains, affaiblirent singulièrement l’empire des Séleucides, et les luttes qui survinrent sous Antiochus X (fig. 309 et 310), achevèrent de le ruiner. Il était réduit à quelques provinces, quand Pompée, vainqueur de Mithridate, s’empara de la Syrie qu’il réduisit en province romaine, l’an 64 av. J.-C., et mit ainsi fin à la dynastie des rois grecs.

 

LE DÉMEMBREMENT. — Parallèlement à l’empire des Séleucides et le plus souvent à ses dépens, plusieurs royaumes indépendants s’étaient formés en Asie. Outre le royaume de Pergame, dont nous avons parlé plus haut, la Bithynie, qui avait été mal soumise aux Macédoniens, se constitua en royaume indépendant et en dehors des Séleucides. Parmi les rois de Bithynie, il faut citer : Nicomède Ier, qui appela les Gaulois en Asie Mineure et les établit en Galatie ; Prusias Ier qui donna asile à Annibal, après la prise de Carthage par les Romains ; Nicomède II, qui eut un règne fort long et fut l’ami de Mithridate (fig. 311 et 312) ; enfin, Nicomède IV, qui légua par testament son royaume aux Romains, l’an 75 avant J.-C., et fut le dernier des rois de Bithynie. Les emblèmes de ces rois ne diffèrent pas de ceux des autres rois grecs.

Il en est de même pour les rois de Cappadoce et de Pont sur lesquels nous ne nous étendrons pas, malgré leur importance historique ; parce que, au point de vue de nos étudiés, ils ne nous offriraient rien de particulier. On sait que Mithridate, qui fut un des plus terribles adversaires des Romains, avait réuni sous le même sceptre le Pont et la Cappadoce et une grande partie de l’Asie Mineure.

Nous donnons, à cause de sa coiffure, un roi de Characène (fig. 313), pays situé au sud de la Babylonie, et qui après avoir été un moment indépendant fut réuni au vaste empire fondé par les Parthes.

L’Arménie, vaste plateau situé au pied du Caucase et qui renferme les sources du Tigré et de l’Euphrate, sut de bonne heure s’affranchir du joug macédonien, mais les diverses contrées de ce pays paraissent avoir obéi longtemps à des souverains indépendants les uns des autres, et l’histoire politique de l’Arménie dans cette période ne prend d’importance qu’avec Tigrane. La série numismatique des rois d’Arménie nous offre quelques particularités dans la coiffure dignes d’être signalées.

La figure 314 nous montre le roi Samès, sur lequel l’histoire ne nous apprend rien, sinon qu’il fonda la ville de Samosate, où naquit plus tard Lucien. La figure 315 représente son successeur Xerxès qui épousa la sœur d’un roi de Syrie qu’on présume être Antiochus IV Épiphane. Ces deux personnages portent une espèce de bonnet qui parait avoir été de substance molle, et dont la forme est assez semblable à celle du bonnet phrygien, avec cette différence toutefois qu’il n’est pas recourbé en avant.

Le bonnet arménien prend une forme différente, sur une monnaie de Mithridate, jeune prince qui appartenait par sa mère à la famille des Séleucides et qui eut des démêlés avec les rois de Pergame et de Cappadoce (fig. 316). Ici le bonnet est tout à fait conique et se rapproche de la mitre persane : cette coiffure retombe par derrière, de manière à protéger le cou, ce qui peut- faire supposer qu’on s’en servait à la guerre.

Le personnage représenté sur notre figure â17 est Tigrane, le plus illustre des rois d’Arménie. Il s’empara de la Syrie et devint un des plus puissants princes de l’Asie, mais ayant donné asile à son beau-père, le fameux Mithridate, roi de Pont, il attira dans ses États l’invasion des troupes de Lucullus et de Pompée. La figure que nous donnons est tirée d’une médaille frappée à Antioche, qui faisait alors partie de ses États ; la ville personnifiée se voit au revers (fig. 318) ; avec le fleuve Oronte à ses côtés. Tigrane porte une mitre orientale richement décorée, qui se découpe par le haut en petits angles égaux et retombe sur le cou pour le protéger.

La statue de Tiridate (fig. 399), roi d’Arménie, nous montre un costume tout à fait asiatique : le pantalon est très caractéristique ; la coiffure diffère beaucoup de celles que nous avons vues aux autres rois de cette contrée.

La Bactriane, située au delà de la mer Caspienne, ne pouvait manquer, par suite de son éloignement du centre, de se détacher promptement de la monarchie des Séleucides. Sous Antiochus II elle forma un État indépendant, qui fut gouverné, au moins à l’origine, par une dynastie de princes grecs. Des médailles, récemment découvertes pour la plupart, reproduisent les traits des rois à demi barbares, pour qui elles ont été faites.

La figure 320 représente Eucratide. Tout ce qu’on sait sur ce prince est contenu dans un passage de Justin : Eucratide conduisit beaucoup de grandes guerres avec valeur ; il en était épuisé, lorsqu’il soutint avec trois cents soldats un siège contre Démétrius, roi des Indiens, et par de continuelles sorties finit par vaincre une armée de soixante mille hommes. C’est pourquoi, délivré le cinquième mois du siège, il s’empara de l’Inde. Il en revenait, lorsqu’il fut assassiné par son fils, qu’il avait associé à la royauté. Celui-ci, loin de dissimuler ce parricide, comme s’il eût tué un ennemi et non un père, poussa son char sur ces restes sanglants et les fit rejeter sans sépulture. Eucratide marque le point culminant de la puissance greco-bactrienne.

La médaille d’or d’Eucratide, récemment acquise par le cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale, est un des morceaux les plus précieux de la collection. Le roi de Bactriane, vu de profil, est coiffé d’un casque à larges bords et à longue crinière. Les bouts du diadème descendent derrière les épaules, ce qui prouve que les rois de Bactriane, comme ceux de la Macédoine, portaient cet insigne même avec le casque (fg. 320). Le revers de cette médaille représente Castor et Pollux.

Notre figure 321 montre un autre roi de Bactriane, Anti-Alcides : celui-ci est coiffé d’un simple pétase, qui laisse apercevoir le diadème dont le front est ceint. La figure 322 nous montre un roi coiffé d’une tête d’éléphant, sans doute par allusion aux guerres que les rois de Bactriane avaient continuellement avec les rois de l’Inde, qui combattent toujours montés sur des éléphants.

 

LES PARTHES. — Vers l’an 256 avant J.-C., les Parthes, peuple scythe établi au sud de la mer Caspienne, et qui avait subi tour à tour le joug des Perses et des Macédoniens, se détachèrent de la monarchie des Séleucides et se donnèrent des rois particuliers. Ces rois s’appellent tous Arsace, qui est le nom du fondateur de la dynastie, mais ils y ajoutent un nom particulier qui les fait reconnaître. Les rois Parthes Arsacides devinrent tellement puissants, que l’empire qu’ils fondèrent comprenait tous les pays compris entre la mer Caspienne et le golfe arabique ; ils disputèrent avec succès l’empire du monde aux Romains. Ils ont opéré une réaction contre les idées et les goûts de la Grèce, apportés en Orient par les Séleucides, et ont affecté en général de porter un costume asiatique.

L’accroissement rapide, de la puissance des Parthes remplissait d’étonnement les historiens romains. Les Parthes, dit Justin, aujourd’hui maîtres de l’Orient et comme de moitié avec les Romains dans le partage de l’empire du monde, étaient des exilés scythes. Leur nom même le prouve ; car en langue scythe, Parthe veut dire exilé. Du temps des Assyriens et des Mèdes, ils furent, de tous les Orientaux, les plus inconnus. Dans la suite, lorsque l’empire de l’Orient passa des Mèdes aux Perses, traités comme un peuple vil et sans nom, ils devinrent la proie des vainqueurs. Enfin, quand les Macédoniens eurent triomphé de l’Orient, ils les asservirent. Étrange fortune de ces peuples qui les éleva au plus haut degré de la puissance et leur soumit ceux dont ils avaient d’abord été les esclaves ! Rome même, à l’époque de sa plus grande puissance, leur fit trois fois la guerre par ses plus illustres généraux, et, seuls de toutes les nations, non seulement ils furent ses égaux, mais encore ses vainqueurs.

Le même écrivain nous donne ensuite quelques détails sur les mœurs de ce peuple.

Pour varier leurs plaisirs, dit-il, les Parthes ont chacun plusieurs femmes, et nul crime n’est puni chez eux plus sévèrement que l’adultère. Aussi, non seulement l’accès des festins, mais même la vue des hommes est-elle interdite aux femmes. Ils ne vivent que de leur chasse. Ils sont toujours à cheval ; c’est à cheval qu’ils combattent, mangent, exercent leurs fonctions privées ou publiques ; c’est à cheval qu’ils voyagent, s’arrêtent, trafiquent et conversent ; et ce qui distingue les’ esclaves des hommes libres, c’est que les uns vont toujours à cheval, et les autres à pied. Ils n’ensevelissent pas les morts ; ils les donnent à dévorer aux oiseaux et aux chiens, et enterrent seulement les os décharnés. Les fleuves sont, parmi leurs dieux, l’objet d’un culte particulier. La hauteur, la turbulence, la fourberie, l’insolence sont le fond de leur caractère ; et la violence est à leurs yeux le partage des hommes, comme la douceur est celui des femmes. Ennemis du repos, soit chez eux, soit chez les autres, ils sont naturellement taciturnes, plus prompts à agir qu’à parler, et également discrets sur leur bonne et leur mauvaise fortune. Ils obéissent à leur chef par crainte et non par honneur. Ardents au plaisir, sobres de nourriture, ils ne tiennent leur parole qu’autant que leur intérêt l’exige.

La série numismatique des rois parthes arsacides est assez nombreuse et nous  présente certains typés intéressants sous le rapport de la coiffure. Les figures 393 et 324 montrent le même personnage, Tiridate (Arsace II), frère d’Arsace Ier, fondateur de la dynastie. Ce prince est imberbe et porte une espèce de bonnet phrygien, ce bonnet, toutefois, ne retombe pas par devant et ressemble beaucoup par la forme à celui que nous avons vu déjà sur la tête de quelques rois d’Arménie.

La figure 325 représente Arsace VI (Mithridate Ier) ; ce souverain, qui a régné pendant plus de cinquante ans, est un de ceux qui ont le plus contribué à la puissance des Parthes, au profit desquels il a relevé en quelque sorte la domination des anciens Mèdes. Son, fils Arsace VII (Phraate II), qui l’avait puissamment secondé dans ses nombreuses campagnes et qui lui succéda, est représenté sur la figure 326.

Ces deux princes portent la tiare médique, ainsi qu’Arsace XI (Sanatrécès) dont nous reproduisons l’image (fig. 327). Cette tiare, diversement ornementée, présente toujours la forme d’une demi-sphère et est entourée à sa base d’un diadème ou ruban qui retombe derrière la tête. Le diadème apparaît seul dans la figure 328 qui représente Arsace XIII (Mithridate III).

Le roi parthe arsacide, dont l’image est reproduite dans les figures 329 et 330, est Arsace XV (Phraate IV). Ce personnage est remarquable par la disposition de sa chevelure à plusieurs rangs, qui paraît être une réminiscence de la coiffure propre aux Mèdes.

Là femme d’Arsace XV, Musa, est représentée sur le revers d’une médaille parthe (fig. 331), dont la face offre évidemment l’image de son mari, bien qu’on l’ait regardée longtemps comme la représentation d’un autre personnage. La rareté des figures de femmes dans les monuments orientaux nous a décidé à donner cette figure, remarquable d’ailleurs par la coiffure et le diadème qui se contourne en arrière après avoir ceint le front.

Les types monétaires, à partir de cette époque, c’est-à-dire du règne de Claude, deviennent, dans tout l’Orient, d’une extrême grossièreté d’exécution, et le diadème étrange d’Arsace XXI (Gotarzès) est assez difficile à comprendre (fig. 332). Celui d’Arsace XXIII (Vologèse Ier) nous montre une forme déjà connue (fig. 333), mais nous appelons l’attention (fig. 334) sur la disposition en nattes de la barbe et des cheveux d’Arsace XXVIII (Vologèse III), contemporain de Marc-Aurèle et l’un des derniers Arsacides.

 

LES SASSANIDES. — Sous les rois parthes arsacides, l’Asie s’était peu à peu déshabituée des coutumes et des traditions que les Grecs leur avaient apportées, mais la véritable réaction contre les idées occidentales fut l’œuvre des Sassanides. Le second empire perse, qui remplaça celui des Parthes dans la haute Asie, eut pour fondateur le Perse Artaxerxés, dont la famille prétendait descendre de la famille royale des Achéménides. Le titre de Sassanides que prirent les rois de cette dynastie vient de Sassan, grand-père d’Artaxerxés. L’abandon total des idées occidentales introduites en Asie par les Grecs et les Romains, et le retour aux mœurs traditionnelles de l’Orient, forment le caractère essentiel de l’époque des Sassanides.

Le costume des premiers Sassanides ne diffère pas essentiellement de celui des derniers Arsacides ; cependant on vit bientôt apparaître certains emblèmes spéciaux qui caractérisent les princes de cette dynastie. Il faut citer en première ligne le globe, probablement emblème solaire, et qui devient ici la marque distinctive des rois. A l’époque de Sapor ce globe est énorme, tandis que, sous ses prédécesseurs, il est d’une dimension plus restreinte.

La figure 335, qui représente Varahran II et sa femme, nous en fournit un exemple.

La calotte qui couvre la tête du prince ressemble à un casque plutôt qu’à une tiare, elle a des ailes et elle est surmontée du globe. L’épouse de Varahran est coiffée d’un diadème qui se termine en avant par une tête d’animal. Nous appellerons spécialement l’attention sur les deux rubans fixés au diadème du roi et qui flottent derrière sa tête au lieu de retomber sur le dos. Cet emblème, qui n’est ici qu’à l’état rudimentaire, mais qui prend ensuite une importance démesurée, demande une explication particulière.

Plusieurs parties importantes du costume des princes sassanides ont leur origine dans le, culte des Perses : dans le nombre, on peut comprendre ces larges bandelettes flottantes, semblables aux ailes du surplis de nos prêtres. Ces bandelettes terminaient le kosti ; c’était primitivement une ceinture mystique portée par les Parsis.

Les Parsis prétendent, dit Anquetil Duperron dans son étude sur le Zend-Avesta, que c’est Djemmid qui, instruit par Hom, a inventé le kosti. Avant Zoroastre, quelques parsis le portaient en écharpe, d’autres le mettaient autour de leur tête ; maintenant, il leur sert de première ceinture.

Chez les princes Sassanides, ces larges rubans plissés se portaient quelquefois comme ceinture, mais toujours on les voit adaptés au diadème et flottant comme des banderoles derrière la tête du monarque.

Le costume des rois sassanides est très visiblement indiqué dans un grand bas-relief dont la signification n’a pu encore être résolue d’une manière bien satisfaisante. Ce bas-relief contient trois personnages, vêtus à peu près de la même façon : nous reproduisons celui du milieu qui est visiblement le roi, puisqu’il porte le globe royal sur la tiare dont il est coiffé (fig. 336).

Nous retrouvons ici, comme dans toutes les figures sassanides, les immenses rubans tuyautés qui partent du diadème et flottent derrière le dos. La tunique à manches est serrée au milieu du corps par une ceinture qui s’agrafe par devant et se termine par deux larges rubans. Elle descend jusqu’aux genoux et laisse alors voir un pantalon bouffant jusqu’en bas qui s’adapte à la chaussure.

L’étude de l’histoire, lorsqu’elle est faite sans l’aide de documents graphiques, nous laisse dans l’esprit des idées et des appréciations singulièrement erronées. Vous souvenez-vous de l’impression qu’on ressent quand on est jeune, en lisant, dans l’histoire romaine, la tragique aventure de l’empereur Valérien ? Ce prince avait tourné ses armes contre la Perse, convaincu sans doute que, nouvel Alexandre, il ferait tout plier sous son joug ; mais la fortune, qui lui avait souri dans bien des circonstances, l’abandonna le jour d’une grande bataille et il tomba entre les mains du roi de Perse, Sapor. Le vainqueur, sans pitié pour son captif, l’employa comme un marchepied dont il se servait pour monter sur son char, et, quand il le trouva suffisamment humilié, il le fit écorcher vif et suspendit sa peau dans un temple. N’est-ce pas qu’au récit de cette histoire l’imagination vous représente Sapor comme un barbare grossier, à la puissante musculature, à la chevelure inculte et hérissée, aux allures abruptes et brutales ? Eh bien, Sapor était exactement le contraire ; c’était un parfait gommeux, peigné, lissé, frisé, parfumé, enrubanné du haut en bas. Il ferait florès dans nos bals publics, et les commis en nouveautés qui, la raie au milieu du front, reçoivent leurs clientes à la porte du magasin, paraîtraient à côté de lui des rustauds mal décrottés.

Pour s’en convaincre, il suffit de regarder (fig. 337 et 338) le portrait de Sapor. C’est une statue qui mesure près de 7 mètres de hauteur ; elle est aujourd’hui renversée, mais elle a subi en somme peu de mutilations, et son excellent état de conservation la rend d’autant plus curieuse. Ce monument, un des plus intéressants parmi ceux des princes sassanides, est placé à l’entrée d’une grotte naturelle, située à l’entrée d’une montagne.

Le monarque est coiffé d’une couronne murale avec des créneaux (fig. 337 et 338), mais qui cette fois n’est pas surmontée du globe, comme nous le montre ci-dessous la figure 339 qui représente le même personnage à cheval. Ici Sapor est debout, et son costume royal est bien caractérisé. Les cheveux, soigneusement bouclés, ressortent par la partie supérieure et s’étendent en longues mèches flottantes de chaque côté de la figure. Un riche collier orne le cou ; le vêtement consiste en un justaucorps d’une étoffe flexible et un pantalon collant. M. Texier fait observer que le manteau, qui de tout temps fut un des attributs de la puissance royale, a été délaissé par les princes de la dynastie sassanide ; en revanche, il y a une profusion de rubans comme on n’en a jamais vu chez un roi guerrier. Il y en a même qui semblent fort gênants, et ceux qui tiennent à sa chaussure, notamment, devaient, singulièrement embarrasser sa marche Pourtant, ils font incontestablement partie de son costume habituel, car on les retrouve, flottants sous ses pieds, dans les nombreux bas-reliefs où Sapor est représenté à cheval.

Ces bas-reliefs, qu’on retrouve en grand nombre dans toutes les contrées où ont régné les princes sassanides, sont généralement taillés dans le roc et présentent presque toujours des variantes d’un thème unique, dont le sujet principal est le triomphe de Sapor sur Valérien.

Dans celui que nous reproduisons, le roi de Perse porte la couronne murale surmontée du globe : il est, d’ailleurs, parfaitement reconnaissable à ses petites moustaches pointues et à sa chevelure frisée. Son cheval, dont le poitrail est orné de disques de métal, foule aux pieds un guerrier vaincu. Devant Sapor, l’empereur Valérien, un genou en terre et les mains jointes, semble demander grâce. Des officiers de l’armée perse sont placés derrière lui, et, dans le ciel, un génie ailé présente au vainqueur une corne d’abondance. Suivant M. Texier, cet emblème, essentiellement romain, prouve que le monument a été exécuté par des prisonniers, ou au moins par des artistes venus d’Occident. Ces bas-reliefs, sculptés dans le flanc d’une montagne aux environs de Schiraz, présentent de grandes analogies avec ceux qu’on trouve à Nakeh-y-Roustem, près de Persépolis.

Chosroês Ier, qu’on a surnommé le Grand, est ce roi qui a fait les grandes guerres contre l’empereur Justinien et son général Bélisaire. On a deux portraits de ce monarque, l’un en buste sur une médaille sassanide, l’autre en pied, sur un verre de c6uleur blanche, au fond d’une coupe composée de pièces de rapport en verres de différentes couleurs. C’est ce portrait sur verre que reproduit notre figure 340.

Voici comment le catalogue de la Bibliothèque nationale décrit cette pièce fameuse : Ce médaillon représente Chosroês Ier, assis sur un trône dont les pieds sont des chevaux ailés. Le dossier du trône se voit à la droite du monarque, par une faute de perspective qui n’étonnera pas sur un monument de cette époque. La couronne est formée d’une mitre ronde sur laquelle paraissent un croissant et des pointes en formé de créneaux ; la mitre est surmontée d’un second croissant portant le globe du soleil d’où s’échappent deux bandelettes flottantes. Le roi est vu de face ; ses cheveux sont partagés en deux grosses touffes frisées tombant sur les épaules ; il a la barbe épaisse, mais courte et non frisée, il est vêtu d’une robe brodée, candys, et s’appuie des deux mains sur le pommeau de son épée enfermée dans un fourreau. De ses épaules partent deux bandelettes, analogues à celles qui font partie de sa couronne, mais plus grandes ; deux autres bandelettes encore plus grandes partent de son buste et flottent horizontalement à gauche ; ce sont les bouts du kosti.

La coupe de Chosroês Ier, était autrefois connue sous le nom de coupé de Salomon. Elle portait cette désignation dans le trésor de l’abbaye de Saint-Denis, qui l’avait reçue en don de Charles le Chauve. On suppose que cette coupe a été prise comme butin par les armées de l’empereur d’Orient, dans les guerres qu’elles soutinrent contre les rois de Perse, mais on ignore l’époque précise où elle est venue de Constantinople en Occident.

Nous appellerons un moment l’attention sur le trône de Chosroês Ier, qui n’est pas sans analogie avec celui dont se sert encore aujourd’hui le schah de Perse. C’est une espèce de lit ou divan muni d’un large dossier, mais d’une forme tout à fait différente de celui que nous avons vus aux rois assyriens, et aux anciens rois de Perse de la dynastie des Achéménides. Avec Chosroês en effet l’antiquité est finie et le moyen âgé commence ; ce prince est contemporain de Justinien, qui bâtit à Constantinople l’église de Sainte-Sophie, le premier grand monument que l’art du moyen âge ait élevé en Orient.