NAPOLÉON ET SON FILS

 

VII. — LE BAPTÊME DU ROI DE ROME.

 

 

(Mai-Juillet 1811)

 

Le Baptême doit marquer par son éclat, l'établissement définitif de la Dynastie. — La question des parrains et des marraines. — Programme des cérémonies et des réjouissances. — La question du Corps législatif. — Les lettres closes. — Tentative pour faire politesse aux Parisiens. — Le banquet de l'Hôtel de Ville. — Bal annoncé aux Tuileries. — Fête annoncée à Saint-Cloud. — Les cérémonies religieuses. — Lettres aux Évoques. - Choix des officiants. — Prétentions et demandes du cardinal Maury. — La Chapelle impériale chargée de toute la cérémonie. — Modifications au cortège. — Derniers incidents. — Les détails. — A-propos dans les théâtres. — Arrivée à Paris du Roi de Rome et de Leurs Majestés. — La Journée du 9 juin. — Splendeurs du cortège. — Accueil fait à l'Empereur. — La cérémonie a Notre-Dame. — Le banquet impérial à l'Hôtel de Ville. — Le banquet impérial aux Tuileries. — La fête de Saint-Cloud. — Le grand cordon de Saint-Étienne. — La réponse à l'adresse du Corps législatif. — Les présents du Baptême. — Les fêtes du Baptême. — La dépense. — La promotion dans la Légion. — Conclusions à tirer des fêtes du Baptême sur la psychologie de Napoléon en 1811.

 

Le cérémonial ordonné pour la Naissance fournil des notions sur l'état d'esprit de l'Empereur ; mais la Naissance a été une loterie ; quelque confiance qu'il eût en sa fortune, Napoléon ne pouvait être certain que reniant qui lui naîtrait serait un fils ; à présent le sexe est acquis, et le Baptême affirmera bien mieux le point où l'Empereur a été porté par la confiance en établissement définitif de sa dynastie.

Ici donc, pas de fait indifférent. Seul Napoléon a tout décidé ; sur les objets et les personnes, sur les prétentions, les rangs et les cortèges, sur les détails les moindres des cérémonies et des fêtes, il a porté son attention et sa critique ; deux ou trois fois, il a revu les programmes et les a modifiés. Le Baptême est pour lui bien moins une cérémonie religieuse qu'une intronisation dynastique, et c'est pour cet objet qu'il calcule le formalisme dont il l'entoure, l'éclat qu'il lui prête et le cérémonial qu'il y inaugure, même les contradictions qu'il donne ou qu'il éprouve ont leur intérêt ; les modifications qu'il fait subir à ses projets marquent des actions diverses et se rattachent à des évolutions successives de sa politique générale. Chaque série de décisions exigerait ainsi un commentaire où les variations ne seraient pas moins utiles à constater que les résolutions définitives, car chacune servirait à noter des courants d'idées fugitives dont parfois elle demeure l'unique trace.

 

Dès avant la naissance, il y a la question des parrains : le 5 février, l'Empereur a, par Duroc, ordonné au ministre des Relations extérieures, d'établir le projet des lettres qu'il écrira à l'empereur d'Autriche et au roi d'Espagne pour leur demander d'être parrains de son fils. Champagny objecte que de telles lettres n'ont jamais été du ressort de ses prédécesseurs. L'usage constant en France, observé par les souverains comme parles particuliers, dit-il ensuite, est de ne donner qu'un seul parrain a leurs enfants ; l'usage contraire existe seulement dans quelques cours d'Allemagne. L'Empereur passe outre ; il suivra l'étiquette de Vienne. Néanmoins, si c'est une princesse, il n'y aura qu'un parrain et une marraine : l'empereur d'Autriche et Madame-mère.

Les lettres sont préparées ; mais l'Empereur trouve trop cérémonieuse celle qu'on destine a Joseph ; il la veut plus amicale et fraternelle. La minute qu'il adopte excède alors la mesure, et se trouve avoir sur la marche des événements en Europe des conséquences inattendues[1].

A ce moment, il n'est pas question d'une seconde marraine : seule Madame a été désignée, et seule, au moment de la naissance, elle a reçu une lettre dont le style fleuri n'est point pour faire honneur aux rédacteurs des Relations extérieures. Ce ne sera que le 20 avril que l'Empereur écrira à la reine de Naples pour la prier d'être marraine avec Madame ; mais sa lettre singulièrement affectueuse et tendre, ne produit point l'effet qu'il en attend : soit que Caroline soit réellement malade, ou que son mari la garde dans une demi-prison, soit qu'elle ne veuille point se risquer à Paris où son frère pourrait bien la retenir, elle s'excuse, ne vient pas, envoie sa procuration a l'ambassadeur de Naples, le duc de Montechiaro, qui la remettra au ministre des Relations extérieures, dès que celui-ci aura fait connaître de quel nom il convient de la remplir. Le 7 juin, l'Empereur, irrité, décide : Les marraines sont Madame et la reine de Naples. La reine étant absente, Madame remplira seule les fonctions de marraine et on ne fera pas usage de la procuration. Le lendemain 8, il se ravise, et, sans que la procuration soit remplie, il accorde à la reine Hortense les honneurs de seconde marraine.

Quant a Joseph, il est à Paris, il assiste à la cérémonie, mais il ne parait pas aux fonts. Il est second parrain ; donc le premier parrain ou le représentant de celui-ci à droit à la préséance : or, ce représentant est le grand-duc de Wurtzbourg ; Joseph ne saurait lui céder le pas. De plus, Joseph est roi ; aux termes de l'étiquette de 1804, les frères de l'Empereur, héritiers, appelés à l'Empire, ont, dans l'Empire, le pas sur tous les souverains, quels qu'ils soient ; telle a été la loi ancienne, mais une nouvelle a été décrétée depuis le mariage autrichien en vue d'une visite espérée de l'empereur d'Autriche : le 22 août 1810, l'Empereur a fait inscrire an registre des Cérémonies cette décision qu'il n'a point notifiée aux intéressés : Un empereur, un roi ou un électeur prend place à la Cour avant les beaux-frères de Sa Majesté et même avant ses frères. Joseph ne peut sauver sa dignité de roi catholique qu'en s'abstenant. Par là se trouve manqué le double effet, politique et dynastique, que cherchait l'Empereur, de même que par l'absence de Caroline avorte la combinaison sur Naples ; ces incidents semblent médiocres ; ils tiennent à des causes profondes ; ils témoignent de dissentiments dont on ne doit négliger aucun indice, car, par là, l'Empire périra.

 

L'enfant né, le 13 avril, l'Empereur arrête le programme des cérémonies. Le 2 juin, — on devra remettre d'une semaine et ce sera pour le 9, — le baptême sera célébré dans l'église métropolitaine de Paris. L'Empereur et l'Impératrice se rendront solennellement pour y assister et pour rendre grâces à Dieu sur la naissance du Roi de Rome. Après la cérémonie de Notre-Dame, l'Empereur ira dîner à l'Hôtel de Ville de sa bonne ville de Paris et verra tirer un feu d'artifice. Le même jour, il sera chanté un Te Deum dans tout l'Empire. Les peuples, en même temps, seront conviés aux fêtes et aux réjouissances que les autorités avaient projetées à l'occasion de la Naissance, et qui auront lieu selon le mode arrêté sur la proposition du ministre de l'Intérieur : celui-ci par une circulaire, fixe aux maires de toutes les communes de l'Empire la somme que chacune devra dépenser tant pour les divertissements ordinaires, que pour des dots à des filles pauvres ou orphelines qui seront mariées à d'anciens militaires. Les Bonnes-villes paieront par surcroît le voyage et le séjour à Paris de leurs maires. Ceux-ci devront y faire porter à leurs gens la livrée de la ville qu'ils représentent. Cela ne s'est point encore vu et n'a pas été exigé pour le Mariage. Si, par les lettres portant concession d'armoiries, les lionnes-villes ont reçu, comme les particuliers, le privilège d'une livrée, cette livrée n'est-elle pas, selon l'ancien usage, destinée plutôt aux valets de ville qu'aux domestiques du maire ? Il n'importe : les livrées des quarante-neuf Bonnes-villes de l'Empire et des six Bonnes-villes du Royaume, s'ajoutant à celles de tous les nouveaux nobles, feront un spectacle qui réjouit l'Empereur. Cela coûtera bien de l'argent ; ces maires, personnages d'importance, ne manqueront pas de représenter, et l'on a pris le soin de leur indiquer comment ils doivent se vêtir : sur une question qu'ils ont eu la naïveté de poser, on leur a signifié, qu'outre leur costume pour les cérémonies, il leur fallait, pour les cercles, l'habit paré.

Avec les maires, les grands Corps de l'Etat, mais ce n'est pas assez du ministre de l'Intérieur pour convoquer ceux-ci, et Daru, nouveau secrétaire d'Etat, s'embarrasse fort à chercher des précédents et à rédiger des formules. L'Empereur tranche en déclarant qu'il appellera, par lettre close, le Sénat, le Conseil d'Etat et le Corps législatif. Avec le Sénat et le Conseil d'Etat dont la session est permanente, nulle difficulté, mais comment inviter officiellement le Corps législatif, si sa session n'est point ouverte et si rassemblée n'est point constituée ?

En vertu d'un décret du 17 avril, le Corps législatif doit ouvrir ses séances, pour la session de 1811, le deuxième jour du mois de juin prochain : c'est la date même qui a été fixée pour le Baptême, et cette cérémonie doit précéder l'autre ; mais, comme, pour diverses causes, le Baptême est remis d'une semaine et que l'Empereur, en voyage à Cherbourg, ne sera pas de retour le 2 juin, l'ouverture du Corps législatif est renvoyée au 16 juin, par un décret rendu à Rambouillet, le 5 mai ; le Baptême étant fixé au 9, le Corps législatif n'y peut donc figurer comme grand corps de l'Etat ; tout au plus les députés pourront s'y rendre individuellement. L'Empereur pourtant veut le Corps législatif, et pour concilier cette volonté avec la métaphysique de la législation politique, lui, le secrétaire d'Etat et l'archichancelier échangent quantité de lettres ; le Conseil d'Etal est saisi de projets sur lesquels il délibère ; chacun imagine des formules et des cérémonies : huit décrets, pour le moins, sont rédigés et soumis à l'Empereur qui décide, en dernier ressort, qu'il appellera le Corps législatif par lettres closes adressées au président comme il appelle le Sénat et le Conseil d'Etat : solution peu régulière et dangereuse, mais la seule qu'on ait trouvée. Seulement, le baptême, qui n'est pas dans la tradition de l'étiquette monarchique, est primé par le Te Deum. Entre toutes les grâces qu'il a plu à la divine Providence de répandre sur nous depuis notre avènement au Trône, écrit l'Empereur, celle qu'il vient de nous accorder par la naissance d'un fils est une des marques les plus signalées que nous puissions recevoir de sa protection. En conséquence, nous avons résolu d'en rendre de solennelles actions de grâces. Nous nous transporterons à cet effet, avec notre très chère épouse et compagne, l'Impératrice et Reine, le 9 de juin, présent mois, dans l'église métropolitaine de Paris, pour assister au Te Deum qui sera chanté dans cette circonstance solennelle, et au baptême de notre cher fils, le Roi de Rome, qui sera célébré en même temps. Une telle lettre n'est adressée qu'aux présidents des trois corps politiques ; d'après la nouvelle étiquette, la Cour de cassation devrait aussi être convoquée par lettre close, mais ce cérémonial n'est pas encore officiel : comme les corps inférieurs, la Cour de cassation sera donc simplement appelée par lettres du grand maître.

Voilà qui jouera le populaire ; au premier plan l'on aura en suffisance des rois et des princes, sans foule : l'oncle de l'Impératrice, le grand-duc de Wurtzbourg ci-devant de Toscane, qui représentera l'empereur d'Autriche : le roi d'Espagne, le roi de Westphalie, le vice-roi, le grand-duc de Francfort, le prince Borghèse, la reine Hortense, la princesse Pauline, peut-être la reine de Naples. Cela fera gagner de l'argent aux Parisiens.

A cette fois, et pour le moment, l'Empereur s'efforce de leur faire politesse, comme s'il sentait sur la grand'ville planer une sorte de désaffection : le Baptême à Notre-Dame est sans précédent sous l'ancien régime ; des fils et des petits-fils de France, pas un, depuis le Grand dauphin, qui n'ait été baptisé à la chapelle de Versailles ; antérieurement, c'a été à la chapelle de Saint-Germain, aux Tuileries, au Louvre, à Fontainebleau, au Palais Cardinal, selon la résidence de la Cour : jamais à Notre-Dame. Le banquet à l'Hôtel de Ville, après le Baptême, est moins inusité, mais il n'a jamais été d'étiquette pour la naissance d'un dauphin. Cela n'est rien : l'Empereur, qui décidément alors veut bonneter Paris, fait annoncer par les journaux que, le dimanche qui suivra le Baptême, il y aura une grande fête au palais des Tuileries : grande parade, dîner au Grand Couvert, concert sur la terrasse, bal dans les Appartements, où seront admis, non seulement les personnes de la Cour, mais un très grand nombre des habitants de cette ville. C'est là un miracle qui ne se sera pas vu depuis le 20 avril 1806 et le bal pour les noces de Stéphanie de Bade ! Qui sera des deux mille élus ? qui dansera dans la Salle de spectacle ou dans la Salle des Maréchaux ? qui soupera dans la Galerie de Diane ou dans la Galerie du Musée ? Tout Paris et les Parisiennes surtout, s'en agite, et celles qui se croient certaines de recevoir le bienheureux carton, commandent leurs toilettes. VA encore, pour le dimanche d'après, les journaux parlent d'une grande fête à Saint-Cloud, jeux dans le parc, illumination du château et des jardins, feu d'artifice dans la plaine de Boulogne. Autre toilette que préparent les bourgeoises, autre aliment pour les ambitions. Mais l'Empereur se ravise ; n'est-ce pas bien peuple une telle cohue ? Quel besoin d'ouvrir le Palais impérial à des gens de la Ville ? Puisque Leurs Majestés vont dîner à l'Hôtel de Ville, n'est-ce pas assez qu'on les ait vues manger au Grand Couvert ? Plus tard, on aura quelques bourgeois à la fête populaire de Saint-Cloud, pour voir le l'eu d'artifice tiré par la Garde dans la plaine, de Boulogne — encore est-ce bien sûr ? De ce feu d'artifice, le préfet de Police s'inquiète ; au mois de septembre précédent, par suite d'un rassemblement de troupes, les cultivateurs ont perdu plus de 1.200 francs ; en juin, ce sera la récolte entièrement gâtée ; mais l'Empereur ne veut entendre à rien ; il lui faut un grand spectacle à donner aux courtisans, aux députés, aux maires des Bonnes-villes : quant aux paysans, le grand maréchal s'en arrangera.

 

Plus difficile est la question des cérémonies religieuses. Quelles décorations dans l'église ? Qui officiera ? Qui sera invité ? En quelle forme les invitations ? Il en est une d'abord qu'il convient d'adresser à tous les évêques de l'Empire pour qu'ils chantent le Te Deum. Devant cette rédaction, on recule depuis la Naissance, et ce n'est pas faute de minutes qu'on ait rédigées. Le 21 mars, Bigot de Préameneu, ministre des Cultes, a, sur une dictée de Napoléon, préparé une circulaire dont les termes étaient singulièrement vifs : L'Empereur y eût dit : Nous comptons comme l'acte le plus utile aux hommes, parmi ceux qui ont distingué notre règne, le rétablissement de la religion en France, en Italie, en Pologne, et dans tous les pays où la Providence a conduit nos aigles ; le Roi de Rome, lorsqu'il montera sur le trône, consolidera cette grande œuvre ; il saura que la religion est la base de la morale, le fondement de la société, et le plus ferme appui de la monarchie ; il saura que la doctrine des Grégoire VII et des Boniface, doctrine destructive de la religion de Jésus-Christ, doit être proscrite ; il n'oubliera pas que le fils de Charlemagne fut, à l'instigation des papes, privé de son trône, de son honneur et de sa liberté. Ne tenant sa couronne que de Dieu et soutenu par l'amour de ses peuples, il contiendra, il repoussera des hommes impies qui, abusant des choses les plus sacrées, voudraient fonder un empire temporel sur une influence spirituelle ; il demeurera le défenseur de la doctrine et des privilèges de l'Eglise gallicane, conformes aux vrais dogmes et à la vraie religion de Jésus-Christ. Dans ce brouillon il est difficile de discerner la part du ministre et celle de l'Empereur ; celle-ci, d'ailleurs, ne saurait être relevée, puisque, en écartant cette formule, Napoléon l'a réduite à néant. Le 15 avril, Bigot a présenté une nouvelle rédaction, fort adoucie, où l'Empereur eût dit seulement que Dieu a jugé que ses desseins sont dans l'ordre de sa Providence, et qu'il le manifeste en lui accordant avec persévérance son aide pour leur entière exécution ; mais l'Empereur n'a pas accepté ce projet plus que celui du 21 mars ; il a laissé dormir l'un et l'autre. Le 4 mai, le ministre est revenu à la charge et il a insisté pour que l'empereur adoptât l'un ou l'autre : Les motifs qui en rendent l'envoi pressant, a-t-il écrit, sont que les évêques doivent, pour ordonner des prières, faire un mandement, que leur usage est d'attendre la lettre d'avis pour y travailler, que, mandés pour le concile, ils n'auraient plus assez de temps et que, peut-être même, ceux qui sont plus éloignés seraient en route pour se rendre au concile. L'Empereur tarde encore ; à la fin, le 18 mai seulement, lui-même, dans la forme appropriée, toute différente de celle qui lui a été proposée, écrit aux évoques : La naissance du Roi de Rome est une occasion solennelle de prières et de remerciements envers l'auteur de tous biens. Le 9 juin, jour de la Trinité, nous irons nous-même le présenter au baptême dans l'église de Notre-Dame de Paris. Notre intention est que, le même jour, nos peuples se réunissent dans leurs églises pour assister au Te Deum et joindre leurs prières et leurs vœux aux nôtres.

A comparer les trois textes, il résulte de l'adoption du dernier, qui seul est valide, un ménagement évident pour le Saint-Siège, une préoccupation de ne pas envenimer les querelles, et chacune des minutes répercute en quelque sorte les négociations engagées à Savone.

Un en a une preuve plus marquée encore dans le choix des officiants. L'église Notre-Dame étant désignée, Maury n'a pas douté qu'il ne dût être élu, et tout était combiné pour qu'il le crût. Il en a été si bien convaincu qu'il a pris toutes ses mesures, qu'il a visité l'église avec le grand maître des Cérémonies, et les architectes, et qu'il a préparé, de concert avec eux, un premier devis montant à 200.000 francs. Naturellement, à son compte, l'Empereur, l'Impératrice et la Courue peuvent manquer, comme le jour du Sacre, de partir du palais archiépiscopal, et c'est là une occasion sans pareille pour y proposer des embellissements ; du même coup, l'archevêque ne doit-il pas songera son église et exposer les réparations qu'il y rêve ? Dans ses appartements, il n'a ni tableaux, ni tapisseries, pas même les portraits de Leurs Majestés : sans nul doute, on les lui donnera. Sur le chevet de l'église, la grande croix en fer doré a été abattue par la Révolution : on la rétablira assurément ; sur la boiserie du cœur sont sculptés des bonnets de la Liberté : des aigles et des N couronnés y feront bien mieux ; deux candélabres à vingt-cinq branches, en cuivre doré, sont indispensables aux cérémonies ; de même la restauration du grand autel et du pavé du sanctuaire ; au fond du chœur, devant le maître-autel, à l'endroit où l'on voyait jadis les statues de Louis XIII et de Louis XIV présentant leurs couronnes à la protection de la Sainte Vierge, ne faut-il pas qu'on érige la statue de l'Empereur qui a reconnu la Sainte Vierge pour patronne de la France, et qu'on lui donne pour pendant la statue de Charlemagne ; et puis, un second bourdon, une sacristie, divers accessoires, surtout rétablissement en permanence du trône de l'Empereur. C'est ainsi que les empereurs romains avaient toujours leur trône ; placé, à Constantinople, dans l'église Sainte-Sophie et, à Rome, dans l'église de Saint-Jean-de-Latran. L'archevêque donnera l'exemple du profond respect qui est du au trône de l'Empereur en le saluant et en le faisant saluer par son clergé toutes les fois qu'on traversera le chœur.

Cela eût tenté Napoléon en d'autres jours ; mais il n'agrée cette fois, ni le devis dressé par le grand maître auquel il déclare brusquement qu'il ne veut dépenser que 5.000 francs, ni les demandes présentées par Maury, quoiqu'elles aient été la plupart appuyées par le grand maréchal et le ministre des Cultes : celui-ci n'a proposé un amendement que pour les statues : Maury avait dit Charlemagne ; Du roc avait parlé de Marie-Louise ; Bigot accepte bien l'Impératrice, mais il ne veut pas qu'on dispose les statues comme étaient celles de Louis XIII et de Louis XIV : on pourrait construire en marbre, a l'occasion du Baptême, un monument qui présente Leurs Majestés rendant au culte catholique cet hommage éclatant.

Rien de tout cela, rien même de Maury qui, n'ayant point ses bulles, se mettrait en fâcheuse posture vis à vis du Saint-Siège. Pas de sermon. Fesch a été chargé de choisir un prédicateur, l'ordre est révoqué. L'Empereur décide que la fonction du Baptême appartient en entier à sa chapelle, et que c'est au grand aumônier à faire la cérémonie religieuse et à régler tous les détails. Maury restreint ses demandes à présenter l'eau bénite à Sa Majesté à l'entrée à Notre-Dame ; cela même lui est refusé, comme de désigner les ecclésiastiques, chanoines de sa cathédrale, qui porteront à ; dais. Seul enfin, le grand aumônier adressera les invitations aux cardinaux et aux évêques qui se trouvent à Paris, — ce qui permettra d'éviter que l'aventure du Mariage se renouvelle.

Dans ces conditions, le 14 mai, Fesch, assisté du grand maître, de l'abbé Sambucy, maître des cérémonies de la Chapelle, et de l'architecte Fontaine, arrête les dispositions de l'église : simplement l'élargissement du sanctuaire, la construction de tribunes au pourtour du chœur, une décoration générale au moyen des tapisseries de la Couronne et le placement d'un grand nombre de banquettes ; le 20, l'Empereur ouvre au grand maître un crédit de 30.000 francs, et le 25, sauf les tapisseries, les préparatifs sont presque achevés.

Reste le cortège, auquel l'Empereur fait bien des changements. D'abord, selon le programme primitif, le grand écuyer devait monter dans une voiture avec deux autres grands officiers, mais il réclame ; devant diriger le cortège, il prétend que, selon l'ancien usage, il doit être seul dans sa voiture et passer en avant du carrosse impérial : l'Empereur décide que le grand écuyer montera a cheval et qu'il aura ainsi toute liberté pour se mouvoir. Puis, il y a le cortège particulier du Roi de Rome ; il est mesquin et de petite allure ; la voiture à huit chevaux n'est point assez entourée pour aller à Notre-Dame, surtout pour en revenir ; l'avant-veille de la cérémonie, l'Empereur dicte encore cette note sur laquelle Ségur devra travailler : Il faut que le Roi de Rome revienne de Notre-Dame aux Tuileries avec cinq voitures. On y mettra quelques chambellans de plus. Au lieu d'un aide de camp auprès du Roi, il faut y mettre un général de la Garde. Au grand cortège, en allant, il y aura, à la portière du Roi de Rome, d'un côté, son premier écuyer, le baron de Canisy, de l'autre, un général de la Garde. Sa Majesté nomme pour cette fonction M. le général Walther. Le général Walther sera autorisé a avoir quatre ou cinq officiers de la Garde, en grande tenue, en avant des chevaux de la voiture du Roi. Il faut spécifier la quantité de troupes qu'aura le Roi de Rome à son retour. Il faut qu'il y ait six pages a cheval et quatre écuyers au lieu de deux. Il faut examiner aussi s'il y aura des pages sur la voiture du Roi de Rome. Comme il y a une couronne, c'est une grande cérémonie.

Au dernier moment, des incidents surgissent : le premier parrain, l'empereur d'Autriche, envoie, comme présent à son petit-fils et filleul, la décoration de Saint-Etienne en diamants : Cela s'est-il fait lors du dauphin ou dans d'autres circonstances en Europe ? demande l'Empereur au duc de Bassano. Hormis la Toison d'Or, et seulement depuis rétablissement des Bourbons à Madrid, les dauphins de France ne portaient aucun ordre étranger et ne se paraient que du Cordon bleu : mais, dès la naissance du Roi de Rome, les journaux ont raconté les splendeurs de cette plaque qu'ils évaluent a un million et demi ; ils ont dit que le prince Clary était chargé de l'apporter : cela ne s'est point trouvé vrai, mais, a présent qu'on a attendu au 1er juin, le baron de Tettenborn, attaché à l'ambassade d'Autriche, parti de Vienne le 22 mai, est en route avec les insignes et il va arriver à Paris. On ne saurait refuser : seulement, l'Empereur décide que la décoration ne sera présentée à son fils qu'après le baptême ; ainsi l'on n'aura pas l'embarras de savoir s'il doit l'y porter et la remise fera l'objet d'une cérémonie particulière.

Autre chose : pour la décoration de Notre-Dame, les crédits ont été trop courts, car, outre les objets prévus, l'Empereur a voulu une tente en avant du parvis, pour monter et descendre à couvert. L'architecte a donc dû renoncer aux tapisseries dont il prétendait tendre l'église. Les débris des tentures qui ont servi au Couronnement et à toutes les autres fêtes sont les seules décorations intérieures. Cela contrarie, mais il est trop tard pour y porter remède. Par ailleurs, les accessoires nécessaires à la cérémonie sont prêts et se trouvent plaire. Paraud, l'orfèvre de la Chapelle, a, dès le 26 mai, livré au grand aumônier, le vase en or exécuté sur les dessins de Percier, le goupillon d'or, le flacon de cristal qui contiendra l'eau du baptême, et les boites à onctions ; pour les honneurs de l'enfant, Poupart a livré une poignée de cierge en salin blanc brodée d'un semis d'abeilles de France et de roses d'Italie, Rabaud un voile de point de 100 francs qui doit servir de chrémeau, Paraud, la salière d'or ; — l'aiguière et le bassin seront ceux du Couronnement. Pour porter l'Enfant de France, on a un manteau de tissu d'argent broché, de sept aunes trois quarts, doublé de double florence blanc, fourré d'hermine et retenu par un câble d'argent fin ; Nourtier a fourni l'étoffe, Givelet la fourrure, Mme Raimbaud la façon, et en voilà pour 2.792 francs. La nourrice, tout de blanc vêtue, des souliers au bonnet, accompagnera l'enfant durant toute la cérémonie et, sur sa robe de soie, on a jeté pour 1.205 francs de dentelles. Chez le grand écuyer, on a fait ce qu'on a pu avec les 40.000 francs que l'Empereur a accordés ; on a embelli et réparé les voitures du cortège du Roi, changé les housses, renouvelé les guides et rajusté les harnais. Même, les billets de toutes les couleurs, que Roussot a gravés et qui ont été imprimés par Moreaux, sont distribués.

Dès le 6 juin, les théâtres donnent des à-propos : à la Gaîté, les Dragées ou le Confiseur du Grand Monarque ; aux Variétés, les Nouvelles Réjouissances ou l'Impromptu de Nanterre ; à l'Ambigu, le Jardin d'olivier ou le Jour des Relevailles ; au Vaudeville, le Retour de Paris, suite de la Dépêche télégraphique ; au Cirque, Achille plongé dans le Styx ou l'Oracle de Calchas ; aux Jeux Gymniques, l'Asile du Silence ou Gloire et Sagesse. Rien dans les Théâtres impériaux, où les fournisseurs ordinaires paraissent avoir épuisé leur verve. N'en est-il pas de même des poètes ? Sept à huit seulement se trouvent prêts et combien pauvres, ces mendiants : heureusement, un prosateur se rencontre qui imagine le roi de Rome en 1855, fragment de la relation des Voyages du prince de X*** en Europe ; cet homme ingénieux se nomme François Ferlus — et il est de Toulouse.

Le 8 juin, à cinq heures de l'après-midi, le Roi de Rome quitte Saint-Cloud, avec son service, pour se rendre aux Tuileries, où son appartement remeublé est prêt a le recevoir. A six heures, une batterie de six pièces, établie sur la terrasse du Bord de l'Eau, lire une salve de cent un coups. A sept heures, l'Empereur et l'Impératrice arrivent à Paris et se montrent aux spectacles gratis des Théâtres impériaux.

Le 9, à neuf heures du malin, au signal donné par une nouvelle salve de la terrasse au Bord de l'Eau, le bourdon de Notre-Dame entre en branle, et, de tous les clochers de la Ville, les cloches répondent. A onze heures et demie, aux Tuileries, dans les Grands appartements, audience diplomatique, puis la messe, puis grande audience pour les députations des Bonnes-Villes, puis des présentations — entre autres des Espagnols de Joseph — puis l'audience de l'Impératrice. A midi, les postes sont doublés ; le service est pris par les Grenadiers à pied ; les Chasseurs bordent la haie dans le jardin et leur musique s'établit au milieu du parterre. Si loin qu'on peut les étendre sur le parcours du cortège, du l'ont tournant, par la place et la rue de la Concorde, les boulevards, la rue Saint-Denis, la place du Châtelet, le pont au Change, les rues de la Barillerie, du Marché-Neuf et du Parvis Notre-Dame, s'espacent le 3e Grenadiers, l'Artillerie à pied, les Fusiliers, les Tirailleurs, les Ouvriers d'administration, le 24e Léger et la Garde de Paris. A une heure, quatre cents Grenadiers, quatre cents Chasseurs, un détachement de sapeurs et un de Gendarmes d'élite, aux ordres du général Curial, prennent poste à Notre-Dame avec une musique. Peu à peu, les voitures débouchent sur le parvis et amènent les invités, qui emplissent l'église et patiemment attendent. A cinq heures seulement, le cortège se forme dans le jardin des Tuileries : en tôle, la Gendarmerie délite, les Chevau-légers du 2e régiment (Hollandais), ceux du 1er (Polonais), puis les Chasseurs à cheval entremêlés de Mamelucks, le commandant de Paris et son état-major ; après, les hérauts d'armes à cheval et la théorie des carrosses : vingt-quatre carrosses à six chevaux pour les maîtres des Cérémonies, les préfets du Palais, les chambellans, les premiers aumôniers, les grands aigles, les grands officiers de l'Empire, les dames du Palais, les grands officiers de la Couronne : encore quatre carrosses, plus somptueux, pour les princesses et les princes, écuyers de service aux portières — mais écuyers français. Jérôme a fait monter à cheval un de ses écuyers westphaliens ; au moment où le cortège débouche sur la place de la Concorde, un aide de camp de l'Empereur arrive à toute bride et intime au Westphalien l'ordre de se retirer.

Après les princes, un espace, et, entourée d'un piquet de trente sous-officiers, l'écuyer à la portière de droite, le général Walther à la portière de gauche, la voiture à huit chevaux de l'Impératrice. Au fond, la gouvernante, tenant sur ses genoux le Roi de Rome. Il a sa robe de point d'Angleterre doublée de satin blanc, et il est coiffé d'un bonnet de point à l'aiguille doublé de blanc ; le rouge du grand cordon de la Légion éclate sur les dentelles. Devant, les deux sous-gouvernantes et la nourrice : celle-ci en robe de soie blanche garnie de point, fichu et bonnet de point, souliers de prunelle blanche. Aux deux sièges, des grappes de pages.

Un espace encore : l'empereur ! Les officiers d'ordonnance à la hauteur des premiers chevaux d'attelage, les aides de camp, les colonels généraux de la Garde, le grand écuyer entourant la voiture du Sacre, chargée de pages devant et derrière, attelée de huit chevaux entiers que contiennent les garçons d'attelage ; à l'intérieur, à droite, l'Empereur en grand costume de France : loque de velours à plumes, habit et manteau de velours pourpre, culotte blanche ; tout sur lui est broderie d'or, scintillements de diamants ; à gauche, l'Impératrice, robe de salin blanc, chérusque de gaze d'argent, diamants en diadème, au col, aux oreilles, aux épaules, ruisselant sur le manteau de cour. Les écuyers de l'empereur chevauchent aux portières ; derrière, marche le maréchal inspecteur de la Gendarmerie.

Encore des voitures pour les grands officiers, poulies officiers de l'Impératrice : les voilures des princes et des princesses pour leurs officiers et leurs dames... Les Dragons de l'Impératrice et les Grenadiers à cheval ferment la marche.

Sur le parcours, une foule énorme, silencieuse ; à peine de cris, nul enthousiasme : tous les témoins véridiques l'attestent. Le Parisien n'aime pas qu'on le désheure ; à quatre heures et demie, cinq heures, cinq heures et demie au plus tard, il dîne ; il ne crie pas le ventre creux. Il en veut à l'Empereur de la longue al tente, de l'heure tardive, du dîner brûlé. Les splendeurs du cortège ne l'émeuvent pas : d'ailleurs le commerce est stagnant, la récolte s'annonce mal ; fin mai, le 5 pour 100 consolidé a fait 77,70, le plus bas cours depuis les années de guerre, et la guerre va recommencer. Pas d'amnistie pour les réfractaires ; point d'espoir que la conscription se modère et qu'on diminue les droits réunis. Pourquoi crier ?

A Notre-Dame, où le clergé est entré processionnellement à cinq heures et demie, quand la salve de cent un coup de canon a annoncé que l'Empereur quittait les Tuileries, le cortège n'arrive qu'à sept heures. Il faut qu'on descende des voitures, que l'Empereur reçoive l'eau bénite, que la marche s'organise suivant l'immuable étiquette : huissiers, hérauts, pages, aides des Cérémonies, officiers d'ordonnance, maître des Cérémonies, préfets du Palais, officiers de service près du Roi de Rome, écuyers, chambellans, grands aigles, ministres, grands officiers de la Couronne ; les honneurs de l'enfant : la princesse de Neuchâtel avec le cierge, la princesse Aldobrandini avec le chréman, la comtesse de Beauvau avec la salière : les honneurs du parrain et de la marraine : le bassin, porté par la duchesse Dalberg : l'aiguière, par la comtesse Villain XIIII ; la serviette, par la duchesse de Dalmatie ; après, sur un rang, à droite, le grand-duc de Wurtzbourg, à gauche, Madame, ayant Hortense à côte d'elle ; puis, le Roi de Rome aux bras de la gouvernante, les deux sous-gouvernantes et la nourrice un peu en arrière, et le maréchal duc de Valmy portant la queue du manteau d'hermine ; puis, l'Impératrice, sous un dais que portent des chanoines ; à droite et à gauche, la dame d'honneur et la dame d'Atours ; derrière, le prince Aldobrandini, portant la queue du manteau ; puis, la princesse Pauline, seule des princesses, Julie ayant prétexté une maladie, Elisa et Caroline étant absentes ; puis, les dames du Palais, les princes grands dignitaires, les princes de la Famille — Joseph et Jérôme, en blanc, costume de prince français ; enfin, l'Empereur sous un dais ; aides de camp à droite et à gauche, colonel général, grand maréchal, premier aumônier derrière ; pour finir, les dames et les officiers des princes et princesses.

Leurs Majestés se placent à leurs prie-Dieu, dans la nef ; toute la Cour se range en ordre. Le grand aumônier entonne le Veni Creator ; après, en rochet et étole, mitre en tête, il vient à l'entrée ; du chœur où la gouvernante, accompagnée des parrains et marraines, a porté l'enfant. Il fait la cérémonie des catéchumènes ; ensuite, par les langes, il tire doucement l'enfant dans le chœur : Ingredere in templum Dei. Leurs Majestés, toujours en grand cortège, viennent s'y placer sur leurs trônes. Le grand aumônier dépose la mitre, s'approche des fonts baptismaux avec le parrain et les marraines, récite avec eux le symbole des Apôtres en français, et remplit toutes les cérémonies que complique l'étiquette cardinalice. Quand elles sont terminées, la gouvernante remet l'enfant à l'Impératrice, qui, debout, le tient élevé dans ses bras durant que, s'avançant à la grille du chœur, le chef des hérauts d'armes crie par trois fois : Vive le Roi de Rome ! Acclamations. A son tour, l'Empereur, très ému, saisit l'Enfant, il le baise trois fois, et, se tournant de tous les cotés, il le présente, les bras levés, aux assistants. Le Vivat éclate, soutenu par l'orchestre que dirige Le Sueur. Les cris emplissent l'église et sonnent sur la place du Parvis.

La gouvernante reprend l'Enfant, fait une révérence à l'Empereur et, avec le cortège royal reformé, sort par la porte du sanctuaire ; elle gagne l'archevêché, rentre, par les quais, aux Tuileries, et de la à Saint-Cloud, où elle est rendue à onze heures du soir.

Cependant le grand aumônier a entonné le Te Deum, qui est exécuté par l'orchestre ; ensuite le Domine salvum ; enfin la bénédiction ; le cortège se met en mouvement ; à la porte de la cathédrale, l'eau bénite. On part pour l'Hôtel de Ville, occupé, depuis quatre heures de l'après-midi, par quatre cents Grenadiers, quatre cents Chasseurs, un détachement de Sapeurs et un de Gendarmes d'élite, aux ordres du général Michel. En route, les chevaux de la voiture de l'Empereur, tous chevaux entiers, rompent leurs traits, et il faut plus d'une demi-heure pour que leurs harnais soient réparés. L'Empereur, avec une patience qu'on admire, converse avec l'Impératrice comme s'il ne s'apercevait de rien. Leurs Majestés devaient arriver à huit heures à l'Hôtel de Ville ; il en est neuf et demie lorsqu'elles descendent au perron de la Grève, où elles sont reçues par le préfet, le Corps municipal et douze dames notables. Elles reçoivent une harangue du préfet, puis, par la salle du Trône où, avec les personnes de la Cour, les maires des Bonnes-villes et les magistrats de Paris ont seuls été admis, elles sont conduites a leurs appartements. L'Empereur y agrée quatre présentations rapides. Le grand maréchal lui ayant annoncé qu'il est servi, il passe par les appartements de l'Impératrice, l'y prend, traverse la salle du Trône et se rend dans la salle Saint-Jean, que décorent les armoiries des quarante-neuf Bonnes-villes et où le Banquet impérial est dressé sur une estrade. Au bas de cette estrade, en face de la table, se placent les dames du Palais et les personnes de la Cour ; plus loin, les gens de la Ville ont permission de défiler en saluant. Au dessus des fauteuils de Leurs Majestés, des dais ; à droite de l'Empereur, Madame, Joseph, Jérôme, Borghèse, Eugène ; à gauche de l'Impératrice, Hortense, Pauline, les grands-ducs de Wurtzbourg et de Francfort. Le repas est singulièrement bref, et l'Empereur repasse dans la salle des Fastes, pour le concert. Le morceau principal en est une cantate d'Arnault, sur laquelle Méhul a mis de la musique : Le Chant d'Ossian. Lays fait la partie d'Ossian : à l'envi, Ossian, un barde, le chœur des Bardes et le chœur des Ombres héroïques attestent les destins futurs du fils de l'Empereur.

Après le concert, cercle dans la salle du Trône, où Leurs Majestés parlent à beaucoup de gens ; mais il n'y a pas le quart des invités du Mariage : depuis l'incendie Schwarzenberg, l'Empereur a horreur des cohues et plus encore des constructions provisoires en planches et en toile goudronnée ; au lieu des immenses annexes de 1810, on a donc élevé seulement, sur la cour intérieure, une sorte de jardin factice au fond duquel on a placé la statue du Tibre. L'Empereur y fait un tour, et à onze heures et demie, par les quais illuminés, il regagne les Tuileries : le feu d'artifice de la place de la Concorde étant tiré, il ne s'y arrête que pour reprendre sa voiture de campagne qui le ramène à Saint-Cloud.

La fête populaire et municipale s'est passée à côté de la fête officielle sans s'y mêler : mariages dotés parla Ville, loteries de comestibles, fontaines de vin, jeux divers, orchestres et danses, bombes et artifices, rien qui sorte du programme ordinaire, sauf le tournoi chevaleresque couru au Carré des Jeux. Pour les illuminations, on s'étonne que le dôme des Invalides et celui des Quatre-Nations restant dans l'ombre, celui du Val-de-Grace brille de mille feux : Napoléon a pensé au vœu de Louis XIII !

Selon le programme arrêté au mois d'avril, la fête que l'Empereur rendra à la Ville doit suivre, à huit jours d'intervalle, celle qu'il en a reçue. On compte si bien, pour le 16, sur un grand bal aux Tuileries, que, le 14, le préfet de Police, s'étonnant de n'avoir pas d'instructions, en réclame au grand maître. Celui-ci le renvoie au grand chambellan et il ajoute : La fête consistera, je crois, en banquet et spectacle, mais seulement pour les personnes présentées et les députés des Villes. Il y aura aussi concert dans le jardin des Tuileries. C'est donc au plus tôt l'avant-veille que les deux mille Parisiens, hommes et femmes, qui s'attendaient à être invités, apprennent qu'ils ne sont de rien.

Le 16, à midi, l'Empereur part en grand cortège pour ouvrir la session du Corps législatif. Dans son discours, par une phrase seulement, il évoque son fils : La naissance du Roi de Rome, dit-il, a rempli mes vœux et satisfait à l'a venir de mes peuples. Une autre phrase sur le Baptême est tombée dans la dernière révision ; elle manque en tête d'un paragraphe qu'elle rend incompréhensible.

A sept heures, les personnes de la Cour, les membres des grands corps de l'Etat, les évoques du Concile, les députés des Bonnes-villes et les personnes présentées sont rendus, en habit de cour, dans la Salle des Maréchaux. La table du Banquet impérial y est dressée : neuf couverts seulement, car Madame et Julie se sont excusées, et Joseph est parti de la veille. En face de l'estrade, sur des banquettes en gradins, les femmes assises ; plus haut, et dans la galerie supérieure où est aussi l'orchestre, les hommes debout. A huit heures et demie, Leurs Majestés passent à table. En face de cette foule qui s'est mise en costume ou en toilette pour le regarder dîner, l'Empereur, à ce Grand Couvert dont il essaie la restauration, mange vite ; malgré le cérémonial, dès neuf heures, il passe avec l'Impératrice dans sa tribune, sur le balcon central, pour entendre le concert de la Terrasse. On commence par l'ouverture de la Clémence de Titus, on continue par une cantate d'Arnault :

Ô France, à tes destins prospères,

Un règne éternel est promis ;

Oui, ce jour assure à tes fils

Toute la gloire de leurs pères.

On termine par le Vivat. Durant le concert, les invités se sont placés dans la salle de spectacle, où Leurs Majestés font leur entrée vers dix heures. Dans la loge impériale, la Famille seule : Hortense, Pauline et Jérôme ; Eugène et les deux grands-ducs sont dans la loge des princes. Le spectacle s'étant trouvé retardé, on ne donne que le premier acte de Didon, paroles de Métastase, sur quoi Paër a fait de la musique. — Didon... et Joséphine ?... — puis retour dans les Grands appartements, cercle qui dure un moment et départ pour Saint-Cloud.

Telle est la fête donnée à Paris ; Paris n'en voit rien. Les dames de la Ville sont décidément exclues des Tuileries. Quant au peuple, on lui a déjà donné, au nom de la Ville, des jeux, des illuminations et des feux d'artifice, au nom de l'Empereur, des illuminations et un concert ; on va lui donner bien mieux, mais le 23, à Saint-Cloud. Ce jour-là, deux, trois, quatre fêtes ensemble : fête dans le bois de Boulogne, où la Garde impériale, le 24e Léger et la Garde de Paris banquettent à quarante sols par tête ; fête dans la plaine de Boulogne, où l'artillerie de la Garde tire le feu d'artifice qu'elle a confectionné elle-même sous les ordres du général Sorbier ; fête dans le bas parc de Saint-Cloud où, d'abord, à douze buffets, on distribue les huit mille lots de la loterie tirée la veille, à Paris, dans les douze arrondissements : seize cents paies, huit cents saucissons, six cents langues, six cents poulets, quatre cents gigots, quatre mille pains d'une livre, arrosés de soixante-douze pièces de vin ; puis jeux et spectacles gratis : Delcourt et Saqui, avec leurs troupes de danseurs de corde ; Auguste, avec sa troupe de sauteurs ; le théâtre de Physique et de Mécanique d'Olivier ; les Fantoccini de Dupont ; les Ombres chinoises du sieur Séraphin ; Préjean, qui fait des expériences de physique ; Colombier, qui voltige ; douze orchestres de quatre musiciens chacun ; quatre jeux de bagues et de tourniquets ; deux mais de cocagne où l'on gagne des bijoux. Le parc et les cascades sont magnifiquement illuminés et l'on y est aux premières loges pour voir le feu d'artifice ; même, pour prévenir les bousculades, a-t-on, le long des fossés, entre l'emplacement des jeux et la rivière, posé une barrière de 11.000 francs. Enfin, dans le petit parc, il y a la fête des gens de la Cour, la fête où les députés et les maires des Bonnes-villes ont permission de venir, et où les dames, vu que c'est une fête de campagne paraissent en robe ronde. Comme dit Mme de Luçay, c'est une fête champêtre dans le genre de celle donnée, l'année dernière, par le prince de Schwarzenberg ; spectacle, bal extérieur, jeux, soupers dans les jardins, terminé ou précédé par le beau feu d'artifice. En fait, il manque Despréaux, que Fontaine n'égale point, quoiqu'il se soit adjoint Paër et Gardel. L'Allée des Goulelles, éclairée en verres de couleurs ; des orchestres placés çà et là ; les cascades illuminées ; des transparents à emblèmes dispersés dans les allées ; ici, une lanterne magique représentant des tableaux grands comme nature, analogues à la circonstance qu'expliquent des chanteurs accompagnés d'orchestres d'harmonie ; là, un jeu de hasard et d'adresse où l'on fait, du haut d'un cercle, tomber des bonbons qu'enveloppent des devises appropriées ; plus loin, des enfants, vêtus à l'allemande, couronnant le buste de l'Impératrice, placé au milieu de leurs divertissements ; à la salle du Jeu de Bagues, sur un théâtre champêtre, la Fête du Village, un proverbe de M. Etienne, interprété par la troupe de l'Opéra-Comique avec ballets par l'Opéra ; enfin, un souper dans un camp impérial où la tente de l'Empereur est placée au milieu de seize moindres tentes pour les invités ; cela est à pleurer de platitude.

Le beau, c'est le feu d'artifice de la Garde, avec les six chaloupes canonnières livrant sur la Seine un combat naval, les feux de file avec des cartouches à étoiles, le palais du Roi de Rome figuré en apothéose de feu, et, dans le ciel, l'autre feu d'artifice que tire, de son ballon illuminé, Mme Blanchard, l'aéronaute intrépide. Et, outre les fusées, elle jette des vers qu'on s'arrache : Le Messager d'Iris ou la Vision astronomico-historique, poème en l'air, sur l'air : J'ai vu partout dans mes voyages. L'Empereur est si content de la première expérience de ce genre qui ait réussi, que, outre les 2.400 francs convenus, il octroie à Mme Blanchard une gratification de 3.000 francs.

On n'a guère loisir de profiter des divertissements qu'a préparés Fontaine : à six heures, Leurs Majestés se sont promenées en calèche dans le bas parc, où la foule est, dit-on, de 300.000 personnes ; remontées au château, elles ont tenu le cercle, qui est annoncé pour huit heures et demie ; elles ont assisté au feu d'artifice et commencé la promenade dans le parc réservé ; mais, à peine au théâtre, un orage qui a menacé tout le jour, éclate et noie tout. L'Empereur, qui est sous un dais, tient bon et dit au maire de Lyon : Demain, vous aurez des clients. Il pourrait en dire autant à Corvisart. A la fin, hommes et femmes se dispersent et s'affolent, courant vers les voitures restées au bas de la rampe. C'est une lamentable déroute.

Le 27 juin, on a la présentation solennelle au Roi de Rome de la grande décoration de Saint-Etienne. L'ambassadeur d'Autriche, prince Schwarzenberg, se rend à Saint-Cloud dans ses voitures de gala, avec un cortège de secrétaires et de cavaliers d'ambassade. M est reçu, dans la Salle des Ambassadeurs, par un maître des Cérémonies, M. de Prié, conduit aux appartements du Roi de Rome et introduit dans son salon. Le Roi, couché dans son berceau, est entouré de la gouvernante, de la sous-gouvernante, et des officiers de service. En présentant à Mme de Montesquiou les insignes, — le grand cordon rouge liséré de vert et la plaque en diamants portant au centre un écusson rouge où, sur un monticule vert, est posée la couronne de Hongrie surmontée d'une croix patriarcale blanche, — l'ambassadeur atteste la profonde tendresse de l'empereur d'Autriche pour son petit-fils ; réponse de la gouvernante, saluts et départ dans le même ordre ; ni l'Empereur ni l'Impératrice ne paraissent.

Par contre, c'est à l'Empereur que s'adresse, le 30 juin, le comte de Montesquiou, grand chambellan et président du Corps législatif, lorsque, en cette dernière qualité, il présente l'Adresse en réponse au discours du Trône ; c'est du Roi de Rome qu'il parle presque uniquement : Qu'il croisse donc, dit-il, cet enfant auguste, pour votre bonheur et pour le nôtre, pour être l'héritier de votre génie, la gloire du nom français, l'image vivante des vertus de sa mère ; pour jouir de l'amour de nos neveux et leur rendre toute la tendresse que nous éprouvons près de son berceau ! L'Empereur répond : Monsieur le président et Messieurs les députés du Corps législatif, j'ai été bien aise de vous avoir près de moi dans cette circonstance si chère à mon cœur. Tous les vœux que vous formez pour l'avenir me sont très agréables. Mon fils répondra à l'attente de la France ; il aura pour vos enfants l'affection que je vous porte. Les Français n'oublieront jamais que leur bonheur et leur gloire sont attaches à la prospérité de ce trône que j'ai élevé, agrandi et consolidé avec eux et pour eux ; je désire que ceci soit entendu de tous les Français. Dans quelque position que la Providence et ma volonté les aient placés, le bien, l'amour de la France est leur premier devoir. La confiance dynastique, la certitude de la possession de l'avenir n'ont jamais été aussi fermement exprimées, et l'allusion à la conduite de Louis rend ce bref discours remarquable.

Il reste aux députés au Corps législatif à faire leurs révérences au Roi de Rome, — devoir qu'ils n'ont pu remplir le 22 mars, puisqu'ils n'étaient pas en session. Le 25 juillet, une députation arrive à Saint-Cloud dans les voitures de gala, et, président en tête, est conduite par un maître des Cérémonies au salon du Roi. File le trouve aux bras de la gouvernante qu'entoure le service. Aucun de nous, dit au retour le président, n'a pu voir sans un vif intérêt cet enfant sur lequel reposent tant de destinées et dont l'âge inspirent les sentiments les plus tendres. Nous lui avons, Messieurs, porté tous les vôtres, en y joignant les vœux que l'amour de nos enfants peut nous inspirer. Mme la gouvernante les a reçus et nous a remerciés au nom du jeune prince, en regrettant sans doute de ne pouvoir joindre ses sentiments personnels à ceux qu'elle exprimait au Corps législatif. Il eût été piquant de connaître les discours échangés entre le mari-président et la femme-gouvernante : le feuilleton du Corps législatif ne les a point conservés ; mais nul mieux que M. de Montesquiou n'était homme à s'en tirer avec esprit, et il en a fournit la preuve.

Un baptême ne va pas sans présents, et ceux-ci sont dignes de la magnificence impériale. A l'Impératrice à abord, l'Empereur offre un collier de diamants avec pendeloques et briolets, de 376.275 francs ; au parrain, le grand-duc de Wurtzbourg, des porcelaines de Sèvres formant comme un musée des travaux de la Manufacture ; en biscuit, les bustes de Leurs Majestés ; en porcelaine décorée, le portrait de l'Empereur par Georget et celui de l'Impératrice par Le Guay ; des fleurs par Drouet, des paysages d'Egypte par Swebach, des vues de Paris par Drolling, et cela sur des vases œuf, médicis, cordelier, fuseau, étrusques, des vases montés en bronze, des vases à fond d'or, d'or ombré, de vert de chrome, de bleu, de rouge, de rouge vineux : suite incomparable qui atteste à quel degré de perfection la fabrication a été poussée, et qui portera chez l'étranger un style nouveau appliqué à une matière nouvelle, l'affirmation par l'un et l'autre d'un art impérial : en outre, des Gobelins, deux tapisseries : Cornélie mère des Gracques, et le Combat de Mars et de Diomède. A la marraine, moins bien traitée, une seule tapisserie, Méléagre, et des porcelaines pour 30.700 francs ; à Hortense, deux tapisseries : l'Offrande à Palès et le portrait de Joséphine avec 15.000 francs de porcelaine ; à Jérôme, une tapisserie, Aria et Pelus, et des porcelaines pour 41.420 francs ; à Eugène, deux tapisseries et des porcelaines pour 26.225 francs ; à Fesch, des porcelaines pour 25.000 francs ; au grand-duc de Berg, un médaillon avec les portraits de Leurs Majestés entouré de 12.000 francs de brillants.

L'ambassadeur d'Autriche est traité presque en membre de la Famille, avec un service a dessert en Sèvres, un surtout complet, des bustes en biscuit, une théière, et des tasses à portraits. Pour la gouvernante, les sous-gouvernantes, les daines qui ont porté les Honneurs, la dame d'honneur et la dame d'Atours, il y a un collier en chatons de 48.500 francs, deux parures en rubis du Brésil, deux en émeraudes et brillants, d'autres en rubis balais, en chrysoprases, en opales ; et, pour les dames du Palais, douze épis en brillants : cela va tout près de 220.000 francs. Pour la queue du manteau, le duc de Valmy reçoit une tabatière de 20.000 francs. Le clergé coûte cher : croix pectorale en brillants de 25.000 francs au grand aumônier d'Italie, croix de 15.000 francs au patriarche de Venise, saphir en bague de 5.000 francs à l'évêque de Brescia ; puis de l'argent ; 3.000 francs à chacun des six aumôniers ; 1.750 à chacun des quatre chapelains et des deux maîtres des Cérémonies ; -1.000 aux chanoines du dais,11.000 aux séminaristes, 1.000 aux sacristains,500 aux suisses. Les sept députés du Sénat d'Italie reçoivent 1.000 francs chacun. Qu'est-ce près de la Maison du Roi de Rome ? 6.000 francs à chacun des médecins, 2.000 à chacune des premières-femmes et des berceuses, 1.000 aux femmes de garde-robe, aux huissiers, au maître d'hôtel, puis des 600 francs, des 500, des 200. La nourrice reçoit un collier de brillants et de perles avec le médaillon du Roi de Rome par Isabey, et des anneaux d'oreilles en brillants : 12.000 francs. La surveillante des nourrices a 1.500 francs, chaque nourrice retenue 1.000. — Et c'est sans compter les gratifications que Marie-Louise donne sur sa cassette. Mien qu'aux présents, le million est fort dépassé 1.118.000 ; tandis que l'Empereur ne voulait pas dépenser la moitié (480.000). Le séjour des princes coûte 130.000 francs, les fêtes 922.000, les courses des chambellans pour annoncer la naissance 35.000, les médailles 50.000, et il y a 50.000 francs de plus pour l'illumination des palais et 25.000 au moins pour les acteurs sur la Caisse des Théâtres. La Couronne dépense tout près de trois millions — à quoi s'ajoute ce qui est porté sur des comptes séparés : Rome, Hollande, Toscane, départements au delà des Alpes ; ce qui est ordonnancé par les Relations extérieures pour les fêtes dans chaque poste diplomatique ou consulaire, — et à Vienne seulement c'est 200.000 francs ; — ce qui est ordonnancé par l'Intérieur, la Guerre, la Marine ; ce qui est dépensé dans chaque ville, chaque village, en mariages, lumières, fumée et boisson.

Ce n'est pas tout que l'argent. Le 30 juin, à l'occasion du baptême, l'Empereur l'ait une immense promotion dans la Légion d'honneur : trente-trois plaques de grand officier, vingt-deux cravates décommandant, soixante-sept aigles d'or, quatre-vingt-onze aigles d'argent, qu'il distribue à des ministres, des sénateurs, des conseillers d'Etat, des députés, des chambellans, des préfets, des maires des nonnes-villes ; promotion civile la plus nombreuse qu'on ait vue depuis l'institution de l'Ordre, promotion réservée toute aux fonctionnaires et qui semble avoir pour objet moins de récompenser les services rendus que d'ajouter aux uniformes le prestige d'une décoration.

 

N'est-ce pas que, de toutes ces formes d'étiquette, de ces fêtes, de ces cérémonies, de ces présents, ressortent nettement les idées de l'Empereur ? Ne voit-on pas, entre lui et le peuple, le mur s'élever et s'élargir ? La Cour, voila ce qui compte, à peine le monde officiel, pas du tout la bourgeoisie : par là, ce n'est pas assez d'entendre le monde du négoce, de la finance ou du palais, mais quiconque exerce un art ou un métier ; dans cette immense promotion de juin 1811, pas un membre de l'Institut. Quiconque n'est pas officiel est exclu des cérémonies ; quiconque n'est pas présenté — et ne le sont guère que les ci-devant nobles — est exclu des fêtes. L'Institut n'a pas une croix ; les ci-devant nobles les ont presque toutes, celles au moins d'officier et de chevalier : c'est la promotion de l'armée de Coudé. Comment s'étonner ? Les émigrés emplissent la Cour, et l'Empereur croyant les rallier, s'est livré dans leurs mains.

Le parti pris d'écarter tout ce qui n'est pas présenté, de rétablir, d'exagérer même les formes monarchiques, se montre dans le programme des fêtes, aussi bien dans la visite à l'Hôtel de Ville que dans le Grand Couvert des Tuileries ou dans le divertissement de Saint-Cloud. A l'Hôtel de Ville, jusque-là, l'Impératrice, les princesses et les princes ont ouvert le bal : l'Empereur a assisté à quelques danses ; il a agréé d'autres présentations que de fonctionnaires ; il s'est mêlé aux gens de sa bonne ville. Aux Tuileries, jamais, jusqu'alors, le spectacle du Banquet impérial n'a constitué l'essentiel d'une fête, jamais on n'a élevé de gradins dans la Salle des Maréchaux pour le contempler. Et c'est là ce qui remplace le bal officieusement annoncé, pour lequel toute la Ville s'est préparée ; encore n'y est-elle point invitée et n'admet-on, avec la Cour, que les hauts fonctionnaires. A Saint-Cloud, la fête est toute extérieure et elle se passe hors du palais : on tient dans les jardins ces gens qui ne sont pas des habitués, et c'est bien fait pour eux s'ils sont trempés par l'orage : la pluie des Résidences ne mouille pas depuis Louis XIV. Ils en font l'expérience.

Sans doute pourrait-on croire à quelque chose de populaire dans le baptême à Notre-Dame : cela rompt à la fois avec les usages de l'ancienne monarchie et le précédent du Mariage qui fut célébré à la chapelle du Louvre ; mais ce n'est point populaire, c'est dynastique. L'Empereur a voulu pour ce baptême l'église du Sacre, parce que, à ses yeux, c'est un sacre nouveau qu'il reçoit dans sa dynastie ; mais qu'on regarde ceux qu'il désigne pour remplir des fonctions : sauf la maréchale Soult, toutes les porteuses d'offrandes sont des dames titrées de l'ancien régime, et si la duchesse de Dalmatie est choisie, elle qui n'est point dame du Palais, qui est seulement dame honoraire de Madame, n'est-ce pas pour marquer une faveur expresse à Soult, à ce moulent en lutte ouverte avec Joseph, pour donner, par contre, à celui-ci un grave déplaisir ?

Rien que par l'heure adoptée, si hors des usages, qui semble choisie à dessein de contrarier les habitudes du peuple le plus routinier, l'Empereur signifie qu'il entend ne point se gêner pour les Parisiens et qu'il se soucie médiocrement de leur plaire. Où sont les effusions de Frimaire an XIII, lorsqu'il disait au Corps municipal : Je veux que vous sachiez que, dans les batailles, dans les plus grands périls, sur les mers, au milieu des déserts même, j'ai toujours en vue l'opinion de telle grande capitale de l'Europe, après, toutefois, le suffrage, tout-puissant sur mon cœur, de la postérité. A présent, Paris tient toujours bien le premier rang entre les lionnes-villes, mais combien peu au dessus de Rome, et, par le titre même qu'il porte, n'est-ce pas à Rome plus qu'à Paris que le Prince Impérial appartient ? Ce n'est pas le Vaisseau, c'est la Louve qui lui sert d'emblème. A proportion que l'Empire s'agrandit, que, par l'accession continuelle des peuples, il devient occidental plus que français, — car un grand tiers des départements, quarante-six sur cent trente-deux, n'est français ni par la race, ni par la langue, ni par l'esprit, — celui qui l'a formé perd la notion de la nationalité primitive ; à moins d'être injuste, il ne peut être partial. La France n'est plus qu'un des éléments constitutifs de l'Empire, au même titre que l'Allemagne, les Pays-fins, l'Italie ou l'Espagne. Entre les anciens et les nouveaux sujets, un chef de gouvernement ne doit pas faire la différence. Ceux-ci supportent les niâmes charges, jouissent des mêmes droits, reçoivent les mêmes avantages que ceux-là. Paris demeure la première capitale, mais Rome et Amsterdam viennent tout de suite après. Il ne faut pas trop faire pour les Parisiens, et les l'êtes qu'on agrée d'eux ne sont pas plus remarquables que celles offertes par les autres villes.

Napoléon a bien l'idée que l'Empire, tel qu'il l'a fait, est l'héritage qu'il destine à son fils : non pas un empire composé de peuples divers conservant sous le même spectre leurs nationalités propres, mais un empire homogène, ou les peuples, morcelés en départements, régis par une loi unique, administrés par des règlements uniformes, perdent la mémoire de ce qu'ils ont été pour acquérir la notion de l'unité impériale. Telle la France avant et après la Révolution. L'unité française ne résidait, depuis des siècles, que dans le Roi, seigneur, à des litres divers, de chacune des provinces. La Révolution, par la division en départements a transporté l'unité du chef à la nation. De même, l'Empereur entend faire de l'Europe occidentale un empire qui soit un, et, sans voir que l'unité française a été opérée d'abord parla communion des sentiments, la communauté de la langue, la similitude des intérêts, il a pris l'accessoire pour le principal et le moyen pour la cause. De la France unie, divisée en départements, il conclut à l'Empire uni, parce qu'il l'a ainsi divisé ; et de même que la Constituante n'a établi nulle différence entre les départements de la France, il ne saurait, lui, en établir aucune entre les départements de l'Empire.

Ainsi, le baptême à Paris sera un rite impérial, mais au même titre que le couronnement à Rome ou quelque autre cérémonie ; à Amsterdam. On suit, pour le Roi de Rome, l'étiquette française, mais faute d'avoir retrouvé l'étiquette du roi des Romains. Dès 1805, par le couronnement de Milan, Napoléon s'était établi le successeur de Charlemagne ; en 1806, il a aspiré à faire consacrer par le Pape sa prise de possession de l'Empire ; à dater de 1809 et de la seconde entrée à Vienne, il s'est attaché a reprendre la tradition du Saint-Empire ; mais, depuis le mariage autrichien, c'est aux origines qu'il a remonté, et en attendant l'Empire universel, il s'est arrêté à la formule d'un Empire d'Occident unifié, administré et organisé à la moderne.

En même temps, la famille ancienne a disparu de devant ses yeux, et il le montre à cette cérémonie. Il est en lutte avec Lucien, interné en Angleterre ; avec Louis, émigré en Autriche ; avec Murat, qui prépare son indépendance ; avec Joseph, qui ne veut pas abdiquer. Il refuse à Elisa la permission de venir à Paris, et sauf pour Jérôme, qui le désarme à force de soumission, quel manque de grâces ! Joseph, qui est venu à Paris et qui a fait l'effort de paraître en prince français, est exclu des présents du baptême, ainsi que Julie et les princesses infantes, et de même est-il pour Pauline et Borghèse.

 

 

 



[1] Mon frère, vous connaissez mon amitié dont je me suis plu dans tous les temps à vous donner des preuves. J'espère que vous serez sensible à celle que je vous offre aujourd'hui dans une circonstance qui est d'un si grand intérêt pour ma famille comme pour mon peuple, en vous engageant à être le parrain du Roi de Rome. L'Impératrice, ma très chère épouse, désire comme moi ce témoignage de votre amitié fraternelle. Un lien de plus vous attachera au prince votre neveu. Ce lien resserra ceux qui nous unissent, et ajoutera encore a mes sentiments pour vous dont j'aime, surtout en ce moment, à vous renouveler les sincères assurances.