L'Énigme de Jésus-Christ

 

Tome premier

CHAPITRE PREMIER : Où est né le Christ ?

 

 

B. — NAZARETH

I. — La ville inconnue.

Inconnue de toute antiquité avant le Nouveau Testament, c’est la ville, d’après l’Évangile Selon-Luc (I, 26-31), qu’habitait Marie, vierge et fiancée à un homme nommé Joseph, quand Dieu lui envoya l’ange Gabriel pour lui annoncer qu’elle concevrait et enfanterait un fils à qui elle devrait donner le nom de Jésus[1]. C’est de Nazareth, d’après le même Évangile (II, 4-5), que partirent Joseph et Marie enceinte, qu’il recherchait en mariage, montant ensemble à la ville de David, nommée Bethlehem, parce qu’il était, lui Joseph, — Marie aussi d’ailleurs[2], — de la maison et de la famille de David, pour y être enregistrés tous les deux, lors du recensement de Quirinius. Pendant qu’ils étaient à Bethlehem, le jour où Marie devait accoucher arriva, et elle mit au monde son fils premier-né.

L’Évangile Selon-Matthieu, se bornant, sans autre détail, à dire que Jésus est né à Bethlehem de Judée, aux jours du roi Hérode, c’est-à-dire dix ans au moins avant la date du Selon-Luc ci-dessus, fait partir en Égypte Joseph, le petit enfant et sa mère ; et, Hérode mort, c’est à Nazareth en Galilée, dit-il, qu’au retour d’Égypte, la famille se retira et alla demeurer (Matth., II, 1, 14, 22-23). Le Selon-Luc, qui raconte la naissance à Bethlehem avec le luxe de détails que l’on peut y lire, ne fait retourner Joseph, l’enfant et Marie à Nazareth, leur ville, qu’après un voyage à Jérusalem et la présentation de l’enfant au Temple.

C’est de Nazareth que vient Jésus, d’après le Selon-Marc (I, 9) — le Selon-Matthieu dit, plus vague : de Galilée ; le Selon-Luc et le Selon-Jean ne précisent pas d’où, — pour être baptisé par Jean au Jourdain.

C’est dans Nazareth que Jésus vient prêcher un jour et, pour s’être déclaré le Messie, risque d’être tué par ses concitoyens qui veulent le précipiter du haut de la montagne sur laquelle leur ville était bâtie.

Il est bien difficile de douter, après cela, de l’existence de cette ville de Nazareth, sous ce nom, et quelque part en Galilée.

Et cependant !

Quant au nom, inconnu, et la ville aussi, nous le savons, avant les Évangiles, il ne semble pas qu’en faisant cette constatation si impressionnante du silence absolu de tous les écrits anciens sur Nazareth, — ceux du judaïsme comme ceux de l’hellénisme ou du monde latin, — les érudits qui ont construit l’histoire du christianisme en aient été autrement troublés. Si le fait ne réussit pas à émouvoir les érudits, il a de quoi surprendre les simples hommes qui réfléchissent.

Les livres de l’Ancien Testament ont de nombreux chapitres qui ne sont que des listes des villes de Palestine. On y sent un orgueil d’auteur à les nommer toutes, à en ajouter peut-être. Ce sont des catalogues innombrables. On ne sait plus, ou n’a jamais su où se trouvaient la plupart de ces villes, dont quelques-unes ne devaient être que d’infimes hameaux, Mais les noms restent. Pas de Nazareth. Voici l’historien Juif Flavius Josèphe. Il est le contemporain, à une génération près, la suivante, de Jésus-Christ. Il a été mêlé à tous les évènements de l’époque en Judée jusqu’à la prise de Jérusalem par Titus. Il a écrit deux gros volumes sur eux, sur leurs causes, sur leurs circonstances, sur les guerres, précisant les détails et donnant sur les personnages qui y sont mêlés les renseignements les plus vivants et les plus approfondis. Il a dressé, comme les livres bibliques, des nomenclatures serrées des villes de Palestine. Il ne connaît pas Nazareth. Dans ses œuvres, on trouve même sept ou huit lignes sur Jésus, d’ailleurs interpolées, mais que des érudits comme Renan, Réville et d’autres trouvent authentiques, dans leur ensemble. Flavius Josèphe fait de Jésus un homme sage, auteur d’actions extraordinaires (dont il ne dit pas un mot), qui était le Christ, il le déclare formellement. Et il ne nomme pas Nazareth, après la naissance, la vie, la mort, la résurrection miraculeuse du Christ. J’entends bien que son passage sur Jésus est un faux. C’est à ceux qui le trouvent authentique à nous expliquer pourquoi, dans ce cas, Nazareth est inconnue de Flavius Josèphe. Il me suffit, pour moi, — que Flavius Josèphe ait écrit sur le Christ ou non ; que l’on ait, comme cela saute aux yeux, sophistiqué son œuvre, ou non, — de constater qu’il ne nomme pas Nazareth. Et plus l’on soutiendra que l’œuvre de Flavius Josèphe n’a pas été sophistiquée, moins on rendra explicable son silence sur Nazareth.

En tout état de cause, cette ignorance de la Bible et de Flavius Josèphe sur Nazareth a de quoi rendre méfiants les esprits les moins prévenus, sinon sur l’existence d’une ville où est né le Christ, toute mystérieuse qu’elle soit, car il faut bien qu’il soit né quelque part, mais sur le nom qu’on lui donne et qui n’apparaît qu’avec les Évangiles.

Et alors, une question vient à l’esprit si naturellement, que l’on est surpris que les érudits ne l’aient pas posée. Il est impossible de ne pas la poser. La voici Nazareth ne serait-il pas, dans les Évangiles, un nom symbolique, un pseudonyme pour désigner la ville du Nazaréen, ainsi que l’on appelait le Christ ?

II. — Le témoignage de Matthieu.

Ouvrons les Écritures. Est-ce qu’elles ne nous donneront pas le mot, la clef de l’énigme ? Voici, par exemple, le Selon-Matthieu. Au chapitre II, verset 23, on lit (traductions ordinaires) : Joseph, au retour d’Égypte, se retira sur le territoire (mot bien vague) de la Galilée, et alla habiter dans une ville appelée Nazareth. Ainsi fut accompli ce qui avait été dit par les prophètes : Il (Joseph ou son fils ?) sera appelé Nazaréen. Ce passage du Selon-Matthieu est grave.

Contient-il une allégation fausse ?

Quels sont les prophètes, — un seul nous suffirait, — qui ont annoncé du Christ : Il sera appelé Nazaréen ?

M. Edmond Stapfer, docteur en théologie, dans sa traduction du Nouveau Testament, en note sous le verset du Selon-Matthieu, écrit : Ce passage ne se trouve pas dans l’Ancien Testament. Et l’Ancien Testament, c’est la Loi et les Prophètes.

Que font alors les critiques, pour qui les Évangiles sont ou divinement inspirés, ou des œuvres de bonne foi, afin de ne pas s’étonner de cette défaillance du Saint-Esprit ou de la conscience littéraire des scribes, et pour expliquer l’allégation du Selon-Matthieu ?

Ils vont chercher dans le livre du prophète Ésaïe, où l’on trouve tout, une phrase (chap. XI, vers. 1) : Il sortira un rejeton du tronc d’Isaï (Isaï ou Ishaï ou Jessé est le père de David et a habité la ville de Bethlehem de Judée) et un surgeon (ou rameau), — en hébreu : netzer, — naîtra de ses racines.

C’est ce texte d’Ésaïe que le Selon-Matthieu aurait traduit par le grec : Il sera appelé Nazaréen. Prétention audacieuse, comme on le voit, à laquelle on ne croit pas, mais qui a pour but d’équivoquer sur le mot netzer, et d’en tirer l’étymologie de Nazaréen.

La traduction, version synodale, des Évangiles, publiée sous les auspices de la Société biblique de France, après avoir signalé le texte d’Ésaïe, a la bonne foi d’ajouter, en commentaire au texte du Selon-Mathieu : « D’autres voient ici une allusion au mot Nazir[3].

Voilà la vérité, avouée, bien qu’elle coûte.

III. — Nazir = Nazaréen.

D’après la loi de Moïse, tous les premiers nés ou békôr de familles juives, humains et animaux, appartenaient à Iahveh, lui étaient voués, consacrés. Il n’y a qu’à lire l’Ancien Testament pour s’en convaincre[4].

Vieille tradition de la religion des Beni-Israël, qui fait du dieu Iahveh le frère de Moloch, dieu des Moabites et des Ammonites, à qui on sacrifiait aussi des enfants, et frère de Kémosch, à qui Mescha, roi de Moab, immola son fils aîné. Tradition au nom de laquelle Abraham et Jephté se résignèrent au sacrifice, le premier de son fils Isaac, le second de sa fille unique.

La loi de Moïse, pour adoucir ces mœurs hors nature, pour humaniser cette religion de sang, permit de racheter la vie des premiers-nés, par le sacrifice d’un agneau ou d’un chevreau (prix aussi du rachat d’un âne, d’ailleurs : Exode, XIII, 12, XXXIV, 20).

Pour les pauvres gens, — et l’on veut faire passer pour tels Joseph et Marie, — le chevreau ou l’agneau pouvait même être remplacé par deux pigeonneaux ou deux tourterelles (Lévitique, XII, 8), prix en nature que devaient payer de même, comme offrandes pour le délit et pour le péché, ceux qui niaient avoir entendu un serment ou avoir été témoins d’un fait, ceux qui touchaient aux choses souillées, etc. (Lévitique, V, 1-13).

Marie et Joseph, selon la loi de Moïse, portèrent leur enfant à Jérusalem, lorsque furent achevés les jours de leur purification, pour le présenter au Seigneur (ainsi qu’il est écrit dans la loi du Seigneur : Tout mâle premier-né sera consacré au Seigneur), et pour offrir le sacrifice prescrit dans la loi du Seigneur : une paire de tourterelles ou deux pigeonneaux.

Ainsi s’exprime l’Évangile Selon-Luc (II, 22-24) ; d’où il résulte que Jésus, fils premier-né ou békôr, fut consacré à Iahveh, comme lui appartenant, sa vie ayant été rachetée, conformément à la loi mosaïque[5].

Être consacré à Iahveh, comme premier-né, comme békôr, chez les Juifs mosaïstes, c’est être voué pour toute sa vie au naziréat, c’est être nazir, naziréen ou nazaréen, qui s’orthographie en hébreu N Z B. L’hébreu s’écrivait sans voyelles, comme l’arabe de nos jours. C’est pourquoi la vocalisation des mots sémitiques présente des variations. Les Arabes prononcent Ibrahim le nom du patriarche que nous appelons Abraham. Cadmus, l’antique Cadmus, déjà si ancien du temps de Sophocle, Cadmus, le Phénicien, inventeur de l’alphabet et de l’écriture phonétique, parlait du gosier. Anatole France a bien voulu nous en informer. Son émission de voix assourdissait les voyelles. Rien de surprenant que l’on confonde entre elles. Il faut reconnaître dans les syllabes chaldéennes Nebou-Koudou-Oussour le fameux roi Nabuchodonosor que d’autres prononcent Nébucatnetsar. Sans anomalie aucune, le mot N Z B en hébreu, dont la racine est bien Nazir, ainsi que le déclare Suidas, dans son Lexique historique, du Xe siècle, a pu donner nazaréen en français. Les Évangiles grecs eux-mêmes emploient indifféremment Nazôraios, avec un ô long, ou Nazarènos, avec un a. Le latin dit nazareus[6].

Parmi les obligations des Nazirs, les plus connues étaient le port d’une longue chevelure, l’observation des rites du jeûne, la virginité, l’abstinence des boissons fermentées[7].

Samson, héros solaire, était nazir ou nazaréen. Un ange de Iahveh annonce à sa mère qu’elle sera enceinte, qu’elle enfantera un fils, — tout comme l’ange Gabriel fait à Marie, mère de Jésus, et à Élisabeth, mère de Jean-Baptiste : Le rasoir ne passera point sur sa tête, dit-il, parce que l’enfant sera nazaréen de Iahveh dès le sein de sa mère... laquelle, rapportant l’annonciation à son mari, prend à son compte, ignorante qu’elle est, l’interdiction de manger rien de souillé, de boire du vin et de la cervoise, car l’enfant, — c’est le texte biblique qui répète, — sera nazaréen de Dieu dès le sein de sa mère jusqu’au jour de sa mort. Voir Juges, XIII, 5-14.

On sait ce qu’il advint à Samson pour avoir violé son naziréat en prenant une femme, une étrangère de Sçorek.

Samuel fut aussi nazir, bien que le mot manque dans la Bible, à son sujet (I Samuel, I, 11). Sa mère Anna fait le vœu, si l’Éternel lui donne un enfant mâle, de le vouer à Iahveh pour tous les jours de sa vie ; et aucun rasoir ne passera sur sa tête[8].

L’ange Gabriel, en annonçant à Zacharie que sa femme Élisabeth va avoir un fils, proclame qu’il sera grand devant le Seigneur ; il ne boira pas de vin ni de boisson fermentée ; il sera rempli du Saint-Esprit (variation chrétienne pour signifier : voué à Dieu) dès le sein de sa mère (Luc, I, 15). Nazaréen donc et aussi, Jean-Baptiste[9].

Les livres de l’Ancien Testament, les Évangiles dans le Nouveau, ne nous disent point que Samson, Samuel, Jean-Baptiste, bien que nazaréens, ou plutôt parce que tels, soient nés ou aient habité Nazareth.

Epiphane, dans le Contra hœreses, écrit : Il y eut des Nazaréens avant le Christ, — c’est l’évidence même. Mais, je le répète, les chrétiens étaient désignés par tout le monde sous le nom de Nazaréens. Jésus-Christ fut le Nazaréen par excellence[10].

Que conclure ? sinon, contrairement à l’allégation du Selon-Matthieu, que ce n’est pas pour être né ou avoir habité à Nazareth que l’on est en général, et Jésus-Christ tout particulièrement, Nazaréen.

Et alors, en sens inverse, Jésus-Christ n’a-t-il pas été dit de Nazareth, c’est-à-dire nazaréen, parce qu’il fut le Nazir, par excellence, voué à Dieu jusqu’à la mort, — bien plus, par sa mort même ?

IV. — Nazaréen, et non Nazaréthain.

Ici, une remarque d’ordre philologique.

Quand les traductions portent Jésus de Nazareth, que nous comprenons comme Jésus de la ville de Nazareth, il faut savoir que le texte grec dit : Nazôraios ou Nazarènos et le texte latin : Nazareus. Pour être exactes, sans risquer une équivoque, les traductions devraient porter : Jésus Nazaréen, et non Jésus de Nazareth. Les exemples abondent (Matt., XXVI, 71 ; Marc, 1, 23 ; XIV, 67 ; Luc, IV, 34 ; XXIX, 19 ; Jean, XVIII, 5, etc.). Et jusque sur l’écriteau de la croix (Jean, XIX, 19).

Que penserait-on si, parce que l’apôtre Paul, sous le nom de Saül, fut pharisien, ou avait traduit, au lieu de Saül Pharisien, Saül de Pharis ? Les exégètes sans doute prendraient Pharis pour une ville, que l’Église n’aurait pas manqué, un jour du ténébreux Moyen-Âge, d’identifier aussi avec quelque bourgade obscure. Je m’en voudrais de chercher, comme on dit, la petite bête. Mais, tout de même, quand j’ai plus de quinze siècles de préjugé contre moi, je puis bien ne pas négliger des arguments de linguistique qui ont leur poids.

Si Nazareth ou Nazaret il y a, avec la finale th ou t, comme nom de ville, en hébreu, en grec, en latin, en français, les adjectifs formés pour qualifier les habitants de cette ville ne peuvent être, ni pour le grec, ni pour le latin, ni pour le français tout au moins, qui seuls nous importent, Nazôraios ou Nazarènos, ni Nazareus, ni nazaréen. La chute du th ou du t final est inexplicable, contraire à toutes les règles savantes ou populaires de la phonétique et de l’étymologie.

Un habitant de Nazareth, en latin, serait dit, non pas même Nazarethus ou Nazaretheus, mais bien sûrement Nazarethanus, en français Nazarethain, — avec ou sans h[11].

La forme Nazôraios, Nazarènos, Nazareus, Nazaréen, prouve que les scribes ecclésiastiques connaissaient l’origine du mot, et savaient qu’il ne dérivait pas de Nazareth. Ils savaient que c’est Nazareth qui a été tiré de Nazir. Nazareth c’est bien, symboliquement, la ville du Nazaréen.

Les Évangiles confirment.

On a l’impression de leur part, quand on les lit attentivement, d’une espèce de pudeur, — qui ne leur est cependant guère habituelle, — dans la fraude, et qui fait qu’ils n’osent pas citer trop fréquemment ce faux nom de ville.

Toutes les fois que le récit présente des faits actuels, vécus, où le Christ agit, et qui attirent et forcent l’attention sur Nazareth, les textes ne la nomment pas. Ils disent : sa patrie, sa ville, son pays (Matt., XIII, 54 ; Marc, VI, 1, notamment). Nazareth n’est expressément citée, sous ce nom, que dans des circonstances vagues, presque extérieures à la vie active du Christ. Nazareth n’est qu’à Jésus, et pas au Christ. On dirait que le scribe hésite à accoler Nazareth, comme nom de ville, au Christ, quand il s’agit d’événements qui nous le représentent sur scène, pour ainsi dire, dans sa patrie.

Une exception, une seule, cependant, mais d’importance, comme si les scribes s’étaient fait un jeu de présenter les Evangiles sous l’aspect d’une devinette, où ils laissent de temps en temps passer un trait que doit saisir le lecteur pour découvrir toute la vérité[12]. Le Selon-Luc (IV, 16-30) cite expressément Nazareth, où Jésus avait été élevé, — Jésus, naturellement, — en y rattachant un épisode essentiel de la carrière du Christ, celui où ses concitoyens veulent le précipiter du haut de la montagne sur laquelle leur ville était bâtie.

Nous examinerons de près le récit du Selon-Luc, quand nous discuterons sur l’emplacement de la patrie, de la ville du Christ. Il suffit de noter en passant que l’auteur du Selon-Luc, sans conteste, bien qu’il la nomme Nazareth, n’ignorait pas non plus où se trouvait la ville du Christ, et, par suite, connaissait le nom vrai, qu’il ne donne pas.

V. — L’Apocalypse et Nazareth.

En relevant l’allégation du Selon-Matthieu : Il sera appelé Nazaréen, attribuée aux prophètes, et en interrogeant si elle ne serait pas fausse, puisque, de l’avis unanime, elle ne se trouve pas dans l’Ancien Testament, nous n’avons fait qu’obéir à une suggestion naturelle à laquelle nous autorisent les exégètes, bien que, trouvant le Saint-Esprit en défaut, ils n’osent pas le proclamer eux-mêmes. Mais n’est-ce pas un tort de suivre les exégètes sur leur terrain ? Les Écritures étant divinement inspirées, le Selon-Matthieu n’a pu mentir pour nous tromper ou se tromper lui-même aussi grossièrement. Le Selon-Matthieu vise des prophéties évidentes. Il faut donc que ce soient les exégètes qui fassent fausse route. C’est certain.

Les exégètes, en effet, dès qu’il est question de prophètes et de prophéties, dans les Évangiles, ne pensent qu’à l’Ancien Testament.

Ils oublient un détail. C’est qu’il y a, dans le Nouveau Testament, tout un livre qui n’est qu’une prophétie, d’ailleurs effroyable. C’est l’Apocalypse. Bien que l’Église l’ait rejetée tout à la fin du canon des Écritures, elle est antérieure aux Évangiles, et de beaucoup, même si on lui assigne la date 69 sous Néron, ou 92, sous Domitien, de l’ère chrétienne, comme font les érudits, et antérieure aux plus anciens livres chrétiens, y compris les Lettres de l’apôtre Paul, si, conformément à notre conviction, et comme nous l’avons déjà fait entrevoir, elle remonte aux environs de la quinzième année du règne de Tibère[13].

L’Apocalypse devrait ouvrir le Nouveau Testament, dont elle est le prologue, et qui en est sorti. Les critiques qui la placent à la fin témoignent de la même finesse psychologique que ceux qui, classant en un recueil chronologique les documents de la Grande Guerre, commenceraient par le Traité de Versailles et concluraient par les pièces diplomatiques antérieures à août 1914[14].

Or, dans l’Apocalypse, — Heureux celui qui lit et ceux qui entendent la parole de cette prophétie (le mot y est), et qui observent ce qui s’y trouve écrit ! (I, 3) — au chapitre III, aux versets 12 et 13, la Révélation (les prophètes, comme dit le Selon-Matthieu) proclame ceci, en faveur des élus du Royaume de Dieu : Celui qui vaincra... j’écrirai sur lui le nom de mon Dieu, et le nom de la cité de mon Dieu, de la nouvelle Jérusalem (Nazareth), qui descend du ciel, d’auprès de mon Dieu, ainsi que mon nouveau nom (Jésus, Nazareus, comme sur la croix. L’ange Gabriel avait lu l’Apocalypse). Que celui qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux Églises !

L’auteur du Selon-Matthieu avait des oreilles. Il a entendu, et compris. Nous aussi. Il a donné à la patrie du Nazaréen, son nom nouveau : Nazareth. Il n’a pas commis de faux : faisons lui amende honorable. Il sourit de sa malice. Et il pense que c’est pour les exégètes et critiques de toutes robes qu’il est écrit : Ils ont des yeux et ne voient point, des oreilles et n’entendent point.

L’on comprend maintenant pourquoi les anciens écrits judaïques et autres ne mentionnent pas Nazareth. La ville natale du Christ portait un autre nom[15].

VI. — L’emplacement.

Dissimulée sous un nom symbolique, la patrie du Christ Jésus avait-elle du moins la position géographique qu’on lui a assignée au VIIIe siècle ? N’en croyez rien.

Que cette position, comme le nom, soit inconnue jusqu’à Jésus-Christ, même en ne doutant pas, contre l’évidence, de la réalité du nom, on peut l’admettre. Mais après Jésus-Christ ? Mais après les Évangiles ?

Étrange chose ! Le fils de Dieu naît ou habite dans une ville de Galilée, en pleine civilisation antique. Le pays a un roi, Hérode, sous le protectorat de Rome qui y fait résider un proconsul, un procurateur ; des légions y tiennent garnison. Le monde entier assiste à des prodiges tels que Nazareth, au lieu d’entrer dans l’histoire et la géographie par la porte basse des Évangiles, aurait dû y pénétrer comme par une effraction dont le retentissement secouerait tous les récits des écrivains du temps. Et personne ne s’est préoccupé de nous fixer sur la situation ni sur le nom de la ville, désormais célèbre, du héros des Écritures ?

Les Évangiles dits canoniques effacent, on le sent, à peu près tout ce qui pourrait mettre sur la trace de la vérité. Muets aussi les Évangiles dits apocryphes, ceux de l’Enfance en particulier, où l’on raconte sur Jésus, qui a été élevé à Nazareth, tant de détails puérils et ridicules ?

On se rend compte aisément du besoin qui les a fait naître, dit M. Gaston Boissier des Évangiles apocryphes (Origines de la poésie chrétienne, p. 7). Les Évangiles canoniques, qui ne s’occupent que de l’apostolat du Christ (affirmation conventionnelle), et sont si sobres de renseignements sur sa famille et son enfance, ne parvenaient pas à contenter l’ardente curiosité des nouveaux chrétiens... Les Évangiles apocryphes... ou y raconte avec des détails infinis la vie de ses parents, les épisodes merveilleux de sa naissance, ses premières années et la fuite en Égypte... Saint Joseph leur doit beaucoup. Un évangile entier est consacré à raconter sa vie...

Comment se fait-il que dans tout ce fatras, destiné à contenter l’ardente curiosité, très naturelle au surplus, des nouveaux chrétiens, on ne trouve rien sur Nazareth, sur son emplacement en Galilée, ce qui aurait permis aux pèlerins naïfs de ne pas attendre le Moyen Âge pour aller contempler l’atelier de saint Joseph, comme dit M. Charles Guignebert, et la chambre (dont on fait une grotte à Nazareth, comme à Bethlehem) où eut lieu le mystère de l’Incarnation ? Dans les Épîtres apostoliques, rien non plus. Dans les auteurs profanes, silence général. Chez les apologistes et polémistes chrétiens, — faisant du Christianisme, a dit Renan, une longue controverse, — pas un mot, pas une description pour situer cette Nazareth qui n’est nulle part. Les siècles s’écoulent. Origène, Tertullien, saint Augustin, Lactance emplissent le monde du nom de Nazareth. L’empereur Julien écrit pour dénoncer la fourberie purement humaine des Évangiles. Nazareth est et reste perdue. Nul n’a su jamais, nul n’a dit, personne ne sait plus où elle est ? En vérité ! Si bien qu’au Moyen Âge, au VIIIe-IXe siècle, l’Église se demande tout à coup où peut bien se trouver la ville de son dieu, qu’elle a laissée s’égarer. Elle cherche, et, dans sa détresse, après des explorations dont on voudrait bien connaître le détail, les éléments et les bases, elle choisit, — tout près de la Bethlehem de Galilée (Josué, XX, 15) et peut-être pour créer une confusion de plus avec la Bethlehem de Juda, patrie d’Isaï, père de David[16], — à vingt-cinq lieux au nord de Jérusalem et à huit 01, neuf heures de marche du lac de Tibériade, au sud de Capernaüm, un site, dans la tribu de Zabulon, où elle fait bâtir et aménager tout ce qu’il lui plaît. Nazareth est fondée. Qui donc, au VIIIe siècle, au IXe même, dans un monde qui sort de l’agonie des invasions barbares, tout secoué par les guerres, retombé à l’enfance, qui, je le demande, pouvait contrôler les faits et gestes de l’Église ?

A-t-elle pensé aux difficultés qu’elle léguait à l’histoire ? Et, si elle s’en est inquiétée, n’a-t-elle pas cru que l’histoire ne viendrait jamais pour elle, qu’elle ne parlerait pas, qu’elle n’oserait ? Les exégètes, y compris des hommes comme Ernest Renan, comme les professeurs assis dans les chaires officielles et laïques, lui ont donné raison, en lui faisant confiance.

Mais cette confiance, l’Histoire la lui doit-elle ?

VII. — Documents tardifs.

Dans le Dictionnaire de la Bible de F. Vigouroux, prêtre de Saint-Sulpice, à l’article Nazareth, très orthodoxe, sous la signature A. Legendre, où l’en sent le désir d’authentiquer Nazareth le plus haut qu’on puisse remonter, on ne peut rien offrir, avant 808, qui prouve que la patrie du Christ fut sur l’emplacement qu’on lui donne aujourd’hui. En 808, un document (Commemoratorium de Casis Dei) dit qu’à un mille de Nazareth, où les Juifs voulurent précipiter le Christ Seigneur, est construit un monastère avec église en l’honneur de huit moines. L’Église aujourd’hui place le mont de la Précipitation à quarante minutes au sud, ce qui fait une distance de plus d’un mille, sur un rocher à pic qui surplombe un ravin. Désaccord avec le document le plus ancien.

Ce n’est qu’au XVIe siècle qu’apparaissent des documents détaillés : Greffin Agaffart : Relation de terre sainte ; et, au XVIIe, Quœresmius : Elucidatio terme sanctœ.

Dans les œuvres de saint Jérôme, on a placé une œuvre qui n’est pas de lui Liber nominum locorum ex Actis (Livre des noms de localités, etc.), qui dit qu’il y a deux églises dans ce bourg (de Nazareth), ce qui ne donne aucune indication sur son emplacement, à supposer l’œuvre du IIIe siècle, ce qui n’est pas vraisemblable.

Je pense que les travaux de construction de Nazareth datent partout de l’époque des Croisades.

Épiphane (Adv. hœr., t. XLI, col. 216. Patrologie) parle bien d’un Joseph de Tibériade qui demanda à Constantin l’autorisation de construire des églises où personne ne l’avait pu, dans les villages juifs : Tibériade, Diocésarée, Nazareth, Sepphoris, Kaphernaüm, où les Juifs veillent avec soin à ce que qui que ce soit d’un autre peuple n’habite avec eux, et qui en construisit à Diocésarée... et autres villes.

A supposer que ce texte soit authentique et relate un fait vrai, — ou peut en douter par la phrase entre guillemets qui affirme une chose invraisemblable et fausse, — ne voit-on pas que la liste même des villes qu’il cite nous oriente invinciblement vers le lac de Génézareth ?

Il en est de même d’un texte d’Asculfe qui dit que Nazareth est, comme Kaphernaüm, sans murs d’enceinte. C’est encore le lac de Génézareth qui est évoqué, — et peut-être aussi la vraie ville natale du Christ, sous son nom symbolique, laquelle, nous le verrons, forteresse naturelle, n’avait pas besoin en effet de murs d’enceinte.

VIII. — Vers les confins de la Galilée.

En construisant une Nazareth à l’emplacement où elle se trouve, — en turc En-Nasirah, traduction de Nazareth, avec sa vraie racine Nazir[17], — l’Église n’a même pas songé à ce que peuvent laisser passer de vérité historique et géographique les Evangiles, pour qui les lit d’une façon suivie et d’un esprit réfléchi.

Voici le Selon-Matthieu tout d’abord. Le passage (II, 22) que nous avons signalé sur l’origine de l’épithète nazaréen donne quelques indications précieuses, dont les traducteurs affaiblissent d’ailleurs singulièrement la portée. Le texte grec mérite d’être analysé de près. Le verbe français se retirer n’a pas la force du verbe grec traduit, qui implique l’idée de retraite à l’écart. D’autre part, le substantif grec que l’on interprète par territoire, province (de Galilée), n’a pas cette étendue vague ; il signifie restrictivement : les parties de la Galilée. Une traduction peu littérale, pour restituer au texte grec toute sa valeur, serait celle-ci : Joseph se retira, comme en une retraite, et alla habiter les confins perdus de la Galilée.

Où a-t-on identifié, selon l’euphémisme de M. Charles Guiguebert, la ville de Nazareth, au VIIIe siècle, peut-être au IXe ? Dans les hauteurs qui ferment au nord la plaine d’Esdrelon, soit au centre de la Galilée, comme est, par exemple, Aurillac en France.

Il n’est pas impossible de deviner comment, voulant substituer à la ville natale du Christ une ville sur un emplacement nouveau, le nom étant déjà substitué, l’Église a choisi l’emplacement actuel.

A. Neubauer[18], nous apprend que le Talmud nomme une ville Seriyéh, qu’il accole à celui de Bethlehem de Galilée, pour dire : Bethlehem-ès Seriyéh. Seriyéh, explique alors Neubauer, qui veut prouver que Nazareth dérive de Seriyéh, serait mis pour N’Seriyeh, l’N ou nun initial ayant été omis par un copiste. A moins qu’on n’invente cette oinission d’un N pour aboutir à N’Seriyeh et à Nazareth. Ce qui est plus vraisemblable.

Or, justement, la Nazareth actuelle est toute voisine de la Bethlehem galiléenne. Le nom de N’Seriyeh a guidé et déterminé le choix du site de la Nazareth actuelle.

Et il faut remarquer, à l’inverse, que le turc En-Nasirah s’écrit avec un S ou sad arabe qui, lui, correspond au tsadé hébreu.

L’identification ecclésiastique de Nazareth au VIIIe, Xe siècle a consisté à faire de l’humble bourgade de N’Seriyeh, la Nazareth, patrie de Jésus, dont personne ne pouvait ou ne voulait plus dire la situation vraie. Le nom de la ville de Bethlehem, voisine, quoique galiléenne et non de Juda, ne pouvait être un obstacle, au contraire. Seriyeh, évidemment, a disparu.

A toutes les combinaisons équivoques, faussant la géographie, s’oppose d’abord, en attendant le Selon-Luc, le texte du Selon-Matthieu. Il place la résidence de Joseph dans les parties de la Galilée qui confinent à ses frontières, vers le désert, c’est-à-dire en Galilée transjordanienne, et, pour tout dire, derrière le lac de Génézareth. Le Selon-Matthieu sait que les parties de territoire dont il parle ne sont pas la Galilée à l’époque du Christ. Elles n’y ont été incorporées qu’après Vespasien et Titus.

IX. — Le Gê-nazareth.

Le lac de Génézareth ne s’appelle ainsi que dans les Évangiles et les Écritures chrétiennes. Son nom historique, son nom juif, c’est : lac de Kinnéreth[19]. Les Romains, les Hérodes plutôt, pour faire honneur à Tibère, l’ont dénommé lac ou mer de Tibériade, à cause de la ville de Tibérias qu’ils ont édifiée sur ses bords. Pourquoi le christianisme a-t-il baptisé ce lac, lac de Génézareth, sinon parce que Nazareth se trouvait à portée de ses rives ?

Que signifie, en effet, Génézareth ? Terre de Nazareth, terre nazaréenne. Ne pas oublier que les scribes écrivent en langue grecque : , terre. Le lac de Génézareth, c’est le lac qui baigne la terre nazaréenne, parce que la patrie du Nazaréen, tout auprès, en est une ville importante, — qui sait ? la capitale. Si les exégètes avaient la saine vue intellectuelle du commun des hommes, au lieu d’admettre une Nazareth, dont le nom est en dehors de l’histoire, dont la situation, perdue pendant huit siècles par l’Église intéressée, a été ensuite fixée par elle arbitrairement à Seriyeh, rien que cette dénomination si expressive : lac de Génézareth, devait les conduire, pour retrouver la ville du Nazaréen, sur les bords de ce lac de Kinnéreth, que les Évangiles n’ont appelé de Génézareth, que parce que la ville du Nazir était près de ses rives, comme le lac Léman s’appelle aussi lac de Genève, parce que cette ville est baignée par le lac.

A ces conclusions, des critiques opposent[20] que le nom de Génézareth se rencontre dans le premier livre des Macchabées (XI, 67), comme implicitement contenu dans le mot Gennésar, désignant sans contredit, le lac et les territoires de Génézareth. Et je me demande pourquoi on n’y a pas ajouté Flavius Josèphe, chez qui Gennésar abonde : Guerres contre les Romains, liv. III, X, 8, et Antiquités judaïques, V, 1, 22 ; VI, 22 ; XIII, 2, 1 ; 2, 3 ; 5, 7 ?

J’admets que Gennésar, dans les Macchabées et Flavius Josèphe, désigne le lac de Génézareth. Il en résulterait que s’il y a un rapport entre Génézareth, lac et région, et Nazareth, ville, il date au moins du temps des Macchabées. Si Génézareth n’est pas le lac de la terre de Nazareth, et dérive de Gennésar, d’où provient donc Gennésar, que l’on rencontre, au lieu de Kinnéreth, dans les Macchabées et Flavius Josèphe ? Les critiques et érudits répondent : Gennésar est une forme dérivée de Ganeser, qui signifie jardin des Dix, et l’on ajoute, au petit bonheur — des dix... villes constituant la colonie de la Décapole. Allégation fantaisiste et anachronique. Il n’y a pas de Décapole, au temps des Macchabées. La Décapole n’apparaît que lorsque Rome, après Pompée, quelque 80 à 100 ans plus tard que les Macchabées, sont intervenus dans les affaires judaïques. Conquêtes et colonies romaines, les Dix villes, la Décapole, sont contemporaines de la Louve, la Bête aux sept têtes sur ses sept collines à Rome, poussant dix cornes en Palestine. Gennésar, Ganeser, au temps des Macchabées, n’explique Génézareth qu’en donnant force rétroactive aux inventions messianistes datant an plus tôt du temps d’Auguste et de Tibère[21].

On en est d’autant plus sûr que, dans Origène, donné comme du IIe siècle après Jésus-Christ, on peut lire l’aveu de lui (In Matth., XI, 6) qu’il ne connaît pas la signification de Génézareth et ne peut fonder d’allégorie sur le mot. Il ne veut pas révéler que Génézareth vient de Nazareth, ce qu’il sait fort bien. Et il ignore encore que Génézareth vient de Gennésar, car s’il le savait, s’il avait trouvé Gennésar dans Flavius Josèphe qui existe, encore intact, on veut le croire, de son temps, et dans les Macchabées, que l’on est en train sans doute de fabriquer, il n’aurait pas manqué de s’en expliquer par allégorie. Saint Jérôme (In Matth., XIV, 34) est tout aussi ignorant : il reproduit les paroles d’Origène et les fait siennes. C’est un compère et un complice.

Ce qui corrobore ces conclusions, c’est que, dans Origène déjà cité (De nominis hebraïcis), on trouve Geneser — il n’ignorait donc pas le terme, — traduit par (h)ortus principum, jardin des princes, comme si le nom était — Gan-sârim. Et c’est aussi ce qui permet de suivre l’évolution de la fraude, et de découvrir comment de Gansârim, dont on garde le sens, on a glissé à Gan-éser puis Gen-esar, dans Origène, sans même changer la traduction, et à peu près de Génézareth où l’on aboutit. Et aujourd’hui le jardin des princes devient le Jardin des Dix. Dans le Talmud, un midrash (Bereschit rabba, ch. XCVIII) donne Gân-sârim, jardin des princes, pour désigner cette contrée de Nephtali qui avoisinait le lac de Kinnéreth. Il n’y a jamais eu de Gennesar qu’avec le christianisme[22]. Rien de plus clair ni de plus certain. Je ne puis m’empêcher de penser que si Genève avait disparu des bords de son lac, les exégètes la retrouveraient, vraisemblablement dans les rues de Grenoble. Comme Génézareth, Genosar, Gan’eser, est-ce qu’on n’aboutit pas à Genève par Grenoble, — linguistiquement ? Grenoble, Genoble, Genobe, Genove, Genève. C’est très simple, et tout aussi scientifique que les déductions sur Gan-eser.

Mais poursuivons notre recherche.

X. — Les prédications du lac.

Les récits évangéliques qui forment l’ensemble du Ministère en Galilée, et où prennent place ce qu’Ernest Renan, appelle les prédications du lac, supposent d’ailleurs Nazareth sur les bords du lac. Ils sont incohérents et incompréhensibles avec l’actuelle Nazareth. Si l’Église, en quête de cette ville disparue, si les exégètes l’avaient cherchée dans les Écritures, ils l’auraient trouvée : Qui cherche, trouve, est un proverbe éminemment évangélique[23].

Dans le désordre voulu qui a présidé à la composition des Évangiles, du moins les prédications du lac constituent-elles un bloc vivant, compact et qui se tient. La vérité est là ; on la touche : Lac de Génézareth, Capernaüm, Bethsaïda, Nazareth, toute la géographie des Évangiles tourne autour du lac. Personnages de la famille, disciples, tous sont réunis sur ce théâtre : le Christ, Marie, sa mère, — Joseph a disparu, — ses frères et ses sœurs, et cette mystérieuse mère des fils de cet étrange Zébédée, grande ombre émouvante, trop émouvante, pour n’être pas, puisqu’on l’évoque, celle même de Joseph, sous un surnom horoscopique[24], et dont les fils, à y regarder de près, ne peuvent pas ne pas se confondre avec les frères du Christ. La terre du Nazaréen, la Gê-Nazareth, c’est bien celle qui baigne le lac, et nulle autre ; et sa famille, autour du berceau de ce lac, peuple toutes les villes et bourgades qui en sertissent les rives.

Les scribes ont fait des efforts surhumains pour trancher le nœud géographique qui, à tout instant, quand il s’agit de la patrie du Christ, nous lie, nous attache, nous rive au littoral du lac de Génézareth ; il est trop solide pour qu’ils l’aient pu. Ils l’ont desserré tout au plus ; mais il tient encore. Nous allons le renouer, Évangiles en mains.

Le Selon-Matthieu (XIII, 54) nous fait voir Jésus-Christ dans sa ville. Il n’ose pas employer le faux nom de Nazareth. Le Selon-Marc (VI, 1) non plus. Mais la suite du récit ne laisse aucun doute. Nous sommes bien à Nazareth. Le chapitre XIII de Matthieu se termine par la phrase suivante qui le prouve : Il ne fit pas beaucoup de miracles, à cause de l’incrédulité de ses compatriotes. Laissant Jésus à Nazareth, le chapitre XIV, dans ses douze premiers versets, insère l’épisode de la décollation de Baptiste ; puis, Jésus ayant appris ces choses (l’épisode qui précède), partit de , de Nazareth évidemment où le Selon-Matthieu l’a laissé pour raconter la mort de Jean-Baptiste ; Jésus n’a pas bougé. L’épisode de Jean-Baptiste pourrait s’intercaler tout aussi bien autre part. En le faisant sauter, la continuité du récit touchant Jésus n’y perd rien, au contraire. Jésus part donc de là, de Nazareth. A pied ? Non. Dans une barque, dit le Selon-Matthieu (XIV, 13).

Avec la Nazareth actuelle, comment en partir dans une barque ? Donc, Nazareth touche le lac de près.

XI. — Nazareth sur les bords du lac.

Est-il impossible de préciser sur quelle rive, orientale ou occidentale, se trouvait la ville ?

Dans les récits parallèles du Selon-Marc, moins clairs que le Selon-Matthieu, parce qu’ils mêlent divers incidents qui compliquent les choses, on aboutit (VI, 32), avec les disciples en plus, à la situation du Selon-Matthieu : Jésus partant dans une barque, pour se retirer à l’écart dans un lieu désert. Les deux Évangiles s’expriment identiquement de même. Ils se raccordent. Ce lieu désert n’est donc pas loin de Nazareth, car la foule a suivi la barque, qui a donc vogué en longeant la rive. Jésus accoste au rivage, prend terre, et nous assistons à la Multiplication des pains. Les deux Évangiles sont d’accord toujours.

Aussitôt après, continue le Selon-Marc (VI, 45-46), Jésus obligea ses disciples à entrer dans la barque et à passer avant lui sur l’autre rive, vers Bethsaïda...

Il y a deux Bethsaïda sur l’autre rive du lac de Génézareth : l’une, au nord-ouest, Bethsaïda Julias ; l’autre, à l’ouest, Bethsaïda de Galilée, où habite la mère des fils de Zébédée. C’est celle-ci que vise Jésus, certainement. Mais qu’on choisisse celle qu’on voudra des deux. Elles sont sur l’autre rive, la rive occidentale. Jésus se trouve donc sur la rive orientale, qu’il a remontée vers le nord depuis Nazareth au sud.

Le Selon-Jean (VI, 1), avant la multiplication des pains, récit parallèle à ceux des autres Évangiles, y compris le Selon-Luc (VIII et IX), et qui mérite d’autant plus de crédit que d’ordinaire cet Évangile s’écarte du tout au tout des trois autres, assez semblables, et dits synoptiques pour cette raison ; de vrai, ils ont été synoptisés, le Selon-Jean fait venir Jésus de Capernaüm pour accomplir le miracle de la Multiplication des pains, de l’autre côté de la mer de Galilée ou de Tibériade. Et c’est de cet autre côté, opposé à Capernaüm, qu’il le fait partir, le soir venu, pour rentrer à Capernaüm, sur l’autre rive.

Autrement dit, le Selon-Jean fait traverser le lac à Jésus, une première fois pour se rendre de Capernaüm (rive occidentale, car Capernaüm touche Bethsaïda de Galilée) au lieu de la Multiplication des pains sur la rive orientale, puis, une deuxième fois, le miracle fait, et le soir venu, de la rive orientale à Capernaüm. Ainsi la patrie du Nazaréen sort des ténèbres sur la rive orientale du lac de Génézareth, quelque part vers la région sud de cette rive. Nous approchons. Nous allons arriver.

XII. — Sur la montagne.

Le Selon-Luc, parlant de Jésus de Nazareth, — il nomme la ville, contrairement à Matthieu et Marc, — nous le montre discourant dans la synagogue, se prétendant le Messie, et soulevant une telle colère que ses concitoyens, — ici, il faut citer textuellement, — l’entraînèrent hors de la ville et le menèrent jusqu’au sommet de la montagne sur laquelle leur ville était bâtie, pour le jeter en bas (IV, 29-30). Détail topographique important au plus haut point.

La patrie du Christ était bâtie sur une montagne. Une ville située sur une montagne, dit Jésus pensant à la sienne (Matth., V, 14), ne peut-être cachée. Nazareth, celle de l’Église, est-elle sur une montagne ?

Elle s’étend au bas de la pente douce d’une colline, au sud-ouest d’un vaste cirque, environné de hauteurs, — 400 à 500 mètres au-dessus du niveau de la mer, — aux croupes mollement arrondies.

Renan, qui l’a vue, la décrit dans un pli de terrain, dont l’horizon est étroit. Il prétend que les Nazaréens voulurent tuer Jésus en le précipitant d’un sommet escarpé. N’en ayant pas trouvé, il va chercher le rocher à pic qui est très près de Nazareth, au-dessus de l’église actuelle des Maronites, rejetant le prétendu mont de la Précipitation qui est à une heure de Nazareth.

Le mont de la Précipitation est la trouvaille ecclésiastique pour rendre plausible l’épisode du Selon-Luc avec l’ex-Seriyeh, la Nazareth actuelle. Renan, ayant rompu avec l’Église, conteste le mont de la Précipitation qui ne vaut pas grand’chose, et le remplace par le rocher à pic des Maronites, qui ne vaut rien du tout, devant la précision du texte évangélique. Le Selon-Luc, dans un raccourci saisissant, dessine une ville bâtie sur une montagne abrupte, pas très loin du sommet, découvrant un large horizon. La montagne a des parois à pic, pour qu’on puisse précipiter quelqu’un avec quelque chance qu’il ne roule pas sur une pente où il puisse s’agripper, mais tombe de haut dans le vide, pour aller s’écraser sur le roc en bas.

La phrase concise du Selon-Luc suppose aussi une scène dramatique, manifestation de foule fanatique, poussant Jésus devant elle, jusqu’au sommet, assez large pour que la multitude y trouve place, s’y agite en fureur, comme une vague qui déferle. Le rocher de Renan, le mont de la Précipitation permettent peut-être une exécution par un bourreau, mais non point une sorte d’émeute populaire, spontanée, comme l’indique le Selon-Luc.

La Nazareth de l’Église, si loin du lac de Génézareth, ce qui suffit déjà à la nier comme patrie de Jésus, n’est pas non plus dans le cadre topographique et scénique du récit du Selon-Luc.

XIII. — La montagne de Gamala.

Mais dans le voisinage immédiat du lac de Génézareth, au sud-est, au point où l’examen des allées et venues de Jésus pendant les prédications du lac nous a fait aborder, est-ce qu’il n’y avait pas une ville dont le Selon-Luc donne le signalement en raccourci, une ville célèbre alors, que les Évangiles ne nomment jamais, et pour cause, car, même si elle n’était pas la patrie du Christ, il est impossible qu’ils ne l’aient pas connue, puisqu’ils mentionnent Capernaüm, Bethsaïda, Gadara, Tibériade, bien moins illustres ?

Flavius Josèphe, dans son ouvrage : Guerres des Juifs (liv. IV, ch. 11, 286), parlant de Gamala, aux confins de la Galilée, au sud-est du lac, la décrit ainsi : Gamala... est bâtie sur une hauteur qui se dresse du milieu d’une montagne élevée, ce qui lui a fait donner son nom qui signifie chameau. (Les vêtements en poils de chameau ne seraient-ils que du tissu de Gamala ?) Sa face et ses côtés sont remparés par des vallées inaccessibles... La pente est couverte d’un grand nombre de maisons. Et en regardant du côté du midi cette ville, bâtie comme sur un précipice, il semblait qu’elle fût toute prête à tomber. Il se dresse de ce même côté un sommet extrêmement élevé ; la vallée qui le flanque est si profonde qu’elle servait de citadelle...

Que vous en semble ? Cette pente couverte de maisons formant la ville, et ce sommet extrêmement élevé qui se dresse du même côté, le tout, coupé à pic ! Comme Flavius Josèphe illustre le Selon-Luc !

Gamala ! Telle est bien la patrie du Nazaréen. Et c’est pourquoi les scribes ne la nomment jamais. La montagne de Gamala, telle est la montagne du Selon-Luc, telle est la montagne de tous les Évangiles, qui n’en font que parler, sans la nommer jamais, tant elle est connue[25].

La montagne de Gamala !

Mais c’est là qu’après, avoir appelé ses premiers disciples, le long de la mer de Galilée, Jésus (Matth., V-VIII) prononce son fameux discours sur la montagne, avant d’entrer à Capernaüm. La montagne ? Inutile de préciser : les initiés ont compris.

C’est sur la montagne, — la même, — que Jésus monte pour la seconde Multiplication des pains (Matth., XV, 29) au retour de sa randonnée sur Tyr et Sidon ; c’est au pied de la montagne qu’il avait accompli la première, au bord du lac, on l’a vu.

Quand les Évangiles font apparaître une autre montagne, par exemple, lors de la scène de la Transfiguration, ce n’est plus la montagne, c’est une haute montagne, où l’on n’est pas, où il faut se rendre ; et on met du temps pour y aller : six jours dans Matthieu et Marc, huit dans Luc. C’est aussi sur une très haute montagne que le Diable transporte Jésus pour lui montrer tous les royaumes de la terre et le tenter en les lui offrant.

La montagne de Gamala ? On n’y va jamais. On y est toujours ; on y est chez soi. Lisez donc les Évangiles[26].

C’est enfin sur la montagne, — celle de Gamala, — que Jésus réapparaît aux disciples pour la dernière fois, après sa résurrection. Le Selon-Matthieu (XXVIII, 16) a même une façon très suggestive de raconter cette rencontre. Les Onze, dit-il, le rencontrèrent sur la montagne qu’il leur avait désignée. Or, Jésus ne leur a pas désigné de montagne. C’est au verset 10 du chapitre XXVIII qu’a été donné aux disciples ce rendez-vous suprême. Et pas directement par Jésus, qui fait faire la commission par Marie-Magdaléenne et l’autre Marie : Allez dire à mes frères, leur ordonne-t-il, de se rendre en Galilée. C’est là qu’ils me verront.

En Galilée, et c’est tout. Pas de montagne dans les paroles de Jésus. C’est grand la Galilée, et bien vague pour un rendez-vous, si l’on ne veut pas se manquer, même en un temps où Gamala n’est pas dans la Galilée ; le scribe l’oublie, car il écrit au IIIe siècle. Mais la Galilée, pour le Selon-Matthieu, Marie-Magdaléenne, l’autre Marie, ainsi que pour les disciples, — mes frères, dit Jésus, — c’est encore, en 789 = 36, après la crucifixion, — la montagne ; c’est Gamala. Ils ont si bien compris qu’ils se trouvent tous au rendez-vous.

C’est pourquoi, au fond, en substance, le Selon-Matthieu a raison, quand il dit : la montagne que Jésus avait désignée, alors que Jésus n’a parlé que de la Galilée, puisque tous, conviés en Galilée, vont sur la montagne. Il a raison, comme pour l’étymologie de Nazareth, tirée de la prophétie de l’Apocalypse. C’est un auteur renseigné qu’il faut savoir lire.

L’épisode a même quelque chose de particulièrement savoureux, de délicieusement attendrissant. Ce rendez-vous du Christ-Jésus, prêt à disparaître à jamais, à ses frères qui ne le reverront plus, et qu’il leur donne au berceau de la famille, sur la montagne, à Gamala, comme il est touchant, tant il est humain, pour une fois !

XIV. — Le Nazaréen sujet de César.

Dans le Contra Julianum, que saint Cyrille d’Alexandrie écrivit, dit-on, pour réfuter des ouvrages perdus de l’empereur Julien sur l’homme de Palestine dont les chrétiens font un Dieu, fils de Dieu (Libanius, Epitaph. Juliani), on lit cette phrase, parmi les morceaux qu’a retenus saint Cyrille sans les sophistiquer : L’homme qui fut crucifié par Ponce Pilate était sujet de César, nous le prouverons.

Bien entendu, la réfutation a fait disparaître le passage où était la preuve, et n’en parle plus. Cyrille a oublié de transcrire la preuve, — à dessein. D’où il résulte que Julien a dit vrai[27].

Or, avec la Nazareth actuelle, le Christ eût été sujet d’Hérode Antipas, tétrarque de Galilée, comme tous les Juifs habitant la région. Les Juifs de Gamala, de Gaulanitide, Bathanée, Trachonitide, après 787 = 34, date de la mort du tétrarque Philippe, sujets de Philippe jusqu’à cette date, devinrent alors sujets de Rome, — la Crucifixion est de 788-789, — quand les États de ce prince furent réunis à la Syrie par Tibère et passèrent sous l’autorité du proconsul Vitellius, avec Ponce Pilate comme procurateur pour la Judée et la Samarie.

Sujets de Rome, et soumis au cens vis-à-vis de Vitellius pour la Gaulanitide, les Juifs de Gamala dépendaient de Ponce Pilate, au point de vue général, pour les délits ou crimes qu’ils commettaient sur le territoire dont il était le procurateur.

XV. — Nazareth = Gamala.

Il n’y a pas de doute. Rejetée Nazareth, ville inconnue de la géographie et de l’histoire avant le VIIIe ou IXe siècle de notre ère, époque à laquelle elle a été créée de toutes pièces dans un site qui est inconciliable avec les récits évangéliques eux-mêmes, c’est à Gamala que tout nous ramène, comme patrie de celui qui fut le Crucifié de Ponce Pilate. Et rien qu’à Gamala, patrie de Juda le Gaulonite, plus tard le Galiléen, — le Juda de Gamala qui fut le chef de la révolte juive à l’époque du recensement de Quirinius, 760 de Rome, an 7 de l’ère chrétienne. Eusèbe (H. E., I, VII), citant Jules Africain, à propos des généalogies du Christ, raconte qu’Hérode, choqué par sa naissance obscure, fit brûler le Livre des Jours, registre de l’état-civil, afin que les familles nobles des Juifs ne puissent plus se vanter de leurs origines et de leurs ancêtres. Fait inventé, vraisemblablement, pour cacher que la disparition des archives juives est due aux incendies provoqués par les troubles, séditions, pillages des christiens, des kanaïtes, sectateurs de Juda le Gaulonite.

Mais de la suite, une vérité émerge. Des gens avisés, en petit nombre, gardèrent dans leur mémoire les noms de leur propre généalogie ou en conservèrent des copies, très fiers d’avoir sauvé le souvenir de leur noblesse. Parmi eux, se trouvaient les dominicaux, les parents du Christ. Or, d’où étaient originaires ces parents du Sauveur ? Des bourgs juifs de Nazareth et Kôchaba. Et ceci nous aiguille encore vers le lac de Kinnéreth, au delà du Jourdain, aux alentours de Gamala.

De même que Nazareth, — nom et site, — a été inventée pour cacher Gamala, Joseph n’est pas autre chose que le masque évangélique de Juda le Galiléen. Et Jésus-Christ, dans sa moitié humaine, ne peut être, on le pressent, que le fils de Juda de Gamala, autrement dit : Bar-Juda, sous son nom de circoncision. S’il y a un fond historique premier à la base des origines de l’histoire du Christianisme, c’est là qu’il faut l’aller chercher : à Gamala.

XVI. — Juda de Gamala, père du Christ.

Si les Évangiles font monter Joseph à Bethlehem en 760, avec Marie, pour se faire enregistrer au Recensement, et pour y faire enregistrer la naissance du Messie dans la patrie de David, — risquant un anachronisme certain, alors que, d’après les Évangiles eux-mêmes, Jésus est né aux jours d’Hérode, soit avant 750, date de la mort de ce roi, — c’est à cause de ce souvenir historique, qu’on n’a pas pu effacer, et qui est resté comme le signalement de l’homme du Recensement. Joseph, père du Christ, n’est pas autre chose dans les Évangiles. Il en disparaît aussitôt. La pseudo naissance à Bethlehem accomplie, comme Juda le Gaulonite tué dans la révolte du recensement, il n’y a plus de Joseph dans les Évangiles. Il est mort, laissant Marie veuve, veuve comme la mère des fils de Zébédée. Que Juda le Gaulonite est bien le père du Christ-Messie, sous le nom et l’apparence rendue inexistante à dessein dit Joseph évangélique, époux de Marie, — si peu ! — on peut l’inférer de tout ce qui précède sur Nazareth, au nom symbolique destiné à supprimer Gamala avant qu’on ne substitue, plus tard, Seriyeh-Nazareth à Gamala-Nazareth. On peut l’inférer de la naissance fausse à l’époque du Recensement. D’autres preuves, au cours de cet ouvrage, ne cesseront de venir confirmer cette certitude. On ne peut tout dire à la fois. Et ces preuves se rapportent à d’autres circonstances que la Nativité. Elles forment un réseau où la vérité est enserrée.

Toutefois, pour en finir avec Nazareth, et assurer sur une base solide cette paternité et cette filiation de Juda de Gamala et du Crucifié de Ponce Pilate à l’égard l’un de l’autre respectivement, il nous reste à faire état de divers témoignages que l’on trouve dans l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe et qui, malgré certaines sophistications évidentes, nouent entre eux, dans les liens impossibles à briser, d’une même famille, celle de David, père, fils, frères, oncles, neveux et autres descendants : Juda le Gaulonite, le Christ-Messie des Évangiles, les disciples et apôtres et les fils de certains disciples et apôtres.

XVII. — Confirmation par Eusèbe.

Voici un premier passage (H. E., liv. III, chap. XIX et XX) :

Domitien ordonna de détruire tous les Juifs qui étaient de la race de David : une ancienne tradition raconte que des hérétiques dénoncèrent les descendants de Juda (Jude) qui était, selon la chair, frère du Sauveur, comme appartenant à la race de David, et parents du Christ (Messie) lui-même. C’est ce que montre Hégésippe quand il s’exprime en ces termes : Il y avait encore de la race du Maître (Rabbi), les petits-fils de Juda, qui lui-même était appelé son frère (Matth., XIII, 55 ; Marc, VI, 3), selon la chair : on les dénonça comme descendants de David. L’évocatus les amena à Domitien ; celui-ci craignait la venue du Christ, comme Hérode. L’empereur leur demanda s’ils étaient de la race de David ; ils l’avouèrent. Il s’enquit alors de leurs biens et de leur fortune : ils dirent qu’ils ne possédaient ensemble l’un et l’autre que neuf mille deniers, dont chacun avait la moitié. Ils ajoutèrent qu’ils n’avaient pas cette somme en numéraire, mais qu’elle était l’évaluation d’une terre de trente-neuf plèthres, pour laquelle ils payaient l’impôt et qu’ils cultivaient pour vivre. Ensuite, ils montrèrent leurs mains, et, comme preuve qu’ils travaillaient eux-mêmes, ils alléguèrent la rudesse de leurs membres, et les durillons incrustés dans leurs propres mains, indice certain d’un labeur continu[28]. Interrogés sur le Christ et son royaume, sur la nature de sa royauté, sur le lieu et l’époque de son apparition, ils firent cette réponse, que le règne du Christ n’était ni du monde ni de la terre, mais céleste et angélique, qu’il se réaliserait à la fin des temps, quand le Christ-Messie, venant dans sa gloire,jugerait les vivants et les morts et rendrait à chacun selon ses œuvres. Domitien ne vit rien là qui fut contre eux. Il les dédaigna comme des gens simples, les renvoya libres, et un édit fit cesser la persécution contre l’Église. Une fois délivrés, ils dirigèrent les églises, à la fois comme témoins et parents du Seigneur et vécurent après la paix jusqu’au temps de Trajan.

Certes, on sent bien les intentions de ce morceau. Sous un style patelin, il essaie d’expliquer, au IVe siècle, la transfiguration qui s’est faite de l’histoire à la légende : la race de David, en la personne des Messies-Christs, qui ont mis la Judée à feu et à sang depuis Juda le Gaulonite, sous Auguste, jusqu’à Barkocheba sous Hadrien, devenue une race de pauvres gens ne rêvant que la prédication du bien et de la justice, fondant des églises où l’on prêche la fraternité et l’amour. Tout de même, ce royaume de Dieu prêché par les descendants de David, pour que Domitien s’en soit effrayé, il faut qu’il n’ait rien de commun avec celui que veulent faire entrevoir les Evangiles. Hégésippe, cité par Eusèbe, a beau essayer de nous donner le change dans ses phrases. Ce règne du Christ, céleste et angélique, qui doit se réaliser à la fin des temps, il est la transformation au IVe ou au Ve siècle de la prophétie épileptique contenue dans l’Apocalypse, qui a été la Bonne nouvelle, l’Evangile messianiste, christien, et le seul, jusqu’au milieu du IIe siècles[29].

Défalcation faite des intentions de ce morceau, à double entente sur le Christ-Messie, et en faisant toutes réserves sur sa réalité bénigne, — il cache certainement un fait historique, rébellion, émeute, insurrection brutalement réprimée, et qui a disparu des auteurs, — un aveu reste : c’est que les descendants de David, c’est que toute la famille de David, dont le Christ de Ponce Pilate fait partie, inquiète les empereurs romains[30].

Si Domitien les recherche, il sait pourquoi. A en croire Eusèbe, il les aurait laissés retourner en Judée. Sacré Domitien[31] ! Comprenez tout simplement qu’il n’a pas pu mettre la main sur toute la smala. Car s’il en était autrement, si la réponse qu’Eusèbe prête à ces descendants de David n’était pas une fantaisie, devenue la parole évangélique : Mon royaume n’est pas de ce monde, si leurs agissements étaient aussi innocents que Domitien parait en témoigner, d’après Hégésippe, cité par Eusèbe, si la nature du règne glorieux qu’ils espéraient est celle qu’ils firent entrevoir au monarque, bref, si historiquement ces descendants de David ne sont pas des christiens et des chefs dont Domitien n’a pris que quelques-uns qui expliquera, comment expliquer que sous Trajan, encore, successeur de Domitien, et d’après Eusèbe encore (liv. III, chap. XXXII), invoquant le témoignage d’Hégésippe, toujours, un Syméon (le Signe), fils de Cléopas, descendant de David, évêque de Jérusalem, fut jugé, condamné et crucifié sous le consulaire Diticus[32] ?

C’est pour cacher cette vérité que les chrétiens, d’après le nom qu’on leur donna plus tard, en français, mais qui ne sont encore que des christiens, traduction de messianistes, sous Trajan et bien au-delà, — ne constituent qu’une secte de Juifs en révolte contre Rome pour l’établissement du règne du Messie sur le trône de David, et rien d’autre, vérité qui ressort, malgré toutes les impostures, des œuvres même mises sous le nom d’Eusèbe, que l’on a inventé le faux de la lettre de Pline à Trajan, dans l’Apologie de Tertullien, reproduite par Eusèbe (liv. III, chap. XXXIII), où le fin lettré, l’esprit curieux que fut l’auteur latin témoigne en faveur des chrétiens et de la pureté de leurs mœurs, sans bien savoir ce que sont ces chrétiens[33].

Et Trajan, ce bourreau, que son ami Pline n’a pas convaincu, répond, par une autre lettre fausse, qu’on doit continuer à punir les chrétiens, la tribu des chrétiens quand on la rencontre, mais sans la rechercher. Autrement dit, la tribu se livrant à une guerre de partisans, — pendant les guerres de Vespasien et Titus, elle a subi de grandes pertes, — il faut se borner à réprimer tout mouvement quand il s’en produit un. La guérilla messianiste est restée à l’état endémique, sourde, continuelle, depuis Auguste jusqu’à Hadrien, faisant explosion en insurrections violentes de temps à autre, dont quatre principales nous sont connues[34]. Avant la recherche des descendants de David par Domitien, Vespasien, lorsque Jérusalem avait été prise, rapporte Eusèbe (liv. III, chap. XII), avait déjà fait rechercher tous les descendants de David, afin qu’il ne restât plus chez les Juifs, personne qui fut de race royale.

Vespasien et Titus sont les deux généraux, sous Néron, et empereurs après lui, qui ont vaincu dans la guerre que Ménahem, fils de Juda le Gaulonite, que nous retrouverons incidemment comme Messie, dans la Crèche de Bethlehem, fomenta contre les Romains.

Ce qu’Eusèbe rapporte de Vespasien, à l’issue de sa victoire, alors que Ménahem, fils de Juda le Gaulonite, a été tué avant leur arrivée, est le trait d’union, avoué cette fois, entre tous ces descendants de David, dont on voudrait nous faire croire aujourd’hui qu’il n’y a pas de lien entre eux. Vespasien, qui sort d’une guerre dont il connaît les causes, recherche les descendants de David, dont l’un, seul nommé, Ménahem, fils de Juda de Gamala, a été tué.

Eusèbe ajoute : Ce fut la cause d’une très grande persécution. Contre qui ? Contre ceux qu’il appelle les chrétiens.

Or, ceux que Vespasien a poursuivis, après sa victoire, ce sont, et nuls autres, les partisans et révoltés échappés à la mort et dispersés par les armées romaines. Il pourchasse les bandes qui ont fui. C’est évident. Il fait rechercher les chefs, les descendants de David. Ainsi, une fois de plus, il est prouvé qu’il y a identité entre les chrétiens d’Eusèbe et les christiens. Aucun doute.

Pour parer le coup, — tout le passage porte les traces de retouches grossières, — Eusèbe, un peu plus loin (chap. XVII du liv. III), ayant dit que Domitien souleva la seconde persécution contre nous, ajoute cette atténuation qui contredit ce qu’il vient d’affirmer ; il se rattrape : quoique Vespasien son père n’ait jamais eu de mauvais dessein contre nous. On n’est pas plus maladroit. Si Domitien fait la seconde persécution, celle de Vespasien a été la première ; et toutes deux contre les mêmes personnes : nous, messianistes, chrétiens. Identité encore, et plus que jamais, de l’aveu même d’Eusèbe, si entortillé qu’il soit.

Domitien et Trajan recherchent encore, peu après, les descendants de David, dans la personne des fils ou petits-fils de Jude, frère du Christ. Les liens fraternels entre le Christ, Ménahem et Jude sont noués. Et sous Hadrien, successeur de Trajan, c’est encore un descendant de Juda de Gamala, Bar-Kocheba, le Fils de l’Étoile, qui fomentera la dernière insurrection, soulevant la Judée comme Messie ; il fut roi pendant deux jours à Jérusalem[35]. Après quoi Hadrien, ayant vaincu la révolte, décidé à en finir avec les Messies juifs, ruina la Judée, rasa Jérusalem, et, dispersant Israël, le raya de la carte des nations. Telle est l’humble vérité, — la vérité historique.

 

 

 



[1] L’ange Gabriel dit exactement à Marie : Tu appelleras le nom de lui, Jésus. Autrement dit : tu cacheras son nom de circoncision sous cette appellation : Jésus, — le nouveau nom prévu par l’Apocalypse (III, 12, 13). Citation plus loin.

[2] Bien que les exégètes et critiques le nient. Mais nous n’en sommes plus à une erreur ou à une fantaisie de plus on de moins de leur part. Nous le prouverons.

[3] Elle ajoute, malheureusement : qui signifie prince. Pourquoi attribue-t-elle au mot nazir le sens inexact de prince, et pourquoi renvoie-t-elle pour le prouver, à deux textes de l’Ancien Testament qui lui donnent le démenti le plus flagrant ?

Les deux textes visés (Genèse, XLIX, 26 et Deutéronome, XXXIII, 16) disent en effet, à propos de Joseph, fils du patriarche Jacob, en termes quasiment identiques : Les bénédictions de ton père seront sur le sommet de la tête de celui qui est Naziréen entre ses frères. Il ne s’agit aucunement de prince ici. Il n’y a pas de prince parmi les frères des familles juives. Il y a le premier fils, le fils aîné, le fils premier-né, comme Jésus-Christ, bekor, en hébreu. Prince, si l’on veut, mais dans l’ordre de progéniture. Et alors, on devrait le préciser, car le mot prince a ordinairement une toute autre acception. Et le Nazir entre ses frères est, on va le voir, le Voué à Dieu.

Dans les réponses qu’a publiées le Mercure de France, à la suite de l’étude parue sous mon nom le 15 décembre 1922, on a fait observer que si Nazir pouvait être Interprété par « voué à Dieu (Iahveh) », le mot, appliqué, comme je l’ai fait, à Joseph, fils de Jacob le patriarche, ne permet pas de conclure que les fils aînés des familles juives étaient nécessairement nazirs, — Joseph n’étant pas le fils aîné de Jacob. Je pourrais répondre que Joseph est l’aîné des enfants que Jacob eut de Rachel, en reconnaissant d’ailleurs que, par Léa, Jacob avait eu auparavant d’autres enfants, mais que Joseph fut son fils de prédilection. A quoi bon ? Ceci n’enlève rien à la certitude que le fils aîné du Joseph évangélique fut nazir, consacré à Dieu (Iahveh), dès le jour de sa naissance, ou mieux, dès le sein de sa mère. Et c’est l’essentiel.

D’ailleurs, la suite montre péremptoirement que Jésus, fils premier-né, fut voué à Iahveh, fut nazir, conformément à la loi mosaïque, dont je donne en note de larges citations, ci-dessous. Il n’est pas impossible, aussi, que les scribes évangélistes aient profité de la ressemblance entre Nazir et netzer pour finir sur un jeu de mots. Netzer, signifiant rejeton, et par extension, descendant, le Messie est un rameau de la tige ou de la branche d’Isaï (Ishaï ou Jessé), père de David, et originaire de Bethlehem. Mais je pense que le sens de Nazir ou voué à Dieu doit l’emporter, comme plus conforme aux suggestions des scribes et à ce qu’ils ont voulu faire entendre.

[4] Tu consacreras à l’Eternel tout ce qui naît le premier, même tous les premiers nés des bêtes ; ce que tu auras de mâles est à l’Eternel (Exode, XIII, 12).

Tu me donneras le premier de tes fils, dit Iahveh (Exode, XXII, 29).

Tout ce qui naîtra le premier m’appartiendra, et même le premier mâle de toutes les bêtes, tant des bœufs que des brebis (Exode, XXXIV, 19).

Tout premier-né m’appartient, dit Iahveh. Depuis que je frappai tout premier-né du pays d’Égypte, je me suis consacré tout premier-né en Israël, depuis les hommes jusqu’aux bêtes. Ils seront à moi. Je suis l’Éternel (Nombres, III, 13).

Avec quoi préviendrai-je l’Éternel ?... Avec des holocaustes, avec des veaux d’un an ? Donnerai-je mon premier-né pour mon forfait et le fruit de mes entrailles pour le péché de mon âme ? (Michée, VI, 6, 7, rappelant l’histoire de l’âne de Balaam, Nombres, XXII, 5).

[5] L’épithète grecque premier-né accolée à l’enfant de Joseph et de Marie parait même bien intentionnelle.

Il me semble bien difficile, sur les textes évangéliques, que l’on puisse nier encore que la phrase du Selon-Matthieu affirme autre chose que cette certitude : Le Christ fut nazir et appelé, à cause de cela, nazaréen.

[6] L’expression complète est : Nazir Elohim. Nazir vient du verbe Nazar, avec les trois sens séparer, puis consacrer, et s’abstenir. L’assyrien a la forme Nazara, pour des sens tels que : maudire, ensorceler, avec des idées de magie.

Quand il ne s’agit pas du Nazir par excellence, passé comme nom propre en toutes langues, ainsi que l’on fait pour Messie et pour Christ qui signifient : Oint, nazir se traduit en grec par celui qui a fait vœu ; consacré ; en latin : consecratus.

[7] Elles sont en détail dans les Nombres, chap. VI, vers. 1 à 12 et suivants.

[8] Voir aussi Amos, II, 11-12 et 1 ; Macchabées, III, 49-50.

[9] Je prouverai d’ailleurs que tout ce qui est de Jean-Baptiste, sauf la décollation, invention littéraire, appartient au Crucifié de Ponce Pilate.

[10] Tertullien (Adversus Marcionem, IV, 8) dit que les sectateurs de Jésus-Christ furent appelés Nazaréens, en particulier par les Juifs. Voir Actes XXIV, 5, disant de Paul : une peste, qui excite des séditions parmi tous les Juifs dans le monde entier ; il est le chef de la secte des Nuzaréens.

[11] Un habitant du Thibet est-il dit Thibéen ou Thibétain ? Tertullien le sait si bien qu’il donne la forme Nazôratoï, avec un t.

[12] C’est même à ces traits de lumière, filtrant ça et là dans le mystère du symbole et de l’allégorie, que l’on doit de retrouver l’histoire véritable du héros des Évangiles.

[13] On y a inséré quelques traits par la suite qui peuvent s’appliquer à divers empereurs romains postérieurs, afin de permettre d’en contester la véritable date, au temps de Tibère. Mais on ne peut réussir dans cette Imposture. Je le prouverai. L’Apocalypse est la dernière des prophéties juives, puisque le monde va disparaître ; elle annonce cette disparition, la fin des temps. D’ailleurs, il n’y a plus de prophétie, ni de prophète, après Jean-Joannès. Jésus-Christ l’a dit Jean fut un prophète, Nabi et Rabbi, et plus qu’un prophète, le plus grand de tous. Jésus-Christ l’a dit aussi, et pour cause. Il savait ce qu’il disait de son corps de chair.

[14] Les livres du Nouveau Testament ont été classés à la juive, de droite à gauche, comme les écritures sémitiques. L’Apocalypse est bien le premier.

[15] L’Esprit qui parle aux Églises, c’est, je pense, en style non théologique mais profane, comme tout le monde fait, c’est, dis-je, l’Apôtre qui a envoyé la Révélation du Christ-Joannès, l’Apocalypse aux sept Églises. C’est Papias, celui qui avait écrit un commentaire en cinq livres que l’Église a fait disparattre, sur les Paroles du Rabbi, les Logia Kuriou, comprenez : L’Apocalypse, et non l’on ne sait quel amorphe et béat discours sur la montagne en huit phrases. Avec l’envoi de L’Apocalypse, auquel était joint le Commentaire, la Transfiguration du Crucifié de Ponce Pilate commence. On commence à substituer la légende à l’histoire. Le nom que l’on inscrit sur celui qui vaincra, messianiste encore, mais en passe de devenir chrétien de christien, c’est le nom du Nazir, — il n’est pas encore Jésus-Christ . — et c’est pourquoi les premiers chrétiens sont dits Nazaréens, comme la cité du Nazir, Dieu en puissance, est Nazareth. Nazaréens = Nazôratoï, a dit Tertullien.

[16] Nous y reviendrons à propos du lac de Génézareth, ci-après.

[17] Car il est des critiques qui, pour ne pas vouloir reconnaître que Nazareth et nazaréen viennent de Nazir, ergotent sur la lettre Z de Nazir qui, en hébreu, serait un Zaïn ou un S. En transposant le mot en grec, avec un dzéta (ζ) donnant un z en lettres françaises, — on fait comme si le Zaïn ou S hébreu était un tsadé. Le grec aurait dû transcrire le mot avec un sigma (σ, s) : Nasir. (Voir Charles Guignebert : La Vie cachée de Jésus, p. 71). Dirait-on pas que les critiques s’obstinent à fermer les yeux sur la vérité ? Comme si le tsadé hébreu rendu par le dzéta (ζ) grec était une exception linguistique ? Comme si cela ne s’était jamais vu ! Est-ce que les Septante ne rendent pas l’hébreu Us (Ous), avec un Zaïn, par le mot grec, avec un dzéta, comme si l’hébreu avait un tsadé ? (Voir Genèse, X, 23, XXII, 21). De même, So’har, avec un S, est traduit en grec avec un dzéta (Genèse, XIII, 10).

[18] Géographie du Talmuld, Paris, 1868.

[19] Josué XI, 2 : Jabin, roi de Hatsor,.... envoya des messagers... aux rois qui étaient au nord dans la montagne, dans la plaine au midi de Kinnéreth. Et XIX, 35 : Les villes fortes (du territoire des fils de Nephthali) étaient... Kinnéreth. Josué énumère toutes les villes des douze tribus d’Israël. Pas de Nazareth.

Kinnéreth signifie petite harpe. Le lac de Kinnéreth a, en effet, la forme d’une harpe, dit-on. En tout cas, Kinnéreth est une ville forte, sur une montagne, avec une plaine au sud. Il faut retenir ceci.

[20] Et notamment dans une réponse à mon étude sur Nazareth dans le Mercure de France, du 15 décembre 1922.

[21] Les exégètes ont abusé vraiment, de l’affirmation à priori et des justifications par à peu près. C’était bon au temps où personne n’y allait voir. Règne fini. Aujourd’hui nous voulons des raisons. Si on ne nous les donne pas, nous tenons l’affirmation pour puérile et ne prouvant rien. Et justement, ce texte des Macchabées où se lit l’eau de Gennésar est infiniment suspect. En effet, à quelle date les livres des Macchabées ont-ils paru ? L’Église, qui n’admet comme non apocryphes que les deux premiers livres, prétend que le texte primitif du premier fut écrit en hébreu, vers 135 avant notre ère. Si c’était vrai, l’auteur serait un Juif, de beaucoup antérieur au Christianisme. Pourquoi les Rabbins israélites n’auraient-ils pas conservé ce texte, au même titre que les autres livres hébraïques ? Or, ils ne le connaissent pas. L’Église non plus ne peut le montrer. Elle ne produit qu’une soi-disant traduction grecque, très ancienne, dit-elle, mais postérieure tout de même d’un ou deux siècles à l’an 1 de l’ère chrétienne. Ce texte est-il vraiment une traduction ? N’est-il pas plutôt, en original, un texte grec ? Tout le prouve. Mais fût-il une traduction, c’est une traduction d’Église, une œuvre de Judéo-héllène, messianiste. Rien d’étrange, sous la plume du scribe, dans l’appellation Gennésar. Le contraire serait plus surprenant. Travail d’approche vers l’invention de Nazareth. Je tiens donc toujours que le lac de Génézareth ne s’appelle ainsi que parce que Nazareth se trouvait sur les bords. Les livres des Macchabées, qu’on le remarque, sont une œuvre messianiste au premier chef, exaltation enthousiaste des luttes juives contre la domination étrangère.

Quant à Flavius Josèphe, l’Église l’a trop sophistiqué pour que l’on hésite à affirmer que, dans son texte, Gennésar a été substitué à Kinnéreth.

Au sujet des livres des Macchabées, un passage d’Eusèbe m’a toujours paru mériter quelque attention (Hist. eccl., liv. III, chap. IX, x, 6). Écrivant sur Flavius Josèphe et les livres qu’il a laissés, Eusèbe, après avoir cité les Antiquités et les Guerres des Juifs, et d’autres œuvres plus courtes, affirme ceci : « Cet écrivain a encore composé un ouvrage qui n’est pas indigne de lui, sur la toute-puissance de la raison et que certains ont intitulé : Macchabaïcon, parce qu’il renferme les combats des Hébreux qui ont lutté d’une façon virile pour la piété envers la Divinité, ainsi que le racontent les livres des Macchabées » On prétend aujourd’hui, — des critiques allemands, — que cet ouvrage n’est pas de FI. Josèphe, mais d’un autre écrivain du même temps. (II est quelquefois compté comme quatrième livre des Macchabées). Il peut paraître étonnant, en effet, que Flavius Josèphe ait écrit le Macchabaïcon, à part, avec les combats des Hébreux pour la piété, ainsi que le racontent les livres des Macchabées, alors que, dans son grand ouvrage des antiquités, il a donné toute l’histoire des Macchabées d’une façon assez synoptique avec les livres non apocryphes des Macchabées. Eusèbe le savait. Il avait les œuvres de Flavius Josèphe et les livres non apocryphes des Macchabées. Pourquoi attribue-t-il alors à Flavius Josèphe un Macchabaïcon dont le sujet était déjà dans ses œuvres ? Je ne vois qu’une raison : essayer, conformément à la thèse de l’Église, de dater antérieurement à Flavius Josèphe les livres des Macchabées. Et cette tentative confirmerait le soupçon, comme une quasi-certitude, que le texte grec des Macchabées est bien un original du Ier ou IIe siècle après J.-C. Livre messianiste, et c’est pourquoi l’Église, l’ecclesia, qui n’a été que la synagogue jusqu’au IIIe ou IVe siècle, a été obligée de les subir par adoption, comme l’Apocalypse, certaines épîtres catholiques, — épithète faite pour tromper encore, — celles de Juda, ou Pierre. De même l’Evangile gnostique de Cérinthe est devenu celui de Jean, le Selon-Jean.

[22] Je pense que la démonstration sur ce point suffit. Aussi ai-je négligé de discuter au sujet de certaines formes intermédiaires comme Cinéreth, Cennéreth, déformations de Kinnéreth, et qui marquent certaines étapes de la fraude, esquisses, essais, brouillons du travail qui a abouti à la forme Gennésar, introduite avec force rétroactive dans Flavius Josèphe et les Macchabées, après Origène, après Jérôme, soit, au plus tôt, au IVe siècle.

[23] La fraude elle-même sert souvent la vérité. La fraude Gennésar, toute fraude qu’elle soit, nous conduit tout de même à une Nazareth située sur les bords du lac. A l’époque où l’on perpétrait la fraude Gennesar, on n’en était encore qu’au premier temps de l’imposture totale. On n’avait pas à cette époque, transposé l’emplacement, deuxième temps, bien plus tard.

[24] Dans Zébédée, il y a le Zéb chaldéen, signe zodiacal, celui des Poissons (qui suit le Zachù, en chaldéen, ou Verseau), le signe de la Grâce dans la Christologie. Que le père du Christ soit personnifié par le Zachu, auteur du Zéb ou Zeb-deos, Zébédée, quelque chose comme le faiseur de Poissons, quoi d’impossible ? Nous nous étendrons longuement plus tard sur ce point, que nous avons indiqué en passant, à diverses reprises.

[25] On peut se demander si le nom de Gamala ne s’est pas substitué à celui de Kinnéreth, pendant la captivité de Babylone. Des habitants nouveaux venus auraient nommé la ville d’après la silhouette de la montagne qui la portait, comme sous Josué, on l’avait désignée d’après la forme du lac qui la baignait. On comprendrait un peu, ainsi, tous ces efforts de rapprochements des scribes entre Kinnéreth, Cinnéreth, Cénéreth, Gen-eser, Génésar, pour rattacher la patrie du Nazaréen à des traditions antiques, datant de Josué, synonyme de Jésus. D’autant plus que la forteresse de Kinnéreth de Josué paraît bien répondre, comme situation, à la Gamala de Flavius Josèphe. Au reste, ceci est secondaire.

[26] Il y a bien des raisons de penser aussi que la ville de Juda, au pays des montagnes où Marie s’empresse d’aller, après l’Annonciation, pour saluer Élisabeth, c’ est Nazareth donc Gamala — la ville de Juda, de Juda de Gamala, le Galiléen ou le Gaulonite. L’Evangile, ici, désigne Joseph par son nom historique. Entrée dans la maison d’Élisabeth, Marie, quitte sa parente, — le texte grec emploie un terme bien curieux, qui signifie : née ensemble ; Élisabeth n’est en effet que le double métaphysique de Marie, — pour s’en retourner dans sa maison. Il semble que si sa maison n’était pas dans cette ville de Juda-Joseph, l’Evangile la ferait s’en retourner à Nazareth. Ce qu’il ne fait pas.

Mais la preuve de l’identité Marie-Élisabeth dépassant le cadre de cette étude sur Nazareth-Gamala, sera faite au moment, plus tard, où seront identifiés en un même et unique Messie-Christ Jôannès, Jésus-Christ et Jean-Baptiste.

[27] Voici la phrase (Cyrille, VI, § 11) : Le Jésus que vous prêchez était un sujet de César. (Ne dites-vous pas qu’il fut compris avec son père et sa mère dans le recensement de Quirinius ?) Jamais Julien n’a ajouté la seconde phrase, et pour cause. Cyrille, en l’ajoutant, veut substituer Bethlehem à Gamala-Nazareth. On voit le procédé du faussaire. Mais la première phrase reste, sans la preuve que fournissait Julien.

[28] Non. Ces durillons ne sont pas l’indice d’un labeur continu, du moins ce qu’Eusèbe-Hégésippe veut faire entendre. Ces durillons, comme les vêtements en poils de chameau de Jean, comme les cals aux genoux du frère Jacob-Jacques, sont l’indice que ces descendants de Juda-Jude, frère du Seigneur, sont de Gamala.

[29] Je prouverai tout ce que j’avance, par anticipation, quand nous étudierons Juda le Gaulonite, Papias, l’Apocalypse, le Millénarisme, l’identité du Jôannès (Jean-Baptiste) et du Messie-Christ crucifié par Ponce Pilate. Toutes ces études se recoupent et s’épaulent mutuellement, — ce qui oblige à des redites, à des rappels, à des renvois des unes aux autres. Mais il faut s’y résigner, malgré le souci d’être bref, pour édifier une œuvre où tous les mystères, où toutes les énigmes s’expliquent. D’ailleurs, je pense qu’on aperçoit déjà plus que des lueurs de la vérité dans les affirmations que je produis.

[30] Eusèbe ajoute : Tel est le récit d’Hégésippe. Du reste, celui de Tertullien (Apologétique, V) nous raconte la même chose sur Domitien. Et il cite l’extrait suivant de Tertullien qui, pour raconter la même chose, est autrement vague et imprécis. Le voici d’ailleurs : Domitien essaya un jour de faire la même chose que Néron dont il était un succédané pour la cruauté. Mais je crois, ayant quelque intelligence, il cessa très vite, rappelant même ceux qu’il avait bannis.

[31] Flavius Josèphe ne lui a pas fait lire ses ouvrages. Il ne sait pas que Pierre a habité 25 ans, 3 mois, 8 jours, à Rome, comme représentant du Fils de David crucifié sous Tibère, et que le palais du sénateur Pudens lui servit de Vatican pendant sept ans, où il baptisa, catéchisa. La prison Mamertine, la fontaine jaillissante, les fers rivés à la colonne, le sépulcre sur la colline, Domitien ignore tout du royaume de Dieu que Jésus, fils de David, a prêché, dont ses disciples ont vulgarisé la notion à travers l’Empire et jusqu’à Rome. Il ne sait pas que ce royaume n’est pas de ce monde. Que n’a-t-il attendu la venue de saint Justin ? Il n’aurait pas eu à faire rechercher et déranger ces petits-fils de Juda. Il aurait lu dans cet auteur (Apologétique, I, XI, 4) : Quand vous entendez dire que nous attendons un royaume, une royauté, comme dans l’Apologie d’Apulée, vous supposez à la légère qu’il s’agit d’une royauté humaine, alors que nous parlons d’une royauté selon Dieu. Tout simplement.

[32] Eusèbe dit d’ailleurs : comme christien, que tout le monde traduit par chrétien, naturellement. Change et double entente toujours. Comme christien ou messianiste, voilà la vérité, comme sectateur de la doctrine de Juda le Gaulonite, de son fils, contenue dans l’Apocalypse. Eusèbe rattache la mort de ce Syméon, fils de Cléopas, sous Trajan, à un soulèvement partiel, et dans certaines villes, des populations, lequel excita contre nous (christiens-messionistes) une persécution. Syméon eut à subir une accusation venant des hérétiques. Rien de plus clair. Les excès des Juifs messianistes, sicaires, émeutiers, lassaient les Juifs loyalistes qui, pour vivre tranquilles, faisaient appel à la répression par les Romains.

Eusèbe désigne comme hérétiques, les Juifs fidèles aux Romains. Les chrétiens sont bien les acteurs de toutes les révoltes juives. Rien d’évangélique, dans leur cas. La répression de leurs révoltes est devenue la persécution. Hégésippe fait vivre ce Syméon jusqu’à l’âge de 120 ans. Il fut un des témoins qui ont vu et entendu le Rabbi (le Christ) ; on en a la preuve dans sa longévité et dans le souvenir que l’Évangile consacre à Marie, femme de Cléopas. Eusèbe fait Cléopas, frère de Joseph-Juda, donc oncle du Rabbi Christ. Syméon, crucifié sous Trajan, est cousin du Christ ; il est donné comme successeur de Jacques, frère aussi du Rabbi à l’évêché de Jérusalem. Le cousin succède au cousin. Crucifié comme messianiste, c’est certain, parent du Sauveur, du Christ, descendant de David, et qui n’attendait pas le royaume non de ce monde, mais a pris part à des soulèvements partiels, ce Syméon, une fois de plus, met le trait d’union entre le Christ et Juda le Gaulonite. Les preuves succèdent aux preuves et surabondent.

[33] Il n’a pas lu les Évangiles qui courent le monde depuis une vingtaine d’années. Il n’a pas lu les Lettres de Paul qui circulent depuis quarante ans. Il ne sait pas que Ponce Pilate a crucifié le Christ, que Néron a brûlé des chrétiens comme des torches après l’incendie de Rome, que Pierre, pape depuis 25 ans, et Paul, sous-pape, ont péri dans la persécution qui a suivi. Et des exégètes, des critiques sérieux discutent sur l’authenticité de ces lettres de Pline et de Trajan, ces faux tellement faux qu’ils ne s’appuient même pas sur les autres faux ecclésiastiques, — que nos critiques déclarent toutefois historiques, — pour se donner une apparence d’authenticité.

[34] Celles de Juda le Gaulonite (recensement de 760), de son fils, le Crucifié de Ponce Pilate (Pâques de 788-789), de Ménahem (Vespasien et Titus), de Bar-Kocheba, sous Hadrien. Sans parler de Theudas, sous Claude.

[35] D’où partit l’insurrection ? Quel en fut le théâtre principal ? Toujours la même région, la montagne royale d’après le Talmud. Gamala, évidemment, montagne royale, pays de la tribu royale. On en est d’autant plus sûr que dans Eusèbe (H. E., IV, 6), pour confirmer les témoignages rabbiniques, on fait intervenir la place de Biththira, montagne de Judée, au sud de Jérusalem. Construite pour servir d’observatoire dominant les pays environnants, Bihthira, dans le pays bathanéen, avait été cédée par Hérode aux Beni-Biththira comme rempart contre les incursions des Trachonides. (Ant. jud., XVII, II, 1-3).