ÉTUDES CHRONOLOGIQUES POUR L'HISTOIRE DE N. S. JÉSUS-CHRIST

 

QUATRIÈME PARTIE — CONCORDE DES QUATRE ÉVANGILES

Introduction.

 

 

I. L’authenticité des évangiles repose sur des preuves nombreuses et que nous ne pouvons développer d’une manière complète dans un ouvrage de chronologie. Mais il est difficile de traiter une des questions évangéliques sans toucher la principale de toutes, et, après les attaques plus ou moins ineptes mais audacieuses que l’on a vues s’élever, dans ces derniers temps, contre cette authenticité, nous avons cru devoir lui consacrer ici quelques pages. L’étude de cette question est facile, car la défense de nos Livres saints n’a jamais manqué dans l’Église. Elle a été faite souvent et à différents points de vue, comme on peut le voir dans la grande collection éditée par M. l’abbé Migne sous le titre de Démonstrations évangéliques. Un livre vraiment classique sur ce sujet, c’est l’ouvrage de M. Wallon, intitulé : De la Croyance due à l’Évangile. Cet ouvrage plein de science et de logique avait été publié dès 1859, et il réduisait d’avance à néant toutes les objections importées plus tard d’Allemagne en France. Nous le citerons plusieurs fois, en traitant de l’authenticité des évangiles, dans le chapitre qui va suivre.

II. Les quatre évangiles étant admis comme authentiques, la question chronologique reparaît aussitôt : il faut une nouvelle étude pour établir l’ordre et les dates successives des faits racontés, et tel est l’objet du second chapitre de cette quatrième partie.

Un seul fait se trouve daté avec précision dans les évangiles, c’est le commencement du ministère de saint Jean-Baptiste, rapporté par saint Luc à l’an 15 de Tibère. Les autres faits évangéliques restent sans date précise, et, comme ils ne présentent pas toujours entre eux de liaison nécessaire, il arrive parfois qu’ils ne sont pas racontés suivant l’ordre des temps. Tous les jours un historien intervertit ainsi la suite des événements, lorsqu’il croit répandre par là plus de clarté et de simplicité dans son récit. En parlant d’un personnage, on groupe autour de lui tous les faits qui lui appartiennent, soit qu’ils aient été omis précédemment, soit qu’on doive les omettre plus tard. C’est d’après ce principe que, parmi les trois évangélistes qui ont raconté l’emprisonnement de saint Jean-Baptiste, aucun ne l’a placé où il devait être, pas plus que l’historien Josèphe lui-même. Saint Luc rapporte cet événement par anticipation, en parlant de la prédication de saint Jean avant le baptême de Jésus ; saint Matthieu et saint Marc le rappellent en parlant de la mort du Précurseur, et Josèphe le raconte à propos d’une défaite d’Hérode arrivée encore plus longtemps après. Ce fait suit pour nous faire juger des autres.

III. Les évangélistes diffèrent également sur la manière de raconter les mêmes événements, et il en doit être ainsi, ils écrivaient dans des temps, des lieux et pour des motifs divers ; chacun d’eux a donc suivi l’ordre et donné les détails qui lui ont paru les plus convenables, d’après ses informations personnelles ou d’après le motif qui le dirigeait. Les historiens profanes présentent des différences pour le moins aussi accusées ; Suétone, Dion Cassius, Tacite varient autant et plus que les évangélistes dans la manière de raconter les mômes faits.

Les auteurs sacrés ont ainsi laissé à leur œuvre le cachet de leur personnalité, et, tout en travaillant sur un même sujet, tout en écrivant sous la direction de l’Esprit-Saint, ils ont conservé, dans le style et les formes du récit, une physionomie propre, un caractère distinct. On sait le magnifique symbolisme que la mystique chrétienne nous donne de ces différences : les quatre figures entrevues et décrites par le prophète Ézéchiel : l’homme, le lion, le bœuf et l’aigle, sont depuis longtemps regardées comme étant les emblèmes mystérieux de saint Matthieu, saint Marc, saint Luc et saint Jean.

Suivant la remarque de saint Chrysostome (Homil. I. in Matth.), ces variations de formes confirment la sincérité des auteurs ; elles démontrent qu’il n’y a pas eu entre eux d’entente plus ou moins suspecte, et par cela même leur accord sur le fond est une preuve d’autant plus forte de l’authenticité du récit et de la vérité des faits.

IV. Certes, on peut lire et méditer avec fruit Ies évangiles sans s’occuper de ces différences ; mais, si l’on veut bien con naître la vie du Sauveur, il faut harmoniser les quatre récits, rétablir l’ordre des faits intervertis, et, s’il est possible, déterminer l’époque des principaux événements. Rien ne peut mieux servir à l’intelligence de l’histoire évangélique que de réunir ainsi les quatre historiens et de former un récit complet et non interrompu, en sorte que ces quatre voix différentes composent une harmonie parfaite, s’étendant à toute la vie du Sauveur.

V. Pour atteindre ce but, il importe de constater tout d’abord jusqu’à quel point chaque évangéliste a dû suivre l’ordre des temps. Or c’est en faisant cette constatation, et sans sortir du plan de ces Etudes, que nous verrons, dans un premier chapitre, l’authenticité même des évangiles, l’histoire de leur composition, et l’autorité plus ou moins grande que l’on doit reconnaître à chacun des évangélistes pour le classement chronologique des faits. Après ces premières données, un second chapitre montrera l’ensemble et l’harmonie de tons les faits évangéliques.