LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

LIVRE DEUXIÈME. — LE GOUVERNEMENT DE LA GIRONDE

 

CHAPITRE IX. — LA VENDÉE.

 

 

L’insurrection cléricale et royaliste, qui éclate le 10 mars 1793 dans le département de la Vendée et les départements limitrophes, n’est que la manifestation suprême, l’épisode le plus redoutable des résistances et des mécontentements qui travaillaient les masses populaires dans toute la France. La fermentation fut, en effet, à peu près générale et partout elle eut en premier lieu des causes d’ordre économique et social. Les raisons d’ordre politique et religieux ne vinrent qu’ensuite, comme le corollaire des premières. L’abolition de la réglementation des subsistances par le décret du 8 décembre, la mort du roi étaient suivies d’un renchérissement rapide des denrées et d’une recrudescence de misère.

L’assignat perdait en février 50 % en moyenne. Tous les témoignages concordent pour établir que la disproportion entre les salaires et le prix de la vie s’était aggravée d’une façon prodigieuse.

Le 25 février le député Chambon déclare, sans être démenti, que dans la Corrèze, la Haute-Vienne et la Creuse, le pain noir vaut de 7 à 8 sols la livre, et il ajoute : La classe indigente, dans ces départements malheureux, ne gagne que 9 ou 10 sols par jour, c’est-à-dire que son salaire lui permettait tout juste d’acheter une livre de pain ! Dans l’Yonne, le prix du blé a triplé et les salaires, ici encore, suffisent à peine à l’achat du pain. Une preuve, dit M. Porée, que la nourriture absorbait à elle seule presque tout le gain de l’ouvrier, c’est que, s’il était nourri par le patron ou le client, son salaire se trouvait réduit des deux tiers. Le serrurier qui gagnait 3 1. 10 s. sans la nourriture ne touchait que 1 l. 10 s. s’il était nourri. La maigre paye qu’il rapportait le soir au logis s’écoulait tout entière pour le pain de la femme et des enfants.

Les villes souffrent plus encore que les campagnes. A Paris, la disette est presque à l’état permanent. Les troubles recommencent après le procès du roi. Ceux des 24, 25 et 26 février sont d’une gravité particulière. Ils commencent par une émeute de blanchisseuses qui se plaignent de ne plus pouvoir acheter de savon, dont le prix a passé de 14 à 22 sous la livre. On pille des épiceries. On taxe révolutionnairement les objets de première nécessité. Les pétitions menaçantes se succèdent pour réclamer de la Convention le cours forcé de l’assignat, la peine de mort contre les accapareurs, le maximum. Jacques Roux, au milieu des troubles, le 25 février, justifie le pillage des épiceries : Je pense, dit-il à la Commune, que les épiciers n’ont fait que restituer au peuple ce qu’ils lui faisaient payer beaucoup trop cher depuis longtemps.

A Lyon, la situation est plus alarmante encore. Le 26 janvier, quatre mille canuts demandent à la municipalité d’imposer un tarif de façons aux fabricants. Pour résister aux ouvriers qui sont appuyés par la municipalité, les fabricants et les riches s’organisent. Le maire girondin Nivière-Chol démissionne. Il est réélu le 18 février, et, à cette occasion, le club central dirigé par Chalier, président du tribunal du district, est saccagé, la statue de J.-J. Rousseau brisée, l’arbre de la liberté brûlé. Les troubles sont si sérieux que la Convention envoie à Lyon trois commissaires, Basire, Rovère et Legendre, qui essaient vainement de tenir la balance entre les deux partis ou plutôt entre les deux classes en lutte. Les ouvriers, qui payaient le pain six sous la livre, réclamaient un impôt progressif sur le capital, en même temps que la taxe des salaires et la taxe des denrées et l’institution d’une armée révolutionnaire pour exécuter les taxes.

Sans attendre que leurs demandes fussent converties en lois, les autorités locales dévouées au peuple et ensuite les commissaires de la Convention vont de l’avant, sous l’aiguillon de la nécessité. Le district de Chaumont, malgré la loi du 8 décembre, continue à approvisionner ses marchés par la voie des réquisitions. Dans l’Aveyron, les représentants Bô et Chabot soumettent les riches à une taxe de guerre pour nourrir les nécessiteux. Saint-André, dans le Lot, remet en vigueur les lois abrogées en ordonnant des recensements et des réquisitions de grains.

Les commissaires signalent tous que le renchérissement est la cause profonde des troubles et de la désaffection grandissante des populations pour le régime : Il faut très impérieusement faire vivre le pauvre si vous voulez qu’il vous aide à achever la Révolution, écrit Saint-André à Barère le 26 mars. Dans les cas extraordinaires, il ne faut voir que la grande loi du salut public. Sa lettre est très intéressante, parce qu’elle souligne, en même temps que les raisons économiques, les raisons politiques du mécontentement général. Celles-ci ne sont pas difficiles à définir. Les luttes violentes des Girondins et des Montagnards ont propagé l’incertitude, la défiance, le découragement. Les propriétaires n’ont pas mieux demandé que de croire les Girondins quand ceux-ci leur répétaient depuis plusieurs mois que les Montagnards en voulaient à leurs biens.

Par crainte de l’anarchie et de la loi agraire, ils se sont rejetés à droite. Ils ne sont pas loin de regretter la monarchie qui commence à leur apparaître maintenant comme la plus sûre garantie de l’ordre. Quant aux artisans des villes et aux manœuvres des campagnes, la gêne et la misère où ils se débattent les prédisposent à entendre alternativement et les sollicitations de la réaction et les appels d’une révolution nouvelle. La formation de la première coalition, suivie immédiatement des défaites de Belgique et du Rhin, a rendu enfin au parti royaliste la confiance et l’énergie. Telle est l’atmosphère économique et morale dans laquelle a couvé l’insurrection de la Vendée, dont la levée de 300.000 hommes fut le signal.

Il faut dire tout de suite que la loi du recrutement prêtait par son arbitraire aux critiques les plus justifiées. Dans le cas où l’inscription volontaire, disait l’article 11, rédigé par Prieur de la Marne, ne produirait pas le nombre d’hommes fixé pour chaque commune, les citoyens seront tenus de le compléter sans désemparer et, pour cet effet, ils adopteront le mode qu’ils trouveront le plus convenable à la pluralité des voix. — Quel que soit le mode adopté, disait l’article 13, par les citoyens assemblés pour compléter leur contingent, le complément en sera pris parmi les garçons et veufs sans enfants, depuis l’âge de dix-huit jusqu’à quarante ans accomplis. C’était introduire la politique et les cabales dans la désignation des recrues. Le Montagnard Choudieu avait même proposé, lors du débat, que les recrues fussent obligatoirement choisies à l’élection. J’ai proposé l’élection, avait-il dit, parce que j’ai pensé que les citoyens assemblés choisiraient de préférence les riches, ceux dont les familles sont dans l’aisance et peuvent se passer de leur travail, j’observe d’ailleurs que les riches ont encore peu fait pour la Révolution et qu’il serait peut-être temps qu’ils paient de leur personne. C’est, après tout, un honneur de servir son pays, et puisqu’on accorde par un article subséquent de se faire remplacer, j’estime que ce sera double bénéfice pour le citoyen pauvre de ne pas être choisi en première ligne, puisque, avec cette prime d’enrôlement versée par le riche, il pourra être utile davantage aux siens, tout en servant son pays. Infidèle aux principes de la déclaration des droits, la Convention se refusa en effet à imposer aux riches le service personnel, un Montagnard faisait l’éloge du remplacement !

Mais ce privilège accordé à la richesse ne pouvait manquer de paraître insupportable et abusif à un peuple qui avait fait depuis le 10 août de grands progrès dans le sentiment de l’égalité. Puis, en laissant à l’arbitraire des majorités le soin de désigner les recrues, la Convention livrait le recrutement à toutes les passions locales déchaînées. Jusque dans les départements les plus patriotes, il y eut des plaintes et des résistances fort vives provoquées par des abus criants. Dans la Sarthe, qui avait pourtant levé quatorze compagnies en août 1792, au lieu de six qui lui étaient demandées, les jeunes gens protestèrent contre l’exemption dont jouissaient les fonctionnaires élus et les hommes mariés. Dans beaucoup de communes, ils voulurent exiger que les acquéreurs de biens nationaux, autrement dit les profiteurs de la Révolution, fussent désignés d’office pour partir avant tous les autres. Dans presque tous les départements, les abus furent très graves. Tantôt les aristocrates ayant la majorité désignèrent les républicains pour partir. Tantôt ce fut l’inverse. Il y eut des coalitions de riches ou de pauvres. Il ne fut pas rare que les partisans des prêtres réfractaires, comme dans le Bas-Rhin, fissent désigner les curés constitutionnels. C’est seulement dans les communes unies qu’on procéda à l’enrôlement par le moyen du tirage au sort qui rappelait l’ancienne milice, mais ne prêtait pas aux mêmes abus. Dans les villes et les bourgs, on imposa assez souvent des taxes aux riches et, au moyen de l’argent ainsi obtenu, on acheta les hommes qui formèrent le contingent. Frappé des inconvénients de la loi, le département de l’Hérault, par son arrêté du 19 avril 1793, voulut y couper court, en confiant à un comité spécial formé par les autorités locales le droit de désigner les recrues par une réquisition personnelle et directe. Une taxe sur les riches permit d’indemniser les citoyens ainsi réquisitionnés. Ce mode de recrutement n’avait pas été prévu par la loi, mais il avait le grand avantage de mettre la levée dans la main des autorités révolutionnaires. Aussi fut-il approuvé par la Convention, sur le rapport de Barère, le 13 mai 1793, et proposé en exemple. De nombreux départements, le Doubs, le Cher, l’Allier, la Corrèze, la Haute-Vienne, l’adoptèrent. Paris fit de même quand il lui fallut lever 12.000 volontaires pour combattre les Vendéens. Chacun de ces volontaires ou plutôt de ces réquisitionnaires reçut une prime de 500 livres, d’où leur nom de héros à 500 livres.

Dans l’Ouest, les résistances à la loi sur le recrutement provoquèrent une insurrection terrible. Le jour fixé pour le tirage, le dimanche 10 mars, et les jours suivants, les paysans se soulevèrent simultanément depuis les côtes à l’Ouest jusqu’aux villes de Cholet et de Bressuire à l’Est. Armés de fléaux, de broches, de quelques fusils, souvent conduits par leurs maires, ils entrent dans les bourgs aux cris de la paix ! la paix ! pas de tirement ! Les gardes nationaux sont désarmés, les curés constitutionnels et les municipaux exécutés sommairement, les papiers officiels brûlés, les maisons des patriotes dévastées.

A Machecoul, ancienne capitale du pays de Retz, les massacres ordonnés par un ancien receveur des gabelles, Souchu, durent plus d’un mois et font 545 victimes. Le président du district Joubert eut les poignets sciés avant d’être tué à coups de fourche et de baïonnette. Il y eut des patriotes enterrés vivants. En un seul jour, 23 avril, cinquante bourgeois liés deux à deux en chapelets furent fusillés dans une prairie voisine.

Le paysan vendéen tuait avec joie le bourgeois révolutionnaire qu’il avait rencontré souvent au champ de foire, le monsieur dont il sentait le mépris indulgent, l’incrédule qui allait au club satanique, l’hérétique qui suivait les mauvaises messes. Telle était la fureur populaire, dit le prêtre réfractaire Chevalier, qu’il suffisait d’avoir été à la messe des intrus pour être emprisonné d’abord et ensuite assommé ou fusillé sous prétexte que les prisons étaient pleines comme au 2 septembre.

Les premières bandes avaient à leur tête d’anciens soldats, des contrebandiers ou faux-sauniers, d’anciens gabelous que la suppression de leur emploi avait tournés contre la Révolution, des valets de nobles. Les chefs étaient d’abord des hommes du peuple : dans les Mauges le voiturier Cathelineau, sacristain de sa paroisse, le garde-chasse Stofflet, ancien soldat ; dans le Marais breton, le perruquier Gaston, le procureur Souchu, le chirurgien Joly. Les nobles, beaucoup moins religieux que leurs métayers, n’apparurent qu’ensuite, après s’être fait prier parfois, le cruel Charette, ancien lieutenant de vaisseau, dans le Marais, le chevaleresque Bonchamp dans les Mauges, dans les Mauges aussi d’Elbée, un Saxon naturalisé français en 1757, dans le Bocage, un ancien lieutenant-colonel, Royrand, le garde du corps Sapinaud, Baudry d’Asson, Du Retail, dans le Poitou proprement dit Lescure et La Rochejaquelein, mais ceux-ci furent les derniers à se rallier à la révolte, seulement au début d’avril, après la trahison de Dumouriez, qui les décida.

Les prêtres réfractaires sortirent presque aussitôt de leurs cachettes pour enflammer le zèle des combattants. L’un d’eux, l’abbé Bernier, siégea au conseil de l’armée catholique et royale. Un autre, l’aventurier Guillot de Folleville, se fit passer pour l’évêque in partibus d’Agra et présida en cette qualité aux Te Deum.

Les rapides succès des insurgés ne s’expliquent pas seulement par le fanatisme, la soif du martyre qui les animait. Ils habitaient un pays d’accès difficile, un bocage coupé de haies, favorable aux embuscades, presque dépourvu de routes et de chemins, où les agglomérations étaient rares, la population étant disséminée dans une foule de métairies isolées. Les bourgeois patriotes qui habitaient les rares bourgs n’étaient qu’une petite minorité.

L’action des prêtres sur le soulèvement n’est pas niable, mais ne fut qu’indirecte. Le quart à peine de ceux qui étaient en fonctions au moment de la Constitution civile du clergé avaient prêté le serment. Une infinité de paroisses n’avaient pu être pourvues de prêtres constitutionnels. Une congrégation de missionnaires, les Mulotins, dont le siège était au cœur du Bocage, à Saint-Laurent-sur-Sèvre, avait organisé de nombreux pèlerinages en 1791 et 1792. Il y avait eu des miracles dans plus d’une chapelle. En se soulevant, le paysan vendéen ne voulait pas seulement éviter l’odieux service militaire, mais se battre encore pour son Dieu et pour son roi. Les révoltés arborèrent presque aussitôt un Sacré-Cœur d’étoffe qu’ils portaient sur leur courte veste. La jacquerie prit l’aspect d’une croisade.

Dès le début les paysans s’avançaient à l’assaut à l’abri du mur vivant de leurs prisonniers, qu’ils poussaient devant eux. Habiles à se dissimuler et bons tireurs, ils employaient de préférence l’ordre dispersé, cherchaient à déborder les Bleus et à les envelopper par leurs lignes de tirailleurs. Les nobles qui les commandaient avaient fait la guerre. Ils surent s’emparer des points stratégiques, ils coupèrent les ponts. Ils essayèrent de mettre de l’ordre dans la cohue de leurs hommes. Ils organisèrent des conseils de paroisse et de district, une comptabilité, des réserves. Ils se procurèrent des armes, des canons, des équipements dans les bourgs qu’ils prirent par surprise. Ils essayèrent de recruter, à l’aide des déserteurs républicains et parmi leurs prisonniers, un noyau d’armée permanente. Mais ils ne réussirent jamais que très imparfaitement à coordonner leurs efforts. Charette répugnait à toute discipline. Il ne voulait pas sortir de son Marais. Les autres chefs se jalousaient. Pour se mettre d’accord, ils élevèrent au rang de généralissime le saint de l’Anjou, Cathelineau, qui ne fut jamais qu’un chef nominal. Les paysans répugnaient à s’éloigner de leurs paroisses et à laisser leurs champs en souffrance. D’ailleurs l’intendance ne fut jamais qu’embryonnaire. Quand le paysan avait consommé ses vivres, il était obligé de quitter l’armée. Aussi les chefs eurent-ils beaucoup de peine à combiner de grandes opérations suivies et méthodiques. Ils furent réduits à des coups de main. C’est ce qui sauva la République.

A la première nouvelle des troubles, la Convention vota, le 19 mars, un décret terrible qui punissait de mort tous les rebelles qui seraient pris les armes à la main et qui ordonnait la confiscation de leurs biens. Le vote fut unanime. Lanjuinais fit même renforcer le premier texte que Marat au contraire trouvait trop sévère. Mais les Girondins, dans leur ensemble, affectèrent ensuite de ne pas prendre le soulèvement très au sérieux. Déjà, ils avaient essayé de cacher la gravité des défaites de Belgique. Brissot, dans son journal, redoubla sa campagne contre les anarchistes et, dans son numéro du 19 mars, il représenta les Vendéens comme mis en mouvement par les émissaires secrets des Montagnards, eux-mêmes agents de Pitt. La Gironde endormait la vigilance des révolutionnaires et ne semblait plus capable de sacrifier ses rancunes à l’intérêt national.

La défense des frontières, fort compromise, absorbait presque toute l’armée de ligne. On ne put détacher en Vendée, à la première heure, qu’un régiment de cavalerie, un peu d’artillerie et la 35e légion de gendarmerie composée d’anciens gardes françaises et des vainqueurs de la Bastille. La plus grande partie des forces républicaines, qui ne dépassaient pas quinze à seize mille hommes, furent formées de gardes nationaux hâtivement levés dans les départements voisins.

Heureusement, les bourgeois des ports firent une belle et victorieuse résistance. Ceux des Sables-d’Olonne repoussèrent à deux reprises, les 23 et 29 mars, les assauts furieux des rebelles. Ceux de Pornic et de Paimbœuf firent de même. Ainsi la Vendée ne put communiquer avec l’Angleterre et avec les princes, qui ignorèrent d’abord toute son importance.

Après les victoires de Cathelineau et d’Elbée à Chemillé, le 11 avril, de La Rochejaquelein aux Aubrais, le 13 avril, de l’armée d’Anjou à Coron, le 19 avril ; après la capitulation du général républicain Quétineau dans Thouars, le 5 mai, avec 4.000 fusils et 10 canons, le Conseil exécutif se décida enfin à envoyer dans l’Ouest des troupes régulières, d’abord la légion du Nord commandée par Westermann, puis des bataillons spéciaux formés d’un prélèvement de six hommes par compagnie, opéré dans toutes les armées. Deux armées furent alors organisées : celle des côtes de Brest au nord de la Loire, sous Canclaux, celle des côtes de La Rochelle, au sud, sous Biron.

On avait pu craindre pendant les premiers temps que l’incendie ne se généralisât dans toute la France. Les royalistes firent un grand effort à l’occasion du recrutement. En Ille-et-Vilaine, vers le 20 mars, des rassemblements nombreux et armés se formèrent un peu partout au cri de : Vivent le roi Louis XVII, les nobles et les prêtres ! Dans le Morbihan, la situation fut plus critique encore. Deux chefs-lieux de district, La Roche-Bernard et Rochefort, tombèrent au pouvoir des insurgés qui y commirent des horreurs. Heureusement les commissaires de la Convention, délégués par le décret du 9 mars, étaient déjà à leur poste quand la révolte éclata. Sevestre et Billaud-Varenne déployèrent une telle vigueur que les paysans furent écrasés par les gardes nationales des villes à Redon et à Rochefort, et leurs chefs arrêtés. La Vendée bretonne fut ainsi étouffée dès sa naissance. Elle devait se rallumer plus tard dans la chouannerie.

Dans l’Indre-et-Loire, Goupilleau et Tallien durent faire reclure tous les prêtres perturbateurs et les hommes suspects, assujettir tous les parents d’émigrés à un appel au chef-lieu du district. Dans la Vienne, il y eut des attroupements qu’il fallut disperser par la force. Dans le Bas-Rhin, pays très fanatique, il y eut un soulèvement grave à Molsheim, qui dura deux jours, les 25 et 26 mars. Mais c’est dans la Lozère et dans les départements voisins que le royalisme fit son plus grand effort après la Vendée. Les mêmes prêtres et nobles qui avaient déjà organisé, à la fin de 1790 et 1791, le camp de Jalès, les prieurs Claude Allier et Solier, l’ancien Constituant Marc Charrier levèrent, à la fin de mai, une troupe de 2.000 hommes et tinrent la campagne pendant plusieurs jours. Un instant Marvejols et Mende tombèrent en leur pouvoir, et leurs bourgeois patriotes furent pillés et massacrés. Mais un renfort vint de l’armée des Pyrénées. Les républicains rentrèrent dans ces villes presque aussitôt. Ils s’emparèrent de Charrier qui fut envoyé à l’échafaud.

La Vendée et les émeutes royalistes connexes eurent sur le développement ultérieur de la Révolution les conséquences les plus graves. Les républicains effrayés quittèrent en grand nombre le parti girondin, qui répugnait aux mesures énergiques, pour passer au parti montagnard qui apparaissait, de plus en plus, comme le parti de la résistance révolutionnaire. Les Montagnards eux-mêmes évoluèrent plus à gauche. Ils avaient jusque-là repoussé les taxes réclamées par les Enragés. Marat lui-même avait attaqué Jacques Roux à l’occasion des troubles alimentaires du 25 février à Paris. Les Montagnards comprennent maintenant la gravité de la crise économique. Pour maintenir leur contact avec les masses, ils adoptent, un peu à contrecœur sans doute, et ils font voter la plupart des mesures proposées par les Enragés : d’abord le cours forcé de l’assignat, le 11 avril, puis le maximum des grains, le 4 mai.

Mais ce n’est pas seulement dans le domaine économique que se succèdent les mesures extraordinaires ou révolutionnaires, mais aussi dans le domaine politique. Pour tenir en respect et pour surveiller les aristocrates et les agents de l’ennemi, sont créés, le 20 mars, les comités de surveillance, qui seront les pourvoyeurs du tribunal révolutionnaire, déjà institué dix jours plus tôt. Pour permettre aux représentants en mission d’étouffer toutes les résistances, on accroît leurs pouvoirs, on en fait des proconsuls, des dictateurs.

La Vendée eut pour contrepartie la Terreur. Mais la Terreur ne pouvait fonctionner que par les Montagnards qui en avaient créé les rouages et à leur profit. La Vendée creusa ainsi la chute de la Gironde.