L'Énigme de Jésus-Christ

 

Tome premier

CHAPITRE PREMIER : Où est né le Christ ?

 

 

C. - LA CRÈCHE DE BETHLEHEM

Les récits sur la naissance à Bethlehem, qui ne sont donnés, avec quels détails apparemment inconciliables, que par le Selon-Matthieu et le Selon-Luc, soulèvent, à l’examen, en dehors de leurs invraisemblances dignes d’un conte des Mille et une nuits, quatre ordres de questions essentielles :

1° Puisque le Christ est né ailleurs, — à Gamala, devenue Nazareth, — pourquoi les scribes le font-ils naître à Bethlehem ?

2° Que vient faire le recensement de Quirinius à l’occasion de cette naissance ?

3° Qu’est-ce que l’Étoile qui guide les Mages, et quel est le sens de leur voyage d’adoration auprès du Roi des Juifs ?

4° Qu’est cette crèche où l’on fait coucher par Marie le nouveau-né, sous le prétexte barbare qu’il n’y a pas de place à l’hôtellerie de Bethlehem ?

Ce n’est qu’en répondant d’une manière logique et vraisemblable à ces questions, que l’on peut comprendre la naissance à Bethlehem dans ses étrangetés qui ne sont qu’apparentes, ses dessous qui n’ont rien de bien mystérieux, ses intentions, qui ne sont pas très pures.

Les critiques érudits se bornent, en général, sans approfondir beaucoup, à fonder le récit fantaisiste de la naissance à Bethlehem sur le désir des scribes que les prophéties soient accomplies.

C’est tout. Même, sur ce point, ils ne voient pas que le fait de la naissance à Bethlehem, je le répète, leur a été jeté en pâture pour les empêcher de découvrir Gamala. Ils n’ont rien soupçonné de la nécessité où étaient les scribes de faire naître le Christ-Messie à Bethlehem, par fiction, au nom du droit de Moïse, comme je le montrerai.

Quant au recensement de Quirinius, hypnotisés sur la date, 760 = 7, qui fait anachronisme avec la naissance aux jours d’Hérode, 750 au plus tard, ils dépensent une argumentation stérile pour essayer de faire rentrer l’événement dans une chronologie possible, sans s’apercevoir que la question de date, pour le scribe évangélique, n’a d’autre but que d’égarer sur elle les critiques, afin qu’ils oublient le fait en soi du Recensement, que le scribe n’a pas pu passer sous silence, mais dont il ne veut pas que l’on découvre pourquoi il ne le tait pas. En ce qui concerne l’Étoile, les Mages du Selon-Matthieu, et même les Bergers par lesquels le Selon-Luc les remplace, quant à la crèche, sur tous ces points essentiels, de premier plan, incompréhension aussi unanime que pédantesque des érudits, quand ils essaient des explications.

Essayons de suppléer à cette carence des savants.

I. — Les invraisemblances.

Quand on analyse les récits évangéliques sur la naissance à Bethlehem, à la lueur d’une raison moyenne, dégagée de tout aveuglement confessionnel, il est impossible, certes, de n’en pas relever les détails éminemment étranges, invraisemblables, toute question de miracle mise à part.

Dans le Selon-Matthieu, ou voit les Mages demander à la cantonade et à tout venant : Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? C’est par la rumeur publique qu’Hérode apprend et l’arrivée des Mages et la nouvelle qu’ils rapportent de cette naissance, et sans savoir où mieux qu’eux-mêmes. Il réunit les scribes et les sacrificateurs pour s’informer auprès d’eux, non pas où est né, mais où devait naître l’enfant dont il sait tout de même, n’apprenant sa naissance que par la nouvelle qu’en apportent les Mages, que, comme roi des Juifs, il sera le Christ, le Messie. Où devait naître ? Dirait-on pas qu’Hérode prend une consultation d’exégèse hébraïque sur les prophéties ? Et, dans la réponse des sacrificateurs et des scribes, on aperçoit aussi que c’est à Bethlehem que ce Messie doit naître. Excellente raison, peut-on conclure, pour l’y faire naître en effet, envers et contre tout, même contre la réalité historique, surtout contre elle. Les érudits ont deviné ce point.

Hérode envoie alors les Mages à Bethlehem pour faire une enquête. Il veut aller, lui aussi, adorer le Messie. Ce renard d’Hérode, comme dira de lui ou de son fils, plus tard le Jésus des Évangiles, comment croire, avec la police serrée dont il disposait, qu’il ait eu besoin des Mages pour s’informer exactement[1] ? Quant à l’Étoile qui a guidé les Mages, nous découvrirons en temps voulu qui elle est et d’où elle vient. Car elle ne s’est point perdue. Elle est toujours à sa place dans le ciel. Elle n’a pas fait que passer comme un météore ou comme une comète. On éprouve quelque humiliation pour la raison humaine à la pensée que de graves savants, d’Allemagne principalement, ont écrits de compacts volumes pour identifier l’étoile des Mages avec la comète de Halley ou autre astre exceptionnel. C’est chercher minuit à quatorze heures, véritablement[2]. Dans le récit du Selon-Luc, pas de Mages. Ils sont remplacés par des bergers à qui les anges, — pas d’astre boussole non plus, — annoncent la naissance. Au lieu de l’Étoile, un Signe : l’enfant couché dans la Crèche. Il est venu tant de voyageurs à Bethlehem pour se faire enregistrer lors du recensement de Quirinius, qu’il n’y a plus de place dans l’auberge, l’unique qui soit, parait-il, dans la ville, pour que Joseph et Marie trouvent un gîte. On ne dit pas où Marie enfante. On suppose que c’est dans l’écurie, dans l’étable, car les Évangiles ne le disent pas, puisqu’elle couche l’enfant dans la mangeoire à bestiaux.

Ainsi, dans cet Orient, où l’hospitalité est presque une religion, il ne s’est pas trouvé un voyageur, une voyageuse pour céder à une femme enceinte, comme Marie, et à terme, arrivant aussi d’un long voyage, une place, une chambre, dans l’hôtellerie ? Je dis que c’est une calomnie. Mais fatale, car le récit, au moins sur ce point fondamental, n’est fabriqué que pour la Crèche. La Crèche domine toute l’affabulation et la commande. La preuve va venir.

D’autres ont fait remarquer qu’il n’est pas conforme à l’histoire que, pour se faire enregistrer à un recensement romain, les individus aient été obligés de revenir à leur ville d’origine. Si le Selon-Luc y force Marie, lui imposant un voyage très dur, de Nazareth à Bethlehem, à la veille de sa délivrance, ainsi que Joseph, son compagnon, son fiancé, c’est donc pour y faire naître, — et rien que dans ce but, — le Christ qui devait y naître, et qui donc n’y est pas né réellement. D’où le choix, par les exégètes, de Nazareth, comme ville natale du Christ, comme sa patrie. Quant à l’hôtellerie, sans concurrence, le Selon-Matthieu ne la connaît pas, et non plus la Crèche : point important à noter pour comprendre la manière de cet Evangile. Marie et l’enfant sont pour lui dans une maison (en latin mansio, séjour, étape ; en grec, habitation).

Il est essentiel, enfin, de faire ressortir ici qu’aucune Écriture canonique n’a jamais parlé d’une grotte où serait né Jésus. La grotte n’intervient que dans des textes dits apocryphes, sans autorité pour l’Église, et que je tiens cependant pour antérieurs aux Évangiles.

J’expliquerai pourquoi cette grotte, qui existe en effet à Bethlehem, est liée à l’histoire de la Crèche de Bethlehem. Elle renforce ma démonstration.

Tous ces détails, discordants en apparence, ne sont pas relevés pour le plaisir de faire ressortir les contradictions, invraisemblances, incohérences des récits évangéliques. Je prie le lecteur, au contraire, de les bien retenir comme les morceaux d’un puzzle, écartelés pour le besoin de cacher les sources de ce scénario et ses intentions. Les exégètes les déclarent inconciliables. Ils ne savent donc rien expliquer, encore qu’ils s’y évertuent.

Car nous allons reconstituer tout cet ensemble, en apparence indiscipliné ; nous lui rendrons sa cohésion et sa cohérence ; et l’on saisira tout le sens et toute la portée de la naissance du Christ dans la Crèche de Bethlehem, dont les Évangiles ont gâché les détails à dessein. Un peu de patience. Le jeu l’exige et en vaut la peine.

De même que par l’invention de Nazareth, nom et site, on dépiste la géographie et l’histoire, de même par la naissance à Bethlehem, on truque la chronologie. Par les deux, on noie la vérité. Si elle en réchappe, elle aura de la chance. Mais surtout, par la Crèche de Bethlehem, démontée, ou va comprendre comment l’on fabrique des mystères et des miracles et comment l’on substitue le culte de Jésus au culte du soleil, chez les masses adoratrices qu’il faut christianiser.

II. — Les prophéties à accomplir.

Poursuivons sur la naissance à Bethlehem, au point de vue du lieu seulement, car les erreurs de date n’impliquent pas nécessairement l’erreur sur la ville natale elle-même. Le Selon-Matthieu reste, et il est formel, avec la naissance à Bethlehem, et sans anachronisme, puisqu’il la place bien au temps d’Hérode. Les exégètes, alors, pour rejeter Bethlehem comme lieu de naissance, font appel à l’argument des prophéties à accomplir, qui a du poids.

La croyance universelle (en Judée, bien entendu) était, disent-ils, — voir Renan, qui exagère, comme le Selon-Luc sur le recensement de toute la terre habitée, — que le Christ devait naître à Bethlehem : les deux Évangiles ont tout simplement fait cadrer l’événement avec les anciennes prophéties qu’il fallait accomplir. Il est bien vrai que le Selon-Matthieu, quand il fait répondre par les chefs des prêtres et les scribes du peuple, à qui Hérode demande où le Christ devait naître : c’est à Bethlehem, — ajoute de son propre mouvement, pour justifier la réponse : Car voici ce qui a été écrit : Et toi, Bethlehem, terre de Juda, tu n’es certainement pas la moindre entre les principales villes de Juda, car c’est de toi que sortira un guide qui paîtra mon peuple, le peuple d’Israël[3].

Jusqu’ici, les exégètes y voient clair. Prophétie à accomplir, en effet. Eusèbe l’avoue, pour qui sait le lire : Le Christ est né à Bethlehem selon les prophéties (H. E., I, 8). Mais où ils se trompent, c’est quand ils vont, admettant ce prétexte, jusqu’à nier, ce qui est contradictoire, la descendance davidique du Messie, contre le texte et l’esprit des Évangiles, contre l’impression vivante qu’on ressent à les lire, contre tout ce qui, échos de la vérité historique atténuée, dans Eusèbe et ailleurs, sonne comme une certitude : le Messie juif, divinisé en Jésus, descend de David, fils d’Ishaï ou Jessé[4].

III. — Le Christ, descendant de David.

Car vous ne voudriez pas que, pour une fois qu’ils rencontrent une certitude historique, comme celle de la descendance davidique du Messie, crucifié par Ponce Pilate, les érudits sautent dessus. Comment descendrait-il de David ? La famille de David, était, à ce qu’il semble, éteinte depuis longtemps. C’est Renan qui parle et les autres érudits approuvent. A ce qu’il semble ! Sur quoi repose cette affirmation d’autorité, lancée comme une vérité acquise, dont il fait état, tout en apportant une restriction dans la forme, dont il ne fait pas davantage la preuve ? Sur rien. C’est une idée qui s’inscrit contre tous les textes, que l’on a certes le droit de discuter, mais encore en offrant un commencement d’argumentation. Au nom d’une infaillibilité qui fait sourire, Ernest Renan affirme. Tout au plus ajoute-t-il dédaigneusement : Eusèbe ? Écho de la tradition chrétienne ! Diable ! que veut-il de plus ? Au temps d’Eusèbe, cette tradition, puisqu’on en parle, n’est pas autre chose que des documents historiques. Parler de tradition, c’est vouloir tromper à dessein. Nous verrons plus tard ce que cache cette invention fantaisiste : la tradition. Mais Eusèbe se faisant l’écho d’une soi-disant tradition, qu’il trouve dans des documents d’histoire, qu’il a sous les yeux, pour nous permettre de découvrir en Jésus-Christ le fils de Juda de Gamala, alors que tout l’effort des scribes ecclésiastiques, fraudes, impostures, n’a pas eu d’autre but d’abord que de nous cacher cette vérité historique ? Renan plaisante. Si Eusèbe s’est fait l’écho d’une telle tradition, qui aboutit à ruiner son œuvre, à faire crouler la légende, c’est qu’il ne l’a pas fait exprès. C’est que la vérité était trop connue, même de son temps, pour qu’il ait pu la dissimuler, malgré son désir, dont on peut être certain.

Côté juif pur, non messianiste, non chrétien, il y a le Talmud de Jérusalem (Taanith, IV, 2) qui déclare que les docteurs de la Loi, si connus, ces grandes figures d’Hillel et de Gamaliel, étaient de la race de David, bien que non partisans des doctrines de Juda de Gamala et de sa descendance. Allégations très douteuses ! tranche Renan. Douteuses ? En quoi ? Pourquoi ? Renan ne le dit pas. Quelle valeur peut avoir la critique de cet exquis littérateur ? Zéro. Quelle autorité ? Nulle.

Mais les généalogies dans Matthieu et Luc ? Renan les rejette. Pourquoi ? Parce qu’elles le gênent. C’est très simple. S’il y a un morceau pourtant qui, malgré des suppressions internes, a un caractère frappant d’authenticité, c’est bien cette généalogie qui ouvre le Selon-Matthieu, sans phrase, sèchement, comme un titre, papier de famille, dirait-on, sauvé des archives brûlées, et produit tel quel en tête de l’Évangile : généalogie, — pas même d’article, — du Christ-Jésus. Fraude pieuse, pour Renan, sans autre explication. Jésus-Christ ne descend pas de David. C’est ainsi, parce que telle est sa volonté[5].

IV. — Tous les Christs sont de Bethlehem.

Mais, en opinant que les Évangiles font naître le Christ à Bethlehem pour accomplir les prophéties, les exégètes n’ont vu que la moitié de la vérité, qui brille comme une demi-lune seulement, mais avec assez de clarté dans le Selon-Matthieu, — il fallait cela ! — pour qu’ils l’aient vue.

Que tous les Messies sont de Bethlehem, c’est un fait acquis et qui ne s’applique pas au Jésus-Christ évangélique seulement. On en trouve la preuve dans un Thargoum sur Ménahem, — l’un des fils, et le seul, de Juda le Gaulonite, qui fut Christ-Messie, pendant deux jours, à Jérusalem, avant l’arrivée de Vespasien et Titus, généraux de Néron alors, et bientôt empereurs. Il y est raconté qu’un Arabe annonce à un fils de Juda que le Roi-Messie vient de naître (Talmud, traité Bérakhot, II) :

Comment s’appelle-t-il ? demande l’Israélite.

Ménahem.

Et son père ?

Ezéchias[6].

— Et d’où est-il ?

De la ville royale de Bethlehem en Judée.

La mère de Ménahem, — pas nommée, mais c’est Marie, évidemment, de son vrai nom Salomé, — dit aux femmes de la ville :

Oh ! que je voudrais voir étranglés tous les ennemis d’Israël ! Car au jour de la naissance du Messie, j’apprends la ruine prochaine du temple de Jérusalem[7].

Nous sommes certains, dit le pèlerin, que si, à cause de lui, le Temple doit être ruiné, il sera rebâti par lui.

(Détruisez ce temple, dit Jésus, et je le rebâtis en trois jours. — Mais il parle du temple de son corps, d’après l’Evangile qui veut, au IIIe siècle prédire et justifier la résurrection.)

L’enfant disparaît. Et, quelque temps après l’Israélite, le fils de Juda, demande à la mère :

Qu’en as-tu fait ?

Je ne sais, répond-elle. Depuis que tu m’as vue, des vents d’orage et des tempêtes sont survenus et me l’ont enlevé des mains[8].

C’est un rappel très voilé des guerres des Hérodes, soutenus par les Romains, contre la famille davidiste des Ezéchias, Juda le Gaulonite, leurs descendants et partisans, — toute la secte et peste messianiste, et que l’on ne peut pas s’empêcher de rapprocher, par recoupement, de ce qui est dit, dans l’Apocalypse, du Dragon roux, délaissant en Égypte la mère du Messie, pour aller faire la guerre au reste de ses enfants[9].

Pour les contemporains, Ménahem, le plus jeune des fils de Juda le Gaulonite, donc frère de celui qui est devenu Jésus, a mérité, plus que son aîné, le titre de Messie-Christ[10].

V. — Le Droit mosaïque.

Mais pourquoi donc toutes les prophéties veulent-elles que le Messie naisse à Bethlehem ?

C’est l’autre moitié de la vérité, dont les exégètes n’ont pas eu l’intuition. La raison profonde pour laquelle le Selon-Luc fait monter — ou descendre — Joseph et Marie à Bethlehem, sans pitié pour Marie, grosse et presque à terme, au nom des imaginaires formalités administratives du recensement et au prix d’un anachronisme de dix ans au moins sur la date de la naissance, c’est, d’ordre juridique, l’impérieuse nécessité pour les scribes de se conformer aux prescriptions du droit mosaïque. Les racines du christianisme plongent dans l’hyper judolâtrie, on ne le reconnaîtra jamais assez.

Ouvrons le Lévitique : XXV, 10, 13, 23, 28.

Vous sanctifierez l’an cinquantième... Ce sera celui du Jubilé (après sept sabbats d’années ; sept fois sept ans). Vous retournerez chacun en sa possession, en cette année du jubilé... La terre ne sera pas vendue absolument ; car la terre est à moi, Iahveh ! et vous êtes étrangers et habitants chez moi... A l’année du Jubilé, le pauvre qui aura vendu sa terre et n’aura pas le prix du rachat retournera en sa possession.

Régime sur la propriété immobilière qui peut se défendre, au point de vue social. Qu’on applique cette loi mosaïque, si claire, au fils de Joseph. Qu’est-ce à dire, sinon ceci : qu’au moment où les Évangiles nous le présentent comme Messie-Christ, Fils de David, prétendant au trône de Judée, comme celui qui délivrera Israël, et qu’Israël attend avec une foi ardente, visionnaire, comme chef politique et religieux qui rétablira le royaume davidique, il importe que ce Messie, Oint d’Iahveh, rentre dans la ville de ses pères, sur laquelle les usurpateurs Iduméens, les Hérodes, protégés de Rome, ont mis la main aux portes de Jérusalem, et qu’il en reprenne possession juridiquement. Si la conquête réelle, en fait, a besoin de la force pour se réaliser, on verra plus tard. Ce qu’il faut d’abord, bien qu’au siècle où le scribe écrit, tout espoir dans la force ait été anéanti par les Romains[11], ce qu’il faut, c’est légitimer cette royauté à laquelle on a cru, c’est lui assurer, même dans le cri de la protestation imprescriptible, la forte assise du Droit, du droit judaïque, dont l’origine remonte aux jours anciens, aux jours de l’éternité. Les prophéties sur Bethlehem ont leur source, leur cause dans ces dispositions du droit qui les expliquent et les justifient.

Les auteurs des Évangiles, que la tradition la plus volontairement trompeuse se plaît à représenter comme d’épais Galiléens, humbles pécheurs ignorants du lac de Tibériade, cumulaient la science de plusieurs Conciles, Nicée et autres. S’ils font naître le Christ à Bethlehem, c’est, autant que pour accomplir les prophéties, qui n’en sont que la résultante, l’effet pratique, c’est au nom du droit pur, du droit théorique, de par la loi de Moïse, bien plus antique. Voilà la cause. Le Messie devait sortir de la souche davidique ; David était de Bethlehem. Ses descendants, pour des motifs inconnus, — peut-être, avec la domination romaine, pour se réfugier loin de Jérusalem, — avaient quitté la patrie de l’ancêtre. Au retour d’Égypte, Joseph se retire à l’écart, sur les confins de la Galilée, en Gaulanitide, à Gamala-Nazareth, nous le savons. Il y habitait précédemment, on peut l’inférer, sans invraisemblance. Au moment où son fils premier-né va naître, Messie futur, il doit reprendre possession de Bethlehem, retourner en sa possession, juridiquement, faute de mieux. Pour bien marquer cette reprise de possession, le Selon-Luc n’hésite pas à la matérialiser en fait. Il écrit en un temps, — ce qui suffirait à prouver sa composition tardive, — où ce n’est pas inutile pour tout le monde. Les Hellènes, les Latins ne savent pas que Bethlehem est la patrie du Messie, camouflé en Christ, depuis toujours, même si la famille a dû aller habiter ailleurs, ses membres, entraînés dans les insurrections dont ils sont les chefs, étant toujours en fuite, pour échapper aux soldats d’Hérode et de Rome, et, comme avouera Jésus-Christ, n’ayant pas de lieu pour abriter leur tête. Pour exalter les courages et la foi, il noue cette naissance juridique à un événement mémorable et historique des temps héroïques : au recensement de Quirinius, et afin que nul n’en ignore, car il s’agit de la naissance du Messie, qui paîtra toutes les nations, avec une verge de fer. Et il fait enregistrer cette naissance. Justement, le recensement provoqua une révolte : celle de Juda de Gamala, qui en fût l’âme et l’animateur. Raison de plus. Que pèse un anachronisme devant d’aussi impérieuses nécessités du Droit, transposé en prophéties, si cet anachronisme, par surcroît, sert à l’exaltation des courages. Et puis, peut-on parler de Joseph, même sous ce nom qui le cache, sans le lier au souvenir de la révolte du recensement dont il fut l’âme, où il périt, comme Zacharie, tué entre le temple et l’Autel ? Ce serait trahison. Les initiés protesteraient.

Le christianisme n’est pas encore suffisamment affranchi du judaïsme pour que l’on puisse éviter cette concession à l’histoire, en attendant qu’on la rende méconnaissable, plus tard, quand on le pourra sans risque.

VI. — L’allégorie solaire.

Mais prophéties à accomplir, comme disent les exégètes, droit mosaïque à appliquer, comme nous l’ajoutons, n’expliquent point les discordances des récits évangéliques, ni leurs invraisemblances, ni leurs incohérents détails.

Pour comprendre, il faut se refaire une âme d’enfant. La Crèche de Bethlehem, en effet, ce n’est plus qu’un jouet, une toute petite chose rustique : une espèce d’étable, un peu de paille de blé sur laquelle sourit aux anges un nouveau-né tout nu, les bras tendus vers la Vierge, sa mère, en extase ; un bœuf et un âne, par simplification scénique, car il faudrait plusieurs bœufs et deux ânes. Cet ensemble de bergerie que, depuis quinze cents ans, — pas plus, — on révère à la Noël, il a enchanté les regards des pâtres contemplateurs d’astres, et, de tout temps, il a fait la joie et la béatitude des anges dans le ciel. C’est dans le ciel que sont allés le prendre, pour en faire une nativité miraculeuse sur la terre, l’y ramenant par les voies de l’Allégorie et du Symbole, ceux qui l’ont offert au besoin de merveilleux des âmes.

Pour réussir, dans la mesure que nous allons voir, leur travail littéraire, — le même par lequel Homère transforme un ancien volcan éteint en Cyclope moins semblable aux hommes mangeurs de blé qu’à un pic chevelu de hautes montagnes, avec son œil unique, rond, au sommet du front, comme un cratère, — les scribes qui ont composé la fable s’y sont repris à plusieurs fois, dont nous connaissons trois étapes certaines : l’Apocalypse, point de départ, puis le Selon-Matthieu et le Selon-Luc, reprenant le thème à l’Apocalypse, et y introduisant des variantes à leur façon, mais sans sortir du thème.

Venons au fait.

La naissance à Bethlehem, fiction juridique, est en plus une allégorie solaire. Les scribes ont transposé sur la terre, en lui donnant la réalité anthropomorphique, le phénomène astronomique du solstice d’hiver, nuit du 24-25 décembre : l’ascension annuelle du soleil, sa naissance dans la constellation de la Vierge, qui va allonger la durée de la lumière, décrue depuis le solstice d’été[12]. Reprenons les Écritures chrétiennes.

VII. — Vers l’Immaculée-Conception, mystère, et vers le Miracle par le Zodiaque.

Jésus-Christ est né d’une vierge restée vierge après sa délivrance. Pourquoi cet événement si contraire aux lois naturelles ? Le Selon-Matthieu, qui a déjà fait appel à Michée pour le choix de Bethlehem, va emprunter au prophète Ésaïe un texte justificatif, en en coupant le début.

Tout cela eut lieu, dit-il, afin que s’accomplit ce que le Seigneur (Iahveh, nécessairement) avait dit par le Prophète : Voici, la Vierge sera enceinte, et elle enfantera un fils ; et on le nommera Emmanouel (Dieu avec nous). C’est excessivement simple, comme on voit.

Seulement, cette prophétie, faite par Ésaïe en faveur du roi Achaz, entouré d’ennemis, pour lui promettre ou lui faire espérer un appui divin, n’a aucune arrière-pensée miraculeuse, et ne peut s’appliquer au Messie ou Christ, qui n’est, au surplus, jamais nommé Emmanouel.

D’abord, en traduisant Ésaïe, le Selon-Matthieu a commis un volontaire contresens. Le texte hébreu ne parle pas d’une vierge, mais d’une jeune femme. En hébreu, le substantif employé est halema, qui équivaut au grec à jeune femme. Jeune fille, en grec, se dit en hébreu bethoula.

Dans le Dialogue de Tryphon, opuscule grec attribué à Justin, du IIe siècle, c’est la traduction jeune fille, que l’on rencontre. Justin était d’origine samaritaine, d’après l’Église. Irénée, autre israélite, — il s’appelait Salomon, avant de se camoufler en grec, avec un nom qui signifie Paix, — Irénée qui connaissait les nuances des termes hébraïques, interprète Ésaïe, en traduisant halema par jeune femme (adv. omnes hœret, III, 21, 1).

Secondement, Ésaïe fait allusion à sa propre femme. Le chapitre III, 3, d’Ésaïe, ne laisse aucun doute : Je m’étais approché de la prophétesse, dit-il, — avouant que sa prophétie n’était pas bien difficile ; elle conçut, et elle enfanta un fils. Si la prophétesse eût été stérile, tout le pénible échafaudage édifié par le Selon-Matthieu croulait.

Pour ruiner l’autorité du pseudo-Justin et d’Irénée, par qui, en dehors de la preuve onomastique, nous pouvons affirmer qu’Ésaïe parle de sa femme, l’Église, au IVe siècle, au milieu d’une ardente controverse sur la traduction erronée du Selon-Matthieu, a fait écrire, dans le Contra Celsum, I, 35, en le mettant sous la signature d’Origène, pour l’antidater de deux siècles : Il faut qu’il y ait eu miracle (donc que l’enfant naisse d’une vierge) ; car Ésaïe parle d’un signe.

En effet : C’est pourquoi Iahveh lui-même vous donnera un Signe, avait dit Ésaïe, devinant que, s’étant approché de sa femme, un fils lui naîtrait. Et c’est cette naissance qui devait être le signe promis à Achaz. Rien de bien miraculeux.

Le Contra Celsum essaie de nous donner le change, et de nous faire prendre un signe, au sens propre, une manifestation, une marque, — les nuages sont un signe de pluie, — pour un prodige, un miracle. Mais, dans son tour de passe-passe, il laisse tout de même tomber la clef de la vérité.

Car ce signe qui est dans Ésaïe, et que révèle bien maladroitement le Contra Celsum, c’est justement ce que le Selon-Matthieu tenait à cacher. Il s’est bien gardé de faire précéder sa citation d’Ésaïe de la phrase au signe qui en est le début. S’il a fait un contresens dans sa traduction, ce n’est pas parce qu’il ignorait l’hébreu ; c’est parce qu’il veut concentrer la seule attention du lecteur sur ce contresens, et escamoter le signe. Pendant que l’on discutera à perte de vue sur le sens d’un mot bien ou mal traduit, — les exégètes et critiques érudits y sont passés maîtres, — on ne pensera pas au reste du texte d’Ésaïe. On ne trouvera pas le signe, dont il craint la découverte.

Pour parler clair et conclure, le Selon-Matthieu, en aiguillant le lecteur sur un contresens, où il l’égare, et en subtilisant ainsi le signe par escamotage, dans sa citation faussée et tronquée, — tu vois l’erreur, tu ne connais pas la coupure, — veut cacher qu’il a pris son récit de la Nativité, — l’idée première au moins, — à l’Apocalypse, que le Selon-Luc, opérant de même, utilise aussi, pour aboutir, en une allégorie où le merveilleux se mêle à l’humaine réalité, à la Crèche de Bethlehem[13].

VIII. — La Nativité dans l’Apocalypse.

Le thème original de la Nativité, — terme de théologien, — dont ont fait état les deux Évangiles, se trouve, en effet, dans l’Apocalypse[14]. Le voici :

Et un Signe de première grandeur parut dans le ciel : une femme, grosse du soleil[15], la lune sous ses pieds, sur sa tête une couronne de douze étoiles, et portant dans le ventre, crie en éprouvant les douleurs de l’enfantement et torturée d’accoucher[16].

Et l’on vit un autre Signe dans le ciel, savoir : un Dragon rouge, grand, ayant sept têtes et dix cornes, et sur ses têtes sept diadèmes. Sa queue entraînait le tiers des étoiles du ciel et les jeta sur la terre. Et le Dragon se tint devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer son enfant dès qu’elle l’aurait enfanté. Et elle enfanta un fils, un mâle, qui doit paître — c’est le futur Bon Berger, en effet, — toutes les nations avec une verge de fer[17]... Et la femme s’enfuit dans le désert où elle a une retraite préparée par Dieu afin qu’elle y nourrit[18]... pendant mille deux cent soixante jours.

Nous sommes d’abord dans les astres, à travers les constellations et les signes du Zodiaque.

Cette femme enceinte, — le texte dit bien femme, pas même jeune femme, alors qu’on pourrait s’attendre à vierge, jeune fille, mais après tout gunè est un terme générique, et la femme enceinte, fût-elle vierge, est bien vieille, on va le voir, — cette femme enceinte du soleil, qui a sur sa tète une couronne de douze étoiles et la lune sous ses pieds, qui accouche dans le ciel, qui est-elle ? Une déesse ou une mortelle ?

C’est la Vierge, astre et constellation, sixième signe du Zodiaque, à la suite du signe du Lion, attribut de Juda.

Venu des mythes de Chaldée, comme toute l’astrologie et la cosmogonie hébraïques adoptées ensuite par le christianisme, le nom du sixième signe du Zodiaque, la Vierge, correspondant au sixième mois, est le signe du message, — les chrétiens diront : de la Bonne nouvelle (évangile), de la déesse Ischtar, à laquelle le sixième mois était consacré[19].

Dans les représentations zodiacales des Chaldéo-Babyloniens, on voyait la Vierge, — la figure manque dans celle que nous avons, — dans la mansion solaire d’Ouloul, sous sa forme d’archère des dieux. Ses traits sont les rayons même de l’astre. Les Grecs et les Romains, dont l’esprit concevait mal les allégories compliquées des Orientaux, avaient consacré à Cérès, déesse des moissons, épis drus et dorés comme les rayons solaires, le Signe de la Vierge, représentée en jeune femme tenant une faucille d’une main, et de l’autre une gerbe de blé mûr.

IX. — La naissance du Soleil et du Christ.

Et voici le phénomène astronomique dû au mouvement du soleil dans sa course annuelle, qui est à la base du Signe de première grandeur paru dans le ciel, que décrit l’Apocalypse, et que matérialiseront dans la chair les scribes évangéliques.

Tous les ans, au solstice de juin, les jours se mettent à diminuer, comme on dit, jusqu’à ce qu’à l’équinoxe d’automne, la durée de la lumière du jour se fasse égale à la durée de la nuit. Le soleil, à cette époque, entre dans la constellation de la Vierge céleste, qui l’enveloppe, l’absorbe, devient grosse de lui. — Le cercle zodiacal traverse la Vierge, portant dans le ventre, dit sans délicatesse l’Apocalypse (XII, 2), et le Selon-Matthieu (I, 18) répète mot pour mot, forme pour forme, parlant de Marie enceinte ; ce qui n’a rien d’étrange, car il compose son évangile avec l’Apocalypse sur la table. Et puis les ténèbres vont tomber, s’appesantir de plus en plus tôt sur tous les chemins par suite de cette grossesse de la Vierge. Que répond l’ange Gabriel à Marie, quand il lui annonce qu’elle sera enceinte et qu’elle lui demande comment ce prodige se pourrait, étant vierge et ne connaissant point d’homme ? Ceci : La vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre. Le phénomène astronomique est traduit dans la chair vive. L’ange Gabriel connaît l’Apocalypse, mieux que vous et moi, et l’astronomie de même. Jusqu’au solstice d’hiver, la Vierge, couverte par l’ombre, restera en gestation. Mais alors, le Soleil, comme un enfant à terme, va sortir de la Vierge délivrée ; il s’élève sur l’horizon. Il naît. Que dit du Joannès, Christ aussi, son père Zacharie ? Le soleil levant nous a visités d’en haut, sorti des entrailles compatissantes de notre Dieu. Et que dit du Christ le Selon-Jean ? Il est la lumière qui éclaire tout homme venant au monde. Quels aveux !

La Nativité de l’Apocalypse, amorcée dans le ciel, s’achève, sur la terre, dans la personne de la mère du Messie, dégagée de son double astral, par la naissance d’un enfant qui doit gouverner les nations avec un sceptre de fer. C’est bien le Christ. Et quand le Selon-Matthieu et le Selon-Luc écriront leurs nativités, ils n’ajouteront pas d’autres personnages aux trois éléments primordiaux de la nativité céleste et de la nativité apocalyptique : une vierge qui conçoit sans homme, un enfant de père inconnu, qui en naît, et, dans la coulisse, le signe du Lion qui précède la Vierge, attribut de Juda, de Juda devenu Joseph, et dont l’allégorie achèvera tout à l’heure de préciser le rôle.

— Juda est un jeune lion. Quand il se couche, qui le fera lever ? dit Jacob (Genèse, XLIX, 9-10).

C’est de Juda que devait sortir le Messie, avant d’entrer dans la Vierge comme le soleil, pour naître au jour.

— Le sceptre ne se départira pas de Juda, ni le bâton souverain d’entre ses cuisses,jusqu’à ce que le Scilo (le Messie) vienne et que les peuples lui obéissent, — prophétise Jacob après qu’il a proclamé que Juda est un lion[20].

X. — Haine et guerres entre le Messie et les Hérodes.

Mais voici l’enfant sur la terre. Roi futur, il ne peut l’être qu’en détrônant les Césars et les Hérodes qui ne sont pas décidés à le laisser faire. Le drame se noue aussitôt avec le Dragon roux, leur personnification. S’il a dix cornes en Palestine, les dix villes de la Décapole, il porte les couleurs d’Hérode, l’édomite, l’Iduméen, c’est-à-dire, comme Esaü, qu’il a le poil roux. Il cherche à dévorer l’enfant-Christ, dont la mère fuit au désert, en Égypte, précise le Selon-Matthieu, qui comprend l’Apocalypse, et que le pays qu’elle ne nomme plus, avec son fleuve, c’est bien l’Égypte du Nil, où il fait en effet voyager Joseph, Marie et l’enfant, poursuivi par Hérode. Le Dragon ayant manqué son coup contre la femme, s’en alla faire la guerre au reste de ses enfants, — textuel, dans l’Apocalypse (XII, 17), — qui observent les commandements... d’Iahveh. Le texte retouché dit : de Jésus, ce qui est une incohérence.

Mais si, par cette correction tardive, substituant dans le texte Jésus à Iahveh, l’Église a pu amortir le trait, l’Apocalypse, par cette phrase remarquable : le Dragon s’en alla faire la guerre au reste de ses enfants, fait ou laisse flamboyer un éclair de vérité historique, qui ne saurait aveugler que les critiques[21]. Pour nous, il illumine toutes les origines du christianisme ; il les marque d’un trait de feu. Il rive, comme à un boulet, le Crucifié de Ponce Pilate, fils de Joseph-Juda de Gamala et de Marie, à l’histoire de toutes les révoltes juives, de caractère messianiste, — et rien que cela, — qui vont d’Ezéchias, exécuté par Hérode, procurateur de Galilée, sous Jules-César (711 = 43), à Bar-Kocheba, le Fils de l’Étoile, sous Hadrien (888 = 135), en passant par Juda le Gaulonite, sous Auguste, le Crucifié de Ponce Pilate sous Tibère, Simon-Pierre et Jacob-Jacques sous Claude, Ménahem, sous Néron, sans compter les Eléazar-Lazare, les Jaïrus, et autres, tous appartenant de pères en fils et d’oncles en neveux, à la même famille[22], et Theudas-Thaddée.

Mais j’anticipe, — bien malgré moi ; et le lecteur ne doit pas s’en étonner, car tout se tient dans cette étude, tout s’explique par recoupements. Revenons au nouveau-né

Si l’on a tenté d’enlever l’enfant, dans l’Apocalypse, le Selon-Luc semble ne se souvenir que de lui et se soucie à peine de la mère. Le petit enfant, dit-il, grandissait et se fortifiait en esprit[23], et demeura dans les déserts jusqu’au jour (l’an quinzième du règne de Tibère) de sa manifestation à Israël. Ce n’est point le Selon-Luc que l’interpolation apocalyptique sur l’enlèvement de l’enfant vers Dieu pourrait tromper. Mais on aime à croire aussi que, pas plus que dans l’Apocalypse l’enfant n’a été enlevé à sa mère, la mère n’a abandonné son enfant dans le Selon-Luc. Mettons fin au jeu cruel des Écritures et réunissons, comme il se doit, la mère et l’enfant.

Le récit du Selon-Matthieu garde toute la simplicité farouche et tragique du drame mi-terrestre mi-céleste de l’Apocalypse. Juif jusqu’aux moelles, l’auteur de cet Évangile, dès la naissance, nous met à même de mesurer cette haine implacable, d’odeur spéciale, haine de famille, dirait-on, et c’est bien cela, qui sépare les Hérodes du Christ, et que l’on suit à la trace, tout au long des Évangiles, jusqu’à la crucifixion.

XI. — Les Mages apportent la soumission de l’Orient au Messie d’Israël.

L’intervention des Mages, venus pour adorer le Roi des Juifs, a pour but d’attester la soumission à Israël, si longtemps subjugué par eux, des Chaldéo-Babyloniens, des Assyriens et des Perses. La fête des Pourim ou des Sorts, fondée sur l’histoire d’Esther, grâce à qui les destins contraires d’Israël et les destins favorables à ses ennemis pendant des millénaires, avaient été renversés enfin, sur le papier, ne pouvait mieux avoir, comme corollaire, que cette adoration des Mages, portant aux pieds du Messie juif l’encens, le nard et la myrrhe. Il faut ne jamais oublier que le messianisme victorieux, en rétablissant le royaume de Dieu (Iahveh), le trône de David, sur lequel monterait le Messie, le Christ, devait avoir pour conséquence parallèle, la revanche d’Israël sur tous ses ennemis, ceux de l’Orient, avant Jésus-Christ, et, après lui, ceux d’Occident, les Romains, ceux de la Babylone d’hier, et ceux de la Babylone (Rome) d’aujourd’hui, et son triomphe universel, sa domination sur toute la terre habitée.

Les Mages réalisent en littérature la moitié de ce rêve : la soumission de l’Orient, et l’Apocalypse, l’autre moitié.

XII. — L’Étoile et le mariage Marie-Joseph.

L’horoscope entre en jeu. L’Étoile, c’est un signe, autant qu’un prodige, mais horoscopique. On pourrait en conclure que l’an est sabbatique et même pro jubilaire, si le Lévitique et la naissance juridique ne l’avaient prouvé déjà. A chaque jubilé, chacun retournera en sa possession[24].

Les Mages, les Chaldéens, maîtres ès sciences astronomiques, ne pouvaient pas ne pas voir l’Étoile. Ils se sont mis en marche à son signe, à l’équinoxe d’automne, — ils viennent d’assez loin : trois mois de voyage à pied, — quand le Tout-Puissant a couvert de son ombre la Vierge céleste. Vraiment, elle marche devant eux. A mesure que le soleil décline sur l’horizon, rognant la durée de la lumière, la Vierge prend de l’élévation, dominée, comme par le Lion la Constellation entière, par le Bouvier, qui chemine non loin d’elle, lui sert de compagnon, — son homme, dira de Joseph le Selon-Matthieu à l’égard de la Vierge Marie, mère de Jésus, pas son époux encore, — jusqu’au moment où, au plus haut dans le ciel, au solstice d’hiver, sous le signe du Capricorne, le soleil, arrivé à bon terme, remonte sur l’écliptique vers la ligne équatoriale. La lumière va croître et les jours allonger. C’est la naissance du Soleil. La Vierge est à sa délivrance. Le soleil a l’air d’en sortir ; il en sort vraiment.

Et à minuit le 24 décembre, le Bouvier se lève, fiancé matutinal, qui ouvre la nouvelle année solaire, et, en une conjonction sidérale, s’unit enfin avec la Vierge, hyménée céleste, qui sert d’exemple à Joseph et à Marie. C’est parce que le Bouvier reste le compagnon de route, au ciel, de la Vierge, grosse du Soleil, c’est parce qu’il n’entre en conjonction avec elle qu’au 24 décembre, à minuit, une fois le soleil né, que Joseph ne peut s’empêcher de rester le fiancé de Marie, bien qu’enceinte, pour ne l’épouser qu’après la naissance de Jésus. Elle lui avait été promise en mariage, dit le Selon-Matthieu, avant qu’ils ne fussent venus ensemble. Qu’est-ce à dire, sinon que le Selon-Matthieu transpose toujours dans deux vies humaines le phénomène astronomique de la nuit du 24 au 25 décembre ?

Après quoi, les Mages peuvent disparaître. Ils s’en retournent dans leur pays par un autre chemin, dit le Selon-Matthieu. Comment, en effet, l’Étoile les y reconduirait-elle ?

XIII.- La crèche, le bœuf et les ânes.

Le Selon-Matthieu, avons-nous dit, ne connaît ni hôtellerie, ni grotte, ni étable. Les Mages aperçoivent le Messie-Christ quand l’étoile s’arrête au-dessus du lieu où il est. Ils entrent dans ce lieu, qui devient ensuite une maison, mieux : une mansion, une des douze mansions solaires. Il y a, dira Jésus plus tard, plusieurs demeures dans le ciel de mon Père. Plusieurs ? Douze exactement, comme dans le Zodiaque. Le Selon-Matthieu n’épuise pas le thème astrologique, mais il s’y tient quand même. Il n’en sort pas.

Le Selon-Luc non plus, et de même. Mais avec lui l’allégorie, tout en tournant à la pastorale par l’entrée en scène des Bergers qui se substituent aux Mages, va achever de prendre toute sa valeur.

Le travail du Selon-Matthieu est d’un Juif, avons-nous remarqué. C’est un Grec, un Judéo-hellène, un Alexandrin, sans doute, qui a inspiré le Selon-Luc, imagination souriante s’il en fut, avant notre Florian et Marie-Antoinette.

Si l’on en croit les exégètes, — on lit cela dans le Contra Celsum, où ils ont pris l’idée, — Joseph et Marie auraient été des gens de médiocre condition, — je cite Renan de mémoire, — des artisans vivant de leur travail, le mari charpentier et la femme ménagère, tous deux d’une extrême simplicité de vie, ni pauvres ni riches, plutôt pauvres que riches, obscurs Israélites quasiment anonymes. Descendants de David ? Le Selon-Luc et les autres Evangélistes ont beau le dire. On ne se moque pas aussi manifestement des exégètes.

Fils de David, ce Joseph et cette Marie, pauvres pèlerins qui, montés à Bethlehem pour le recensement de Quirinius, couchent, à l’auberge où ils sont, y sont-ils ? Ce n’est pas sûr ! les Écritures ne le disent pas, dans l’étable, parce qu’il n’y a pas place ailleurs ? Si méprisés, qu’aucune des autres voyageuses juives, pas un homme n’a la charité d’offrir une couchette, une natte dans une chambre à la malheureuse Marie, dans son état. Quel monde ! Et après avoir enfanté on ne sait où, — car on peut tout supposer : place publique, corridor, cour, coin quelconque, — Marie trouve tout de même un berceau pour son enfant. Elle le couche dans la crèche.

Eh bien ! toute la Nativité du Selon-Matthieu n’est bâtie que sur cette crèche, pour cette crèche. Si son récit est une pastorale, c’est à cause de la crèche. Et si le Selon-Matthieu ne présente qu’un drame farouche, c’est parce qu’il n’a pas voulu de la crèche, dont il ne dit rien. Bethlehem seule pour lui importe. Mais vous verrez que le sens du mot suppose la crèche. Exégètes, critiques, des milliers de savants ont écrit sur le christianisme. Aucun n’a jamais su, personne n’a découvert cette crèche, ni d’où elle vient. C’est cette crèche seule, qui seule permet de comprendre comment on fabrique des Evangiles. Où le Selon-Luc l’a-t-il trouvée ? Vous pensez évidemment à la mangeoire des bestiaux. Et ces crèches-mangeoires sont dans les étables. Mais le Selon-Luc nous dit-il que Marie et Joseph logent dans une étable ? Dit-il même qu’ils sont à l’hôtellerie ? Il déclare qu’il n’y a plus de place pour eux, voilà tout. Sont-ils allés ailleurs dans la ville, en dehors de l’hôtellerie, dans une maison où on les aurait certainement accueillis ? On ne sait pas. Ils sont dans Bethlehem. Relisez votre Évangile. Insinuerait-il qu’ils campent à la belle étoile ? Il ne l’insinue pas, il le sous-entend ; et jamais sous-entendu n’a pu se traduire par une expression plus juste. En vérité, en vérité, je vous le dis, la Crèche tombe littéralement du ciel. Si Marie était sous un toit, elle n’aurait pu coucher Jésus dans la crèche.

Que ceux qui ont des oreilles pour ouïr, entendent !

La Crèche : en grec Phatnè. Aucune dictionnaire français ne vous dira ce que c’est. Mais un dictionnaire grec-français ancien vous l’apprendra. Phatnè : la Crèche, espace au firmament, compris entre les deux Étoiles du Cancer. Le Cancer ? signe du Zodiaque. Quel rapport ? Aucun évidemment sous ce nom. Mais ce nom du Cancer, qui est grec, est celui du signe zodiacal que les Chaldéens et les Juifs appelaient les Ânes.

Deux étoiles, Gamma et Delta, dans la constellation du Cancer, sont encore les Ânes[25].

Nous brûlons.

Les Ânes ? Certes, ils ont disparu des Évangiles, du moins dans les Nativités. Ils n’interviennent plus, et pour des motifs horoscopiques toujours, qu’à l’entrée triomphale du Christ à Jérusalem. Mais soyez sûrs qu’ils réchauffent de leur souffle le corps du petit Jésus qui vient de naître. La tradition, qui veut qu’il y ait un âne, et même deux, dans la Crèche, ne le veut ainsi que parce qu’il les y faut. Il ne saurait y avoir de Crèche sans ânes, ni sur la terre, ni dans le ciel, pas plus que de Petite Ourse sans la Polaire, — sans quoi l’allégorie sonne faux ; la tradition est blessée, car elle a de l’oreille, des oreilles même, et justes. Elle entend. A côté de l’Âne unique, par simplification, la tradition veut un bœuf. Pourquoi n’est-il plus dans les Évangiles, quand Joseph, fiancé de Marie, s’y trouve ? Qu’est-ce que ce Bouvier, qui se laisse subtiliser ses bœufs ? Le Selon-Luc souffre tellement de cette absence, qu’il envoie un ange du Seigneur chercher des bergers, qui gardaient leurs troupeaux dans la même contrée, pendant les veilles de la nuit, pour y suppléer. Une multitude de l’armée céleste apparaît chantant : Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! Où sommes-nous ? Sur la terre ? Ou dans le ciel ? Nous sommes dans l’espace interplanétaire que pâturent les Ânes et les troupeaux du Bouvier ? A quoi les bergers reconnaîtront-ils le Christ dont l’Ange leur annonce la naissance ? A ce signe, — qui n’est un prodige que dans le ciel, — que vous le, trouverez couché dans une Crèche. La traduction avec l’emploi de l’article indéfini est une faute. On doit traduire dans la Crèche[26]. Il n’y en a qu’une : la Crèche, et nulle autre.

Quoi de plus clair ? Les autres détails de l’allégorie appellent-ils un commentaire qui n’aille de soi ?[27]

XIV. — Anges, paille, blé ; le pain de vie.

Ces anges qui vont et viennent entre ciel et terre, — sur l’échelle de Jacob, sans doute, — ils ne quittent les bergers pour retourner au ciel, au troisième, sinon au septième, que pour une année, et les bergers rentrent à Bethlehem de même ! C’est tout naturel.

Dans la crèche, il faut de la paille. Il y en a. c’est certain, sur laquelle s’étend le petit Jésus, comme un soleil levant, jaune et brillant comme elle. La Vierge mère ne l’a-t-elle pas fauchée, ou empruntée tout simplement, comme première layette, à cette corne d’abondance qu’est son épi, l’Épi de la Vierge, qui tient encore la faucille, Cérès aux moissons fécondes dans les vastes champs de l’Orient ? Et Bethlehem c’est, pour couronner le tout, — car vous ignorez le sens de ce mot, — la Maison du pain ?

Je suis le pain de vie, dit Jésus dans les Évangiles... Mon Père vous donne le vrai pain du ciel, car le pain de Dieu est celui qui est descendu du ciel. (Jean, VI, 32, 33, 35, 48).

Vous savez maintenant pourquoi le Christ, le Messie qui dominera sur Israël, et dont l’origine, remonte aux jours anciens, est de Bethlehem, de toute éternité, comme le déclare le Prophète Michée.

XV. — Jésus-Christ, soleil-dieu.

Les premiers chrétiens, avant que l’Église n’ait décrété les dogmes originaires hérésies successives, refaites, sans cesse jetées bas et au fur et à mesure qu’elle construisait et fabriquait, à côté de l’histoire du christianisme, l’histoire ecclésiastique, les premiers christiens, très orthodoxes, ne se sont jamais trompés sur le sens du symbole de la Crèche de Bethlehem, et ne lui ont jamais attribué d’autre signification que celle de l’allégorie astrologique et horoscopique. Leur foi en eût été ébranlée, si on avait soutenu, devant eux que le Christ est né, effectivement, c’est-à-dire en chair, à Bethlehem, et qu’il a reposé, enfant qui vient de naître, dans une, mangeoire à bestiaux. La poésie mystique de leur foi messianiste, judaïque, comment croire qu’elle se fut prêtée à des matérialisations aussi grossières ?

Il existe un certain nombre de monuments chrétiens primitifs sur lesquels est figuré le Zodiaque : un bracelet, publié par Boldetti, une peinture, reproduite par Bottari, montrent un homme debout, près d’une montagne, indiquant du doigt un segment du Cercle zodiacal sur lequel figurent quatre étoiles. C’est un chrétien marchant au Signe, vers la mansion, vers la Crèche, autour de laquelle brillent la Vierge, le Bouvier, les deux Ânes.

Les scribes successifs qui, au cours des premiers siècles, ont fait et refait les Évangiles, ont dissipé peu à peu, par des retouches de textes, que l’on sent, presque toute cette atmosphère d’horoscope, d’astrologie, bref, le mythe solaire, sans réussir à donner à leurs récits une totale couleur terrestre. De là ces contradictions, ces invraisemblances, ces incohérences, ces détails inconciliables dans la lettre, par la transposition, dans les récits, maladroitement, des symboles et allégories en réalité humaine, mais qui toutes se réduisent et s’expliquent à la lumière de la constellation de la Vierge et du Soleil naissant. Et ce qu’il y reste de naïf, de poétique, d’adorable, provient toujours de la similitude astrale.

Tertullien (De l’idolâtrie, 9) semble même, sous prétexte de flétrir les interprétations astrologiques des païens, en avoir cristallisé, accaparé, monopolisé l’essence en faveur du seul dieu chrétien.

Ne cherchez pas hors de l’Étoile, n’allez pas plus loin que l’Étoile. En naissant, Jésus a aboli (absorbé même) les signes... Il a tout tué. Ce sont des morts. L’astrologie finit, du jour où l’Évangile commence. Jésus né, que personne n’interprète plus les nativités d’après les astres.

C’est que la Crèche de Bethlehem les synthétise toutes, dans le microcosme des Évangiles. Il n’est pas possible d’en faire l’aveu plus clairement que Tertullien. Mais on ne supprime pas, même quand on est père de l’Église, des fétichismes populaires. Eusèbe d’Alexandrie, — pas celui de Césarée, — rapporte que les chrétiens d’Égypte adorent le Christ dans le Soleil levant. La Crèche ! Le pape Léon le Grand au Ve siècle encore, relève cette adoration comme une impiété : mais invétérée, chez une foule de gens croyant agir selon la religion. Ils étaient fidèles. C’est le Christianisme qui avait changé. Ils cherchaient la Crèche et le pain de vie à leur place céleste, d’où les scribes les ont fait descendre sur la terre.

XVI. — La Noël et l’an nouvel.

Notre année est une année solaire, c’est-à-dire que sa durée est celle du temps, à quelques heures près, que le soleil met, en apparence, à tourner elliptiquement autour de notre globe terrestre. Le début de l’année, le nouvel an, ce n’est pas, au rythme du soleil, le 1er janvier, c’est le 25 décembre. La Noël ne signifie pas autre chose. Les étymologistes, — voir les dictionnaires, — en sont encore à tirer le mot Noël du latin natalem, natal, sous-entendu jour : le jour natal du Christ. Ce sont de joyeux plaisantins. Est-ce que, par assimilation, natalem a donné Noël ? Noël, en vieux français, c’est, très régulièrement dérivé par formation populaire (chute du v, consonne médiane, comme de règle, et de la terminaison) le latin novellum, diminutif de novum, qui a donné neuf[28].

Au XIIIe siècle, dans un Comput, on trouve la première forme nœus, au pluriel . Après moult d’ans nœus ; et, dans le Livre du bon Jehan (1361), on lit ce dicton, passé en proverbe pour exprimer que toute chose arrive que l’on a longtemps attendue : Tant crie(-t-on) l’an noël qu’il vient ! Les historiens ecclésiastiques affirment que la fête de la Nativité était une fête mobile, à l’origine, célébrée tantôt en mai, tantôt en janvier. Ce n’est que sous le pape Jules Ier, au milieu du IVe siècle, que la Nativité fut fixée au 25 décembre. Les Pères de l’Église ne l’admirent pas sans protestation[29]. Les récits de la Crèche de Bethlehem n’étaient pas au point. Le mythe solaire y transparaissait trop clairement. Puis, on y a pourvu. Et lorsque, les textes émondés, les fidèles ont tout de même continué à adorer le soleil, l’opposition à la date du 25 décembre, an Nouvel, nouel, noël, — a pris fin ; c’est en faisant coïncider les deux dates : naissance du soleil et naissance du Christ avec la Noël qu’on a substitué à l’adoration hérétique de l’astre, l’adoration orthodoxe et pie du Christ, Rédempteur du monde, comme le soleil.

XVII. — La Grotte.

Quant à la Grotte, que les Écritures canoniques, Évangiles et autres, ignorent, saint Jérôme, mort à Bethlehem au Ve siècle, nous apprend que le culte d’Adonis y est célébré. Des femmes y pleurent la mort du bel adolescent et se réjouissent de son retour, suivant l’époque[30].

Dans l’œuvre de Justin, donnée comme du IIe siècle, on a glissé un passage sur la grotte de Bethlehem qui est comparée à la caverne de Mithra, dans laquelle se faisait l’initiation des adorateurs de ce Dieu iranien et mazdéiste, qui n’est pas autre chose que la personnification divine de la lumière. Mythe solaire toujours. Le passage accuse les démons d’avoir tendu le piège de cette analogie avec la grotte où tout enfant, le Christ vagissait, comme dira saint Jérôme. Langage de théologie déjà, qui avoue l’invention tardive grâce à laquelle ou a substitué le mythe chrétien au mythe iranien, en localisant la naissance à Bethlehem dans la grotte mithriaque[31]. L’adresse de l’Église a toujours été de placer ses fêtes à la même date que les fêtes des autres religions pour créer ainsi une confusion profitable et ne pas changer les habitudes des fétichismes supplantés ensuite. Jésus a tout absorbé : astres, soleil, Adonis, Zeus, Mithra, mythes et cérémonies cultuelles[32].

On a interpolé de même l’œuvre d’Origène, à qui l’on fait dire, au IVe ou Ve siècle — Ne voit-on pas à Bethlehem la grotte où Jésus a vu le jour ? En sorte qu’Origène, du IIe siècle, même si on le suppose authentique, — et Justin tout autant, — parlent de cette grotte qu’ignorent les Évangiles. Saint Jérôme, au Ve siècle, entre 380 et 420, renchérit.

Et les exégètes soutiennent gravement que les Évangiles étaient faits à la fin du Ier siècle !

Epiphane, un saint aussi, à la fin du IVe siècle, malgré l’autorité de Justin et d’Origène, ignore ces deux auteurs, — ils n’étaient pas encore interpolés, — au point qu’il trébuche entre la grotte, la crèche, l’étable, la maison ou mansion, l’hôtellerie, sans choisir.

Et l’Église sur le lieu, comme dit le Selon-Matthieu, où vint au monde le nouveau-né, ayant décidé que la grotte est bien celui de la naissance, explique comme suit toutes ces fraudes pieuses, — Renan dixit : Ce lieu est appelé une maison (dans le Selon-Matthieu) ; d’où divers commentateurs ont voulu que la Sainte Vierge et saint Joseph avaient quitté la grotte et l’étable, et avaient été reçus dans une maison proprement dite, avant l’arrivée des Mages. Il est cependant possible que le mot de maison, dont la signification est très large dans les langues orientales, — en grec ! — soit appliqué ici à la grotte, et pris principalement dans le sens de demeure, habitation. Je n’insiste pas davantage sur la Grotte, ni sur les commentaires si précis de l’Église. J’y aurais mauvaise grâce vraiment.

XVIII. — La crèche en bois.

Que faut-il de plus sur la Crèche de Bethlehem ? Les explications de l’Église ? Vous les trouverez dans le nouveau dictionnaire Larousse illustré, direction Claude Augé. Les voici : On lit dans l’Évangile de saint Luc que l’enfant Jésus fut déposé, lors de sa naissance, dans une crèche — non, on ne dit pas tout à fait cela dans le Selon-Luc. On y lit que Marie mit au monde son fils premier-né, l’emmaillota et le coucha dans une crèche. Elle opère elle-même. Pas d’intermédiaire. Autrement dit, l’enfant tombe dans la crèche, au sortir du sein de sa mère, comme le soleil entre les Ânes après être né de la Vierge. Le Selon-Luc transcrit anthropomorphiquement le phénomène astronomique — ; c’est là qu’il reçut la visite des bergers, guidés par les anges. (L’auteur de l’article, un ecclésiastique, ne dit rien des Mages du Selon-Matthieu). Cette crèche devint, dès les premiers temps, l’objet du culte des chrétiens, à Bethlehem, où on la conservait. — Pas du tout, car il n’y a de crèche que dans la Bethlehem céleste ; la crèche est au ciel et ne l’a jamais quitté, sauf par la plume des scribes. Les chrétiens (va pour les chrétiens) l’adorent, oui, ou le soleil, plutôt, mais, ceux des origines tout au moins, de la terre : voir la peinture de Bottari—. Transportée à Rome, au VIIe siècle, d’après Benoît XIV — pape du XVIIIe siècle, d’où tenait-il, où a-t-il pris les renseignements si tardifs qui permettent cette affirmation, et dont pendant 1.100 ans l’Église a privé la Chrétienté ? Benoît XIV veut dire, en style ecclésiastique, qu’il a fait fabriquer la Crèche avec effet rétroactif. Toute la légende chrétienne provient de morceaux successivement modernes que l’on fait passer comme des antiquités —, avec quelques fragments de la grotte (celle d’Adonis ; aucune Écriture canonique, ai-je dit, ne connaît d’ailleurs cette grotte), elle fut placée dans la basilique sibérienne, à Sainte-Marie-Majeure, où on la voit encore aujourd’hui. Pendant l’année, elle est renfermée dans un reliquaire d’argent et déposée dans une galerie souterraine. On l’expose publiquement à la vénération des fidèles le jour de Noël. Elle est en bois, de forme rectangulaire ; un côté a été fortement dégradé par le temps. Ainsi ! elle est en bois. Même, un côté a été fortement dégradé par le temps. Saint Thomas, l’incrédule qui mit ses doigts dans les blessures au flanc du Christ, pourrait la toucher. Et devant une aussi naturelle, une aussi réaliste preuve d’authenticité, et aussi palpable, il s’inclinerait pour adorer, comme si le petit enfant y était encore. Mon Seigneur et mon Dieu !

 

 

 



[1] Indépendamment de toutes autres raisons évidentes qui résulteront de cet ouvrage.

[2] L’illustre astronome Képler a calculé qu’en -7 (soit 746 ou 747 de l’ère romaine) se produisirent trois conjonctions de Jupiter et de Saturne, qui durent être confondues par les Mages dont Matthieu nous raconte le voyage, avec la manifestation d’une étoile nouvelle... Les difficultés ne sont naturellement pas moindres si on cherche à identifier l’étoile des Mages à la comète de Halley, qui se montra en -12 (soit 741 ou 742 de Rome). Ainsi s’exprime M. Charles Guignebert, La Vie cachée de Jésus, page 25, exposant les systèmes qui veulent expliquer l’anachronisme entre Matthieu et Luc. M. Charles Guignebert ajoute : N’insistons pas ; nous n’aboutirions à rien. Évidemment. Mais nous verrons que les Mages, astronomes experts, qui n’ont d’ailleurs fait aucun voyage, n’ont pas confondu des conjonctions de planètes avec une étoile, nouvelle ou ancienne. La distinction est enfantine.

[3] Reproduit de Michée, V, 2. Et toi, Bethlehem Ephrata, petite entre les milliers de Juda, de toi sortira pour moi celui qui dominera sur Israël, et dont l’origine remonte aux temps anciens, aux jours de l’éternité. Le Selon-Matthieu a coupé la fin. On verra pourquoi.

[4] Je renvoie à l’étude sur Nazareth à cet égard. Les révélations d’Eusèbe, qui ne laissent aucun doute sur l’existence de la famille de David jusqu’à Domitien, nouent, d’un lien impossible à briser, le christianisme à Juda le Gaulonite et à sa descendance, qui est ce qui reste alors de la famille de David. (Voir aussi sur Juda le Gaulonite et les révoltes juives, menées par les Simon, Jacob, Eleazar, Ménahem, Theudas, Bar-Kocheba, contre les Hérodes et les Romains pendant plus de 150 ans, l’étude qui suit : Jésus Bar-Abbas). Tous ces chefs de révolte sont à la fois de la famille ou race de David et de celle de Juda le Gaulonite, et de son fils premier-né, Jésus-Christ, né homme à Nazareth-Gamala.

La répression de ces révoltes, de caractère politique, et la mise hors d’état de nuire des insurgés, c’est ce qu’Eusèbe et les scribes chrétiens à la suite ont appelé les persécutions.

[5] De vrai, pour fabriquer sa Vie de Jésus, Renan a besoin que son héros, qu’il veut charmant, soit peuple, sorti du peuple. C’est son idée préconçue. Pour le présenter comme tel, il est obligé de faire subir aux Évangiles, suivant son bon plaisir, les mutilations les plus graves, auxquelles ne l’autorise que la fantaisie de son imagination, qui est belle. Mais alors, qu’il ne nous parle pas de critique scientifique. Le sans-culotte Jésus, le socialiste Jésus, rien de plus faux, de plus primaire, de plus garde national. Juda de Gamala, son fils, le Christ, sont, au contraire, ce que nous appellerions des aristocrates, des fils de roi dépossédés.

[6] C’est le nom du père de Juda le Gaulonite ; le scribe talmudiste saute une génération. J’expliquerai pourquoi plus loin, au § Haine et guerres entre le Messie et les Hérodes. Celui qui fut Hérode le Grand, mort en 750 de Rome, avait été nommé par Antipater, alors procurateur de Judée, dont il était le second fils, gouverneur de la Galilée, quoi qu’il n’eut encore que quinze ans ; mais il avait tant d’esprit et tant de cœur qu’il fit bientôt voir que sa vertu surpassait son âge. Il prit Ezéchias, chef d’une bande de voleurs qui pillait tout le pays, et le fit exécuter à mort avec tous ses compagnons. Voilà ce qu’on lit dans Flavius Josèphe (Guerre contre les Romains, liv. I, ch. VIII, Histoire des Juifs, liv. XIV, ch. XVII). Et la suite : Une action si utile à la province donna tant d’affection pour lui aux Syriens qu’ils chantaient dans toutes les villes et dans les campagnes, qu’ils lui étaient redevables de leur repos et de la paisible jouissance de leurs biens. Croyez, après ceci, à l’authenticité des calomnies qu’on lit aujourd’hui dans le texte de Flavius Josèphe, sur Hérode au temps du Christ.

Avec cet Ezéchias, commence la longue lutte des Hérodes et des Romains contre ceux que son fils Juda le Gaulonite formera en secte, et à laquelle rendront part tous les descendants. Cet Ezéchias, révolté messianiste déjà,- nous sommes au temps de Jules César, — est traité de voleur, de brigand, par Flavius Josèphe, comme le seront les kanaïtes, partisans de Juda le Gaulonite, comme le sera Bar-Abbas, Jésus Bar-Abbas. Mais voleur et brigand, d’une sorte particulière, pour une fin politique. Nous verrons tout cela.

Son fils, qui n’est désigné, dans Flavius Josèphe, à cette époque, que sous son nom de Juda, fils d’Ezéchias, profita des troubles effervescents qui suivirent la mort d’Hérode le Grand, en 750, pour se soulever lui-même et tenter de se faire roi. Il s’empara de Sepphoris en Galilée. Je prouverai qu’en 750 le Christ des Évangiles, son fils, avait alors onze à douze ans.

Vaincu, ses partisans dispersés, il ne périt pas dans le désastre, sinon Flavius Josèphe l’aurait dit. C’est ce Juda, fils d’Ezéchias, que Flavius Josèphe nous présente ensuite sous le nom de Juda le Galiléen. Il ne dit plus : fils d’ Ezéchias. C’est le Juda du Recensement de Quirinius. Il a l’air, à ce moment, de tomber des nues, d’être sans passé, sans histoire. Les scribes qui ont sophistiqué Flavius Josèphe veulent faire croire à deux Juda distincts. Mais par le Thargoum sur Ménahem, fils d’Ezéchias et de Juda le Gaulonite, entre autres preuves, nous découvrons qu’il n’y a qu’un Juda, fils d’ Ezéchias et Galiléen de Gamala. Si Flavius Josèphe, après le désastre de 750-751, consécutif à l’affaire de Sepphoris, ne dit pas qu’il a été tué, et ne dit plus ce qu’il est devenu, c’est qu’il disait que Juda avait fui en Égypte.

Un critique, M. Lagrange, a pressenti que les deux Juda n’en font qu’un.

[7] A rapprocher de l’hymne d’allégresse chanté par Marie dans le Selon-Luc en apprenant qu’elle va être mère du Messie, et de celui de Zacharie, dont on a atténué la violence haineuse, sur la naissance de Jôannès (Jean-Baptiste). Je prouverai que Zacharie, Joseph, Juda le Gaulonite, Zébédée sont le même individu, ainsi que Marie, Élisabeth, Marie-Magdeleine, la mère des fils de Zébédée, sont la même femme, et Jean-Baptiste et Jésus-Christ, le même Messie. On commence à s’en douter, J’espère. Il ne s’agit ici que de la Crèche de Bethlehem.

[8] Comment ne pas être frappé des points de contact de ce Thargoum ou similitude messianiste avec les Évangiles christiens ; on affecte trop d’oublier que les Évangiles ont une source judaïque, aussi judaïque que les Talmuds et autres spéculations littéraires des Juifs, pendant les trois, sinon quatre, premiers siècles. J’ai déclaré qu’il y eut collusion, complicité plus ou moins tacite, entre les christiens des trois ou quatre premiers siècles et les docteurs juifs, avant la grande coupure entre les Juifs purs et les Juifs messianistes-christiens. Qu’on ait ensuite amendé les Talmuds, côté juif, comme on a, au cours des temps, à mesure que le fossé s’est creusé plus profond entre le messianisme pur, d’une part, et, d’autre part, les Juifs, judéo-hellènes et païens, — côté non plus christien, mais chrétien, — c’est évident. Mais l’origine est la même, et l’esprit aussi. Les auteurs du Selon-Matthieu et du Selon-Luc n’ont pas ignoré, soyez-en sûrs, le Thargoum de Ménahem, d’un si pur judaïsme messianiste-christien.

Ce Thargoum, — vents d’orage et tempêtes, — résume en trois mots et deux images, toute l’histoire des Christs-Messies, fils de Joseph-Juda et de Marie-Salomé, depuis Jésus jusqu’à Ménahem, en passant par Simon-Pierre et les deux Jacob-Jacques.

[9] Voir ci-dessous, le § Haine et guerres entre le Messie et les Hérodes.

[10] Au point que l’on a prêté à la carrière du Crucifié de Ponce Pilate, par grossissement, certains traits qui n’appartiennent qu’à Ménahem : l’entrée à Jérusalem, notamment, sur l’âne, hommage symbolique qui n’est dû qu’à un Messie victorieux. Seul Ménahem le fut, pendant deux jours. L’Âne est le signe de la victoire. Le Scilo ou Messie juif, M. Eliphas Lévi le fait assez bien comprendre dans son Histoire de la Magie, correspond au Tharthak syrien, l’Âne royal, au manteau de pourpre. Et c’est pourquoi le Selon-Matthieu (XXVII, 28) en fait vêtir Jésus. Si on se reporte à l’ancienne prophétie de Jacob sur Juda, l’âne est l’accessoire de la victoire (Genèse, X, 10-12) : Le sceptre ne se départira pas de Juda jusqu’à ce que vienne le Scilo (Messie), et que les peuples lui obéissent. Alors il attachera son âne à la Vigne et l’ânon au meilleur cep. Les Romains n’ont rien ignoré des vertus de l’Âne. L’Âne d’or d’Apulée, parodie de l’Apocalypse, en témoigne. Quand Martial (Epig., XI, 94) fait prêter serment à un poète juif : Jure par l’âne, circoncis ! lui dit-il. Jura, verpe, per ancharium. Les copistes chrétiens ont substitué dans les manuscrits Anchialum à ancharium. Et les commentateurs font d’Anchialum, — car ils n’ont pas vu la substitution, — l’esclave de Martial. Martial faisant jurer par son esclave à lui, un juif ! Quelle valeur attendre d’un tel serment ? Les commentateurs n’y voient pas plus loin que le bout de leur nez. Quand, dans l’Octavius, on veut traiter quelqu’un d’âne, — un philosophe chrétien ! — on lui dit : race de Plaute !, le comique latin de l’Asinaria, qui esclave, tourna la meule, comme l’Âne. Le fameux graffito du Palatin où figure un homme à tête d’âne, les bras en croix et dominant un petit individu, porte l’inscription Alexamenos adore Dieu ! — Alexamenos un christien.

[11] Mais le regret est immortel, et les scribes juifs christiens s’y complaisent, au point de ne jamais renoncer, montrant par cette revendication, dès la naissance de Jésus-Christ, qu’il fût bien, historiquement, le Messie, le prétendant au royaume de Judée.

[12] II faut supposer, comme le croyaient les Anciens, et notamment les christiens, que le soleil tourne autour de la terre, comme il le fait en apparence, de même qu’il semble que c’est le paysage qui fuit et défile pour le voyageur dans un train rapide. Il y a deux mille ans, du temps d’Hipparque, le soleil naissait de la Vierge ; il en sortait au solstice d’hiver. La Vierge est un des douze signes du Zodiaque. Si le soleil ne naît plus de la Vierge aujourd’hui, c’est que les signes se sont déplacés sur la sphère céleste, par suite du phénomène dit : la précession des Équinoxes, phénomène découvert plus tard. Ils ont rétrogradé. A raison de 52" 2 par an, il faut environ 2.166 ans pour que les signes rétrogradent d’un douzième sur le cercle zodiacal.

[13] Escamotant le signe, le Selon-Matthieu est forcé d’escamoter la Crèche et de corser son récit par les Mages qui n’appartiennent pas à l’allégorie de la Crèche et sont là pour une autre raison.

[14] Chapitre XII, qui a d’ailleurs été déplacé dans l’adaptation grecque dite de Pathmos, tirée de l’Apocalypse araméenne, détruite naturellement. La Nativité de l’Apocalypse n’a de sens qu’au début de l’œuvre.

[15] Ici, admirons la force des savants, érudits, critiques et exégètes.

Toutes les traductions sans exception portent : enveloppée ou vêtue du soleil. C’est un contresens évident. Le terme grec employé est un participe passé qui peut être au passif, si l’on y tient . Mais comme il a le soleil comme complément direct, à l’accusatif, il est impossible de le prendre à la voix passive, qui appellerait son complément direct au datif. C’est donc la conjugaison moyenne. La femme n’est pas enveloppée par le soleil ; elle l’enveloppe pour elle. Hérodote se sert du même participe passé, voix moyenne, au neutre, et substantivement, pour dire : ce qui entoure une ville, l’enceinte. La femme a enceint le soleil. Elle est donc bien grosse de lui.

[16] Peut-être n’est-il pas inutile de faire ressortir ici, ne serait-ce que pour essayer de comprendre pourquoi Juda de Gamala est devenu Joseph, dans les Evangiles, que, dans le décor astral, s’inscrit le songe de Joseph, fils de Jacob, le patriarche (Genèse, XXXVII, 9) : Voici, le Soleil, la Lune et onze étoiles (Joseph est la douzième) se prosternaient devant moi. La généalogie du Selon-Matthieu donne naturellement comme père du Joseph évangélique, un Jacob, au lieu de l’Ezéchias historique.

[17] Ici, une addition ecclésiastique certaine : et son enfant fut enlevé vers Dieu et vers son trône. La suite le prouve. Comment, enlevé vers Dieu, cet enfant pourra-t-il paître les nations ? Du moins cette addition prouve bien que l’enfant, c’est le Messie. L’addition provient d’une parenthèse insérée au profit du dogme de la Résurrection.

[18] A la suite de l’interpolation qui précède, les scribes ont substitué, et devaient nécessairement substituer, après afin qu’elle y nourrit, le pronom féminin elle-même, au pronom masculin, lui, l’enfant, par un simple changement de lettres grecques. La femme ayant enfanté, — et si son fils fut en effet enlevé ou non plus tard vers Dieu, à cause de la résurrection, — lors de la naissance où nous sommes, c’est l’enfant qui a besoin d’être nourri. Il ne peut venir à l’idée de personne que la mère doit fuir ait désert pour s’y nourrir, alors que le texte a précisé que ce n’est pas elle qui importe au Dragon, mais l’enfant, qu’il veut dévorer. Sauvant son enfant, la mère fuit au désert, pour l’y nourrir, du moins jusqu’à ce qu’il puisse digérer les sauterelles et le miel sauvage. C’est l’évidence même. Si Dieu l’avait alors enlevé au ciel, il n’y aurait pas d’Évangiles.

[19] Le système zodiacal des Juifs et des christiens à été emprunté aux chaldéens tel que ceux-ci le conçurent 2.430 ans avant notre ère, à une époque où le soleil, sur la sphère céleste, entrait dans le signe du Bélier ou Agneau en coïncidence avec l’équinoxe du printemps, — à la Pâques.

[20] A rapprocher toujours du Songe de Joseph, dans la Genèse. Et à l’avènement du Messie interviendra l’Âne, car, ajoute Jacob : Il attachera son Âne à la vigne, et au meilleur cep le petit de l’Ânesse. Il lavera dans le vin son vêtement et son manteau dans le sang des raisins. C’est pourquoi il importe que le vin ne renchérisse jamais. Voir le § Sur la date de l’Apocalypse, ci-dessous.

[21] Le symbolisme juif est à double, parfois triple détente. La femme de l’Apocalypse, vierge au ciel, mère du Messie ici-bas, personnifie aussi la Judée. La Judée avait beaucoup d’enfants, alors que Marie n’en a qu’un encore, son premier-né. Elle en aura d’autres. Mais bien que peuplée, la Judée fut stérile, comme la vieille Élisabeth, tant qu’elle n’eut pas enfanté le Messie, par l’intermédiaire de Marie. Car Elisabeth, c’est, — promesse ou serment d’Éloï, — le double mystique de Marie.

[22] J’en parlerai plus en détail et avec la précision désirable dans le chapitre sur JÉSUS BARABBAS, ci-après.

J’ai dit au paragraphe Tous les Christs sont de Bethlehem, que l’on avait prêté au Crucifié de Ponce Pilate certains traits qui appartiennent à Ménahem. Je dois déclarer loyalement qu’au point de vue chronologique la Nativité de l’Apocalypse faite pour le Messie, se rapporte sûrement aux événements qui ont suivi Immédiatement la mort d’Hérode et ne peuvent s’appliquer que par substitution au Crucifié de Ponce Pilate, qui en 750-751 de Rome, dans mon système, que je tiens pour historique, avait onze ou douze ans. La fuite et le séjour en Égypte doit se placer entre 751 et 760, entre l’insurrection que J’appelle de Sepphoris parce que Juda le Gaulonite s’empare de cette ville, et celle du recensement de Quirinius. L’enfant-Messie de l’Apocalypse ne peut être que Ménahem, le plus jeune des sept fils de Joseph et de Marie, qui ont eu aussi deux filles : Marie et Martha ou Thamar. En 750, Joseph a environ 55 ans, étant né au moins en 695, s’il n’est posthume, son père Ézéchias ayant été exécuté par Hérode, alors âgé de 15 ans, en cette année 695. Historiquement, — se l’appeler le Thargoum, — Ménahem fut un Messie plus illustre que son aîné. On a fait bénéficier l’aîné, dans la légende, de certains traits empruntés à son cadet. D’où l’anachronisme de l’Apocalypse. Mais nous n’en sommes plus, dans la fable de Jésus-Christ, à un anachronisme près. Ils aident à dépister la vérité historique.

[23] Phrase lapidaire, qui revient trois fois dans Luc, I. 80, II, 40 et II, 52, se rapportant une première fois à Jôannès (c’est lui qui est dans les déserts), les deux autres fois à Jésus (qui n’est plus que devant Dieu et devant les hommes). Car il n’y a pas eu, historiquement, deux enfants : Jésus-Christ et Jean-Baptiste, mais un seul : le Iôannès-Messie, crucifié plus tard par Ponce Pilate. Je l’ai dit. Je le répète, et je le prouverai. La phrase sert de raccord à des récits en doublons.

[24] Le royaume de Dieu devait venir à la grande Pâques de 788-789 (35-36), puisque la tentative du Christ pour s’emparer de Jérusalem est de cette date, comme la crucifixion qui mit fin à l’émeute. La naissance remonterait à un jubilé auparavant, — 49 ou 50 ans, — soit 738-739, date historique, en effet, de la naissance du crucifié de Ponce Pilate, comme je le prouverai par d’autres indices et présomptions en concordance.

[25] Écoutez Pline l’Ancien : Sunt in signa Cancri (karkinos, en grec, dans Eudoxe, Hipparque et Ptolémée) duœ stellœ parvœ, aselli appellatœ, exiguum. Inter illas spatium nubecula quam prœsepia appellant. Il y a dans le signe du Cancer, deux petites étoiles, appelées les Ânes (les ânons, même), et entre eux un petit espace, la nébuleuse (amas d’étoiles) de la Crèche.

[26] Si vous voulez vous souvenir que les exégètes ergotent toujours sur ces Bergers qui gardaient leurs troupeaux, pour nier que le Christ est né à Noël, la saison, même en Palestine, ne permettant pas de coucher dehors à cause du froid, vous aurez une idée de la pusillanimité de la critique exégétique de nos savants. Leurs explications sont toujours enfantines,quand elles ne sont pas bouffonnes. Je suis bien sûr, pour ma part, que le Christ n’est pas né à la Noël. Si l’Église le fait naître à cette date, c’est qu’elle y a été obligée. Elle a longtemps hésité entre Pâques, l’Epiphanie (6janvier), et le 25 décembre. De vrai, elle n’en sait rien. Nous non plus. Et ceci est sans importance. La Crèche de Bethlehem n’a aucun sens à une autre époque. Et ceci prouve encore, si c’est nécessaire, que ce récit provient bien du phénomène astronomique.

[27] Saint Jérôme, malgré les Évangiles, sait qu’il faut un bœuf et un âne dans la crèche. Voir la note 71 sous le paragraphe : La grotte, plus loin : Salve, Bethlehem, domus panis, in qua natus est ille qui de cœlo descendit. Et aussi : Stabulam in qua agnoscit bos possessorem suum, et asinus prœsepe domini sui.

[28] Le roi Louis XI, au XVe siècle, écrivait : Aux quatre nataux vous devez vous bien confesser. Rien de la Noël, qui n’est qu’une et non quatre, chaque année.

[29] Les Pères de l’Église qui ont abondamment écrit sur la Nativité, n’ont pas de terme spécial, hors le mot Nativitat, en latin, pour désigner le jour, qui d’ailleurs leur est inconnu. C’est sur la foi d’un calendrier ecclésiastique, que l’on fait remonter, sans preuve, au IVe siècle, que l’on prétend que la date fut fixée au 25 décembre, sous Jules Ier. Ce n est pas suffisant comme certitude. Le mot Noël est français et ne peut provenir que du vieux français. Les Anglais disent : Christmas.

[30] Saint Jérôme ou Hieronymus. Lettre 49, ad Paulam. Ces païens ne respectent rien. Aussi Hieronymus (Ep. CVIII, ad Eustachium virginem) prend sa revanche : Arrivée a Bethlehem, et étant entrée dans la grotte du Sauveur, elle vit l’étable dans laquelle le bœuf reconnut son maître, et l’Âne, l’étable de son Seigneur... Salut Bethlehem, maison du pain, dans laquelle naquit ce pain qui est descendu du ciel.

[31] Même son de cloche dans Tertullien (Presc. c. les hérét., XL), où il est dit que le diable imite les sacrements de Dieu dans les mystères des idoles, — avec des exemples pris dans les pratiques du culte de Mithra, et en particulier l’oblation du pain.

[32] Le mythe relatif au solstice d’hiver, joue de la mort périodique du soleil immédiatement suivi de sa renaissance ou résurrection, de la reprise de sa marche ascendante, de sa sortie de la grotte ou caverne (le ventre de la Vierge, dans l’Apocalypse et le Selon-Matthieu) est vieux comme le monde. Le culte dyonisiaque en Phocide le consacrait par la simultanéité d’une cérémonie nocturne des Hosioï (Pieux) au tombeau du dieu dans le temple de Delphes, tandis que les femmes, à la même heure, sur les montagnes, éveillaient par leurs cris Dionysos nouveau-né, couché dans le van mystique (la crèche) qui lui sert de berceau. (Voir Plutarque : De Iside et Osiride, 35).

C’est à cette cérémonie que fait allusion le nom symbolique acadien du mois qui suit le solstice d’hiver, le mois de la caverne (ou de l’adyton) et du lever du soleil, itu abba uddu, — cérémonie dont le sens nous apparaît dans un récit de saint Epiphane racontant que, parmi les rites de la fête de la renaissance du jeune soleil, telle que la célébraient les Sarraceni, on voyait celui-ci entrant à minuit dans un sanctuaire souterrain, d’où un prêtre ressortait bientôt en criant : La Vierge a enfanté ; la lumière va commencer à croître.

Et toujours, au 25 décembre, la fête perse de Mithra, et la fête du réveil de Melgâarth, à Tyr (Flavius Josèphe, Ant. jud.).

Il importe d’observer enfin que le signe zodiacal qui correspond au mois de la naissance du soleil est le signe des Poissons, et que, dans les représentations des cylindres assyriens, ce signe est figuré par une Ægipan, à queue de poisson. Même quand l’égide du dieu est une peau de chèvre. les poils en sont souvent remplacés par des écailles de poissons. Du reste, le Capricorne, signe du Zodiaque, est mêlé à la crèche de Bethlehem, en raison de l’épisode des Mages, qui se mettent en marche, au dixième mois, celui du Capricorne, pour arriver au solstice d’hiver, sous les Poissons, auprès du Christ qui vient de naître.

Le scribe évangéliste, qui a rendu muet Zacharie, comme les Poissons, lequel ne parle plus que par signes, ne s’exprime lui-même qu’au moyen des Signes (du Zodiaque). C’est tout le mystère ; mais il fallait le percer à jour.