LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

LIVRE DEUXIÈME. — LE GOUVERNEMENT DE LA GIRONDE

 

CHAPITRE X. — LA CHUTE DE LA GIRONDE.

 

 

Les défaites de Belgique et du Rhin, la trahison de Dumouriez, l’insurrection de la Vendée exaspérèrent la lutte entre la Gironde et la Montagne. Les deux partis se renvoyaient à l’envi l’accusation de trahison. Lasource l’avait lancée contre Danton dans la tragique séance du 1er avril. Danton et les Jacobins la reprirent pour la retourner contre leurs adversaires.

Dès le 5 avril, les Jacobins invitaient leurs sociétés affiliées à faire pleuvoir des pétitions pour demander la destitution, le rappel des conventionnels qui avaient trahi leur devoir en essayant de sauver le tyran. L’idée du rappel des appelants n’était pas nouvelle. Déjà les émeutiers du 10 mars, les Varlet, les Desfieux, les Fournier, autrement dit les Enragés, l’avaient formulée à diverses reprises. Mais jusque-là ils avaient été désavoués par les Montagnards. Maintenant, cinq jours après la dénonciation de Lasource contre Danton, les Jacobins donnent à l’idée le poids de leur autorité. Il est facile de conjecturer qu’entre les Enragés et les Jacobins Danton s’était entremis pour un rapprochement nécessaire. Et le rapprochement se fortifia dans la suite. Les Jacobins et les Montagnards, pour acheter l’appui des Enragés contre la Gironde, se rallièrent au maximum des grains.

L’adresse des Jacobins du 5 avril était donc un acte grave par ses conséquences. Jusque-là c’étaient les Girondins qui avaient pris l’initiative des demandes d’exclusion contre leurs adversaires, contre Robespierre, contre Marat, contre le duc d’Orléans, contre Danton. Maintenant c’est la Montagne qui prend l’offensive à son tour. Et elle a derrière elle les meneurs et les agitateurs mêlés à toutes les émeutes antérieures, les guides habituels des foules affamées.

Si la position morale de la Gironde a déjà été fortement entamée depuis les insuccès répétés de sa politique intérieure et extérieure, sa position parlementaire reste encore très forte. Sans doute elle n’est plus en possession exclusive du gouvernement. Le Conseil exécutif, qu’elle avait formé à son image dans les premiers jours, a été presque entièrement renouvelé. Roland a quitté l’Intérieur au lendemain du supplice du roi, et son successeur Garat est un homme prudent qui évite de se compromettre. Gohier, qui tient le portefeuille de la Justice depuis le 20 mars, n’est pas plus brave que Garat. Le successeur de Beurnonville à la Guerre, le colonel Bouchotte est un autre Pache, qui peuple ses bureaux d’Enragés. Enfin le nouveau ministre de la Marine, Dalbarade, nommé le 10 avril, en remplacement de Monge, a été désigné par Danton.

La Gironde ne peut plus compter absolument que sur Lebrun et sur Clavière, qui sont aux Affaires étrangères et aux Finances. Mais le Conseil exécutif n’a plus de pouvoir de décision. Il est étroitement subordonné au Comité de salut public auquel il rend des comptes, et le Comité de salut public, formé le 5 avril, échappe à la Gironde. Des neuf membres qui le composent au début, sept appartiennent au Centre et deux à la Montagne, Danton et Delacroix, et encore ce dernier est-il une recrue toute récente pour le parti jacobin.

C’est donc le Centre, ceux qui se targuent d’indépendance, ceux qui refusent d’épouser les passions des deux partis, qui tiennent le gouvernement. Barère et Cambon sont leurs chefs. Ils votent avec la Montagne toutes les fois qu’il s’agit de mesures rigoureuses à prendre pour le salut de la Révolution. Mais ils gardent la défiance invincible de la Commune de Paris et de Danton qui fut souvent son inspirateur. Dans presque tous les scrutins, où il s’agit de questions de personnes et où la politique parisienne est en cause, ils votent avec la Gironde. Et il se trouve que la Gironde, qui n’est plus au gouvernement, possède encore la majorité dans l’Assemblée. Avant la trahison de Dumouriez, celle-ci choisissait encore assez souvent ses présidents parmi les hommes du Centre. Après le 1er avril jusqu’au 31 mai, tous les présidents qui se succèdent sont Girondins ; 18 avril, Lasource ; 2 mai, Boyer-Fonfrède ; 16 mai, Isnard. C’est que la circulaire des Jacobins du 5 avril a eu pour résultat d’apeurer la Plaine et de la dresser défiante contre la Montagne. Quand la Gironde, pour sauver le roi, avait fait appel aux départements, la Plaine lui avait donné tort et elle avait voté avec la Montagne contre l’appel au peuple. Maintenant, c’est la Montagne qui s’adresse aux assemblées primaires pour leur demander d’exclure les Girondins de la Convention. La Plaine, fidèle à elle-même, lui donne tort à son tour comme elle a donné tort à la Gironde. La Plaine a pour raison d’être de représenter et de défendre l’intérêt public contre les factions.

La Montagne est d’ailleurs affaiblie par le départ des 86 commissaires à la levée des 300.000 hommes. Presque tous ces commissaires ont été pris dans ses rangs, à dessein diront bientôt les Montagnards, afin d’éloigner de la tribune quelques-uns de leurs meilleurs orateurs. Et il est de fait que Brissot écrivait, le 14 mars, dans son journal : Dans la Convention nationale, l’absence des têtes les plus effervescentes permet de délibérer avec plus de tranquillité et, par conséquent, avec plus de vigueur. La Gironde avait tort pourtant de se réjouir du départ des commissaires montagnards. Elle ne voyait pas que ceux-ci allaient prendre contact dans les départements avec ses anciens partisans, dissiper leurs préventions contre Paris et les attirer peu à peu dans leur parti.

La Gironde aurait pu mépriser la circulaire des Jacobins du 5 avril. Mais la Gironde n’était pas seulement impatiente de se justifier de l’accusation de complicité avec Dumouriez, elle croyait l’occasion propice pour abattre ses rivaux. Elle ne voulait voir dans les Montagnards que des agents masqués du duc d’Orléans. Or, Philippe Égalité venait d’être arrêté comme complice de Dumouriez. Cela lui donnait confiance.

Le 12 avril, Guadet donna lecture à la Convention de la circulaire des Jacobins du 5 avril, et il réclama le décret d’accusation contre Marat, qui l’avait signée en qualité de président du club. Après de violents débats, la mise en accusation de Marat fut votée le lendemain à l’appel nominal par 226 voix contre 93 et 47 abstentions. Triomphe sans lendemain ! Les juges et les jurés du tribunal révolutionnaire étaient tout acquis à la Montagne. La Commune, de nombreuses sections parisiennes manifestèrent en faveur de l’Ami du peuple, ainsi que plusieurs clubs de province, comme ceux de Beaune et d’Auxerre. Un peuple immense l’accompagna au tribunal. Interrogé pour la forme, il fut acquitté, le 24 avril, par les considérants les plus élogieux. La foule le couronna de fleurs et le ramena sur ses épaules jusqu’à son siège de député, en défilant au milieu de la Convention. Marat était plus populaire, plus redoutable que jamais. La répression girondine impuissante n’avait fait que stimuler l’ardeur des représailles.

Dès le 15 avril, deux jours après la mise en accusation de Marat, 35 sections parisiennes (sur 48), accompagnées par la municipalité avec le maire Pache, venaient apporter à la Convention une pétition menaçante contre les 22 chefs girondins les plus marquants : Brissot, Guadet, Vergniaud, Gensonné, Grangeneuve, Buzot, Barbaroux, Salle, Birotteau, Petion, Lanjuinais, Valazé, Lehardy, Louvet, Gorsas, Fauchet, Lasource, Pontécoulant, etc. La pétition avait été lue par le jeune Rousselin, notoirement connu par ses liaisons avec Danton. Aussi Lasource ne se fit pas faute d’accuser celui-ci d’avoir dressé la liste des 22.

Les Girondins répliquèrent à l’adresse des sections en demandant, par la bouche de Lasource et de Boyer-Fonfrède, que les assemblées primaires fussent convoquées pour prononcer sur tous les députés sans distinction. Mais Vergniaud lui-même fit écarter leur motion comme dangereuse. Elle aurait pu généraliser la guerre civile.

La Gironde fit un grand effort pour ressaisir la majorité à Paris même, et pour dresser de nouveau les départements contre la Montagne.

Petion, dans une Lettre aux Parisiens, parue à la fin d’avril, appela tous les hommes d’ordre à la lutte : Vos propriétés sont menacées et vous fermez les yeux sur ce danger. On excite la guerre entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas, et vous ne faites rien pour la prévenir. Quelques intrigants, une poignée de factieux vous font la loi, vous entraînent dans des mesures violentes et inconsidérées, et vous n’avez pas le courage de résister ; vous n’osez pas vous présenter dans vos sections pour lutter contre eux. Vous voyez tous les hommes riches et paisibles quitter Paris, vous voyez Paris s’anéantir et vous demeurez tranquilles... Parisiens, sortez enfin de votre léthargie et faites rentrer ces insectes vénéneux dans leurs repaires... Le même Petion, un an plus tôt, dans une Lettre à Buzot, avait exhorté au contraire riches et pauvres, les deux factions du Tiers État, à s’unir contre l’ennemi commun. Mais, pour Petion, l’ennemi n’était plus l’aristocratie, mais l’anarchie.

Son appel tombait dans une atmosphère propice. Les riches étaient exaspérés par les sacrifices pécuniaires qu’on leur imposait à l’occasion du recrutement. Les comités révolutionnaires, nouvellement institués, commençaient à fonctionner et les soumettaient à une surveillance rigoureuse, à des vexations répétées. Ils se rendirent aux assemblées de sections, ils essayèrent de s’emparer des bureaux, de faire entrer dans les comités révolutionnaires des hommes à eux et de se délivrer des taxes de guerre dont les sans-culottes les avaient chargés. Pendant la semaine, les ouvriers retenus par leurs occupations n’avaient pas la possibilité de fréquenter les réunions politiques. Les riches parvinrent à s’emparer de la majorité dans plusieurs sections — Butte des Moulins, Mail, Champs-Elysées. Il y eut au Luxembourg et aux Champs-Elysées des manifestations de Muscadins contre le recrutement. Le journal de Brissot les félicita d’avoir protesté contre les arrêtés iniques de la municipalité.

Mais les sans-culottes se ressaisirent. Ils se portèrent mutuellement secours d’une section à l’autre. Et ils furent vigoureusement et habilement soutenus par les Jacobins et par la Commune. Celle-ci ordonna de nombreuses arrestations. Elle s’attacha en même temps à ranimer les glorieux souvenirs de l’époque du 10 août. Un des vainqueurs des Tuileries, Lazowski, ancien inspecteur des manufactures et capitaine des canonniers du faubourg Saint-Marceau, étant mort, la Commune lui fit, le dimanche 28 avril, des funérailles imposantes, dont le peintre David fut l’ordonnateur, et ce fut l’occasion de passer la revue des forces montagnardes.

Robespierre, qui n’était pas un idéologue mais un esprit réaliste très attentif aux moindres manifestations de l’opinion, avait compris, dès le premier jour, qu’on ne pourrait vaincre la Gironde qu’en intéressant directement les sans-culottes à la victoire. Il avait donné lecture, aux Jacobins d’abord, à la Convention ensuite, à la fin avril, d’une déclaration des droits qui subordonnait la propriété à l’intérêt social et qui légitimait théoriquement par conséquent la politique de réquisitions chère aux Enragés. Contre les culottes dorées, comme il les appelait, qui s’efforçaient de s’emparer des sections, il ne cessait d’exciter la foule des travailleurs. Vous avez des aristocrates dans les sections, leur disait-il le 8 mai aux Jacobins, chassez-les ! Vous avez la liberté à sauver, proclamez les droits de la liberté et déployez toute votre énergie. Vous avez un peuple immense de sans-culottes, bien purs, bien vigoureux, ils ne peuvent quitter leurs travaux, faites-les payer par les riches ! Et il conseillait aux sections de lever aux dépens des riches, d’après le procédé du département de l’Hérault, une armée révolutionnaire qui contiendrait les malveillants. Il demandait encore dans le même discours l’arrestation des suspects et, pour faciliter aux prolétaires l’accomplissement de leur devoir civique, que les indigents fussent indemnisés pour le temps passé aux assemblées de section. Le même jour, 8 mai, Robespierre avait proposé à la Convention de garder les suspects en otages et d’indemniser les pauvres qui montaient la garde.

Cette politique sociale, exposée par Robespierre avec une précision remarquable, était bien une politique de classe. Sous la Constituante et la Législative, les sans-culottes avaient mis gratis leurs bras au service de la bourgeoisie révolutionnaire contre l’Ancien Régime. Le temps est passé de cette ferveur idéaliste. Les sans-culottes ont vu les propriétaires s’enrichir par l’achat des biens nationaux ou par la vente de leurs denrées et marchandises à des prix exorbitants, ils ont fait leur profit de la leçon. Ils ne veulent plus être dupes. Ils entendent que la Révolution nourrisse ceux qui l’ont faite et qui la soutiennent.

Robespierre n’est que l’écho de la voix populaire. La politique sociale, le plan d’organisation soldée des prolétaires, qu’il a développé aux Jacobins, le 8 mai, a déjà été formulé par les démocrates lyonnais amis de Chalier, quelques jours plus tôt. Ceux-ci ont arraché, le 3 mai, au département du Rhône-et-Loire, un arrêté qui ordonne la formation d’une armée révolutionnaire de 5.000 hommes payés à raison de vingt sous par jour au moyen d’une taxe extraordinaire de cinq millions sur les riches. Chalier songeait à enrôler dans cette armée les ouvriers en chômage.

Il est vraisemblable que Robespierre, qui connaissait le révolutionnaire lyonnais, a été informé aussitôt de la mesure. Mais, alors qu’à Paris, les sans-culottes eurent le dessus, à Lyon, ce fut l’inverse. C’est qu’à Lyon les riches avaient pour eux le département qui mit beaucoup de lenteur et de mauvaise volonté à lever l’armée révolutionnaire, qui n’exista jamais que sur le papier. Les Girondins lyonnais ne répugnèrent pas à s’allier aux anciens aristocrates. Grâce à leur renfort, ils parvinrent à s’emparer de la majorité des sections et des comités révolutionnaires et à annihiler l’action de la municipalité montagnarde, qu’ils renversèrent bientôt.

A Paris, il en fut tout autrement, parce que les sans-culottes, soutenus par la Commune et le département, réussirent à se maintenir en possession des comités révolutionnaires, c’est-à-dire des organes de surveillance et de répression.

Mais les Girondins ne triomphèrent pas seulement à Lyon, ils s’emparèrent aussi des pouvoirs locaux dans de nombreuses villes commerçantes, notamment à Marseille, à Nantes, à Bordeaux.

A Marseille, comme à Lyon, les Girondins firent alliance avec les aristocrates. Maîtres des sections, ils protestèrent contre la révocation du maire Mouraille et du procureur de la commune Seytres, prononcée inconsidérément par les représentants Moïse Bayle et Boissel. Ayant mis ensuite la main sur l’hôtel de ville, ils expulsèrent de Marseille les naïfs représentants qui avaient été dupes de leur manœuvre. Ils formèrent un tribunal révolutionnaire qui se mit à frapper les Montagnards.

A Nantes et à Bordeaux, au contraire, la proximité de la Vendée empêcha l’alliance des Girondins et des aristocrates. La bourgeoisie marchande, qui savait qu’elle serait pillée et massacrée en cas de victoire des paysans vendéens, resta fidèle à la République. Mais elle envoya à la Convention des adresses menaçantes contre les anarchistes de la Montagne.

Il est impossible de douter que la résistance ou plutôt l’offensive girondine dans les départements n’ait été le résultat d’un plan concerté, à Paris même, par les députés du parti. Vergniaud écrivit aux Bordelais, le 4 et le 5 mai, des lettres véhémentes pour leur reprocher leur indifférence et les appeler à son secours : Si on m’y force, je vous appelle à la tribune pour venir nous défendre, s’il en est temps, pour venger la liberté en exterminant les tyrans. Hommes de la Gironde ! Levez-vous ! Frappez de terreur nos Marius. L’appel fut entendu. Les Bordelais envoyèrent immédiatement une délégation à Paris pour lire à la barre de la Convention une violente philippique contre les anarchistes, et Vergniaud en obtint l’affichage. Barbaroux adressa à ses amis de Marseille des lettres semblables à celles que Vergniaud écrivait à ses compatriotes.

La résistance girondine entravait de plus en plus l’action des représentants à l’intérieur. Elle prenait déjà la forme du fédéralisme, c’est-à-dire du particularisme local en lutte contre le pouvoir central. Garrau mandait d’Agen, le 16 mai : Il n’est pas rare d’entendre dire, même publiquement, que puisque Paris veut dominer, il faut s’en séparer et former des États particuliers. De là la difficulté de procurer des armes aux recrues qui se rendent aux frontières. Personne ne veut s’en dessaisir. La lutte des classes primait les nécessités patriotiques. Dartigoyte et Ichon se plaignaient, de Lectoure, le 23 mai, de la mauvaise volonté des autorités départementales du Gers. Levasseur et ses collègues dénonçaient, le 26 mai, la malveillance du département de la Moselle et son indulgence pour les ennemis de la Révolution. La lutte des deux partis paralysait la défense révolutionnaire. Il fallait en finir.

Au début de mai, la Gironde arrêta définitivement son plan de campagne. Elle caressait les autorités de Paris, elle appellerait des départements des forces armées pour briser une résistance possible, enfin elle se retirerait à Bourges en cas d’échec. Plan absurde ! Casser les autorités parisiennes, c’était risquer de faire entrer à l’Hôtel de Ville, par de nouvelles élections, les Enragés eux-mêmes qui se plaignaient déjà de la mollesse et de la faiblesse des Montagnards — par la voix de Leclerc de Lyon, le 16 mai, aux Jacobins. Engager la lutte contre la Commune était une folie quand la Commune avait en main la seule force organisée, c’est-à-dire la garde nationale et les comités révolutionnaires de section. Compter sur un secours des départements était une espérance vaine quand la levée de 300.000 hommes soulevait déjà tant de résistances, quand la bourgeoisie manifestait tant de répugnances à s’enrôler. Le plan girondin s’exécuta néanmoins.

Le 17 mai, la Commune prenant acte de la démission de Santerre, qui annonçait son départ pour la Vendée, nommait pour le remplacer provisoirement à la tête de la garde nationale, Boulanger, commandant en second d’une des sections les plus révolutionnaires, celle de la Halle au Blé, d’où était partie l’initiative de la célèbre pétition du 15 avril contre les 22. Le même jour, aux Jacobins, Camille Desmoulins faisait applaudir son Histoire des Brissotins, sanglant pamphlet dans lequel, sur les plus légers indices, il représentait les Girondins comme des agents stipendiés de l’Angleterre et de la Prusse. Aussitôt, dès le lendemain, 18 mai, Guadet dénonça à la Convention les autorités de Paris, autorités anarchiques, avides à la fois d’argent et de domination. Il proposa leur cassation immédiate, dans les vingt-quatre heures, et le remplacement de la municipalité par les présidents de section. Il proposa enfin de réunir à Bourges les députés suppléants pour remplacer la Convention, au cas où elle serait violentée. Mais Barère, au nom du Comité de salut public, s’interposa. Il estima impolitiques les mesures proposées par Guadet. Puisque la Commune complotait contre la Convention, il fallait enquêter la Commune, et Barère proposa de nommer, à cet effet, une Commission de 12 membres.

La Commission des 12 ne comprit que des Girondins dont plusieurs avaient été rangés parmi les 22 dénoncés comme traîtres par la Commune : Boyer-Fonfrède, Rabaut Saint-Etienne, Kervélégan, Larivière, Boileau, etc. Elle commença immédiatement son enquête. Au cours d’une réunion des délégués des comités révolutionnaires à la marrie, un officier municipal du nom de Marino avait conseillé de massacrer les 22. Sa motion avait été repoussée par Pache avec indignation. Mais l’incident avait été dénoncé à la Convention par la section girondine de la Fraternité. Ce fut l’occasion pour la Commission des 12 de prendre des mesures de rigueur. Elle ordonna, le 24 mai, à tous les comités révolutionnaires des sections de lui apporter leurs registres. Prélude d’une instruction judiciaire contre les plus chauds révolutionnaires. Le même jour la Commission fit voter, sur le rapport de Viger, un décret qui cassait implicitement la nomination irrégulière du remplaçant de Santerre. Le plus ancien des commandants de bataillon exercerait le commandement. Le même décret renforçait la garde de la Convention et fixait à 10 heures du soir l’heure de fermeture des assemblées de sections.

Le décret voté, sans grande résistance de la part de la Montagne, la Commission des 12 ordonna l’arrestation d’Hébert par un article du Père Duchesne où il avait accusé les hommes d’État d’avoir organisé le pillage des épiceries et des boulangeries pour provoquer le désordre et avoir l’occasion de calomnier les Parisiens. Varlet, apôtre de l’Égalité, qui depuis plusieurs mois ne cessait d’exciter le peuple contre la Gironde, alla rejoindre Hébert en prison, le même soir, ainsi que Marino. Deux jours plus tard, Dobsen, président de la section de la Cité et juge au tribunal révolutionnaire, était arrêté à son tour avec le secrétaire de sa section pour avoir refusé à la Commission des 12 communication de ses registres. Un nouveau décret, voté le 26 mai, cassait le comité révolutionnaire de la section de l’Unité et interdisait aux comités de surveillance de prendre désormais le nom de révolutionnaires, limitait leurs fonctions à la surveillance des étrangers, chargeait enfin le ministre de l’Intérieur de faire une enquête sur leurs opérations.

Ces mesures de répression déchaînèrent la crise qui couvait depuis la trahison de Dumouriez. La Commune et les sections montagnardes se solidarisèrent immédiatement avec Hébert, avec Varlet, avec Marino, avec Dobsen. Dès le 25 mai, la Commune vint réclamer la mise en liberté de son substitut. Les arrestations arbitraires, dit-elle, sont pour les hommes de bien des couronnes civiques. Isnard, qui présidait la Convention, fit aux pétitionnaires une réponse d’une violence aussi déclamatoire que maladroite : Écoutez les vérités que je vais vous dire... Si jamais la Convention était avilie, si jamais, par une de ces insurrections qui, depuis le 10 mars, se renouvellent sans cesse et dont les magistrats n’ont jamais averti la Convention, si par ces insurrections toujours renaissantes il arrivait qu’on portât atteinte à la représentation nationale, je vous le déclare, au nom de la France entière, Paris serait anéanti ; bientôt, on chercherait sur les rives de la Seine si Paris a existé. C’était renouveler contre la ville révolutionnaire les menaces de Brunswick.

Dès que la réponse d’Isnard fut connue, l’agitation redoubla dans Paris. Le 26 mai, le club des Femmes républicaines révolutionnaires, que présidait Claire Lacombe, manifesta dans la rue en faveur d’Hébert. Seize sections réclamèrent à la Convention sa mise en liberté. Le soir, aux Jacobins, Robespierre, qui n’avait envisagé jusque-là qu’avec répugnance l’idée de porter atteinte à l’intégrité de la représentation nationale et d’y ramener l’union par la violence, Robespierre appelle le peuple à l’insurrection : Quand le peuple est opprimé, quand il ne lui reste plus que lui-même, celui-là serait un lâche qui ne lui dirait pas de se lever. C’est quand toutes les lois sont violées, c’est quand le despotisme est à son comble, c’est quand on foule aux pieds la bonne foi et la pudeur que le peuple doit s’insurger. Ce moment est arrivé. Les Jacobins se déclarèrent en insurrection contre les députés corrompus.

L’intervention de Robespierre et des Jacobins fut le fait décisif. Le lendemain, 27 mai, la Montagne, qui avait retrouvé son énergie, fit un grand effort à la Convention. Marat réclama la cassation de la Commission des 12 comme ennemie de la liberté et comme tendant à provoquer l’insurrection du peuple qui n’est que trop prochaine par la négligence avec laquelle vous avez laissé porter les denrées à un prix excessif. La section de la Cité vint réclamer la mise en liberté de son président Dobsen et la mise en accusation de la Commission des 12. Isnard leur fit une réponse hautaine et moqueuse. Robespierre voulut lui répliquer. Isnard lui refusa la parole et un violent tumulte éclata qui dura plusieurs heures. De nombreuses députations stimulèrent l’ardeur de la Montagne. La Montagne, restée seule avec la Plaine, vota au milieu de la nuit, sur la proposition de Delacroix, la cassation de la Commission des 12 et la liberté des patriotes incarcérés. Hébert, Dobsen, Varlet rentrèrent en triomphe à la Commune et dans leurs sections. La Gironde n’avait plus une seule faute à commettre.

Elle s’obstina. Le 28 mai, Lanjuinais protesta contre le décret, illégalement rendu, dit-il, qui cassait la Commission des 12. Guadet l’appuya. A l’appel nominal, la Commission des 12 fut rétablie par 279 voix contre 238. Danton commenta le vote en ces termes : Après avoir prouvé que nous passons nos ennemis en prudence, nous leur prouverons que nous les passons en audace et en vigueur révolutionnaire.

Le jour même, la section de la Cité, la section de Dobsen, convoquait les autres sections pour le lendemain à l’Évêché, afin d’organiser l’action insurrectionnelle. La réunion de l’Évêché, présidée par l’ingénieur Dufourny, un ami de Danton qui avait été le fondateur du club des Cordeliers, décida de nommer un Comité insurrectionnel secret, composé de six, puis de neuf membres, aux décisions duquel on promit obéissance absolue. Parmi les neuf figuraient Dobsen et Varlet.

Le 30 mai, le Département adhérait au mouvement en convoquant pour le lendemain une Assemblée générale des autorités parisiennes, à neuf heures du matin, dans la salle des Jacobins. Marat se rendit à l’Évêché et le Comité insurrectionnel décida de faire sonner le tocsin le lendemain à la première heure.

L’insurrection commença donc le 31 mai et se déroula, sous la direction du Comité secret de l’Évêché, selon les méthodes déjà éprouvées au 10 août. A six heures du matin, les délégués de trente-trois sections montagnardes, conduites par Dobsen, se présentent à l’Hôtel de Ville, exhibent les pouvoirs illimités de leurs commettants, cassent la Commune, dont les membres se retirent dans une salle voisine ; puis les délégués révolutionnaires réintègrent provisoirement la Commune dans ses fonctions. Le Comité insurrectionnel, qui siège maintenant à l’Hôtel de Ville, prescrit à la Commune, réinvestie par le peuple, les mesures à prendre. Il fait ainsi nommer Hanriot, commandant du bataillon du Jardin des Plantes, chef unique de la Garde nationale parisienne. Il est décidé que les gardes nationaux pauvres, qui sont sur pied, recevront une indemnité de quarante sous par jour. Le canon d’alarme est tiré vers midi. L’Assemblée des autorités convoquée par le Département, aux Jacobins, décide de coopérer avec la Commune et le Comité d’insurrection, dont le nombre des membres est porté à vingt et un par l’adjonction des délégués de la réunion des Jacobins. Le Comité des 21 met immédiatement les propriétés sous la garde des citoyens.

Les Girondins menacés ont pris peur. Plusieurs n’ont pas osé coucher chez eux dans la nuit du 30 au 31. Ils s’abstiennent d’assister à la séance du 30, à la Convention, et leur absence permet à la Montagne de s’emparer de la majorité. Les pouvoirs d’Isnard étant expirés, le Montagnard Mallarmé est porté, le 30 mai, à la présidence par 189 voix contre 111 à Lanjuinais.

La Convention se réunit le 31 mai au bruit du tocsin et de la générale. Cette fois, les Girondins étaient venus plus nombreux que la veille. Ils protestèrent contre la fermeture des barrières et contre le tocsin, contre le canon d’alarme.

L’Assemblée flottait désemparée quand les pétitionnaires des sections et de la Commune parurent à la barre vers cinq heures du soir. Ils réclamèrent l’accusation des 22 et des 12, et des ministres Lebrun et Clavière, la levée d’une armée révolutionnaire centrale, le pain à trois sous la livre dans toute la république au moyen d’une taxe sur les riches, le licenciement de tous les nobles occupant les grades supérieurs dans l’armée, la création d’ateliers d’armes pour armer les sans-culottes, l’épuration de toutes les administrations, l’arrestation des suspects, le droit de vote réservé provisoirement aux seuls sans-culottes, des allocations pour les parents des défenseurs de la patrie, des secours aux vieillards et aux infirmes.

C’était tout un vaste programme de défense révolutionnaire et mesures sociales. Une nouvelle députation, composée des délégués des autorités parisiennes et conduite par Lullier, vint ensuite protester contre les menaces d’Isnard contre Paris. Les pétitionnaires pénétrèrent dans l’enceinte et s’assirent à côté des Montagnards. La Gironde protesta contre cette intrusion et Vergniaud sortit de la salle avec ses amis, mais pour rentrer presque aussitôt. Robespierre monta à la tribune pour appuyer la suppression de la Commission des 12 déjà demandée par Barère, qui l’avait fait instituer, mais Robespierre combattit la motion présentée par le même Barère de donner à la Convention le droit de réquisitionner directement la force armée. Comme Vergniaud l’invitait à conclure, Robespierre se tournant vers lui : Oui, je vais conclure et contre vous ! Contre vous qui, après la révolution du 10 août, avez voulu conduire à l’échafaud ceux qui l’ont faite, contre vous, qui n’avez cessé de provoquer la destruction de Paris, contre vous qui avez voulu sauver le tyran, contre vous qui avez conspiré avec Dumouriez, contre vous qui avez poursuivi avec acharnement les mêmes patriotes dont Dumouriez demandait la tête... Eh bien ! ma conclusion, c’est le décret d’accusation contre tous les complices de Dumouriez et contre tous ceux qui ont été désignés par les pétitionnaires... A cette terrible apostrophe, Vergniaud ne répliqua point. La Convention supprima la Commission des 12 et approuva, sur la motion de Delacroix, l’arrêté de la Commune qui accordait deux livres par jour aux ouvriers sous les armes. Les sections montagnardes fraternisaient autour des Tuileries avec la section girondine de la Butte des Moulins, accusée faussement d’avoir arboré la cocarde blanche.

Cette journée du 31 mai s’achevait dans l’équivoque. Le soir même, à la Commune, Chaumette et Dobsen furent accusés de faiblesse par Varlet. Hébert constata que la journée était manquée, par la faute, dit-il, de l’Evêché qui avait agi avec trop de hâte. Billaud-Varenne dit aux Jacobins sa déception : La patrie n’est pas sauvée, il y avait de grandes mesures de salut public à prendre ; c’est aujourd’hui qu’il fallait porter les derniers coups à la faction. Je ne conçois pas comment les patriotes ont pu quitter leur poste sans avoir décrété d’accusation les ministres Lebrun et Clavière. Chabot déplora ensuite que Danton eût manqué de vigueur.

Le 1er juin, la garde nationale resta sous les armes, la Commune et le Comité insurrectionnel, qui reçurent la visite de Marat, préparèrent une nouvelle adresse qui fut portée à la Convention sur le soir par Hassenfratz. Elle concluait à la mise en accusation de vingt-sept députés. Legendre renchérit et réclama la mise en accusation de tous les appelants. Cambon et Marat firent renvoyer la pétition au Comité de salut public. Barère conseilla aux députés désignés sur la liste de proscription d’avoir le courage de donner leur démission. La plupart des Girondins n’avaient pas paru à la séance. Les chefs s’étaient rendus chez l’un d’eux, Meillan, où ils s’étaient efforcés vainement de se mettre d’accord sur un plan de résistance.

Pendant que les Girondins, selon leur habitude, tergiversaient, le Comité insurrectionnel allait de l’avant. Dans la nuit du 1er au 2 juin, il ordonnait l’arrestation de Roland et de Clavière. Roland parvenait à s’enfuir, mais sa femme était arrêtée à sa place. Le Comité insurrectionnel, d’accord avec la Commune, ordonna à Hanriot de faire environner la Convention d’une force armée respectable, de manière que les chefs de la faction puissent être arrêtés dans le jour, dans le cas où la Convention refuserait de faire droit à la demande des citoyens de Paris. Des ordres sont donnés pour supprimer les journaux girondins et arrêter leurs rédacteurs.

Le 2 juin était un dimanche. Les ouvriers en foule obéirent aux ordres d’Hanriot et 80.000 hommes armés, les canons en tête, environnèrent bientôt les Tuileries. La séance de la Convention avait débuté par une série de mauvaises nouvelles. Le chef-lieu du département de la Vendée, Fontenay-le-Peuple, venait de tomber aux mains des révoltés. Il en était de même de Marvejols dans la Lozère, Mende était menacé. A Lyon, les sections royalistes et girondines s’étaient emparées de l’hôtel de ville, après un sanglant combat où huit cents républicains, disait-on, avaient trouvé la mort. La municipalité montagnarde et Chalier étaient prisonniers. Saint-André tira en quelques mots la leçon de ces graves événements : Il faut de grandes mesures révolutionnaires. Dans les temps de calme, on peut arrêter une sédition par les lois ordinaires ; lorsqu’il y a un grand mouvement, lorsque l’audace de l’aristocratie est portée à son comble, il faut avoir recours aux lois de la guerre ; cette mesure est sans doute terrible, mais elle est nécessaire ; vainement vous en emploieriez d’autres... Toujours courageux, Lanjuinais, mal soutenu par le côté droit très éclairci, dénonça la révolte de la Commune et demanda sa cassation. Legendre voulut le jeter à bas de la tribune. Une députation du Comité insurrectionnel vint demander en termes menaçants l’arrestation immédiate des 22 et des 12. La demande fut renvoyée au Comité de salut public.

Les pétitionnaires sortirent en montrant le poing à l’Assemblée et en criant aux armes ! Aussitôt des consignes sévères données par Hanriot prescrivirent aux gardes nationaux de ne laisser sortir ou entrer aucun député. Levasseur de la Sarthe justifia l’arrestation des Girondins, puis Barère, sans doute d’accord avec Danton, proposa, au nom du Comité de salut public, une transaction. Les 22 et les 12 ne seraient pas mis en arrestation, mais ils seraient invités à se suspendre volontairement de leurs fonctions. Isnard, Fauchet, obéirent sur-le-champ. Mais Lanjuinais et Barbaroux refusèrent avec énergie d’adopter cette solution bâtarde : N’attendez de moi, dit Lanjuinais, ni démission ni suspension. Et Barbaroux répéta en écho : Non, n’attendez de moi aucune démission. J’ai juré de mourir à mon poste, je tiendrai mon serment. Marat et Billaud-Varenne, à leur tour, rejetèrent toute transaction : La Convention n’a pas le droit de provoquer la suspension d’aucun de ses membres, dit Billaud. S’ils sont coupables, il faut les renvoyer devant les tribunaux.

La discussion fut interrompue par plusieurs députés qui se plaignirent des consignes d’Hanriot. Barère déclama contre la tyrannie du Comité insurrectionnel. Delacroix et Danton appuyèrent Barère. Delacroix fit voter un décret ordonnant à la force armée de s’éloigner. Danton en fit voter un autre qui ordonnait au Comité de salut public de rechercher l’auteur des consignes données à la garde nationale et de venger vigoureusement la majesté nationale outragée.

Puis, à la voix de Barère, la Convention tout entière s’ébranla derrière Hérault de Séchelles, qui la présidait, pour essayer, dans une sortie théâtrale, de forcer le cercle de fer qui l’entourait. Hérault s’avança vers Hanriot qui lui fit une réponse ironique et qui commanda : Canonniers, à vos pièces ! L’Assemblée fit le tour du palais, partout repoussée par les baïonnettes. Elle rentra humiliée dans sa salle et se soumit. Sur la motion de Couthon, elle livra ses membres, mais stipula qu’ils seraient consignés en arrestation à leur domicile sous la garde d’un gendarme. Marat fit rayer de la liste Dussault vieillard radoteur, dit-il, Lanthenas, pauvre d’esprit et Ducos qui s’était trompé de bonne foi.

Ainsi finit, par le triomphe de la Montagne, la lutte commencée dès la Législative. Les Girondins furent vaincus, parce que ayant déchaîné la guerre étrangère, ils ne surent pas procurer la victoire de la paix ; parce que ayant les premiers dénoncé le roi et réclamé la république, ils ne surent pas se résoudre à renverser l’un et à proclamer l’autre ; parce qu’ils hésitèrent à tous les moments décisifs, à la veille du 10 août, à la veille du 21 janvier ; parce qu’ils donnèrent l’impression, par leur politique équivoque, qu’ils nourrissaient des arrière-pensées égoïstes, arrière-pensées de maroquins ministériels, arrière-pensées de régence, de changement de dynastie ; parce que, au milieu de la terrible crise économique qui sévissait, ils ne surent proposer aucun remède et s’élevèrent avec étroitesse et amertume contre toutes les revendications de la classe des sans-culottes, dont ils méconnurent la force et les droits, parce qu’ils s’opposèrent avec une obstination aveugle à toutes les mesures extraordinaires que la situation exigeait ; parce que, après s’y être opposés par leur vote, ils essayèrent de les entraver dans leur application ; parce que, en un mot, ils négligèrent le salut public et qu’ils s’enfermèrent dans une politique de classe au service de la seule bourgeoisie.

Le 2 juin, par suite, fut plus qu’une révolution politique. Ce que les sans-culottes renversent, ce n’est pas seulement un parti, c’est jusqu’à un certain point une classe sociale. Après la minorité de la noblesse qui succomba avec le trône, la haute bourgeoisie a son tour.

Déjà la Révolution du 10 août avait été empreinte d’une défiance évidente du parlementarisme. Mais la révolution du 10 août avait épargné l’Assemblée. Cette fois, instruits par l’expérience, les sans-culottes font un pas de plus. Ils n’hésitent pas à mutiler la représentation nationale, suivant d’ailleurs l’exemple que leur avaient donné leurs adversaires en mettant Marat en accusation. La politique de la classe que les auteurs du 2 juin inaugurent à leur tour était mal à l’aise dans le cadre de la légalité antérieure. La fiction du parlementarisme est ébranlée. Les temps de la dictature sont proches.

 

FIN DU DEUXIÈME VOLUME