ÉTUDES CHRONOLOGIQUES POUR L'HISTOIRE DE N. S. JÉSUS-CHRIST

 

DEUXIÈME PARTIE  — DATE DE LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST

CHAPITRE IV — Jour et heure de la naissance du Sauveur.

 

 

I. Mes frères, observez les jours de fête, et en premier lieu celui de la Nativité, que vous devez célébrer le vingt-cinquième jour du neuvième mois ; après cette fête, vous donnerez la plus grande solennité au jour de l’Epiphanie, dans lequel le Seigneur nous a manifesté sa divinité ; or cette fête doit avoir lieu le sixième jour du dixième mois[1].

Pour bien comprendre ce passage des Constitutions apostoliques, il faut observer que les mois sont comptés ici à la manière des Hébreux, lesquels commençaient leur année sainte au retour du printemps. En appliquant cet usage au calendrier romain, les premiers chrétiens appelaient le mois d’avril le premier de l’année ecclésiastique. Ainsi le vingt-cinquième jour du neuvième mois se trouve être le 25 décembre, et le sixième du dixième mois est le 6 janvier.

Les mois sont toujours cités suivant cet ordre dans les Constitutions, et le même usage a été adopté, dans la suite, par un grand nombre d’auteurs chrétiens, notamment par saint Grégoire de Tours, le père de l’histoire de France. C’est aussi en vertu du même principe que les peuples chrétiens ont, pendant longtemps, commencé l’année à l’époque même de la fête de Pâques, coutume qui a subsisté en France jusqu’au règne de Charles IX.

Cet article des Constitutions suffit pour prouver que les deux fêtes, dont il y est question, remontent aux temps apostoliques ; car, encore que ce recueil n’ait pas été composé par les Apôtres eux-mêmes, il est cependant certain que la date de sa composition s’éloigne peu des temps où ils vivaient, et la manière dont il y est parlé de ces fêtes et de celles qui suivent montre bien qu’elles existaient déjà dans l’Église, avant que l’auteur rappelât aux fidèles l’obligation de les célébrer.

II. Sauf le texte si explicite des Constitutions apostoliques, la tradition et la fête du 25 décembre ne sont guère mentionnées par les écrivains ecclésiastiques des trois premiers siècles.

Georges le Syncelle assure cependant que cette tradition se trouvait consignée dans les ouvrages de saint Hippolyte, lequel écrivait vers l’an 224 de l’ère chrétienne[2] ; or la science chronologique de saint Hippolyte donne un grand poids à son témoignage.

Il est incontestable que la fête du 25 décembre a été célébrée, depuis la plus haute antiquité, par l’Église de Rome et dans tout l’occident ; mais ce n’est qu’au quatrième siècle que les chrétiens d’Orient adoptèrent complètement cette fête, et commencèrent, eux aussi, à la célébrer le 25 décembre. Ils ne connaissaient jusque-là que celle de l’Epiphanie, et quelques uns rattachaient, à ce même jour du 6 janvier, toutes les grandes Manifestations, τά Έπιφάνια, de Notre-Seigneur : la Nativité, l’Adoration des Mages, le Baptême du Sauveur et le miracle des noces de Cana. C’était beaucoup pour le même jour ; la tradition de l’Église Romaine, rapportant la Nativité au 25 décembre, parut mieux fondée que le sentiment contradictoire ; aussi toutes les Églises, ainsi que tous les docteurs d’Orient, s’empressèrent d’y adhérer.

Ce jour de la Nativité, dit saint Chrysostome, a été connu et solennisé, dès l’origine, par tous les peuples qui habitent l’Europe, depuis les rivages de la Thrace jusqu’à ceux de Gadès, et la connaissance de ce jour nous a été transmise à nous-mêmes par les chrétiens de Rome, qui en avaient conservé l’indication précise d’après une antique tradition[3].

Et saint Augustin : L’Église a reçu de l’antiquité et garde avec soin la tradition que le Christ a été conçu et a souffert le 8 des calendes d’avril (25 mars), et qu’il est né le 8 des calendes de janvier (25 décembre)[4].

A la fin du quatrième siècle, tous les écrivains ecclésiastiques partagent le même sentiment, et l’on sait assez quels étaient alors leur nombre et leur érudition.

III. Quant à la fête de l’Epiphanie ou du 6 janvier, on voit, par un passage de Clément d’Alexandrie, que dès l’époque où cet auteur écrivait, c’est-à-dire vers le commencement du second siècle, elle était déjà célébrée par quelques chrétiens, en mémoire du Baptême de Notre-Seigneur[5]. Les Constitutions apostoliques rapportent aussi cette fête au souvenir du même événement évangélique (l. VIII, c. 33), et il semble que l’adoration des Mages n’a été rattachée au même anniversaire que postérieurement.

On peut en dire autant du sentiment qui fixait à cette même date du 6 janvier la naissance du Sauveur. Il parait avoir été inconnu des trois premiers siècles, et Tillemont déclare ne voir aucune preuve qu’il ait jamais été suivi par les Églises d’Asie. Le P. Patrizzi trouve aussi que saint Ephrem (Sermo in natati D.), saint Epiphane (Hœres., 51, § 16), et l’évêque Timothée sont les seuls qui aient émis cette opinion dans leurs écrits[6].

Le même interprète pense que cette opinion de quelques Orientaux a pu venir de la substitution des mois juifs aux mois romains ; il fait remarquer qu’en l’an 4707, P. J., le 25 décembre correspondait au 6 du mois hébreu Tebeth, et ce mois est, en effet, le dixième de l’année sainte des Juifs, de même que janvier se trouve aussi être le dixième de l’année ecclésiastique primitive ; c’est ainsi que le 6 janvier aurait pu être pris plus tard pour le 6 Tebeth[7].

Quelle que soit la valeur de cette remarque, il est juste d’observer que les deux dates du 25 décembre et du 6 janvier ne sont séparées que par un intervalle de treize jours, et que cette différence peut très bien provenir d’une variation des calendriers et ne pas indiquer primitivement deux traditions contradictoires. Encore aujourd’hui, la différence des calendriers julien et grégorien produit un effet semblable, et tout le monde sait que les Grecs et les Russes célèbrent la naissance du Sauveur douze jours après nous, quoique les uns et les autres nous rapportions cette fête à la date du 25 décembre[8].

IV. Malgré les ombres qui couvrent l’origine de la tradition du 25 décembre, il est difficile de ne pas supposer ici le témoignage authentique et certain d’un ap6tre ou d’un auteur ayant puisé aux sources mêmes de la vérité.

Ce jour de la naissance du Sauveur, le plus important de tous dans la vie de la sainte Vierge, avait été certainement remarqué par elle et désigné ensuite aux Apôtres, de même que tous les autres détails racontés dans l’évangile de saint Luc (c. I et II). C’est ainsi que nous savons qu’un intervalle de six mois s’est écoulé entre la naissance de saint Jean-Baptiste et celle du Sauveur, et cette mention nous montre bien que des indications chronologiques avaient été données par la sainte Vierge elle-même. La tradition du jour de la Nativité de Notre-Seigneur a pu aussi être vérifiée sur les registres du dénombrement général, et, s’il est vrai que Tertullien ou d’autres chrétiens aient autrefois consulté ces registres, cela donne une nouvelle confirmation à cette tradition antérieure au siècle du même Tertullien.

Ce qui dut faciliter la mémoire et la transmission de cette date, c’est sa coïncidence avec le solstice d’hiver, alors fixé au 25 décembre, Le Christ a été conçu à l’équinoxe du printemps, et il est né au solstice d’hiver, dit saint Augustin[9]. C’est sous cette formule que les premiers chrétiens ont dû recevoir l’indication de ces deux anniversaires, et cela même concourt à nous expliquer l’opinion divergente relative au 6 janvier, car, si dans l’année romaine le solstice d’hiver était fixé au 25 décembre ; d’un autre coté, dans l’année solaire fixe, que les Juifs conservaient concurremment avec leur année lunaire, la tékupha d’hiver tombait au contraire le 5 janvier[10]. Cette divergence dans le moment initial des saisons expliquerait ainsi pourquoi les occidentaux prétendaient avoir reçu de saint Pierre la date du 25 décembre, et les orientaux avoir reçu de saint Jacques celle du 6 janvier ou plutôt de la nuit du 5 au 6 janvier.

Aussi, malgré la diversité de ces deux traditions, on peut cependant les invoquer toutes deux pour figer la naissance du Sauveur à l’époque du solstice d’hiver et vers le 25 décembre de préférence à toute autre époque.

V. Outre la tradition constante de l’Église, ont peut encore apporter d’autres raisons confirmatives de la même date.

Selon toute apparence, le dénombrement, qui commença dans les provinces en l’an 4707, fut d’abord exécuté en Syrie et en Phénicie, provinces formellement annexées à l’empire, et le royaume allié de Judée ne dut naturellement venir qu’en second lieu, ce qui reporte vers la fin de l’année l’époque du recensement pour Bethléem.

VI. On reconnaît, en étudiant la vie du Sauveur, qu’il a toujours choisi ce qu’il y avait de pire dans les choses humaines. Ainsi il a voulu avoir la naissance la plus pauvre dans l’étable de Bethléem, la vie la plus laborieuse dans l’atelier de Nazareth, la mort la plus cruelle et la plus ignominieuse sur le Calvaire. En raisonnant par analogie, on est porté à traire que le divin Rédempteur des hommes a dû choisir l’époque de l’hiver dans le cercle de l’année, comme aussi le milieu de la nuit parmi les heures de la journée, pour faire son entrée dans ce monde sensuel et orgueilleux. Il voulait en cela comme en tout le reste, expier nos fautes et nous donner l’exemple du sacrifice.

VII. Il faut aussi mentionner l’analogie qu’on a toujours remarquée entre l’état moral de l’humanité, à la venue du Sauveur, et le temps de nuit et d’hiver pendant lequel il a voulu naître. Les ténèbres et le froid étaient alors moins grands dans le monde physique que dans le monde moral.

Comme la sagesse divine ne dédaigne rien, et qu’elle aime à frapper l’homme par le symbolisme des choses sensibles, cette considération n’est pas à dédaigner.

N’oublions pas non plus l’interprétation anagogique donnée par saint Augustin à cette parole de saint Jean-Baptiste : Il faut que Jésus croisse et que je diminue. — L’humiliation étant due à l’homme, dit le saint docteur, Jean est né à cette époque de l’année où les jours commencent à diminuer, et la grandeur étant due à Dieu, le Christ est né lorsque les jours commencent à grandir. (Sermon 21, De Sanctis.)

VIII. Quelques esprits, désireux d’ajouter au témoignage de la tradition un témoignage plus explicite, ont prétendu trouver dans l’Évangile même la confirmation de la date du 25 décembre ; mais après un examen sérieux, on est obligé de reconnaître que les textes qu’ils citent ne contiennent aucune preuve satisfaisante. Nous mentionnerons cependant ces textes ; car il y en a dans lesquels une science plus étendue pourrait un jour trouver quelque lumière. Ainsi l’étoile des Mages, après avoir annoncé aux astronomes orientaux la venue du Messie, pourrait encore aujourd’hui même, à dix-huit siècles de distance, nous éclairer sur l’époque de sa venue, s’il était vrai que la date précise de ce phénomène céleste eût été constatée dans les observations astronomiques des anciens peuples de l’Inde ou de la Chine. Le docteur Sepp prétend, en effet, que les tables astronomiques de ces peuples indiquent une étoile temporaire qui aurait brillé pendant plus de soixante-dix jours, et dont l’apparition coïnciderait à peu prés avec l’époque où il place avec nous la naissance du Sauveur (Vie de N. S. J. C., traduct. 1854, 1 vol., p. 54.)

Malheureusement, l’à peu près qu’il donne est d’un an ou deux. Il serait à désirer qu’une étude sérieuse de ces documents nous apprenne ce qu’il y a d’authentique et de précis dans cette indication.

IX. Faut-il voir une autre donnée chronologique et la désignation d’un mois de l’année dans ce texte de saint Luc : Et au sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé, par Dieu, dans une ville de Galilée appelée Nazareth, à une Vierge nommée Marie et fiancée à un homme de la maison de David nommé Joseph (c. I, 26) ?

Le sixième mois de l’année civile et vulgaire des Juifs était le mois d’Adar qui commençait, en l’année 4707, P. J., le premier mars[11]. La désignation de ce mois confirmerait ainsi la tradition qui place dans le mois de mars l’Annonciation de la sainte Vierge, et dans le mois de décembre la nativité du Sauveur. Il est bien possible que tel ait été le sens de saint Luc ; mais toutefois il semble plus probable, d’après le contexte de l’Évangile, que l’auteur a voulu indiquer ici le sixième mois de la grossesse d"Elisabeth, mère de saint Jean-Baptiste. C’est ainsi, du moins, que la plupart des interprètes ont compris ces mots, sixième mois. L’ange Gabriel dit en effet à la sainte Vierge un peu plus loin : Ce mois est le sixième de la grossesse de celle qui était appelée stérile.

La désignation du mois de mars ici est donc très problématique.

X. Saint Chrysostome, dans un sermon sur la fête de la Nativité, prétend rattacher pareillement la date du 25 décembre à des données évangéliques.

Il parle d’abord du dénombrement de Quirinius, et il pense que les registres de ce dénombrement ont dû être conservés à Rome et servir à constater le jour même de la naissance du Christ. Malheureusement le fait de la vérification de cette date est lui-même incertain.

La seconde indication donnée en preuve par le saint docteur est encore moins acceptable, car il suppose une chose qui est incontestablement fausse, savoir que Zacharie, père de saint Jean-Baptiste, était grand-prêtre des Juifs, lorsque l’ange Gabriel lui apparut.

Voici son argumentation : Le mois dans lequel Jésus-Christ fut conçu était, d’après l’Évangile, le sixième de la grossesse d’Elisabeth ; or ce mois était celui de mars puisque ce fut dans le Saint des Saints que l’ange Gabriel annonça à Zacharie que sa femme concevrait, et que Zacharie n’entrait dans ce sanctuaire, en sa qualité de grand-pontife, qu’une fois l’année, à la fête des Tabernacles[12] que l’on célébrait vers la fin du mois de septembre. Si donc Jean-Baptiste a été conçu à cette époque, Jésus-Christ l’a été dans le mois de mars et il est né incontestablement dans le mois de décembre[13].

Toute cette argumentation tombe devant le récit formel de saint Luc, d’après lequel Zacharie était simplement un des prêtres ou sacrificateurs de la famille d’Abia, désigné par le sort, pour aller, suivant la coutume de chaque jour, entretenir le feu de l’autel et faire brûler l’encens, non pas dans le Saint des Saints, mais simplement dans le sanctuaire ou le lieu saint.

On sait aussi, par l’histoire de Josèphe, que le grand-prêtre des Juifs était alors (de 4692 à 4709, P. J.) Simon fils de Boéthus, et non pas Zacharie.

XI. Une indication plus fondée consiste précisément dans la remarque faite par saint Lue que l’apparition de l’ange Gabriel à Zacharie eut lieu dans le temple, lorsque celui-ci remplissait son office de prêtre. Comme les vingt-quatre familles sacerdotales desservaient le temple à tour de rôle, chacune pendant une semaine, et que Zacharie était de la famille d’Abia, c’est-à-dire de la huitième, il s’ensuit que si l’on pouvait connaître d quelle époque l’une de ces familles a rempli son office, l’on arriverait aussi à connaître l’époque où Zacharie officia dans le temple, et par suite l’époque de la conception de saint Jean-Baptiste, celle de l’Incarnation du Sauveur, qui arriva six mois après, et enfin celle de sa Nativité.

Avant tout, nous devons avouer que cette méthode d’investigation est elle-même assez vague, car il y eut un certain intervalle entre la promesse de l’ange et la conception de saint Jean, et cet intervalle sera toujours impossible à déterminer certainement, quelque court qu’on veuille le supposer. Mais cette indication, malgré son incertitude, offre cependant assez d’intérêt pour ne pas être négligée ici.

Les Juifs donc prétendent[14] que la famille sacerdotale de Joïarib était d’office aux deux époques où le temple fut brûlé, la première fois par les Chaldéens, et la seconde fois par les Romains.

Il est difficile, ou pour mieux dire impossible, d’établir aucun calcul sur la première époque donnée, à cause des intermittences qu’eut à subir le culte sacré pendant la captivité de Babylone et pendant les profanations d’Antiochus Epiphanes ; mais, quant à la seconde, celle de la ruine du temple par les Romains, le calcul parait plus sûr et plus facile.

Josèphe nous apprend, en effet, que le second temple fut pris et brûlé par les Romains le 10 août de l’an 70 de l’ère chrétienne, lorsqu’il renfermait encore un grand nombre de prêtres dans son enceinte. Il est vrai que le sacrifice perpétuel avait été interrompu vingt-trois jours auparavant, le 17 juillet, par le manque de victimes ; mais le sacrifice ne constituait pas uniquement l’objet du culte et du service des prêtres ; ceux-ci ont donc pu et mime dit continuer leur office jusqu’au dernier jour, ne fût-ce que pour l’entretien du feu sacré qui ne devait jamais s’éteindre.

Le 10 août de l’an 70, E. C., ou 4783, P. J., tombe un vendredi ; la famille de Joïarib, qui était la première de toutes avait donc recommencé les tours le samedi 4 août précédent[15]. Or, du samedi 26 avril de l’an 4706, au samedi 4 août de l’an 4783, P. J., il y a 28.224 jours ou 4.032 semaines, pendant lequel temps les vingt-quatre familles sacerdotales ont fait intégralement 168 fois leur office dans le temple. Ainsi, le samedi 26 avril de l’an 4706, la famille de Joïarib entra en fonctions pour desservir le temple.

Pareillement, la famille d’Abia, qui était la huitième, dut remplir le même office du samedi 14 juin au samedi 21 du même mois, et ce serait dans cet intervalle que l’ange Gabriel aurait apparu à Zacharie.

Ceci n’a rien de contraire avec la tradition qui place au 24 juin de l’année suivante, 4707, la naissance de saint Jean-Baptiste ; car nous voyons dans la sainte Écriture que, dans des cas semblables, lorsque Dieu fit annoncer à Abraham, et plus tard à la Sunamite qu’ils auraient un fils, l’événement n’arriva qu’un an après la promesse. (Genèse, XVIII, 10, et Rois, livre IV, c. IV, 16.)

Mais, quelque ingénieux que soient tous ces calculs, les données sur lesquelles ils reposent sont sujettes d des objections telles que le résultat devient lui-même très incertain, et la tradition de l’Église primitive reste réellement comme étant la donnée la plus authentique qui puisse nous instruire sur ce but de nos recherches.

C’est ainsi que, dans les plus grandes questions de l’histoire et de la religion, la tradition est appelée à compléter les données de l’Ecriture sainte, et la Providence l’a voulu sans doute pour nous habituer à incliner notre raison devant I’autorité de l’Église, canal ordinaire de la tradition.

XII. La seule objection sérieuse qui ait été formulée contre la date du 25 décembre, c’est qu’il paraissait extraordinaire qu’à cette époque, dans la saison d’hiver, on fit encore pâturer les troupeaux pendant la nuit, comme cela est dit des bergers de Bethléem. Mais la réponse est facile ; car dans les climats tempérés, comme celui de la Palestine, sous le 32e degré de latitude, et chez des peuples à moitié nomades, le fait est très possible et très vraisemblable.

La même chose se pratique en hiver dans des climats bien plus exposés au froid, comme Casaubon l’affirme de l’Angleterre (Exerc., § 7, p. 174), et Langius du Danemark (De ann. Christi, II, 2).

La date du 25 décembre reste donc comme étant l’époque, sinon certaine, au moins la plus probable de la venue du Sauveur parmi nous.

XIII. Si les écrivains sacrés ont laissé à la tradition le soin de nous instruire du jour de cet événement à jamais précieux, ils sont plus explicites pour en indiquer l’heure. Saint Luc nous donne en effet à entendre que la nuit couvrit de ses voiles l’humble avènement du Christ (II, 8 et 9).

La grande œuvre de Dieu venait de s’accomplir dans l’obscurité, le silence et la solitude, et voici que, témoins de l’humiliation suprême du Verbe incarné, les anges font entendre leur cantique ; une clarté céleste brille au milieu des ténèbres, et les bergers, qui gardaient leurs troupeaux pendant les veilles de la nuit, apprennent, par la voix des anges, la nouvelle de cette grande joie.

L’Église, dans sa liturgie, applique à cette nuit sainte ces paroles du livre de la Sagesse (XVIII, 14) : Tandis que tout était plongé dans le silence, et que la nuit était arrivée au milieu de sa course, votre Verbe tout-puissant, Seigneur, quittant son trône royal, est descendu des cieux parmi nous. Saint Augustin dit sur le même sujet que, dans la naissance temporelle du Sauveur, on vit s’accomplir à la lettre cette parole du psaume 109 : Je vous ai engendré avant l’aurore.

Saint Jérôme nous apprend aussi que c’était une tradition reçue parmi les Juifs que le Christ viendrait au milieu de la nuit (In Matth., XXV, 5). Ce saint docteur applique, il est vrai, cette tradition au second avènement du Sauveur ; mais, dans la pensée des Juifs qui ne distinguaient pas les deux avènements, elle s’applique plus naturellement au premier.

Ainsi, d’après le texte évangélique et d’après les traditions prophétiques et historiques, la naissance du Sauveur a eu lieu vers l’heure de minuit.

XIV. Le solstice d’hiver venait de terminer l’année solaire commune, et, s’il faut accepter la tradition avec toute sa précision, on était alors au vingt-cinquième jour de décembre.

La lettre dominicale de l’an 4707, P. J., étant D, il s’ensuit que le 25 mars tomba, cette année-là, un mercredi, et le 25 décembre un vendredi. Le mercredi avait été, à l’origine des temps, le quatrième jour de la création, celui où la lumière déjà existante prit un corps en s’unissant au globe du soleil, et le vendredi avait été le jour de la création de l’homme.

Le Sauveur aurait ainsi choisi, pour naître comme pour souffrir, en un mot pour racheter l’homme, le même jour qu’il avait autrefois choisi pour le créer.

XV. Ainsi le Sauveur est né sous l’empire d’Auguste et le règne d’Hérode, Tibère et Pison étant consuls, chacun d’eux pour la seconde fois, Simon, fils de Boethus, étant grand-prêtre des Juifs :

La septième année avant l’ère chrétienne vulgaire[16] ;

L’an 4707 de la période julienne ;

Et depuis le commencement du monde :

L’an 5503, suivant l’ère de Constantinople ;

5486, suivant l’ère d’Alexandrie ;

5195, suivant le calcul adopté par Eusèbe ;

4957, suivant l’Art de vérifier les dates[17],

3997, suivant Ussérius ;

3977, suivant la Vulgate ;

3755, suivant les Juifs modernes.

L’an 2285 depuis la vocation d’Abraham[18] ;

1639 depuis la sortie d’Égypte ;

985 depuis la dédicace du temple de Salomon ;

530 depuis la fin de la captivité de Babylone ;

2 de la 193e Olympiade ;

747 depuis la fondation de Rome, suivant Varron ;

742 de l’ère de Nabonassar ;

306 de l’ère des Séleucides ;

39 depuis la réforme du calendrier par Jules César ;

31 depuis le règne effectif d’Hérode à Jérusalem ;

25 depuis la bataille d’Actium ;

20 de la cinquième période Callippique ;

3 du cycle solaire de 28 ans ;

14 du cycle lunaire de 19 ans ;

Et pour le jour, le VENDREDI 25 décembre de l’année julienne régulière, ou le 22 décembre romain, par suite des fausses intercalations de la bissextile ;

Le 4 du mois lunaire, appelé Tebeth chez les Juifs et Gamélion chez les Grecs ;

Le 3 Tybi de l’année vague des Égyptiens et le 29 Choeac de leur année fixe.

Le solstice d’été, que Jules César avait cru devoir fixer comme arrivant ce jour-là même, 25 décembre, avait réellement eu lieu un peu plus tôt, le 23 décembre, à 7 h. 58 m. du matin.

La lune, encore faible et naissante, avait disparu sous l’horizon le 24 décembre au soir, vers neuf heures. Elle avait été nouvelle le 21 décembre, à 7 h. 19 m. du matin (Tables de Largeteau).

 

 

 



[1] Constitutions Apostoliques, V, 13. Quant à la valeur et à l’authenticité des Constitutions apostoliques, auxquelles nous empruntons ce passage, on peut consulter la savante dissertation écrite sur ce sujet par Siméon de Magistris. Elle se trouve reproduite dans le premier volume de la Patrologie grecque, édition Migne, p. 523 et suiv.

Cet habile paléographe prouve de la manière la plus satisfaisante que, sauf quelques altérations introduites par Paul de Samosate, les Constitutions sont réellement l’œuvre de saint Clément, pape et disciple des Apôtres et de saint Hippolyte, évêque de Porto.

[2] Voir Patrizzi, De Evangeliis, t. III, diss. XIX, n. 54 et 55, et Georges le Syncelle, Chronographie, p. 315 (Paris, 1652).

[3] Sermo de Natali Christi. — Opera S. Chrys., t. II, p. 354, édit. Montfaucon.

[4] De Trinitate, l. IV, c. 5.

[5] Clément d’Alexandrie rapporte cette fête au onzième jour du mois égyptien Tybi, jour correspondant au 6 janvier (Stromates, l. I, § 21).

Le même auteur parle aussi d’opinions particulières émises ou plutôt hasardées de son temps en Égypte, touchant le jour anniversaire de la Nativité. Quelques esprits curieux, dit-il, prétendent que le Christ est né le 25 du mois Pachon (21 mai), et plus loin il en cite d’autres qui rapportaient le même anniversaire au 24 ou 25 Pharmuthi (19 ou 20 avril). Clément d’Alexandrie ne suggère aucune raison à l’appui de ces deux opinions, dont il fait assez peu de cas, et qui n’ont laissé aucune trace dans l’Église. Elles paraissent même n’avoir été qu’une fausse interprétation du texte des Constitutions apostoliques : en effet, c’est le même quantième du mois (le vingt-cinquième jour), et quant au mois lui-même, comme les Constitutions indiquent le neuvième, sans le spécifier autrement, les Égyptiens ont fort bien pu appliquer cette indication à leur propre calendrier, dans lequel le mois Pachon se trouve être le neuvième.

Dans un Comput sur la Pâque, composé vers l’an 248, E. C., et faussement attribué à saint Cyprien, l’auteur fait coïncider le jour de la Nativité avec celui de la Pâque tombant cette année là le 28 mars, suivant son calcul. Henri Dodwell (Patrol. lat., de Migne, t. IV, c. 962) et le P. Patrizzi (Diss. XIX, n° 62) pensent qu’il s’agit plutôt, dans cet endroit, de l’Incarnation elle-même que de la Nativité. L’ouvrage est du reste si faible, et renferme tant d’erreurs, que l’opinion de cet auteur anonyme n’a pas grande valeur.

Ces trois opinions sont les seules variantes qui s’écartent des dates beaucoup plus autorisées du 25 décembre et du 6 janvier.

[6] Voir Tillemont, Hist. Ecclés., t. I, p. 441, et Patrizzi, De Evangeliis, t. III, Diss. XIX, n° 29.

[7] Suivant un calcul que nous croyons plus exact que celui auquel se réfère le P. Patrizzi, le 25 décembre de l’an 4707, P. J., a dû tomber le 4 du mois juif. (Voir, à la fin du volume, Restitution du calendrier hébreux, et l’année 4 707.)

[8] Kepler pense aussi que l’opinion relative au 6 janvier a pu venir d’une erreur de calendrier, et que les Orientaux ont pu confondre par exemple le 8 des calendes de janvier (25 décembre) avec le 8 des ides de janvier (6 janvier). De anno nat. Chr., IV, p. 158.

[9] Sermo de tempore, 22, et dans la Patrologie latine de l’abbé Migne, t. XXXIX, c. 1995.

[10] Voir à la fin du volume, Restitution du calendrier hébraïque, art III, n° 3, les Tékupha.

[11] L’année civile des Juifs, qui correspond à l’an 4707, a pu être une année embolismique de treize mois, et alors le mois de mars correspondrait au septième mois de cette année et non au sixième ; nous acons même adopté cette opinion dans la Restitution du calendrier hébraïque ; mais cette année même est une des quatre dont le caractère embolismique est le plus incertain dans la période de soixante-seize ans dont nous avons donné le tableau.

[12] Ce n’était pas à la fête des Tabernacles, mais bien à la fête des Expiations, qui arrivait cinq jours auparavant, le 10 Thisri, que le grand-prêtre des Juifs entrait dans le Saint des Saints. Le 10 Thisri correspondait au 14 septembre en l’an 4706, P. J.

[13] Sermo de Natati inter opera S. Chrysostomi.

[14] Voici, en effet, ce qu’on lit dans l’ouvrage talmudique intitulé le seder-Olam, c. 30 :

Lorsque le temple fut détruit pour la première fois, la semaine touchant à sa fin, et ce fut à la fin d’une année sabbatique. La famille de Joïarib était d’office pour les fonctions sacerdotales, et c’était le neuvième jour du mois Ab. Le second temple fut détruit dans les mêmes circonstances (Patrizzi, De Evangeliis, l. III, Diss. LII, n° 6).

Scaliger cite aussi un autre texte qui prouve que la famille de Joïarib était d’office lors de la destruction du premier temple ; mais il n’y est pas question du second.

[15] Il est probable que les tours de chaque famille commençaient le premier jour de la semaine qui était, chez les Juifs, le dimanche ; mais la tournée du dimanche commençait elle-même le samedi soir, au coucher du soleil.

[16] La naissance du Sauveur n’a eu lieu en réellement que six ans et huit jours avant l’ère vulgaire ; mais, à cause de cet excédant de huit jours, elle doit se placer dans la septième année avant cette ère, suivant la manière de compter des chronologistes.

[17] L’Art de vérifier les dates place le commencement de l’ère chrétienne vulgaire 4964 ans après la création d’Adam, 2292 après la vocation d’Abraham, etc. Comme le Sauveur est né l’an 7 avant cette ère, il faut retrancher ce même nombre 7 de toutes ces dates, pour avoir leur véritable rapport avec l’événement même de la naissance du Sauveur.

[18] Cette date et toutes celles qui suivent sont basées sur les calculs de l’Art de vérifier les dates.