L'Énigme de Jésus-Christ

 

Tome deuxième

CHAPITRE PREMIER : JEAN A-T-IL ÉTÉ LE CHRIST ?

 

 

I. — Jean-Baptiste dans les Écritures canoniques.

Les deux (ou trois) Jean.

Les quatre Évangiles sont d’accord pour nous présenter, à côté de leur héros principal Jésus-Christ, un autre personnage éminent, au même destin tragique, ayant, lui aussi, encouru la haine d’Hérode, et qui, un moment, avant de disparaître décapité, fait haute figure, et autant, sinon plus, que le futur Crucifié de Ponce-Pilate, au point que, on le verra, tous se demandent s’il n’est pas le Christ, et que Jésus-Christ lui-même n’est pas très sûr qu’il n’est pas le revenant de Jean.

Ce personnage étrange, les quatre Évangiles le désignent en effet sous le nom de Jean, traduction en français du grec Iôannès, reproduisant lui-même un vocable hébraïques.

On l’appelle communément Jean-Baptiste.

L’expression Jean-le-Baptiste est particulière à l’Évangile Selon-Matthieu, qui ne dit Jean-Iôannès tout simplement, que dans la scène du baptême de Jésus par Jean, qu’il démarque du IVe Évangile, que l’on avait au préalable interpolé (Mt : III, 13-17 ; — Jn : I, 29-38).

Le Selon-Marc ne dit Jean-le-Baptiste ou le Baptisant, que lorsqu’il refait le récit du Selon-Matthieu, sur la scène de la décapitation (Me : VI, 24-25 ; Mt : XIV, 8).

Quant au Selon-Luc, il n’ajoute à Jean l’épithète le Baptiste, qu’une seule fois, dans le récit du message de Jean à Jésus, que l’on a synoptisé avec le récit pareil du Selon-Matthieu de VII, 33 (Mt : XI, 2-19).

Reste le quatrième Évangile, dit Selon-Jean. Il est postérieur, si l’on en croit l’Église et les exégètes et les critiques laïques, aux trois autres Évangiles, les synoptisés, qu’il a, par conséquent, dû connaître. Et cependant, ce Jean-Baptiste, il ne le désigne que sous le nom de Jean, tout court. Jamais il n’ajoute au nom du  Iôannès-Jean, quand il en parle, l’épithète de Baptiste ou de Baptiseur, même quand il le montre en train de baptiser. Il n’est pas plus le Baptiste, dans cet Évangile, que ne l’est Jésus-Christ ou Jésus ou le Christ, quand il baptise aussi. La fonction de baptiseur chez Jean n’a pas plus frappé l’auteur du IVe Évangile, qu’à l’égard de Jésus-Christ ou du disciple bien-aimé, qui s’appelle Jean aussi.

Cette constatation est remarquable. Pour l’expliquer, il faut supposer et admettre que les Évangiles synoptisés, contrairement aux affirmations ecclésiastiques des érudits, sont venus bien après le IVe Évangile, et que le qualificatif de Baptiseur ou de Baptiste n’a pas désigné le Iôannès Jean aux origines, que par suite, il ne lui a été adjoint qu’après l’apparition du IVe Évangile, à une époque tardive, comprise entre la fin du IIe et le IVe siècle, comme nous le prouverons, et pour des raisons que la suite fera comprendre.

Les Écritures canoniques montrent un deuxième Jean, distinct de Jean-Baptiste. C’est le disciple que Jésus aimait, devenu plus tard l’évangéliste et l’apôtre, et que l’Église affirme être l’auteur du IVe Évangile, de deux courtes Epîtres et de l’Apocalypse. Je me réserve d’en parler à part, dans le dernier chapitre de cet ouvrage. Je ne le signale ici que pour mémoire, car, en passant, à propos de Jean-Baptiste, je montrerai que les scribes évangéliques confondent souvent ces deux Jean, à donner le soupçon qu’ils sont un Jean unique, traitent Jean-Baptiste, qu’ils l’appellent Jean tout court ou ajoutent à son nom le qualificatif de Baptiseur, comme s’il s’agissait de l’apôtre, et notamment comme Prophète, et Prophète de quoi, sinon de l’Apocalypse ? On a l’impression que, par des procédés artificiels de littérature, ils ont fait deux Jean, d’un Jean historique unique, et qu’ils n’arrivent pas à se dépêtrer de l’immense réseau de fraudes tissées par des générations successives d’imposteurs, qui se heurtent, se contredisent, pataugent dans le mensonge, autour de la personnalité du Iôannès, sur lequel ils s’efforcent lamentablement de donner le change, suivant l’habitude, afin de cacher que l’unique Iôannès = Jean fut le Christ aux goïm, aux non circoncis, aux Occidentaux, ces poissons qu’il s’agit de prendre aux filets de la Barque de pêche du Fils du Charpentier, et qui ont des statères d’or dans la bouche. La Bethsaïda n’a été qu’une officine de scribes faussaires, à partir de la fin du IIe siècle, et à Rome principalement[1].

La carrière évangélique de Jean-Baptiste.

Elle est aussi brillante que rapide, brève comme l’éclair qui troue et illumine la nuée. Elle peut être résumée en quelques lignes qui contiennent d’ailleurs plus que n’en savent la plupart des gens sur le personnage, même des chrétiens de baptême.

Fils de Zacharie et d’Élisabeth, il grandit et se fortifia en esprit, demeurant dans les déserts, vêtu de poils de chameau, — tissu de Gamala, — mangeur de miel sauvage et de sauterelles, jusqu’au jour de sa manifestation à Israël, prêchant la repentance et la venue du Messie = Christ, pratiquant le baptême comme symbole de la conversion à laquelle il exhortait les Juifs. Aussitôt Jésus vint, de Nazareth ou d’ailleurs, pour être baptisé par lui au Jourdain, et au moment de ce baptême à deux, — Jean sans doute qui, d’ordinaire, avait une foule d’aspirants au baptême, lui avait réservé une séance spéciale, — une voix du ciel descendit avec une colombe, et la voix disait : Voici mon Fils bien-aimé !... Évidemment, Jean et Jésus entendirent cette voix, acteurs et témoins de la scène, et si on l’a su, ce ne peut être, semble-t-il, que par eux ou l’un d’eux[2] !

Après quelques épisodes et aventures sans consistance, qui se mêlent plus on moins à la carrière de Jésus-Christ, Jean finit en prison, où Hérode Antipas le fit décapiter, pour plaire à la danseuse Salomé (son nom n’est pas dans les Évangiles, et nous dirons pourquoi) fille d’Hérodiade, — Hérodiade étant à dessein faussement donnée comme ayant été la femme de l’Hérode Philippe. Après quoi, les disciples de Jean prirent son corps, sans la tête, qui avait été remise à Salomé et par celle-ci à sa mère, et l’ensevelirent dans un tombeau. Les Évangiles ne disent pas où. Nous verrons que c’est à Machéron de Samarie, où nous le retrouverons, sous les espèces du mort, que les Juifs-christiens adorent comme un dieu, soit du Crucifié de Ponce-Pilate, tête comprise.

Telle est cette histoire dans son ensemble. Elle est unanimement connue. La tragédie de la décapitation, la danse de Salomé ont inspiré le sadisme de tant d’artistes, peintres, sculpteurs, poètes, musiciens qu’il est grand temps que la critique historique ait son tour pour faire œuvre de vérité, froidement et proprement.

En définitive, Jean-Baptiste, décapité tôt, n’intervient vraiment dans les Évangiles, que pour servir à Jésus-Christ de précurseur, de héraut annonciateur, de témoin, et que pour le baptiser au Jourdain, comme il le faisait d’ailleurs entre temps pour d’autres Juifs, avides de repentance, — repentance de quoi ? Et bien que Jésus-Christ ait aussi baptisé d’eau au Jourdain, ce n’est qu’à Jean = Manès qu’est donné le qualificatif de Baptiste on de Baptiseur, — et seulement par les trois Synoptisés.

Le Christ, Jean, Apollos, Saint-Paul.

En plus des Évangiles, il y a la première Épître aux Corinthiens, les Actes des Apôtres, documents de la fin du IIe siècle, qui n’ont été fabriqués que pour sophistiquer l’histoire du Christ et de ses disciples, aux origines, qui se souviennent, avec un salut en passant à Jean l’apôtre, de la grande figure du Baptiseur Jean. Ils nous content, en effet, l’histoire étrange d’un Juif d’Alexandrie qui exploite le baptême ; il s’appelle Apollos. Bien que n’ignorant rien du Christ, disent les Actes, cet Apollos baptise-t-il au nom de Jésus ? Jésus ? Aucunement. Il baptise au nom de Jean. Et encore n’est-on pas très sûr qu’il s’agisse expressément du Baptiste dont le qualificatif n’est pas donné. N’insistons pas. Pourquoi Apollos baptise-t-il au nom de Jean, si Jean n’a pas été le Christ ? Ainsi, on aperçoit, dès les  Actes des Apôtres et l’Épître aux Corinthiens, bien avant que les Évangiles actuels soient faits, que la vérité historique sur le Christ est contenue dans le personnage de Jean. Et si Paul intervient — je le montrerai en détail ci-dessous, et comment ? par un astucieux tour d’Escobar, — c’est pour essayer d’effacer cette vérité historique.

Les Évangiles ensuite ont romancé pour Jean, escroqué de son rôle de Christ, une personnalité et une carrière à part, transportant le christat de Jean, crucifié par Ponce-Pilate, à un être de fantaisie, Jésus-Christ, fabriqué aux confins des IIe et IIIe siècles, avec la peau de Jean où l’on fait entrer le dieu Jésus.

Quant la Jean, — car enfin faut-il bien que je sois quelque chose ? dit Sosie, quand Mercure lui vole son nom avec sa ressemblance, — il rétrograde au rôle de Précurseur.

Change et mystification !

Cette question : Jean fut-il le Christ ? que j’ai résolue par l’affirmative dans l’Enigme de Jésus-Christ, dont j’ai fait état, ne donnant que des preuves fragmentaires, en passant, de mon affirmation, et que j’entreprends de démontrer à fond, maintenant, cette question, les Évangiles la posent eux-mêmes et vous forcent invinciblement à la poser.

Jean ne fût-il pas, n’a-t-il pas été, n’est-il pas le Christ, crucifié par Ponce-Pilate, n’est-il pas le personnage historique à qui, dans les Évangiles, on a substitué Jésus-Christ[3] ?

Cette question, les Évangiles, ai-je dit, la posent. Mais la posent-ils de bonne foi, indolemment, comme d’un fait négligeable, sur lequel il ne faut pas insister, tant il est invraisemblable ? Ah ! que nenni ! On sent qu’ils ne peuvent pas ne pas la poser. Elle revient en leitmotiv, obsédante, harcelante comme un remords, et s’ils y répondent par la négative, c’est comme pour chasser le remords.

La question même constitue un aveu.

Voici le Selon-Luc (III, 15) — : Tous se demandaient en leurs cœurs si Jean ne serait point le Christ. Oui, Jean est à peine apparu qu’on le prend pour le Christ. Pas pour Jésus-Christ.

Voici le Selon-Marc (VI, 14-16), le Selon-Matthieu (XIV, 1-2), le Selon-Luc encore (IX, 7), où Hérode, à propos de Jésus-Christ, déclare : C’est Jean qui s’est relevé d’entre les morts ! Mais oui, aux confins des IIe et IIIe siècles, camouflé en Jésus-Christ, en effet, par la plume des scribes.

La formule employée par les Écritures est même typique :

Jean est-il le Christ ? Es-tu le Christ ? Toujours le Christ. Jamais Jésus-Christ. Dans l’épître I aux Corinthiens (I, 12 et 15), attribuée à l’apôtre Paul, c’est une hallucination :

Parmi vous, il y en a qui disent : — Moi, je suis de Paulos, moi d’Apollos, moi de Képhas, et moi du Christ. En passant, j’indique, — mais j’y reviendrai plus longuement, c’est nécessaire, — qu’Apollos n’a jamais baptisé qu’au nom de Jean.

Paul continue — Christ est-il divisé ?... Paul a-t-il été crucifié ? Ou avez-vous été baptisé au nom de Paul ? Non. Mais par Apollos, au nom de Jean, jamais au nom de Jésus. Christ m’a envoyé... afin que la croix de Christ... Christ puissance et sagesse de Dieu... mettre sa gloire en Christ... serviteurs du Christ.

Quelle insistance obstinée sur Christ ! Il n’y a plus de Jean ; il n’y a plus de Jésus. Il n’y a plus que le Christ. Jésus-Christ ? On est en train de le fabriquer. N’attirons pas trop l’attention sur ce double nom, pense le faussaire qui joue le rôle de Paul. Ne parlons que de Christ. Le Christ ! Le Christ ! Le Christ ! Jean le fut, certes, sans doute, peut-être, sûrement. Mais Jésus ? Non pas, jamais. Mais puisqu’on prétend que Jean fut le Christ et qu’on en discute, alors que nous avons inventé Jésus-Christ, quand nous parlerons de Jésus-Christ, et pendant le temps nécessaire à asseoir la fraude, nous l’appellerons Christ, comme Jean, en prenant garde de ne jamais plus associer au nom de Jean l’épithète de Christ, et en ne nommant que Christ, à qui nous joindrons de temps à autre, devant ou après, le nom de Jésus, du moins quand il ne sera pas question de baptême, sauf de feu et d’esprit saint. Christ sera donc, non plus Jean-Christ, mais Christ d’abord, tout court, puis Christ Jésus, et, enfin, ouf ! Jésus-Christ, suivant les circonstances, et jusqu’à ce qu’on ait pris l’habitude de ce vocable définitif, Jésus-Christ, pour désigner le Crucifié de Ponce-Pilate. C’est à quoi d’ailleurs nous nous emploierons fidèlement, en même temps que nous relèguerons le Iôannès = Jean, simple homme, dans son rôle, d’ailleurs inutile, de baptiseur. Nous créons un homme-dieu, Jésus-Christ, dans la peau de Jean, c’est vrai.

Mais cette mystification, C’est justement ce que nous voulons qu’on ignore. Au surplus, Jean le Christ, ne protestera pas. Il est mort. Et gare à ceux qui protesteront pour lui, quand nous serons les plus forts.

Comme tour de bonneteau, à en juger par les événements, et à lire les œuvres des exégètes, qui s’y sont laissé prendre, ce n’est pas mal réussi.

Mais attendons la fin…

 

 

 



[1] Eusèbe, ou plutôt le volume de faux qu’est l’Histoire ecclésiastique mise sous son nom, et à qui Il faut toujours avoir recours pour montrer par quels procédés frauduleux les scribes ont noyé la vérité historique, Eusèbe, en plus des deux Jean, le Baptiseur et le disciple bien-aimé, en invente un troisième, — lui aussi disciple du Seigneur. Il donne une prétendue citation de Papias, — soyez sûrs que c’est lui qui la fabrique, — où il est question d’un Jean, mêlé aux noms des apôtres, et d’un autre Jean, presbytre, accolé à un certain Aristion. Le premier, d’après lui, serait l’Évangéliste (l’auteur du IVe Évangile), le second serait l’auteur de l’Apocalypse. Du moins, faut-il le penser d’après l’assertion de ceux qui affirment qu’il y aurait eu deux hommes du nom de Jean en Asie. Lui, Eusèbe, n’en est pas très sûr. Il en est si peu sûr que, dans d’autres passages de l’Histoire ecclésiastique, mise sous son nom, — c’est un autre faussaire qui tient alors la plume, — il n’est plus question que d’un Jean unique, comme apôtre et évangéliste tout ensemble.

Je reviendrai sur ce point, en donnant le texte d’Eusèbe, au chapitre V.

Jean disciple bien-aimé et apôtre, au § Eusèbe, Irénée et le Selon-Jean. Il faut tout élucider, documents à l’appui. L’imposture successive par laquelle on a fabriqué les Jean divers, distincts du Christ, est telle que les scribes eux-mêmes ne s’y reconnaissent plus, — l’Église et les exégètes encore moins. Il y a enfin Marc, à qui l’on attribue un Évangile, que l’on appelle aussi, timidement, Jean. Fils de Simon, dit la Pierre, il est le propre neveu du Christ, qui dut être son oncle et parrain, dans ce cas.

[2] Le Selon-Luc cependant (III, 21) place le baptême de Jésus par Jean à un moment où tout le peuple se faisait baptiser. Nous discuterons plus loin la scène du baptême. Le Selon-Luc pare ainsi le coup que porte au baptême de Jésus par Jean, ce qu’on lit dans l’Anticelse que le Christ était seul au Jourdain lors du baptême.

[3] Je crois utile de rappeler que l’expression Jésus-Christ n’est pas un nom de personne, comme Juda bar-Juda, Matthias bar-Lévi, Salomon bar-David, etc. C’est une désignation — comme Bon Juge, Général vainqueur, Financier éminent, — donc anonyme, qualificative, quasi-professionnelle, Sous deux épithètes qui ne sont même pas de la même langue. Jésus, c’est la déformation, à travers le grec et le latin, de l’hébreu Ieoshouah, qui signifie secours de Ieo (de Iao, Iehovah, Dieu), et, plus simplement : Sauveur. Christ est un terme grec traduisant l’hébreu Messhiah, par francisation Messie, qui veut dire Oint. En français, Jésus-Christ, c’est le Sauveur-Oint. Pas de nom patronymique, ou, parlant juif, puisque nous sommes en Judée, pas de nom de circoncision, que les scribes ecclésiastiques ont à dessein fait disparaître. Jésus-Christ, c’est donc du sabir judéo-héllène, comme on en trouve d’autres exemples : Pan-Thora, notamment, Toute-la-Loi (Pan, grec, thora, hébreu) pour désigner Joseph, dans le Talmud. Notre jargon de décadence forme des mots barbares de la même façon : auto (grec) mobile (latin), pour ipsomobile, etc.

Ce sabir, judéo-hellène, convient d’ailleurs admirablement à Jésus-Christ, création artificielle, hybride et irréductible en ses deux natures : Jésus esprit, pneumatique, verbe, Souffle, que l’on a incarné, fait descendre du cerveau humain, — ce ciel ! — dans la chair ou le corps de Jean, son support hylique, matériel. Comme Jésus, il est fils unique de Dieu, et Marie, sa mère, peut l’avoir engendré, pneumatiquement, tout en restant vierge. Fils de Dieu, Fils du Père, il est BarAbbas. Comme Christ, crucifié par Ponce-Pilate, il est fils du charpentier, un rude homme, qui fit à sa femme neuf enfants, dont deux filles : Martha ou Thamar et Marie. Que sa mère conçut Jésus en esprit et l’engendra, vierge encore et après, c’est certain. Pour le christ, il naquit comme tous les hommes.