LES ESPIONNES À PARIS

LA VÉRITÉ SUR MATA-HARI. - MARGUERITE FRANCILLARD. - LA FEMME DU CIMETIÈRE. - LES MARRAINES. - UNE GRANDE VEDETTE PARISIENNE. - LA MORT DE MARUSSIA

 

I. — MATA-HARI AVANT LA GUERRE.

 

 

L'exécution de Mata-Hani a eu le don d'émouvoir et même de passionner une certaine partie de l'opinion publique. Pourquoi ? Tout simplement à cause de sa qualité d'artiste et sa réputation à de jolie femme. Cette grande vedette de music-hall avait su attirer l'attention pendant sa vie ; après sa mort la curiosité a suivi son nom, et on a voulu compliquer, embrouiller le drame qui s'est terminé au poteau de Vincennes.

Passe encore pour la curiosité, mais la sympathie dont on a voulu entourer la demi-mondaine est sans excuse. Sans doute il est facile de faire d'une danseuse plus ou moins réputée une héroïne de roman, de la descendre des tréteaux pour la hisser sur un piédestal, de l'entourer d'une atmosphère poétique et sentimentale.

De là à la transfigurer, à l'idéaliser et à en faire une martyre il n'y a qu'un pas.

Les Allemands l'ont compris et ils présentent la grande espionne comme une grande victime. Ils sont dans leur rôle.

Mais que des Français, par snobisme, se rendent complices de la trahison, c'est inadmissible. Et c'est pour détruire la légende créée par des littérateurs mal avisés que nous avons cru devoir mettre à nu l'âme de cette aventurière qui aimait tant, elle, dévoiler son corps en public.

A la vérité pour la célébrer il n'y a qu'un public d'exotisme et de prétendus intellectuels, un public de coco et de morphine. Or il faut la juger non en Parisien — dans le mauvais sens du mot, mais en bon Français.

 

MAQUILLAGE HINDOU

 

Matai-Hari aimait à se faire passer pour originaire des Indes néerlandaises, et fille d'un rajah et d'une mère tantôt hindoue et tantôt japonaise.

Elle aurait été enfermée à cinq ans dans un temple bouddhiste où elle aurait appris les danses lascives de Brahma. A peine nubile, à quatorze ans, elle se serait évadée, enlevée par un capitaine de l'armée des Indes.

C'est dans le temple de Burma — on voit qu'on précise — qu'elle aurait appris à charmer et à tromper les hommes. Il est possible que ce soit dans ces pays qu'elle ait acquis l'expérience des mentalités orientales et occidentales, et pétri son cerveau de ce mysticisme, mêlé d'obséquiosité et de subtilité diplomatique, qui la rendait si étrange et si dangereuse. Certainement elle est allée aux Indes.

Revenue en Hollande elle aurait eu deux enfants. En tout cas on a parlé d'une fille, qui avait-dix-huit ans au moment de la guerre et qui résidait à Amsterdam.

Quant à son état civil elle déclarait ne pas en avoir. Dans l'Inde, disait-elle, on ne donne pas de papiers. Il fallait se fier à sa mémoire qui avouait, en 1917, trente-neuf ans.

Or voici la vérité. Nous avons fait venir son état civil nous le donnons d'après la traduction hollandaise :

Margaretha, Gertruida, est née d'un père nommé Adam Zelle et de dame Antje van der Meulen, le 7 août 1876, à Leeuwarden, chef-lieu d'arrondissement de Hollande.

Voilà qui fait tomber le maquillage de la prétendue prêtresse hindoue.

Son histoire véridique est simple : elle se maria toute jeune au capitaine Mac Leod, qui l'emmena aux Indes, où elle resta quelques années et c'est seulement après son divorce qu'elle songea à se créer une spécialité de danseuse plus ou moins bouddhique.

Donc elle est allée aux Indes après son mariage et non pas avant.

Elle voyagea ensuite en Europe et fit les délices des music-halls de Rome, Paris et Berlin, de Berlin surtout où elle vécut au milieu des officiers.

En Allemagne ses amants les plus connus furent le kronprinz, le duc de Brunswick et le président du conseil hollandais, Van der Linden. En France elle eut des amis partout.

On a cité un ministre de la guerre, un directeur général des affaires étrangères, des généraux, des magistrats, des avocats et même des officiers de réserve attachés au 2e bureau.

Comme on le verra plus loin, cette Messaline internationale était doublée d'une espionne au service de l'Allemagne bien longtemps avant la guerre.

Ses talents d'artiste ne sont pas contestés. Prêtresse de Terspsichore, c'est possible ; mais payée par Krupp, c'est certain.

Elle a commencé par habiter à Neuilly, rue Windsor, mi hôtel où elle a donné des fêtes restées fameuses. A ce moment elle était secrètement entretenue par un Allemand qui lui donnait beaucoup d'argent.

Elle habita ensuite 12, boulevard des Capucines, 33, avenue Henri-Martin, 25, avenue Montaigne. On la voyait séjourner souvent au Grand Hôtel et à l'Hôtel Piazza-Athénée.

 

L'ARTISTE — QUELQUES LETTRES

 

Elle dansait, et comme l'a si bien remarque Hepps, dans sa danse il y avait plus de choses encore que Vestris n'en mettait dans un menuet. C'était une vision de brahme du Gange, de divinité dans l'ombre d'un vieux temple, de fleur mystérieuse, de serpent — surtout de serpent — sous des lianes entrelacées.

Un de ses admirateurs l'a dépeinte ainsi :

Elle jaillissait d'entre les tombeaux, et c'était comme l'âme innombrable et silencieuse des nuits qui glissait parmi les sombres sarcophages. Son corps onduleux flottait avec une grâce infinie parmi le désordre des voiles et l'ivresse des parfums. Son regard épanchait la langueur fauve des Orientales authentiques.

 

Cette description répond bien à la mentalité de Mata-Hari,

Nous avons un grand nombre de ses lettres sous les yeux. Dans l'une d'elles adressée à un compositeur de musique elle trace comme suit le programme d'un de ses sketch :

Voici ce que je voudrais exactement dire dans ma danse qui doit être comme un poème dont chaque mouvement est un mot et dont tous les mots sont soulignés par la musique.

Suit une description un peu confuse qui se termine ainsi :

J'aime l'idée du temple avec la déesse. C'est comme ça que j'ai commencé au musée Guimet où tous mes portraits sont encore exposés.

On m'a imitée, mais l'idée était de moi et c'est la seule façon de bien encadrer les danses sacrées.

On peut faire le temple aussi chimérique que l'on veut, car moi je le suis.

Mata-Hari en costume de danse pour salons

La Fleur sacrée sera la légende de la Déesse qui a le pouvoir de s'incarner dans la fleur qu'on lui brûle en offrande... Le prince entre au temple avec des orchidées, les brûle devant elle, et de la fumée s'extase, se lève et danse. Obscurité : déesse et prince ont disparu.

Je serai l'orchidée tout en or et diamantée. Je sais comment je ferai. Paul peut me demander quand il aura besoin de moi je suis fixée. Je désire qu'il me dédie la musique.

La musique de l'Eau courante reste comme ouverture parce que le temple est dans la forêt, près de la cascade...

Plus loin Mata-Hari veut préciser ses idées. On va voir comment elle y parvient :

Paul doit traduire dans sa musique les phases suivantes : Pose d'incarnation, apparition de la fleur, croissance, épanouissement, resserrement. Trois évolutions qui doivent répondre aux pouvoirs de Brahma, Vichnou et Çiva : création, fécondité, destruction.

Mais une destruction créative dans laquelle Çiva égale sinon dépasse Brahma. Par la destruction, vers la création dans l'incarnation, c'est ça que je danse et c'est ça que ma danse doit dire.

Comme vous savez toutes les vraies danses des temples — pas celles de la rue et des places publiques — sont des thèses de théologie et toutes expliquent en gestes et poses les règles des Védas, les livres sacrés.

 

Dans une autre lettre Mata revient sur son thème favori : la Fleur sacrée, et elle est plus claire que dans ses élucubrations précédentes :

Pourquoi ne pas faire toute l'histoire dans un temple dans la forêt. Le prince vient implorer la déesse qui est assise sur l'autel comme une statue de bronze. C'est la prêtresse sacrée qui la personnifie et c'est elle qui se lève, s'incarne dans une fleur et dit la prédiction qui au fond veut dire...

Lisez bien ce passage car il mérite d'être retenu il contient toute la mentalité de la danseuse :

Vous mourrez comme tout doit mourir. Vivez des instants belles et glorieuses (sic). Mieux vaut passer sur la terre de courts instants intenses, et disparaître, que de traîner une vieillesse sans beauté ni satisfaction.

C'est toute la maxime : courte et bonne.

Voici une lettre, d'une autre origine, qui date de janvier 1913, écrite de son hôtel du 11, rue Windsor, à Neuilly, et qui montre la danseuse telle qu'elle était insouciante et fataliste :

Cher Monsieur,

Merci de votre charmante carte et de vos souhaits qui, j'espère, s'accordent avec ce que ma destinée me réserve comme surprise ou comme simple suite naturelle des choses.

Je crois sincèrement que sur [à] la longue, le bien semé récolte du bien et le mal ou le doute récoltent leur semblable.

Il y a bien des moments où on croit à un coup du hasard, mais après on voit qu'on l'a provoque soi-même.

Tout cela n'est que pour m'excuser de ne pas vous avoir souhaité la bonne année.

Je crois tant que cela ne sert à rien.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

(Signé) Lady Mac-Leod.

 

Cette lettre que nous devons à l'obligeance de M. Louis Dumur nous révèle le véritable caractère de l'artiste.

A méditer cette phrase énigmatique :

Prends-moi en protection (sic) contre tant de choses qui me font mal et qui m'enlèvent l'envie de travailler...

Évidemment la danseuse est toujours préoccupée...

Mata est orgueilleuse. Elle écrit encore :

Je veux bien travailler de nouveau et laisser ma vie facile pour des soucis de toute sorte que, la gloire donne forcément, mais je veux avoir l'honneur de ce que je fais. je ne veux plus que d'autres s'en vont (sic) avec mes idées.

C'est peut-être cet orgueil qui l'a perdue. En effet l'artiste trouvait que les Français ne l'estimaient pas à sa juste valeur. Elle aurait voulu avoir la réputation de Duncan. Et souvent elle entrait dans de violentes colères quand elle ne se voyait pas suffisamment acclamée et honorée.

Les Allemands au contraire la flattaient et la traitaient de déesse. De là son grand amour pour les Boches. Et cette faiblesse explique bien des choses.

 

PORTRAIT GRAPHOLOGIQUE

 

Mata-Hari avait une écriture très grosse, élégante et lisible.

Son français est quelquefois correct, son orthographe ne mérite pas de reproche pour les quelques fautes qu'on relève par-ci par-là, comme le mot ensemble qu'elle écrit avec un s, évidemment parce que quand on est ensemble on est plusieurs...

Ses lettres sont signées tantôt Marguerite, Mata-Hari ou même lady Mac-Leod.

Au surplus voici un portrait graphologique très curieux fait par M. Edouard de Rougemont, et que M. Louis Dumur a bien voulu nous communiquer :

Ce qui frappe dans cette écriture, c'est l'excessive force impulsive des mouvements et leurs contrastes. L'écriture est comme lancée en avant avec brusquerie, les barres de t sont épaisses, les finales longues ; puis, elle apparaît contenue, les barres de t sont en arrière de la hampe, les finales arrêtées net ; tandis que, dans certains mots, les lettres grandissent exagérément, dans d'autres elles se rapetissent, au contraire, à mesure que la plume les trace. Les espacements, les jambages de m, n, u s'élargissent et se resserrent tour à tour.

Toutes ces impulsions contradictoires donnent à la vie intérieure quelque chose de tumultueux, de chaotique, et la valeur de l'activité s'en trouve grandement affectée.

On ne saurait accorder sa confiance à une nature aussi versatile, agitée, trépidante, toujours prête à des déterminations extrêmes.

Le frein qui agit constamment sur cette force impétueuse, ne parvient pas à la régler. Elle s'emballe : c'est un caractère téméraire, qui mesure mal l'obstacle, obscurément confiante en son destin.

L'exagération est un des traits les plus marqués de cette nature : c'est une tendance dangereuse, car elle fausse le jugement, entraîne l'imprévoyance, excite la nervosité, produit la colère injustifiée, les résolutions hâtives, ne permettant pas d'envisager les conséquences d'un acte précipité.

Elle ne se trouble de rien, au milieu de ses passions véhémentes et très diverses : elle garde son sang-froid et montre une effrayante résolution faite de courage et d'aveuglement.

Si nous cherchons à connaître le mobile de ses actes, nous voyons que l'égoïsme, le calcul et l'orgueil sont les trois maîtres principaux qui tirent parti de ces forces impétueuses que nous venons de reconnaître.

L'écriture s'étale, se hausse, manifeste de plusieurs façons l'impérieux besoin de plaire, de paraître et la confiance absolue en soi-même. De nombreux mouvements et régressifs surtout à la tête des c minuscules, dénotent la tyrannie du moi qui exige sa part, avidement, toujours plus grande. Le goût du faste entraîne celui de la dépense sans mesure, provoque le besoin d'acquérir, âpre, inflexible.

L'orgueil, l'égoïsme, le besoin de jouissance, servis par une énergie téméraire, peuvent amener les pires résolutions ces trois passions aidées par l'exagération, qui aveugle, livrent l'âme à toutes les tentations.

Quelles que soient les qualités de l'intelligence, et elles sont réelles, ces forces nocives dominent tout. Et cependant, ce n'est pas une nature vulgaire ; bien au contraire ! Elle a un goût tirés fin, original, une perception avertie des harmonies du beau, un esprit remarquablement vif, compréhensif, qui est cultivé et séduisant.

Sa nature très exaltée, exagérée, l'oblige à bâillonner la vérité, elle réalise le mensonge dans l'impulsion. Elle est continuellement en défiance contre elle-même, faisant succéder, avec la même fougue, l'expression de la vérité la plus imprudente au mensonge le plus monstrueux, manifestant toujours son caractère excessif.

C'est une nature extrêmement complexe d'une vigueur peu commune et qui peut réserver les plus grandes surprises, par suite de l'intensité de ses passions, de sa nature exagérée qui l'aveugle.

 

Ce portrait est si fidèle qu'il donnerait à croire que la graphologie est une science exacte.

 

LE MYSTÉRIEUX MARQUIS

 

Un peu avant la guerre Mata-Hari réside au grand hôtel et cherche un appartement. Elle croit en avoir trouvé un villa Dupont, ou un rez-de-chaussée avenue Henri-Martin.

Tous deux, dit-elle, se prêtent pour l'installation moderne à la Martine.

Elle demande à un Parisien averti de venir lui donner des conseils, mais elle se ravise et lui écrit :

Ce soir arrive le marquis de P. qui restera cinq ou six jours. Je vous écrirai quand nous pourrons dîner ensemble.

Ce marquis de P. est-il le riche Allemand qui entretenait Mata et qui a disparu quelques semaines avant la guerre ?

Sur sa vie parisienne les anecdotes abondent. En voici quelques-unes que nous avons relevées un peu partout[1] :

Marguerite Zelle, qui était Hollandaise, tenait à faire croire qu'elle était Hindoue. Elle disait volontiers, avec un zézaiement qui pouvait passer pour exotique :

— Dans mon enfance, quand je dansais devant les rajahs, au bord du Gange...

Ses adorateurs affirmaient qu'elle ressemblait à une statuette de Tanagra, — ce qui était bien extraordinaire pour une femme qui donnait plutôt l'idée d'une Junon :

— Ça ne m'étonne pas, répondait-elle. La chorégraphie grecque est originaire de l'Inde. Ce sont les bayadères hindoues qui, dans un temps très reculé, imaginèrent d'évoluer sous des voiles diaphanes à travers lesquels s'accusaient les contours du corps. Les statuettes de Tanagra reproduisent justement cette sorte de danse...

Elle racontait tout ce qu'elle voulait. Elle plaisait. Des esthètes susurraient qu'elle évoquait les hymnes du Rig-Véda. Que ne susurrent pas les esthètes !

Quelques jours avant le début de la guerre, elle voulut céder à un de nos musées nationaux des pièces de collection, entre autres un service de vieux Saxe.

Elle tâchait de fasciner par des œillades prometteuses le fonctionnaire qu'elle était venue voir.

Elle expliquait qu'elle faisait argent de tout ce qu'elle possédait en France. Elle avait vendu son écurie. Et toujours romanesque, elle ajoutait

— Pourtant, je n'ai point voulu que Vichnou, mon cheval préféré, tombât au pouvoir d'un nouveau maître. Ce matin, je l'ai tué moi-même en lui perçant le cœur avec un stylet d'or.

Si elle liquidait, en juillet 1914, les biens qui lui appartenaient en notre pays, était-ce parce qu'elle était ruinée ? Ou savait-elle que la guerre était déjà décidée par l'Allemagne ?

***

Elle a fait des passions. Mais a-t-elle aimé ? Elle a prétendu que oui... à Vittel, en pleine bataille, en soignant un Russe, le capitaine Marow. Nous en reparlerons. Ce qu'il y a de certain c'est qu'il y avait dans sa vie du mystère.

Elle claqué des fortunes. Cette belle danseuse était une grande mangeuse. Elle avait coutume de dire : J'ai en horreur les pingres et la pingrerie. Et cela lui était prétexte à jeter l'argent par les fenêtres et à inciter ses amants à la ruine.

Un désordre supérieur, et qui n'était pas un effet de Fart, comme celui qu'elle apportait dans sa danse, présidait à toutes les manifestations de son existence.

Sa dernière victime, avant la guerre, fut un financier, apparenté par sa femme à un homme politique, plusieurs fois ministre.

Ce financier lui fut présenté au cours d'une soirée, dans un salon très parisien où elle figurait au programme. A peine l'eut-il vue qu'il fut subjugué. Pour elle, il n'hésita pas, en quelques mois, à mettre à peu près sur la paille femme et enfants ; pour elle, ce qui est pire, il fit enfin des faux, qui lui valurent dix ans de réclusion.

***

Un jour, elle fut remarquée par un nouveau riche, en quête d'une maîtresse susceptible de lui faire honneur.

Les choses allèrent assez loin. Il y eut, dans un grand restaurant du bois, un dîner qui avait tout l'air d'un repas de fiançailles. Ce dîner fut fastueux, mais à la fin l'amphitryon écarta d'un geste digne les boites de cigares que le maître d'hôtel disposait sur la table :

— J'en ai de parfaits, déclara-t-il, et qui coûtent moins cher.

Et il sortit de sa poche un étui bourré de Bocks à soixante centimes, qu'il tendit princièrement aux convives.

Mata-Hari eut un geste de dégoût :

— Pouah ! dit-elle à son voisin, la caque sent le hareng. Voilà un pingre ! Je ne m'entendrai jamais avec cet homme-là !

Ce nouveau riche peut se vanter de l'avoir échappé belle. Déjà à cette époque, Mata-Mari revenait de Hollande. Elle était embochée.

***

Enfin, à propos de son divorce avec l'officiel hollandais, on prétend que la cause de la rupture entre les deux époux serait celle-ci : Un soir, dans une crise d'érotisme aiguë, le major aurait, de deux coups de dents féroces, arraché le bout des seins de la danseuse.

Et ce serait la raison pour laquelle Mata-Hari, dansant toujours toute nue, cachait cependant ses seins sous deux petites cuirasses rondes.

***

Le peintre Paul Frantz Namur, qui a dessiné Mata-Hari dans son atelier de la rue Spontini, a fait d'elle, au moral, cet autre portrait

Qui oserait se flatter de l'avoir devinée ? J'ai fait d'elle deux portraits, un où on la voit en toilette de ville — je ne sais pas ce qu'il est devenu l'autre où la danseuse a posé avec un diadème indien et un collier fait d'émeraudes et de topazes. Elle est venue souvent, en effet... Ce qui frappait, ce qui étonnait chez cette femme choyée par la fortune, à qui le destin avait tout donné : grâce, talent, célébrité, ce qui étonnait, c'était une intime et lourde tristesse. Volontiers, elle demeurait prostrée dans un fauteuil et y rêvait, pendant une heure, à des choses secrètes. Je ne puis pas dire que j'ai vu sourire Mata-Hari...

Elle était superstitieuse comme une Hindoue. Un jour qu'elle se déshabillait, un bracelet de jade coula de son poignet :

— Oh ! cria-t-elle en pâlissant, cela me portera malheur... Vous verrez, cela me présage un malheur... Gardez-le, cet anneau, je ne veux plus le voir...

 

Un autre, un journaliste, fait de Mata un portrait plus réaliste : Une fois, dit-il, j'eus l'occasion de causer avec Mata-Hari. Elle était, ce soir-là, fêtée par des diplomates et j'ai gardé, de ce moment, le curieux souvenir qu'elle avait, en cinq ou six minutes, altéré la vérité...

Charmante personne ! Mais tout cela ce sont des histoires. Voici des faits.

 

 

 



[1] Le Cri de Paris a raconté quelques histoires amusantes.