MONSEIGNEUR DUPANLOUP ET M. LAGRANGE SON HISTORIEN

PREMIÈRE PARTIE. — LES DEUX PREMIERS VOLUMES

 

III. — MGR DUPANLOUP ET L'UNIVERS.

 

 

I. — JOURNALISTE CONTRE JOURNALISTE.

Nous abordons cette fois le polémiste qui était en Mgr Dupanloup, et le pamphlétaire qui est en son historien. On pourrait dire que c'est tout l'un et tout l'autre. Chez l'historien, du moins, le panégyriste n'est qu'un servant du pamphlétaire, et ses éloges outrés semblent ne viser qu'à donner au héros une taille de géant, à l'unique fin d'écraser de sa seule mémoire Louis Veuillot et l'Univers.

Qu'on loue tant qu'on voudra le zèle et l'amour de Mgr Dupanloup pour l'Église ; mais qu'on reconnaisse en même temps que cet amour se doublait d'une aversion, que ce zèle s'alimentait d'un désir passionné : l'aversion de l'Univers et le désir de le détruire ou de le supplanter. Oui, trente-huit ans de lutte contre l'Univers, de 1841 à 1879, on pourrait ainsi définir la plus grande partie de sa vie publique. Et cette passion belliqueuse le suivra dans son légataire universel, dans son exécuteur testamentaire, l'abbé Lagrange, sorti, on dirait, du cri virgilien répété :

Exoriare aliquis nostris ex ossibus ultor !

Heureusement pour nous que ce vengeur est loin d'être un Annibal, et que notre Rome n'est pas dangereusement menacée. Pourtant, dès son avant-propos, il nous déclare la guerre sous forme d'un dédain provocateur : Quant aux critiques, dit-il, qui pourraient s'élever, nous dédaignerons celles où nous ne pourrions voit que l'explosion de ces haines implacables, qui sont là, nous dit-on, impatientes de se jeter sur notre œuvre et sur cette grande mémoire. Nos haines, si haines il y avait, auraient été moins impatientes que son prurit de publicité, lui qui a résisté à tant de hauts conseils, quelques-uns partis d'ailleurs que des rangs des chauds amis de l'Univers, qui le détournaient de lancer aussi tôt cette machine de guerre, si pauvrement et si maladroitement outillée. La machine entrée en campagne, nous l'avons laissée longtemps à sa marche innocente, nous contentant de sourire de ces nombreuses éditions enregistrées comme des bulletins de victoire. C'est la prétendue seconde qui est entre nos mains depuis l'origine, mais qui donc a vu d'autre première que celle-ci montée au numéro deux à l'aide de nombreux cartons ? Ainsi procédait l'ami Cousin, qui commençait toujours par une troisième ou quatrième édition, ne différant en rien de la prétendue première que par des cartons et un nouveau titre. Nous avons laissé M. Lagrange six mois à ce petit manège, nous contentant d'un mot çà et là pour lui apprendre que nous le suivions de et c'était tout, tant nos haines étaient peu impatientes ! Enfin, nous voici, pour le servir, sinon suivant son ambition, au moins suivant son mérite.

C'est en 1841 que l'abbé Dupanloup a débuté contre l'Univers. Du premier coup, il l'a voulu tuer et ensevelir dans l'Union catholique, journal légitimiste qui reprochait à Montalembert et à ses amis de l'Univers d'accepter le régime de 1830 et de tout subordonner à la défense de l'Église. Ce fut, en effet, longtemps, à notre avis personnel, le tort ou le malheur de l'Univers d'être trop indifférent à la forme du gouvernement, et de ne pas comprendre combien elle importe à l'Eglise, à sa liberté et à sa défense, jusqu'à ce qu'enfin il soit entré, grâce toujours à Louis Veuillot, dans la pleine vérité politique, comme il avait toujours été dans la pleine vérité religieuse.

Et, pour le faire remarquer en passant, voyez comme il est adroit cet abbé Lagrange, qui vient lancer son lourd factum entre la mort de Louis Veuillot et la mort du comte de Chambord ; entre cette mort et ces funérailles du grand journaliste, qui ont dévoilé ce que le monde catholique tout entier, fidèles, prêtres, religieux, évêques, Pape, avaient pour lui et pour son œuvre d'admiration et de reconnaissance ; et cette mort de Henri V, qui a été l'occasion de reproduire la dernière lettre qu'il eût écrite, cette lettre qui était l'éloge politique ajouté par le dernier roi très chrétien à l'éloge religieux, pour que rien ne manquât au concert universel ! C'était bien choisir son moment.

Donc, en 1841, l'abbé Dupanloup essaya son premier coup ; mais il arriva, dès ce début, ce qui arrivera toujours : c'est que ce fut un coup manqué, et que, deux ans plus tard, l'Union catholique venait mourir entre les bras de l'Univers qu'elle devait tuer. En vain l'abbé Dupanloup voulut-il prolonger la lutte à l'aide d'un comité fusionné de surveillance qu'il aurait dirigé. Cette première fusion ne réussit pas plus que ne réussiront les autres, et Louis Veuillot demeura vainqueur.

Je passe vite sur ces débuts de guerre, que M. Eugène Veuillot a si bien raconté au jour des noces d'or de l'Univers. En cette année 1843, commença, dans sa phase héroïque, la belle campagne pour la liberté d'enseignement, et elle fut tout à la gloire de Louis Veuillot et de son œuvre. C'est lui qui ouvrit la guerre de brochures par sa Lettre à Villemain. Le premier prêtre condamné fut l'abbé Combalot, que l'abbé Lagrange se donne des airs de dédaigner, l'abbé Combalot, ami de l'Univers ; le premier laïque, Louis Veuillot encore, rédacteur de l'Univers ; le premier journal, l'Univers. Et presque tous ceux qui prirent part à cette première campagne, laïques, prêtres et évêques, étaient amis de l'Univers, ses appuis, ses correspondants et ses collaborateurs. C'est alors, raconte toujours M. Eugène Veuillot, que, sous l'impulsion de l'abbé Dupanloup, se forma une coalition ayant pour but d'évincer M. Tactonet de la propriété et de la direction de son journal, et Louis Veuillot de la rédaction en chef ; car, ne pouvant se passer de lui, on voulait bien lui laisser sa plume, mais conduite et corrigée.

L'abbé Lagrange, sans autre preuve que les assertions de M. Foisset, dans sa Vie du P. Lacordaire, suppose Mgr Affre et la majorité des évêques d'alors désolés de la direction donnée à la polémique religieuse par l'Univers et Louis Veuillot. Et de ce premier moment date cette fatigante kyrielle de reproches que se passent, comme une monnaie banale, sans qu'on en puisse arrêter le cours méprisable et méprisé, tous les ennemis de l'Univers, particulièrement les ennemis de race et de famille, à savoir l'école de l'abbé Dupanloup, qui en fournit ensuite tous les ennemis communs, à savoir toute la presse impie. Apreté de ton, témérité d'idées et de discussion, langage injurieux, exaspérant au lieu de convertir, nuisant à la cause qu'on prétend servir et capable de la perdre si elle pouvait être perdue, etc., etc. : quelle mémoire n'est encombrée du souvenir de ces cris mille fois répétés, et jetés, bien souvent, pour unique réponse à l'Univers, dans toutes les polémiques ?

Or, cette monnaie courante, sans valeur aucune, qui l'a frappée le premier, qui l'a mise en circulation, sinon l'abbé Dupanloup ? C'est lui, le plus violent, le plus injurieux des polémistes, qui écrivait de l'Univers, en ces termes mêmes, à Mgr Affre, opposant à l'odieuse caricature qu'il en faisait déjà, le portrait du polémiste habile, modéré, ami des convenances, c'est-à-dire son propre portrait, — il le croyait et l'a toujours cru, — et s'offrant à mieux parler et à tout conduire. Oh ! rien de personnel, en cela, contre Louis Veuillot, assure l'abbé Lagrange la main sur le cœur, et la preuve, c'est que l'abbé Dupanloup faisait tenir en même temps une aumône à Louis prisonnier ! Oh ! ce n'est pas lui qui aurait jamais brisé le roseau battu par l'orage, ni éteint la mèche agitée par le souffle des passions ennemies : il ne voulait que corriger, discipliner le pécheur, et le rendre utile, sous sa main dirigeante, à la cause de l'Église ! Il enrôla dans sa querelle le P. de Ravignan, qui devra se défendre un jour, auprès de son général, de l'influence excessive exercée sur lui par l'évêque d'Orléans ; il enrôla Montalembert, qu'il détacha, lui le premier, de l'Univers, à qui il inspirera de choisir, comme amis plus sûrs, outre les libéraux des Débats, les Hyacinthe et les Dœllinger, qu'il lancera contre l'Univers dans les plus déplorables sorties, et que finalement, au temps du concile, il amènera plus qu'aucun à protester, en haine de l'Univers, contre l'idole du Vatican ; il enrôla même Lacordaire, malgré l'antipathie qu'il eut toujours pour lui ; et, après avoir ainsi suscité contre l'Univers un soulèvement redoutable et levé une armée, il se présenta en sauveur, et proposa de placer le journal sous la direction d'un comité composé précisément des hommes qu'il venait d'armer contre lui. Il feignit d'en laisser la présidence à Lacordaire et de se cacher parmi les simples assesseurs ; mais, en réalité, il espérait bien tout conduire, grâce à l'absence habituelle de plusieurs et à l'action dominante qu'il exercerait sur les présents, par son activité impérieuse et son autorité de vicaire général. C'est précisément ce qui le perdit et fit tout échouer. L'abbé Hiron représenta à l'archevêque dans quel embarras il serait jeté le jour où, en la personne du plus remuant de ses grands vicaires, son administration semblerait responsable de tout ce qui serait publié par l'Univers, et la coalition fut à vau-l'eau. Au comité, l'abbé Hiron fit substituer la combinaison singulière de deux rédacteurs en chef, Charles de Coux et Louis Veuillot, ce qui ne désarma ni haine, ni ambition. Aussi, l'année suivante, 1846, on leva contre l'Univers la médiocre Alliance, à laquelle l'abbé Dupanloup fit froide mine, moins à cause de sa médiocrité que parce qu'il n'y dominait pas assez.

En attendant mieux, il publia sa Pacification religieuse, faite à une autre occasion. Pacification, paix, ces grands mots, désormais, vont servir de titre ou de programme à la plupart de ses écrits, mais la chose en sera toujours absente. Pax, pax, et non erit pax ! La paix, chant du départ, se changera en cri de guerre. Ici, l'abbé Lagrange ouvre son livre de compte, où sont enregistrés tous les billets de réception complimenteurs, y compris un bref de Grégoire XVI, le premier de la collection, qu'il fera passer successivement sous nos yeux pour y jeter de la poudre. Le suprême appréciateur de la doctrine, écrit-il, le Souverain Pontife parla aussi ; et loin de faire aucune réserve, il combla d'éloges l'auteur de la Pacification religieuse. Il loua sa religion, sa piété, son savoir, sa doctrine, et il le félicita très fort vehementer du zèle vraiment sacerdotal avec lequel il défendait la doctrine de l'Église catholique et sa liberté.

Or, dans ce bref, le Pape dit qu'il n'a pu lire la brochure en entier, mais que les passages qu'il en a parcourus lui prouvent suffisamment les bons sentiments, etc., de l'auteur. Outre que l'abbé Dupanloup n'était pas suspect à Rome, en 1845, comme sera plus tard l'évêque d'Orléans, on voit que le Pape ne s'engageait guère par ces compliments banals, stéréotypés, en quelque sorte, dans tous les brefs de cette nature, même lorsque le Pape n'a rien lu du tout. Or, ayant lu quelque chose, sans indiquer quels passages, Grégoire XVI pouvait, sans se compromettre, multiplier les mots élogieux, car nous, qui croyons avoir tant de réserves à faire sur le mauvais libéralisme de la Pacification, nous n'hésiterions pas à faire ainsi l'éloge de cette Pacification même, comme de tout autre écrit de l'abbé Dupanloup, où il y a toujours, en quelque endroit, religion, piété, zèle, etc. L'abbé Lagrange lui-même est bien contraint d'avouer que si l'on traitait dogmatiquement la question de liberté débattue dans la Pacification, on pourrait arriver à plus de précision et de rigueur. Mais, ajoute-t-il, l'abbé Dupanloup n'entendait en aucune façon poser des thèses dogmatiques. Il ne s'y entendait guère plus qu'il n'entendait ; il suivait, comme toujours, son instinct et son penchant libéral ; et jamais, en aucune matière, il ne réussira à poser une thèse dans la rigueur et la justesse soit de l'idée, soit de l'expression dogmatique.

Protestons en passant contre l'abus général que l'on fait des brefs du Pape, qui ne valent bien souvent, au profit des auteurs, que par la bénédiction qui les termine ; protestons plus haut contre l'abus particulier qu'en fait déjà et qu'en fera plus tard l'abbé Lagrange, comme nous le démontrerons. En présence d'un tel abus, j'ai entendu quelquefois réclamer contre la vaste complaisance et l'excessive libéralité des Souverains Pontifes. Mais jamais, grâce à Dieu, on n'empêchera les papes d'être courtois et polis ; jamais on n'enchaînera l'expansive expression de leur reconnaissance, non seulement pour les services rendus, mais pour les services qu'on a voulu rendre. Mais, quand on veut mettre leurs brefs au service d'une thèse, il faut les savoir lire, ce que ne sait pas, ce que ne peut ni ne veut savoir l'abbé Lagrange, aveuglé et emporté par la passion.

Malgré tant de prétendues approbations, la Pacification religieuse avait froissé les esprits excessifs. Il importait donc à l'auteur de savoir ce qu'en pensait le nouveau Pape Pie IX, dont, en ces commencements, le libéral espérait plus que du peu libéral Grégoire XVI. Il lui importait encore de savoir ce que Pie IX pensait de la grande lutte dans laquelle les catholiques de France étaient engagés et de la tactique qu'il convenait de suivre. Il partit donc pour Rome, et de là il écrivit à Montalembert des récits où l'on devine aisément que tout est à son avantage, tout au détriment des excessifs qu'il n'aime pas : On applaudit aux défenseurs de la liberté de l'Eglise ; on blâme sévèrement, mais sévèrement, je dois l'avouer, les défauts de forme et de modération en toute espèce d'écrits. A qui les applaudissements, à qui le blâme ? Qui ne le voit ? A lui les applaudissements sans partage et sans mélange ! On lui a dit de sa Pacification des paroles d'une telle bonté, qu'il n'ose les redire. On lui a dit que tous les défenseurs de l'Eglise devaient suivre sa voie à lui, la voie de la fermeté et de la modération. Que conclure de telles paroles, que le Pape eût adressées à tout autre et dans les mêmes termes ? Il en conclut, lui, qu'il est seul en parfaite communion avec le Pape, tant sur la nécessité de la lutte que sur la manière de combattre. Il aura toujours cette conviction, et il se trompera toujours !

Rentré en France, il s'affligeait, avec Montalembert, de n'avoir pas un journal. S'ils eussent voulu, ils avaient bien l'Univers. Mais l'Univers, disaient-ils, c'était la queue menant la tête, péril qui effrayait l'abbé Dupanloup. En réalité, l'abbé Dupanloup aspirait à être la tête unique, portant et menant toutes les têtes, et traînant à sa suite toutes les queues, comme nous le verrons en toute sa vie. Donc, l'Univers les désolait. Peu goûté de la majorité des évêques, continue l'abbé Lagrange, — toujours sans preuves et contre l'évidence des faits, — son action s'étendait dans les masses profondes du clergé secondaire : ce qui est vrai, croyons-nous, dans une certaine mesure, quelques évêques, et non la majorité, redoutant l'impulsion donnée par le journal vers les doctrines romaines, impulsion à laquelle le clergé cédait avec bonheur. Il est cruel, écrivait Montalembert à l'abbé Dupanloup, de voir ce groupe d'aveugles volontaires frapper à tort et à travers sur toutes les questions, et tout compromettre, y compris Rome, — qui se laissait compromettre et félicitait les compromettants !

L'Ami de la Religion leur était plus sympathique, ne compromettant rien, lui, mais sans les satisfaire pleinement. Dire, écrivait alors Montalembert, que nous n'avons pas un seul journal à nous, un seul journal qui puisse parler et se taire à propos ! — c'est-à-dire dont ils pussent arbitrairement ouvrir et fermer la bouche ! Je gémis comme vous, répondait l'abbé Dupanloup ; et il se remettait avec acharnement à créer un journal, qu'il appellerait Paix sociale. Toujours la paix en mode de déclaration de guerre ! Peu sincère avec lui-même et ne voulant pas s'avouer son mobile secret, il écrivait : Il ne s'agit pas de faire du bien ou du mal à l'Univers ; il s'agit de sauver une situation presque désespérée, pour laquelle l'Univers ne peut rien ; c'est le moins qu'on puisse dire.

Et l'abbé Lagrange ne persiste pas moins à dire que son héros ne souhaitait pas la mort, mais seulement la conversion du pécheur. Et, à l'appui, il cite une lettre à Montalembert écrite de Rome : Pas ici une personne influente qui ne se plaigne amèrement de l'Univers (dans quel monde ?). Un cardinal très influent (lequel ?), le plus capable de tous (nécessairement), me parlait de nouveau d'interdiction possible. J'ai répondu que ce serait une faute immense — à laquelle il eût applaudi ! Et de Liège, ajoute l'abbé Lagrange, quand il fut question de fondre l'Univers dans une autre feuille : Empêchez l'horrible gâchis de l'Alliance absorbant l'Univers. Oui, gâchis, l'absorption de l'Univers dans l'Alliance, qui ne lui plaisait pas, n'y étant pas maître ! Et l'abbé Lagrange conclut : L'abbé Dupanloup, ce jour-là, sauva peut-être l'Univers ! Voilà l'abbé Lagrange, avec ses sûres informations et sa sûre logique !

Cependant, l'abbé Dupanloup en était toujours à la création de son journal, sans que rien sortît de ses flat multipliés. Pendant toute l'année 1847, il remua le monde pour en tirer sa feuille. Lettres, démarches, voyages, négociations de toutes sortes, en un mot, tous ses moyens accoutumés, il mit tout en œuvre, et ne put réussir. Jamais découragé, vers la fin de l'année, il reprit son projet avec une activité nouvelle, et en attendant le journal, il constitua son personnel de rédaction. Un moment, assure l'abbé Lagrange, il fut sur le point d'acheter l'Univers, ce qui, écrivit-il au P. de Ravignan, eût supprimé tous les inconvénients. Qu'en est-il ?

Enfin, après la révolution de 1848, l'Ere nouvelle ayant été fondée par d'autres que par lui, et d'ailleurs ne lui allant ni à lui ni à Montalembert, il se tourna momentanément du côté de l'Univers contre l'Ere nouvelle et Lacordaire. A cette époque, il réalisa son rêve, poursuivi depuis si longtemps, d'avoir un journal à lui, en achetant l'Ami de la Religion, et l'accord entre les deux journaux, né de la lutte commune contre l'Ere nouvelle, fut scellé dans un dîner chez l'abbé Dupanloup lui-même, et se maintint quelques jours. Toutefois, est-ce de lui-même ou un peu poussé par le futur évêque d'Orléans, qui s'entendra toujours si bien contre l'Univers avec l'archevêque de Paris, que Mgr Sibour conçut la prétention de diriger l'Univers, ce qui eût été le mettre au service et à la remorque de l'Ami de la Religion ? L'Univers ayant refusé la direction de l'archevêché, Mgr Sibour créa le Moniteur catholique, à qui l'Univers fit bon accueil, tellement qu'il assista à l'inauguration du nouveau journal, et fraternisa avec lui dans un dîner à l'archevêché même.

En acceptant l'Ami, l'abbé Dupanloup avait la prétention de créer un point d'arrêt et un centre de principes au milieu de l'entraînement et de la folie universels ; et aussi un centre de direction et de conduite au milieu des circonstances difficiles du clergé de France et de l'Eglise en Europe. Voit-on poindre déjà l'évêque universel, l'évêque qui aurait volontiers signé, si le titre n'eût été pris par le Pape : Evêque de l'Eglise catholique ! Il amena à l'Ami sa rédaction de la Paix sociale : le P. de Ravignan, Montalembert, qui devait écrire des deux côtés, M. de Falloux, M. de Champagny, les deux Riancey, émigrés de l'Univers. Brillante rédaction, certes, et qui promettait à l'Ami de beaux jours, qui, hélas ! filèrent vite.

A cette nouvelle, dit l'abbé Lagrange, il y eut dans un vif sentiment de joie. Inaugurant son procédé d'encycliques, l'abbé Dupanloup adressa à tous les évêques une circulaire renfermant un programme, le programme simplement de tout journal religieux, et, de plus, la promesse de travailler de concert et de paix avec les autres journaux, — contre qui ii allait partir en guerre ! Naturellement, il reçut des réponses flatteuses de beaucoup d'évêques, même de l'évêque de Langres, réponses, par conséquent, dont il serait difficile de rien conclure contre l'Univers. Il écrivit aussi au Pape, déclarant que lui et les siens se portaient non en agresseurs, mais en défenseurs, ce dont le Pape le félicita, en ajoutant, à l'adresse de tous, un texte de saint Augustin, où l'on voudrait bien voir la condamnation de la polémique adverse. Mais, s'il y a Augustin, il y a Jérôme, qui aurait été un si excellent rédacteur de l'Univers !

Voilà ce que l'abbé Lagrange appelle, dans son emphase accoutumée, les étonnants encouragements de Pie IX. Rien là que d'ordinaire : c'est ce qu'il aurait dit à n'importe qui, en pareil cas ; ce qu'il a dit en toute rencontre au sujet de la presse religieuse. Puissance d'un homme et d'un nom ! s'exclame ensuite l'abbé Lagrange. Il était né journaliste ! — Sans aucun doute, plus journaliste qu'autre chose ; et c'est pourquoi il aurait dû ne pas tant batailler contre un plus grand journaliste que lui, à savoir Louis Veuillot, à moins qu'on ne suppose que cette supériorité manifeste l'importunait ! Il réussit à galvaniser l'Ami et à lui inoculer une brillante vie de quelques jours. Après quoi, il y eut déclin rapide, entre les bras des Cognat et des Sisson, soutenus pourtant à distance par le nouvel évêque d'Orléans, jusqu'à ce qu'enfin le journal finît, non pas même en fleuve épuisé se perdant dans les steppes, mais en vendu se livrant dans une antichambre de ministère.

Dans les premiers jours, l'abbé Dupanloup y publia une série d'articles pour la défense de la souveraineté pontificale. Sa voix ne se perdait pas dans le vide, comme tant d'autres voix catholiques et même épiscopales. Il les réunit en brochure et les envoya, sous cette formel à Pie IX, qui nécessairement l'en remercia et l'en félicita, comme il n'a jamais manqué de le faire envers personne. Mais, comme l'insinue l'abbé Lagrange, sa voix seule s'élevait-elle et était-elle écoutée dans ce concert de voix catholiques pour la défense du Saint-Siège ? L'Univers, sans parler de nos évêques assez lestement exécutés tout à l'heure, ne disait-il rien, ou sa voix était-elle étouffée sous l'éclat de la voix de l'abbé Dupanloup ? Lui seul, lui toujours, lui partout, ainsi l'abbé Lagrange veut nous le faire accepter !

Malgré tant de rivalités, d'intrigues et d'embuscades, une certaine paix et un certain accord régnaient donc, en 1849, dans le parti catholique et la presse religieuse, lorsque la loi d'enseignement vint tout troubler et tout dissoudre.

 

II. — LA LOI D'ENSEIGNEMENT.

C'est en 1843, nous l'avons vu, que s'ouvrit la grande campagne pour la conquête de la liberté religieuse, et en particulier de la liberté d'enseignement. Avec quelle ardeur, quel Courage, quel éclat, nous l'avons vu encore ; mais n'oublions jamais que c'est l'Univers et Louis Veuillot, récemment appelé à diriger en chef le journal, ou qui la conduisirent, ou qui centralisèrent l'action, ou qui appelèrent à eux les plus illustres combattants. Alors l'Univers et Montalembert marchaient d'un concert parfait, et avec eux tout le parti catholique. C'est à l'Univers que les évêques adressaient leurs lettres vaillantes, par-dessus tous l'évêque de Chartres, dont les lettres contre l'Université se succédaient violentes, enflammées malgré son âge. C'est M. Lagrange qui se permet de caractériser ainsi ces merveilles de zèle épiscopal, en se gardant bien, toutefois, de dire que l'Univers avait l'insigne honneur de les publier ; et il ajoute : Cette polémique était nécessaire, mais non sans inconvénients. Puis, la voulant caractériser davantage, il fait siennes ces paroles d'un catholique libéral du bord de l'abbé Dupanloup : Elle semblait aboutir à une accusation d'indignité portée par le clergé contre l'Université. On blessait et on soulevait ainsi un puissant et redoutable esprit de corps. La lutte risquait de s'irriter et de se rapetisser dans les querelles de personnes. Les polémistes subalternes, une fois lancés dans cette voie, devaient être tentés d'accuser à tort et à travers.

Quels sont ces subalternes, accusant à tort et à travers la puissante et innocente Université ? Ce sont tant de nobles écrivains, qui rédigèrent contre elle, aux dépens de leur liberté et de leur bourse, ces réquisitoires si bien motivés, où il était démontré que, non seulement en fait, mais nécessairement et en conséquence forcée de sa constitution et composition, l'Université tendait à détruire la foi chrétienne et perdait la jeunesse française ; ce sont nos évêques eux-mêmes, qui, dans les mêmes termes et avec plus d'autorité, la dénonçaient dans toutes leurs lettres privées et publiques ; c'est, avec ses amis de l'Univers, Montalembert, qui, dès 1831, dans le procès de l'Ecole libre, jeta ce cri flétrissant : Est-ce que nous ne connaissons pas le ventre de notre mère ![1] et qui, en 1844 encore, lança à la face des maîtres de l'Université ce noble défi : Nous sommes les fils des Croisés, nous ne reculerons pas devant les fils de Voltaire ! La bonne tactique est-elle donc de ménager l'ennemi ? Or, quel était l'ennemi, dans cette grande campagne, sinon l'Université ?

Mais voici le grand tacticien, le tacticien de la conciliation, qui, au lieu d'attaquer l'Université, pactisera avec elle et finira par lui donner autorité sur les écoles catholiques ; voici l'abbé Dupanloup, avec sa large indulgence envers les hommes — entendez les hommes hostiles à sa foi, — et sa sévérité injurieuse envers d'autres hommes, c'est-à-dire ses amis et ses frères. C'est en 1844 qu'il entre en lice, et, a dit M. Foisset, répété par l'abbé Lagrange, avec une supériorité dès le premier jour incontestée. Comme, dans cette école, on est expert et empressé à se louer ! Il faudra définir et apprécier cette supériorité prétendue !

Désormais, d'après l'abbé Lagrange, c'est lui qui aura tout fait ou tout fait faire ; et, si d'autres s'en mêlent, ce ne sera que pour tout gâter et tout compromettre ! Or, en cette campagne de 1844, Montalembert était encore heureusement plus à l'Univers qu'à l'abbé Dupanloup. C'était à l'Univers qu'il avait adressé de Madère son éloquent écrit des Devoirs des catholiques, et c'est dans les bureaux de l'Univers que l'écrit se vendait. Dans ce temps, cet écrit même était déclaré par les Débats, journal de l'Université, aussi injurieux pour le fond que les écrits des subalternes, et animé d'un fanatisme plus ardent peut-être, jusqu'à ce point qu'on y trouvait des réminiscences de la Saint-Barthélemy !

L'abbé Dupanloup publiait alors ses deux Lettres au duc de Broglie, rapporteur à la Chambre des pairs du projet Villemain. Ce prêtre, dit l'abbé Lagrange, y parlait aux hommes d'Etat en homme d'Etat, et aux hommes du monde en homme de bonne compagnie, avec une urbanité, une délicatesse, une courtoisie, qui, sans nuire à la vivacité du trait, contrastaient, il faut le dire, avec le ton de certains écrits', et la violence parfois grossière des polémistes subalternes. Il y tient ! Ces subalternes, ces certains écrits, ce sont les rédacteurs et les articles de l'Univers ! Mais l'abbé Lagrange oublie ou veut faire oublier que ces certains écrits subsistent dans les Mélanges de Louis Veuillot, et qu'il suffit d'y recourir pour se convaincre qu'il n'y a ni violence, ni grossièreté, mais simplement une critique du rapport de Broglie allant bien mieux au fond du projet, sans manquer en rien aux égards dus au noble duc. Oh ! vraiment, il n'y a rien là de cette urbanité, de cette courtoisie par trop naïves, qui forçaient Montalembert lui-même d'écrire à l'abbé Dupanloup : Vous lui parlez trop de votre respect et de votre reconnaissance !

D'ailleurs, l'Univers, qui voulait l'accord, ne parla qu'en termes élogieux des Lettres au duc de Broglie, et, pour cette fois du moins, il ne mérite pas les ridicules colères et les impertinents dédains de l'abbé Lagrange. Vraiment, on s'indigne de voir traiter ainsi ces vaillants soldats de la première heure, couverts de poudre et de blessures, qui avaient préparé aux autres une facile victoire ; ces pionniers infatigables, qui avaient ouvert à l'abbé Dupanloup, à la sueur de leurs fronts, la voie où il s'engageait d'un pas si facile et si applaudi. Voulant désormais tout faire et accaparer tout honneur, il chercha à s'emparer de Montalembert. Il se disait plus préoccupé que personne du discours capital que le grand orateur devait prononcer à la Chambre des pairs, le 16 avril 1814, à l'occasion des fonds secrets.

L'Univers ne s'en préoccupait pas moins que lui, et, le beau discours prononcé, il le loua avec plus d'effusion et le défendit plus que personne. Car, à cette date, Montalembert, avec plus d'éloquence, si l'on veut, parlait comme l'Univers, et s'attirait les mêmes ennemis et les mêmes reproches, si bien que les Débats, par rancune universitaire, l'accusaient, lui aussi, de compromettre la cause du clergé et du catholicisme, de demander la liberté du ton le plus hautain, de jeter à notre siècle un défi insolent, et de brouiller la France avec tous les princes de l'Europe ! Montalembert était encore tellement avec l'Univers, que c'est lui qui se chargea, un jour que toute la rédaction était à la Cour d'assises, du compte rendu de la séance de la Chambre des pairs, et il le fit avec une verdeur et une ironie tout à fait à l'unisson de celui dont il tenait la plume. Il terminait par cette phrase, condamnation anticipée de plusieurs écrits de l'abbé Dupanloup : Et nunc erudimini... vous qui croyez aux phrases pieuses, aux démonstrations amicales et aux bonnes intentions de ces ministres passés et présents, de ces hommes d'Etat, de ces amis éclairés de la religion, qui la défendent aujourd'hui, en qualité de causeurs, au coin de leur feu, et qui demain, à la tribune, la livreront pieds et poings liés à la verge de ses plus implacables ennemis !

Enfin, le prêtre fit marcher le gentilhomme de conserve avec lui. Ils rencontrèrent sur leur chemin les mêmes haines et parfois les mêmes ingratitudes. De quel côté seront les ingrats et les haineux, on le voit déjà et on ne le verra que trop ! Sans rompre tout à fait avec l'Univers, Montalembert se détacha de ses amis de la première heure, meilleurs pour sa gloire que ne le seront ceux de la seconde, qui prendront de plus en plus sur lui une influence néfaste. Dans ses rapports plus intimes et sa correspondance plus suivie avec l'abbé Dupanloup, sa passion va s'enflammer de jour en jour et de plus en plus éclater, sans que le public en sache rien longtemps, parce que — disons-le à l'honneur des anciens amis — il ne trouvait aucune trace de représailles dans l'Univers, toujours également empressé à louer le grand orateur et à publier ses triomphes.

En 1845, la lutte pour la liberté d'enseignement entra dans une phase nouvelle avec le projet Salvandy. L'abbé Dupanloup publia alors son État de la question. a Ce fut l'occasion pour l'Univers, écrit l'abbé Lagrange, d'ouvrir contre lui les hostilités !... Il publia six colonnes de critiques entremêlées d'ironies. L'Univers se contenta de le plaindre de ces illusions, dont Montalembert lui-même ne le trouvait pas exempt, et dont, sans s'en douter, il avait fait la satire anticipée dans la phrase citée plus haut, avec une ironie plus mordante, certes, que celles de Louis Veuillot : qu'on relise et qu'on compare Ce qui n'empêcha pas Montalembert, alors voué aveuglément à l'abbé Dupanloup, d'écrire à Mgr Parisis : C'est plus qu'une faute, c'est une mauvaise action. L'article a excité ici — où ? dans l'entourage de l'abbé — un soulèvement général. C'est un persiflage insolent, où l'on voit la rancune de cet orgueil indisciplinable qui ne pardonne pas à M. Dupanloup d'avoir essayé de le discipliner. — Allusion à la tentative du comité de surveillance et de direction ailleurs racontée. — Où était la rancune ? Moins, croyons-nous, du côté de Louis Veuillot, le moins rancuneux des hommes, que du côté de l'abbé Dupanloup, l'homme aux ressentiments éternels, qui ne pardonnait pas à Louis Veuillot de s'être soustrait à sa très incommode discipline. En fait et au fond, redisons-le, il n'y a dans l'article qu'une illusion reprochée, et que la permission demandée de voir et d'agir autrement.

Dans cette lettre à l'évêque de Langres, qui se sentait visé par certaines expressions de l'abbé Dupanloup. Montalembert assurait que, malgré l'influence exercée par celui-ci, les anciens défenseurs de la cause catholique n'avaient pas acheté son concours par le sacrifice de leurs convictions ou par une modification dans leur attitude antérieure ; en quoi il subissait le contre-coup contagieux des illusions de son nouvel ami. Il admettait, néanmoins, plusieurs mansions possibles dans le parti catholique comme dans le royaume de Dieu. En réalité, il n'admettait plus que la sienne, c'est-à-dire celle où l'abbé Dupanloup venait de l'emprisonner. On le voit à sa persistance à croire que l'abbé Dupanloup avait augmenté la force du mouvement catholique, que l'abbé détournait de sa voie, ou que plutôt il subordonnait au mouvement du parti adverse. C'est en ce sens seulement qu'il servait d'intermédiaire entre les catholiques et leurs adversaires dans l'Eglise et dans l'Etat.

L'abbé Dupanloup publia alors une seconde brochure sur le projet Salvandy, bonne critique que loua l'Univers, tout en faisant ses réserves sur l'introduction, où était défini, au point de vue de l'auteur, le caractère que doit garder la polémique religieuse. L'Univers, visé dans ces pages, était-il obligé d'accepter une condamnation, et ne pouvait-il pas revendiquer le bénéfice de ces mansions diverses qu'on invoquait tout à l'heure contre lui ?

Les choses restèrent en cet état jusqu'à la loi Falloux, qui rompit le faisceau catholique et fit éclater la lutte fratricide. Guerre inexpiable, pourrait-on dire aussi d'elle, puisque nous la voyons se poursuivre, grâce à l'abbé Lagrange, en un temps où la famille entière, enfin réconciliée, ne devrait plus combattre que pro focis et aris !

C'est l'abbé Dupanloup qui détermina M. de Falloux à accepter le ministère qui lui avait été offert par le prince Bonaparte à l'instigation de Thiers. M. de Falloux hésitait, et ses amis, entre autres Louis Veuillot, ne celaient pas leurs incertitudes ; mais, en emportant contre tous la place d'assaut, l'abbé Dupanloup espérait bien y rester maitre. Une commission se forma pour arrêter un projet de loi d'enseignement. Dans cette commission, pas d'autre prêtre que l'abbé Dupanloup, pas même l'abbé de Cazalès, membre de l'Assemblée[2] ; pas un évêque, pas même Mgr Parisis, alors chef épiscopal du parti catholique. A côté de membres à aptitudes inconnues, toutes les puissances du corps enseignant. Deux hommes y menèrent tout, Thiers et l'abbé Dupanloup. Thiers voulait abandonner au clergé tout l'enseignement primaire, la vile multitude, mais le grand petit bourgeois réservait à l'Université la bourgeoisie et les classes dirigeantes L'abbé Dupanloup et la commission se refusèrent à accepter ce qu'ils regardaient comme un privilège, aimant mieux, sous prétexte de droit commun, réserver tout privilège et tout monopole à l'Université et à l'Etat.

Le projet arrêté et connu, aussitôt, raconte l'abbé Lagrange, grande explosion, non seulement dans le camp révolutionnaire et universitaire, mais dans les rangs de l'Univers, qui l'attaqua avec un acharnement incroyable. L'abbé Lagrange est mal informé, parce qu'il n'a voulu lire que les documents de son parti. L'Univers, ni ne critiqua la composition de la commission, ni ne chercha à pénétrer ses secrets. Le projet paru, il ne l'attaqua, ni tout de suite, ni avec acharnement. M. de Falloux alla chez Louis Veuillot, et eut avec lui un entretien pendant lequel chacun dit ses raisons, et celles de M. de Falloux n'étaient pas à l'honneur du clergé ! M. de Falloux demanda au moins que le projet ne fût pas discuté dans l'Univers avant l'élection de la commission législative qui le devait examiner. L'Univers promit, et tint au delà de sa promesse.

Avant la discussion, il y eut une séance solennelle du comité catholique, la plus nombreuse et la dernière. Deux camps s'y dessinèrent, et se partagèrent entre l'ancienne thèse catholique et la nouvelle thèse de conciliation, que Montalembert posa avec colère. Néanmoins, pendant la discussion, Montalembert tut ménagé, ce qui ne l'adoucit pas. En général, l'Univers discuta sans accuser les intentions, sans injures ni injustice ; mais on ne voulait pas qu'il discutât ; on ne permettait la parole, en dehors de l'Assemblée, qu'à l'Ami de la Religion, organe de l'abbé Dupanloup et des hommes de transaction, seul organe, d'ailleurs, de l'approbation absolue. A la moindre réserve de l'Univers, l'abbé Dupanloup, récemment nommé évêque d'Orléans, écrivait soit dans son Ami, soit dans ses lettres privées : C'est trop d'audace ! C'est un acharnement aveugle et profondément inintelligent. La loi passe toutes mes espérances, accorde tout ce qui a été le rêve et l'ambition de ma vie. Et, après ces excès et ces violences, il faisait appel à la modération !

Dès le lendemain, sur une lecture légère de l'Univers, ou plutôt sur quelque rapport infidèle, il recommençait, et allait jusqu'à accuser les rédacteurs d'orgueil et de jalousie contre les auteurs de la loi, c'est-à-dire qu'il leur attribuait des sentiments ignobles. Hier, ils n'étaient qu'aveugles et stupides, aujourd'hui ils étaient malhonnêtes ! Par-dessus tout, c'étaient des violents, des agitateurs emportés des esprits et des consciences, des usurpateurs de la liberté et des droits de l'épiscopat, un péril pour l'Église et la société ! Du côté des partisans de la loi, il n'y avait, au contraire, que publicistes éminents, hommes d'Etat généreux, catholiques illustres, etc. ! Et, le cœur toujours gros, même après tant d'expectorations, il s'épanchait dans l'intimité : L'Univers continue à faire de grands maux, il devient une plaie vive dans l'Eglise.... Je suis profondément humilié pour l'Église. Et le naïf historien ne manque pas de faire écho : Oh oui, sainte Eglise, il faut savoir souffrir pour te bien servir ! — Voyons, qui l'a le mieux servie, à ce compte ? Qui, avant, pendant et après, a su le mieux souffrir pour elle ? L'abbé Lagrange avoue pourtant que ce n'était pas une loi idéale. Mais, ajoute-t-il, c'était tout le possible ; et il répète un mot de M. de Melun, que tous les partisans se sont passé sans contrôle : Une concession et une exigence de plus entraînaient le rejet.

Or, on avait refusé les concessions de Thiers, et on allait exiger et obtenir les Jésuites, repoussés du premier projet avec toutes les congrégations non autorisées, ce qui explique le premier acharnement de l'Univers et justifie ses plus fortes objections[3]. N'eût-on pas pu obtenir davantage ? Mais non, depuis des années, on était résolu à une transaction, ou plutôt à un abandon des principes qui fit rejeter les meilleurs amendements, par exemple ceux de l'abbé de Cazalès. Cependant, les évêques étaient inquiets et gardaient un silence qui inquiétait à leur tour l'abbé Dupanloup et Montalembert. Aussi multiplièrent-ils les démarches les plus habiles et les plus empressées pour forcer leur approbation. Mais, pendant que les voix les plus autorisées, comme celle de l'évêque de Chartres, s'élevaient contre, ils ne rallièrent qu'une trentaine d'adhésions épiscopales, et encore confidentielles, qui ne furent révélées qu'à la fin de la lutte, par une sorte d'indiscrétion, et ne parurent qu'incertaines et douteuses, se bornant à dire que le projet valait mieux que le statu quo.

Ces adhésions furent portées à Rome, avec dénonciation des violences d'une certaine presse. Malgré cette pression à double jeu, Rome garda le silence, et ne parla qu'après le vote pour rassurer les consciences et rétablir la paix. L'abbé Lagrange, à la suite de ses patrons, force le sens de l'instruction envoyée au nonce Fornari, et répétée dans la lettre du nonce aux évêques. Cette lettre commençait par déclarer que l'Eglise ne pouvait donner son approbation à ce qui s'oppose à ses principes et à ses droits, paroles, nous l'allons voir, qui impliquaient la condamnation de la loi votée. La lettre ajoutait néanmoins que l'Église sait, en certains cas, supporter quelque sacrifice compatible avec son existence et ses devoirs, pour ne pas compromettre davantage la religion et lui éviter une position plus difficile. En conséquence, elle recommandait l'union, invitait à profiter de ce que la loi pouvait avoir de bon, et, plus particulièrement, autorisant les évêques à entrer dans les conseils de l'instruction publique, elle exhortait à s'entendre pour le choix des quatre qui devaient faire partie du conseil supérieur.

La loi votée, l'Univers protesta pour décliner toute responsabilité. Fidèle, comme il le disait, au vieux drapeau, au drapeau de la séparation, de la destruction du monopole, de la répulsion de toute mainmise de l'État sur les maisons catholiques, il refusait d'entrer dans ces pactes et transactions où il ne voyait de liberté ni pour l'enseignement, ni pour la conscience, ni pour la famille, ni pour l'Église. Repassant sur la part qu'il avait prise à la lutte, il ne se reprochait rien, sauf quelques vivacités de langage, dont il demandait pardon. Du reste, il s'en rapportait à l'épiscopat, et s'offrait à renouer avec ses anciens amis. En effet, Montalembert reparut au journal, la paix se scella dans un déjeuner chez M. de Falloux, et l'unité du parti sembla se refaire, en attendant la rupture définitive qui se devait opérer sur un autre terrain. Quoi qu'en dise l'abbé Lagrange, Mgr Dupanloup demeura seul sur le pied de guerre.

Au fond, qui avait été dans la vérité et dans le droit, et à qui les faits ont-ils donné raison ?

Les auteurs de la loi, et particulièrement l'abbé Dupanloup, qui a tout inspiré et tout conduit, se placèrent sur le terrain du droit commun et des libertés publiques, et non du droit spécial et de l'autorité de l'Église ; ils voulurent faire une loi d'expédients et non de principes. Faux point de départ, qui sera toujours celui de Mgr Dupanloup ; thèse mal posée, qui explique tous les défauts et toutes les lacunes de la loi. L'Église était seulement admise à partager le monopole avec l'État et l'Université, qui, d'ailleurs, lui faisaient la part petite et soumise, puisqu'ils gardaient en tout et partout la prédominance et la prépondérance. A l'État et à l'Université, la présidence dans tous les conseils, présidence sur tous les membres, même sur les évêques, ce qui était déjà le triomphe du laïcisme. A l'État et à l'Université, l'autorisation et la surveillance des collèges libres, le choix des livres et des méthodes, la collation des grades, en un mot tout le souverain domaine : c'était l'État enseignant au-dessus de l'Église enseignante. Les partisans eux-mêmes le sentaient bien ; mais ils se défendaient toujours au nom d'une transaction nécessaire, que Montalembert comparait au Concordat.

Mais, ici, il n'y avait pas d'Église, juge des concessions à faire et en droit de les faire ! C'était l'Université qui, tout en feignant la défaite, imposait aux catholiques plus de sacrifices qu'elle n'en acceptait. Lacordaire alla jusqu'à appeler la loi l'édit de Nantes du dix-neuvième siècle, parce qu'elle aurait été, elle aussi, une œuvre de tolérance et de pacification. De pacification, non, hélas ! nous venons de le voir ; de tolérance, oui, mais d'une tolérance mauvaise, qui a refusé à la vérité la reconnaissance et l'exercice de son droit, et l'a soumise à l'arbitraire de l'erreur. Malgré tout, on pouvait voter la loi. Le devait-on ? Mgr Parisis ne le crut pas et s'abstint. Mgr Pie eût voté contre, tout en comprenant les motifs des auteurs, et en s'inclinant devant leurs intentions avec respect et reconnaissance. Mais, au fond, c'était pour lui le triomphe de l'État-Dieu ; tout cela lui paraissait athée et panthéistique.

Que conclure de l'expérience ? Les bons résultats obtenus pendant trente ans parles collèges catholiques, surtout par les collèges des Jésuites, d'abord exclus de la loi, semblent donner raison à ses auteurs, dont les défenseurs nous disent : Ce régime de 1850, contre lequel vous avez d'abord tant protesté, vous l'accepteriez bien aujourd'hui ! — Sans aucun doute, comme nous préférerions au carcere duro une prison plus douce. Mais le régime de 1850 nous était néanmoins une prison, et n'est même devenu le régime tyrannique d'aujourd'hui qu'en vertu des principes qu'il contenait. Dès lors qu'on soumettait l'enseignement à l'État, il fallait s'attendre que l'Etat le ferait successivement à son image changeante, jusqu'à le marquer à l'empreinte de son athéisme. C'est l'État bienveillant, plus que la loi elle-même, qui vous a fait vos trente ans de prospérité relative ; c'est l'Etat ennemi, toujours au nom de son droit avoué, au nom même de votre trompeur libéralisme, qui tourne votre loi contre vous et en fait un instrument de tyrannie et de mort[4].

Ici encore, l'Univers était donc dans la vérité ; l'Univers avait bien vu et bien prévu. Aussi voulut-on l'en punir.

Probablement sous l'inspiration de Mgr Dupanloup, qui venait d'entrer au concile de Paris par privilège avant son sacre, des reproches y avaient été formulés contre les écrivains et journalistes catholiques, qu'on accusait d'usurper les droits de l'Église, d'empiéter sur les évêques, de paralyser le gouvernement ecclésiastique et d'y entretenir un esprit de contention ; après quoi, on les menaçait de l'avertissement et de la censure de l'ordinaire. Grosse question, dont tous ne virent peut-être pas d'abord toute la portée, et que nous aurons à reprendre.

En vertu de cet acte du concile, le 21 septembre 1850, Mgr Sibour infligeait à l'Univers un avertissement, où il lui reprochait sa conduite récente dans l'affaire de la loi d'enseignement, ses interprétations des actes du Saint-Siège en dehors des évêques et même contre eux, ses justifications intempestives de l'Inquisition, et enfin sa dénonciation des erreurs et des ignorances du Dictionnaire de Bouillet, malheureusement approuvé par lui sur le rapport d'un abbé Delacouture, qui était alors une sorte de personnage, et néanmoins mis à l'index ; finalement, l'archevêque menaçait d'aller plus loin, s'il n'était pas obéi. L'Univers déclara simplement son recours à Rome. Des évêques intervinrent secrètement en sens contraire, et Mgr Dupanloup ne manqua pas d'entrer en intermédiaire dans la querelle. L'abbé Lagrange ne dit rien de cette médiation, sans doute parce qu'elle ne tourna pas plus à l'honneur de son héros que l'intervention dans l'affaire de Mgr Bailles, évêque de Luçon, qu'il engageait à refuser une démission demandée par le Pape.

L'Avertissement fut déféré au Saint-Siège comme impliquant un dangereux patriarcat, une usurpation de direction doctrinale et une confiscation de l'opinion au profit d'un seul ; par conséquent, une compromission possible de la vérité, en France et au delà, dans le cas où l'évêque de la capitale tenterait de la river au siège particulier d'où, en raison même de sa haute situation, elle peut se répandre plus facilement sur tout le pays. Cependant, l'Univers, le 5 octobre, avait fait sa soumission à l'archevêque, qui lui daigna pardonner ! Ce n'était pas une issue ; ce n'était pas sauvegarder suffisamment le principe et le droit de la vérité. Aussi, le Pape, prié plus instamment, écrivit à Mgr Sibour pour condamner son Avertissement et défendre la presse religieuse.

Voilà le premier coup contre l'Univers. Il s'en releva avec honneur, comme il fera dans deux ans sous un coup plus terrible, et toujours défendu par le Souverain Pontife.

 

III. — LA QUESTION DES CLASSIQUES.

Evêque surtout des affaires étrangères à son diocèse, Mgr Dupanloup aspirait instinctivement à être l'évêque de la France et du monde, l'évêque de l'Eglise catholique, une sorte de Pape, par conséquent ; tout au moins, sous le Pape, un ministre universel gouvernant plus que le Pape lui-même, qui se serait contenté de régner. Dans les premiers mois de 1850, il écrivait à la princesse Borghèse : Les affaires de l'Eglise sont à la dérive en ce pays. Vous comprenez mes sollicitudesSollicitudo omnium Ecclesiarum !. Il faut absolument que je voie le Pape, où qu'il soit, en septembre, et que je lui parle à cœur ouvert. Il le vit, en effet, et se rendit le témoignage de n'avoir pas été un de ceux qui obéissent à l'injonction : Dic nobis placentia ! Il faudrait auprès de ce Pape, continue-t-il, des hommes qui eussent le courage et le goût de dire toujours la vérité, d'apporter les mauvaises nouvelles, de savoir et faire savoir le fond des choses.

S'il parla au Pape avec ce dédain pour ses conseillers ordinaires, et même un peu pour sa personne, il fallut au Pape une grande dose de charité et d'oubli des injures pour donner à son interlocuteur les preuves éclatantes de ses bontés dont parle l'abbé Lagrange. Il est vrai qu'il n'en cite pas d'autre que le titre de prélat assistant au trône pontifical, titre ordinairement accordé à tout évêque à son premier voyage ad limina, à moins d'indignité manifeste. L'abbé Lagrange ajoute que le cardinal Antonelli lui demanda une note sur l'état de la religion en France, note qui aurait été rédigée de concert avec les amis et envoyée à Rome. Il est plus probable qu'il s'offrit de lui-même, sans la moindre invitation, à faire cette note. L'abbé Lagrange regrette de ne l'avoir pas ; mais, dit-il, il en transpire peut-être quelque chose dans cette lettre du 1er mai 1851 à un cardinal : Je sèche de douleur en voyant la sainte Eglise de Jésus-Christ déchirée par l'orgueil de ceux qui la devraient servir humblement, et qui trouvent une satisfaction détestable à jeter des divisions funestes là où la paix devrait être éternelle. Oh ! oui, l'on pourrait retrouver dans cette lettre quelque trace de la note égarée, et aussi, avec les mêmes redondances, dans n'importe quelle lettre ou écriture de Mgr Dupanloup, qui n'a pas d'autre note ou d'autre ton ! Et qui donc troublait toujours la paix plus que ce pacifique ?

A son retour de Rome, il écrivit entre autres choses, à son usage : Douceur envers tout le monde ! Nous allons bientôt goûter de ce miel. En attendant, l'abbé Lagrange félicite le grand évêque d'avoir, dès ce début, rempli à Rome, dans les limites des convenances nécessaires (?) le devoir du courage, devoir qu'il proclamera hautement, après l'avoir accompli toujours, devant les évêques du monde entier, au concile du Vatican ! Ah ! sans doute, le concile du Vatican, il y faudra venir ! mais c'est un triste jalon indicateur que plante l'abbé Lagrange en son récit de l'affaire des classiques, déplorable prélude, en effet, de ce qui sera entrepris au temps du concile.

Je n'ai rien à dire de cette question des classiques, sur laquelle il était si facile de s'entendre, en se gardant, des deux côtés, de toute exagération, et en se pardonnant mutuellement quelques excès d'idée ou de langage. La seule difficulté était dans la pratique et la mesure ; difficulté réelle et touchant presque à l'impossibilité, mais surtout par la faute de la loi de 1850, qui avait livré à l'Université tout droit de programmes et d'examens. Cela aurait dû' rendre indulgent, envers ceux qui voulaient faire la part plus large aux classiques chrétiens, le principal auteur de la loi, mais il lui aurait fallu pour eux ces dispositions de paix et de douceur qui étaient bien dans ses notes intimes, moins dans le fond de son cœur, jamais dans sa conduite.

En effet, voyez en quel esprit il se préparait à trahir avec eux : La direction donnée par l'Univers à la polémique religieuse, raconte l'abbé Lagrange, était un de ses tourments. Il y trouvait des procédés renouvelés de Lamennais ! Il déplorait le mal produit dans les âmes par ce journal, dont son immense correspondance lui apportait, chaque jour, des preuves de tous les points de l'horizon. Que répondre à ces emphases, aussi ridicules qu'odieuses, sinon qu'elles sont, de toute évidence, au rebours de la vérité ? Comment l'Univers, s'il eût été tel en soi et dans l'opinion presque générale, aurait-il survécu plus de trente ans à ces sentences mortelles, non seulement avec la tolérance, mais avec les encouragements et les félicitations de l'Eglise ? Et comment, aujourd'hui encore qu'il n'est pas moins malfaisant qu'autrefois — n'est-il pas vrai, M. Lagrange ? — se voit-il l'objet de ces sympathies à peu près universelles qui ont éclaté à la mort de celui qui l'a fait ? Et pour rentrer dans le sujet propre de cet article, comment expliquer les défenseurs illustres qu'il va trouver dans une lutte si fortement et si insidieusement montée contre lui, et la victoire finale qui lui restera cette fois encore ?

Donnons d'abord l'exposé de M. l'abbé Lagrange, nous contentant, pour le moment, d'indiquer les points sur lesquels il faudra revenir pour avoir la pleine vérité dans la doctrine et dans les faits.

Le 19 avril 1852, pendant que se débattait librement la question libre des classiques, Mgr Dupanloup intervint par une lettre aux professeurs de ses petits séminaires, la trancha avec son absolutisme accoutumé, et condamna la partie adverse. L'Univers, se refusant à subir la sentence, et surtout le silence qu'on semblait lui imposer, continua de soutenir son opinion. Mal lui en prit, car, le 30 mai suivant, était fulminé un mandement qui, lui fermait l'entrée de tous les établissements diocésains. Dans ce mandement, deux points étaient traités : les classiques, et surtout l'invasion du journalisme laïque dans l'administration épiscopale, non seulement dans ce cas particulier, mais toujours et par habitude ; et cela, avec la prétention, une fois qu'il a parlé, de ne plus tolérer une dissidence, de quelque part et de quelque haut qu'elle vienne ; avec une légèreté moqueuse, un accent de raillerie hautain, des sarcasmes qui vont troubler — nous en avons été témoin — le travail de la grâce et éteindre les premières espérances de retour.

Comme toujours, le mandement fut envoyé à tous les évêques de France. L'épiscopat s'émut, et de nombreuses adhésions à l'encyclique arrivèrent de la part des amis de l'évêque d'Orléans, parmi lesquels on s'étonna de voir se fourvoyer pour un jour le vieil ami de l'Univers, le vénérable évêque de Chartres, qui, sur un tu quoque tendre et respectueux de la rédaction, s'empressa de lui rouvrir ses bras et de revenir à ses premières et dernières amours. — Ne pas chercher ce détail chez l'abbé Lagrange ! — N'importe, l'abbé Lagrange affirme qu'il possède un in-4° d'adhésions ecclésiastiques et laïques.

Le 19 juin, Louis Veuillot, répondant à l'évêque d'Orléans, se déclara prêt à se retirer sur un signe manifeste de l'épiscopat. Déclaration habile, commente l'abbé Lagrange, qui déplaçait la question et en faisait naître une autre, en donnant à penser que l'existence même du journal averti et censuré était en cause. Une autre diversion non moins habile fut d'évoquer le spectre du gallicanisme, pour diviser l'attention, soulever des ombrages contre l'évêque d'Orléans et ses adhérents, et réveiller à Rome, en faveur du journal, de vives sympathies. De là une note à l'Ami de la Religion pour déclarer qu'il n'y avait ni gallicanisme, ni ultramontanisme au fond de cette affaire. — Nous verrons bien !

Cependant, Mgr Dupanloup, avec les archevêques de Paris et de Besançon, rédigeait une déclaration en quatre articles : 1° les actes épiscopaux sont injusticiables des journaux ; 2° l'emploi des classiques païens, expurgés et chrétiennement expliqués, n'est ni mauvais ni dangereux ; 3° cet emploi, toutefois, ne doit pas être exclusif ; 4° aux évêques seuls appartient, chacun dans son diocèse, de régler la mesure, sans que le journalisme ait rien à y voir.

Présentée à la signature des évêques par Mgr Dupanloup, la déclaration réunit quarante-quatre adhésions. Des dissidences se fondèrent, moins sur la déclaration en elle-même que sur l'irrégularité de la procédure, malgré les précédents nombreux cités par l'évêque à Orléans, et l'impossibilité qu'il alléguait d'une réunion conciliaire. Mgr Pie, dans une lettre privée, se borna à quelques réserves (!). L'acte le plus considérable fut la lettre de l'évêque d'Arras à Louis Veuillot. Mais Mgr Parisis oubliait la grande question, la question d'autorité épiscopale. — Il ne l'oubliait pas, mais il l'omettait parce qu'elle n'était pas engagée. — Les évêques ne demandaient pas non plus, ajoute l'abbé Lagrange, que l'Univers disparût, mais qu'il s'amendât ! — On ne demandait que sa mort !

En fin de compte, l'évêque d'Orléans avait obtenu ce qu'il voulait, et, sinon l'unanimité, du moins la grande majorité. — Pas même la majorité absolue, encore moins ce qu'il voulait par-dessus tout ! — Après avoir notifié — sans aucun droit ! — la déclaration à Louis Veuillot, il mit fin à cette affaire par une note annonçant qu'elle ne paraîtrait pas. — Pourquoi ? On ne le dit pas, et il le faudra dire ! — La note se terminait sur le ton d'un homme piqué de l'intervention de l'évêque d'Arras et de la réponse de Louis Veuillot, dont on s'appropriait les expressions finales : Si la sévérité nécessaire des uns, l'indulgente bonté des autres, n'obtient pas toujours la souveraine influence que l'on promet, nous avons du moins lieu d'espérer que nous ne verrons plus se reproduire les torts et les fautes dont nous avons eu à gémir.

Du reste, conclut de son côté l'abbé Lagrange, les réformateurs eux-mêmes, bornant leurs prémisses, finirent par réduire leur thèse à l'expurgation plus sévère des classiques païens, à leur enseignement plus chrétien et à l'introduction plus large des auteurs chrétiens. — Ils n'avaient jamais voulu autre chose, et ce n'était que pour obtenir ce rigoureux nécessaire qu'ils avaient paru demander davantage. L'ont-ils même obtenu ? Non, et on ne l'obtiendra jamais tant que l'Université demeurera maîtresse des programmes et des diplômes.

En somme, achève l'abbé Lagrange, l'autorité épiscopale fut vengée — lisez compromise — ; mais la division latente créée au sein de l'épiscopat français apparut au grand jour. A qui la faute et la responsabilité ? Qui avait soulevé ces questions irritantes ? Est-ce l'évêque d'Orléans ? Et, attaqué dans une question de cette nature, pouvait-il, lui, se taire ?

M. Lagrange ne répond pas ; nous allons répondre, nous, car son exposé est trop arrangé, trop falsifié et surtout trop incomplet. Disons mieux et disons tout !

Dans la lettre du 19 avril adressée par Mgr Dupanloup à ses professeurs, il y avait deux choses : l'acte épiscopal qui réglait l'emploi des classiques, la question des classiques en elle-même. Sur le caractère dominant de la lettre, on pouvait aisément se tromper, Mgr Dupanloup ayant coutume de parler plus en journaliste et en publiciste qu'en évêque. Et, en effet, la lettre, publiée dans l'Ami de la Religion, avait été reproduite par d'autres journaux, notamment par les universitaires, avec force commentaires dirigés contre l'Univers. Violemment attaqué par la lettre elle-même aussi bien que par les commentateurs, l'Univers se crut en droit d'y répondre ; et il est évident qu'il demeurait libre, à la condition de respecter l'acte épiscopal, et de se défendre, et de discuter encore la question controversée et libre que la lettre avait la prétention excessive de dirimer. Il le fit en plusieurs articles, que l'évêque s'empressa d'arrêter et de punir par son mandement du 30 mai, précédé d'une longue instruction qui faisait le procès à l'Univers, fond et forme, et suivi d'une prière à Jésus, prince de la paix, d'un appel à la modération, à la sagesse, à l'humilité, qui contrastaient singulièrement avec l'accent belliqueux, les excès, les emportements et les irritations d'amour-propre de la pièce.

Louis Veuillot répondit, le 19 juin, par une lettre autrement digne, modérée et éloquente, où il se justifiait d'avoir voulu attaquer un acte épiscopal, ignorant que l'évêque eût prétendu attacher à sa lettre ce caractère solennel ; où il s'excusait et regrettait d'avoir pu l'offenser ; où il confessait le peu de convenance d'une phrase, d'une seule, ironique toutefois plutôt qu'irrespectueuse, et refusait de se reconnaître dans les autres phrases accusées, qui n'avaient plus le sens qu'il croyait leur avoir donné, et où enfin il protestait noblement contre l'accusation si douloureuse d'avoir calomnié un évêque : Elle ne serait accueillie devant aucun tribunal, pas même devant ceux qui ne jugent que les actes extérieurs, encore moins devant Celui qui connaît les cœurs et les pensées. Un jour, Monseigneur, vous retirerez ce mot, qui me déshonorerait si je l'avais mérité. — Le mot ne sera pas retiré, car il s'agissait, non seulement de détruire l'œuvre, mais de déshonorer les ouvriers !

Oui, on voulait détruire le journal, et le détruire en déshonorant ses rédacteurs ; on voulait le détruire, parce que, plus fort que tous les autres, il était un rival dangereux, et surtout parce qu'il était trop zélé pour les doctrines romaines. Voilà ce qu'ont formellement exprimé tous les évêques qui se refusèrent à signer la déclaration : le cardinal Gousset, le cardinal Pie, Mgr de Moulins, Mgr de Montauban et bien d'autres ; voilà ce qu'a dit le Pape lui-même, dont cette parole fut confiée à Mgr Pie : Toute cette affaire ne tend qu'à arrêter le mouvement régénérateur de l'unité romaine. Voilà ce que quelques évêques essayèrent de réaliser à Tours, où l'on complota la ruine du journal placé sous l'influence des évêques ultramontains, et son remplacement par un journal que Mgr Dupanloup tenait tout prêt et qu'il devait garder sous sa seule direction. Voilà ce que Mgr Dupanloup, irrité davantage par la lettre supérieure de Louis Veuillot et résolu d'en finir, conçut l'espoir d'opérer, en invitant les évêques à un acte collectif destiné à écraser le journal et toute opposition.

C'est alors qu'il ouvrit cette campagne, déplorable entre tant d'autres, en attendant la plus déplorable et inqualifiable de toutes au temps du concile.

On peut dire qu'il circonvint les évêques et en fit tomber plusieurs dans une sorte d'embuscade. n commença par ceux dont il espérait davantage, et obtint un certain nombre de signatures. Après quoi, le Charlemagne épiscopal, non content de ses lettres et de ses rappels de lettres, députa des espèces de missi dominici chargés d'en arracher d'autres. C'était un siège véritable autour de certains évêchés. Plusieurs évêques fermèrent leur porte, entre autres l'évêque de Chalons, qui leur dit, dans son langage à la fois militaire et évangélique : Passez au large ; pour moi, Nescio vos !

Ayant, néanmoins, grossi le nombre des signatures, Mgr Dupanloup s'enhardit jusqu'à tâter les évêques amis de l'Univers par des lettres rappelant d'autres lettres qu'ils n'avaient pas reçues Enfin, pour emporter l'affaire d'assaut, il fit autographier la liste des signatures obtenues, et l'envoya à tous les réfractaires, avec cet avis : Après les signatures obtenues et les promesses de nouvelles, la majorité est assurée ; et ne pas signer serait produire la division que l'on craint et empêcher l'unanimité que l'on désire : c'est-à-dire qu'il exerçait une pression violente sur ses collègues par cette majorité prétendument acquise et cette unanimité en perspective. En quoi il les trompait ou ne leur disait pas la franche vérité ; car, malgré des circulaires réitérées, il né put ajouter que deux noms à la première liste, et les quarante-quatre adhésions réunies ne formaient qu'une majorité plus apparente que réelle.

En effet, il y avait trente-sept opposants absolument déclarés, et il fallait retrancher des quarante-quatre adhérents six et quelques autres, qui avaient exigé d'importantes modifications, ce qui les faisait tomber au-dessous de trente-sept : en sorte que, suivant le calcul de l'évêque de Montauban, la majorité des suffrages identiques était contre la déclaration. Puis, sans vouloir établir une distinction injurieuse entre les uns et les autres, ne peut-on pas dire que, si l'on veut apprécier les deux partis non plus par le nombre, mais par le poids des signataires, les opposants l'emportaient de beaucoup ? Parmi les adhérents, en effet, combien ne cédèrent qu'à l'obsession, ou qu'à la crainte de faire bande à part, d'encourir le terrible proféré contre ceux qui diminueraient la divine et nécessaire unanimité, en refusant de suivre l'exemple de la paix et de l'unité dans la simplicité et la vérité, que leur prétendait donner celui qui troublait l'une, brisait l'autre, agissait par embûches et contre tous les principes du droit ?

Du côté des opposants, au contraire, pas d'autre passion que celle de la doctrine ; le vrai respect de la dignité épiscopale, insultée par ceux qui, sous prétexte de la défendre, supposaient les évêques capables d'obéir au journalisme ; conduite calme, raisonnée, en tout conforme aux principes d'ordre hiérarchique, de juridiction épiscopale, de respect de la suprématie romaine. Tout cela, en effet, était compromis par l'ingérence dictatoriale de l'évêque d'Orléans, par son procédé inouï et dangereux d'initiative individuelle, par son système d'adhésions provoquées au moyen de correspondances, — ce que dom Guéranger appelait un concile par courrier, — par cette chasse aux suffrages en dehors de toute réunion et délibération conciliaire, en dehors du Pape, qui pouvait tout désavouer. Voilà ce qu'on peut lire dans les circulaires doctrinales des archevêques de Reims et d'Avignon, des évêques de Moulins et de Montauban ; tandis que l'abbé Lagrange n'a pas osé citer une seule lettre des adhérents[5].

Il ne cite qu'un mot de la lettre de Mgr Pie, lettre courte, polie, flatteuse même, dont il n'a pas compris, lui si maladroit, toute l'habileté. Les quelques réserves que le grand évêque dédaignait d'indiquer, et la raison de ces réserves, se lisent dans d'autres lettres à d'autres évêques, où Mgr Pie relève non seulement la passion, le ressentiment personnel de l'évêque d'Orléans, mais son défaut de doctrine ; où il parle de cet esprit d'arrogance, de ce ton de colère à bannir de partout, et particulièrement des écrits de ceux qui prêchent aux autres l'humilité et la modération. Il tenait prêt un travail pour le cas où le scandale de la Déclaration serait publié, et qu'il communiquerait à son clergé et soumettrait au Pape. Enfin, il se déclarait bien résolu à ne pas courber la tête sous la dictature qu'on voulait substituer à la prétendue pression du journalisme.

Il y eut encore l'intervention décisive de Mgr Parisis, qui releva le courage du rédacteur de l'Univers. Tout le monde conviendra, lui écrivit Louis Veuillot, qu'un homme à qui l'évêque d'Arras veut bien donner des marques publiques de son estime, n'a pas eu le malheur de se rendre trop indigne d'une pareille fonction... J'ose prier Mgr l'évêque d'Orléans de croire que sa sévérité n'aura pas sur moi une influence moins souveraine que toute votre bonté.

Sur l'invitation expresse des signataires eux-mêmes, et sur les sourdes menaces des opposants, Mgr Dupanloup fut condamné à un premier mouvement de recul, et il annonça que la déclaration ne recevrait aucune publicité. Publicité bien inutile, certes, puisque la pièce était à peu près connue par les confidences faites aux plus détestables journaux, notamment au Siècle, qui semblait être devenu le Moniteur du parti.

D'ailleurs, cette modération peu sincère, cette sagesse travestie avaient leur cause principale dans l'attente d'une lettre de Rome qui pourrait bien donner tort à l'entraîneur et aux entraînés. En effet, le 31 juillet, le cardinal Antonelli, au nom du Pape, écrivait au cardinal Gousset. Sans avoir l'intention de censurer qui que ce fût, il faisait remarquer, dans l'intérêt de la vérité, combien il était nécessaire de conformer aux règles et coutumes établies par l'Église la nature et la forme des actes émanant du corps épiscopal. Il reconnaissait l'influence qu'avait dû avoir le cardinal Gousset pour arrêter la marche d'une affaire aussi grave du côté des parties intéressées que grosse de conséquences déplorables par suite de la manière dont elle avait été engagée. Maintenant, ajoutait-il, grâce au parti prudent auquel s'est décidé le personnage qui avait le principal rôle, il faut considérer la chose comme assoupie, et, dès lors, l'intervention suprême réclamée n'est phis nécessaire. Le cardinal, en finissant, félicitait l'archevêque d'avoir atteint un but pleinement conforme aux vues du Saint-Siège.

Et maintenant, que l'abbé Lagrange, — qui cache ou ignore à peu près tout cela, — nous explique comment Mgr Dupanloup avait aussi atteint le sien, diamétralement opposé[6]. En résumé, Rome lui donnait tort une fois de plus. Le cardinal Gousset ayant publié la lettre avant toute autorisation du Pape et d'Antonelli, ils furent ravis l'un et l'autre de l'heureuse indiscrétion. Maintenant que c'est fait, dit le Pape, il faut tenir bon ! L'Univers n'abusa pas de sa victoire. Plus libre que jamais de discuter la question des classiques, il désarma, et Louis Veuillot, absent, écrivit à du Lac de jeter au panier tous les articles déjà faits. La question des classiques sera tranchée six mois après par l'encyclique Inter multiplices, qui donnera raison aux deux parties, en n'ôtant à chacune que ses exagérations. Les adversaires de l'Univers voulaient mieux que son silence : ils voulaient sa mort ; aussi, gardant au fond du cœur leur projet fratricide, ils attendirent ou firent naître une occasion nouvelle, l'affaire Donoso-Gaduel.

 

 

 



[1] Un anonyme, avec humeur et contentement à la fois, m'a rappelé que le mot est de Lacordaire et non de Montalembert. Qu'importe ? Si ce n'est toi, c'est donc ton frère !

[2] Et l'abbé Sibour ! m'a crié de son Union de l'Ouest l'abbé Lagrange, tout heureux de me prendre, disait-il, en flagrant délit d'inexactitude. Apprenez que l'abbé Sibour figure dans l'Officiel en même temps que l'abbé Dupanloup ! Je le savais, et, si je ne l'ai pas cité, c'est qu'il n'était à la commission qu'une ombre ou qu'un nombre, pour ne pas dire un zéro ; qu'il ne fut mis là que pour faire plaisir à son parent l'archevêque de Paris ; qu'en fait, il n'a jamais eu qu'un rôle effacé, ou plutôt nul, soit à la commission, soit à l'Assemblée. Si l'on n'y admit ni l'abbé de Cazalès, ni surtout Mgr Parisis, c'est qu'on redoutait en eux des opposants à une transaction d'avance résolue. En réalité, il n'y eut de prêtre actif à la commission que l'abbé Dupanloup, et c'est tout ce que j'ai voulu dire. Mais l'abbé Lagrange n'en conclut pas moins à mon extrême légèreté ou à mon extrême ignorance ! — au choix !

[3] Toujours dans son Union de l'Ouest, l'abbé Lagrange m'accuse d'avoir affirmé que la loi de 1850 proscrivait les Jésuites. Nous lui avons appris, dit-il (seul il l'ignorait), qu'elle avait, au contraire, repoussé toute exclusion et ouvert à toutes les congrégations la libre carrière de l'enseignement. — Je n'ignorais rien, et ici encore l'abbé Lagrange n'avait rien à m'apprendre. C'est moi qui pourrais lui apprendre à lire et à raisonner. J'avais dit seulement, — on le peut voir — et je maintiens que, dans le premier projet, non dans la loi finale, il n'y avait d'admises au bénéfice de la liberté que les congrégations autorisées ; et c'est vrai !

[4] Dans les lettres récemment publiées de M. Guizot à sa famille, il y en a une à l'Institut, sous le numéro 100, dans laquelle est examinée, jugée et condamnée la loi de 1850 : Vous le voyez, je suis bien loin de la loi nouvelle. Comme œuvre de transition, il se peut qu'elle soit utile, peut-être même fût nécessaire : elle ne parait bonne ni comme système d'organisation, ni comme moyen de transaction vraie et durable. Elle n'atteindra, je crois, ni le but général d'éducation, ni le but spécial de pacification qu'elle se propose. Il y en a plus long, mais c'est assez.

[5] C'est au fort de ces intrigues (3 août 1852), que Louis Veuillot écrivait à un directeur du grand séminaire d'Auch : Elles ne sont pas finies, ces affaires d'Orléans ; j'ai peur qu'elles ne le soient jamais. Mgr l'évêque d'Orléans se croit envoyé de Dieu pour détruire l'Univers, qui est à ses yeux, le fléau de l'épiscopat ; et il croit même avoir reçu pour cette bonne œuvre des pouvoirs qui le dispensent d'observer strictement les règles de la justice. Comme il est d'ailleurs fort habile, extraordinairement impétueux et justement considéré, il ne faut pas jurer qu'il n'en viendra pas à ses fins. Avoir engagé quarante-cinq évêques dans cette affaire, n'est pas le seul prodige de son habileté. Il trouve le moyen de faire croireaidé par la bonne volonté de la presse impieque soixante-trois évêques m'ont condamné. Comment s'y prend-il ? C'est ce que j'ignore ; mais rien ne lui coûte. — Vous me dites que Mgr l'archevêque d'Auch a reçu quatre lettres pour le presser de signer. Peu en ont reçu moins, beaucoup en ont reçu davantage. Mgr de Strasbourg était à la sixième il y a quinze jours. On compte, je crois, en gros dans ce bloc de soixante-trois, tous ceux qui ont répondu, même pour refuser. On tourne contre l'Univers même le cardinal Gousset et Mgr d'Arras, parce qu'ils ont dit que l'Univers avait eu quelquefois des torts. Mgr de Fréjus, porté sur la liste des adhérents, m'a dit lui-même qu'il n'avait pas signé. H a envoyé une déclaration particulière dont le premier paragraphe, ne plaisant pas, a été supprimé. Compelle intrare !... Par déférence pour Mgr Dupanloup, par mécontentement pour tel ou tel petit tort du journal, on se croit en général obligé, même lorsqu'on le défend, de faire très large la part du blâme. C'est là ce qui nous tuera : car je ne consentirai pas à accepter une situation qui me ferait prendre insensiblement la figure que Mgr Dupanloup veut me donner, et qui n'est pas la mienne, Dieu merci !

[6] Malgré cette démonstration évidente, M. Lagrange ne glisse pas moins dans son Union de l'Ouest : L'abbé U. Maynard assemble sur la fameuse querelle des classiques des nuages de toute sorte pour obscurcir trois faits également incontestables : l'Univers a voulu bannir les classiques de l'enseignement chrétien ; — l'abbé Dupanloup a plaidé contre lui pour les maintenir ; — le Pape, avec la grande majorité de l'épiscopat, a partagé l'avis de Mgr Dupanloup, et cet avis a prévalu. D'où M. U. Maynard conclut au triomphe de l'Univers. — J'y conclus toujours, l'abbé Lagrange ne m'opposant qu'un mensonge en trois points. — D'ailleurs, l'abbé Lagrange omet de dire que la question des classiques se perdit bientôt dans l'affaire de la Déclaration et de l'ingérence dictatoriale de Mgr Dupanloup, dirigée contre l'Univers, et qu'en cette affaire l'Univers véritablement triompha.