L'Énigme de Jésus-Christ

 

Tome premier

CHAPITRE II : Le Père du Christ ; Juda le Gaulonite.

 

 

B. — JUDA LE GAULONITE OU DE GAMALA

I. — Les Guerres des Juifs et les Antiquités.

Le chapitre XII du livre II des Guerres des Juifs débute comme suit : Lorsque les pays possédés par Archélaüs eurent été réduits en province, Auguste en donna le gouvernement au chevalier romain Coponius. Durant son administration, un Galiléen nommé Juda porta les Juifs à se révolter, en leur reprochant de payer tribut aux Romains, ce que faisant ils égalaient les hommes à Dieu (Iahveh), puisqu’ils les reconnaissaient pour maîtres aussi bien que lui. Ce Juda fut l’auteur d’une nouvelle secte, entièrement différente des trois autres. La première était (comme si elle n’existait plus, et, à l’époque où l’on a retouché le morceau, elle n’existe plus, en effet) celle des Pharisiens, la seconde celle des Saducéens, la troisième celle des Esséniens, qui est la plus parfaite de toutes.

Après quoi, sept ou huit pages sont consacrées aux Esséniens, puis, respectivement, dix à douze lignes aux Pharisiens et aux Saducéens.

Quant à la nouvelle secte fondée par Juda, pas un mot de plus, ici, en dehors de cette indication, d’ailleurs précieuse, qu’elle est entièrement différente des trois autres.

Dans les Antiquités judaïques, au livre XVIII (chap. I et II), Flavius Josèphe est plus explicite[1].

D’abord, il nous apprend, — chose qui n’apparaît pas dans Guerres des Juifs, que si Juda, qui était Gaulonite et de la ville de Gamala, et assisté d’un Pharisien nommé Sadok, sollicita le peuple à se soulever, c’est à propos du dénombrement de tous les biens des particuliers, ordonné par Quirinius, gouverneur de Syrie. Juda disait que ce dénombrement n’était autre chose que la manifeste déclaration qu’on les voulait réduire en servitude, etc. Le peuple se révolta. Nous reviendrons sur cette révolte[2].

Après nous avoir appris (ou rappelé) en passant, que Juda et Sadok eurent la vanité d’établir une quatrième secte, Flavius Josèphe songe à décrire les trois autres, entre lesquelles se partageaient les Juifs qui faisaient, depuis plusieurs siècles, profession particulière de sagesse : Esséniens, Saducéens et Pharisiens. Pharisiens et Saducéens sont dépeints à peu près eu termes identiques ou équivalents dans les deux ouvrages, dont l’un semble un démarquage de l’autre. Mais les Esséniens doivent se contenter ici de vingt-cinq lignes. Et voici Juda et sa secte.

II. — Juda fonde la secte christienne.

Flavius Josèphe écrit : Juda fut l’auteur de la quatrième secte. Elle convient en toutes choses avec celle des Pharisiens[3], excepté que ceux qui en font profession soutiennent qu’il n’y a que Dieu seul que l’on doive reconnaître pour Seigneur et pour Roi. Ils ont un si ardent amour pour la liberté qu’il n’y a point de tourments qu’ils ne souffrissent et ne laissassent souffrir aux personnes qui leur sont les plus chères, plutôt que de donner à quelque homme que ce soit le nom de Seigneur et de Maître.

Flavius Josèphe n’insiste pas davantage, prétextant que c’est une chose connue de tant de personnes, qu’il n’appréhende pas qu’on ne le croie point, mais seulement qu’il ne puisse exprimer jusqu’à quel point va leur incroyable patience et leur mépris des douleurs. Et il termine : Cette invincible fermeté de courage s’est encore accrue par la manière si outrageuse dont Gessius Florus, gouverneur de Judée, a traité notre nation, et l’a enfin portée à se révolter contre les Romains[4].

Et c’est tout sur la secte de Juda de Gamala, Juda le Galiléen, et sur ses doctrines.

Nous avons le droit de nous arrêter un moment pour réfléchir et discuter.

Renan qui a lu, et non superficiellement, on aimerait à le croire, les œuvres de Flavius Josèphe, où l’on trouve le récit des séditions juives contre Rome, — combien allégé ! pour certaines, avant Jésus-Christ, puis sous Tibère et Ponce Pilate surtout, et postérieurement, — Renan écrit, d’après l’historien juif, que Juda et Sadok se firent, en niant la légitimité de l’impôt, une école nombreuse qui aboutit bientôt à la révolte ouverte. Les maximes fondamentales étaient que la liberté vaut mieux que la vie et qu’on ne doit appeler personne MAÎTRE, ce titre appartenant à Dieu (Iahveh) seul.

Renan ajoute que Juda avait bien d’autres principes. On s’en doute. Mais, point curieux, il n’essaie pas de les rechercher. Il se contente d’exprimer qu’on ne les trouve plus dans Josèphe. Il n’imagine pas que, s’ils ne s’y trouvent plus, c’est que, peut-être, sûrement, on les a enlevés. Il explique cette discrétion par une raison que le moindre sens critique fait crouler, tant elle est contraire à la vérité.

Ces principes, dit-il, Josèphe, toujours attentif à ne pas compromettre ses coreligionnaires, les passe à DESSEIN sous silence. Car on ne comprendrait pas que pour une idée aussi simple, l’historien juif donnât à Juda une place parmi les philosophes de sa nation et le regardât comme le fondateur d’une quatrième école, parallèle à celle des Pharisiens, des Sadducéens, des Esséniens.

En effet, on ne comprend pas. Mais on comprend encore moins les explications puériles et trompeuses de Renan.

Au moment où Flavius Josèphe écrit ses deux ouvrages, vers la fin du Ier siècle, tant d’événements ont passé, consignés encore dans ces deux ouvrages, — en dépit de la censure postérieure de l’Église qui en a supprimé tant d’autres, que les contemporains n’ont pas ignorés, — qu’il n’y a plus grand’chose alors, qu’il n’y a même plus rien à compromettre. Juda le Galiléen est mort, tué pendant la révolte qu’il avait fomentée ; ses fils et ses disciples ont expié après lui leurs crimes politiques ou de droit commun. La secte qu’il a créée, — il faudrait dire, plus exactement, qu’il n’a fait que la grouper, la former en faisceau, — existait à l’état dispersé de partisans toujours prêts à se soulever. Elle avait eu pour chef, à ne remonter qu’à l’histoire comme, cet Ezéchias, le propre père de Juda le Gaulonite, ce brigand, ce chef de bandes, qu’Hérode, gouverneur de la Galilée, avait fait prisonnier et mis à mort, en 695 = 59 avant notre ère ; elle avait inspiré les actes tels que ceux de Juda ben Zippori et de Matthias ben Margaloth, docteurs de la Loi ou Thora, arrachant l’aigle d’or que, sur la fin de son règne, Hérode le Grand avait fait placer sur la principale porte du Temple de Jérusalem, comme pour mettre la demeure d’Iahveh sous la protection des Césars.

Quand même, disaient-ils à leurs partisans, il y aurait du péril, rien ne peut être plus glorieux que de s’exposer à la mort pour la défense de la Thora, — c’est ce que Juda le Gaulonite appelle la liberté, si on n’a pas changé le mot quand il s’agit de lui, dans Flavius Josèphe, — puisqu’une telle fin dispense une vie et une réputation immortelles, — la vie éternelle !

On ne peut fixer la date à laquelle Juda le Gaulonite fonda sa secte. L’affaire de l’Aigle d’or est de 749 ou 750, 4 ou 5 avant l’ère vulgaire. Mais on peut affirmer que Juda, fils de Zippori, et Matthias, fils de Margaloth, sont des sectateurs du Gaulonite. Lui-même, peu après la mort d’Hérode, qui est de 750, opère du côté de Sepphoris, en attendant que, en 760 = 7, il fomente la révolte du recensement.

Est-ce que les Romains, vraiment, avaient besoin des Histoires de Flavius Josèphe pour savoir à quoi s’en tenir sur ces mouvements juifs, qui, pendant près de deux cents ans, ont eu le même caractère ? Pourquoi Flavius Josèphe les aurait-il passés sous silence ? Qui pouvait-il compromettre, et quoi ?

Renan écrit : Une série de procurateurs romains subordonnés pour les grandes questions au légat impérial de Syrie, Coponius, Marcus Ambivius, Annius Rufus, Valérius Gratus et enfin Pontius Pilatus s’y succèdent, — l’énumération s’arrête à 789 = 36, au procurateur qui a crucifié Jésus-Christ, mais elle est incomplète ; elle pourrait aller jusqu’à la révolte de Ménahem, rien qu’à s’en tenir aux événements auxquels a participé Flavius Josèphe, — procurateurs donc, occupés sans relâche à éteindre le volcan qui faisait (sans cesse) éruption sous leurs pieds.

Qui Renan pourrait-il persuader que Josèphe a eu besoin de se taire sur la doctrine de Juda le Gaulonite, au nom de laquelle se sont produites toutes ces révoltes et ont fait éruption tous ces volcans ?

Renan a lu dans l’historien juif tout ce qu’il écrit de ses coreligionnaires, sectateurs de Juda le Gaulonite, ces zélotes ou kanaïtes, ces sicaires, ces imposteurs, les Judas, les Matthias, les Sadok, les Theudas, malgré des suppressions et atténuations sans nombre dont l’évidence saute aux yeux du lecteur le moins averti. Josèphe les fouaille, les blâme, se plaint d’eux, les dénonce, au point qu’il a pu être taxé de traîtrise envers sa nation et de flagornerie envers les Romains. En ce qui concerne plus particulièrement Juda et Sadok et leurs bandes, il les charge des pires crimes. Il les accuse d’avoir tué, pour s’enrichir, les personnes de la plus grande condition, d’avoir pillé indifféremment amis et ennemis, sous prétexte de défendre la liberté publique, et d’avoir porté la torche jusque dans le temple d’Iahveh. Et nous savons par les Évangiles qu’un nommé Zacharie, que nous identifierons avec Juda le Gaulonite, a péri entre le Temple et l’Autel (à la révolte du recensement, certainement).

Voilà donc ce qu’on lit encore dans Flavius Josèphe. C’est un minimum. Et c’en est assez pour prouver que la raison de Renan sur le silence voulu de Josèphe, attentif à ne pas compromettre ses coreligionnaires, est une fantaisie[5].

Ce qu’il y a d’étrange, dans le cas de Renan, c’est que, toutes les fois qu’il voit juste, comme prémisses, il tire des conclusions à l’encontre de la logique, donc de la vérité. Il comprend, un peu, que Juda fut évidemment le chef d’une secte galiléenne préoccupée de messianisme, qui, ajoute-t-il, aboutit à un mouvement politique. Il a l’air de ne pas savoir que les mouvements messianistes sont à la fois religieux et politiques ; et il veut donner l’impression que les deux points de vue ne se mêlent pas, alors que le messianisme n’est que politique et religion. Ne pouvant nier qu’après l’écrasement de la sédition de Juda de Gamala par le procurateur Coponius, l’école subsista et conserva ses chefs, puisque, sous la conduite de Ménahem, fils du fondateur, et d’un certain Eléazar, son parent[6], on la retrouve fort active, — c’est peu dire, — dans les dernières luttes des Juifs contre les Romains, — non, pas les dernières ; Renan oublie, dirai-je aussi à dessein ? Bar-Kocheba, et d’autres, entre temps ; — et admettant en outre que le mouvement de Juda le Gaulonite eut, beaucoup plus que d’autres séditions d’alors, de l’influence sur Jésus, qui vit peut être ce Juda, et dont il connut l’école, il conclut que Juda eut une manière de concevoir la révolution juive si différente de la sienne, celle de Jésus, et que ce fut probablement par réaction contre l’erreur de Juda, que Jésus prononça l’axiome sur le denier de César[7].

Non seulement Juda le Gaulonite a été le créateur d’une secte préoccupée de messianisme, mais la secte qu’il a fondée n’est pas autre chose que la secte messianiste, qui deviendra plus tard, par traduction grecque, la secte christienne, et en français, chrétienne, mais bien plus tard encore.

Messie ou Christ, messianisme ou christianisme, ces termes vont de pair, avec le même sens tous les deux, Messie étant hébreu, Christ étant grec, par traduction, je l’ai dit, je le répéterai à satiété. Ce n’est pas inutile. Le vocabulaire suffirait presque à prouver que le christianisme n’a pas d’autre origine que le messianisme, et n’est que messianisme pendant près de trois cents ans.

Flavius Josèphe a beau ne plus dire grand’chose aujourd’hui sur la quatrième secte juive, dont Juda le Gaulonite fut l’auteur, parce que l’on a frauduleusement modifié son œuvre historique, cette quatrième secte, par ses chefs, par leurs exploits, guerriers ou autres, par leurs ambitions, par ce qui résulte de Flavius Josèphe, se présente à nous avec des caractères tels qu’elle ne peut être que messianiste. Et on est d’autant plus sûr que cette secte messianiste doit être assimilée, identifiée avec celle qui, depuis, longtemps après, d’abord par la traduction en grec, et ensuite par un jeu de littérature durant des siècles, a été dite christienne, d’où chrétienne, en français, qu’ après avoir cité cette quatrième secte de Juda, Flavius Josèphe n’aurait pas manqué de parler de la secte du sage Jésus, de laquelle il ne dit rien, qui eut cependant du retentissement, à en croire les seuls Évangiles, les Actes, les Lettres de Paul, et alors que, suivant les critiques et exégètes, Évangiles, Actes, Lettres de Paul sont parus et circulent à ce moment à travers le monde. Et après celle de Juda, il en eut cité une cinquième, celle de Jésus, ce qu’il ne fait pas. Donc elle n’existe que sous les espèces de celle de Juda le Gaulonite.

III. — N’appelez personne votre Maître.

Au surplus, leurs points de contact subsistent, qui les font coïncider et se superposer, malgré les efforts des scribes chrétiens pour en faire deux sectes distinctes. Mais on ne peut réussir tout à fait dans de telles impostures. Il n’est pas difficile de faire ressortir, dans leurs points fondamentaux, l’identité du messianisme de Juda et du christianisme évangélique, même dans son dernier état.

Juda le Gaulonite et ses sectateurs, les Zélotes, les Kanaïtes, les Fanatiques, avaient pour article fondamental de foi qu’il n’y a que Iahveh seul que l’on doive reconnaître pour Seigneur et pour Roi. Ils préféraient les tourments pour eux et pour leurs proches les plus chers plutôt que de donner à quelque homme que ce soit le nom de Seigneur et de Maître.

Voilà des traits typiques, caractéristiques. Ne les retrouve-t-on pas essentiellement dans les Évangiles chez Jésus-Christ et ses partisans ? Ils y sont, et avec des essais d’atténuation successifs qui prouvent qu’ils gênent, car ils identifient les deux sectes en une.

Qu’on ouvre le Selon-Matthieu. Au chapitre XXIII, 7, on retrouve textuellement, en propres termes, les enseignements de Juda le Gaulonite ; et, ce qui est plus extraordinaire, en les répétant, Jésus-Christ les oppose aux doctrines des Pharisiens, comme s’il venait de lire Flavius Josèphe. Il faut transcrire intégralement ce passage évangélique : Les scribes et les Pharisiens sont assis dans la chaire de Moïse... Ils aiment... à être appelés par les hommes : Maître ! Mais vous, ne vous faites point appeler : Maître ; car vous n’avez qu’un seul Maître[8], et vous êtes tous frères. N’appelez personne sur la terre votre père ; car vous n’avez qu’un seul père, celui qui est dans les cieux. Le Christ est le bar et non l’Abba.

Voilà la doctrine de Juda le Gaulonite prise sur le vif dans les Évangiles.

L’impression est si forte, et la vérité, — identité entre les christiens et la secte de Juda le Gaulonite si absolue que déjà, dans Tertullien (Apolog., 32), pour effacer l’histoire, les scribes protestent que loin d’être ennemis de l’empereur (en n’appelant personne Seigneur, Maître ou Roi), ils consentent même à appeler les Césars Seigneurs, pourvu que ce ne soit pas dans le sens qu’ils donnent à ce mot, en s’adressant à Dieu. Plana imperatorem dominum, sed more communi, sed quando cogor ut dominum Dei vice dicam. On ergote.

C’est une fraude qui procède du même esprit, — couper le christianisme de Juda le Gaulonite, — que celle où les descendants de Jude, dans Eusèbe, sont donnés comme espérant un royaume qui n’est pas de ce monde, devant Domitien, — ce qui, d’ailleurs, est en contradiction avec l’institution de la Papauté.

Dans les Évangiles eux-mêmes, les scribes ont essayé d’atténuer les paroles du Christ de Matthieu, XXIII, 7. Et c’est le Selon-Matthieu (XIX, 16-17), qui commence la sophistication, première étape de la fraude, dans un vrai galimatias : Quelqu’un s’approcha de lui (le Christ), et lui dit : Maître (la plupart des manuscrits ont le seul mot : Maître ; quelques-uns ont Bon Maître), que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? Il lui dit : Pourquoi m’interroges-tu sur ce qui est bon. Il n’y a qu’un seul bon (quelques manuscrits ajoutent : c’est Dieu). Qui ne voit que l’intention est ici évidente de jouer sur le mot Maître, et de lui substituer peu à peu le mot Bon ? Le Selon-Luc (XVIII, 18-19) et le Selon-Marc (X, 17-18) donnent l’étape définitive de la fraude : Un homme accourut (un des principaux, dit Luc) et lui demanda : — Mon bon Maître, que dois-je faire (de bon a disparu) pour hériter la vie éternelle ? — Jésus lui dit : — Pourquoi m’appelles-tu bon ? Il n’y a qu’un seul bon, c’est Dieu. Maître ? Dieu ? Plus de rapport.

Le procédé des mystifications évangéliques est là dans toute sa splendeur. Ab uno disce omnes. Nous en avons soulignées et nous en soulignerons d’autres.

IV. — La soif du martyre.

Ces tourments qu’ils préféraient pour eux et pour leurs proches les plus chers, plutôt que de donner à quelque homme que ce soit le nom de Seigneur et de Maître, comme le dit encore Flavius Josèphe des sectateurs du Juda le Gaulonite, est-ce qu’on ne retrouve pas l’écho édulcoré de la doctrine dans ces paroles de Jésus-Christ ? Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre. Je suis venu apporter non la paix, mais le glaive. Je suis venu mettre la division entre le fils et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère ; et l’homme aura pour ennemi ceux de sa propre maison. Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. Celui qui ne prend pas sa croix (l’épée) et ne me suit pas n’est pas digne de moi. Celui qui aura conservé sa vie la perdra ; et celui qui aura perdu sa vie, à cause de moi, la retrouvera (Matth., X, 34-39). Et ceci, à quelqu’un qui, avant de le suivre, voulait d’abord ensevelir son père : Laisse les morts, ensevelir leurs morts ; toi, suis-moi (Luc, VI, 60 et Matth., VIII, 22), va annoncer le royaume de Dieu. Car Juda, fils de Zippori et Matthias, fils de Margaloth, ne s’exprimaient pas autrement, style et idées. Et l’on sait ce qu’ils entendaient par annoncer le royaume de Dieu.

Si les chrétiens, sont représentés comme une espèce de fanatiques affamés de la mort et si entêtés de leur manie que plutôt d’y renoncer ils souffrent volontiers les plus cruels supplices et y courent comme à une fête, c’est qu’ils sont les christiens, que nul n’a persécutés, mais dont les Romains et les Hérodes ont réprimé les séditions et les actes de rébellion contre l’Empire.

Ces malheureux, dit Lucien des chrétiens, se figurent qu’ils sont immortels et qu’ils vivront éternellement (De morte Peregrini, 13). On dirait qu’il vient de lire Flavius Josèphe, et la profession de foi de Juda ben Zippori et Matthias ben Margaloth[9]. Lucien ajoute : En conséquence, ils (les chrétiens) méprisent les supplices et se livrent volontairement à la mort.

On dirait encore qu’il vient de lire dans Flavius Josèphe (Guerres, IV, VII), cet épisode du siège de Gamala où l’on voit les Juifs combattants qui ne veulent pas se rendre, gagner le haut de la montagne sur laquelle leur ville était bâtie, comme disent les Évangiles, et, perdant toute espérance de salut, précipiter, comme ils voulurent le faire de Jésus dans le Selon-Luc, leurs femmes et leurs enfants du haut en bas des rochers et se jeter eux-mêmes ensuite, pour ne pas leur survivre[10].

V. — Les kanaïtes, disciples du Christ.

Quant au zèle tout spécial que les messianistes de Juda affichaient pour la Loi juive, pour la Thora, et qui les poussait, jusqu’à assassiner, c’est encore lui que l’on découvre comme soubassement aux doctrines évangéliques, malgré tout ce qu’on a fait pour en atténuer le caractère de violence farouche.

Nous trouvons encore dans les Évangiles actuels un disciple dont on avoue qu’il fut un de ces zélotes, un de ces kanaïtes, un de ces sicaires : c’est Simon, le Cananéen (Matth., X, 4 ; Marc, III, 18 ; Luc, VI, 15). L’épithète Cananéen de certains manuscrits est l’adoucissement tardif de kanaïte de certains autres et des Actes (I, 13), qui traduisent le Zélote, s’agissant d’un Simon qui n’est autre, bien qu’on le fasse distinct, que Simon dit Képhas ou la Pierre, dont le caractère violent atteste encore l’avatar par dédoublement d’origine ecclésiastique[11].

L’Apocalypse (X, 3-4) nous montre un ange, — c’est Juda de Gamala, — qui prend possession du monde en posant un pied sur la mer et l’autre sur la terre, en jetant un cri comme le rugissement du lion. Juda est un lion, a dit Jacob, nous le savons. A ce rugissement, appel de victoire, répondent sept tonnerres, sept anges, dont le septième, — c’est le Christ, — doit sonner de la trompette quand s’accomplira le mystère de Dieu, c’est-à-dire le triomphe d’Israël, le règne d’Iahveh. Ces sept tonnerres sont les sept fils de Juda-Joseph et de Marie, les disciples, qui ne furent jamais Douze qu’en esprit. Ils sont sept daimones que Jésus, en esprit, fera sortir de Marie, leur mère selon la chair, muée pour la circonstance, et en esprit, en Marie-Madeleine, pécheresse possédée. Les scribes ne reculent devant aucune invention pour tuer la vérité. Nous verrons qu’il n’y a rien de scandaleux, comme les Évangiles le font croire, ni rien d’immoral, dans le cas de cette Madeleine, double pneumatique, en esprit, de Marie, épouse et mère irréprochable.

Ces sept tonnerres, fils du Lion Juda, les Évangiles n’ont pas pu les oublier totalement. Parmi les disciples, deux, Jacques, fils de Zébédée-Joseph et Jean, frère de Jacques, sont Boanerguès, c’est-à-dire Fils du tonnerre (Marc, III, 17). C’est l’Évangile lui-même qui traduit. Le terme hébraïque, qui a été défiguré, serait Béni-Réguès. Peu importe l’erreur ! L’épithète est là, traduite, qui nous renvoie aux tonnerres de l’Apocalypse. Elle est incompréhensible, appliquée aux disciples du sage et doux Jésus évangélique, Prince de la Paix. Mais aux fils de Juda de Gamala, elle convient admirablement ; elle est une preuve de plus que l’histoire réside dans le fils de Juda, et non dans le fils de l’inconsistant Joseph.

Le zélotisme des sectaires de Juda le Gaulonite fait sans cesse irruption et éruption dans les Évangiles.

Comment expliquer cette haine féroce de Jésus-Christ, lion seulement contre les Pharisiens, ceux du moins qui ne versaient pas dans le messianisme, doctrine de guerre et de révolte contre Rome, mais aussi, mais surtout, plus gravement, contre les Hérodes et les hérodiens. On y perçoit l’écho à peine affaibli des luttes politiques, que Flavius Josèphe marque en traits de feu, engagées entre Hérode et ses successeurs et le clan messianiste, tenant pour la dynastie davidique, à laquelle appartenait Jésus-Christ, qui ne fut pas autre chose, on le sent, on en est sûr, que le chef de la secte sous Tibère. Son zèle pour l’accomplissement de la Thora ou Loi, achèvera de le prouver[12].

VI. — La révolte du recensement.

Et maintenant, qu’a été, qu’a pu bien être le mouvement de rébellion dont Juda et Sadok ont été l’âme et les instigateurs au recensement de Quirinius ?

Nous ne le saurons jamais qu’en gros par les quinze à vingt lignes qu’il a plu à l’Église d’en laisser dans Flavius Josèphe, lignes précieuses évidemment, car elles nous révèlent bien la manière de Juda, de Sadok et de leurs sectateurs, les zélotes, leurs parents et coreligionnaires, les Simon, les Juda, les Eléazar, les Jaïrus, les Jacob ou Jacques, les Ménahem. Ce sont des brigands qui tiennent la campagne, descendus des régions montagneuses et forestières de la Galilée Transjordanienne ou jordanienne, colorant leurs pillages, leurs assassinats, leurs vols à main armée de prétextes généreux : défense de la liberté, zèle pour la vieille loi juive.

Pour les détails des opérations, Flavius Josèphe n’est plus aujourd’hui qu’un procès-verbal de carence. On l’a vidé de toutes les aventures, de tous les menus faits, de toutes les circonstances qui auraient permis d’individualiser les événements matériels[13]. Lui qui est si prodigue d’ordinaire de documents enregistrés, dont la manière historique et narrative est si loin de la philosophie de l’histoire, expédie et résume ici en quelques phrases d’ensemble le caractère du mouvement zélote de Juda et Sadok.

Les voici :

Il est incroyable quel fut le trouble que ces deux hommes excitèrent de tous côtés. Ce n’était que meurtres et que brigandages ; on pillait indifféremment amis et ennemis, sous prétexte de défendre la liberté publique. On tuait, par le désir de s’enrichir, les personnes de la plus grande condition[14]. La rage de ces séditieux passa jusqu’à cet excès de fureur qu’une grande famine qui survint ne put les empêcher de forcer les villes ni de répandre le sang de leur propre nation. Et l’on vit même le feu de cette cruelle guerre civile porter ses flammes jusque dans le Temple de Dieu (d’Iahveh)...

La vanité qu’eurent Juda et Sadok de fonder une quatrième secte et d’attirer après eux tous ceux qui avaient de l’amour pour la nouveauté, fut la cause d’un si grand mal ; il ne troubla pas seulement la Judée[15], mais il jeta les semences de tant de maux dont elle fut encore affligée depuis. Gessius Florus n’y est pour rien, comme on voit ; les messianistes ne l’avaient pas attendu.

Tel quel, ce témoignage, — dont nous sommes bien obligés de nous contenter, — doit nous suffire.

Deux faits matériels en ressortent, dans la trame de la révolte générale :

1° Une grande famine ;

2° Une émeute dans le Temple, avec tentative d’incendie.

Est-ce qu’il n’est pas possible d’en retrouver la trace dans les Ecritures, et tout particulièrement dans l’Apocalypse, en dépit de tous les adoucissements de texte qu’y ont apporté les scribes ecclésiastiques, et en faisant la part aussi du symbolisme apocalyptique et évangélique ?

Qu’on lise le chapitre XI. C’est, traitée en manière de Révélation, comme pour la naissance du Messie nous jetant en pleine révolte messianique, — le Dragon roux alla faire la guerre au reste de ses enfants[16], — toute l’histoire de Juda et Sadok et de l’insurrection de 760 = 7, à l’occasion du Recensement.

VII. — Juda-Sadok dans l’Apocalypse et la famine.

Au début du chapitre XI de l’Apocalypse, Iôannès mesure, avec un roseau, le temple de Dieu (Iahveh) et l’autel, et ceux qui y adorent. Ainsi est situé le lieu du dernier combat où périt Juda le Gaulonite, et Sadok avec lui vraisemblablement, entourés de leurs partisans (ceux qui adorent). Le Iôannès les dénombre, pour leur dispenser une vie et une réputation immortelles, comme disaient déjà Juda, fils de Zippori et Matthias, fils de Margaloth, au temps de l’Aigle d’or, — la vie éternelle, diront les scribes christiens et chrétiens, et, autrement dit, la résurrection ; je suis la résurrection et la vie, fera-t-on dire au Jésus évangélique, quelque deux ou trois cents ans plus tard. Car le Iôannès, à l’époque de l’Apocalypse, au quinzième de Tibère, sait que ceux qui adorent entre le Temple et l’Autel y ont péri. Le parvis extérieur, inutile de le mesurer ; il est abandonné aux goïm, aux nations, aux gentils ou païens, aux autres races que la juive[17], qui fouleront aux pieds la cité sainte pendant quarante-deux mois. Pour les initiés, cela veut dire que la Judée devait rester au pouvoir des Romains pendant quarante deux ans, depuis la naissance du Messie, jusqu’au jour où il commencerait sa prédication, en l’an quinzième du règne de Tibère (782 = 29), pour triompher le 14 nisan, à la Pâque de 788-789 = 35-36, sous Ponce Pilate, date de la délivrance dit peuple d’Iahveh, du règne d’Israël, et de la victoire du Messie[18].

Antérieurement, pour préparer la mission du Christ, Juda et Sadok ont travaillé. C’est ce qu’exprime le verset 3, en ces termes : Je donnerai à mes deux témoins (la phrase de l’Apocalypse ne dit plus quoi ; elle a été coupée et tourne court) et ils prophétiseront pendant douze cent soixante jours, revêtus de sacs (quarante-deux mois encore). Ces deux témoins, continue le texte, sont les deux oliviers et les deux chandeliers debout devant le Seigneur de la terre[19]. Si quelqu’un veut leur faire du mal, il sort de leur bouche un feu qui dévore leurs ennemis : Ainsi doit périr celui qui veut leur faire du mal. Ils ont le pouvoir de fermer le ciel, afin qu’il ne tombe pas de pluie pendant les jours de leur prophétie. Ils ont aussi le pouvoir de changer l’eau en sang et de frapper la terre de toutes sortes de plaies, toutes les fois qu’ils le voudront. Quand ils auront achevé de rendre leur témoignage, la bête qui monte de l’abîme leur fera la guerre ; elle les vaincra et les tuera. Leurs cadavres resteront sur la place de la Grande cité qui est appelée allégoriquement (le texte dit : en esprit, du grec pneumatiquement) Sodome et Égypte[20]. Arrêtons ici la citation[21].

Elle est la transcription apocalyptique de l’événement que fut la famine dont parle Flavius Josèphe, arrivée en 760 = 7, l’année du recensement, année sabbatique pendant laquelle la terre elle-même, d’après la loi juive, avait droit au repos. De là, ce pouvoir des deux témoins, — martyrs, en grec, — Juda et Sadok, de fermer le ciel, de frapper la terre. Plus de pluie, partant, plus de récoltes. Juda et ses partisans profitèrent de cette famine pour forcer les villes (ce qui implique une guerre importante, dont les péripéties ont disparu de l’historien juif) et piller les campagnes (vaste terrain de manœuvre et d’opérations aussi). Ils ravagèrent les moissons. Ils firent ce que, plus tard, feront Jésus-Christ et ses disciples, et que rapportent les Évangiles (Matth., XII, 1-8 ; Marc, II, 23-28 ; Luc, VI, 1-15), et, naturellement, avec les atténuations nécessaires pour changer ces griveleurs en petits saints : Ils se mirent à cueillir les épis et à les manger. C’était un jour de sabbat. Ils ne devaient pas, d’après la loi juive[22].

VIII. — Sur la date de l’Apocalypse.

L’Apocalypse avait déjà visé cette famine (VI, 6), quand il y est annoncé que le blé et l’orge vont enchérir, tandis qu’il y aura abondance de vin et d’huile. Le texte ne laisse pas de doute que Juda et les zélotes ont voulu et causé cet enchérissement dont l’Apocalypse est toute réjouie[23].

Que l’huile de l’onction, denrée sacrée, que l’huile du chrisme, que le vin de la grande Pâque, nécessaires à la célébration du triomphe messianiste, — on changerait l’eau en vin, comme à Cana, plutôt que d’en manquer, — restent à leur juste prix, qu’on ne les lèse pas, c’est ce que signifie le passage apocalyptique. Pour les autres denrées, le prix peut en augmenter ; il le doit ; il est excellent qu’une grande famine amène la hausse du coût de la vie. C’est une circonstance favorable aux zélotes, comme à tous les révolutionnaires politiques, dont les chances augmentent d’autant, dont le succès est fait de la moitié des misères publiques, auxquelles ils poussent. Aucun Juif, contemporain du Crucifié de Ponce Pilate, n’a pu se méprendre sur le sens et la portée du texte de l’Apocalypse, sur le blé, l’orge, l’huile et le vin. Seuls, les érudits l’interprètent à contresens.

IX. — L’émeute dans le Temple.

La guerre que la Bête qui monte de l’abîme a faite aux deux martyrs, Juda et Sadok, s’est terminée par une bataille dans le Temple, que l’Apocalypse ne connaît que par sous-entendu, que Flavius Josèphe ne signale plus que par une phrase, et à laquelle les Évangiles Selon-Matthieu (XIII, 23-36) et Selon-Luc (XI, 37-52) ne font plus qu’une allusion voilée, la mort de Zacharie, double pneumatique de Joseph et de Juda le Gaulonite.

L’allusion évangélique se trouve dans les malédictions furieuses de Jésus-Christ contre les scribes et les Pharisiens, série d’invectives forcenées, où la rage écume, et qui détonnent effroyablement dans la bouche du doux Jésus, homme sage, prince de la paix, suivant la critique conventionnelle et le préjugé religiosâtre.

Le texte du Selon-Matthieu, sur ces malédictions, est remarquable, moins encore peut-être par l’allusion qu’il fait à la mort de Zacharie, que par les perspectives qu’il découvre sur l’histoire des révoltes juives, toutes de caractère messianiste, depuis celle du Recensement, jusqu’à celle de Bar-Kocheba.

Le Jésus-Christ qui maudit les scribes et pharisiens, et même les docteurs de la Loi, ne paraît pas contenir dans sa chair le Dieu-Verbe. Il ne parle que sur le ton propre au Christ farouche, que fut le Crucifié de Ponce Pilate sous Tibère. Mais, à part l’allusion qu’il fait à la mort de Zacharie, soit père camouflé, rien de ce qu’il dit ne lui était connu de son vivant charnel. Les événements qu’il vise dans ses malédictions sont postérieurs à sa crucifixion. En résumé, le Jésus-Christ des malédictions, mis dans la peau du Christ-Messie de Tibère, mort en 789 = 36, parle dans les Évangiles comme un scribe du IIIe siècle, qui lui fait résumer en quelques phrases toute l’histoire des malheurs arrivés tant à lui-même qu’à ses frères : les Simon-Pierre, Jacob-Jacques, Ménahem, ainsi qu’à Bar-Kocheba, sans compter les Jaïrus, les Eléazar et Theudas.

Voici le morceau, et d’après le Selon-Matthieu[24], au chapitre XXIII. — Alors Jésus parla au peuple et à ses disciples, et il leur dit : Les scribes et les pharisiens sont assis dans la chaire de Moïse. Faites donc et observez tout ce qu’ils vous disent ; mais ne faites pas comme eux parce qu’ils disent et ne font pas... Ils aiment... à être appelés par les hommes : Maître ! Mais vous, ne vous faites point appeler : Maître, car vous n’avez qu’un seul Maître, et vous êtes tous frères[25]... Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous courez la mer et la terre pour faire un prosélyte, et, quand vous l’avez, vous en faites un enfant de la géhenne deux fois plus que vous ![26]... Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! , parce que vous payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, et vous négligez les choses les plus importantes de la Thora, justice, miséricorde, fidélité[27]... Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous bâtissez les tombeaux des prophètes et que vous ornez les sépulcres des justes ; et vous dites : Si nous avions vécu du temps de nos pères, nous ne nous serions pas joints à eux pour répandre le sang des prophètes. Ainsi vous témoignez que vous êtes bien les fils des meurtriers des prophètes. Comblez donc la mesure de vos pères ! Serpents, race de vipères, comment échapperez-vous au châtiment de la géhenne ?

Interrompons ici la citation. Ce dernier morceau montre que les Juifs du Temple, au IIIe siècle, sans verser dans la mystification jésus-chrétienne, ont gardé un cœur respectueux et sympathique envers tous les chefs kanaïtes, désignés ici comme prophètes, qui ont combattu pour l’indépendance juive ; ils leur bâtissent des tombeaux et les ornent. Figures, je pense. Ce qui ne fait pas l’affaire justement des judéo-chrétiens dont le but est d’effacer l’histoire vraie de ces prophètes-kanaïtes-christiens sous les fables évangéliques.

Toutefois, sous l’intention, le scribe du IIIe siècle ne peut s’empêcher de faire apparaître le Christ de Ponce Pilate, gardant rancune aux Juifs, fils de ceux, sous Auguste, Tibère, Claude, Domitien, Hadrien, qui, loyaux sujets, se sont joints aux Romains pour répandre le sang des prophètes. Et Jésus-Christ, ici, est si bien incarné dans son double terrestre, qu’il se sert du vocabulaire propre au Iôannès : Serpents ! Race de vipères ! Il est ce Iôannès en personne.

Reprenons la citation. Jésus-Christ, le Verbe prend la parole : Voici, je vous envoie des prophètes, des sages et des scribes vous tuerez et crucifierez les uns ; vous battrez de verges les autres dans vos synagogues, et vous les persécuterez de ville en ville. Ainsi retombe sur vous tout le sang des Justes qui a été répandu sur la terre (sur le sol), depuis le sang d’Abel le Juste jusqu’au sang de Zacharie que vous avez assassiné entre le Temple et l’Autel[28].

Ce passage est un aperçu d’ensemble sur l’histoire juive kanaïte et noue le messianisme de Juda le Gaulonite et de ses descendants au christianisme qui en est le camouflage[29]. Il cadre à merveille avec la constatation mélancolique de l’Apocalypse sur les deux témoins, — premiers prophètes, — à qui la bête a fait la guerre et qu’elle a tués et vaincus, et sur leurs successeurs christiens, avec tout ce que dit, en gros, Flavius Josèphe sur les répressions romaines, en Judée, avec le consentement des Juifs du Temple, jusqu’aux temps d’Hadrien. Pour anticiper à ce point, il faut que le Christ de Ponce Pilate, du Ie siècle, soit devenu le Jésus-Christ du IIIe, qui parle par le calame du scribe fabriquant le christianisme. En remontant à Abel, le faussaire tente de faire croire que les prophètes, les sages et les scribes que Jésus envoie, dit-il, sont les nabis de l’Ancien Testament. Imposture évidente. En quoi les Juifs sont-ils  responsables du meurtre d’Abel par Caïn ?[30] Quels prophètes de l’Ancien Testament, — à part Ésaïe, scié en deux, dit-on, entre deux planches, par Manassé, ce dont les Juifs ne sont point les coupables, — ont-ils subi les molestations, peines, supplices, fouet, lapidation, crucifixion, que ce passage évoque ? Aucun.

Non. Les prophètes, les sages, les scribes que le faussaire ne peut s’empêcher de faire évoquer, si tragiquement, par le revenant, au IIIe siècle, du Christ de chair, c’est, depuis le père Zacharie-Joseph-Juda-Zébédée, tous les fils qui étaient frères, sans les nommer, jusqu’à Ménahem-Abel, le plus jeune. Le scribe inverse l’ordre des morts en disant : depuis Abel jusqu’à Zacharie, par le même procédé que les Actes font mettre, par Gamaliel, la révolte de Thoudas avant celle de Juda le Galiléen (Actes, V, 36-37).

C’est encore le change sur cette certitude que veut donner le scribe, en essayant de rejeter dans un lointain passé le temps où a été répandu le sang des prophètes, quand il fait prêter par Jésus aux Juifs cet argument pour leur défense : Si nous avions vécu du temps de nos pères ; ce que Jésus profère anachroniquement, ne peut s’appliquer qu’aux Juifs des temps écoulés depuis Auguste jusqu’à Hadrien, qui sont restés les loyaux et fidèles sujets de Rome, qui ne se sont pas associés aux entreprises messianistes, et qui les ont même réprouvées ou combattues[31].

Et comme conclusion à ce rappel de tous les désastres subis par la secte de Juda le Gaulonite et de ses successeurs, le cri de désespoir, d’ailleurs magnifique, constat de tous les échecs synthétisés en Jésus-Christ (Matth., XXIII, 37), mais qui ne peut être venu à la pensée des scribes et sous leur plume, qu’ après la destruction de la nation juive, et qui n’a pu être mis dans la bouche de Jésus qu’après son incarnation dans le Christ de Ponce Pilate : Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes, et qui lapides ceux qui te sont envoyés, — moi-même et mon frère Jacob-Stéphanos, entre autres, — combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu ![32]

X. — Zacharie, fils de Barachie.

Flavius Josèphe ne dit même plus que Juda le Gaulonite périt dans la révolte du recensement. Nous n’en saurions rien sans les Actes (V, 37).

Le Zacharie, père du Iôannès, dans l’Évangile Selon-Luc, comment a-t-il péri ? Par le glaive. Origène le déclare formellement et Grégoire de Nysse le répète[33]. C’est le Zacharie, tué entre le Temple et l’Autel des imprécations de Jésus. Il est impossible d’en comprendre la violence forcenée, si contraire à la douceur évangélique conventionnelle, si l’on n’y découvre pas le ressentiment vengeur du fils, qui ne pardonne pas, contre les meurtriers de son père. Et sous cet aspect, le fils de Joseph ne manque pas de grandeur ni de beauté. Ses invectives à propos de Zacharie évoquent d’autant plus Juda le Gaulonite, qu’elles encadrent en deux phrases tout le destin tragique du grand Gamaléen : la révolte du recensement par le rappel des droits fiscaux sur la menthe, l’aneth, le cumin, et la mort entre le Temple et l’Autel.

Les ouvrages de Flavius Josèphe ne donnent plus, avons-nous dit, de développements sur la révolte de Juda et Sadok à l’occasion du recensement de Quirinius.

On peut se demander si, au lieu d’avoir été purement et simplement supprimés, ceux qui se rapportent à l’insurrection dans Jérusalem, où périt Juda-Zacharie-Joseph entre le Temple et l’Autel, n’ont pas été déplacés, avec les adultérations nécessaires pour les situer chronologiquement et donner quelques changes propres à cacher la transposition.

Sur les sept livres, embrassant près de deux siècles et demi (180 avant - 69 après J.-C.), que comprend l’ouvrage Guerre ou Guerres des Juifs, les cinq derniers sont consacrés à la seule guerre qui commence, par la révolte de Ménahem, et abstraction faite des opérations menées par ce dernier, qui prennent place dans le livre second, où il meurt.

A partir du troisième, où Vespasien et Titus entrent en scène, tout l’ouvrage ne s’étend plus, dans l’ensemble, que sur un espace de deux ans. Au milieu du récit des opérations de guerre que dirige Vespasien et qui ont pour théâtre la Judée toute entière, dix chapitres (XI à XX) sur les quarante-deux du livre quatrième forment comme un îlot à part. Ils relatent les événements entre Juifs seulement, guerre civile entre ceux du Temple ayant à leur tête un Hananias, d’un côté, et les Zélotes-Kanaïtes, appuyés par des Iduméens, de l’autre. De Romains, point[34].

Que la plupart des événements narrés dans Flavius Josèphe aux chapitres XI à XX du quatrième livre des Guerres, comme s’étant passés à Jérusalem, et sans que les Romains s’y intéressent, se rattachent à l’époque de Vespasien et Titus, c’est certain. Mais que l’on n’y ait pas mêlé quelques faits relatifs à la révolte du recensement, c’est plus douteux. Ces événements sont un composé de faits et d’anecdotes assez peu liés entre eux.

L’intervention des Iduméens en faveur des sicaires-kanaïtes parait très suspecte. Le récit laisse entendre qu’il a suffi de leur envoyer deux Hananias, très éloquents, comme ambassadeurs, pour les décider à entrer en guerre. Les sicaires étaient assurés que les Iduméens se mettraient aussitôt en campagne, parce que ce peuple est si brutal et si amoureux de la nouveauté que rien n’est plus facile que de le porter à la guerre, et qu’il va avec la même joie an combat que les autres à une grande fête.

Oui, rien n’est plus facile sur le papier. Mais, en réalité, ces Iduméens sont le peuple dont les Hérodes sont originaires. Les Hérodes, et Agrippa II, roi alors, en est un, ont eu tous leurs règnes empoisonnés par les révoltes de la secte messianiste, ayant toujours à sa tête, depuis Juda le Gaulonite, des fils, petits-fils et neveux du grand Gamaléen. Si l’on veut nous persuader que les Iduméens sont partis en guerre, et contre le parti d’un roi qui est de leur race, il faudrait nous donner d’autres raisons que sa brutalité, son amour de la nouveauté et les discours des Juifs sicaires, ennemis des Hérodes. J’ai quelque soupçon que ces Iduméens, dont on a renversé le rôle, proviennent de la révolte du recensement, qu’ils ont aidé les Hérodes d’alors et les Romains à réprimer.

Ce qui fortifie le soupçon c’est, durant le séjour de ces Iduméens à Jérusalem, l’histoire du meurtre d’un Zacharie, fils de Baruch (chap. XX), que l’on fait précéder d’un jugement d’acquittement, — inventé vraisemblablement ; et ce Zacharie, fils de Baruch, tué par les Kanaïtes, ici, comme il convient, pour le change, mais au milieu du Temple, comme le Zacharie des Évangiles, — tous les Zacharie décidément sont tués dans le Temple, — rappelle de bien près le Zacharie-Juda de la révolte du recensement. Qui sait si l’addition fils de Barachie, au Zacharie du Selon-Matthieu, dans certains manuscrits grecs, n’a pas été inspirée par le récit de Flavius Josèphe, alors placé à l’époque du recensement, sous un de ses deux ouvrages, et où déjà Zacharie, fils de Barachie, avait remplacé Juda le Gaulonite ? Ou, plus simplement, le récit de la mort de Juda le Gaulonite, dans Flavius Josèphe, n’a-t-il pas été reporté, parmi les événements de l’époque de Vespasien, en changeant le nom du personnage, et en apportant aux détails les renversements nécessaires pour qu’on ne retrouve plus en lui le Juda Kanaïte du recensement ? L’œuvre de Flavius Josèphe a été tellement adultérée que l’on peut tout supposer et soupçonner. Et les indices que je relève permettent l’hypothèse que je suggère, qui doit être la vérité.

C’est après le meurtre de Zacharie que les Iduméens lâchent les Kanaïtes, ne pouvant approuver de si horribles excès, lit-on dans Flavius Josèphe. On peut comprendre que Zacharie mort, s’il est bien Juda le Gaulonite, comme je le pense, la révolte finit, le chef tué. Hérode, celui de 760 = 7, renvoie ses fidèles compatriotes, accourus à sa défense[35].

XI. — Rendez à César...

Les scribes évangéliques se sont donné un mal inouï pour camoufler tout ce côté du caractère du Messie juif, qui le faisait le digne fils de son père, et que l’on retrouve, pour l’honneur de la vérité, dès que l’on gratte un peu.

Avec l’anecdote du denier de César, ils ont espéré asséner à l’histoire un coup mortel. Vous vous rappelez (Matth., XXII, 15-22 ; Marc, XII, 13-17 ; Luc, XX, 20-36). Les Pharisiens, — ce sont de vrais compères, bien qu’on les présente comme voulant prendre au piège Jésus dans ses paroles ou le surprendre, afin de le livrer aux autorités et au pouvoir du gouverneur, ajoute Luc, — les Pharisiens donc envoient à Jésus leurs disciples avec des Hérodiens. Ainsi, à chaque pas, nous nous heurtons à cette rivalité entre les messianistes et les Juifs loyaux envers Rome, qui nous ramène sans cesse à la vérité historique du prétendant au trône de David, et non à l’on ne sait quelle fable tardive de rédempteur du monde. Le Selon-Luc change les disciples des Pharisiens en espions ténébreux, qui feignaient d’être des gens de bien. On demande à Jésus Rabbi, nous savons que tu es véridique, que tu enseignes avec droiture la voie de Dieu sans t’inquiéter de personne, sans regarder à l’apparence des hommes. Est-il permis de payer l’impôt à César ou non. Payerons-nous ? ou est-ce que nous ne payerons pas ? Alors Jésus, déjouant leur hypocrisie et leur ruse, — qui n’existe que pour qu’il la déjoue, — se fait montrer la monnaie de l’impôt : un denier. De qui porte-t-il l’image et l’inscription ? demande-t-il. On répond : De César. Alors il leur dit : Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Et les interlocuteurs n’en reviennent pas, tant ils sont étonnés.

C’est qu’en effet, depuis les temps de Ponce Pilate, on leur a changé leur Christ. Ils ne le reconnaissent plus, et ils s’étonnent d’une façon posthume. C’est pourquoi ils ne peuvent pas faire plus que de s’étonner.

Mais ce que ni les Évangiles, ni les scribes ecclésiastiques, ne disent pas, c’est la source où ils ont pris leur récit, la sophistiquant au point d’en modifier le sens du tout au tout. Il faut, pour restituer à la scène du denier de César sa vraie signification farouche, messianiste, la lire à sa place, dans l’ouvrage Pistis-Sophia (Foi-Sagesse) du Juif qui se cache sous le nom occidental de Valentin, d’où les scribes évangéliques l’ont tirée[36].

Marie, sa mère, parle à Jésus, comme une élève qui répète à son maître les leçons reçues, pour se rendre compte si elles ont été comprises. Voici son explication sur le denier de César : Au sujet de cette parole que tu nous as dite autrefois, lorsqu’on t’apporta ce denier, tu vis qu’il était d’argent et d’airain... Lorsque tu vis que la pièce était mélangée d’argent et d’airain, tu dis : Donnez au Roi ce qui appartient au Roi, et à Iahveh ce qui est à Iahveh !

Vous avez compris. Le denier est d’argent et d’airain. Les Évangiles n’ont oublié que ce détail. Et alors ?

Alors ? Donnez à Iahveh l’argent, le nerf de la guerre pour les messianistes, — et au Roi, à Hérode ou à César, dont l’image est frappée sur la pièce, l’airain, dont on fabrique les glaives et les siques. C’est cela, la Justice suivant la Loi, ou Thora, la Justice Thoracique ou des sicaires de Juda de Gamala, des Zélotes, des Kanaïtes et des Fils du tonnerre, Boanerguès[37].

Par l’anecdote truquée du Denier de César, les Evangiles font opérer au Christ une rétractation posthume de ce qui fut la raison même de sa vie, ce pourquoi il est venu au monde, comme il dit à Pilate, et le motif de sa mort. Rétractation, apostasie générale. Dans un récit, imaginé par le seul Selon-Matthieu, les scribes vont jusqu’à la soumission pour lui-même. Mais cette soumission jure tellement avec l’histoire, que le fonds même du récit se colore de vérité historique, par le regret qui se lamente, par l’ amertume dans la résignation, qui montent aux lèvres et au cœur de Jésus, que le scribe force à payer l’impôt.

Voici ce morceau (Matthieu, XVII, 24-27) : Quand ils furent arrivés a Capernaüm, ceux qui percevaient les didrachmes s’approchèrent de Pierre, et lui dirent : Votre maître ne paie-t-il pas les didrachmes ? Il répondit : Oui. Et quand il fut, entré dans la maison, Jésus le prévint et lui dit : Que t’en semble, Simon ? Les rois de la terre, de qui tirent-ils des impôts ou des tributs ? Est-ce de leurs fils, ou des étrangers ? Pierre répondit : Des étrangers. Jésus lui dit : Les fils en sont donc exempts ? Mais, ajoute-t-il, afin que nous ne les scandalisions pas, va-t’en à la mer, jette l’hameçon, et tire le premier poisson qui se prendra. En lui ouvrant la bouche, ta trouveras un statère ; prends-le, et donne-le pour toi et moi. — Quelle mélancolie, et quel désenchantement ! Le scribe lui-même souffre de perpétrer son faux. Les Pharisiens n’étaient qu’étonnés par le Denier de César ; le scribe qui fait payer l’impôt au Fils de David, au premier-né de Juda le Gaulonite, qu’il ne scandalise pas, — le verbe grec signifie pour que nous ne (leur) soyons pas une occasion de chute dans un piège, — quelle douleur ![38]

XII. — Résurrection de Juda et de Sadok.

L’Apocalypse n’a pas voulu que Juda et Sadok soient mis au tombeau. Elle les a ressuscités, en esprit, déjà. Après trois jours et demi, — un demi-jour de plus dans la mort que Jésus-Christ, — leurs cadavres, exposés sur la place de la Grande Cité (à titre d’avertissement, sans doute, par les Romains), se relevèrent sur leurs pieds, — car la Bête aux sept tètes ne saurait avoir le dernier mot, en esprit, tout au moins ; un esprit de vie, naturellement, venant de Dieu, les avait pénétrés. Et une voix qui venait du ciel, entendue de ceux qui regardaient et qui furent saisis d’une grande crainte, dit : Montez ici ! Ils montèrent dans la nuée et leurs ennemis les virent. A cette même heure, il se fit un grand tremblement de terre ; la dixième partie de la ville tomba, etc. (Apoc., XI, 11-13).

Après cela, si Rome, si le grand Dragon roux Hérode se risque à faire la guerre au reste des enfants de Juda et de la Judée, c’est qu’il n’a peur de rien.

Aucun livre d’histoire, bien entendu, n’a enregistré ces assomptions après résurrections, dites à l’intervention de l’Esprit qui souille où il veut.

XIII. — L’Assomption de Moïse.

Dans un ouvrage d’inspiration messianiste, L’Assomption de Moise, que l’Église déclare apocryphe, parce qu’il la gêne[39], et dans une œuvre qui est encore au Canon du Nouveau Testament, l’Épître de Jude, avec un rapprochement nécessaire dans la Seconde Épître de Pierre, canonique aussi, il est fait une allusion intéressante à la Résurrection de Juda le Gaulonite.

Dans l’Assomption de Moïse, du moins dans ce qui en reste, il n’est pas question de Sadok, mais du seul Juda, sous le pseudonyme transparent de Moïse. L’assomption du couple eût trop manifestement révélé les deux témoins ressuscités de l’Apocalypse. Et d’autre part, qu’il ne puisse s’agir de Moïse, le grand Législateur d’Israël, cela est évident. Il est au ciel, en effet, depuis des millénaires, d’où, accompagné d’Élie, il redescendra plus tard, une fois, pour s’entretenir avec Jésus, lors de la Transfiguration, sur une haute montagne, et où il remontera sans incident notable. Il s’agit ici d’un Moïse nouveau, de celui qui a été dévoré par soit zèle pour la Loi juive, issue du vieux Moïse. Et ce zèle de Juda pour la Thora justifie le présent pseudonyme symbolique. Juda est une des Gloires de la secte des Zélotes, la plus grande Gloire, pour employer une expression que nous allons retrouver dans Juda et Pierre[40].

L’Assomption de Moïse présente naturellement toutes les marques des sophistications qu’on a coutume de rencontrer dans tous les ouvrages qui ont trait au christianisme primitif. On y distingue assez nettement encore, cependant, malgré les retouches aux textes et les coq-à-l’âne provenant des infidélités de traductions successives de l’araméen en grec, du grec en latin, et du latin en français, que Jésus, le Dieu ou le Verbe-Jésus sous les espèces de Josué, — les deux mots Jésus et Josué sont en hébreu le même vocable, — s’entretient avec le nouveau Moïse des événements tout récents de l’histoire juive : Guerre des Macchabées[41], persécutions hérodiennes contre les Zélotes, etc., comme en pur christien-messianiste.

La preuve la plus certaine que l’ouvrage a été sophistiqué, c’est que justement l’événement qui est la raison du titre, l’Assomption elle-même, manque. Elle a été coupée. Et nous ne saurions pas comment ce Moïse nouveau a été enlevé au ciel, sans l’Épître de Jude, qui s’exprime ainsi[42] : Les incrédules méprisent les Puissances et parlent injurieusement des Gloires. Toutefois, Michaël, l’archange, lorsque, vidant le différend avec le diable, il discutait au sujet du corps de Moïse, n’osa pas prononcer (contre Moïse) une sentence de malédiction, mais il dit : Que le Seigneur t’honore, — ou prononce à ton égard[43].

On peut entrevoir, d’après ce passage de l’Épître de Jude, que la réputation de Juda-Moïse, dans les générations qui ont suivi les événements auxquels il a été mêlé, a été très discutée. Les Juifs non messianistes, même s’ils étaient sympathiques aux mouvements contre Rome, par amour de l’indépendance, n’oubliaient pas les moyens employés par les messianistes, traitant aussi mal amis et ennemis, comme dit Flavius Josèphe. A l’Apocalypse et à l’Assomption, qui le ressuscitaient et l’envoyaient chez Dieu, ils ne manquaient pas de répliquer que ses crimes et brigandages le rendaient plus digne de descendre dans la géhenne. Le Diable réclamait son corps, et il plaidait en faveur de l’enfer devant Michaël, mandataire d’Iahveh. La phrase de Jude : lorsque Michaël, vidant le différend avec le diable, discutait au sujet du corps, le laisse entendre clairement. L’Apocalypse (XII, 10), quand elle précipite le grand serpent du ciel sur la terre, projette sa lumière sur ce point. Le Grand Serpent est dit : l’accusateur de nos frères, qui les accusait jour et nuit devant Dieu.

Mais Michaël, mettant en balance que si Juda-Moïse avait commis des excès criminels, c’était tout de même pour cause de zèle envers la Thora, la Loi d’Iahveh, et pour réaliser le règne d’Israël, restaurer le Trône de David, toute l’espérance messianiste, n’osa prononcer une sentence de malédiction, et, tout compte fait, il remit à Iahveh le soin de prendre une décision.

La Seconde Épître de Pierre (II, 10-12) ne conclut pas autrement. Parlant de ceux qui discutent les Gloires, elle dit : Audacieux, arrogants, ils ne craignent pas de parler injurieusement des Gloires, taudis que des Anges, leurs supérieurs en force et en puissance, — allusion à Michaël, — ne prononcent point contre elles, devant le Seigneur, de jugement injurieux[44].

Il a fallu que les controverses et les querelles, au sein même de la secte messianiste de Juda de Gamala, aient été particulièrement violentes, pour qu’aient été écrites des œuvres comme l’Épître de Pierre et celle de Jude. Ce n’est pas à cette époque encore, qu’il était possible de faire accepter un fils de Juda comme fils de Dieu. L’Épître de Pierre a beau s’ingénier à témoigner de la divinité du Crucifié de Ponce Pilate, Messie-Christ, et d’ailleurs au moyen d’arguments dont la pauvreté désarme, — on n’y trouve que la Transfiguration, qu’elle invente, en donnant son pseudo-auteur comme le témoin, et qui a servi au récit des Évangiles, — le ton et les expressions qu’elle emploie ne témoignent que du mauvais aloi de sa cause[45].

Contre ceux qui nient la puissance et l’avènement du Christ, les deux épîtres fulminent. Faux prophètes, faux docteurs, audacieux, arrogants, qui parlent mal des Gloires. Et dans Jude et dans Pierre, l’un copiant l’autre, ou lit textuellement : Ce sont des fontaines sans eau, des nuées sans eau emportées ça et là par les vents et les tourbillons. Ils ont quitté le droit chemin ; ils ont suivi la voie de Caïn ; ils se sont jetés dans la voie de Balaam (le prophète qui avait prédit que les peuples de Kittim, de l’Italie, s’empareraient de la Judée). Ils se sont perdus par la révolte de Coré. Etres tarés, êtres souillés, astres errants auxquels l’obscurité des ténèbres est réservée pour l’éternité. Et dans II, Pierre, on ajoute (lisez qu’ils n’ont pas voulu, après avoir été des partisans de Juda le Gaulonite, se faire les complices de la mystification évangélique, qui fait du Juif dont Juda fut le père, le Fils de Dieu, le Verbe Sauveur) : Si après avoir échappé aux souillures du monde par la connaissance de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, ils se laissent vaincre en s’y engageant de nouveau (dans les souillures), leur condition devient pire que la première. Il eût mieux vain n’avoir pas connu la voie de la justice que de se détourner, après l’avoir connue, du saint commandement qui leur avait été transmis. Il leur est arrivé ce que dit avec raison le proverbe : Le chien est retourné à ce qu’il avait vomi, et la truie, après avoir été lavée, s’est vautrée dans le bourbier.

Les temps évangéliques ne sont pas encore venus. Ils ne se montrent même pas à l’horizon, surtout par le style.

Pour achever d’identifier Juda, Moïse et Joseph, en ne sortant pas du cadre de l’Apocalypse, des Épîtres de Pierre et de Jude, et de l’Assomption de Moise, il n’y a qu’à rapprocher de tous ces textes celui-ci, sur l’Histoire de Joseph, le Charpentier ? Quand il se sent mourir, à cent onze ans, il est saisi d’épouvante ; il éprouve le besoin de confesser les fautes de sa vie et s’accuse avec une rigueur impitoyable. A ce moment, la Mort s’avance avec son cortège de démons dont les vêtements, les bouches, les visages jettent du feu ; ils s’apprêtent à saisir l’âme du mourant et à l’emporter ; mais Jésus veille, il appelle à son aide les puissances du ciel. Le prince des Anges Michaël, et Gabriel, le héraut de lumière, écartant la mort et ses satellites, enveloppent l’Âme dans un linceul éclatant ; ils la défendent sur la route contre l’attaque des démons, et après une lutte violente l’apportent au lieu qu’habitent les justes (la Fin du paganisme, p. 12, Gaston Boissier).

Ce n’est qu’une variante, adoucie, — Joseph confesse ses fautes au lieu d’être accusé, — de l’Assomption de Moise, avec rappel aux allusions des Épîtres de Pierre et de Jude.

 

 

 



[1] Ce qui est assez étonnant ; car l’ouvrage Guerres des Juifs, d’après les érudits, est antérieur aux Antiquités. Il semble bien qu’ayant eu d’abord à parler de Juda le Gaulonite dans son premier ouvrage, il aurait dû s’étendre davantage sur lui et sa secte. D’autant plus que Juda le Gaulonite, ce n’est pas une Antiquité, comme Moïse. Il est en plein dans l’histoire contemporaine de ces guerres, et même comme l’un des acteurs les plus en vue, le plus en vue, à certains égards. Il n’appartient qu’à peine au sujet des Antiquités. Mais il ne faut pas s’étonner, car s’il est un auteur dont on a sophistiqué les œuvres par remaniements d’un ouvrage à l’autre, par suppressions, additions, réfections et tripatouillages de toutes sortes, c’est bien, entre tous les autres, très nombreux, c’est bien Flavius Josèphe, témoin et historien des événements en Palestine qui touchent aux temps originaires du Christianisme. Les érudits n’ont pas vu cela. Il en est même, comme Renan, Réville, et autres qui n’avouent pas les fraudes les plus grossières, qui crèvent les yeux. J’ai déjà indiqué tout ceci. Car il faut insister.

[2] Voir § La Révolte du recensement.

[3] Dans Guerres des Juifs il est dit qu’elle est entièrement différente des trois autres, donc y compris celle des Pharisiens. Mais il y a excepté, heureuse exception qui ouvre nos yeux sur la vérité.

[4] Flavius Josèphe n’a pas écrit, soyez-en sûrs, cette phrase sur Gessius Florus. Ce procurateur est de trente ans environ postérieur à Ponce Pilate. S’il a traité durement les Juifs messianistes, les sectateurs de Juda le Gaulonite et de ses successeurs, c’est qu’il s’est trouvé en charge au moment de l’effervescence séditieuse qui a préparé la révolte de Ménahem. Le pays était mis au pillage, à feu et à sang par les messianistes-christiens. Tant de révoltes déjà avaient précédé sa venue qu’il n’était pas besoin d’elle pour surexciter les messianistes, persuadés à ce moment, comme sous le Crucifié de Ponce Pilate, que l’heure du messie, cette fois, était la bonne. D’autre part, on verra que ce passage, où Flavius Josèphe a l’air de prendre parti indirectement pour les messianistes, est en contradiction et est inconciliable avec tout ce qu’il écrit, que l’on pourra lire ci-après sur les partisans de Juda et de Sadok et leur secte, qu’il flétrit dans des termes abominables et qu’il charge, à juste titre, de tous les malheurs arrivés à la nation, et rend même responsables de la destruction du Temple. Le passage sur Gessius Florus est une fraude de plus.

[5] J’ai le regret de dire, — une fois pour toutes, — que la Vie de Jésus de Renan n’est construite que sur une critique aussi peu sérieuse, et, — je le crains, — déloyale. Elle est d’autant plus perfide qu’elle se présente sous un nom qui fait autorité, et empreint d’une feinte bonhomie, onctueuse et pateline, d’autant plus erronée qu’elle veut se donner comme vraisemblable. Elle ne résiste jamais à l’examen des faits, dès qu’on la serre de près. On se demande si elle est de bonne foi.

[6] Son neveu, tout simplement, le fils de Jaïrus dont Jésus ressuscite la fille dans les Evangiles.

[7] Nous verrons quel sens il faut attribuer à cet axiome, dont ou a coupé l’effet par suppression de son explication. Soit au Rendez à César.... Le sage Jésus, ajoute Renan, copiant l’épithète prêtée au personnage dans l’interpolation sur lui dans Flavius- Josèphe, profita de la faute de son devancier, et rêva un autre royaume et une autre délivrance. On ne peut pas, plonger plus délibérément dans le faux ; le lecteur s’en apercevra de plus en plus au cours de cet ouvrage.

[8] Certains manuscrits... commentés évangéliquement ajoutent après Maître, le Christ. Mais c’est Dieu (Iahveh) qui est dans la pensée du Christ.

[9] Voir ci-dessus : une telle fin dispense une vie immortelle.

[10] Il y a aussi dans Flavius Josèphe (Guerres, VI, XXI) l’épouvantable histoire d’une mère, fort riche, venue de Bethezôr (bourg de l’Hysope), d’au delà du Jourdain avec d’autres Juifs, pour se réfugier à Jérusalem ; elle fait rôtir son enfant et en mange la moitié. Le moins qu’on puisse dire de cette histoire, c’est qu’elle est fort suspecte. La dame aussi, qui s’appelle Marie, fille d’Eléazar, elle a tout l’air d’une petite-fille de Juda le Gaulonite, qui a suivi son mari à la guerre. Elle vient de la région de Gamala. Jérusalem, assiégée, où les habitants endurent depuis des mois les pires souffrances et courent les plus grands risques, ne parait guère propre à servir de refuge à des femmes qui n’ont pas à prendre part à la guerre. D’autant plus Titus avait précédemment offert aux Juifs une amnistie générale pour le passé, et que cette femme avait donc préféré le parti de la révolte à celui de la soumission. Oui, quelque kanaïte, bien sûr, quelque nièce du Christ, cette Marie, fille d’Eléazar.

[11] L’histoire de la mort d’Ananias et de Saphira dans les Actes (I, 5) n’est que la transposition évangélique de deux meurtres auxquels a présidé Simon-Pierre.

Le nom de Kanaïte, employé toujours en bonne part, n’était appliqué aux partisans de la révolte que par eux-mêmes (Flavius Josèphe, Guerres des Juifs, IV, III, 9).

[12] Voir le chapitre suivant : Jésus Bar-Abbas, Messie juif.

[13] Il en est toujours ainsi pour tout ce qui touche à Juda le Gaulonite et à ces fils, Ménahem excepté.

On l’a vu pour la mort de Simon-Pierre et des Jacob-Jacques, en particulier, pour le faux sur Jésus, etc., etc.

[14] C’est cet exemple que suivit Simon-Pierre avec Ananias et Saphira.

[15] Tiens ! tiens ! Rome même probablement. Voir dans Flavius Josèphe l’histoire immonde du chevalier Mundus, dont nous serons bien obligés de parler un jour.

[16] Voir le paragraphe : Haine et guerres entre les Hérodes et le Messie, et Apocalypse, chap. XII, 17.

[17] Goïm — Gentils. Nous avons élucidé ce point.

[18] Les 42 mois sont, en effet, ici, comme nous dirions, vingt printemps, dix hivers, cinq Noëls, des mois de Pâques, ou de Nisan, ou d’Agneau, à raison de un par an. Le renseignement, confronté avec d’autres faits, permet en plus de dater à la fois la naissance du fils de Joseph, et la date où il a commencé de prêcher son Apocalypse. Nous préciserons ces points en temps et lieu voulus, au moyen de tous autres arguments propres à convaincre.

C’est le même temps, quarante-deux mois, qui est donné (chap. XIII, 5), à la Bête à dix cornes et sept têtes pour agir, avec sa bouche profératrice de paroles d’orgueil et de blasphèmes ; et c’est encore 42 mois, 42 X 30 = 1.260 jours que la Vierge et son fils restent au désert (chap. XII, 6). Voir la Crèche de Bethlehem. N’oublions pas que le style de l’Apocalypse est un style de Révélation.

[19] Les deux images sont reproduites, ainsi que le Seigneur de la terre, du livre de Zacharie, le prophète (IV, 3 et 11-14), qui dit cependant : le Seigneur de toute la terre. Zacharie vise Iahveh. L’Apocalypse, je pense, fait allusion à César, devant qui Juda et Sadok se tiennent debout ; ils lui résistent. Zacharie ajoute même : Ce sont les deux Oints (Messie, Christ), et plus textuellement : les deux fils de l’huile. D’où l’image des oliviers, producteurs d’huile, pour l’onction, pour le chrisme ; il n’y a pas de mot tiré de Messie pour signifier chrisme. On pourrait dire : le Messiasme. La cérémonie de l’onction ou du chrisme qui fait roi, — roi-prêtre, en Israël, est celle du couronnement pour les rois et empereurs ordinaires.

En empruntant ses Images à Zacharie, l’Apocalypse nous fait comprendre toutes les allusions que comporte l’intervention de Zacharie, dans les Evangiles, soit qu’il s’agisse du père du Jôannès (Jean-Baptiste), qui n’est pas autre que Joseph, sous un autre aspect, ni que Juda le Gaulonite, soit qu’il s’agisse de Zacharie, tué entre le Temple et l’Autel, dans une imprécation de Jésus, dont nous parlons plus loin, et qui, rappelant la mort de son père, est un des nombreux traits d’union qui permettent d’assimiler Joseph à Zacharie, à Juda de Gamala, et, par suite, Jésus-Christ à Jean-Baptiste et autres Iôannès.

[20] Le Saint-Esprit, c’est Hagion pneuma : le souffle sacré. Tout ce qui vient du Saint-Esprit est le l’allégorie, du symbole, d’après le sens même des mots. Le change, le tour de passe-passe, c’est de vouloir donner comme des réalités arrivées les inventions purement cérébrales et littéraires, les spéculations imaginatives et fantaisistes des scribes. Il ne faut jamais oublier ces changes, pour retrouver la vérité historique, c’est-à-dire pour ne pas prendre des faits et actes en esprit, allégoriques, symboliques, pour des réalités vécues ou vivantes, ayant eu chair, si l’on peut dire. Le Saint-Esprit, c’est de l’abstraction.

[21] Elle se termine par une addition certaine : où leur Seigneur a été Crucifié. Elle date du temps où l’on a consenti à faire entrer l’Apocalypse dans le canon des Écritures, pour la camoufler en livre chrétien, je ne dis plus christien ou messianiste. Mais l’addition est maladroite au plus haut point, car elle prouve, par l’emploi du possessif leur, qu’il y a un lien évident entre les Zélotes et Juda le Galiléen, d’une part, et leur Seigneur, le Rabbi, plutôt, d’autre part. L’évidence est si certaine que, dans certains manuscrits, pour la pallier, la cacher même, toujours par le même système de fraudes faciles, on a remplacé le possessif leur par le possessif notre, qui n’a aucun sens dans le récit de l’Apocalypse.

[22] Les scribes en profitent pour montrer que le Fils de l’homme est maître du sabbat. Comme zélote de la Thora, il ne devrait pas la violer. Et, de vrai, dans les Évangiles, il ne la viole pas. Ce sont ses seuls disciples qui cueillent les épis et les mangent. Mais Jésus-Christ prend l’opération à son propre compte, Il couvre ses disciples, et les justifie avec des exemples empruntés à la vie de David (I Samuel, XXI, 1-6) et aux sacrificateurs (Lévitique, XXIV, 9).

Il y a cependant, dans le Selon-Matthieu, une phrase bien dure de Jésus, à propos de cette scène, plus champêtre que guerrière. Et c’est pourquoi le Selon-Marc et le Selon-Luc ne l’ont pas reproduite. Elle prouve que l’incident des épis arrachés fut, en histoire, plus farouche qu’il n’y parait. Les Pharisiens, qui s’étonnent de ce que font les disciples, ne sont pas bien méchants. Ils disent à Jésus : Voici tes disciples qui font ce qu’il n’est pas permis de faire le jour du sabbat. Jésus répond : Si vous saviez... vous n’auriez pas condamné les Innocents. Ne semble-t-il pas qu’il y a dans cette parole comme une colère qui gronde, au ressouvenir du châtiment des révoltés de 760 = 7 ? Elle parait très exagérée ; elle est très déplacée ; elle est très violente, auprès de l’observation des Pharisiens, assez bénigne. J’entends bien que le scribe l’applique au fait évangélique et veut faire comprendre que les Pharisiens accusent et condamnent les disciples, innocents de violer le sabbat. Mais la réponse de Jésus vise un événement autrement tragique, c’est certain.

[23] Voici ce texte : J’entendis comme une voix qui disait : Un choenix de froment, un denier ! Trois choenix d’orge, un denier ! Quant à l’huile et au vin ne leur fais pas tort ! Donc l’huile et le vin, puisqu’on ne leur fait pas tort, pourront s’acheter ; le prix n’en sera pas augmenté. On ne détruira pas les oliviers et les vignes. Mais le froment et l’orge subiront une hausse. Le choenix (un peu plus d’un litre) vaudra un denier pour le blé et un tiers de denier pour l’orge. Le denier, monnaie romaine, valait 0,88 centimes. C’est un prix exorbitant, un prix de famine, pour un litre de froment, surtout à l’époque.

M. Salomon Reinach, un érudit spécialiste des études historiques de ces temps, — ceux du Messie et les nôtres, — tire argument de ce texte (la date de l’Apocalypse, revue archéol., 1901, II, 1, réimpression dans Cultes, Mythes et Religions, II, 1 p. 356 et ss.), pour dater l’Apocalypse d’environ l’an 92, sous Domitien. Il est hypnotisé par un texte d’Irénée (V, XXX, 3), reproduit dans l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe (III, XVIII, 3), où il est dit que celui qui a vu la Révélation, l’a contemplée il n’y a pas longtemps... vers la fin du règne de Domitien. Et il fait plier l’histoire et la raison, au prix d’entorses douloureuses, devant le texte, d’ailleurs très nébuleux, d’Irénée. Que l’Apocalypse ait été vue sous Domitien, c’est certain. Mais cela ne prouve pas qu’elle n’existait pas auparavant. Tacite ne l’a sûrement pas ignorée. Sur le travail de M. S. Reinach, dont il adopte, semble-t-il, les conclusions, voir aussi Charles Guignebert : Manuel d’Histoire ancienne du Christianisme, p. 384. Voici le raisonnement : argument curieux et solide en faveur de cette opinion (la date 92-93), dit M. Charles Guignebert : Domitien a rendu en 92 un édit pour protéger la culture du blé et restreindre la production du vin qu’il juge nuisible à celle des céréales ; il ordonna donc de ne plus planter de nouvelles vignes en Italie et de détruire au moins la moitié de celles qui existent dans les provinces. Voir Suétone (Domitien, 7). En rapprochant ce fait du passage de l’Apocalypse qui annonce que le blé et l’orge vont enchérir tandis que l’huile et le vin seront en abondance, ne seront pas lésés, on obtient la date de la prédiction et de la rédaction de l’ouvrage.

Argumentation fallacieuse et arbitraire. L’édit de Domitien a pour but de faire diminuer le prix du blé (rien sur l’orge), et tend à faire augmenter le prix du vin (pas un mot sur l’huile). C’est le contraire que l’Apocalypse donne comme un résultat envisagé : hausse sur le pain. Le vin ne subira aucun dommage. On n’arrachera donc pas de vignes, comme le veut l’édit. Non plus que les oliviers, pères de l’huile. L’huile pour l’onction du Messie, pour son chrisme, ne saurait renchérir. C’est ce que sous-entend l’Apocalypse... Et quant aux vignes, si on les arrachait, où trouver tu meilleur cep pour que le Messie y attache son ânon ? Le Iôannès connaît ses auteurs et la Qabale juive dont nos exégètes n’ont aucune idée. Concluons, contre MM. S. Reinach et Ch. Guignebert, qu’il n’y a aucun rapport entre l’Apocalypse et l’édit de Domitien. Ce n’est pas encore la science érudite de cette argumentation curieuse, il est vrai, mais peu solide, qui nous donnera la date de l’Apocalypse.

[24] Le Selon-Luc, suivant son habitude, présente des variantes, sauf sur la mort de Zacharie, dont l’intention est manifestement de dire n’importe quoi pourvu que les précisions du Selon-Matthieu soient obscurcies par son grimoire à Théophile.

[25] Passage connu, transcription de l’article fondamental de la doctrine de Juda le Gaulonite.

[26] Condamnation par Jésus-Christ des apôtres christiens propageant les doctrines de l’Apocalypse du Iôannès-Christ ; apostasie du règne de mille ans, au IIIe siècle, quand on a fabriqué l’incarnation et le royaume de Dieu. Au lieu de convertir les goïms en christiens-chrétiens, les Juifs du Temple cherchent à les convertir au judaïsme pur.

[27] Allusion directe à l’opération du Recensement de Quirinius.

Dans Luc, XI, 37, c’est à la propre table d’un pharisien dont il est l’hôte, que Jésus-Christ lance ses imprécations et invectives. Matthieu n’a pas mis au compte de son Dieu cette inconvenance. La scène se passe en plein air, devant le peuple, en allongeant en revanche démesurément les couplets. Mais Luc et Matthieu, synoptisés, pour que l’on ne puisse pas voir, dans ce reproche de payer l’impôt, le même esprit en Jésus et en Juda de Gamala et l’ allusion à l’opération fiscale du recensement, ont ajouté un émollient : Malheur à vous qui payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin (dit Matthieu), de la menthe, de la rue et de toutes sortes d’herbes (dit Luc) et qui négligez les choses les plus importantes de la Loi, la justice, la miséricorde et la fidélité (dit Matthieu), la justice et l’amour de Dieu (dit Luc). Il fallait faire ces choses, sans toutefois omettre ou négliger les autres. On ne sait plus aux quelles choses Jésus donne le pas, si c’est à la Loi sur l’impôt ou à l’impôt sur la Loi. Le scribe hésite : il n’en sait rien lui-même. Au fond, peu lui importe. Tout ce qu’il veut, c’est donner le change aux goïms.

Nous sommes loin, ici, du temps de Juda le Gaulonite, du Crucifié de Ponce Pilate, de Ménahem et de Bar-Kocheba. Nous avons fait du chemin, depuis. Renan, qui croit à un Jésus historique du temps de Tibère pareil au Jésus des Évangiles, a bien raison en ce sens. Ce Jésus vous a une toute autre façon que son père de comprendre la révolution juive. Quel renégat ! Pistis-Sophia, la Foi assagie est dépassée. Et Pistis-Sophia est de la fin du IIe siècle.

[28] Certains manuscrits portent : Zacharie, fils de Barachie. L’addition manque dans les manuscrits les plus anciens, le sinaiticus notamment. L’intention de cette addition est visible, elle a pour but de faire croire que le Zacharie, prophète de l’Ancien Testament, dont on ne sait comment il est mort, et qui était fils de Barachie, est celui que cite Jésus, alors qu’il s’agit de Zacharie, père de Iôannès, donc de Joseph = Juda le Gaulonite, père du Christ. Voir ci-dessous le paragraphe : Zacharie, fils de Barochie.

[29] C’est dans le même esprit que sont lancées les malédictions sur les villes impénitentes, — comprenez : les villes qui ne l’ont pas soutenu dans sa croisade de Messie, — Corazin, Bethsaïda, Capernaüm (Matthieu, XI, 20-24 ; Luc, X, 12-15).

[30] A la vérité, le scribe, — et les initiés ne s’y peuvent tromper, — vise, en Abel, non pas la victime de Caïn, — vieille histoire, — mais le plus jeune des fils de Juda le Gaulonite, Ménahem, en Évangile Nathanaël, israélite en qui il n’y a point de fraude, comme lui dit Jésus (Jean, 1, 47), quand Nathanaël demande à Philippe : Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth ?. Les trois frères ironisent sur l’invention de Nazareth.

Le Selon-Luc, le plus travaillé des synoptisés, a des procédés de corser les fraudes qui ne sont qu’à lui ; de même pour créer des changes. Le Selon-Matthieu parle de sang répandu sur la terre, à même le sol. Le sol a été rougi par des flots (de sang). Le Selon-Luc transpose l’idée de lieu : sur la terre, en une idée de temps : depuis la création du monde, interprète-t-il. On saisit, j’espère, l’intention de tromper : le sang répandu sur la terre (pas à même le sol), depuis que la terre existe, depuis la création du monde. Ainsi, le sang répandu n’est-il plus seulement celui des temps messianistes.

[31] Ben Zakaï, le rabbi (au temps de Ménahem) exhortant les kanaïtes à remettre la ville sainte aux Romains, leur disait : Pourquoi voulez-vous la destruction de Jérusalem et l’incendie du Temple ? (voir Derenbourg, Essai, etc., pp 202 et ss.).

[32] Et la fin : Voici, votre demeure va devenir déserte ! Prédiction, post actun ?, qui date bien l’Évangile après 138, d’abord, l’incarnation le poussant jusqu’au IIIe siècle au plus tôt. Pour parer le coup, le scribe ajoute, par un coq-à-l’âne : Car, je vous le dis, vous ne me verrez plus, — explication incohérente de : Votre demeure va devenir déserte, — jusqu’à ce que vous disiez : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Alors, le scribe envoie Jésus et ses disciples autour de Jérusalem (Matthieu, XX IV). Le Selon-Luc qui reproduit le cri de désespoir sur Jérusalem (XIII, 34), remplace inévitablement, suivant sa méthode ténébreuse, la phrase si claire de Matthieu — votre demeure va devenir déserte, — qui prédit après-coup la destruction de Jérusalem, par la phrase suivante, qui ne veut rien dire : Voici, votre maison vous est laissée !. La traduction de M. Edmond Stapfer, docteur en théologie, a trouvé une explication qui n’est pas sotte, à la condition de la placer au IIIe siècle : Votre maison vous est laissée, c’est-à-dire : Elle est désormais remise à votre garde, c’est à vous seuls à la défendre, puisque vous n’avez pas voulu de moi : vous êtes abandonnés à vous-mêmes. C’est à vous seuls à la défendre ! Puisque vous n’avez pas voulu de moi. Comme défenseur évidemment. Et M. Stapfer croit au Christ paisible et doux des Évangiles.

[33] Origène, In Matthœum, XXVI, 23 ; Grégoire de Nysse, De Christi nativitate.

[34] Le procurateur de Judée, Gessius Florus et le gouverneur de Syrie, Cestius Gallus, qui étaient venus à la Pâques de l’an 819 = 66 à Jérusalem et avaient trouvé la capitale en pleine fermentation de révolte, avaient eu l’imprudence de la quitter en n’y laissant qu’une cohorte. Hérode Agrippa II, il est vrai, y envoya trois mille cavaliers, Auranites, Bethanéens et Traconites, pour renforcer la garnison romaine. Mais les Sicaires, commandés par Ménahem et Eléazar ben Hananias, Préteur du Sanctuaire, forcèrent leurs adversaires à capituler. Ils accordèrent la vie sauve aux troupes d’Agrippa et aux Juifs, mais rejetèrent les Romains de toute capitulation. Les légionnaires gagnèrent les tours Hippicos, Phasaël et Mariamne, et s’y défendirent tant qu’ils le purent, sous les ordres de leur chef Métilius. C’est à ce moment que Ménahem, enflé de ses succès, se posa en roi, en Messie-Christ, vêtu à la royale, c’est-à-dire du manteau de pourpre, accompagné d’une garde d’honneur, affectant, la plus grande pompe. Eléazar ben Hananias souleva contre Ménahem, si orgueilleux et si insolent, tyran insupportable, être si inférieur qu’il était le dernier à choisir comme chef, des Juifs assez nombreux qui se jetèrent sur lui et sa suite et massacrèrent ceux qu’ils prirent. L’un des compagnons de Ménahem échappa : Éléazar ben Jaïrus (le fils de ce Jaïrus dont Jésus ressuscita la fille), parent de Ménahem, son neveu (Jaïr avait épousé Martlia-Thamar, l’une des deux sœurs des sept daïmones fils de Marie-Salomé et de Juda-Joseph). Éléazar ben Jaïr se jeta dans Massada qu’il fortifia, et dont les Romains, commandés par Lucillus Bassus ne s’emparèrent qu’en 826 = 73, à la Pâques (15 nisan). Mille cadavres enlacés gisaient derrière les murs en cendre. Seuls une vieille femme, cinq jeunes enfants et une cousine d’ Éléazar, cachés dans les aqueducs, avaient survécu...

Quant à la garnison romaine de Jérusalem, sous les ordres de Métilius, elle n’obtint de capituler qu’à la condition de rendre ses armes. Comme les légionnaires désarmés se retirait sans défiance, les Juifs se jetèrent sur eux et les égorgèrent. Jérusalem n’avait, plus de garnison romaine.

[35] La raison et l’esprit critique se refusent à croire que Flavius Josèphe s’est tu sur la révolte du recensement, n’en a pas donné les incidents, non plus que le récit de la mort du grand Juda de Gamala.

Je tiens de plus en plus pour certain, quand j’y réfléchis, que la mort de Zacharie et les Iduméens, au temps de Vespasien, — convenablement sophistiqués bien entendu pour cacher la fraude, — proviennent des pages sur la révolte du recensement.

[36] La Pistis-Sophia, ouvrage gnostique dont j’ai déjà parlé, qui a servi à la confection des Évangiles, date du milieu du IIe siècle. Perdue par suite de destructions voulues, jusqu’au XIXe siècle, on en a retrouvé un manuscrit en langue copte. M. Amelineau, après Schwartze en 1851, en a donné une traduction aussi claire que possible. L’œuvre, de traductions en traductions, — hébreu ou araméen, grec, copte, — a subi des outrages. Mais telle qu’elle, elle aide à la découverte de la vérité historique, malgré ses intentions symboliques et dogmatiques, — peut-être à cause d’elles. Nulle prétention à une biographie du Messie-Christ.

[37] Valentin est aujourd’hui un hérétique. Son ouvrage est antérieur de cinquante à cent ans aux premiers brouillons des Evangiles. L’évolution, dans la fabrication de la fable évangélique, va de L’Apocalypse aux Evangiles, en passant par les gnostiques, Valentin, Cérinthe, et autres auteurs, comme le prosélytisme va de Judée et de tout ce qui est judaïque à l’Occident et à tout ce qui est aryen, en passant par la Grèce, l’Egypte et le nord de l’Afrique. L’Apocalypse, les gnostiques ont été des étapes originaires du Christianisme, se transformant peu à peu. C’est lui qui a changé. Le processus de la doctrine et des dogmes passe par Valentin avant d’aboutir aux Evangiles. Traiter Valentin et les autres d’hérétiques, pour le christianisme, c’est le fait d’un parvenu qui renierait ses parents et ancêtres d’où il a pris vie.

[38] L’Évangile ne dit pas d’ailleurs que Jésus paya. Le récit s’interrompt sans préciser. Il reste en l’air. Pierre a-t-il obéi ? a-t-il péché le poisson ? On n’en sait rien. Les Commentaires ecclésiastiques sur ce texte portent simplement : le statère valait quatre drachmes. Le statère d’argent valait de deux à quatre drachmes. Mais, comme étalon-or, le statère valait de 20 à 28 drachmes. Le statère était une monnaie grecque, et on ne voit pas bien qu’il ait pu servir, en l’occurrence. Ou alors, Pierre aurait dû aller à Jérusalem, chez les changeurs du Temple, ces marchands que son Maître fouette dans les Évangiles. Le tribut se payait, en deniers à César on en sicles au Temple. Les commentateurs feraient bien mieux de nous éclairer sur ce poisson du lac de Tibériade qui a des monnaies grecques dans sa bouche, et de nous expliquer ce que signifie cette histoire qui n’est pas inventée seulement pour donner le change sur les sentiments originaires du fils de Juda le Galiléen.

L’intervention miraculeuse du Poisson, symbole et signe de la Grâce, M suit sur le Zodiaque le signe du Verseau ou Zarhu en chaldéen, radical de Zacharie, l’un des pseudonymes de Juda-Joseph, père du Christ, cache, conformément au souffle de l’Esprit, une allégorie pneumatique, une similitude ou parabole, difficile à préciser, sans doute, mais dont l’idée générale est claire : le Poisson, signe de la Grâce, est donné aussi comme signe de richesse. La Jérusalem d’or de l’Apocalypse, attendue pendant des siècles, les collectes de l’apostolat évangélique, les messianistes, tuant pour le désir de s’enrichir, procèdent du même esprit. Ceux qui ont été à la tête du gouvernement chrétien n’ont jamais méprisé cette force : l’argent.

[39] Il n’y a d’authentiques pour l’Église que les ouvrages qu’elle a fabriqués ou refaits ou retouchés, au cours des siècles, pour les rendre conformes au dernier état de sa doctrine. Historiquement, ce sont les moins véridiques et les moins sincères.

[40] Ce zèle pour la Thora, pour la Loi a valu à Joseph-Juda le surnom de Panthora, Toute la Loi, — dans le Talmud. — Voir le chapitre suivant : Jésus Bar-Abbas.

[41] Je renvoie, au sujet des Macchabées, à ce que j’ai déjà dit au chapitre sur Nazareth.

[42] Le passage montre aussi que le pseudonyme Moïse recouvre Juda-Joseph. L’Assomption de Moïse était un livre très lu par les Juifs messianistes, comme touchant à l’auteur de la secte.

[43] Le verbe grec du texte a, en effet, le sens d’honorer, en parlant des morts, et de juger, critiquer avec une idée de blâme.

[44] C’est sur Michaël et les Anges, qui ne se prononcent point, qu’a été calqué le Ponce Pilate évangélique qui se lave les mains du cas de Jésus-Christ.

[45] Il faut à l’Église un bien grand mépris des hommes pour oser donner, sous le nom de Pierre, apôtre, des Épîtres aussi vides, aussi creuses, sur le christianisme. A part les injures.