ÉTUDES CHRONOLOGIQUES POUR L'HISTOIRE DE N. S. JÉSUS-CHRIST

 

RESTITUTION DE L’ANCIEN CALENDRIER HÉBRAÏQUE

DEPUIS LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST JUSQU’À LA RUINE DE JÉRUSALEM - 4707-4783, P. J.

ARTICLE Ier — NOTIONS PRÉLIMINAIRES SUR LE CALENDRIER.

 

 

I. Il y a plusieurs espèces d’années, et nous devons ici en distinguer trois principales à cause des trois calendriers différents dont elles forment la base ; ces trois années sont l’année solaire, l’année lunaire et l’année luni-solaire. Comme il importe d’avoir une connaissance sommaire de ces trois années, avant de rechercher la forme de l’ancien calendrier hébraïque, nous traiterons des calendriers de l’année solaire et de l’année lunaire dans un premier article, du calendrier luni-solaire des Juifs modernes dans le second, et du calendrier hébraïque ancien dans le troisième.

II. L’année solaire tropique, ou l’année solaire par excellence[1], est celle qui ramène périodiquement les saisons, c’est-à-dire les équinoxes et les solstices après un intervalle assez régulier de 365 jours 5 heures 48 minutes 51 secondes 2/3.

Cette année est la plus naturelle de toutes, parce qu’elle est réglée sur les grandes phases du soleil, le roi des astres, et c’est en même temps la plus avantageuse, parce qu’elle fixe à des dates constantes les travaux de l’agriculture et les variations atmosphériques des saisons.

La durée exacte de l’année tropique n’a été réellement connue que par les astronomes modernes ; mais sa durée approximative de 385 jours et un quart a été connue plus de vingt siècles avant l’ère chrétienne par les Chinois, les Chaldéens et les Égyptiens. Elle fut connue des Grecs en l’an 4384, P. J., et des Romains encore plus tard, vers l’an 4669 ou 45 avant l’ère chrétienne. Nous croyons que les Juifs anciens l’ont connue dès le temps de Moïse, attendu leurs nombreuses relations avec les Égyptiens et les Chaldéens.

L’année solaire tropique fait la base du calendrier des peuples chrétiens et civilisés, et le seul reproche que l’on puisse adresser à ce calendrier porte sur ses divisions mensuelles de 30 ou 31 jours, divisions qui ne sont fondées sur aucune phase naturelle du soleil ou de la lune, mais sont purement arbitraires.

Ce calendrier ayant été suivi dans tout l’empire romain dès le temps de Notre-Seigneur, nous exposerons ici brièvement l’histoire de son établissement et de ses réformes.

III. Le calendrier julien doit son nom au célèbre dictateur Jules César, qui l’établit à Rome en l’an 4669, P. J., ou 45 avant l’ère chrétienne,

Avant cette époque, le calendrier romain se trouvait dans le plus grand désordre, par suite de l’ignorance des prêtres chargés de sa confection. Jules César, ayant réuni tous les pouvoirs civils et religieux dans une dictature souveraine, voulut remédier au mal, et fit venir pour cet effet l’astronome Sosigène d’Alexandrie.

D’après les avis de celui-ci, le dictateur divisa le temps en périodes de quatre ans, et ordonna de compter 365 jours pour chacune des trois premières années, et 366 pour la quatrième. Il donna au calendrier les mêmes divisions mensuelles qu’il a toujours conservées depuis chez les peuples chrétiens, et il décida que le jour supplémentaire de la quatrième année serait intercalé immédiatement après le 24 février, jour appelé chez les Romains, le 6 des calendes de mars, ce qui leur fit donner le nom de bas sextus à ce jour supplémentaire, et le nom de bissextilis (bissextile) à l’année où il se trouvait.

IV. Par suite de la même réforme, les équinoxes et les solstices furent alors officiellement fixés au huitième jour avant les calendes d’avril, de juillet, d’octobre et de janvier, ce qui revient au 25 mars, 24 juin, 24 septembre et 25 décembre. Ces époques officielles se rapprochaient assez de la vérité, puisque, en cette même année (4669, P. J.), les dates réelles des saisons étaient au méridien de Rome[2] :

Le 23 mars, à 1 h. 20 m. du matin,

Le 25 juin, à 0 h. 50 m. du matin ;

Le 25 septembre, à 11 h. 47 m. du matin

Le 22 décembre, à 2 h. 23 m. du matin.

V. Rome ayant adopté l’année solaire avec la forme du calendrier julien, toutes les provinces de l’empire suivirent peu à peu l’exemple de la capitale. La perception des impôts était dès lors fixée à chaque mois de l’année officielle, et, par cela seul, les Grecs et les autres peuples devaient naturellement cesser l’usage des mois lunaires pour se conformer au calendrier du peuple vainqueur.

Les provinces ne furent pas toutefois obligées d’adopter le calendrier julien d’une manière absolue. Ainsi les Grecs, les Syriens et les Égyptiens continuèrent de commencer l’année à une autre date que celle du premier janvier, et suivirent en cela leur ancien usage ; ils donnèrent aussi aux mois juliens le nom des mois correspondants de leur calendrier.

Voici, du reste, les différentes formes que prit alors le calendrier julien chez les principaux peuples.

VI. Les Grecs reçurent ce calendrier en la troisième année de la cent quatre-vingt-neuvième olympiade, 4689, P. J., ou 25 avant l’ère chrétienne[3]. Mais pendant plus d’un siècle encore, les mois juliens furent appelés du nom du mois grec correspondant ; on finit toutefois par adopter les noms latins et par suivre le calendrier julien, sans aucune modification.

L’année olympique continua de commencer à l’époque des jeux eux-mêmes, c’est-à-dire avec le premier mois lunaire de l’été.

Voici les noms des mois grecs de l’ancien calendrier luni-solaire :

Hécatombéon, juillet ;

Gamélion, janvier ;

Métagitnion, août ;

Anthestérion, février ;

Boédromion, septembre ;

Elaphébolion, mars ;

Mémactérion, octobre ;

Munychion, avril ;

Pyanepsion, novembre ;

Targélion, mai ;

Posidéon, décembre ;

Scyrophorion, juin.

VII. Les Egyptiens adoptèrent le calendrier julien la même année que les Grecs[4], mais avec d’importantes modifications : l’année commença au 29 août chaque mois eut trente jours uniformément, et, à la fin de chaque année, on ajouta cinq jours complémentaires, plus un sixième jour à la fin de la période des quatre années.

On voit par cet exposé que le calendrier républicain de 1793 n’était que la seconde édition du calendrier égyptien établi sous l’empereur Auguste.

Voici les noms des mois égyptiens :

Thot, septembre ;

Phamenoth, mars ;

Paopi, octobre ;

Pharmuthi, avril ;

Athyr, novembre ;

Pachon, mai ;

Choiac, décembre ;

Payni, juin ;

Tybi, janvier ;

Epiphi, juillet ;

Méchir, février ;

Mésori, août.

VIII. Les Syriens ont dû recevoir le calendrier julien à la même époque (4689, P. J.) que les Égyptiens, les Grecs et tous les autres peuples de l’empire. La date de ce changement pour les Syriens n’est appuyée que sur des probabilités historiques ; mais il est certain qu’à l’époque de la ruine de Jérusalem (4783, P. J.), le calendrier julien était reçu chez eux depuis un temps considérable.

Cette dernière remarque est très importante pour l’intelligence parfaite des dates données par l’historien Josèphe ; car, dans l’Histoire de la guerre des Juifs, il indique le quantième des jours suivant les mois juliens, et, au contraire, dans les Antiquités judaïques, il les donne suivant les mois lunaires ; mais alors il ajoute ordinairement les mots κατά σελήνην, suivant la lune. Nonobstant cette précaution de l’historien, un grand nombre d’auteurs, trompés par l’identité des noms syriens pour les mois solaires et lunaires, n’ont pas su les distinguer entre eux dans les récits de l’historien et se sont créé par là de grandes difficultés pour la chronologie.

Voici les noms des mois syriens :

Dius, novembre ;

Artemisius, mai ;

Appellœus, décembre ;

Dœsius, juin ;

Audynœus, janvier ;

Panemus, juillet ;

Pericius, février ;

Loüs, août ;

Dystrus, mars ;

Gorpiœus, septembre ;

Xanthicus, avril ;

Hyperbetœus, octobre.

IX. Nous mentionnerons aussi l’année ecclésiastique des premiers chrétiens qui commençait avec le premier avril et correspondait ainsi à l’année sainte des Juifs, partant du premier Nisan ; mais l’année ecclésiastique était solaire et suivait en tout les mois juliens, au lieu que l’année sainte des Juifs fut toujours luni-solaire aussi bien que leur année civile.

X. Pour compléter cet exposé historique du calendrier julien, nous devons ajouter que les premières années bissextiles éprouvèrent un dérangement notable. Les prêtres chargés de classer ces années ayant mal compris les règles données par Sosigène, plaçaient le jour intercalaire tous les trois ans, tandis que l’intercalation ne devait avoir lieu que tous les quatre ans. Au bout de 36 ans, ils avaient ainsi intercalé 12 jours au lieu de 9, et pour remédier à ce nouveau désordre, l’empereur Auguste dut ordonner en l’an 4706 P. J., d’omettre l’intercalation bissextile pendant les 12 années suivantes, pour compenser ainsi l’excédant des intercalations précédentes. Cette retouche du calendrier julien eut lieu l’année même où fut ordonné le dénombrement général mentionné par saint Luc, un an avant l’incarnation du Sauveur.

XI. Réforme grégorienne. — Le calendrier julien supposait l’année solaire égale à 365 jours et 6 heures, c’est-à-dire 11 minutes environ plus longue qu’elle ne l’est en réalité. Cette différence, assez légère dans l’origine, devait devenir sensible en s’accumulant le long des siècles. C’est ce qui eut lieu en effet. Comme les juifs et les chrétiens avaient pour règle de célébrer la Pâque à l’époque de la première pleine lune qui suivait l’équinoxe du printemps, on s’aperçut, dès le second siècle de l’ère chrétienne, que cet équinoxe arrivait réellement avant le 25 mars, date indiquée par Jules César. Cette différence entre la date réelle et la date officielle fut signalée par les astronomes d’Alexandrie, et produisit tout d’abord quelques divergences pour la célébration de la Pâque dans les différentes Eglises de l’empire romain. En l’an 325, E. C., le concile de Nicée, ayant fait vérifier l’échéance de l’équinoxe au 21 mars, indiqua ce jour pour être désormais la limité initiale de la fête de Pâque.

Cette décision n’était qu’un atermoiement temporaire, car elle laissait subsister la cause du mal.

Douze cents ans plus tard, les astronomes remarquaient que l’équinoxe devançait notablement l’époque du 21 mars, et qu’en réalité il arrivait alors le 11 mars ou dix jours trop tôt. Une différence aussi considérable devait nécessiter une nouvelle et dernière réforme du calendrier, et c’est cette réforme qui fut appelée grégorienne du nom du pape Grégoire XIII qui l’entreprit et en fixa les règles en l’an 1582.

XII. Les différentes sectes protestantes ont fini les unes après les autres par accepter cette réforme papale. Les Russes seuls s’obstinent encore à suivre l’ancien style du calendrier julien, c’est pour cela que leur année est maintenant de 12 jours en retard sur la nôtre, et qu’il leur arrive très souvent de célébrer la fête de Pâques un mois après les catholiques, comme si l’équinoxe tombait toujours au 21 mars de leur calendrier, ce qui revient au 2 avril du calendrier grégorien. Mais les Russes aiment mieux rester en désaccord avec le ciel et la terre, que d’accepter une vérité ou une réforme venant de l’Église romaine.

XIII. Période Julienne. — C’est ici le lieu de dire un mot sur la fameuse période julienne inventée par Jules Scaliger, et que nous avons employée, à l’exemple des autres chronologistes, comme échelle générale des temps avant et après Jésus-Christ.

Cette période a pour éléments les trois cycles les plus célèbres, le cycle solaire de 28 ans, le cycle lunaire de 19 ans et le cycle d’indiction de 15 ans. Ces trois nombres, 28, 19 et 15, multipliés l’un par l’autre, donnent un produit total de 7980 années juliennes. Telle est la durée de la période. L’an 4714 avant l’ère chrétienne est celui où les trois cycles se trouvent avoir commencé en même temps ; l’origine de la période est fixée à cette époque, antérieure à tous les temps historiques ; les trois cycles partent de là pour accomplir ensuite séparément leurs révolutions propres, sans jamais concorder tous les trois ensemble, si ce n’est à la fin de la période entière.

XIV. L’an 4714 de la période correspond à l’an 1 de l’ère chrétienne ; il faut donc, pour rapporter à la période les millésimes chrétiens, ajouter ces millésimes au nombre 4713, et quand il s’agit d’une date antérieure à l’ère chrétienne, il faut au contraire retrancher cette date de l’an 4714[5].

Dans la période julienne les armées bissextiles sont celles qui suivent immédiatement les divisibles de 4. Ainsi l’an 4713 et l’an 4717 sont bissextiles, tandis que l’année 4716 est commune.

XV. Le grand avantage de la période est d’indiquer plus facilement au chronologiste à quel rang du cycle solaire ou du cycle lunaire tombe une année quelconque. En divisant une date de la période par 28, le reste de la division indique, le rang de l’année dans cycle solaire, et si cette date est divisée par 19, le reste en indique le rang dans le cycle lunaire.

Le rang d’une année dans le cycle solaire fait aussitôt connaître la lettre dominicale, comme on le voit par le tableau ci-dessous, et le rang dans le cycle lunaire indique l’épacte de la lune : mais, pour calculer les lunaisons anciennes, nous avons préféré recourir aux tables astronomiques, qui donnent des résultats incomparablement plus exacts.

La période julienne n’a plus les mêmes avantages lorsqu’il s’agit d’années grégoriennes.

XVI. L’année lunaire. — Nous n’avons que peu de chose à dire de l’année purement lunaire, attendu qu’elle n’a d’existence officielle que parmi les Mahométans. Cette année se compose invariablement de 12 lunaisons ou mois lunaires. Chaque lunaison durant en moyenne 29 jours 12 h. 44’ 2’’ 2/3, les douze lunaisons forment, pour l’année entière, un total de 354 jours 8 h. 48’ 32’’.

Les mois ont ici l’avantage d’être réglés sur les phases de la lune, et cet avantage parait avoir été toujours très apprécié des peuples nomades et primitifs, par la raison toute simple que le quantième du mois indique aussitôt le plus ou moins de lumière dont on doit jouir pendant la nuit.

XVII. Mais si le mois lunaire a sa raison d’être, l’année purement lunaire est en elle-même absurde et pleine d’inconvénients ; elle n’est pas en rapport avec les saisons de l’année solaire, et il est impossible de régler sur elle les travaux de l’agriculture. Aussi elle est digne, peur toutes ces raisons, d’avoir été imposée par Mahomet à ses sectateurs. Suivant : les Musulmans, leur prophète aurait eu beaucoup d’attention pour la lune : ils disent qu’il la mit un jour dans sa manche, et ils ont pris le croissant de la lune pour symbole de leur religion.

La différence entre l’année solaire tropique et l’année purement lunaire étant de 10 jours et 22 heures environ, les mahométans comptent 33 ans et 4 jours, lorsque les chrétiens n’en comptent que 32. Depuis le commencement de leur ère, 16 juillet. 622, E. C., jusqu’au 20 juillet 1860, ils ont ainsi gagné 38 années, et ils commentaient à cette dernière époque l’an 1277 de l’hégire.

 

 

 



[1] Les astronomes distinguent trois espères d’années solaires. La première et la plus remarquable est l’année tropique dont nous parlons ici, et qui est basée sur le retour des saisons. La seconde est l’année sidérale de 365 jours 6 h. 9’ 8", laquelle ramène le soleil au même point du zodiaque ou à la même distance angulaire des étoiles ; la différence qui existe entre la durée de l’année sidérale et celle de l’année tropique est connue sous le nom de précession des équinoxes. La troisième espèce d’année solaire est fondée sur le retour de la terre à son périhélie, c’est-à-dire au point de son orbite le plus proche du soleil, retour qui a lieu après un intervalle de 365 jours 6 h. 13’ 55". C’est l’année solaire anomalistique.

[2] Pour avoir les mêmes dates suivant le méridien de Paris, il faut retrancher 42 minutes de temps.

[3] Georges le Syncelle (Lexique ad verbum Αφρικανος) nous a conservé cette date importante, donnée par Jules Africain.

[4] Théon, dans l’Almageste de Ptolémée, Exposition des tables manuelles, édition de l’abbé Halma, p. 30 et 32.

[5] Il y a deux manières de compter les années avant l’ère chrétienne : les astronomes comptent 0 pour l’année qui précède immédiatement notre ère ; les astronomes, au contraire, comptent cette même année comme 1 ou première avant l’ère chrétienne, et la deuxième pour eux n’est ensuite que la première pour les chronologistes. Cela introduit une différence d’un an entre les deux styles pour les dates avant l’ère chrétienne. Il s’ensuit que pour rapporter ces dates à la période julienne, les astronomes les retranchent de l’an 4713, et les chronologistes de l’an 4714.

Dans tout le cours de cet ouvrage, nous avons suivi le style des chronologistes.