L'Énigme de Jésus-Christ

 

Tome deuxième

CHAPITRE PREMIER : JEAN A-T-IL ÉTÉ LE CHRIST ?

 

 

IV. — Les Alibis.

Quels sont-ils ? Que valent-ils ?

Quand un individu est accusé d’un méfait, coupable ou non, son premier moyen de défense est d’invoquer un alibi. A l’appui de cet alibi, il fournit des témoignages ou des preuves matérielles. Mais il ne suffit pas de sa parole pour que l’on fasse confiance à l’alibi et qu’on déclare l’accusé innocent. L’instruction a le droit et le devoir d’examiner les circonstances de l’alibi, les témoignages, les faits matériels, de les discuter, et de conclure.

J’ai affirmé, au cours de l’Énigme de Jésus-Christ, et j’ai fait état, quand il m’a été utile, de cette affirmation, comme étant la vérité historique, que Iôannès, Jean-Baptiste, a été le Christ crucifié par Ponce-Pilate, et que Jésus-Christ, c’est son corps, dans lequel, au IIIe siècle, on a incarné, littérairement, l’Aeôn de Cérinthe, le dieu Jésus de Valentin, le Logos ou Verbe de Dieu, imaginé dans les écrits juifs du IIe siècle, en son milieu environ. Je pense que cette vérité, par tout ce qui précède, commence à apparaître comme certaine. Allons plus avant.

Qu’est-ce que je trouve, en face de moi, de contraire à mon affirmation ? Des alibis. Alibis de temps, de lieu et de fait, sur les personnes, et par témoignages.

Alibis de temps et de fait : le Précurseur, la mort de Jean par décapitation ;

Alibis de lieu : Jean et Jésus, bien que baptisant tous deux au Jourdain et s’y confondant, sont l’un ici, l’autre là, Jésus libre, Jean, tout à coup en prison ;

Alibis sur les personnes : Jean, fils de Zacharie et d’Elisabeth ; Jésus, fils de Dieu ou de Joseph et de Marie ; Jean, mort décapité Jésus, mort crucifié ; Jean baptisant Jésus ;

Alibis par témoignages : ceux de -Jean sur Jésus, ceux de Jésus sur Jean ; ceux de saint Paul, à l’occasion de l’exploitation du baptême de Jean par Apollos ;

J’ai fait justice, je crois, dans ce chapitre : Jean a-t-il été le Christ ? des alibis de temps sur le Précurseur, des alibis résultant des témoignages. Comme ils n’ont comme base que les narrations qui en sont faites, ils ne sont contrôlables que par la discussion. Et la discussion prouve qu’ils sont invraisemblables, controuvés, invention pure. Ce sont de faux alibis, des mensonges[1].

Mais les alibis qui restent ? Notamment l’histoire d’Apollos, le Baptême de Jésus, la Décapitation, la Nativité de Jean ? Ce sont de gros morceaux. Si ces alibis sont vrais, si l’on ne peut pas prouver qu’ils sont des impostures ? Que conclure ?

Eh ! bien, je l’accorde ; s’ils sont vrais, s’il n’y a pas supercherie, je passe condamnation et il en résultera que Jean-Baptiste et Jésus-Christ sont deux personnages distincts, que les Évangiles ont raison et que l’Eglise est au-dessus de tout soupçon, même sur le reste. Je suis large.

Mais si je démontre que tous les récits qui constituent ces alibis sont des fraudes, comme j’ai démontré l’invraisemblance des alibis précédents, au cours de ce chapitre ? Qu’est-ce que vous répondrez, à votre tour ?

Il faut être logique, sincère, loyal, de bonne foi. Vous répondrez ce qu’il vous plaira et comme il vous plaira. Je n’ai pas le désir de vous faire déshériter par une vieille tante dévote qui tient à ce que vous ne doutiez pas des vérités ecclésiastiques. Une succession, ça compte, — autant que le salut éternel !

Pour moi, avec la tranquillité sereine d’un chirurgien dont le scalpel ouvre un abcès purulent, avec la conscience d’un historien et d’un critique qui ne pense qu’à trouver la vérité sur un problème qui touche, par plus d’un côté, à la destinée humaine, donc à ma propre destinée, je vais étudier de près les alibis que l’Eglise m’oppose encore. J’entends démontrer qu’ils sont frauduleux et même, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vous donnerai les dates des fraudes.

Le plus ancien morceau fabriqué ou arrangé pour faire de Jean-Baptiste un personnage distinct de Jésus-Christ est l’histoire du Juif Apollos d’Alexandrie, qui se trouve  dans les Actes des Apôtres avec des parallèles dans la Première épître aux Corinthiens. Il est du début du IIIe siècle, du temps où l’on met au point Jésus-Christ et où l’on compose les Lettres de Paul. Jean, dont le baptême est exploité par des malins, — des marchands de Christ, — Christeniporoï, a dit Justin très justement, y fait plus figure de Christ que de Précurseur. Il n’est pas encore Jean-Baptiste. Mais on le lie mal à Jésus-Christ. Je commencerai par le Juif Apollos. C’est la fraude initiale, en cette matière.

Suivent tous les épisodes relatifs à la Prédication de Jean-Baptiste, annonçant Jésus-Christ, les témoignages épars ou insérés dans des récits d’ambassades, les discussions sur le jeûne et la purification. Le tout a été composé au cours du IIIe siècle, au plus tôt. J’en ai fait justice ; je n’y reviendrai pas.

Le baptême de Jésus par Jean au Jourdain n’est venu qu’après, et il est concomitant, à peu d’années près, avec la décapitation de Jean-Baptiste qui marque le début du IVe siècle, aux environs de la mort de Constantin et l’ayant de peu précédée ou suivie. Il ne semble pas qu’Eusèbe l’ait connue, puisqu’il n’en parle pas dans son Histoire ecclésiastique.

A la fin du IVe siècle, peut-être au début du Ve, la carrière de Jean, à qui l’on a fait vivre certains événements, que l’on a tué par décapitation, s’achève par la confection de sa Nativité. Tout est construit à rebours dans sa légende. C’est en effet à quoi l’on s’expose dans les entreprises frauduleuses[2].

Donc quatre chapitres encore, relatifs à Jean-Baptiste.

Ie) Sur le Juif Apollos ;

IIe) Sur le baptême de Jésus par Jean ;

IIIe) Sur la décapitation de Jean ;

IVe) Sur les Nativités de Jean-Baptiste et Jésus. Un cinquième et dernier chapitre est destiné à démontrer que Jean, disciple bien-aimé et apôtre, est aussi le même personnage historique que le Christ, et Jean-Baptiste.

Ces études aboutiront à la conclusion que j’ai donnée dans l’Énigme de Jésus-Christ, que je répète qu’il ne faut pas se lasser de répéter, car elle est le fondement vrai de toute l’histoire, de toute la mythologie du christianisme, à savoir :

Que Jésus-Christ est une fiction, composée :

1°) Du Christ crucifié, au premier siècle, par Ponce-Pilate, dont le nom de circoncision a tôt disparu, que l’on a d’abord présenté comme se survivant au Ie siècle, sous son surnom d’Apocalypse, Iôannès = Jean, avant d’en être réduit au miracle de la résurrection, quand il fallut avouer qu’il était mort, et plus que centenaire ;

2°) Du Verbe ou Logos, dit Dieu Jésus, inventé au le siècle par Cérinthe, Valentin et les Gnostiques, pur Esprit, à qui ils donnent le Christ, le Iôannès comme support matériel, charnel, hylique, et qu’au IIIe siècle, d’autres scribes juifs incarneront définitivement dans le Iôannès-Jean, par un simple jeu de littérature qui ne s’est pas achevé sans laisser des marques, coutures grossières, bâillements, accrocs, reprises, trous, et autres malfaçons.

La vieille outre ; la pièce neuve.

C’est ce qu’exprime admirablement Jésus-Christ lui-même quand le scribe lui fait dire : Personne ne met une pièce de drap neuf à un vieux vêtement, car la  pièce (neuve) emporte une partie du vêtement, et la déchirure en devient pire. On ne met pas non plus du vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement les outres se rompent, le vin se répand, et les outres sont perdues ; mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et les deux se conservent (Matt., IX, 16-17 ; Marc, II, 21-22 ; Luc, V, 36-39). De même, coudre le vieux Iôannès = Jean crucifié sous Ponce-Pilate, au Dieu-Jésus, éternellement jeune, c’est là une œuvre impossible où la pièce neuve ne peut s’accorder avec le vêtement vieux.

Faut-il que les exégètes soient aveugles, pour n’avoir ni remarqué, ni compris cette suggestive parabole, qui ne peut s’interpréter que par l’identité du Christ et de Jean. Reprenons les textes.

L’explication de Jésus sur les vêtements vieux et neufs, sur les outres neuves et vieilles, est donnée comme une réponse de lui à des disciples de Jean, qui viennent l’interroger, lui, Jésus, sur le jeûne. Les disciples de Jean jeûnent. Ceux de Jésus ne jeûnent pas. Pourquoi ? Dans la réponse de Jésus, il y a une première partie qui s’explique, après la question, et qui est gentiment naturelle, très cohérente. Il se compare à un époux dont les amis doivent se réjouir, ne pas jeûner, tandis qu’ils sont avec lui, et parce qu’un jour il leur sera ôté. Puis, vient la suite, une deuxième partie sur les pièces neuves aux vieux vêtements, sur le vin nouveau et les vieilles outres, qui n’a qu’un rapport bien lointain avec la question du jeûne. C’est si vrai que le Selon-Luc après la première partie de la réponse de Jésus sur l’époux, coupe court, et transforme la deuxième partie en une similitude à part, qu’il termine ainsi : Et il n’y a aucun homme qui, après avoir bu du vin vieux en désire du nouveau ; car il dit c’est le vieux qui est le bon. Oui. C’est le vieux Iôannès-Jean qui est le Christ, le vrai. Que, celui qui a des oreilles entende ! Et on entend, on comprend encore mieux, quand on rapproche cette discussion sur le jeûne dans les trois Synoptisés de la discussion sur la purification dans le quatrième évangile (III, 25-36).

Le thème de Jésus, sur le jeûne, et pour excuser ses disciples de ne pas jeûner, c’est qu’il est l’Époux, qui disparaîtra bientôt et dont les amis ne doivent pas jeûner, mais se réjouir, tant qu’il est avec eux.

La réponse de Jean, véritable réplique, dans le sens pictural, et malgré des précautions oratoires pour qu’on ne le confonde pas avec le Christ, emprunte le même thème : Celui qui a l’Épouse est l’époux, et l’ami de l’époux, qui se tient près de lui et qui écoute, est ravi de joie en entendant la voix de l’époux. Les deux scènes proviennent d’un même dispositif original, — celui de Cérinthe, — passé dans le Selon-Jean, à peine modifié pour distinguer deux personnages de chair en Jean et Jésus. Mais la fin du morceau est du Cérinthe tout pur, où Jean lui-même distingue très clairement ce qu’il fut, — le Christ terrestre, — et ce qu’on a incarné en lui, — le Jésus Céleste : Celui qui vient d’en haut est au-dessus de tous (de dieu Jésus) ; celui qui vient de la terre est de la terre et parle de la terre (Christ-Iôannès) ; celui qui vient du ciel est au-dessus de tous (Jésus, Verbe, Aeôn)[3], etc.

Lucien de Samosate.

Quand on étudie les œuvres des auteurs non chrétiens qui, contemporains des origines du christianisme, en ont parlé, — oh ! si peu ! — ainsi que du Christ, — oh ! si vaguement ! — on constate qu’aucun ne connaît ni les Évangiles, j’entends du moins les Synoptisés, ni la prétendue doctrine qu’ils exposent. Inconnus d’eux, les Actes des Apôtres, les Lettres de Paul et autres apôtres. Mais ils connaissent l’Apocalypse, dont l’Âne d’or d’Apulée n’est qu’une parodie. Nous reviendrons, en étudiant l’Apocalypse, sur l’Âne d’or d’Apulée.

C’est l’Apocalypse qui a fait dire à Tacite, vers la fin du premier siècle, parlant des Juifs : Genus odiosum humani, race haïsseuse de ce qui est humain. Le Jésus-Christ, dieu d’amour, l’Évangile d’amour, il les ignore.

Les commentaires de Papias sur l’ApocalypseProphétie du Rabbi, ont suivi l’Apocalypse, au début du IIe siècle, et antérieurement à l’an 135, où Hadrien détruit la nation juive. Après 135, elles sont inexplicables. Aucun intérêt à les composer.

C’est l’Évangile de Cérinthe, après 135, c’est Pistis-Sophia de Valentin qui prennent place normalement, chronologiquement dans l’histoire des écritures authentiques, après l’Apocalypse et les Commentaires de Papias. L’Église, dans Eusèbe, par une histoire bouffonne de bains, essaie de représenter Cérinthe comme un contemporain de Jean, qu’elle fait vivre, dans ce dessein, jusque sous Domitien et Trajan. Non. L’Évangile de Cérinthe, devenu le Selon-Jean, est postérieur à la ruine de l’Espérance d’Israël par les armes, donc à 135. Les Pères de l’Église, — voir le Nouveau Larousse illustré, direction Claude Augé, — se sont plu à représenter Cérinthe comme le principal antagoniste de saint Paul. Ce sont des farceurs. Le saint Paul ecclésiastique, inventé tout à la fin du IIe siècle, meurt pneumatiquement à Rome vers 66. Cérinthe aurait attendu de quatre-vingts à cent ans pour le contredire ! Aucun écrivain juif n’y aurait songé plus tôt ! Et, antagoniste de Paul, il ne se serait pas servi des Évangiles, que Paul ignore totalement, dont la doctrine est si loin de la sienne ! Cérinthe aurait contredit Paul, sans se servir des Évangiles, et en inventant son Évangile de Vérité, où le Verbe-Logos descend en esprit dans le corps du Crucifié de Ponce-Pilate ! Qui peut le croire ?

La vérité, c’est qu’après l’Apocalypse, après les Commentaires de Papias, Cérinthe ayant écrit son Évangile, qui transforme en métaphysique mythologique l’espérance millénariste d’Israël, que Valentin réduira à une gnose spirituelle, l’apôtre saint Paul a été inventé par les aigrefins de l’Ekklêsia de Rome, pour être l’antagoniste de Cérinthe, et non pas un siècle après Cérinthe, mais dans les trente à cinquante ans qui ont suivi son Évangile et la Pistis-Sophia de Valentin.

Quand florissait Lucien de Samosate, mort en 192, ni Jésus-Christ, ni les Évangiles synoptisés, ne sont fabriqués. On est en train d’inventer saint Paul, ainsi que ses Épîtres ou Lettres, et les Actes des Apôtres. Mais Lucien de Samosate, qui paraît avoir passablement écrit sur le christianisme de son temps, — on l’a sophistiqué, c’est sûr, car il en a écrit sûrement beaucoup plus long et plus clair qu’on n’en lit dans ses œuvres, — connaît, en plus de l’Apocalypse, l’Évangile de Cérinthe ; il connaît, — mort en 192, — les théories gnostiques et Valentin avec Pistis-Sophia ; et il ne connaît rien d’autre ; surtout, il ne connaît pas les Évangiles, ni Jésus-Christ.

Il sait que Cérinthe et Valentin font descendre le Verbe ou Logos, 1’.AEôn Jésus, dans le corps du Crucifié de Ponce-Pilate. Peut-être, avant de mourir, a-t-il eu vent des impostures mises sous le nom de l’apôtre Paul. L’incarnation est un travail anonyme, et qui a pu commencer, s’amorcer tôt. Sa confection définitive ne s’est pas faite ni achevée, après conception, en un jour. Au moment même où la nouvelle commençait à s’en répandre, Lucien l’a peut-être, sûrement, saisie au vol. Car il a  écrit, pour la railler, un dialogue qui ne laisse aucun doute sur l’état du christianisme et des doctrines chrétiennes de son temps.

Le dialogue est entre Hercule ou Héraklès et Diogène. Il est difficile de dire si Lucien n’avait pas donné d’autres noms aux interlocuteurs. Mais si, dans ce dialogue, on veut bien substituer à Hercule le Iôannès, tantôt Dieu-Jésus, tantôt Christ ou Jésus-Christ, on y verra que ce sont tout à la fois les fables cérinthiennes et gnostiques, ainsi que le dogme de l’incarnation, dont on jette les premières bases, que Lucien vise, et rien d’autre. Il prend le christianisme, tel qu’il apparaîtra bientôt, dans l’œuf. Pour la suite, l’éclosion, il l’ignore.

Voici ce Dialogue[4].

Diogène. — N’est-ce pas Hercule Iôannès que je vois ? Par Hercule, c’est lui-même... C’est Hercule tout entier ! Eh ! quoi ! Il est mort, lui, le fils (bar) de Jupiter (d’Abba) ? Dis-moi, beau vainqueur (dans l’Apocalypse), tu es mort ? Et moi qui, sur la terre, t’offrais des sacrifices comme à un dieu !

Hercule. — Tu avais raison : le véritable Hercule (dieu-Jésus, Verbe ou Logos, Aeôn), est dans le ciel, avec les dieux... Moi, je suis son ombre. (Ils se sont, en effet, séparés sur la croix, on le sait.)

Diogène. — Que dis-tu ? L’ombre d’un dieu ! Est-il possible qu’on soit dieu par une moitié et mort par l’autre ?(C’est possible, en effet, quand le Saint-Esprit vous inspire, pour fabriquer un être tel que Jésus-Christ).

Hercule. — Oui, l’autre Hercule n’est pas mort, mais seulement moi, qui suis son image (au royaume des Ombres).

Diogène. — Cependant, dis-moi, au nom de ton Hercule, quand ce héros vivait, étais-tu placé près de lui comme son image, — voir le disciple bien-aimé, — ou ne faisiez-vous qu’un seul être dans la vie ? Puis, maintenant que vous êtes morts, vous êtes-vous séparés, l’un pour revoler vers les dieux, et toi, l’image, pour descendre naturellement chez les morts ? (On dirait une allusion à la scène de la croix : Femme, voilà ton fils, dans le quatrième Évangile, celui de Cérinthe).

Hercule. — Je devrais ne pas répondre un mot à un homme qui s’ingénie à se moquer de moi. Toutefois, écoute bien ceci : tout ce qui, dans Hercule (dans le Christ), était l’œuvre d’Amphitryon (de Joseph) est mort, et c’est moi qui suis ce tout (Christ) ; mais ce qui était de Jupiter (du Saint-Esprit) vit dans le ciel avec les dieux.

Diogène. — Je comprends à merveille. Alcmène (Marie-Elisabeth), d’après ce que tu dis, est accouchée à la fois de deux Hercules, l’un fils d’Amphitryon (Joseph), l’autre de Jupiter (Dieu), et nous ne savions pas que vous étiez deux jumeaux, issus de la même mère[5]. 52

Hercule. — Mais non, imbécile ! Nous étions tous les deux (en deux hypostases) le même être. (Nous verrons ceci aux Nativités, chap. V).

Diogène. — Il n’est pas facile de comprendre que deux Hercules n’en fissent qu’un, à moins que vous ne fussiez, comme les centaures, deux natures en une seule, homme et dieu des deux hypostases (chez les centaures !)

Hercule. — Tous les hommes ne te paraissent-ils pas composés de deux êtres, d’une âme et d’un corps ? Qui empêcherait que l’Âme (l’Esprit, l’Aeôn), émanée de Jupiter, ne fut dans le ciel (à la droite du Père) et que la partie mortelle (Bar-Abbas) ne fut chez les morts ?(Eh ! eh ! Pour un vil païen matérialiste, pourceau du troupeau d’Épicure, ce n’est pas mal du tout, comme spiritualisme !)

Diogène. — Oui, très excellent fils d’Amphitryon (de Joseph), tu aurais raison si tu avais un corps ; mais tu n’es qu’une ombre (dans le Hadès), en sorte que tu cours le risque d’imaginer encore un triple Hercule (1° Le Verbe ; 2° Jésus-Christ ; et 3° le mort ou Iôannès que les Juifs adorent comme un dieu — le cadavre de Machéron).

Hercule. — Pourquoi triple ?

Diogène. — Voici pourquoi. S’il y a un Hercule (Jésus l’Aeôn, le Verbe ou Logos) dans le ciel, et une ombre d’Hercule (Jésus-Christ) avec nous, puis sur le mont Œta (Golgotha et Machéron) un corps de mort (Bar-Abbas, le Christ-Iôannès), qui n’est déjà plus que poussière, cela nous étonnerait : vois alors quel troisième père tu trouveras pour ce corps. (Zacharie ou Zébédée, parbleu !).

Hercule. — Tu es un insolent et un sophiste[6]...

Le miracle de Jean ressuscité.

Ainsi, tout au long de ce chapitre, on a vu combien, Évangiles en main, l’impression ressort, forte, solide, laissant présumer la vérité impérieuse, que le Christ c’est Jean, que Jésus n’est que le revenant de Jean. De Jean, tout le monde se demande s’il n’est pas le Christ ; de Jésus, tout le monde prétend qu’il est Jean. Et quand on ajoute : ou Élie, Jésus prend soin de révéler que Jean, c’est Élie cet Élie qui devait venir. Hérode précisera de Jésus : « C’est Jean ressuscité[7]». Les écrivains latins et grecs, surtout ceux qui ont vécu en Orient, tel Lucien de Samosate, ne se laisseront pas piper par le jeu des mythologues juifs tendant à incarner par fiction le Christ ou Hercule céleste dans le Christ terrestre. Vous venez de lire le dialogue «païen » entre Hercule et Diogène.

Et n’oublions pas que Hercule, c’est une représentation solaire, aux douze Travaux, caractérisés par les douze Signes du Zodiaque.

Faut-il achever de vous convaincre par une scène des Évangiles eux-mêmes, où Jésus-Christ avoue la supercherie à laquelle les scribes l’ont voué ? Voici.

Ouvrons d’abord le Selon-Matthieu (XVI, 3-4). Je lis :

Les pharisiens et les saducéens s’étant, approchés (de Jésus), et l’éprouvant (le mot est admirable : ils veulent essayer Jésus, comme on fait pour l’or, et lui faire dire ce qui se cache, car ce sont des compères, et Jésus s’y prête, dans sa peau de baudruche), lui demandèrent de leur montrer un signe (ou un miracle)  de la part du ciel (ek tou ouranou). Le mot grec est sêmeion ; en hébreu, ce serait oth qui veut dire à la fois signe et miracle. — Mais il leur répondit (ici, je passe trois phrases, sur lesquelles je reviendrai), — j’entends ne rien dissimuler, — et qui manquent dans les plus anciens manuscrits ; elles apparaissent dans le manuscrit byzantin H, codex Harleien ou Wolffii A du Xe siècle (ce qui prouve qu’au Xe siècle on synoptisait encore) : — Génération méchante et adultère (qui) demande un signe (ou miracle), et il ne lui sera pas donné de signe ou miracle, sinon le signe (ou miracle) de Iônas. Et les quittant il s’en alla.

J’ai cru longtemps, sur des apparences trompeuses qui résultent de modifications successives dans le texte de cet épisode, reproduit dans le Selon-Marc et le Selon-Luc, et nous y arriverons, que le Iônas dont il s’agit est le Jonas de la baleine. Un examen plus attentif des textes et des additions qu’ils ont reçues, m’a persuadé que Jésus vise ici le Iôannès. Iônas, Iôannès, c’est le même nom, il est utile de l’affirmer tout d’abord[8].

Qu’est-ce que Jésus-Christ veut dire ? Ou plutôt qu’est-ce que le scribe veut lui faire signifier, en lui demandant un signe du ciel ? Il est impossible de comprendre qu’il refuse tout signe ou miracle à la génération, la sienne apparemment, qui le lui demande, alors que les Évangiles en surabondent, qu’on lui prête, avant et après cette scène ? Jésus n’a pas cessé d’accorder des miracles à sa génération.

Expliquez et là, ô exégètes ! — Ils se récusent ! Je les reconnais bien là.

Eh ! bien, ce que Jésus veut dire, je vais vous l’apprendre, à leur place, conformément aux principes directeurs qui sont les miens, et qui expliquent tous les mystères.

Puisqu’il est constant que Jésus-Christ a fait des miracles, et qu’il n’en veut pas, ici, donner sauf un, celui de Jonas-Iôannès, c’est que le miracle de Jonas-Ioannès est un miracle à part, un miracle unique, qui est incomparable, — sauf qu’il est inventé comme les autres par les scribes, — incomparable aux miracles tels que les guérisons, les résurrections, les multiplications de pains, fabrication de vin à Cana, etc.

De quoi donc s’agit-il ? On va le comprendre de proche en proche. Ce que Jésus veut dire, — ou plutôt, par lui, le scribe qui tient la plume et le fait parler au IIIe siècle, — c’est qu’il est lui-même le miracle, et même le miracle des miracles, c’est-à-dire le seul, l’unique, qu’il offre à la génération du IIIe siècle, et auprès duquel les autres ne sont que des succédanés. Il est, — lui, Jésus-Christ, avec l’aide du Logos, — ­le signe des signes ; il est le miracle du Iôannès ressuscité, soit revenant au IIIe siècle, par l’incarnation de l’Aeôn (Verbe, Jésus) dans le Christ-Iôannès, crucifié au Ie siècle. Il confirme ainsi que le Jésus-Christ qu’il est devenu est le Jésus de Cérinthe et des gnostiques, uni hypostatiquement et pneumatiquement, au Christ crucifié par Ponce-Pilate. Et si le scribe lui fait traiter la génération de méchante et d’adultère, c’est qu’elle fait des difficultés, — Lucien l’a prédit : il n’est pas facile de comprendre que deux Hercules n’en fissent qu’un, — pour admettre cette combinaison d’un dieu dans un homme, aboutissant à la création d’un être vivant et vrai, biologique. Elle veut bien se délecter aux imaginations de Cérinthe et des gnostiques, faisant aller et venir le Verbe ou Logos, le Jésus céleste entre le ciel et la terre où il entre momentanément dans la peau du crucifié de Ponce-Pilate. On avait déjà vu ce phénomène dans les fables des « païens », dans Homère notamment, où les dieux de l’Olympe se cachent dans le corps des guerriers qu’ils chérissent pour  les aider à combattre. Mais pousser jusqu’à l’incarnation totale, définitive, telle que les aigrefins de Rome, créateurs de l’Eglise catholique, l’ont voulue, qui a fait crier au scandale les cérinthiens et gnostiques, dont on utilisait les mythes, en les transformant en lois naturelles, en phénomènes physiologiques, — créer le Jésus-Christ évangélique, en bref, — c’est une opération qu’on n’avait jamais vue, fantastique, à laquelle il n’était pas possible de croire, et à laquelle « la génération d’alors » n’a pas cru. Aussi le scribe l’injurie-t-il à plaisir. Génération méchante ! bien entendu, — et adultère ! Admirez le choix expressif du terme. Cette génération se commet avec les fables cérinthiennes, quand elle devrait épouser la querelle de fabricants de l’incarnation ! Elle est véritablement adultère. Jésus-Christ a raison, comme toujours. Il n’est personne qui ait, plus que moi, le respect de ce qu’il est, fait et dit.

Ce que je vous révèle est si vrai, si péremptoire et résulte si clairement du texte du Selon-Matthieu (XVI, 1-4), l’apologue du scribe, car ce n’est pas autre chose qu’un apologue, est si transparent, que l’Église, peu à peu, par les faussaires à ses gages, a éprouvé le besoin de projeter des ténèbres opaques sur le sens des paroles de Jésus, au moyen de confusions qui, dans Marc, aboutiront à un récit où personne ne comprendra plus rien, du moins apparemment, car nous le tirerons au clair.

Le travail de fraude, qui a commencé dans le Selon-Luc, que j’examinerai tout à l’heure, on a osé le continuer jusque dans le Selon-Matthieu lui-même, ou, pour détruire l’effet du récit que je viens d’analyser, on en a inséré un second en doublet, en double emploi, à peine modifié, d’abord, mais auquel on a ajouté quelques ligues explicatives sur Iônas = Iôannès, afin de faire dévier la pensée qui va au Iôannès = Jean évangélique sur le Iôannès = Jonas de la baleine.

L’aiguillage n’est pas trop mal réussi pour faire dérailler la vérité et les exégètes. Mais nous, qui avons des yeux pour voir, et des oreilles pour entendre, nous verrons et entendrons.

Reprenant donc la scène du chapitre XVI, et l’avançant au chapitre XII (38­-12), pour faire croire que, dans celui-ci, est le dispositif originaire de l’apologue, si l’on s’aperçoit du double emploi, le faussaire écrit :

— Quelques-uns des scribes et des pharisiens (plus de saducéens ici, et il n’est plus question d’éprouver Jésus-Christ) lui dirent : Maître, (non pas Rabbi, ni Kyrié, mais Didascalé : instructeur, comme Jésus dans Valentin), nous voulons voir un signe venant de toi (apo sou). Il leur répondit : Génération méchante et adultère ! Elle demande un miracle ! Et il ne lui sera pas donné de miracle, sinon le miracle de Iônas ou Iôannès, le prophète.

Jusqu’ici ça peut aller, bien que le scribe demande le miracle de la part de Jésus lui-même et non de la part du ciel. Le scribe a bien ajouté aussi : le Prophète. Mais quoi ! Le Iôannès = Jean ne fut-il pas le Prophète, et le plus grand de tous, nés de la femme, d’après Jésus lui-même ? Mais voici venir le change :

— Car, continue le scribe, comme Iônas fut dans les entrailles de la baleine (tou kêtous, signifiant monstre marin, cétacé, thon, phoque, baleine, et désignant la constellation : la baleine) pendant trois jours et trois nuits, ainsi sera le fils de l’homme dans le sein de la terre, trois jours et trois nuits.

Le scribe, par cette comparaison-allusion, fait annoncer par Jésus indirectement sa résurrection. Et c’est bien trouvé, pour faire croire que le miracle visé est bien celui du Jonas de la baleine. Suit une dissertation sur les Ninivites dans leurs rapports avec Jonas et une seconde sur la Reine du midi et Salomon, qui n’a rien à voir avec le miracle de Iônas-Iôannès. Après chaque dissertation, Jésus profère : Il y a ici plus que Iônas !plus que Salomon. J’abrège et renvoie aux textes. Je ne jurerai pas que la suite dans les idées est d’une cohérence qui  m’enchante, mais il faut se mettre à la place du faussaire qui rapetasse tant bien que mal.

Cette deuxième mouture du même grain, dans le même Selon-Matthieu, ne manque donc pas absolument d’adresse. Mais d’abord, il apparaît comme sûrement peu vraisemblable, presque en coq-à-l’âne, que Jésus fasse des paralogismes entre lui, d’une part, et le Jonas de la baleine (et encore moins entre lui et Salomon) d’autre part. Comme on trouverait naturel, au contraire, que, conformément à la doctrine des Évangiles qui sans cesse mettent Jean et Jésus à côté l’un de l’autre pour les comparer ou les opposer, Jésus se mit ici en parallèle, non avec Jonas ou Salomon, mais avec le Iôannès = Jean, dont il a dit qu’il fut : le plus grand prophète né de la femme. Et comme serait logique alors sa conclusion : Il y a ici plus que Jean = Iôannès ! Car enfin, Jésus, s’il se compare, pour se dire plus que quelqu’un, ne peut se comparer qu’à celui qu’il pense être immédiatement au-dessous de lui. C’est évident. Etre plus que le Iôannès = Jean, mais c’est être Dieu, comme Jésus lui-même. Voilà ce que Jésus-Christ a pu dire. Mais se proclamer plus que Jonas et que Salomon, qu’est-ce pour un Jésus ? Pas grand’chose. Nous ne pouvons pas faire confiance au scribe. Les additions de Matthieu, deuxième manière, portent donc à faux. Si Jésus s’est comparé à un Jonas-Iôannès pour s’affirmer plus que lui, c’est au Iôannès = Jean des Évangiles, et à nul autre, et on a interpolé, dans le texte de Matthieu, un récit sur Jonas de la Baleine, pour nous détourner du Jean = Iôannès qui fut le Christ. On ne peut conclure différemment.

Le Selon-Luc, dont il est dit qu’il écrit après s’être renseigné sur tout, et surtout sur les impostures qui l’ont précédé, dont il ne manque jamais de faire état, semble ici marquer une étape intermédiaire entre !es deux dispositifs du Selon-Matthieu. Il a précédé, en cette occurrence, le Selon-Matthieu, deuxième mouture. Jésus, ici, s’adresse à la foule et non aux scribes, sadducéens ou pharisiens. La foule ne lui a rien demandé ; c’est lui qui fait la question et la réponse, prétendant que la foule réclame un signe ; et il le refuse, sauf celui de Jonas des Ninivites. Mais, observez bien ceci : le Selon-Luc ne dit rien, n’ajoute rien sur la baleine, rien sur les trois jours et trois nuits dans le sein de la terre. Idem Matthieu, première mouture. Et Jonas et Salomon ne sont introduits que pour le mot de la fin : Il y a ici plus que..., Salomon passant devant Jonas.

Et voici le Selon-Marc (VIII, 11-30). Les pharisiens, pour l’essayer, demandèrent de lui un miracle (ou signe) du ciel. Jésus, soupirant en son esprit, dit : pourquoi cette génération (sans épithète malsonnante) demande-t-elle un miracle ? Amen ! je vous le dis, et s’il en serait donné à cette génération ![9]

Le Selon-Matthieu et le Selon-Luc, malgré leurs malices, permettaient de comprendre. Leurs apologues, qui sont bien dans la manière évangélique, n’exigent que l’application de cette recommandation, si fréquente sous la plume des scribes, et pour cause ! Que celui qui a des oreilles, entende !

Les évangiles nous préviennent assez que Jésus, hors les litanies homélistiques et valentiniennes, ne s’exprime que par paraboles ou similitudes. Eux aussi souvent. Il en est de faciles à déchiffrer. D’autres, toutes celles qui touchent à la vérité historique, pour l’allégoriser, ne pouvaient être comprises que des initiés. Avec le Selon-Marc, on ne comprendrait plus rien au récit sur le miracle refusé, si l’on ne comprenait qu’il a voulu formuler un souhait, — car il formule un souhait, — le scribe évitant de nous dire lequel. En s’aidant du Selon-Matthieu, on peut le deviner — c’est le souhait que cette génération, et c’est pourquoi on ne l’insulte plus, veuille bien accepter, ne pas contredire le miracle dut Iôannès ressuscité, c’est-à-dire,  l’incarnation du dieu Jésus dans le Iôannès, aboutissant à la création de l’être hybride Jésus-Christ, comme personnage biologique.

Mais il y a plus. Le Jésus du Selon-Marc, en soupirant, — le verbe grec a même le sens plus fort de se lamenter, — exprime aussi un regret qu’on ne nous dit pas, pas plus qu’on ne nous a précisé son souhait. Cette génération demande un miracle ? Hélas ! que ne lui en est-il donné un !

Mais lequel ? Nous allons le trouver.

Il y a dans le Selon-Luc (XII, 54-57) un passage bien curieux, qui est absolument séparé du récit sur le miracle du Iôannès (Luc, XI, 29-32), avec lequel il n’a aucun rapport. Peut-être a-t-on déplacé le morceau. Le voici :

— Jésus disait aux multitudes : Lorsque vous voyez au couchant un nuage se former, vous dites aussitôt que la pluie arrive, et il en est ainsi ; et lorsque souffle Notus (vent du sud), vous dites qu’il fera chaud, et il fait chaud. Hypocrites ! — on comprendra la raison de cette injure tout à l’heure, qui, sans préparation, détonne si fort tout à coup, — vous savez apprécier l’aspect de la terre et du ciel, continent ne savez-vous pas apprécier l’occasion favorable que voici ? continent ne jugez-vous pas de vous-mêmes ce qui est juste ?[10]

Qu’est-ce que cette occasion favorable que Jésus-Christ reproche aux foules de ne pas savoir apprécier, et qui doit être la justice... immanente, ajouterai-­je ?

On comprend immédiatement, quand on observe que le passage est la suite, sans blanc ni rature, d’une tirade enflammée, qui rappelle le rôle historique dit Christ soulevant le peuple contre l’État, du Prétendant davidiste au trône de Judée, en guerre contre les Hérodes et contre Rome. C’est Jésus-Christ qui parle, se souvenant de la moitié humaine, qu’il fut :

Je suis venu jeter le feu sur la terre et qu’est-ce que je veux, sinon qu’il soit déjà allumé ! Il est un baptême dont, je dois être baptisé, et combien je suis angoissé jusqu’à ce qu’il soit accompli ! Pensez-vous que je sois venu donner la paix sur la terre ? Non, vous dis-je, mais la division. Car désormais, cinq personnes étant dans une maison, elles seront partagées : trois contre deux et deux contre trois. Seront divisés père contre fils et fils contre père, mère contre fille et fille contre mère, belle­fille contre belle-mère et belle-mère contre belle-fille. Jusque dans sa davidique famille, par suite du remariage de sa grand’mère Cléopâtre, mère de Marie, avec Hérode-le-Grand, qui eut d’elle l’Hérode Philippe et l’Hérode Lysanias. Nous le démontrerons un jour.

Mais je continue, el j’explique les deux morceaux l’un par l’autre, par la voix même de Jésus-Christ, le Iôannès-ressuscité.

— Car je fus le Christ-Messie qui déclara et fit la guerre aux Hérodes et à Rome, comme Prétendant, royal. J’ai été vaincu, pris, jugé, condamné, cloué sur la croix, atroce baptême de sang ! car, si quelques-uns m’ont suivi, ont combattu avec moi, d’autres ont été contre moi, en sorte, ô Juifs, que, divisés entre nous, n’ayant pas fait masse contre la Bête romaine, nous n’avons pu rétablir le royaume de David et la souveraineté d’Israël sur le monde, comme je l’avais annoncé dans l’Apocalypse. Vous avez perdu, vous n’avez pas su discerner l’occasion favorable. Hypocrites ! Les romains ont détruit et dispersé plus tard la nation juive, sous Hadrien, en 135. C’est bien fait !

Or, ce passage du Selon-Luc sur l’occasion favorable, et qui, dans cet Évangile, n’a aucun rapport avec le miracle de Jean ressuscité, c’est justement celui qui constitue l’interpolation tardive que contiennent certains manuscrits du Selon-Matthieu, au chapitre XVI, et que j’ai signalée : les trois phrases que j’ai sautées, en citant le Matthieu, XVI, au début.

Les scribes qui l’ont perpétrée, cette interpolation, et qui en connaissaient le sens intime, puisqu’ils l’ont prise dans le Selon-Luc où elle est déplacée, savaient ce qu’ils faisaient en l’ajoutant au Selon-Matthieu, et à cette place. Bien qu’elle soit un peu différente dans les termes, elle a la même signification que dans le Selon-Luc. Jésus-Christ parle, — et que ceux qui ont des oreilles entendent ! Il dit et sous-entend ce que j’ajoute :

— Race méchante et adultère qui demandez un miracle. Oth ! Oth ! Le miracle ? c’eût été la délivrance d’Israël, quand Iahveh vous a visités d’en haut, à ma naissance, et quand j’ai tenté, en Palestine, comme Messie-Christ, de 782 à 788, ­combien de fois ? — de rassembler vos enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu ! — pour bouter hors Hérodiens et Romains. Vous avez laissé passer cette occasion favorable. Vous n’avez pas su discerner ce qui est juste ! Hypocrites ! J’ai été crucifié. Tous les miens, descendants de David, comme moi, mes six frères, fils du Tonnerre, Boanerguès, fils dit grand Galiléen de Gamala, le lion rugissant de Juda, Zacharie tué entre le temple et l’autel, mes beaux-frères, Eléazar et Jaïrus, époux de Marthe-Thamar et de Marie-Esther, et mes neveux aussi, ont péri pour la cause. Votre demeure est devenue déserte. Israël n’a plus de patrie. Mais il vous reste une chance de racheter votre âme adultère. Voici que les scribes m’ont ressuscité en incarnant en moi, sous mon nom d’Apocalypse, Jean = Iôannès, le Verbe de Dieu, Jésus. Vous pouvez encore conquérir le monde, sous le couvert d’une religion nouvelle, prêchée aux petits, aux misérables, et que nous piperons, vils goïm, païens-rustres, sans oublier de les rançonner, et nous couvrant du blanc manteau de la morale antique, si spiritualiste, dont nous nous emparerons en disant que ce sont ses sages qui nous l’avaient volée, — fraudes, impostures, supercheries, mensonges à la rescousse, et qu’importe ! La fin justifie les moyens ! L’espérance politique d’Israël a fait faillite. Me voici, moi, Jésus-Christ, miracle unique, Iôannès ressuscité, oth ! oth ! drapeau de la croisade jésus-chrétienne pour l’universelle ou catholique domination quand même, et au nom du Très-Haut , Iahveh, mué en Dieu et Père de tous les hommes, notre Saint, béni soit-il ! à qui il plaise, Amen ! Amen ! qu’il vous soit donné de comprendre et d’accepter ce miracle, oth ! oth ! le Miracle que je suis, que je vous donne, venant du ciel, en Jésus-Christ, dieu et homme, sous le signe du Iôannès ressuscité !

Les Juifs restés fidèles à la loi de Moïse, à la Thora, honnêtement, ont repoussé ce miracle, — la plus grande fraude de l’Histoire, la plus impudente des gageures jetées à la conscience et à la raison humaines.

Il était dans la destinée des plus nobles portions de l’humanité de s’y faire prendre. Mektoub ! diraient les Arabes. Dieu a laissé faire ! pense en souriant le philosophe sceptique, et sans en vouloir autrement, à Dieu ; car il sait que, dans les affaires d’ici-bas, politique, finances, religions ou commerce, toutes choses qui se ressemblent pour l’exploitation des foules, — c’est rarement, la vertu, l’honneur, la probité qui triomphent. L’étude de l’Histoire l’en a convaincu. Et s’il croit à Dieu, s’il persévère a y croire, indulgent et fort de sa haute conscience sereine, c’est qu’il s’est persuadé d’avance que les voies de Dieu, pour sa plus grande gloire, sont impénétrables. Et c’est pourquoi, humble de cœur, il lui pardonne de si mal protéger la vertu, l’honneur, la probité.

 

 

 



[1] Je pourrais relever le massacre des Innocents, de tous les enfants de deux ans et au-dessous, qui est dans le Selon-Matthieu (II, 16-19). Faux, bien entendu. Mais je suis bien obligé de suivre les scribes évangéliques sur le terrain où ils me mènent. L’événement n’intéresse qu’indirectement la carrière de Jean-Baptiste ; mais cet intérêt, bien qu’indirect, n’est pas sans importance. En effet, que Jésus-Christ ait échappé à ce massacre, on le comprend. Ses parents l’ont emmené en Égypte. Mais Jean, qui, lui aussi, a moins de trois ans, à ce moment, comment a-t-il échappé ? Le Selon-Matthieu a oublié de nous le dire. Je le sais, moi. C’est parce qu’il a fait, lui aussi, le voyage d’Égypte dans la même peau que Jésus ; ou plutôt, Jésus, par anticipation, est déjà dans la sienne.

[2] En fixant au Ve siècle, fin du VIe peut-être, la Nativité de Jean-Baptiste, je veux dire que le récit de cette Nativité, comme étant celle de Jean-Baptiste, distinct de Jésus, est entrée dans l’Évangile, celui de Luc, à cette époque. Je ne veux pas dire que cette Nativité, sous le nom apocalyptique ou de révélation du Christ, n’existait pas avant, dans des Écritures. J’ai lu mes auteurs, et je suis bien sûr que Valentin, l’auteur de la Pistis-Sophia, au IIe siècle, l’a connue et expliquée. Cérinthe, par conséquent, aussi. Mais elle ne s’appliquait qu’au Iôannès, au Christ crucifié par Ponce-Pilate, support du Dieu-Jésus. On n’a pas encore inventé Jésus-Christ. Au Ve siècle, les Scribes, alors que la scission entre le judaïsme et le christianisme s’annonce, n’avaient plus intérêt à conserver ce morceau d’une mythomanie juive si aiguë. C’est un Thargoum. Ils l’ont utilisé, en le sophistiquant, comme de raison, pour donner un acte de naissance et des parents à Jean-Baptiste, qu’on avait inventé distinct du Christ, et pour des motifs que nous verrons.

[3] L’Époux, dont il est question dans ces deux morceaux, c’est Jésus-Christ, et son Épouse, dans le Selon-Jean, c’est la Judée, et non point l’Église, comme des interprétations fallacieuses le prétendent. L’ami de l’époux, c’est Jean-Ioânnès encore, qui se tient non seulement près de lui, mais en lui, dans son sein. La fiction du disciple bien aimé n’a pas d’autre origine. Mais nous en reparlerons au dernier chapitre de ce volume. J’ai dit que les Scribes mêlaient et confondaient eux-mêmes les deux Jean. En voici un exemple. Je ne puis m’empêcher, de faire observer que le Selon-Jean, exposant, d’après Cérinthe, le mythe de Jésus descendant dans le corps du Christ-Iôannès, historique, est correct, décent, naturel. L’association, en nom collectif, du céleste et du terrestre est une idylle. C’est jeu littéraire. Comparez les Synoptisés. Les Scribes, ayant à lutter contre le mythe de Jésus dieu-Aeôn dans Jean-Christ, furieux de la résistance qu’ils rencontrent, vont, dont les Synoptisés, jusqu’à l’outrage. Jésus-Christ est le vin nouveau, pétillant, plein d’esprit, du Saint-Esprit. Jean est une vieille outre- Oser soutenir qu’on a incarné le dieu Jésus dans le corps de Jean ! Quelle plaisanterie ! Met-on du vin nouveau dans une vieille outre ? Pour un peu, si les calembours n’étaient pas des particularités des langues, et s’il parlait français, — Il ne déteste pas le calembour, — Il aurait dit : Met-on le dieu nouveau dans un vieux youtre ! Les Scribes en seraient capables. – Aéloï ! Aéloï ! Iamma sabachtani.

[4] Dans les Dialogues des Morts, 16. Traduction Talbot. J’y renvoie, car j’ai pratiqué quelques coupures sans intérêt.

[5] On retrouve le même genre de raillerie dans le Philopatris, 12 (longtemps attribué à Lucien, peut-être à cause de cela) sur l’un en trois et le trois en un, sur le Dieu Père (l’Abba) qui habite le ciel, le Fils (le Bar) né du Père, Bar-Abbas, et l’Esprit (le Verbe, le Logos) qui procède du Père. Le Saint-Esprit est féminin, chez les Juifs-christiens. Rien de commun, pour le fond, avec l’identité du Iôannès et du Christ. Le Philopatris se place au temps de Julien. Haine de l’empereur régnant, alors absent et engagé dans une guerre lointaine ; prédiction et espoir empressé de sa défaite prochaine ; indication que cette guerre a lieu en Perse ; et en effet Julien fut tué en 363, pendant cette guerre, assassiné par un javelot chrétien de son armée. Tous ces détails du Philopatris attestent que l’auteur s’est placé, au point de vue de cette époque. Il dit même que les prédictions qu’il annonce, s’accompliront au mois de Mesori, mois égyptien qui correspond au mois d’août. Julien périt en juin. Voir chap. IV. La DÉCAPITATION, le § La Flèche du Parthe.

[6] Sophiste ! c’est un nom, respectable, a dit Lucien (Le Maître de rhétorique). Ce Diogène, d’ordinaire cynique, se montre ici un fin connaisseur. Il dénonce, au moment même où on l’édifie, toute la mystification jésu-christienne.

[7] Apprenant ce qu’on publiait de Jésus, il (Hérode) dit à ses serviteurs :C’est Jean = Ioannés le Baptiste (Matt., XIV, 1-2), c’est Jean — Iôannès le Baptisant (Marc, IV, 14) ; Il est ressuscité des morts : c’est pourquoi les puissances agissent en lui (aï dynameïs energousin en autöi). Admirez d’autres traductions — c’est pourquoi il se fait par lui des miracles. Luc (IX, 7-9), qui écrit : après s’être informé de tout, ô Théophile, nous montre Hérode perplexe de ce qu’on disait de Jésus Pour les uns, Jean = Iôannès était ressuscité des morts ; pour les autres, Elie était apparu. Mais Jésus vous a dit que Jean, c’est Elie. Et Hérode branle la tête, naturellement, ne sachant que croire : J’ai fait couper la tête à Jean, dit-il. Nous verrons, au chapitre IV, qu’on le fait mentir.

[8] Je l’ai indiqué à propos des Scènes où Jésus appelant Simon-Pierre, fils de Jonas ou Jean, les manuscrits les plus autorisés portent : fils de Ioannès et non de Ionas. Voir l’Évangile Selon-Jean, I, 42 et XXI, 15-17.

[9] Traduction littérale, qui s’explique ainsi : Plaise à Dieu qu’il lui (en) soit donné (un) ! Je me demande pourquoi les traducteurs, sinon pour synoptiser, interprètent : il ne lui en sera donné aucun. La phrase grecque est : eï dothêsetai têi généai tautêi sêméïon. La tournure optative explique l’état d’esprit de Jésus qui soupire, trait que n’ont ni le Matthieu, ni le Luc. Jésus exprime aussi un souhait que nous préciserons, et surtout un regret.

[10] J’ai traduit : l’occasion favorable que voici. En grec : ton’ dé Kaïron’ touton. Les traductions d’église interprètent : Ce temps-ci, l’époque où vous êtes. C’est un contresens, à la lettre et une incompréhension totale, quant à l’esprit. Le subsantif grec : o Kaïros, ne signifie temps, et non époque, qu’à la condition d’y ajouter une précision importante : o Kaïros, c’est le temps précis, le moment opportun, l’occasion favorable celle qu’on saisit aux cheveux, à temps, à propos, pas à contre-temps, et en vue d’un avantage, d’une victoire, d’un profit qu’on escompte.