L'Énigme de Jésus-Christ

 

Tome premier

INTRODUCTION : L’HUMBLE VÉRITÉ

 

 

B. — LE CHRIST HISTORIQUE

J’appelle le Christ historique, ou Messie-Christ et Christ tout court, et je l’appellerai désormais ainsi, pour le distinguer du Jésus, Verbe ou Logos, et du Jésus-Christ des Écritures, l’homme de chair, Crucifié par Ponce Pilate, en 788 = 35, dans lequel, au ne siècle, Cérinthe a fait descendre l’Æon Jésus, les gnostiques et valentiniens le Logos Verbe ou le dieu Jésus, et dans lequel, au IIIe siècle et au delà, les scribes ecclésiastiques, christiens puis chrétiens, ont incarné le Logos, le Verbe, ou Jésus, créant, par le résultat de cette incarnation littéraire, Jésus-Christ, Fils unique de Dieu.

Voici, sur le Christ historique, mes conclusions essentielles :

I. — Le lieu de naissance.

Le Crucifié de Ponce Pilate n’est pas né à Bethlehem, comme l’affirme la doctrine orthodoxe d’après deux Évangiles, le Selon-Matthieu et le Selon-Luc.

La naissance à Bethlehem, choisie, d’une part, pour adapter l’événement au droit mosaïque et accomplir, sur le papier, les prophéties des anciens Nabis d’Israël, cache, d’autre part, une allégorie solaire, destinée, par assimilation et confusion, à substituer dans l’esprit des masses, à l’adoration des religions antiques pour le Soleil, dieu aux mille noms et personnifié suivant les peuples, en Horus, Atys, Bacchus, Adonis, Osiris, Mithra, Phébus-Apollon, le culte du Crucifié de Ponce Pilate, divinisé sous le nom et les espèces de Jésus-Christ, Verbe et Fils unique de Dieu.

Il n’est pas né, non plus, contrairement aux affirmations de la critique libérale, avec des auteurs tels que Renan, Ch. Guignebert, et autres, dans une ville appelée Nazareth, et située, comme l’En-Nasirah ou Nazareth actuelle, dans un pli de terrain largement ouvert au sommet du groupe de montagnes qui ferme au nord la plaine d’Esdrelon[1].

C’est parce qu’il fut Nazir, c’est-à-dire Voué à Dieu, que le nom symbolique de Nazareth a été donné à sa ville natale, sa patrie, diront les Évangiles, y compris les deux (Matthieu et Luc) qui le font naître à Bethlehem. Le nom de la ville une fois changé, l’Église a cherché une localité loin de la vraie, pour effacer l’histoire et la géographie. L’emplacement de l’actuelle Nazareth ou En-Nasirah, apparu tout à coup au VIIIe siècle, n’est même pas conciliable avec cet ensemble si compact des récits évangéliques que Renan appelle la prédication du lac, et qui exigent une Nazareth sur les bords mêmes du lac, et bâtie sur une montagne. Le lac que les scribes ecclésiastiques ont baptisé lac de Génésareth, dans les Évangiles, précisément parce que la ville du Nazir se trouvait sur ses rives, est, en hébreu, le lac de Kinnereth, dit lac de Tibériade en l’honneur de la ville de Tibérias fondée sur ses rives par Hérode, protégé des Romains et de Tibère. La dénomination : lac de Génésareth, est une invention de l’Église, en un temps où elle ne jugeait pas utile, ou possible encore, de changer la place réelle de la ville natale du Nazir, tout en ayant substitué au nom vrai le nom symbolique.

Le nom historique, la situation géographique, c’est Gamala, nid d’aigle, alors, sur la montagne qui cerne la rive sud orientale du lac de Kinnereth, ville originaire de Juda le Gaulonite.

II. — La date de la naissance.

Ce n’est pas l’an 754 de Rome, quatre ans après la mort d’Hérode le Grand, adopté, d’après les calculs volontairement erronés du moine scythe Denys le Petit, au VIe siècle de notre ère. L’an 754 de Rome n’est devenu l’an 1 de l’ère chrétienne que dans le but de dépister l’histoire en sophistiquant la chronologie. Encore moins n’est-ce pas l’an 760 de Rome, 7 de l’ère chrétienne, date qui résulte des fantaisies du Selon-Luc, narrant la naissance à Bethlehem, lors du recensement de Quirinius.

En vérité, l’Église, pour empêcher que l’on ne retrouve le personnage véritable avec lequel elle a composé pour moitié Jésus-Christ, a tellement fait mentir les textes qu’elle produit, même ceux qui sont divinement inspirés, d’après elle, qu’elle est incapable de dire l’année de la naissance du héros des Évangiles, non plus que celle de sa mort, et que la critique ergote lamentablement alentour des mensonges ecclésiastiques, sans arriver à justifier les dates qu’elle suppose au petit bonheur, par approximations de faussetés et d’erreurs.

Le Crucifié de Ponce Pilate est né en 738-739 de Rome, soit quinze ans avant l’année 754 prise comme point de départ de l’ère de Jésus-Christ[2].

III. — Messie juif sous Tibère.

L’homme qui est devenu le héros des Évangiles, et qui fut crucifié par Ponce Pilate, n’a été, historiquement, sous l’empereur Tibère, qu’un prétendant au trône de Judée, au royaume d’Israël, et même à l’empire du monde, contre les Hérodes, rois, tétrarques ou ethnarques en Palestine, et contre les Romains, qui les protégeaient, maîtres alors de presque tout l’univers connu et civilisé. Rien de divin, rien d’un dieu en lui. Et tous les actes de sa carrière sont ceux d’un prétendant qui recrute des partisans, — les foules, dans les Évangiles, — fomente avec eux l’insurrection et l’émeute pour renverser les Hérodes, chasser les Romains, régner sur la Judée rendue libre, et soumettre le monde. Belle ambition jusqu’à l’indépendance, ambition folle au delà.

Mais ambition que lui permettait, à laquelle l’obligeait même sa mystique de prétendant royal, spécifiquement judaïque, fondée sur cette foi ardente, visionnaire qu’il était le Messie prédestiné, l’Oint d’Iahveh, le Christ, c’est-à-dire le roi, le chef, à la fois politique et religieux, prédit par les prophéties des livres hébraïques, qui devait subjuguer toutes les nations, les placer sous le sceptre juif, grâce au Pacte d’Alliance que le Dieu d’Israël avait passé avec son peuple, et par lequel il lui avait promis l’empire du monde. L’acte en avait été gravé par Iahveh lui-même sur deux Tables de pierre, lisibles à l’endroit et à l’envers, et remises par le dieu à Moïse sur le Sinaï. C’est la Thora ou Loi (Exode, chap. XXI à XXXVI).

Certain que les temps étaient arrivés de la réalisation, par lui et à son profit, de la Promesse d’Iahveh, en faveur de la nation juive, il s’annonça lui-même comme Messie, en la quinzième année du règne de Tibère[3], par un manifeste, sous forme de Prophétie, de Révélation ou d’Apocalypse, apparu sous la signature de Iôannès ou Jean[4].

IV. — Le Joannès-Christ et l’Apocalypse.

Le Christ de Ponce Pilate se confond, en effet, historiquement, en chair, avec Jean, disciple bien-aimé et apôtre, ainsi qu’avec Jean le Baptiste. On n’a imaginé le Jean, disciple et apôtre, distinct du Christ, ainsi que de Jean-Baptiste, séparé lui-même du Christ crucifié, qu’après la création de Jésus-Christ, au IIIe siècle, comme l’on a inventé, plus tard encore, Johanan ou Jochanan, distinct de l’apôtre Jean, précédemment créé, pour essayer de rendre insolubles les questions relatives à l’auteur et à l’origine de l’Apocalypse, brouillée à dessein déjà par la création de Jésus-Christ[5].

L’Apocalypse n’est, dans une explosion de haine xénophobe et de fanatisme sémitique, que la déclaration de guerre du Messie, contre tout ce qui n’est pas juif, bien entendu, — les goïm, les nations, — mais aussi contre ceux de sa propre race qui, soumis ou inféodés aux Hérodes et à la politique de Rome, ne se montrèrent pas assez zélés partisans de sa candidature davidiste au trône d’Israël, pour la ruine du monde[6]. Héritier et bénéficiaire, à ce qu’il croyait, de la Promesse d’Iahveh, c’est d’après l’Apocalypse qu’il comprit et tenta de jouer son rôle de libérateur, de sauveur, de jésus d’Israël, dans lequel il échoua. Le « royaume de Dieu », douce imagination évangélique, qu’il a l’air de prêcher aujourd’hui sous un masque de paix et d’amour, et ému de pitié sublime, n’a jamais représenté pour lui que la victoire des Juifs messianistes ou christiens. C’est-à-dire que sa propre victoire sur le monde ennemi, qu’il devait mettre sous ses pieds, pour lui servir de marchepied, ainsi qu’il est dit dans les Psaumes de David, au C. 1 [7].

V. — L’heure du Messie et le règne de mille ans.

Le Messie devait apparaître, d’après la Qabbale, juive, à la fin des temps terrestres, pour régner pendant les derniers mille ans, le dernier millénaire. Or, la durée du monde, d’après les cosmogonies chaldéennes, que les Israélites empruntèrent en les interprétant à leur profit, par le renversement des Sorts ou Destins (le livre d’Esther et la fête des Purim, sorts, ainsi que l’adoration des Mages à Bethlehem réalisent cette interprétation en faveur des Juifs, en ce qui concerne l’Orient ; l’Apocalypse la réalise, côté Occident), devait être de douze mille ans, douze millénaires, douze cycles, douze Æons, correspondant chacun aux douze signes du Zodiaque, lesquels commandent aussi aux douze mois de l’année[8].

Le monde, au premier jour de la Genèse, un jour de mille ans, comme tous les autres jours de la Création, — devant le Seigneur, dit encore l’Épître II Pierre, III, 8, un jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour, — avait commencé sous la lumière du Bélier ou de l’Agneau, qui commande au mois de Nizan, celui de la Pâques. Fiat lux ! Tous les ans, l’Agneau passe, et c’est la Peschah, le passage de l’Agneau que les Juifs commémorent annuellement. Les années se comptent par les Pâques. Quarante-deux Pâques font quarante-deux ans[9]. Le monde devait disparaître, tous les signes du Zodiaque épuisés par millénaires, à la réapparition millénariste de l’Agneau. Le dernier millénaire, promis au règne du Messie, c’est donc le cycle ou millénaire des Poissons, sous le signe des Poissons ou Z B, en chaldéen : Zéb ou Zéph, transcrit identiquement en hébreu, et que le grec écrit avec un êta[10]. Pour être digne du royaume du Messie, digne d’entrer dans le royaume de Dieu, suivant le change évangélique, dans la nouvelle Jérusalem de l’Apocalypse, capitale du monde enjuivé, il fallait se mettre sous le signe des Poissons ou du Zéb, se le rendre favorable. Car il est le signe de la prédestination, c’est-à-dire de la Grâce[11].

Le règne de mille ans écoulé, le monde disparaît ; l’œuvre de la Genèse est détruite. Mais par une palingénésie miraculeuse, une terre nouvelle, de nouveaux cieux remplacent l’ancien univers, sous le règne de l’Agneau à jamais revenu et fiancé à la Jérusalem céleste[12].

L’ancien monde, à part les six premiers millénaires de la création, de la Genèse, qui furent à Dieu, a été livré à Satan, au Serpent. Et c’est pourquoi la nation juive, sauf quelques jours de splendeurs sous ses premiers rois, n’a connu que tribulations, revers, désastres, infortunes. Le millénaire du Zéb devait lui apporter la revanche : Satan enchaîné pour mille ans, et le monde, aussi, soumis au joug juif. Puis Satan à son tour serait détruit, afin qu’il ne puisse pas apporter le mal dans le monde nouveau, sous l’Agneau pascal revenu[13].

Que la fin des temps, que le règne de mille ans, que l’avènement du Messie, que le royaume de Dieu, préludant au retour définitif de l’Agneau, — car toutes ces expressions ont le même sens, visent un seul et unique événement, — fussent attendus pour l’époque de Tibère, des Hérodes et de Ponce Pilate, en général, et, d’une façon plus précise, pour la grande Pâques de 788-789 ou 35-36, — grande pour ce motif qu’elle devait être la Pâques libératrice, triomphale, cela résulte de l’attente exaltée des Juifs à ce moment, de leur espérance à son comble, dit Renan, c’est-à-dire comme jamais auparavant, et de la montée du Christ à Jérusalem à cette date, poussé qu’il était par la volonté populaire, à laquelle correspondait sa propre ambition. Son destin ne lui permettait plus de reculer. Il n’y avait pas de délai. Il ne pouvait autrement. « Son heure était venue[14].

C’est cette certitude, — apparition du Christ-Messie au temps de Tibère, d’après la Qabbale juive, — que l’on retire encore de l’examen de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe qui, par trois fois (liv. I, chap. VI, 1, 3, 8), après avoir rappelé l’antique prophétie de Jacob (Genèse, XLIX, 10) : Le sceptre ne se départira pas de Juda, jusqu’à ce que le Sciloh (Messie) vienne, fait allusion à l’usurpation du trône de David par les Hérodes, étrangers Iduméens, qui ont fait mentir la prophétie, attendu qu’avec eux, il n’y a plus de princes ni de chefs de Juda, dit-il, je veux dire d’origine juive, comme rois des Juifs, et montre celui que la prophétie appelle l’attente des nations attendant aux portes. Ce fut en ce temps, ajoute-t-il, que parut manifestement le Christ, pour chasser les Romains, détrôner les Hérodes, subjuguer le monde, être, en un mot, le Messie[15].

VI. — Le père.

Ce n’est pas le Joseph inconsistant et obscur des Évangiles, suppléé par l’ange Gabriel ou l’Esprit dans ses devoirs d’époux, mais un rude homme, de belle allure, de grande famille, fondateur du messianisme comme secte, du christianisme d’où sortiront les chrétiens, un grand chef de bandes, mêlé, les armes à la main, à tous les événements politiques en Palestine, durant sa vie, instigateur de la révolte contre les Romains à l’occasion du Recensement de Quirinius, en 760 — 7, où il périt, tué, comme Zacharie, entre le Temple et l’Autel[16] ; c’est, de son vrai nom, Juda le Gaulonite[17], de Gamala, ville dont les Écritures ne prononcent jamais le nom[18], où naquit son fils aîné, et d’autres enfants vraisemblablement.

Les auteurs, scribes ecclésiastiques, dans leurs œuvres, si elles n’ont pas été retouchées sur ce point, font le silence absolu sur cette paternité de Juda le Gaulonite à l’égard du Christ, alors qu’ils la reconnaissent à l’égard de Ménahem, dont le lien fraternel avec son frère aîné a été rompu.

Outre le nom de Joseph, sous lequel ils l’ont dépouillé de son rôle historique, qui fut de premier plan, et presque de sa paternité, sous ce pseudonyme, les Ecritures lui donnent celui de Zacharie, comme père du Iôannès devenu Jean-Baptiste, celui de Jona, contraction de Iôannès, comme père de Simon Bar-Jona, celui de Zébédée, comme père des autres enfants qu’il eut de celle qu’il laissa veuve en 760 — 7. Elles l’appellent aussi le Charpentier, ce qui permet à Renan de faire de Joseph un humble artisan, un démocrate, ainsi que son fils, genre 1848 [19].

Dans les Talmuds et certains récits ecclésiastiques, on le retrouve sous les noms de Bandera, Pantera, déformation et corruption du mot composé mi-grec, mi-hébreu Pan-thora. Toute la Loi, qui lui convient admirablement. Ne croyez pas que je sois venu abolir la Thora, dit le Christ, qui se souvient des leçons de son père, et de son rôle de prétendant ; je suis venu non l’abolir, mais l’accomplir[20].

Deux fois, Joseph est cité sous son nom véritable dans les Évangiles : Juda[21].

VII. — Le nom.

Le fils aîné de Juda-Joseph n’a plus de nom de circoncision, et n’est plus que le Christ-Jésus, substitué au Messie libérateur, à l’Oint d’Iahveh.

Il s’appelait comme son père : Juda, avec le complétif Bar, c’est-à-dire Fils Juda Bar-Juda, pour l’en distinguer. Si l’un de ses frères, Thomas en Évangile, est qualifié Didyme, c’est comme son jumeau, quant au nom. Le grec Didyme, traduit l’hébreu Thomas, à dessein défiguré. Ce Thomas eut des fils dont l’un est dit Barthélemy, qui est le même que Matthieu et que Lévi.

VIII. — La mère.

Femme de Juda le Gaulonite, elle ne s’appelait pas Marie, mais Salomé. Elle était fille d’une Cléopâtre qui, veuve, se remaria avec Hérode le Grand, trahissant sa davidique famille pour le lit de l’usurpateur. La haine du Christ contre les Hérodes n’a pas seulement une origine politique ; elle est féroce, parce qu’elle se double d’une haine familiale. Les Cléopas qui circulent dans les Évangiles sont des parents de Marie-Salomé.

Elle descend de David par la femme d’Uri, c’est-à-dire comme fruit des amours de ce roi avec Bethsabée qu’il avait épousée après avoir fait périr le mari. Ce n’est pas une descendante de l’adultère, mais d’une déviation dans la postérité d’Abraham. Les Talmuds la disent Sotada, fille de la déviation. Et son fils aîné est dit : Ben-Sotada. On voit ce qu’il faut penser des suggestions de l’Église et de Renan sur l’humilité de la condition sociale de la famille de Marie. Aussi fanatique du Messianisme que son illustre époux, mort pour la cause[22], et que ses enfants, — loin d’être vierge, elle en eut neuf, — elle fut dite, en souvenir de la sœur de Moïse, fanatique d’autrefois, Marie de Magdala ou la Magdaléenne. C’est pour cacher cette vérité que les scribes des Évangiles ont inventé Marie-Madeleine, la Pécheresse, distincte de la Vierge Marie. Madeleine est un change sur Magdaléenne[23]. Les sept démons que le Verbe Jésus, — allégorie qui provient de Valentin, — extrait de Marie-Madeleine, pneumatiquement (et Marie, dans Valentin, est dite souvent la Pneumatique), sont les sept garçons, les sept mâles (sept tonnerres) de Juda-Joseph et de Marie-Salomé[24]. Car le Verbe Jésus, en tant que Dieu, est le père de son enveloppe charnelle, du Crucifié de Ponce Pilate et des six autres garçons, ses frères, selon le monde, comme de sa mère, qu’il a fécondée, en Esprit.

IX. — Les frères et les sœurs.

Car Juda-Joseph et Salomé-Marie eurent bien neuf enfants, dont deux filles. Les six frères du Christ, et lui-même sous les espèces de Jean (Iéônnès), quand on le fusionne avec Jésus, sont, en Évangile, les disciples de Jésus-Christ. La douzaine est une invention de l’Esprit, qui ne s’y retrouve pas lui-même, avec ses noms faisant double emploi. Des sept garçons, cinq au moins périrent de mort violente, comme leur père : Iôannès-Christ (Jésus-Christ), l’aîné, Simon, dit la Pierre (Képhas), les deux Jacob-Jacques et Ménahem (Nathanaël). Dans l’Apocalypse de Pathmos, au prologue, — addition du IIe siècle, — le Christ-Jésus est encore le premier-né des morts[25].

Les deux filles sont, en Évangile, Marie et Martha. Et Martha n’est que le prénom hébreu Thamar, aux deux syllabes interverties. Martha épousa Jaïrus, dont Jésus ressuscite la fille, en Évangile, comme il ressuscite Lazare-Éléazar, époux de Marie, dont le vrai nom est Esther. Eléazar, beau-frère du Christ, est tombé en combattant à ses côtés.

Les deux autres frères s’appelaient Juda-Jude qui se confond avec Thomas Didyme ou le jumeau, comme on l’a vu ci-dessus (§ IX, Le nom), et Philippe, en grec, dont le nom hébreu a totalement disparu[26].

Pour atteindre le nombre de douze disciples, tantôt on a ajouté Labbée-Thaddée-Theudas, promu à cet honneur comme revenant de l’insurgé christien sous Claude, tué en combattant, tantôt on a dédoublé Simon-Pierre avec Simon le Kanaïte, tantôt on tire Andréas d’un Jacob-Jacques, tantôt on ajoute un Jacob-Jacques, fils d’Alphée, tiré de l’un de ses deux homonymes, tantôt on fait venir Barthelemy, fils de Juda-Thomas-Didyme, tantôt on désigne Ménahem, qu’on ne nomme jamais, par Nathanaël ou Josès-Barsabas le Juste, si bien qu’en comptant Juda de Kérioth (ou l’Iscariote), la liste atteint la quinzaine. Et voici Matthieu, dans la coulisse, revenez-y du Matthias des Actes des Apôtres[27]. Le Saint-Esprit divague.

X. — La carrière.

Né à Gamala en 739 de Rome, emmené par ses parents en Égypte, revenu en Judée, prétendant au trône de David, entré en campagne comme Messie en 782 = 29, quinzième année du règne de Tibère, annonçant le royaume de Dieu, soit le règne d’Iahveh, c’est-à-dire la victoire prochaine du peuple élu sur le monde, armé de l’Apocalypse, menaçant ses ennemis de l’étang de soufre, de la géhenne, fouaillant les tièdes, entraînant les fanatiques Kanaïtes, ses partisans, circoncis suivant la loi de Moïse et baptisés, comme lui, pour être sous le signe de la grâce, Jésus-Christ, pour lui donner son nom connu, après des fortunes diverses, émeutes, troubles, arrestations, prison, fouet, sous le nom de Jean ou Iôannès, mise en liberté, propagande nouvelle, pillages, meurtres, et toujours baptisant, risqua une suprême tentative à la grande Pâques sabbatique et jubilaire de 788 = 35, coup de force audacieux pour s’emparer du Temple et de Jérusalem. Mais ayant échoué et pris la fuite, poursuivi par la cavalerie de Ponce Pilate, rejoint puis capturé, dans l’abandon de ses plus chers partisans qui la renièrent, dont son frère Simon, dit Képhas ou la Pierre, ramené dans la capitale, emprisonné, jugé en due forme et condamné pour sédition et pour meurtre au supplice de la croix, il y fut accroché le jeudi 14 nisan (avril) veille de la Pâques ouvrant la nouvelle année juive, c’est-à-dire le dernier jour de l’an qui correspond à avril 788 ; et il y mourut, âgé de cinquante ans[28].

XI. — Le Calvaire ou Golgotha.

Le lieu où fut crucifié Jésus-Christ, Messie libérateur, Iôannès-Christ, Bar-Abbas, ou Fils du Père, et fils premier-né de Juda-Joseph et de Salomé-Marie, sous Tibère, Ponce Pilate étant procurateur de Judée au nom de Rome, ne se trouvait pas à l’intérieur de Jérusalem, comme le prétend Renan avec l’Église[29], mais hors des murs, au Gué-Hinnom, qui a donné le symbole de la géhenne comme séjour des châtiments après la mort charnelle, dans la bouche de Jésus-Christ. C’était le Val du Charnier, lieu ordinaire des exécutions. Les Évangiles en font Arimathie, l’enclos des morts, har’m signifiant en hébreu clos, enclos, et math mort.

XII. — La pierre du tombeau ou le cadavre dérobé.

L’enclos des morts, Arimathie, n’est devenu une ville, par la plume des scribes, sans que nul d’entre eux jamais ait réussi à la placer quelque part, l’Église non plus, que pour donner le change sur le Joseph qui n’intervient aujourd’hui que dans les récits évangéliques du tombeau, tant il est le Joseph de l’enclos des morts, et qui fut le complice de ceux qui vinrent, la nuit, desceller la pierre du sépulcre et enlever le corps pour faire croire que le Christ n’était pas mort : Simon, Marie, entre autres, frère et mère du Crucifié. En récompense, ce Joseph d’Arimathie, rivé au récit du tombeau, et à ce seul récit, et donc qui n’était bien que quelque préposé, croque-mort, fossoyeur ou gardien, au Golgotha, Val du Charnier, champ dit sépultures à fosse commune, Har’m-math, a été haussé, par trois promotions successives, de l’un à l’autre Évangile, à la dignité de membre du Sanhédrin, puis de noble conseiller, et enfin à celle de conseiller des Hyparques, des légats de l’empereur[30].

Quant à Simon, il n’a été surnommé Képhas, la Pierre, qu’à cause de cet exploit, grâce auquel les messianistes juifs ont pu d’abord faire croire à la survie du Christ, après la crucifixion, puis, plus de cinquante et même soixante ans après, à sa résurrection. Comme pour Joseph d’Arimathie, une récompense lui était due. Mais ici, les scribes qui opèrent, maniant assez souvent le calembour de façon plus ou moins opportune et experte, font intervenir Jésus lui-même. C’est bien le moins d’un frère à son frère qui l’a ressuscité, le faisant Dieu. Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Église. Simon a donné le ciel à son aîné ; son aîné donne le monde à Simon ; il n’a qu’à le conquérir. Au temps où l’on fait à Jésus prononcer cette parole, c’est presque fait. La papauté existe ; il restait à en justifier la fondation par un décret divin, et dès les temps de Ponce Pilate. C’est à quoi saint Jérôme a su pourvoir en rédigeant à nouveau les Évangiles, sur la prière ou l’ordre du pape Damase[31]. Par ainsi, Simon, frère du Seigneur, fils ou bar de Jona, devenu Képhas ou la Pierre, et qui mourut sur la croix, lui aussi, à Jérusalem, quelque treize ou quatorze ans après son aîné, en 801 = 48, sur l’ordre du gouverneur de la Judée en ce temps, Tibère Alexandre, Claude étant empereur, et sans avoir jamais quitté de sa vie, l’Asie-Mineure, s’est trouvé du coup, à son corps défendant, par l’effet rétroactif du Saint-Esprit, sacré et consacré premier évêque de Rome, premier pape, de 794 = 42 à 820 = 67, soit pendant vingt-cinq ans, flou compris quelques mois et des jours[32].

XIII. — La sépulture en Samarie.

Le cadavre, dérobé au Golgotha, fut emporté de nuit à Machéron, en Samarie, ce qui permet aux scribes évangéliques de proclamer sans feinte qu’au matin la pierre du tombeau avait été déplacée et que le corps avait disparu. Inhumé et caché au su des fidèles et des proches qui gardèrent le secret longtemps, le corps fut tout de même retrouvé, squelette, par l’empereur Julien, au IVe siècle, ce qui prouve que quelqu’un ébruita l’affaire. Julien fit brûler les ossements dont il dispersa la cendre au vent. L’Église dit aujourd’hui que ces ossements étaient ceux de Iôannès, — entendez ceux de Jean-Baptiste. Mais au temps de Julien, Jean-Baptiste n’existe pas encore. Il n’a été inventé que pour parer le coup de la découverte du cadavre du Christ. Les restes du Iôannès recherchés et brûlés par Julien sont ceux du mort que les christiens adoraient comme Dieu et prétendaient ressuscité ; ce ne sont pas ceux de Jean-Baptiste qui n’est pas dieu. Julien ne les recherchait que pour prouver l’imposture, il dit même la fourberie purement humaine qui est à la base du christianisme faisant un dieu d’un homme, notamment par la résurrection, et qu’il voulait montrer le cadavre pour nier la résurrection. Le Iôannès est donc bien, — preuve de plus en passant, mais nous verrons mieux, — le Crucifié de Ponce Pilate. D’autre part, comme la fable de la décapitation est postérieure à Julien, le récit de la violation des restes du Iôannès ne nous dit pas que la tête manquait au squelette. On ne saurait tout prévoir[33].

XIV. — Survie et résurrection.

Car ce que Julien l’Auguste voulait prouver en déterrant les ossements du mort — il n’appelle pas autrement le dieu christien, — c’est le mensonge de la survie d’abord, propagé après le supplice de la croix en 789 = 36, grâce à l’enlèvement du corps au Golgotha dont s’étaient servis les scribes pour séparer le Iôannès du Christ, et de la résurrection, plus tard inventée.

C’est à la suite de ce mensonge de la survie où ils s’empêtrent que les scribes, au Iôannès, devenu disciple et apôtre, — Jean-Baptiste n’existe pas encore, — ont dû faire atteindre en esprit une vieillesse plus que chenue : 120 ans environ. Ainsi lui fût-il possible d’écrire l’Apocalypse de Pathmos, pour l’enlever au Crucifié de Ponce Pilate dont on l’a dédoublé, et d’autres Écritures à Éphèse, sans compter son Évangile. Mais tout ce qu’on lui a fait écrire est si contraire aux saines doctrines, seules orthodoxes, des trois Évangiles synoptisés que, pour ne pas le déclarer hérétique, l’Église dût lui substituer des Iohanan, ou Iochanan, des Iôannès presbytres ou anciens de son invention, dans lesquels elle lie sait plus se reconnaître elle-même, noyée dans ses propres impostures, et au milieu desquels les critiques se débattent lamentablement. Tout de même, une impression très forte subsiste : c’est qu’à tous ces Iohanan, Iochanan, Iôannès, anciens ou presbytres, se mêle si inextricablement le souvenir du Iôannès disciple et apôtre, qu’ils se confondent avec lui, que l’imposture éclate aux yeux, et que l’on se sent pris de pitié, sinon de mépris, devant tant de mensonges accumulés et devant la naïveté des critiques à les prendre pour des réalités de bonne foi[34].

Le dogme de la résurrection s’est fait jour et n’a pu se faire jour que bien après la fable de la survie. Le Messie ne revenant pas sur les nuées, il a bien fallu avouer qu’il était mort. Est-ce entre la destruction de Jérusalem sous Titus, et l’époque de Trajan, au début du Ie siècle ? Certains critiques l’ont prétendu. Pour moi, je ne le crois pas. La résurrection n’a pu être inventée qu’après les temps écoulés de la survie supposée du Iôannès. Pour tout dire, je ne crois pas les premières tentatives destinées à lancer la résurrection antérieures au milieu sinon la fin du IIe siècle. D’après le dispositif des Évangiles, Jésus-Christ vainqueur du tombeau, dont il avait soulevé la pierre, et donc ressuscité, passe quelques semaines en Galilée où il apparaît, intermittent et peu saisissable, — et ceci est le résidu dernier de la fable sur la survie, — et est enfin assumé ait ciel, pour s’asseoir à la droite du Père, d’où il reviendra sine die, pour juger les vivants et les morts[35].

Ici s’arrête la carrière évangélique du Christ. Mais comme on le retrouve encore, sous son nom de disciple de Jésus, son nom d’Apocalypse, Jean, dans les Actes des Apôtres, qui commencent maintenant en 782 = 29, sept ans avant la crucifixion sous Ponce Pilate, afin de l’antidater[36], comme aussi les Actes suivent trois disciples, Simon-Pierre et les deux Jacob-Jacques, sous des avatars fantaisistes, il est utile de donner quelques indications supplémentaires, autour de l’Age apostolique.

XV. — L’âge apostolique.

Ce que l’Église appelle théologiquement l’âge apostolique, de durée assez mal définie, est, historiquement, la période qui va de la mort du Christ (789 = 36), à la défaite de Bar-Kocheba et à la destruction de la nation juive sous Hadrien (888 = 135).

Le Christ, ayant échoué dans sa tentative, et le royaume de Dieu n’étant pas venu, ses frères Simon-Pierre, l’un des Jacob-Jacques, Ménahem, n’abandonnèrent pas la partie, soit qu’ils n’aient pas perdu l’espoir, à défaut de la domination universelle rêvée et bien compromise, de chasser les Romains, soit comme vengeurs du sang ou goêl-haddam de leur père et de leur aîné. Chefs kanaïtes ou zélotes, boanerguès ou Fils du tonnerre, — Simon est encore le Kanaïte dans l’Évangile, et Jacques et Jean sont fils du tonnerre (boanerguès) ; dans l’Apocalypse (X, 3-4) les sept tonnerres qui répondent au rugissement du lion, Juda, leur père, sont les sept, les sept frères, les sept daimones extraits de Marie Magdaléenne par Jésus, — ils eurent comme lieutenants, aussi fanatiques et christiens qu’eux, les Eléazar-Lazare, les Jaïrus, leurs beaux-frères, mêlés aux miracles des résurrections littéraires dans les Évangiles, ainsi que d’autres guerriers illustres, tels Theudas, le Thaddée des Évangiles, et les Bar-Giora, aux prénoms divers.

Tous ont péri de mort violente, soit les armes à la main, soit, après capture, décapités ou mis en croix.

En Syrie, en Égypte, à Rome même, toute une suite de mouvements, d’agitations, et de révoltes messianistes se succèdent, sur lesquels, à part la guerre de Ménahem, l’Église, en refaisant Flavius Josèphe et Tacite et Dion Cassius, pour ne citer que les plus illustres historiens, a jeté des voiles d’ombres, n’allumant que des lumignons ça et là sous le boisseau[37].

L’âge apostolique de l’Église, c’est, injurieusement camouflé par elle en une période de prédication évangélique, le siècle des sicaires christiens, l’ère du glaive, cycle héroïque après tout, qui, malgré son caractère de xénophobie odieuse et d’orgueil ethnique, eût de la grandeur, fut beau, à l’instar des luttes maccabéennes, écrivant avec le sang l’histoire des révoltes juives pour l’indépendance de la nation, et dont l’épopée méritait mieux que les tronçons épars, suspects et de caricature que les scribes d’Église, pour dissimuler leurs mensonges chrétiens, ont laissés dans Flavius Josèphe.

Siècle héroïque, siècle du glaive, où les messianistes ont rendu à César ce qui était dû à César, c’est-à-dire la lutte sans pitié ni merci ; et ce n’est pas leur faute si César n’a pas été payé, comme l’Apocalypse le faisait espérer.

Agitation à Antioche où, pour la première fois, les Grecs traduisent dans leur langue le terme hébreu messianistes, et d’où des christiens de marque, Siméon dit Niger (un inconnu aujourd’hui), Lucius de Cyrène, frère de Simon de Cyrène, crucifié avant le Christ, et non à sa place comme l’auraient raconté ses fils, Alexandre et Rufus, Lucius de Cyrène, sous le nom de qui l’on a mis un Évangile, Ménahem, frère de lait d’Hérode le tétrarque (Actes, XIII, 1), en réalité, filleul du frère de lait d’Hérode, d’autres encore, Simon-Pierre et son fils Marc, Jacob-Jacques le Majeur, partirent pour quelque tournée de propagande, en Syrie et en Judée, à une date et pendant un temps difficile à préciser.

Émeute à Alexandrie contre les Juifs, se rattachant à ce dogme fanatique de la prédestination d’Israël à subjuguer le monde, après destruction de l’Empire romain.

Répressions exercées par le procurateur Cuspius Fadus, où périssent des séditieux kanaïtes tels qu’Annibas et Tholomée (quelque Thomas, peut-être ou son fils Barthélemy), et ce Theudas, qui joua au Christ, soulevant les foules, servant la cause, et dont la capture et la mise à mort par décapitation fut ce qui arriva de plus remarquable durant le gouvernement de Cuspius Fadus[38] ; atténuation d’un scribe d’Église qui cache une émeute d’importance, et telle qu’elle a valu à Theudas d’être mis, sous le nom de Thaddée, au rang des douze apôtres[39].

Révolte christienne de Simon (la Pierre) et de Jacob-Jacques le Majeur durant la grande révolte concomitante à la grande famine de 801 = 48. Pris par Tibère Alexandre, chevalier romain, fils de l’alabarque d’Alexandrie et neveu du grand philosophe Philon, successeur de Cuspius Fadus, comme procurateur, Simon et Jacob-Jacques furent crucifiés[40].

Révolte christienne de Ménahem, sous Gessius Florus, où les armées romaines subirent de tels échecs, que Néron dut envoyer deux de ses meilleurs généraux, Vespasien et son fils Titus, pour venir à bout des soulèvements juifs. Entre temps, et avant l’arrivée de Vespasien, Ménahem s’était emparé de Massada, et, entré à Jérusalem, enflé de ses succès, s’y posa en Christ, avec l’appui d’Eléazar, son parent, et autres gens armés, se drapant royalement dans un manteau de pourpre. Il irrita à tel point par son orgueil ses propres partisans, qu’ils le massacrèrent[41]. Après une dure campagne, sièges de villes emportées après assauts, Jotapat, Tarichée, Gamala, comme de juste, les Romains s’emparèrent de Jérusalem, puis de Massada où tenait toujours Eléazar-ben-Jaïrus (premier jour de la Pâques de 826 = 73). Jérusalem était tombée trois ans plus tôt, le 10 de ab (août) 823 = 70, Titus fit ruiner la ville. La Palestine devint province romaine, royautés juives supprimées. Mais la nation subsiste encore.

XVI. — Simon-Pierre et les Actes.

Simon, fils de Juda le Gaulonite, que Tibère Alexandre fit crucifier en 801 = 48 avec son frère Jacob-Jacques le Majeur, transformé pneumatiquement en Pierre ne meurt plus du tout dans les Écritures canoniques, non plus que Jacob-Jacques, frère du Seigneur. Ne meurt, sous le nom de Jacob-Jacques, dans les Actes (XII, 2), que le frère de Jean, le fils de Zébédée, qu’Hérode Agrippa, disent-ils, fit périr par l’épée[42]. Il faut rapprocher ce morceau de ceux, des Actes toujours (IV, V et XII, 3-17), qui sont relatifs à Pierre. Au chapitre IV des Actes, Pierre-Simon est arrêté, une première fois, avec Jean. Puis, tous deux sont relâchés. Que devient Jean ? Il disparaît. Quand Simon-Pierre, au chapitre V, 17-18, est arrêté de nouveau (on ne fait que l’arrêter, le relâcher, quand il n’est pas délivré par des anges), c’est avec les apôtres. Jean est-il parmi eux ? Le scribe veut le faire croire. Mais il ne le dit pas expressément, — restriction mentale pour ne pas mentir, tout en trompant les Goïm Gentils, car il sait que Jean, c’est le Christ, crucifié par Ponce Pilate. Plus de dix ans se sont écoulés entre la première arrestation avec Jean, qui seul a péri, et la deuxième avec les apôtres. Voilà le tour de passe-passe pour Jean. Quant à Simon-Pierre, crucifié par Tibère Alexandre, il s’agit maintenant d’escamoter sa crucifixion ; c’est le but de ces récits disloqués, faits et refaits, qui n’ont plus l’air de se suivre, mais qui s’emboîtent encore l’un dans l’autre. Pierre est donc arrêté et emprisonné avec les apôtres. Mais, pendant la nuit, un ange les délivre. Ils sont repris, enseignant dans le Temple, en ce nom-là ; le nom de Jésus est tellement connu, — à moins que l’on ne glisse pour ne pas trop appuyer sur l’imposture, — qu’il n’est pas écrit. Mais Simon-Pierre a tout de suite compris. Cette fois, avec les apôtres, Jean non cité, car il est mort, Simon-Pierre comparait devant le Sanhédrin que préside Galamiel, docteur de la Loi, honoré de tout le peuple pour la circonstance, — on ménage les Juifs, même non christiens, qui pourraient dévoiler le pot aux roses, s’ils n’étaient portés par eux-mêmes à se réjouir de la mystification que les scribes de leur race sont en train de monter contre les Goïm Gentils. C’est le même Gamaliel, nominalement, que le Gamaliel qui présidait en 788 = 35, l’audience où fut condamné le Christ sous Ponce Pilate, mais combien changé comme homme. Quantum mutatus ab illo[43].

Gamaliel obtient qu’on relâche ces gens-là, qu’on cesse de les poursuivre de peur de faire la guerre à Dieu. Gamaliel n’est pas encore christien-chrétien, mais il est déjà min, c’est-à-dire judéo-chrétien, christianos ou chréstos[44]. Passons.

Cette peur d’offenser Dieu, de lui faire la guerre en emprisonnant les apôtres, — le récit ne laisse pas supposer que Simon encourt la peine de mort, — grâce à laquelle Gamaliel plaide pour qu’on les relâche, n’est pas telle cependant qu’il ne consente à ce qu’on applique aux apôtres le supplice du fouet. On ne les relâche qu’après les avoir fait battre de verges[45].

On relâche donc ces gens-là. Simon-Pierre en est-il ? Le scribe a l’air de le dire. Si vous lui prouvez que Simon a été crucifié, il peut répondre : Mais je n’ai pas dit qu’on l’avait relâché ! Je ne l’ai pas nominé parmi les apôtres. Comme personne ne lui pose de question indiscrète, Simon, crucifié, est et reste relâché, sous le nom de Pierre. Car, comme son maître, sans être Dieu, il est double, à partir du IIIe siècle.

La preuve que Pierre a été relâché, c’est qu’au chapitre XII des Actes, après la mort de Jacques-Jacob (frère de Jean), qui est concomitante à la sienne, en histoire, Pierre réapparaît. Il a été mis en prison par Hérode Agrippa. Pourquoi ? Parce qu’Hérode veut être agréable aux Juifs. Mais les Juifs, par l’organe de leur plus haute juridiction, viennent de l’absoudre ! Cette nouvelle arrestation est inventée ? Parlons clair : les deux récits font double emploi. Avec le second nous revenons à la situation du premier[46] : Simon-Pierre arrêté, emprisonné, puis, encore, délivré par un ange. Ici, plus de scène devant le Sanhédrin. Une fois suffit. D’ailleurs, le moment est venu du tour de passe-passe. Ecoutez bien.

Pierre délivré se rend, après réflexion, — on se demande pourquoi, — à la maison de Marie, mère de Jean, surnommé Marc. Bon époux et bon père ! Pierre-Simon, après une si chaude alerte, retourne chez lui, comme on le comprend, pour retrouver sa femme et son fils. Mais oui. Plusieurs personnes y sont assemblées qui prient pour lui. Il frappe. — Qui est là ? — C’est moi, Pierre ! — La servante, Rhodè (la Rose), reconnaît la voix de son maître. Qu’elle soit étonnée, sachant Pierre en prison, — bien qu’elle n’ignore pas que, de prison, Pierre en sort toujours, grâce aux anges, comme il est arrivé tout récemment, — passe encore. Mais qu’elle ne lui ouvre pas la porte incontinent pour qu’il entre, qu’elle commence par aller annoncer que Pierre est là, le laissant s’impatienter, derrière l’huis, ce n’est pas vraisemblable. La scène n’est imaginée que pour la suite : change sur la vérité historique, mystification du lecteur à qui l’on montre Pierre, tandis que les acteurs de la scène se refusent à suivre le scribe dans sa mystification, ou plutôt, l’y suivent, car il s’agit de tromper le Goïm Gentil, mais, eux, sans être dupes. Les personnes qui sont là connaissent si bien cette vérité historique, que Simon est bien mort, qu’à la nouvelle qu’il est là, à la porte, ils traitent la servante de folle. Maïné ! Rhodé insiste. Les Actes ne lui prêtent pas le style direct mais nous l’entendons tout de même : Il est là, je vous assure. C’est bien lui. Les auditeurs restent sceptiques. Et voici l’aveu du tour de passe-passe. C’est son ange ! concluent-ils. Mais oui. Sous le nom de Pierre, c’est le revenant de Simon, son double que l’on nous présente. Les exégètes et critiques n’ont plus qu’à déclarer que cette mystification est de l’histoire très authentique, et le tour est joué. Ils continuent de construire, savants et érudits, l’histoire du christianisme. Jacques-Jacob et Jean, où sont-ils ? Morts, sans quoi le scribe les citerait parmi les personnes qui sont là, priant pour Pierre ou son fantôme, — son ange, ils viennent de le dire, et qu’il faut être fou pour imaginer le contraire. Cependant Pierre, double de Simon, continue à frapper. Il s’impatiente, violent comme on le connaît. Il crie. On lui ouvre ; il entre. Et, bien que l’ayant entendu parler, crier, jurer peut-être, bien que l’apercevant, Pierre est tellement le double de Simon, son ange, son revenant, qu’ils (ceux qui sont là) restent toujours saisis d’étonnement, bouche bée[47]. Pierre, croyant qu’ils vont parier, leur fait signe de se taire de la main ; il raconte sa délivrance, les prie d’en informer Jacob-Jacques, donné préalablement comme mort au début du chapitre, — le scribe l’a oublié[48], — et les frères ; lesquels ? Il reste Ménahem, c’est sûr. Thomas-Juda-Didyme et Philippe sont-ils encore vivants ? On ne sait. Ayant ainsi brièvement parlé, — et c’est beaucoup pour un revenant, — Pierre sortit et s’en alla dans un autre endroit, et si mystérieux que, lorsqu’il fit jour, les soldats ne le trouvant plus dans sa prison, Hérode l’ayant fait rechercher ne put jamais plus le retrouver. De dépit, cet abominable prince fit supplicier les gardes si peu vigilants.

C’est ainsi que les Actes (texte actuel, car il est sûr que le texte premier a été refait plusieurs fois, du IIIe au Ve siècle et au delà) prennent à jamais congé de Simon-Pierre, de cet apôtre à qui, dans l’Évangile, à la fin du IIIe siècle au plus tôt, par la plume d’un Selon-Matthieu, Jésus dira : Tu es Pierre et sur cette Pierre, je bâtirai mon Église. Les Actes n’osent pas même dire que cet autre endroit où va Pierre, est en direction de l’Italie, vers Rome. Aucune Écriture canonique, — et Dieu sait que, grâce à l’Esprit pneumatique, la fraude et le mensonge ne les effraient pas ! — ne nous parlera plus, narrativement, de Pierre. Ce qu’il advint de lui ? Mystère. Sa mort ? Inconnue[49].

Je dis que ce silence est une fraude voulue. Je dis que l’on a supprimée la mort de Simon-Pierre dans les Actes, où on n’a laissé, indiquée dans une phrase, que celle d’un des deux Jacob-Jacques. Puisque celle-ci y est toujours, celle de Simon-Pierre y était aussi. Et tout ce que racontent les Actes, que je viens d’analyser, n’est que supercherie tardive pour escamoter le cadavre de Simon-Pierre. Pas de premier pape possible sous le nom de Pierre, à Rome, au Ier siècle, sans cet escamotage au IVe siècle.

XVII. — Les Jacob-Jacques.

Les Écritures chrétiennes canoniques citent, parmi les disciples ou apôtres de Jésus-Christ, trois Jacob, portant donc le nom du patriarche hébreu, que l’on transcrit, s’agissant de christianisme et pour l’arracher à ses origines juives, — les scribes ne rejettent aucun petit moyen —, par le français Jacques.

L’un de ses Jacob-Jacques est donné comme le fils de Zébédée et frère de Jean (Luc, IX, 52-56 ; Marc, X, 35-40) ; un autre est dit frère du Seigneur ; le troisième est Jacob-Jacques, fils d’Alphée. Ceci, dans les Évangiles (Luc notamment, VI, 15) et les Actes des Apôtres (I, 13).

Eusèbe, dans son Histoire ecclésiastique (II, II, 5), au IVe siècle, citant le septième livre des Hypotyposes de Clément de Rome (fin du Ier siècle, début du second, d’après l’Église), déclare : Ils étaient deux Jacob : l’un le Juste, qui, précipité du faite du Temple, fut frappé avec un bâton de foulon jusqu’à la mort, et l’autre qui eut la tête coupée.

Ce texte est important. Il prouve que ni à la fin du Ier siècle, ni au milieu du IVe, il n’existait, dans les Évangiles et les Actes, de Jacques, fils d’Alphée, sans quoi, les Hypotyposes le sauraient, l’auraient dit, et si elles l’avaient oublié, Eusèbe, en tout cas, aurait rectifié.

L’Église et certains critiques aujourd’hui, — le Concile de Trente, entre 1545 et 1564, a tranché la question, — admettent que cet Alphée, père du troisième Jacob-Jacques, est un Cléopas, lequel aurait épousé une Marie, sœur de Marie mère du Christ. Et il faut lire, quand on veut se rendre compte de ce que vaut l’exégèse des savants et érudits qui ont construit l’histoire du christianisme, les efforts que déploient certains d’entre eux pour prouver que Cléopas, Cléophas en araméen (le mot vient de l’égyptien), est l’équivalent du grec Alphée. C’est bouffon et ridicule.

Jacques-Jacob, fils d’Alphée, n’a été inventé que pour étirer jusqu’à douze disciples, en tant qu’unité de plus, le chiffre historique des sept. On a dédoublé l’un des deux Jacob-Jacques, tous deux frères du Christ, et fils de Joseph-Juda et de Salomé-Marie ; et le père a été dit Alphée ; il est l’Aleph en hébreu, l’Alpha en grec, comme son fils, crucifié, sera le Thav, dernière lettre de l’alphabet hébraïque, en forme de croix ou de T (en grec, l’oméga). Alphée, c’est Joseph-Juda.

Mais comme, à force d’inventer des disciples, pour atteindre la douzaine, on a dépassé la mesure, l’Église, aujourd’hui, ne voit aucun inconvénient, invoquant une prétendue tradition des christiens de Rome (Vigoureux, Dict. de la Bible, à l’art. : Jacques), à assimiler ce Jacob, fils d’Alphée, au Jacob, frère du Seigneur[50]. Elle retourne à la vérité.

Toutefois, elle ne reconnaît pas la fraternité de Jacques, fils de Zébédée, et de Jacques, frère du Seigneur.

Au point où nous sommes arrivés, nous nous trouvons donc en présence de deux Jacques seulement. Et si les scribes d’Église, pour fausser l’histoire en inventant douze disciples, n’avaient pas inventé Jacques, fils d’Alphée, rien que les épithètes qu’ils ajoutent : le Majeur et le Mineur, pour les distinguer, qui sont en latin les comparatifs Major et Minor que l’on n’emploie que lorsqu’il s’agit de deux personnes, nous prouveraient que les Jacob-Jacques, disciples, n’ont jamais été que deux, et que tous autres Jacques, disciples, sont des inventions de scribes dans le dessein de tromper.

Mais nous ne sommes pas au bout des fraudes de l’Église, au sujet des deux Jacques.

Du moment qu’ils sont deux, l’un, évidemment, est l’aîné, le Majeur, et l’autre, le plus jeune, le Mineur. L’Église prétend que c’est pour les distinguer l’un de l’autre qu’on a ajouté à chacun, quand on le désigne, un qualificatif relatif à l’âge. Aveu à retenir, car il prouve que les deux Jacob-Jacques sont tous deux les frères du Seigneur, les frères du Christ, les fils du même père, Joseph-Juda-Zébédée. Cette distinction des deux Jacob-Jacques, l’un le Majeur, l’autre le Mineur, est très ancienne. Elle n’a pu intervenir que si les deux sont frères. Elle serait inutile, s’ils ne le sont pas. Il est impossible de les confondre, si l’un, frère du Seigneur, est fils de Joseph, et si l’autre, frère de Jean, est fils de Zébédée. L’habitude juive, comme l’habitude arabe, est justement de désigner un individu en faisant suivre son nom de la formule de filiation : Jacob ben ou bar-Joseph, Hamet ben Amech, Juda bar Juda, etc. Comment confondre Jacob bar Joseph et Jacob bar Zébédée ? S’ils sont l’un le Majeur, l’autre le Mineur, c’est qu’ils ont le même père, et que Zébédée c’est Joseph.

On peut en être d’autant plus certain et affirmer avec d’autant plus de force la fourberie des scribes distinguant Zébédée de Joseph.- que le Jacques donné par les Évangiles synoptisés, Matthieu, Marc et Luc, comme fils de Zébédée et frère de Jean, n’est même pas mentionné une seule fois par l’Évangile attribué à son frère Jean. Jean ne sait pas ou ne dit pas que Jacques est son frère — ce qui est singulier, déclare Renan (Vie de Jésus, p. 162, en note 2), sans expliquer cette singularité. Dans son système et celui des exégètes, c’est impossible. Mais si Joseph est Zébédée, — ce que le Selon-Jean, écrit arrangé de Cérinthe, sait très bien, — pourquoi Jean donnerait-il Jacques pour son frère ? Il l’est évidemment, mais pas plus que de Simon, de Juda-Thomas, de Philippe, de Nathanaël-Josès. Pourquoi particulariser son cas ? Comprenez-vous, ô exégètes ?

Pour effacer cette certitude, que les deux Jacques-Jacob sont frères, l’Église s’est livrée à des manœuvres désespérées, à des impostures si inextricables qu’elle-même n’en sort plus, ne s’y reconnaît plus, et qu’elle a été forcée d’en éliminer une part, qu’elle traite de légendes, n’en conservant que le moins possible, afin de rendre les contradictions moins apparentes par leur nombre.

L’imposture la plus simple a été d’utiliser d’abord l’invention de Zébédée distinct de Joseph. Mais il y a plus.

Depuis que, les scribes ayant incarné, au IIIe siècle, le Verbe Jésus ou Logos de Cérinthe, du deuxième, dans le Christ crucifié par Ponce Pilate, Jésus-Christ est né, être biologique, il n’a plus de père humain ; son père Joseph n’est qu’une approximation, une façon de parler ; Jésus-Christ est fils unique de Dieu et de la Vierge Marie. Il n’a plus de frères, même selon la chair. Les précisions des Évangiles ? L’Église en fait fi. Elle dément le Saint-Esprit, quand il lui est utile.

D’où viennent alors ces frères de Jésus-Christ ?

Origène (Comm. in Evang. Matth.), auteur du IIe siècle, par la plume d’un scribe du IVe au moins, déclare d’un ton innocent que certains affirment que Joseph eut des fils d’une première femme qu’il avait épousée avant Marie. Insinuation.

Quant à Jacques-Jacob, que certains appellent frère du Seigneur, Abdias, premier épiscope de Babylone, dans ses Actes des Apôtres (liv. VI), le dit aussi frère de Simon le Kanaïte, de Juda, de Thaddée, lesquels, sortis de Cana, eurent pour parents (père et mère) Alphée et Marie, fille de Cléopas ; mais, Jacob-Jacques, bien que né de la même mère qu’eux, est fils d’un père différent, à savoir Joseph, celui auquel fut promise la bienheureuse Marie, mère de Dieu.

C’est pourquoi Jacob fui appelé frère du Seigneur, sous-entendez selon la chair, — subintelligete quod ad carnem[51].

Ainsi, Joseph aurait d’abord épousé une Marie, fille de Cléopas, qui, avant de se marier avec Joseph, aurait eu un Alphée comme époux. Veuve avec trois enfants, Simon, Thaddée et Juda, elle se remarie avec Joseph dont elle a un enfant, Jacob-Jacques ; enfin, Joseph, — Marie, fille de Cléopas, étant morte, sans doute, — épouse la Vierge Marie, enceinte par la vertu du Saint-Esprit, — en lui apportant quatre enfants, dont trois d’Alphée, et un de lui ; Jésus naît. Joseph, ayant épousé la mère, devient, ad carnem, le père de Jésus. En suite de quoi Simon, Thaddée, Juda, Jacob-Jacques, seront dits, issus de ces trois unions, successivement fécondes, frères du Seigneur, alors que, même selon la chair, ils ne lui sont rien. Si ces quasi-confusions de parts satisfont les exégètes et critiques, si ces imbroglios compliqués leur paraissent vraisemblables, donc vrais, un homme de raison moyenne a plus de sens critique qu’eux pour dénoncer de telles fantaisies[52].

L’Église fait de Jacques, fils de Zébédée et frère de Jean, Jacques le Majeur, que les Actes des Apôtres canoniques font périr par le glaive (ch. XII, 1-2). Hérode Agrippa (on ne sait pas si c’est le premier ou le second des Hérode Agrippa) fit mourir par l’épée Jacques, frère de Jean. Périr par l’épée, c’est, les critiques le supposent, être décapité.

Jacques le Mineur, d’après l’Église, est le frère du Seigneur, elle le donne comme fils de Marie et de Cléopas ou Alphée[53]. Et elle assimile Alphée à Zébédée. Dans les Actes d’Abdias (liv. IV), il est dit de Jacob, fils de Zébédée, qu’il est le Majeur, pour le distinguer du frère de Jésus que Marc (l’Évangile) appelle le Mineur, et l’annotation renvoie au chapitre XV, 40, qui porte : Marie, mère de Jacques le Mineur et de Josès ; et ce Josès, sous la forme Joseph (Matt., XIII, 55) est donné comme frère de Jésus, de Simon, de Jude, tous fils de Marie ; et Jude est le frère aussi de Jacques (Ep. Jude, 1).

Ernest Renan (Saint Paul, page 288, en note) est d’accord avec l’Église sur Jacques le Majeur, fils de Zébédée, et Jacques le Mineur, frère du Seigneur. M. Ch. Guignebert fait de Jacques le Mineur, le frère de Jean, donc, le fils de Zébédée[54].

En ce qui me concerne, la distinction entre le Majeur et le Mineur ne m’intéresse qu’au point de vue de la preuve de la fraternité des deux Jacob avec le Christ, qu’elle présume, et pour achever de montrer les fraudes et impostures des Actes, à l’effet de détruire cette triple fraternité[55].

Et voici le gros morceau, au sujet de la mort des deux Jacques. Nous avons vu que, d’après l’Église, Jacques le Majeur est le fils de Zébédée, et Jacques le Mineur, le frère du Seigneur. Les Actes faisant mourir Jacques, fils de Zébédée, par le glaive, sous Hérode Agrippa, — c’est donc le Jacques dont Eusèbe dit d’après Clément, qu’il eut la tête coupée, — reste l’autre, Jacques le Juste, dit Eusèbe, toujours d’après Clément, qui fut précipité du faite du Temple et frappé jusqu’à la mort avec un bâton de foulon. Eusèbe ajoute : Paul fait aussi mention de Jacques le Juste quand il écrit : je n’ai pas vu d’autre apôtre, sinon Jacques, le frère du Seigneur. (Gal., I, 19). Jacques le Juste, c’est donc bien Jacques le Mineur, le frère du Seigneur.

C’est ce Jacques dont Eusèbe parle (Hist. eccl., II, XXIII, 4 et ss.), reproduisant un passage du cinquième livre des Mémoires d’Hégésippe. Voici la citation :

Jacques, le frère du Seigneur, reçut l’administration de l’Église avec les apôtres (autrement dit, il fut évêque de Jérusalem)... Il a été surnommé le Juste. Il fut sanctifié dès le sein de sa mère : il ne buvait ni vin ni boisson enivrante, etc. (on veut le donner comme Nazir) ; il ne se faisait jamais oindre et s’abstenait de bains... La peau de ses genoux était devenue dure comme celle des chameaux (les rochers de Gamala, dont le nom hante les scribes), parce qu’il était toujours prosterné devant Dieu... Son éminente justice le faisait appeler le Justa et Oblias (le mâle, le Vir en latin, l’anér, génitif andros, en grec ; d’où le disciple Andréas, double emploi de Jacques Oblias), c’est-à-dire rempart du peuple et justice... Vient sa mort. Les scribes et les pharisiens placèrent Jacques sur le pinacle du Temple, le montèrent et précipitèrent le Juste... puis ils commencèrent à le lapider, car il n’était pas mort de sa chute. Mais lui, se mettant à genoux, dit : Seigneur, Dieu et père, je t’en prie, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font... Alors, un foulon prit le bâton avec lequel il foulait les étoffes et frappa le Juste à la tête[56].

Eusèbe n’est pas explicite. Mais les Actes d’Abdias ajoutent un détail, et d’importance. Il va nous mettre sur la voie d’une vérité historique à faire ressortir.

Racontant la mort de Jacques le Mineur, frère du Seigneur, au moment où Jacques va être précipité, Abdias insère dans sa narration la précision suivante :

Voici qu’un individu (homo quidam), un ennemi, Saülus, qui ensuite fut l’apôtre Paul, comme il sera dit bientôt... cet individu ennemi, entre temps, se jetant par agression sur Jacob, le précipita (prœcipitem fecit), la tête la première, du haut des marches (du Temple), — et le scribe a dit qu’il y en avait quinze ; le croyant mort, il négligea de le supplicier plus avant (il a trop à faire ; c’est une vraie bataille). Dans cette collision, Jacques eut le pied foulé et boitait péniblement. Il est manifeste que cet homme ennemi était Saül, qui fut ensuite appelé au ministère de l’apostolat.

Voilà le récit de la mort de Jacques, frère du Seigneur, qui, puisque Saül y joue le rôle de persécuteur, est antérieure à sa conversion. Nous reviendrons sur ce point essentiel.

Ainsi, Clément, Hégésippe, Eusèbe, Abdias s’étendent avec une telle prolixité sur la mort de Jacob-Jacques, frère du Seigneur. Et les Actes canoniques n’en disent pas un mot. Ils donnent la mort de Jacob-Jacques, frère de Jean, en une ligne ou deux, duquel Jacques ils ne disent pas autre chose. Et ils se taisent sur la mort de l’évêque de Jérusalem, le frère du Seigneur, à qui les Clémentines, dans la dédicace, donnent le titre de : Seigneur et Chef de l’Église universelle, évêque des Évêques, gouvernant de la Sainte Église des Hébreux qui sont à Jérusalem et toutes celles qui ont été fondées en quelque lieu que ce soit par l’aide de la providence. Je dis qu’il n’est pas possible qu’ils se taisent, sinon par fraude. Ce supplice de Jacob-Jacques le Juste, Jacob-Oblias, si émouvant, ils ne l’ont pas passé sous silence.

Mais il n’y a dans les Actes que le seul récit d’un seul supplice d’une unique personne, Stéphanos-Étienne ? dira-t-on.

Eh bien ! c’est que Stéphanos-Étienne, — pseudonyme qui signifie la couronne (du martyre), — dissimule Jacob-Jacques, frère du Seigneur. Et je le prouve.

Les Actes font de cet Étienne un diacre, l’un des sept, comme ils opèrent pour Philippe, afin de les sortir un peu plus de leur personnalité historique[57].

Fraude et imposture.

Jacob-Jacques, frère du Seigneur, meurt dans les Actes sous le pseudonyme de Stéphanos-Étienne, et dépeint, planté, caractérisé avec de tels détails qu’ils l’identifient sans erreur, qu’ils lui sont comme un signalement propre à le faire reconnaître des initiés dès les premiers mots.

Étienne plein de foi, c’est Jacob le Juste ; plein de force, c’est Oblias. Quand on compare le récit de la mort d’Étienne dans les Actes avec ceux de la mort de Jacob-Jacques dans Eusèbe et dans Abdias, il est impossible de ne pas constater que ces récits sont trois moutures de même farine, sorties du même sac et de la même machine, convenablement arrangées pour que le récit des Actes n’ait plus l’air d’être celui de la mort de Jacob-Jacques. Mais, outre le signalement, — le Juste, plein de foi (des manuscrits, parce que l’allusion était transparente ont remplacé foi par grâce), Oblias, plein de force, — le supplice est le même : la lapidation. La discussion entre les Juifs et Étienne, dans les Actes, qui est l’origine de la querelle que suivra le supplice, n’est qu’un raccourci des sollicitations des scribes et pharisiens à Jacob-Jacques dans Eusèbe. Condamné dans les Actes pour paroles blasphématoires contre Moïse et contre Dieu, pour avoir dit que Jésus de Nazareth détruira ce lieu-ci, le Saint Lieu, et changera les coutumes mosaïques, dans Eusèbe, c’est encore parce qu’il procure à Jésus un pareil témoignage, qu’il est mis au ciel à la droite de la grande puissance et doit venir sur les nuées du ciel ; et vous avez vu combien le texte d’Eusèbe a été adultéré et truqué ; c’est, en somme, pour les mêmes motifs que dans les Actes, que Jacob-Stéphanos est lapidé. Et quand il meurt, c’est le même propos, au fond, qu’il tient. Jacob-Stéphanos dit, dans les Actes : Seigneur, ne leur impute point ce péché (à ses bourreaux ; car c’est une victime, évidemment !) Dans Eusèbe : Seigneur, Dieu et Père, pardonne-leur, ils ne savent ce qu’ils font.

Il n’est plus question, dans les Actes, de la collision du Temple, donnée par Abdias et reproduite dans Eusèbe sous une forme édulcorée, pas plus qu’il n’est question, dans Eusèbe, de Saül, que présente Abdias et que les Actes ont retenu[58]. Saül est le trait d’union, par-dessus Eusèbe, entre le supplice de Jacob-Jacques et celui de Stéphanos ; c’est grâce à Saül que l’on peut achever d’identifier Stéphanos et l’assimiler sans conteste à Jacob-Jacques, frère du Seigneur.

Que celui qui a des oreilles entende ! Ecoutez bien.

Dans les Actes (VII, 58), ceux qui lapidèrent Stéphanos-Jacques, déposèrent, pour être plus à l’aise, leurs vêtements aux pieds d’un jeune homme nommé Saül ; et quatre ou cinq lignes plus loin (chap. VIII, 1-3) il est dit de Saül qu’il avait approuvé le meurtre de Stéphanos-Etienne. Jusqu’ici Saül n’est pas très méchant. Rôle passif. Trois lignes encore ; puis un aveu brutal, qui tombe avec la lourdeur d’une massue : des hommes pieux ensevelirent Étienne... Mais Saül ravageait l’Église : il pénétrait dans les maisons, et, entraînant de force hommes et femmes, il les faisait mettre en prison.

Et c’est ce Saül, persécuteur fanatique, ne respirant que menaces et que carnages, dont on ose nous dire, trois lignes auparavant qu’il n’est qu’un jeune homme à qui l’on fait jouer le rôle de gardien des habits des lapideurs ! C’est tout juste s’il n’a pas l’air d’un passant de hasard, d’un vagabond, sans métier, heureux de trouver une occasion de toucher un pourboire.

Non. La vérité que l’on veut cacher, elle est dans Abdias. Saül, dans le meurtre de Stéphanos-Jacob-Jacques, frère du Seigneur, a pris une part active, prépondérante. La collision d’Abdias, qui atténue déjà, aboutissant à l’agression de Saül qui précipite Jacques-Jacob, prouve qu’il y eut émeute et bataille, autour du Temple. Saül est là. Jacob-Jacques est là, avec ses partisans, car, dit Eusèbe (H. E., II, XXIII), à cause de la Pâques, toutes les tribus (et même les Goïm Gentils) se rassemblent. La chasse que Saül a donnée aux christiens prouve qu’il est un chef, avec des troupes hérodiennes, et qui paie de sa personne, depuis longtemps, et longtemps après, encore.

Je pense avoir débrouillé le réseau de fraudes, qui n’est inextricable qu’en apparence, bien qu’elles cascadent les unes sur les autres, par lequel l’Église a dissimulé la mort de Jacques, frère du Seigneur, sous celle de Stéphanos-Étienne ou la Couronne[59].

Il reste à dater cette mort.

Puisque Saül y joue un rôle éminent, — celui d’un ennemi, c’est qu’il n’est pas converti en Paul. La conversion de Saül en Paul intervient au début des Actes, ou presque. Quand on sait que les Actes reprennent les événements sept ans environ avant la crucifixion du Christ, qui est de 788-789 (35-36) c’est-à-dire, d’après le système qui avança à 782 = 29, la crucifixion, sous le consulat des deux Geminus ; quand, enfin, l’on tient compte que Saül apparaît anonymement dans les Évangiles, au Gethsémani, comme l’homme à l’oreille coupée, on peut inférer que Jacob-Jacques, frère du Seigneur a péri avant son frère, le Seigneur, le Christ.

De même que Jésus-Christ est le premier-né des morts, l’aîné des sept frères, Jacob-Jacques est le premier des morts. Quand on a percé à jour le mystère des résurrections évangéliques, — il y en a trois, — celle du jeune homme de Naïn, celle de Lazare-Eléazar et celle de la fille de Jaïr ; l’Apocalypse a déjà ressuscité Juda-Joseph, révolté du recensement sous Quirinius, et Sadok, son lieutenant, les deux témoins fidèles (Apocalypse, XI, 11), — on peut être certain que le jeune homme de Naïn, c’est, en esprit, allégoriquement, Jacob-Jacques-Stéphanos, dans le Selon-Luc (VII, 11), avec les sophistications nécessaires[60].

Conclusion : toutes ces fraudes ont été perpétrées pour cacher que Simon-Pierre et l’un des deux Jacob-Jacques, celui que les Actes font périr par l’épée sous Hérode Agrippa, et seul survivant des deux Jacob, après la crucifixion, fils de Zébédée et frère de Jean, comme les scribes disent, et frère du Seigneur, du Christ, et fils de Joseph-Juda, comme il est vrai, sont le Simon et le Jacob-Jacques que Tibère Alexandre fit crucifier en 801 — 48, tous deux fils de Juda le Gaulonite[61].

XVIII. — Destruction de la nation juive.

Après les révoltes de Juda le Gaulonite, de son fils, le Christ crucifié par Ponce Pilate, de Theudas, de Simon-Pierre et de Jacob-Jacques, de Ménahem, toutes réprimées, et, celle de Ménahem, la plus terrible, par Vespasien et Titus, qui rasa Jérusalem, le fanatisme messianique fit une dernière explosion sous Hadrien. Ce prince voulait rebâtir Jérusalem. Comme après l’exil de Babylone, un grand espoir souleva la Palestine. Mais Hadrien ayant fait savoir qu’il nommerait la nouvelle ville Ælia, et qu’il consacrerait le Temple qu’il se proposait d’y construire à Jupiter Capitolin, la révolte éclata : guerre de bourgs, longue et sanglante, commanditée par deux Juifs alexandrins, riches changeurs, Julianus, — au nom bien latin pour un Juif, — et Pappos. L’animateur de la révolte fut Rabbi Aquiba. Mais le chef de guerre, le général, ce fut un arrière-petit-fils de Juda le Gaulonite, — lui, toujours, lui, partout, — Bar-Koziba, qui, Messie à son tour, prit le nom de Bar-Kocheba, ou Fils de l’Étoile[62].

Après trois ans de luttes, les bandes juives furent dispersées ou détruites.

Rabbi Aquiba, capturé, fut brûlé vif. Ce n’est que son revenant qui passe dans les impostures apostoliques sous le nom d’Aquilas. Comme le Phénix, l’Aigle renaît de ses cendres. Quant à Bar-Kocheba, il paya aussi de sa vie sa mission avortée ; il fut tué par ses propres partisans déçus et meurtris, qui lui restituèrent son nom de Bar-Koziba, Fils du Mensonge[63].

Les Messianistes, bien que décimés et dispersés par les armées d’Hadrien, ne disparurent point. Leur secte, fondée par Juda le Gaulonite ou de Gamala, — Zélotes ou Kanaïtes, Galiléens, Fils du tonnerre, car tous ces noms conviennent à ses sectateurs, et, comme disciples du Nazir, Nazaréens surtout, — leur secte, malgré ses épreuves, malgré ses morts, malgré l’impuissance guerrière à laquelle elle est réduite à jamais, va-t-elle pour cela renoncer ? [64]

Nous sommes en 888 = 135. Un siècle s’est écoulé, ou mieux, deux jubilés, entre la défaite du Christ-Messie sous Ponce Pilate (788 = 35) et celle de Bar-Koziba.

Hadrien a fait passer la charrue sur Jérusalem, et, pour en finir avec les révoltes messianistes juives, a dispersé les Juifs, supprimé leur nation, la rayant de la carte du monde. L’âge héroïque du christianisme, — traduction française de l’hébreu messianisme, avec son sens étymologique, — est clos. Pas de royaume de Dieu, pas d’avènement du Messie-Christ. Pas d’autre Bonne nouvelle. Pas d’autre Écriture qui ressemble, même de loin, aux Évangiles canoniques, pas d’autre Révélation que l’Apocalypse, en y ajoutant les Commentaires de Papias. Le messianisme christien est mort, tué par les légions des Césars.

Mais l’idée ? Mais la promesse de la Thora, des Tables de pierre, des Tables du Témoignage ou Testament ? Mais la délivrance et la grandeur espérées ? Sont-elles anéanties à jamais ? Pas tout à fait.

Mais à l’héroïsme de l’Âge apostolique, à l’héroïsme du glaive, va succéder l’ère machiavélique de la littérature pendant quatre ou cinq siècles.

Il y a trois puissances pour dominer les hommes, les peuples, le monde l’or, la politique, la religion. Rien n’empêche de les associer toutes les trois. Mais quand on n’y réussit pas, on peut se contenter de l’une ou de l’autre.

Que le peuple juif se soit cru prédestiné à la souveraineté universelle, c’est ce dont il est impossible de douter d’après ce que contiennent les livres hébraïques de l’Ancien Testament. Que cette souveraineté ait dû se produire dans l’ordre à la fois temporel et religieux, sous la forme d’un gouvernement théocratique, dont le Messie eût été le représentant, par l’établissement du règne ou du royaume d’Iahveh-Dieu sur la terre, c’est une certitude qui ne peut être sérieusement contestée. Voir au titre : la Thora et l’Espérance messianiste.

L’âge héroïque du Christianisme, que l’on peut sans paradoxe faire partir de Juda le Gaulonite, fondateur de la secte et des milices christiennes, n’est pas autre chose que l’ensemble des soulèvements successifs dont la Palestine a été le théâtre depuis celui de Juda le Gaulonite, — il est l’Aleph, l’Alpha, Alphée, — jusqu’à celui de Bar-Kocheba, avec l’espoir et dans le but de réaliser la domination juive sur le monde.

Cette espérance, mystique, visionnaire, ayant le caractère d’une foi religieuse, était insensée, politiquement. Les rêveries apocalyptiques sont l’œuvre d’un fanatisme qui approche de la démence.

Mais ce que la foi affolée n’a pu réaliser par la force, cette idée de la domination universelle qui a été vaincue dans le domaine politique, la foi assagie, — Pistis-Sophia, dit Valentin, — la transposant, à partir de la seconde moitié du IIe siècle, dans le domaine de la spéculation métaphysique, la fera finalement triompher, par la ruse, par l’imposture, par un prosélytisme de mensonge, dont le monde ne verra d’autre exemple que si s’écroule la civilisation actuelle sous les coups de la propagande communiste soviétique, servie par la complicité de partis politiques, où des ambitieux intelligents, mais sans scrupules ou de mauvaise foi, courent au pouvoir en s’appuyant sur des primaires, sincères peut-être, mais de raison mal évoluée, tous recrutant, par les plus bas appels aux moins nobles instincts, une clientèle de dupes, dirai-je d’imbéciles ? — ces toujours les mêmes qui se font tuer, — qui seront peut-être la majorité demain pour faire, comme les christiens, leur révolution, au profit des malins, dont ils ne seront jamais et à qui ils serviront de marchepied.

XIX. — Les Juifs et le Christianisme.

Si les christiens se sont séparés du judaïsme en devenant chrétiens, à une époque mal définie entre le IVe siècle et le cours du Moyen-Âge, ce sont les Juifs, pas tous les Juifs, mais rien que des Juifs, qui ont fabriqué le christianisme par le prosélytisme du livre et de la parole jusqu’au Ve siècle. Même quand des Goïm Gentils s’en mêlent, ils deviennent judaïsants.

Le christianisme, œuvre basée sur l’imposture littéraire et historique, n’est que la revanche des messianistes juifs, commencée dès l’âge apostolique, après les défaites sur les champs de bataille de Palestine, dès après Vespasien et Titus, et surtout après Hadrien, contre Rome et le monde occidental qui les avait vaincus, avait mis fin à l’espérance d’Israël de dominer le monde et aux rêveries apocalyptiques sur le règne de mille ans.

Tant que la nation juive a subsisté, elle a été, par les messianistes christiens, et dès Juda le Gaulonite, divisée en deux contre elle-même[65]. Elle en a péri. Pendant tout le temps qu’ont duré les révoltes messianistes, deux clans ennemis, bien tranchés partagent les Juifs : ceux qui luttent pour l’indépendance contre Rome, messianistes-christiens-kanaïtes, davidistes, en ce sens qu’ils veulent rétablir le royaume d’Israël, comme au temps de ce roi ; et ceux, Juifs du Temple, du parti de la paix, par politique ou pour toute autre raison, qui sont restés sujets loyaux de Rome[66].

Cette distinction a une importance bien autrement grande, au point de vue de l’histoire du Christianisme, que celle sur laquelle s’étendent les savants et critiques, toujours hors du vrai chemin, relative aux sectes des pharisiens, sadducéens, esséniens.

L’hostilité de ces deux partis, hérodien et davidiste, du temps du Christ de Ponce Pilate, si vivace, restée farouche et haineuse dans les Évangiles, est allée s’atténuant de plus en plus, après Vespasien et Titus, ou, du moins, n’apparaît plus qu’atténuée dans les Actes et autres Écritures ; mais les morts des Theudas, des Simon-Pierre, des Jacob-Jacques, associées au souvenir des Hérode-Agrippa, des Tibère-Alexandre, des Hananias, même si on les sophistique dans la chronologie et dans leur substance, l’attestent et en témoignent encore.

Après la destruction de la nation et sa dispersion sous Hadrien, elle n’a plus de raison d’être.

Les Juifs du Temple semblent s’être repliés sur eux-mêmes, cherchant à se faire oublier, tandis que les Juifs christiens partaient à la conquête du monde. Héritiers de la promesse, comme il est dit dans les Épîtres de Paul, les Juifs christiens, déçus et vaincus sur le terrain politique, ont fabriqué les fables judaïques sur Jésus-Christ, inventant une religion nouvelle qui, pour n’être plus l’ancienne alliance d’Israël avec Iahveh, reste tout de même une alliance avec Dieu pour la souveraineté universelle.

S’ils veulent convertir les goïm-gentils, les piper et en faire des partisans, ils restent les chefs, les animateurs, les bergers, les évêques, au profit de qui le « troupeau » sera dominé et rançonné, sous couleur de religion. Tous les fabricants des fables judaïques sont Juifs ou au service des Juifs. Aux Juifs, la première place. Peuple élu, prédestiné, le salut vient des Juifs, dira saint Paul, comme Jésus-Christ, aux IIIe et IVe siècles.

C’est pourquoi tous les anciens livres hébraïques, la Bible juive, sacrée, sont restés, et non pas devenus, des livres saints pour les chrétiens.

Toutes les Écritures chrétiennes du Nouveau Testament, toutes les œuvres des apologistes, jusqu’à saint Augustin compris, prouvent que ce sont des Juifs qui ont fabriqué le christianisme, et au profit des Juifs, du moins, dans leur dessein.

Il faut rendre cette justice aux Juifs christiens qu’ils ont tout fait pour associer leurs compatriotes et coreligionnaires à l’imposture chrétienne flatteries, objurgations, prières, libelles de démonstration. Autant que les goïms-gentils, ils ont cherché à entraîner les Juifs tout court dans l’entreprise et les profits. Ce n’est pas sans mélancolie, lamentation ni regret qu’ils ont entrevu la possibilité d’un schisme avec leurs coreligionnaires intraitables, fidèles à l’ancienne alliance mosaïque et repoussant la soi-disant nouvelle alliance jésu-christienne ou jésuite.

Au IVe siècle, le Juif de Celse que, sous la signature d’Origène, dans le Contra Celsum, pour dater l’œuvre du second, quelque scribe christien, à la prière, parait-il, d’Ambroise, évêque de Milan, l’on fait parler contre Jésus-Christ et les chrétiens, personnifie le type de tous les Juifs honnêtes, dont la conscience indignée n’a pas voulu s’associer à l’entreprise de fraude des christiens, mystifiant les goïms-gentils, la foule ignorante des peuples et des barbares.

Malheureusement, ce Juif de Celse n’est qu’une fiction. S’il avait été le nombre, si les Rabbis juifs avaient écrit comme il a parlé, — et l’on peut être sûr que le Contra Celsum a adultéré son témoignage, sous la signature d’Origène, ne donnant de l’œuvre de Celse que ce qu’il lui a plu, — jamais les fables judaïques jésu-christiennes n’auraient pu être prises pour des vérités historiques.

C’est la complicité des Juifs non christiens, c’est la complicité de leur silence, envers leurs coreligionnaires imposteurs, qui a permis à la propagande jésu-christienne de faire son œuvre. Bonne ou mauvaise ? Ce n’est pas mon sujet, qui n’est que l’histoire des faits.

Les chrétiens, ayant bénéficié de ce silence des Juifs, et sortis du judaïsme, les ont ensuite persécutés. Aujourd’hui, les chrétiens imputent aux Juifs le crime inexpiable d’avoir crucifié le dieu Jésus-Christ qu’ils ont inventé.

Pour l’historien, les Juifs sont punis par où ils ont péché. Ils paient, non pas un crime qu’ils n’ont pas commis, — s’ils ont participé au supplice du Crucifié de Ponce Pilate, ils n’ont fait que s’associer à la condamnation d’un coupable de crimes de droit commun, — mais la faute grave de s’être tus sur l’histoire christienne, et, leurs Rabbis ayant élaboré, à partir du IVe siècle, ces fastidieux monuments de leur littérature qu’on appelle les Talmuds, de n’avoir pas dénoncé la mystification qui a trompé le monde, qu’ils connaissaient, dont ils connaissaient le secret, qu’ils auraient pu inscrire et révéler dans des livres, dont l’Église n’aurait pas pu se saisir pour les truquer et faire mentir ignominieusement l’histoire, à partir du IVe siècle et au delà[67].

 

 

 



[1] Ernest Renan, Vie de Jésus.

[2] J’ai déjà donné et je donnerai souvent les dates de l’époque sous forme de doublets, le premier nombre indiquant l’année de l’ère romaine, le second, celle de l’année correspondante de l’ère chrétienne d’après l’usage vulgaire, l’an 754 étant l’an 1 de Jésus-Christ. Ainsi : 754 = 1, 760 = 7, 781 = 28, 788 = 35, 789 = 36.

Certaines dates ne sont exactes qu’à une unité près, à cause des chevauchements de mois d’une année sur l’autre, de l’année juive à l’année romaine et à notre année vulgaire.

[3] Soit 782 de Rome, 28 de notre ère. Évangile Selon-Luc : III, 1.

[4] Apocalypse, mot grec, signifie Révélation, Prophétie.

L’original de l’Apocalypse du Messie Iôannès était évidemment en langue araméenne, écrite et parlée alors en Palestine. Il a disparu. Nous ne possédons qu’une traduction grecque, — faite à Pathmos, sans doute, d’où sa désignation d’Apocalypse de Pathmos, — laquelle a subi pendant deux ou trois siècles, au moins, depuis Hadrien, des sophistications systématiques, visibles comme des effractions, — additions suppressions, morceaux refaits ou transposés, — destinés à tromper sur l’origine, la date, la portée, les tendances, la signification de l’œuvre. C’est cette traduction grecque qui fait partie du recueil ou canon des Écritures chrétiennes, comme dernier livre —, on ne sait pourquoi, — à moins que, imitant la mode sémitique, d’après laquelle l’écriture va de droite à gauche, les livres du Nouveau Testament aient été, par rang d’ancienneté, classés selon l’ordre inverse du notre, dans les traductions en grec, latin, français, et autres langues occidentales. C’est que l’Apocalypse est, en effet, la base du christianisme, son premier livre —, elle est son point de départ historique. Elle est l’Évangile primitif, la Bonne Nouvelle du temps de Ponce Pilate, la prophétie ou Révélation réalisant, sur le papier tout au moins, la victoire du Messie juif et d’Israël sur les Hérodes, les Romains et le monde.

[5] Jean-Baptiste, n’étant que le Christ, avant multiples fraudes, dont celle qui le décapite, — Il n’y a fallu que le calame des scribes, — est bien le crucifié de Ponce Pilate, en croix sous l’écriteau ironique de Roi des juifs, Nazaréen, et sous le qualificatif de Bar-Abbas, Fils du Père, Fils d’Iahveh, qu’il s’était attribué.

Notre français Jean, Jehan traduit, — en le déformant, hélas ! et toute traduction est une trahison, surtout en matière de christianisme, — le mot oriental, chaldéen-sémitique, Iôannès, passé dans la langue grecque, tel quel, par contraction de Iao-annès, qui signifie Révélation d’Iao. Et Iao, Ieao, Icaoa, Ieou, c’est Dieu, la lumière universelle, d’où les Hébreux ont tiré Iehovah, Iaoua, Iaou, Iahveh, Iahoua, et similaires.

C’est sous ce nom de Iôannès, qui a désigné de toute antiquité en Orient, — Chaldée, Assyrie, Égypte, Babylonie, — tous les Révélateurs (en art, science, divination, etc.), tous les porteurs de pensée créatrice, c’est sous ce nom magique de Iôannès dont il se para, voulant se faire passer comme Révélateur de Dieu, qu’il a lancé son manifeste de Prétendant Roi Messie, son Apocalypse.

Iôannès est le nom de Révélation ou de Qabbale du Christ crucifié par Ponce Pilate. La Qabbale (en hébreu Qabbalah) est un ensemble de doctrines juives qui se donnent pour une Révélation d’Iahveh à Abraham et même à Adam, et transmises par une chaîne ininterrompue d’initiés. Qaballah signifie ce qui se transmet, la tradition. La prétendue tradition, sur laquelle l’Église fonde les premiers souvenirs du christianisme, — et les critiques donnent du nez dedans avec un ensemble aussi unanime que candide, — n’a été inventée comme source de documentation, mensongère, bien entendu, que pour substituer la légende à l’histoire authentique, puisée dans les livres ou détruite par la suppression des livres. Tout de même, l’idée de tradition, de Qabbale, est une idée juive. Ne jamais oublier que le christianisme a été fait par de mauvais juifs et judéo-hellènes, jusqu’au Ve siècle inclus, sinon au delà.

[6] Les Juifs appelaient goïm, tous ceux qui n’étaient pas circoncis, les autres nations. Les Évangiles, qui sont fanatiquement juifs dans leurs soubassements, disent en grec ta ethné, les nations, les races. Les Latins ont traduit par un diminutif de gens, gentis, gentiles, les peuplades, les vagues humanités non juives, passé en français, sous sa forme latine, non traduite, les gentils, — un change, bien entendu, pour qu’on n’aperçoive pas le mépris du terme : les nations, les goïm. Les Incirconcis sont donc la Gentilité. Les judéo-christiens n’y sont pas compris. Quand le christianisme triomphe ou est près de triompher, le mépris reparaît. Que peuvent bien être ces gens qui ne croient pas au Juif, Fils unique de Dieu, consubstantiel au Père, depuis quelque concile de quel siècle ? Des paysans, des rustres. En effet ! des pagani (de pagus, village), terme que l’on a fait passer en français sous sa forme populaire : païens. Qui n’est pas chrétien est donc païen, — un rustre, moins qu’un barbare. Priez pour ceux qui vous persécutent ! Hiéronymus, juif de Dalmatie, dont l’Église a fait saint Jérôme, appelle la littérature non juive : litterae gentiles. Prudence désigne les non-christiens par le terme gentiles.

[7] La fable évangélique, toute édulcorée et camouflée qu’elle soit, par la transposition littéraire, qui est un véritable change, du fait politique, local, étroit et temporel, et parce qu’il ne s’est pas réalisé, en une prétendue révolution d’ordre moral, spirituel, magnanime et universel, qui ne s’est pas produite davantage, — transposition qui ne s’est achevée qu’au Ve siècle, n’a pas pu se débarrasser de sa gangue judaïque originaire, faire disparaître le Messie juif, ni détruire l’Apocalypse. Il semble même que si les scribes s’y sont efforcés pour convertir l’Occident, ils n’y ont pas tenu absolument pour ménager le judaïsme. Car il est loin d’être prouvé que, vers le Ve siècle, quand le christianisme est fait, la rupture soit effective entre l’Église et la synagogue. Pour ma part, je ne le crois pas. Et j’ai mes raisons et mes preuves.

[8] L’expression : au siècle des siècles, en français, est une traduction fallacieuse de l’expression grecque : aux cycles des cycles, pour l’éternité, en grec, c’est l’éternité. Les Æons des gnostiques, leur Æon-Jésus sont apparentés à l’idée de cycle et d’éternité.

Les oracles sibyllins dont Virgile s’est fait l’écho dans sa quatrième églogue, ne sont pas autre chose que l’interprétation aryenne, par un cerveau occidental, de tous les mythes venus d’Orient, et, en dernier lieu, de la Judée, sur le renouvellement du monde devant ramener les jours de l’Age d’or. Voici venir le dernier âge (œtas, traduisant Æon) prédit par la Sibylle de Cumes. Un grand cycle nouveau va naître de la consommation des siècles. Déjà revient la Vierge et le règne de Saturne. Déjà, du haut du ciel, descend une race nouvelle. A l’enfant qui va naître, etc. Fr. Dübner a écrit : Selon les doctrines étrusques (origine égyptienne), adoptées par les Romains, la vie de l’univers décrit un cercle (celui du Zodiaque). A un jour donné tous les astres doivent avoir accompli leur révolution et revenir à leur point de départ pour recommencer leur cours. (De l’Agneau ou Bélier à l’Agneau.) En même temps une nouvelle série de siècles (ou cycles) semblable à celle qui vient de se clore, se reproduira sur la terre. Le temps qu’exige cette révolution du ciel et des siècles (cycles) s’appelle la grande année ou l’année du monde. Dübner divise cette grande année en dix mois, comme l’année civile avant César. C’est alors qu’il n’a pas compris le mythe étrusco-égyptien-chaldéen. Car c’est un savant. Il n’a pas vu que les divisions des cycles correspondent aux signes du Zodiaque, le Cercle de révolution. La Sibylle, que Virgile dit de Cumes, en bon Romain, avait, d’après Ovide (Métamorphoses, XIV,3) mille ans de vie. Elle conduit les héros aux Enfers et les ramène au bout de mille ans à la vie élyséenne. C’est en définitive une personnification millénariste des cycles millénaires du Canon babylonien.

[9] On trouve fréquemment dans l’Apocalypse et certains miracles des Évangiles des années évaluées allégoriquement en mois (de Nizan, ou de Pâques, sous-entendu). Il faut savoir lire l’Apocalypse et les Évangiles.

[10] On devrait prononcer Zib et Ziph. Joseph, c’est Iao-Ziph, le Poisson d’Iao, de Iahvé.

[11] Poisson (Ichthus, en grec). C’est parce que les Poissons sont le signe de la grâce, de la prédestination au règne de mille ans, au royaume de Dieu que le poisson a été par excellence l’emblème des messianistes ou christiens, puis des chrétiens. Sur les monuments iconographiques des premiers siècles, le poisson figure partout, dessin ou mot écrit. Il a été le signe de reconnaissance, le mot de passe, pour ainsi dire. Et ceci est une preuve de plus que le christianisme-chrétien sort du christianisme messianiste. Même histoire, mêmes symboles. Le baptême a été l’acte d’initiation, le sacrement premier, symbole de la purification. Il faisait du baptisé un poisson en esprit, un initié à la révélation de Dieu, le mettait en état de grâce. Toutes les scènes de barque, de pêche dans les Évangiles ne sont que des variations sur ce thème symbolique : Eau, poissons, baptême. Joseph, Iô-Ziph, n’est dit le Charpentier, entre autres surnoms ou épithètes, que parce qu’il fut artisan de la barque de pêche, allégoriquement. Il est le père du Christ, pêcheur d’hommes, comme les disciples. Il est aussi grand que Noé, avec l’arche. Le Christ est le capitaine de la Barque salvatrice : Sauve-nous, Seigneur, nous périssons ! Vous vous rappelez l’épisode évangélique qui n’est qu’un scénario en action de l’allégorie. Iô-ziph ou Joseph, c’est encore Zébédée, dont la racine Zeb fait toujours allusion au poisson. Pour détourner l’attention de Joseph charpentier et Zébédée, pour des raisons qu’aucun Juif n’ignorait, pour cacher la vérité dont les Évangiles eux-mêmes nous éblouissent encore, des scribes d’Église ont essayé de donner le change en attribuant à Joseph toutes sortes de métiers, feignant de croire qu’il en exerçait un, et qui n’ont aucun rapport avec l’atmosphère de sa vie, de son rôle, de la vie et du rôle de son fils et des disciples. Serrurier dans le Dialogue avec Trykhon, attribué à Justin, et dans l’Anticelse, attribué à Origène, — serrurier, la clef des cœurs ! — Joseph est forgeron chez Hilaire et Pierre Chrysologue. Et à l’époque où on le fait dire par Pierre Chrysologue (discours d’or), qui est, allégoriquement, orfèvre, les christiens battent en effet monnaie, d’excellent métal, avec le baptême. Tout s’explique.

Bethsaïda, cette ville es bords du lac de Tibériade, de Kinnereth à la juive, devenu Génésareth dans les affabulations évangéliques, où toute la famille du Christ est chez elle, est-ce la maison du forgeron, du serrurier ? ou celle du charpentier, lançant la barque de pèche ?

Les scribes ont fait de l’I-ch-th-u-s grec un facile rébus monogramme qui n’a rien de miraculeux ni même de fatidique ; Ièsous-Christos, Théoudios-Sôter, Jésus-Christ de Dieu Fils sauveur. Plus rien des signes du Zodiaque, ce poisson. Mais le poisson messianique ou christien, ce n’est pas l’Ichthus, des Grecs, ni le Fish des Anglais, ni le piscis des Latins ; c’est le Zêb, qui est juif. On a pu faire avec le mot grec un monogramme qui a un sens. Qu’est-ce que cela prouve ? Pour nous étonner, il faudrait que le monogramme puisse cadrer en toutes langues. Des jeux de mots, on peut en faire. Mais ils devraient être dans l’idée, s’agissant d’une religion universelle (catholique), et non dans le vocable d’un dialecte. Le jeu des scribes sur le l’expression grecque, comme mot, date au plus tôt du IIIe siècle. Comme dessin appartenant à toutes les langues. Il peut figurer dès le premier. Il est universel, Mais, comme dessin, évoqué par un vocable de chaque langue, il ne signifie pas Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur. Il est le signe du Zodiaque, signe de la grâce. Rien de plus, rien de moins. Et c’est beaucoup.

[12] Les personnages évangéliques obéissent, l’ange Gabriel lui-même, au rythme zodiacal, aux Signes astrologiques ; nous ne cesserons pas de le remarquer au cours de cet ouvrage. Ce n’est pas un fait exceptionnel. C’est un système cabalistique, de révélation.

[13] La doctrine qui fait état des croyances sur le Règne de mille ans s’appelle le Millénarisme. Cette doctrine est devenue une hérésie. Au IVe siècle encore, tout le christianisme est millénariste. La plupart des Écritures du Nouveau Testament, — même les Évangiles, qui en ont gardé l’esprit et la tendance, sinon le mot, — le sont encore, preuve de leur confection tardive qui s’est efforcée de corriger le passé, de l’atténuer, de l’effacer.

[14] M. Henri Monnier qui, dans le protestantisme, appartient à l’orthodoxie la plus rigoureuse, a écrit un livre — la Mission historique de Jésus —, dans lequel il s’efforce pieusement de prouver que le Christ ne fut qu’un rédempteur moral. La montée à Jérusalem l’étonne un peu. Elle est absolument triomphale, dit-il. En note : Il est bien certain que Jésus reconnaissait la parfaite légitimité des sentiments exprimés par ceux auxquels II était venu apporter le salut (p. 265). Ces sentiments prouvent qu’ils voient en lui le Messie-Roi, Fils de David, le libérateur. Citant une phrase de Stapfer : Les espérances les plus vives, M. H. Monnier corrige à son sens : J’aimerais mieux dire avec Holtzmann qu’il y avait une possibilité logique de victoire. Et tous ces critiques pensent Victoire morale, soit conversion des Juifs, au christianisme sans doute. Il est impossible d’être dominé davantage par le préjugé qui rend aveugle. L’arrestation du Christ, prédicateur moral, est incompréhensible. Et, de vrai, les Évangiles sont impuissants à la faire comprendre. Ce n’est que devant Pilate que tout s’éclaire, quand ils avouent enfin la vérité que le Christ voulut être le Roi des Juifs contre les Romains et les Hérodes . Et, c’est à ce moment, par un retour en arrière, que l’on s’explique les paroles désespérées du mont des Oliviers : Père, s’il est possible, éloigne de moi cette coupe ! Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! On s’explique sa frayeur et son angoisse (Marc, XIV, 33-36). Les trois synoptisés allégorisent évangéliquement les doutes du prétendant sur le succès d’une entreprise qu’il est obligé d’achever, mais sachant que la tentative est vaine, que les Romains sont les plus forts. Il n’a plus la foi. Il va à regret, envahi de sombres pressentiments. Ses partisans ne sont pas de force, ni de courage : ils vont crier : Sauve-qui-peut ! D’ailleurs, sur le mont des Oliviers, c’est déjà la retraite. On a fui de Jérusalem, dès les premières échauffourées dans le Temple. La partie est perdue. Pauvres gens ! car ils furent des patriotes juifs, à leur manière. ce sont les Gentils qui héritent de la Promesse, désormais. Autrement dit, en leur promettant la vie éternelle en Jésus, substituée au règne de mille ans, Ils entreront dans le royaume de Dieu, — comme sujets et contribuables.

[15] Bien entendu, ayant précisé l’heure du Christ, Eusèbe donne le change sur son rôle. Il en fait celui qu’attendent les nations. Imposture que suffit à prouver le sort que les Romains lui réservèrent, sans compter les Juifs du Temple. Il en fait aussi celui qui devait réaliser le salut des Goïm Gentils, comme si les nations n’avaient mis qu’en lui leur espérance, et leur vocation prédite par la Prophétie. Les Juifs ayant rejeté ce Messie.

[16] Souvenir que rappelle Jésus-Christ dans une imprécation féroce contre les pharisiens, où résonne tout le ressentiment du fils contre les meurtriers du père (Matth., XXIII, 35). Profitant de la mort d’Hérode, en 750, et des difficultés nées au sujet de la succession de ce roi. Il avait déjà tenté un coup de force, s’emparant de Sepphoris. Battu, il réussit à s’échapper.

[17] Les Actes, qui le nomment, en rappelant qu’il fut le chef de la révolte du Recensement en 760, et en le faisant se lever, comme agitateur, après Theudas, dont la révolte est postérieure de trente-sept ans à la sienne, toujours pour brouiller l’histoire (V, 27), les Actes et les autres Écritures d’Église ou revues par elle, affectent de ne l’appeler que Juda le Galiléen. De son temps, il n’est pas Galiléen. La Gaulanitide, dont Gamala est une capitale, la Pérée, la Bathanée ne sont devenues des parties de la Galilée (où Joseph se retire à son retour d’Égypte : voir le chapitre sur Nazareth) qu’après la mort de l’Hérode Philippe, en 787 = 34.

[18] Mais elles y font des allusions. Gamala veut dire chameau : Jean- Baptiste est vêtu de poils de chameau, de tissu de Gamala. Jacob-Jacques, à force de prier à genoux, a les genoux calleux du chameau.

[19] Je rappelle que ces noms de Zacharie, Zébédée, comme celui du Charpentier, sont faits pour évoquer les Idées de baptême, de sources, d’eau, de lac, de poissons, de pêche, de barque. La maison de Joseph Zébédée, c’est la maison de pêche : la Beth-Saïda. Dans Zacharie, on retrouve le radical Zach, du chaldéen Zachou, qui est le signe zodiacal du Verseau, lequel précède les Poissons ou Zèb. Zacharie-Zébédée est le père du Zéb, du Iôannès-Zéb, révélateur-Christ du règne de mille ans, sous le signe des Poissons. Le nom de Iôannès-Jona donné à Joseph prouve aussi qu’il fut avant son fils aîné un révélateur (comme auteur de la secte).

[20] C’est à cause de ce surnom que les scribes ecclésiastiques ont introduit dans le Contra celsum du pseudo Origène, au IVe siècle, l’inconvenante histoire des amours de Marie avec le soldat romain Panther, desquelles serait né le Christ.

[21] Dans le Selon-Luc (I, 39) envoyant Marie enceinte, après l’Annonciation de l’ange Gabriel, faire une soi-disant visite à sa parente Élisabeth dans la ville de Juda. Simple réintégration corporelle. Dans le Selon-Jean (III, 22), où il est dit que Jésus se rend avec ses disciples dans la terre de Juda. Il arrive du ciel. Après baptême au Jourdain, c’est bien le moins qu’il prenne possession de sa patrie terrestre.

[22] C’est ce que dans le Selon-Luc (II, 35) lui rappelle au troisième siècle, le vieillard Siméon (Syméiôn, en grec, le Signe), lors de la présentation de l’enfant au Temple : Toi-même, une épée transpercera ton âme, autrement dit : Ton époux a péri par le glaive.

[23] Le passage du Talmud sur Marie, Sota, la dit aussi la coiffeuse des dames. Magdala a le sens aussi de coiffeuse.

[24] Selon le langage du temps (Renan : Vie de Jésus, p. 158), elle avait été possédée de sept démons, c’est-à-dire qu’elle avait été affectée de maladies nerveuses, en apparence inexplicables. En apparence inexplicables ! Tout Renan est là. Jésus, par sa beauté pure et douce, calma cette organisation troublée. La Magdaléenne lui fut fidèle jusqu’au Golgotha, et joua le surlendemain de sa mort un rôle de premier ordre, car elle fut l’organe principal par lequel s’établit la foi en la résurrection. Une hystérique ? Oui, d’après Renan. Non, d’après nous. Une mère, tout simplement, mais juive fanatique.

[25] Apocalypse, I, 5. Pour parer le coup, les critiques et l’Église font semblant de ne pas comprendre. Ils interprètent : le premier ressuscité d’entre les morts, malgré le texte formel, et contre la vérité évangélique elle-même qui fait ressusciter Lazare par Jésus. L’Apocalypse avait déjà ressuscité et enlevé au ciel deux martyrs, qui symbolisent Juda le gaulonite et Sadok, de la révolte du Recensement. En comptant la fille de Jaïrus, le premier-né des morts, des sept frères morts, n’est que le cinquième dans l’ordre des résurrections christiennes.

[26] Clément d’Alexandrie (Strom., IV, 9) citant Héraclion, le disciple le plus renommé de Valentin, dit : Les élus n’ont pas tous confessé le Seigneur par la parole et ne sont pas tous morts pour son nom. De ce nombre sont : Matthieu, Philippe, Thomas, et beaucoup d’autres. Pour Philippe, on ne peut pas prouver le contraire. Pour Thomas qui est Juda (le jumeau de nom), c’est faux. Pour Matthieu, qui est le même que Lévi, fils de Juda Didyme, on n’en sait rien non plus. Voilà pour la question mort. Quant à n’avoir pas confessé le Seigneur par la parole, c’est là une affirmation contredite par tout ce que Valentin et les Actes, qui l’appellent l’Evangéliste, proclament de Philippe. Plus étonnante encore est l’affirmation en ce qui concerne Matthieu, dont on fait l’auteur du premier Évangile. Il est vrai qu’à l’époque de Clément d’Alexandrie, on n’a pas encore attribué d’Évangile à Matthieu.

[27] Maintenant, pourquoi fallait-il douze apôtres ? Parce qu’il y a douze tribus d’Israël, douze signes du Zodiaque, douze sonnettes à la robe du grand-prêtre. (Voir Justin.) Mais quand il s’agit d’apôtres, les scribes n’y regardent pas d’aussi près, et ils en mettent facilement seize à la douzaine.

[28] Il n’est pas aussi facile de retracer tous les détails de la carrière du Christ que les campagnes de Napoléon. Mais avec ce qu’on peut lui restituer des morceaux relatifs à l’Imposteur de Flavius Josèphe, combinés avec les allégories et paraboles des Évangiles, avec certains miracles aussi, camouflant des événements, on arrive à retrouver les grandes lignes de sa vie, avec des précisions étonnantes çà et là.

Le Selon-Luc fait débuter Jésus-Christ à l’âge de trente ans environ. Fraude du IVe siècle, comme l’Évangile lui-même, et plutôt de la fin que du commencement.

Si l’Évangile de Luc — le dernier paru des trois synoptisés — avait existé dès le premier siècle, et si le Christ, comme il le dit, avait débuté à trente ans, pour mourir à trente-trois, — je ne discute pas autrement ici les impossibilités qui résultent sur la date de sa mort à cet âge, avec la naissance à Bethléem au recensement de Quirinius, d’ailleurs démentie par le Selon-Matthieu, — comment Irénée, du IIe siècle, se mettrait-il en contradiction avec les Évangiles, lui qui déclare que le Christ, d’après les témoignages des Anciens, donc de témoins qui vivaient plus avant vers le temps des Évangiles, avait près de cinquante ans lorsqu’il enseignait, qu’il est mort proche la cinquantaine et touchant à la vieillesse ?

C’est sur cette fraude du Selon-Luc, que le Christ avait environ trente ans lorsqu’il commença son ministère, en reportant au petit bonheur la naissance sous Hérode vers 749, que l’Église a antidaté de sept ans la crucifixion, la reportant de 788-789 à 781-782. C’est le système de saint Augustin, et c’est celui des Actes des Apôtres qui débutent en 782, reprenant les événements sept ans avant la crucifixion. Et c’est pourquoi on y voit le Iôannès lui-même, mué en apôtre, agissant dans l’ombre de Pierre au premier plan, lequel refait des miracles déjà faits par Jésus-Christ dans les Évangiles.

[29] D’après une prétendue détermination de l’emplacement, par des agents officiels, Impériaux, sous Constantin. Pour un peu, on montrerait le procès-verbal, revêtu du sceau de l’Auguste.

[30] Il faut lire, dans les Évangiles, ce qui concerne ce Joseph d’Arimathie, d’après l’ordre suivant Jean, Matthieu, Marc, Luc, pour apercevoir combien a été grossi et truqué peu à peu le personnage. Le Selon-Luc ne peut pas se sortir des phrases qu’il écrit. Il s’y est repris à trois ou quatre fois pour aboutir.

D’autre part, il n’y a, des quatre Évangiles, que le Selon-Matthieu qui déclare que le tombeau où fut mis le Christ était la propriété de Joseph d’Arimathie. C’est une addition de plus pour camoufler le croque-mort, sous Damase, pape.

[31] Je ne veux pas dire que le surnom de Képhas = la Pierre, n’est pas antérieur au Ve siècle. Bien que je ne croie pas à l’apôtre Paul issu de Saül de Tarse, ni à ses Lettres ou Épîtres au Ier siècle, l’insistance affectée avec laquelle on les fait désigner Simon par son surnom est assez ironique pour que l’on soit sûr que le surnom rappelait un fameux tour qui réjouissait les Initiés. C’est la phrase de Jésus mise dans sa bouche, qui est du Ve siècle, et par le seul canal du Selon-Matthieu où elle rompt le récit, que l’on trouve identique dans le Selon-Marc, moins l’addition — Tu es Pierre..., etc.

Simon Bar-Jonq avait sacré son frère : Christ, ce qui ne nous apprend rien que nous ne sachions. Mais il ajoute, faisant descendre en lui le dieu fictif : (Tu es le Christ), le Fils du Dieu vivant. Simon-Pierre, plus de cent ans, deux cents ans, — qui, sait combien ? — après sa mort, est à la fois le frère du Christ et le disciple de Cérinthe.

[32] Il a fallu un bien grand courage aux deux ecclésiastiques, les Pères Hardouin et Berruyer, pour oser proclamer, avant nous, que Pierre n’est jamais allé à Rome et, par suite, n’y a jamais été pape. (Hardouin, in Matth., XXIII, 34). Berruyer (Réflexions sur la foi, tome VIII, 2ème partie, pp. 170-173) a écrit : L’Église romaine et le siège apostolique n’ont été établis qu’après la destruction de la République juive, l’abolition du sacerdoce d’Aaron, et l’entier ensevelissement de la synagogue et de la Loi de Moise. Ce qui nous conduit assez loin dans le Ve siècle, pour le dernier événements.

[33] La haine vouée par les christiens-chrétiens à Julien, à la suite de la découverte du cadavre, les a poussés à l’assassinat de ce prince. La flèche du Parthe est une flèche christienne. Quand on lit, dans les historiens du temps, la scène où périt Julien, en plein champ de bataille, au milieu de sa garde, on y voit une telle confusion que l’on peut être sûr que des scribes d’Église l’ont refaite pour cacher cet assassinat. On prétend que Julien aurait proféré à moment cette parole : Tu as vaincu, Galiléen. Je pense que c’est un change et que Julien a dit plutôt que les Galiléens (les christiens) l’ont fait assassiner.

[34] L’invention des Johanan et Jochanan est postérieure à Eusèbe qui, dans l’Histoire ecclésiastique (Liv. III, chap. XXIII, et çà et là) en reste à la survie de Iôannès, celui que Jésus aimait, devenu au temps de Trajan le Iôannès de Pathmos et d’Éphèse, auteur de l’Apocalypse, du quatrième Évangile et des Épîtres. Et l’on trouve Iochanan dans Irénée, au IIe siècle.

Cette invention n’a été possible que, pour l’étayer, grâce à l’insertion d’un prétendu extrait de Papias, — faux, bien entendu, — dans l’Histoire ecclésiastique (III, 29), où sont cités deux Iôannès. De peur que le lecteur ne s’en aperçoive pas, Eusèbe, si c’est lui qui écrit, ne manque pas de le faire remarquer, car il importe que le faux serve à quelque chose. Comme par hasard ces deux Iôannès sont tous deux enterrés à Éphèse, où l’on montre encore maintenant leurs tombeaux. A l’époque où l’on fait écrire Eusèbe, il est inutile d’y aller voir. On ne les trouverait plus, évidemment. Mais comment s’étonner ? Depuis, ils ont été détruits, voilà tout.

[35] Le symbole des Apôtres, sorti du concile de Nicée (325), a imposé par voie d’autorité, comme article de foi, la résurrection du Dieu chrétien Jésus-Christ, que les scribes ont inventée. Ce symbole n’a pas fait état de la fable de la survie ; il ne dit mot des quelques semaines passées par le crucifié hors de soit tombeau en Palestine, jusqu’à son Assomption ou Ascension, ainsi qu’on le lit dans les Évangiles canoniques et dans les Actes et dans les Épîtres pauliniennes, textes d’ailleurs qui ne s’accordent pas entre eux sur les apparitions.

[36] Les Actes, œuvre, dans l’ensemble, du IIIe siècle, ont été refaits au Ve, et, au-delà, retouchés encore. L’antidatage de la Crucifixion n’a pu être fait qu’après l’invention de Jean-Baptiste distinct de Christ et de Jésus-Christ, qui est de la fin du IVe siècle.

[37] Témoin cette phrase, — raccourci d’un événement important, — dans Suétone où il est dit que l’empereur Claude (801 = 49) expulsa de Rome les Juifs, impulsore Chresto assidue tumultuantes. Le texte en latin ne peut signifier que ceci : le Christ, ou plutôt les christiens, l’espérance messianiste, car le Christ est mort, ne cessant de pousser les Juifs à l’émeute et à la révolte.

L’historien d’Église, Paul Orose, du IVe siècle, a écrit : Dans cette même neuvième année de Claude, Flavius Josèphe rapporte que les Juifs furent expulsés de Rome. Paul Orose devait être plus explicite. Quoi qu’il en soit, la phrase ne se trouve plus dans Flavius Josèphe. L’Église l’a supprimée avec quelques autres qui devaient expliquer l’événement. L’expulsion des Juifs (christiens, s’entend, et ceux-là seuls) sous Claude, — Christ les excitant à l’émeute, — est concomitante à la crucifixion de Jacob-Jacques et Simon, fils de Juda le Gaulonite.

[38] Flavius Josèphe (Ant. jud., XX, 11, 838). Quand on lit Flavius Josèphe entre Juda le Gaulonite compris et Ménahem, non compris, fouaillant les Kanaïtes, les chargeant des pires crimes, dans le but de s’enrichir, sous couleur de défendre le bien public, les accusant d’être la cause de la destruction de la nation juive, alors qu’il ne donne plus aucun des événements auxquels ils ont été mêlés, on ne peut se garder de faire un rapprochement, sur la façon dont il raconte maintenant l’histoire, avec celle de ce précepteur de l’Aiglon, l’instruisant sur les exploits de Napoléon. Il ne se passe plus rien. Et cependant !

Il faut lire dans Flavius Josèphe, le récit de la guerre de Vespasien et Titus, pour se rendre compte de la valeur de cet historien juif comme narrateur et peintre d’histoire : vigueur et finesse du coloris, descriptions dramatiques et vivantes, mouvements des masses en action. Il rend les scènes présentes et voisines. On voit ce qu’il décrit. Il n’est pas inférieur, comme animateur, à Hérodote, Tacite, Thucydide.

Ailleurs, dès qu’on touche aux événements du temps de Tibère et Ponce Pilate et quelques années au-delà, ce grand historien est plein d’obscurités, de redites contradictoires ou réticentes ; il annonce à grand fracas des récits qu’on ne retrouve plus, ou, grandioses, qui sont des puérilités. C’est qu’il a subi les plus graves sophistications. Ses récits ont l’air d’appartements fracturés où l’on s’est livré à d’audacieux cambriolages. Tout y est sens dessus dessous. Je renvoie au chapitre : Le Père du Christ, sous le titre : Le Témoignage de Flavius Josèphe, pour plus amples renseignements.

[39] Que Theudas se soit appliqué à lui-même les prophéties qu’on applique à Jésus (Contra Celsum ...), autrement dit qu’il ait fait partie des chefs christiens, peut-être parent des sept, on peut l’inférer encore de ce qui est dit dans le Contra Celsum qui, sous le nom de Theudas, le fait se lever parmi les Juifs avant la naissance de Jésus, — Juda le Galiléen s’étant levé lors du Recensement, époque à laquelle est né Jésus (le Contra Celsum donné comme l’œuvre d’Origène au IIe siècle, connaît le faux du Selon-Luc sur la naissance à Bethléem, au Recensement, qui est du IIIe), — et qui, «sous le nom de Dosithée, Samaritain, a voulu se donner comme le Christ prédit par Moïse, et a réussi à en convaincre plusieurs.

Tout ce morceau du Contra Celsum est une imposture maladroite pour faire de Theudas l’imposteur dont on a biffé le nom dans Flavius Josèphe. De plus, Theudas ne s’est pas levé avant la naissance de Jésus ; la phrase du Contra Celsum veut épauler le faux que l’on fait proférer à Gamaliel dans les Actes : Juda après Theudas. Enfin, liquidé sous le nom de Theudas, avec un anachronisme voulu, on lui restitue son rôle historique sous le nom de Dosi-thée, qui est Théo-dose retourné, et Théodose en grec, se transpose en Theudas dans les bouches des Juifs parlant l’araméen.

[40] Flavius Josèphe dit l’événement en une phrase : Alexandre fit crucifier Jacob et Simon, fils de Juda le Galiléen, qui, du temps que Quirinius faisait le recensement des Juifs, avait sollicité le peuple à se révolter contre les Romains (Ant. jud., XX, III). Dans Guerres des Juifs contre les Romains, pas un mot. C’est très curieux.

Quant à savoir pourquoi Alexandre fit crucifier les deux chefs christiens, on le soupçonne, on le devine. Mais Flavius Josèphe ne le dit pas. Aucun crime en eux, aucune cause, comme pour le Christ. La phrase est pourtant précédée d’une phrase où il est question d’une grande famine qui arriva en Judée en ce temps-là.

Or (Ant. jud., XVIII, 1 759), parlant de la rage des séditieux du temps de la révolte de Juda le Gaulonite, Flavius Josèphe écrit qu’une grande famine qui survint ne put les empêcher de forcer les villes, ni de répandre le sang de ceux de leur propre nation.

Pourquoi Jacob-Jacques et Simon ont-ils été crucifiés ? Si Flavius Josèphe ne le dit plus sous Tibère Alexandre, c’est que le morceau a été supprimé. Une phrase le résume, d’autant plus frappante, — après tout, ils sont les fils de Juda le Gaulonite et Kanaïtes, et Flavius Josèphe fait d’une pierre deux coups, — qu’en plus de la famine de 760 = 7, il y en eut une autre, sous Claude, en 801 = 48, dont Eusèbe (H. E., II, VIII) ne peut s’empêcher de faire mention juste avant le martyre de Jacques l’apôtre, et il cite sur cette famine l’extrait de Flavius Josèphe qui la relate en une phrase (Ant jud., XX, III), juste suivie de la phrase, dans Flavius Josèphe, où il est dit que cet Alexandre fit crucifier Jacques et Simon, fils de Juda de Galilée. Tous ces rapprochements sont très curieux. Ils identifient une fois de plus Jacques et Simon, fils de Juda le Gaulonite avec Jacques et Simon, disciples et frères du Christ. Eusèbe cite la phrase de Flavius Josèphe sur la famine après avoir parlé du procurateur Fadus, sans annoncer que Tibère Alexandre a succédé à Fadus, et dit : Sous ces procurateurs, au pluriel, alors que le texte de Flavius Josèphe a annoncé que Tibère Alexandre a succédé à Fadus, et place la famine en ce temps-là. Bien entendu, Eusèbe ne dit mot de la crucifixion de Simon et de Jacques-Jacob.

Dans les Actes (XI, 28-30), la famine est prédite par un certain prophète Agabus, descendu de Jérusalem à Antioche, dont le nom semble bien une déformation voulue de Iacobus ; sa prophétie précède immédiatement, dans les Actes, la phrase sur la mort de Jacob-Jacques, frère de Zébédée. Nous verrons que sous Claude, des deux Jacques, Il n’en reste plus qu’un de vivant, et pas pour longtemps. Voir § XIX, les Jacob-Jacques.

Quand on a percé à jour la méthode et les procédés ordinaires des Actes et d’Eusèbe pour fausser l’histoire, il ne faut pas une grande intuition pour comprendre que cette famine, qui gravite autour de la mort de Jacob-Jacques, avec son frère Simon, et à laquelle est mêlée la reine des Adiabéniens, Hélène, qu’un Eléazar a convertie au judaïsme et qui a ravitaillé Jérusalem avec des blés achetés par elle en Égypte, et des figues sèches à Chypre, a été l’occasion de brigandages de la part de Simon et de Jacques : convois interceptés et pillés, villes mises à sac, sans compter les morts au compte de Simon, telles que celles d’Ananias et Saphira (Actes, V), qui sentent l’assassinat à pleines narines, — toutes choses dont Tibère Alexandre n’a pas été sans leur demander compte. La cause de leur crucifixion est là, en gros, si les détails de leurs méfaits restent inconnus, parce qu’on les a supprimés. La découverte n’est guère conforme aux Écritures, mais elle est conforme à l’histoire. Et c’est l’essentiel.

[41] Rappel de Juda le Gaulonite dans Flavius Josèphe (Guerres des Juifs, II, XXXIII, 104) : Ménahem, fils de Juda Galiléen, ce grand sophiste, qui, du temps de Quirinius avait reproché aux Juifs qu’au lieu d’obéir à Dieu seul, ils étaient si lâches que de reconnaître les Romains pour maîtres.

[42] Nous verrons d’ailleurs que l’on a, ici, substitué à Jacob-Jacques, crucifié, Jacob-Jacques lapidé, c’est-à-dire le Mineur au Majeur, pour parler suivant les distinctions de l’Église entre les deux.

[43] Tout, dans le récit de cette comparution, est arrangé pour prendre le contre-pied de la vérité historique, et si grossièrement, avec un tel mépris de l’intelligence des lecteurs, que l’on ne comprend pas que la critique libérale ne vole pas plus clair dans ce maladroit imbroglio d’impostures. Galamiel y plaide en faveur des Kanaïtes christiens, se fait l’avocat de l’Église au IIIe siècle, trahissant la cause des Juifs du Temple, du parti de la paix dont il fut, de son temps ; trahissant Rome dont il fut le sujet loyal sinon soumis. Et quel oubli de l’histoire ! Il place le soulèvement de Theudas, avant celui de Juda le Gaulonite, comme un ministre de la Guerre français qui ferait précéder Abd-et-Kader par Abd-et-Krim. Il croit presque à Jésus-Christ. Tout de même, une vérité profonde ressort de tout ce truquage : c’est le lien qui unit Juda le Gaulonite, Theudas, Simon-Pierre et les apôtres. Galamiel en fait trois chaînons de la même chaîne. S’il saute le Christ de Ponce Pilate, c’est parce qu’il est le trait d’union entre Juda et Simon, et parce que, quand on le fait parler, Jésus-Christ s’est substitué au Christ, en esprit, pneumatiquement.

[44] Et c’est ce Galamiel, Rabbi Galamiel, à moins que ce ne soit son fils ou petit-fils, justement à l’époque où on le fait min dans les Actes (IIIe siècle) qui, dans le Talmud (Megilla, IV, 9) profère une malédiction contre les Juifs à tendance de min, de christianoï, de chréstoï, afin que les vrais Juifs les écartent de la teba, ou pupitre des officiants dans la synagogue. Un détail, mais qui s’ajoute à toutes les preuves de la mauvaise foi des Actes.

[45] Galamiel n’est même pas conséquent avec lui-même. Car, si les apôtres font œuvre qui vient des hommes, — c’est ainsi que les Actes qualifient la prévention, ce n’est même pas un délit ou un crime ; Galamiel l’admet : cette œuvre se détruira d’elle-même dit-il. Le scribe plaide pour que nul ne s’oppose à la propagande. Ou bien leur œuvre vient de Dieu. Par suite, retenir ces gens-là, c’est faire la guerre à Dieu. Dans les deux cas ils doivent être acquittés sans dépens. Pourquoi, alors, Galamiel les laisse-t-il ou les fait-il battre de verges ? Répondez à cette question.

[46] A la chronologie près, Hérode Agrippa Ier, est mort en 797 = 44. Tibère Alexandre est procurateur de 797 à 802 (44-49). Le successeur d’Hérode Agrippa fut son fils, deuxième du nom ou de noms. Les Actes, au surplus, ne précisent pas. S’il s’agit du premier Agrippa, ils avancent la mort de Simon-Pierre de quatre ou cinq ans et la placent en l’année 797 = 44 sur laquelle chevauchent et la royauté d’Agrippa mourant et la procurature de Tibère Alexandre entrant en charge. Le tout pour dépister l’histoire.

[47] L’allégresse fut infinie, s’écrie Renan (Les Apôtres, p. 249). Je le crois sans peine, bien que le scribe ne le dise pas. Mais le scribe qui a fait cette scène a dû avoir une heure de satisfaction intense et sans limite. S’il avait pu prévoir Renan et les exégètes, il aurait même crevé de joie, ou de mépris.

[48] Vers ce temps, dit-il, le roi Hérode fit mourir par l’épée Jacques, frère de Jean, — fait acquis, — et, voyant que cela était agréable aux Juifs, il fit aussi arrêter Pierre. Quand on arrête Pierre, Jacques est mort. Je sais bien que l’on peut ergoter sur le Jacob-Jacques cité par Pierre, dire qu’il s’agit du frère du Seigneur, dans sa pensée, et Renan le dit. Mais le texte des Actes qui lie les deux noms prouve que c’est bien du Jacques, frère de Zébédée, que Pierre entend parler.

[49] On répondra peut-être que Pierre (Actes, XV, 7) assiste au concile de Jérusalem. Qui peut croire que ce Pierre dont l’évasion dût faire du bruit, qu’Hérode Agrippa fit rechercher, — il alla jusqu’à faire supplicier les gardes qui avaient laissé échapper Pierre, — ait pu se promener impunément en Judée, apparaître librement à Jérusalem, ou même, comme on le prétend, séjourner plusieurs années à Antioche ? Du roman. Si Hérode ne l’a pas trouvé, c’est qu’il ne l’a même pas recherché. Simon-Pierre est mort en croix (801 = 48) avant qu’Hérode Agrippa soit défunt, en admettant, au pis-aller, que les deux soient morts la même année, 797 = 44 selon l’hypothèse de la note 96. Inadmissible.

[50] M. Ch. Guignebert (Hist. anc. Christ., p. 255) qui déclare arbitraire la confusion de Jacques, fils d’Alphée, et de Jacques, frère du Seigneur, et qui donne Jacques, fils de Zébédée, comme disciple, ne nomme pas, parmi les dix disciples sur lesquels l’accord est fait dit-il, — proposition que je n’accepte pas, — Jacques-Jacob, frère du Seigneur. Qu’en fait-il ? Il devrait bien nous le dire.

[51] Les Actes attribués à Abdias, furent, dit-on, écrits en hébreu, puis traduits par Eutrope, son disciple, en grec, et du grec en latin par Jules l’Africain. Mensonges si insoutenables que l’Église les tient pour une œuvre latine de la deuxième moitié du VIe siècle. La dernière édition date de 1703 à Hambourg : Codex Apocryp. Nov. Testam., par J. A. Fabricius.

Ces Actes suivent de si près les Actes des Apôtres du Nouveau Testament, en groupant toutefois les faits relatifs à chaque apôtre sous des chapitres à leurs noms, et en ajoutant à la matière des Actes canoniques des récits supplémentaires assez semblables à ceux de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe, que l’on peut se demander si ce sont les Actes d’Abdias qui sont faites sur les Actes canoniques ou si ce n’est pas l’inverse. Que cet Abdias ait été évêque de Babylone, en Chaldée, il faudrait mieux qu’une tradition ecclésiastique pour le croire. Babylone, c’est assez souvent Rome, chez les christiens, pour avoir la certitude que les Actes d’Abdias proviennent des scribes de Rome, entre le IIIe et le VIIe siècle.

Ce qui permet de le penser, c’est l’invention d’Alphée, qui est une étape intermédiaire de l’imposture définitive sur les trois Jacques-Jacob des Évangiles et des Actes canoniques. Et nous allons bien voir autre chose concernant Paul ou Saül et l’un des Jacob-Jacques.

[52] J’incline maintenant à croire que les frères du Seigneur provenaient du dernier mariage de Joseph, déclare Renan (Saint Paul, p. 285, en note). Pauvre homme !

[53] L’Église adopte la découverte des érudits identifiant les termes Cléopas (égyptien ou araméen) et Alphée (grec). Dans Molière, le crois, un étymologiste à la manière des érudits de l’Église tire aussi vraisemblablement le mot français maison du grec oikos.

Notez que dans Abdias, la Marie, mère de Jacques est non la femme, mais la fille de Cléopas. Et ceci nous prouve que alors que les deux Jacob sont frères, historiquement, et fils de Marie (Salomé), on veut cacher que Marie-Salomé est fille d’un Cléopas. Abdias en faisant de Marie, mère de Jacob, la fille de Cléopas, — Jacob étant le frère du Christ, — laisse échapper une vérité historique. La Vierge Marie, sous son vrai nom de Salomé, est une Cléopas. On s’en doutait. Sa mère, veuve, s’était remariée avec Hérode le Grand.

[54] Hist. anc. Christ., p. 255-256. Voici la phrase : Les Actes ne nous montrent en action (parmi les apôtres) que Pierre et Jean, et, incidemment, Jacques, frère du Seigneur ; à peine nous signalent-ils en passant la mort de Jacques le Mineur, frère de Jean. (Actes, XII, 2). Peut-être est-ce un lapsus. Mais il est reproduit à l’index alphabétique, p. 532.

[55] D’ailleurs, avant Renan et M. Ch. Guignebert, les scribes ecclésiastiques eux-mêmes ne se reconnaissaient plus entre le Majeur et le Mineur des deux Jacques.

L’Église, qui assimile aujourd’hui Jacques, frère du Seigneur, avec Jacques, fils d’Alphée, en distinguant l’un et autre, réunis ou non, de Jacques, fils de Zébédée, est contredite par toute l’Église grec qui s’appuie sur les témoignages d’Épiphane (Hœr., LXXIX, 3), de Grégoire de Nysse (Orat., II et De résurr., XLVI).

L’Église se débarrasse aisément de ces deux témoignages. Épiphane et Grégoire de Nysse, dit-elle, ont confondu Marie de Cléopas avec la Sainte-Vierge. Parbleu ! Elles ne sont qu’une seule personne que l’on a dédoublée après eux, pour enlever au Christ ses frères et en faire un Fils unique, au lieu d’un fils premier-né. Épiphane et Grégoire n’ont rien confondu du tout, leur témoignage atteste l’identité des deux Marie. Il n’y en a qu’une : Marie, fille de Cléopas, mère des sept, Christ et ses six frères, et de leurs deux sœurs.

[56] Traduction Émile Grapin, curé doyen de Nuits (Côte-d’Or), dans la collection H. Hemmer et P. Lejay, Alph. Picard, éditeurs. L’extrait d’Hégésippe, ajoute à l’appendice M. Grapin, est rempli de redites et d’obscurités, répétitions, redites, parenthèses, retours sur les parties antérieures du récit, difficultés, fin de paragraphe altérée, liaison mal choisie, contradiction. Bref, tous les signes manifestes d’un récit que l’on a fait, refait, retouché, modifié. On va comprendre pourquoi. Mais il est bon de toucher la fraude du doigt, avouée, dans des euphémismes, par le traducteur ecclésiastique.

[57] Je ne m’attarderai pas à discuter si l’institution du diaconat et des diacres remonte au temps où les Actes sont censés l’établir. Les diacres en ce temps-là sont aussi anachroniques que le seraient un ministre de l’aéronautique et du pétrole sous Napoléon Ier. Il me suffit que le récit de l’institution des diacres dans les Actes porte en lui-même sa fraude.

Quel est, en effet, le but de l’institution des diacres ? Le service des tables, afin que les douze (apôtres) puissent ne s’appliquer qu’à la prière et au ministère de la Parole, car il n’est pas convenable qu’ils délaissent la parole de Dieu pour faire le service des tables (Actes, VI). Les Douze élisent donc sept diacres, Étienne et Philippe, — puis cinq individus aussi inconnus que leurs noms sont bizarres : Procorus, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas. Des Grecs. Des Grecs pour le service des tables chez des Juifs ! Et il faut croire ça ! Les critiques disent : Amen !

Donc les diacres sont chargés du service des tables. Le service de la Parole reste aux Douze. Or, parmi les sept diacres, les deux seuls que l’on voit agir, Étienne et Philippe, et dans le seul cas où ils agissent, n’agissent qu’en apôtres, qu’en ministre de la Parole. Faire d’Étienne un diacre ! préposé au service des tables ! Quel mépris des compétences ! Les Actes eux-mêmes le démentent et se contredisent. S’il est un homme, en effet, qui ne soit pas the right man in the right place où, sur le papier on l’emploie, c’est bien Stephanos. Ouvrez les Actes (ch. VI, 8-15, et VII) : plein de grâce et foi (le juste), plein de force (oblias), Il n’existe que pour accomplir de grands prodiges et de grands miracles. Et il ne meurt, comme orateur, que pour avoir l’occasion de prononcer un grand discours qui rendrait des points à ceux de Pierre et de Paul. Un diacre, cet orateur ! Un ministre de la Parole, un apôtre, vous dis-je : Jacob-Jacques. Et Philippe ? Est-ce qu’il est préposé aux tables ? Est-ce qu’il agit en diacre sédentaire à Jérusalem ? Il n’est sans cesse, quand un nous le montre, que par monts et par vaux, sur les routes, comme ministre de la Parole, d’abord à la poursuite d’un Éthiopien qu’il convertit sur le chemin qui descend de Jérusalem à Gaza, puis il va à Azot et, de là, à Césarée annonçant l’Évangile, par toutes les villes où il passait. Les Actes le disent. Un diacre, Philippe ? Quand aurait-il le temps d’être à son poste ? Un apôtre, vous dis-je, frère du Christ, crucifié, et qui écrivait tous les jours les paroles de son frère.

[58] Le récit d’Eusèbe ne se présente avec les marques d’effraction, que le critique avoue en termes embarrassés, que parce qu’il a été refait, non seulement, pour se distinguer du récit des Actes, niais surtout pour en faire sauter Saül.

Saül, c’est une date. Puisque Saül a précipité Jacques-Jacob, frère du Seigneur, du haut des marches de l’escalier du Temple, Jacob-Jacques, frère du Seigneur, est mort avant la conversion de Saül en Paul. Il n’est pas mort, comme on le lit aujourd’hui dans une interpolation frauduleuse des Antiquités judaïques de Flavius Josèphe (XX, VIII) en 814 = 61, sur poursuites d’Hananias, grand sacrificateur, profitant de la carence de la procurature romaine, entre celle de Festus, mort, et l’arrivée d’Albinus, son successeur.

Le faux est entré dans Flavius Josèphe à l’époque où le récit d’Eusèbe a été sophistiqué. N’ayant pu mettre à temps la main sur les Actes d’Abdias pour les détruire ou les modifier, l’Église les déclare apocryphes, ou pseudépigraphes. Argument arbitraire, mais très malin, puisqu’il prend. Malin signifie diabolique.

[59] Une de plus est celle de Paul dans la Lettre aux Galates (I, 19) où, au IIIe siècle, on fait dire à ce persécuteur qui a tué Jacob, frère du Seigneur, qu’il l’a rencontré et vu, — il est même descendu chez lui, — dans un voyage à Jérusalem, à une époque où Jacques, — qui s’est endormi Stephanos (Actes, VII, 60). — dort, depuis quinze ans, son dernier sommeil. Il n’a fait que le rencontrer, descendre chez lui. Ce que dit Abdias ? Pseudépigraphie ! L’Esprit le veut.

[60] Anonymat et fils unique. Du moins on ne cache pas que la mère est veuve, comme la mère des fils de Zébédée. Pour que Jésus qui, ailleurs, refuse de faire des miracles, ressuscite spontanément, sans qu’on lui demande rien, un jeune homme inconnu et le rende à sa mère, — après quoi le ressuscité et la mère disparaissent à jamais, — il faut qu’il ait été poussé par le plus fort des sentiments : l’amour maternel et fraternel. On a beau lui faire dire : Qui sont mes frères, mon père et ma mère ? Jésus, quand il s’incarne vraiment dans le Christ, est humain et a l’esprit de famille.

L’allusion à Jacob-Jacques est si transparente, dans Luc, que les autres Évangiles ont supprimé ce miracle.

[61] On lit dans les Œuvres (ch. 72) d’Isidore de Séville, docteur chrétien très illustre, évêque espagnol du temps de Grégoire le Grand (VIIIe siècle), que Saint Jacques, fils de Zébédée, frère de Jean, celui que les Actes font périr par l’épée, ordre d’Hérode Agrippa, a prêché l’Évangile à l’Espagne et aux peuples des pays à l’occident (le Portugal, quoi !). Depuis, il a été enterré a Saint-Jacques de Compostelle. Impossible. A quel moment ?

[62] On retrouve rabbi Aquiba chrétien et paulinien dans les Actes et dans les Lettres de Paul, camouflé en Aquilas, l’Aigle (Actes, XVIII, 2 et L. aux Romains, XVI, 4), où il est dit que cet Aquilas et sa femme Priscilla ont exposé leur tête pour sauver la vie... de Paul.

On ne connaît bien l’histoire de ce dernier soulèvement que par saint Jérôme, que par Eusèbe, — et on peut être sûr qu’ils l’ont faite avec toutes les précautions nécessaires pour ne pas la rattacher à celle du christianisme, — et que par Dion Cassius, abrégé et refait au XVe siècle par le moine Xiphilin. Mais le moine a justement supprimé le livre 69 des Histoires de Dion Cassius qui, natif du Pont, comme Aquilas, devait se faire un plaisir de nous dire qui était exactement ce Bar-Kocheba, protégé d’Aquiba-Aquilas. Heureusement que nous savons, par Valentin (Pistis-Sophia), qu’il s’appelait Simon : Maria-Salomé le reconnaît même, dans Pistis-Sophia, comme de sa postérité en ligne directe. Bar-Kocheba ayant fait frapper monnaie, s’y présente comme Simon, prince d’Israël (Derenbourg, Guerre de Bar-Kocheba). Arrière-petit-fils de Juda de Gamala, petit-fils de Simon-Pierre, et fils de Iôannès-Marc (Marc est la déformation latine de l’hébreu Malik), devenu l’évangéliste, il doit, je pense, à cette ascendance, l’honneur que lui fait Eusèbe de le donner comme évêque de Jérusalem, sous le nom de Syméon (le Signe, l’Etoile). Eusèbe le fait fils de Cléopas dont parle l’Évangile. Il était, dit-on, cousin du Sauveur : Hégésippe raconte, en effet, que Cléopas était le frère de Joseph. Ce qui fait un cousin de plus à Jésus. Mais ce n’est pas ce qu’en dit Eusèbe qui peut nous persuader, — sauf le nom de Syméon, destiné aux initiés.

Au surplus, si vous voulez connaître toute la pensée d’Eusèbe sur Bar-Kocheba, vous pourrez lire (H. E., IV, VI) que ce chef des Juifs n’était qu’un voleur et qu’un assassin qui se donnait pour un astre venu du ciel, comme le Verbe. Et Justin, que cite Eusèbe (H. E., IV, VIII), nous apprend que dans la guerre actuelle (ce qui place Justin vers 888 = 135), Bar-Kocheba, le chef de la révolte, faisait conduire les seuls chrétiens à de terribles supplices, s’ils ne reniaient et blasphémaient Jésus-Christ (qui n’est pas inventé). Vous demandiez de l’histoire ? En voilà ! Et de l’authentique, pour l’Église.

Au surplus, avec des gaillards de la trempe des scribes qui ont écrit sous les noms de Justin et d’Eusèbe, on peut se demander si l’allégation de Justin ne contient pas, bien que faite pour être comprise telle qu’elle apparaît, une part de vérité. Si, comme il est possible les affabulations qui ont été précisées par Cérinthe sur le Logos, étaient déjà en formation, on comprendrait que le farouche et fanatique Bar-Kocheba, qui n’admettait, comme le Christ de Ponce Pilate et ses frères, Simon, Jacob-Jacques, Ménahem, que la doctrine de l’Apocalypse, ait, en effet, traité en ennemis ces hérétiques, qui avaient succédé, après la première grande défaite christienne de Ménahem, comme partisans de la paix, aux hérodiens du temps du Christ. Il ne s’agit que de savoir comprendre le style à double entente, — change perpétuel, — des écrivains ecclésiastiques.

[63] Avec un double jeu de mots. Les critiques et savants n’ont vu que le jeu de mots sur la racine K. Z. B. = Kazab, mensonge. Mais il y en a un second, implicitement contenu dans Zéb, Poisson.

[64] Les qualificatifs de Zélote ou Kanaïte, de Galiléen, de Nazaréen, pour désigner en particulier ou en général les disciples du Christ, sont encore dans les évangiles. Pour qu’on ne les ait pas supprimés, il faut qu’ils aient été la vérité historique, jusqu’au IVe siècle tout au moins. Dans les Talmuds, le Juif qui verse dans les rêveries apocalyptiques est le min, au pluriel minim. Et les Talmuds sont à peine en train au IVe siècle.

[65] C’est ce qu’a très bien compris, au IIIe siècle, Jésus-Christ, à qui les scribes font dire : Tout royaume divisé contre lui-même sera réduit en désert et ses maisons tombent l’une sur l’autre : et toute ville ou maison divisée contre elle-même ne pourra subsister (Matth., XII, 2.9, Marc, III, 24, et Luc, XI, 17). Reconnaissance tardive que les christiens, — dans Flavius Josèphe l’accusation est portée contre eux sous les espèces des kanaïtes, sectateurs de Juda le Gaulonite, en termes d’une violence farouche, — ont causé la destruction de la nation par les Romains ; et l’on doit noter que Flavius Josèphe est mort avant le soulèvement de Bar-Kocheba. Cet aveu tardif, dans les Évangiles, a tout de même un but — réconcilier les Juifs dispersés, rayés de la carte du monde comme nation, pour qu’ils participent à l’entreprise christienne, nouvelle manière, qui doit, par la religion, aboutir à la domination universelle : le royaume de Dieu n’est que la transposition sur le plan moral, pour le gouvernement des âmes et des consciences, de l’ancienne conception : le règne de David. Et les Juifs néo-christiens y convient les autres Juifs.

[66] Après la destruction de Jérusalem par Titus, leurs rabbis, Ben-Zakkaï, Eliezer, Gamaliel (descendant du grand Hillel et petit-fils du Gamaliel, si grand aussi du temps de Ponce Pilate), se retirèrent à Iabné, près de Joppé. Ils y travaillèrent, et leurs successeurs après eux, au Canon des Ecritures juives (Ancien Testament). D’autres émigrèrent à Babylone. A partir du IVe siècle, tant ceux de Judée que ceux de Babylone commencèrent la composition des Talmuds.

[67] Mahomet, lui-même, sans être dupe des fables christiennes judaïques, s’en est fait aussi le complice, contre les Roumis, en bon Sémite-Islamite, cousin germain d’Israël. C’est ainsi qu’il connaît, — le Coran le prouve, — l’identité historique du Iôannès ou Jean et du Crucifié de Ponce Pilate, du Zacharie et de Joseph, d’Elisabeth et de Marie. Nous verrons tout cela.