JOSÉPHINE DE BEAUHARNAIS - 1763-1796

 

XIII. — LE GÉNÉRAL BEAUHARNAIS.

 

 

Un mois, deux mois, près de trois mois se passent avant que le ci-devant président de la Constituante se détermine à aller occuper son poste. Sans doute encore quelque affaire de femme, car il en a toujours. Puis, il met en ordre ses affaires, il continue à veiller sur la sûreté publique et surtout il déclame. Nous commençons une année critique qui me destine à de nouveaux dangers, écrit-il à son père le 1er janvier 1792, mais j'y suis familiarisé et toutes nies sollicitudes sont pour votre repos... Accueillez donc, mon père, avec bonté, mes vœux pour votre bonheur et donnez-moi en retour, pour porter aux hasards de la guerre, votre sainte bénédiction. Un soldat n'écrit point de ce style, mais Beauharnais n'est pas un soldat.

Dans cette lettre, pas un mot de sa femme et de ses enfants, qui pourtant, si l'on en croit Eugène, sont établis à Fontainebleau près du marquis. Ne devrait-il pas d'abord les recommander à son père, les lui confier, en prendre souci tout au moins à la veille d'un tel départ ? Eût-on manqué de citer une phrase, un mot qui eût prouvé, indiqué la réconciliation ? Mais, pas plus dans cette lettre que dans celles qu'il écrit par la suite, il n'est question de sa femme et de ses enfants. Peut-être ne trouve-t-il point cela assez stoïque, assez romain ; peut-être cela manque-t-il dans les modèles qu'il copie.

Des lettres, encore des lettres : car, et c'est là l'étrange d'une telle situation, toute la hiérarchie se trouve faussée par cette rentrée dans l'armée, à leur ancien rang d'officiers, des ci-devant Constituants. Tout lieutenant-colonel qu'il est par un désintéressement à la Cincinnatus, Alexandre ne peut oublier que, trois mois auparavant, il donnait des ordres au ministre de la Guerre et qu'avec Louis de Narbonne il était sur un ton d'intimité. Il ne s'en défait pas, car la subordination n'est pas son fort ; il fournit à Narbonne des avis, qui ont une tournure d'injonctions ; il lui offre des conseils où l'on sent le maitre. Adjudant commandant, soit ! mais avec les airs d'un dictateur qui attend qu'on le vienne supplier de reprendre le gouvernement des armées.

Il est encore à la Ferté le 24 janvier 92 ; il se décide alors à venir à Paris, et il y passe tout un mois, toujours sur le point de voler aux frontières, arrangeant ses affaires, — obtenant en effet pour son vénéré père, le 29 février 1792, une pension de 10.000 livres en considération de ses services et s'efforçant, semble-t-il, d'arranger quelque peu les affaires de son beau-père La Pagerie ; au moins est-il dépositaire de tout ce qui intéresse ses créanciers et le remet-il avant son départ aux mains de M. de Fontanes qui, très lié avec les Lezai, paraît en ce moment le confident habituel de Joséphine. Il part enfin, et, à Valenciennes où il est envoyé, son premier acte est de se faire inscrire à la Société populaire dont il ne tarde pas à être élu président.

 

Les hostilités commencées, il est désigné pour le 3e corps que commande le maréchal de Rochambeau en personne (23 avril). Il assiste aux premières opérations et, directement, rend compte au Comité militaire de la Législative de la déroute de Mons. J'ai cru, Messieurs, dit-il en terminant, devoir vous communiquer mes idées sur la situation présente ; mon sort comme le vôtre est, vous le savez, lié indissolublement au succès de la Révolution. Je crains que de nouveaux désastres m'empêchent de servir encore avec la responsabilité d'un chef, mais je serai toujours soldat. Je resterai dans le rang, je m'y ferai tuer et je ne survivrai pas à la perte de la liberté de mon pays. Semblable lettre, avec la même péroraison qu'il affectionne : Je ne veux pas survivre à la perte de la liberté de mon pays ; est adressée trois jours après, le -8 mai, au ministre de la Guerre, qui en donne lecture à l'Assemblée législative.

Sur de tels services, Alexandre est promu, le 23 mai, adjudant général colonel, et il est employé à l'Armée du Nord sous Luckner ; il continue à correspondre avec l'Assemblée, à rendre compte des moindres combats et à fournir en beau style ses impressions. — Lettre datée du quartier général de Menin le 25 juin, sur la blessure reçue le 24 par du Chastellet. Moniteur du 29. — Au commencement d'août, le ministre veut l'envoyer, sous Custine, au camp de Soissons, mais cela n'est point son affaire ; il préfère rester près de Luckner et l'obtient : c'est là, à Metz, que le trouvent les commissaires de la Législative chargés de faire accepter par l'armée la révolution du Dix Août : A notre arrivée, écrivent-ils, nous avons reçu les marques de la plus grande confiance ; on nous a rendu tous les honneurs dus au caractère dont nous étions investis. M. Luckner et deux autres officiers, l'un desquels était M. Beauharnais, sont venus au-devant de nous.

Non contents de lui avoir rendu ce témoignage, les commissaires insistent encore sur ses excellentes dispositions ; la récompense ne s'en fait pas attendre : le 4 septembre, pendant qu'on massacre à Gisors son patron, le duc de La Rochefoucauld, qu'on massacre, à Paris, son compagnon d'études, Charles de Rohan-Chabot, Alexandre est promu maréchal de camp ; on lui offre, écrit-il à Servan, de remplir à l'Armée du Rhin les fonctions de chef de l'État-Major, et le même jour, il avertit le ministre qu'il vient de prendre possession de la fonction et qu'il va s'assurer de l'état des postes. Il y en a peu, car l'armée est en formation.

 

Ce ne sont pas seulement des protecteurs ou des amis que, nouveau Brutus, il sacrifierait volontiers à la chose publique : son frère même. Lorsque son père le prie d'engager le féal Beauharnais à rentrer en France, de quel ton Alexandre s'y refuse ! Une lettre de moi ne ferait aucune impression sur lui ; mais j'espère que la vôtre produira l'effet que vous avez le droit d'en attendre : la sollicitude d'un père qui parle au nom d'un grand peuple et fait valoir l'amour de la Patrie doit l'emporter sur un faux point d'honneur dont la philosophie détruit chaque jour les illusions.

A partir du 4 septembre, où il avise le ministre Servan que, en attendant le grade, il a pris possession de l'emploi, Beauharnais est installé à Strasbourg, prodiguant ses conseils, correspondant directement avec l'Assemblée, adressant, soit aux soldats, soit aux citoyens des départements dans l'étendue de l'Armée du Rhin, proclamations sur proclamations : il en est une du 19 septembre sur les piques qui, surmontées du bonnet de la liberté, feront encore dans les mains des citoyens l'effroi des conspirateurs et l'espérance des amis de la liberté par laquelle les gardes nationaux durent se trouver bien consolés de rendre leurs fusils. Mais Beauharnais ne se borne même point aux Français : le 18 octobre, le voici qui atteste les opinions civiques et républicaines des prisonniers autrichiens et mayençais nouvellement arrivés à Strasbourg. En leur nom, il rédige une adresse à, leurs compatriotes : Ô vous, compatriotes, vous qu'une longue chaîne attache à des préjugés difficiles à détruire, revenez comme nous de votre erreur ; apprenez que cette guerre dans laquelle la France combat pour son indépendance est la querelle des rois contre les peuples. Les tyrans ont vu la philosophie renverser leur trône, briser leur sceptre. Ne souffrons pas qu'ils se servent de notre sang pour en rapprocher les débris.

Il a une littérature abondante et qui ne manque pas son effet, car elle obtient à chaque coup les honneurs du Moniteur. Il faut y lire tout entière (25 octobre) cette proclamation qu'il adresse, en qualité de chef d'état-major, aux troupes de ligne de l'Armée du Rhin, dans laquelle il invite les vieux soldats à instruire fraternellement les gardes nationales dé nouvelle levée : Le soldat, en faisant du laboureur un soldat, double les obligations que lui a déjà la patrie reconnaissante : le laboureur, en faisant dans son nouvel état des progrès rapides, accélère l'instant heureux où les succès de la liberté et de l'égalité le ramèneront triomphant dans ses paisibles foyers.

Ces phrases paraissent le plus clair de la besogne qu'il fait, car l'année 1792 s'écoule presque entière sans que l'Armée du Rhin se soit mise en mouvement. En novembre, Custine obtient de Pache de prélever sur cette armée, l'armée de Biron, les renforts qu'il lui faut. Le 21 novembre, plus de 5.000 hommes ont ainsi été enlevés à Biron, lequel estime n'avoir plus à commander une armée qui n'a plus d'effectifs. Le 3 décembre, il se rend de sa personne à Mayence, accompagné de Beauharnais et de ses chefs de service, afin de conférer avec Custine. Le 16, il est nommé général en chef de l'Armée du Var, et remplacé par Desprez-Crassier, en même temps que Custine est intitulé ou s'intitule Général commandant en chef des Armées de la République française sur le Haut et Bas-Rhin, au centre de l'Empire et en Allemagne. Beauharnais reste nominalement chef d'État-Major avec Desprez-Crassier ; il continue à résider à Strasbourg.

D'actions de guerre point : Custine dit bien que le 3, au moment de la conférence avec Biron, son armée ayant été attaquée par les Prussiens, Beauharnais y courut et se conduisit d'une manière très distinguée. Pache le répète à la Convention, mais nulle trace de ce combat. D'ailleurs, qu'Alexandre soit brave, ce n'est ni une qualité, ni un mérite chez un officier général : c'est autre chose qu'il lui faudrait pour être utile ou simplement point funeste, et cette autre chose, on la lui demanderait en vain.

Les actions de guerre sont en effet le moindre souci de ce militaire philosophe : au lendemain de cette affaire qui présage l'insuccès final des opérations de Custine sur la rive gauche, Beauharnais écrit à la Société des Amis de la Liberté de Strasbourg, dont il est président, pour témoigner son affliction de voir l'esprit public si peu formé dans les départements du Haut et Bas-Rhin et pour proposer un prix de trois cents livres en espèces, plus les frais d'impression, au meilleur ouvrage sur les moyens politiques les plus propres à développer en Alsace cet esprit public.

Il ne se contente pas d'exciter le zèle des littérateurs patriotes ; il trouve le temps de produire, outre ses lettres et ses proclamations, brochure sur brochure. Lui-même a dit que, au moment du jugement du ci-devant Roi, il avait fait imprimer son opinion en faveur du verdict le plus sévère et qu'il avait réclamé la mort du tyran. Pour ses discours et ses motions, il faut renoncer à les compter, tant il en est prodigue ; il trouve pourtant des propositions qui sortent de la banalité, comme de faire porter à Paris la Sainte-Ampoule et, en présence de la Convention assemblée, de faire brûler solennellement l'huile qu'elle contient sur l'autel de la Patrie.

Bref, il a mérité l'estime de la Société des Jacobins de Strasbourg au même titre que celle de toutes les villes où il a passé et ces sans-culottes naïfs lui reprochent seulement de ne point mettre exactement ses paroles d'accord avec ses actes et d'avoir pour maîtresse la fille du commissaire des guerres Rivage, celui qu'on appelle Rivage-le-Riche.

 

Durant toute la première partie de l'année 1793, Beauharnais est à Strasbourg ou aux environs. On ne trouve son nom dans aucun rapport. Le 8 mars, il est promu lieutenant général à cette même armée avec le commandement spécial de la division du Haut-Rhin. Le 13 mai, Custine est appelé comme général en chef à l'Armée du Nord ; la Convention nomme Houchard pour le remplacer provisoirement, mais les commissaires aux armées (Ruamps, Ferry, Ritter, Duroy, Haussmann) ne tiennent point compte de ce décret et, au refus de Diettmann, ils donnent, le 23, le commandement à Beauharnais ; le 30, cette nomination est confirmée -par la Convention.

Le 13 juin — après le coup d'État et la disparition des Girondins — nouveau décret rendu sur la proposition de Barère, rapporteur du Comité de Salut Public, appelant Alexandre au ministère de la Guerre en remplacement de Bouchotte[1]. Le civisme et les talents de Beauharnais vous sont connus, dit Barère ; et comme Chabot objecte que Beauharnais peut être plus utile à l'armée, Barère réplique : Beauharnais a été longtemps adjudant général de l'Armée du Rhin, genre de noviciat le plus utile pour le ministère de la Guerre. On dit qu'il conduit une armée, eh bien ! il en conduira onze ! Et le décret est rendu.

Cette nomination déplaît à la Commune de Paris : le citoyen Varlet, employé aux Postes, orateur écouté aux Jacobins et aux Cordeliers, qui, au Trente et un Mai, a été l'un des organisateurs de l'insurrection, dénonce Beauharnais comme noble et invite la Commune à envoyer une adresse à la Convention pour qu'elle décrète qu'aucun noble ne pourra occuper de places dans la République. Réal, substitut du procureur de la Commune, combat l'opportunité de l'adresse : Il n'a d'ailleurs, dit-il, aucune confiance en Beauharnais, qui a été au club des Feuillants, mais il s'appuie sur des considérations de convenances et de légalité et s'arrange de façon que la motion soit rejetée.

Alexandre n'a pas besoin de connaître cette dénonciation pour juger à quel point est périlleuse la place qu'on prétend lui confier. Dès le 16 juin, de son quartier général de Wissembourg, il écrit à la Convention une longue lettre (69 lignes petit texte) pour attester son civisme, déclarer sa foi républicaine, affirmer son respect pour la Convention régénérée, mais en même temps décliner le ministère. Il demande qu'il lui soit permis de continuer à servir à l'armée sous les ordres du successeur qui lui a été donné : Avec ses principes, le commandement n'est rien, l'honneur de défendre la Patrie est tout. La seule récompense qu'il souhaite, ce sera s'il peut, à la paix, retourner par le suffrage du peuple dans le sein des assemblées nationales, et, en zélé Montagnard, y continuer à défendre ses droits, qui seront plus longtemps exposés dans l'intérieur aux menées de l'intrigue et aux entreprises de l'ambition que menacés au dehors par les soldats des rois que ne peuvent manquer de vaincre les soldats de la Liberté.

Cette lettre est lue dans la séance du 19 juin au soir : elle reçoit les honneurs du Bulletin ; mais sans attendre de connaître le sort qui lui sera fait et le nouveau décret, rendu le 12, qui le maintient à la tête de l'Armée du Rhin, dès le 20, toujours de Wissembourg-, Alexandre a écrit aux citoyens composant le Conseil général de la Commune de Paris une lettre qui ne remplit pas moins de deux colonnes (195 lignes petit texte) du Supplément à la Gazette nationale du 14 juillet 1793. De cette déclaration, adressée aux magistrats du peuple, il faut retenir au moins ce lambeau de phrase : ... Si je suis peu jaloux du commandement des armées et des places qui donnent une influence sur les affaires publiques, je le serai toujours de l'estime de mes concitoyens, et en particulier d'une commune qui se distingue par son ardeur républicaine, d'une commune à laquelle la France doit non seulement la chute du trône, mais encore cet esprit public qui peut préserver à jamais des despotes en formant des amis à la liberté et des Brutus contre la tyrannie ! Et c'est la Commune de Pache, de Chaumette et d'Hébert !

Cependant, on commence à trouver que, si ce général écrit beaucoup, il agit peu. Ses phrases sont démodées ; elles sentent l'aristocrate. Mayence est assiégée et le commandant en chef de l'Armée du Rhin n'aurait-il pas mieux à faire que de rédiger des adresses ? Que lui parle-t-on de débloquer Mayence ? Il y songe, et même il en a déjà écrit. Le 7 juin, il a eu à Bitche une conférence avec Houchard ; il est vrai qu'on n'y a rien résolu ; mais, le 27, il en a tenu une nouvelle où l'on a décidé la marche en avant, et le voici qui annonce à son armée, par une proclamation qui tient une colonne du Moniteur (114 lignes petit texte), qu'elle va occuper une position à trois lieues en avant de Wissembourg. Le mouvement s'opère le 3 juillet et, dans ces positions de Freckenfeld et de Minfeld, Alexandre demeure seize fois vingt-quatre heures, transmettant soigneusement d'ailleurs à la Convention les nouvelles que lui apportent les échappés de Mayence. Le 19 juillet, il quitte Minfeld pour prendre une autre position près de Landau : il a 60.000 hommes sous ses ordres ; il s'avance avec majesté sur six colonnes ; c'est dans toutes les règles d'un art enfantin qu'il attaque le moindre poste ; c'est avec une prolixité sans pareille qu'il rend compte de la moindre escarmouche ; c'est avec une vanité déconcertante qu'il se loue du moindre succès. Pendant qu'il s'étend sur sa gloire dans ses lettres des 20 et 23 juillet, Mayence agonise. C'est le 23 que la capitulation est signée et ce Beauharnais, dont l'ineptie a perdu Mayence, ce général en chef qui n'a même point eu le mérite de tenter la fortune, adresse à son armée une proclamation pour flétrir les capitulards (60 lignes du Moniteur) : une capitulation qu'on ne pouvait prévoir lorsqu'il restait à des républicains des munitions de guerre et du pain !

Mieux, il écrit aux Jacobins de Strasbourg pour que le club demande à la Convention qu'on fasse tomber les têtes des traîtres de Mayence et qu'on les envoie au roi de Prusse !

 

Il se borne là ; sans essayer de racheter par une action de guerre le désastre dont il est la cause, il bat en retraite le 27 juillet et, le 3 août, il écrit aux Commissaires et à la Convention pour demander sa démission, vu que, appartenant à la caste proscrite, il est de son devoir d'ôter à ses concitoyens tous les sujets d'inquiétude qui pourraient s'élever contre lui dans ces moments de crise. Le 6, il revient à la charge sur les mêmes motifs. Le 8, dans une conférence qu'il tient à Bitche avec les représentants, il renouvelle sa demande : les Représentants ne veulent point accepter ; néanmoins, ils commencent à s'étonner. Quant au général Beauharnais, disent-ils, s'il faut s'en rapporter à la manifestation de ses principes, ils sont purs, ses talents politiques sont connus et ses talents militaires très étendus ; et, en lui rendant la justice qui lui est due, c'est le premier général de la République, mais il est dans un tel abattement que toutes ses facultés morales et physiques sont absorbées.

Le i3, Beauharnais est à Wissembourg avec son armée, il rend compte à la Convention d'une reconnaissance dans laquelle il a perdu dix-huit hommes tués et autant de blessés (82 lignes du Moniteur) et il insiste de nouveau pour que sa démission soit acceptée. Je dois, dit-il, provoquer moi-même l'ostracisme et vous solliciter de prendre rang comme soldat parmi les braves républicains de cette armée. A preuve de sa résolution immuable, il envoie à la Convention la proclamation qu'il vient d'adresser à ses troupes (76 lignes du Moniteur) où il annonce qu'il cède au vœu émis par quelques sociétés populaires : que ceux qui faisaient partie d'une classe privilégiée soient éloignés des armées. Sans autorisation, il se rend à Strasbourg, insiste vainement encore près des Commissaires, veut mettre en jeu le Département du Bas-Rhin, lequel lui répond que le fonctionnaire qui quitte son poste dans une occasion critique doit être considéré comme traître à la Patrie. Alors, le 18, il envoie aux Représentants cette étrange lettre : Attendu que je suis retenu malade à Strasbourg où je suis venu pour concerter avec les citoyens Représentants du peuple et les corps administratifs les moyens d'augmenter la force de l'armée et de remédier à l'inconvénient du défaut des subsistances... le citoyen général Landremont quittera l'avant-garde... et prendra provisoirement le commandement en chef de l'Armée, si cette mesure est approuvée par les citoyens Représentants du peuple. Dédaigneusement ceux-ci répondent : Le général en chef de l'Armée du Rhin pouvant donner, sous sa responsabilité, tous les ordres utiles au bien du service dont il est chargé, les mesures qu'il prendra sous ce rapport n'ont besoin d'aucune approbation.

C'est grave de quitter ainsi son poste en présence de l'ennemi, au moment où Custine est en jugement, où Dillon est arrêté, où le soupçon de trahison plane sur tous les généraux. A la Convention, on ne manque pas de faire remarquer que Beauharnais est l'ami et le confident de Custine. Tallien — le fait est à noter — défend Beauharnais : Je n'entends pas juger l'individu, dit-il, mais je ne veux pas qu'on l'inculpe vaguement. La démission est acceptée ; c'est le 21 août ; mais, lorsque la nouvelle en arrive à Strasbourg, les Représentants en mission ont déjà dû prendre sur eux de la recevoir. En effet, depuis le 18, pendant qu'aux avant-postes l'armée se bat continuellement, Beauharnais est resté à Strasbourg. Est-il malade, comme il le dit ? est-il, comme on le dit, fou d'amour pour la fille Rivage ? Le 21, il s'est décidé à se rendre à Wissembourg, mais ç'a été pour en faire évacuer les pièces de position, la poste, le trésor et tout le gros de l'armée ; le 23, il va ordonner la retraite que les Représentants empêchent en prenant cet arrêté, dont les termes méritent d'être exactement pesés, car il ne s'agit plus ici de politique, mais de défense nationale :

Les Représentants du peuple près l'Armée du Rhin, considérant que le général en chef Beauharnais réitère à chaque instant l'offre de sa démission, et de vive voix, et par écrit ; considérant que, d'après ses avis multipliés, il n'a ni la force, ni l'énergie morale nécessaires à un général en chef d'une armée républicaine ; considérant que son état de faiblesse et de langueur qui l'a éloigné de l'armée pendant trois jours de combats ne peut que jeter la méfiance et le découragement dans l'état-major de l'armée ; arrêtent que sa démission est enfin acceptée et qu'il sera tenu de s'éloigner clans l'espace de six heures à vingt lieues des frontières, dans un séjour dont il nous donnera connaissance ainsi qu'à la Convention nationale.

Et Borie, en adhérant à l'arrêté de ses collègues Ruamps et Milhaud, ajoute : J'aurais été de l'avis de l'arrestation de Beauharnais.

 

 

 



[1] Le 4 février 1793, lors de la nomination de Beurnonville, Beauharnais avait déjà obtenu seize voix et était venu en troisième, après Du Chastellet.