GENSÉRIC

 

LA CONQUÊTE VANDALE EN AFRIQUE ET LA DESTRUCTION DE L’EMPIRE D’OCCIDENT.

APPENDICE. — DATE DE L’ENQUÊTE DU PROCONSUL ÆLIANUS.

 

 

Saint Augustin affirme que cette enquête fut faite dans une audience tenue le 15 février 314. Mais il fut donné lecture dans cette enquête, par ordre d’Ælianus, d’une pièce datée du 19 août 314 (Gesta purgationis Felicis episcopi Aptungitani ; édit. Ellies du Pin, à la suite de saint Optat, De schism. donatist., p. 255). Il y a donc erreur dans la date de la pièce lue à l’audience, ou dans la date indiquée par saint Augustin. Mgr Duchesne (Le dossier du Donatisme ; Mélanges de l’École française de Rome, ann. 1890, pp. 644-645) admet avec M. Seeck (Zeitschrift fur Kirchengeschichte, t. X, 1889, pp. 505-568) que saint Augustin s’est trompé d’une année et qu’il fut probablement procédé à l’enquête le 15 février 315. Cette date convient au système de M. Seeck qui place le concile d’Arles en 316. Mgr Duchesne maintient au contraire la date traditionnelle de 314 (pp. 640-644). Il faudrait donc conclure que l’enquête a été ordonnée après le concile d’Arles. N’est-il pas plus rationnel de supposer que l’enquête a précédé le concile qu’elle devait servir à instruire des faits ? Comment admettre qu’on ait convoqué cette assemblée solennelle sans se préoccuper de lui fournir le moyen de contrôler les dires des parties en cause et des témoins produits par les parties à l’aide des dépositions de témoins désintéressés qu’on ne pouvait amener tous de l’Afrique dans les Gaules ? Il n’est guère probable que l’administration impériale, habituée aux procédures judiciaires, ne se soit avisée de faire une enquête qu’après le jugement rendu. Dès lors, ne faut-il pas admettre la date indiquée par saint Augustin et croire que l’erreur est dans la date de la pièce lue à l’audience ? Un copiste aura peut-être pris pour la date de cette pièce une autre date qui a pu y être notée après le concile d’Arles. Dans tout procès, il arrive qu’on écrit sur des pièces communiquées une date de réception ou de renvoi. Une annotation de ce genre a pu être portée après le concile d’Arles sur la pièce dont il s’agit, et un copiste a pu plus tard la prendre pour la date exacte de la pièce elle-même. On objecte, il est vrai, les faits suivants : Une lettre de l’empereur, citée par saint Augustin (Ép. LXXXVIII, 4 ; Migne, P. L., t. XXXIII, p. 304) nous apprend que des instructions au sujet de cette affaire avaient été adressées à Verus, vicaire d’Afrique. Verus étant tombé gravement malade, ne put présider à l’enquête ; elle fut dirigée par le proconsul Ælianus, chargé par intérim des fonctions de vicaire des préfets du prétoire (ibid. ; — Pallu de Lessert, Fastes des provinces africaines, t. II, pp. 164, 165). Or Ælianus, qui avait succédé à Anulinus, assurément avant le 30 octobre 313 (Cod. Théod., lib. I, tit. XII, 1 ; édit. Hænel, p. 143), fut lui-même remplacé en 315 par Petronius Probianus (Pallu de Lessert, Fastes des provinces africaines, t. II, p. 23), et ce fut à celui-ci que Constantin ordonna, sur le vu de l’enquête, de lui envoyer Ingentius, reconnu coupable d’avoir falsifié une lettre pour calomnier Félix d’Aptonge. Dès lors, il parait étonnant, dit-on, que, possédant l’enquête dès le printemps de 314, Constantin ait attendu un an avant de prendre la décision qu’elle lui inspira (Duchesne, le Dossier du Donatisme, p. 645 ; — Pallu de Lessert, o. c., t. II, pp. 167 et suiv.). Mais n’est-il pas naturel que Constantin ait différé de poursuivre Ingentius, afin que l’affaire fût encore entière au moment où elle serait soumise au concile ? Faire immédiatement condamner Ingentius, c’eût été faire décider toute la question. La condamnation d’Ingentius avait en effet pour conséquence nécessaire l’absolution de Félix d’Aptonge, et par suite la légitimité de Cécilien. Le concile se fût trouvé en présence d’une décision judiciaire ayant force de chose jugée et lui dictant son arrêt. Eût-il été correct de procéder ainsi ? D’ailleurs Constantin espérait mettre fin par le concile d’Arles à toute cette querelle. Il n’y avait par conséquent aucun intérêt, en 314, à convaincre les dissidents de faux ou d’usage de faux et à leur rendre de la sorte la soumission moins facile. En 315, au contraire, leur obstination obligeait à ne plus les ménager, et les faits révélés précédemment par l’enquête d’Ælianus fournissaient le moyen de les confondre publiquement. Rien n’oblige donc à mettre en doute, au sujet de la date de cette enquête, le témoignage très circonstancié que, dans un ouvrage composé après la conférence avec les donatistes, à un moment où aucune confusion n’était possible, saint Augustin nous donne en ces termes : Sicut ergo consulum ordo declarat, primo Cæcilianus episcopali judicio Melchiadis est absolutus, deinde, non post longum tempus, Felicem proconsulari judicio constitit innocentem... Nam Melchiades judicavit, Constantino ter et Licinio iterum consulibus, sexto nonas octobres (2 octobre 313). Ælianus proconsul causam Felicis audivit, Volusiano et Anniano consulibus, quinto decimo calendas manias (15 février 314), id est post menses ferme quattuor. (S. Augustin, Ad Donatistas, post collationem, C XXXIII ; Migne, P. L., t. XLIII, p. 687). Saint Optat dit avec non moins de précision : Sed quia in ipsa causa jamdudum in catholica duorum videbantur laborare personæ, et ordinati et ordinatoris, postquam ordinatus in urbe purgatus est (concile de Rome en 313), purgandus adhuc remanserat ordinator. Tune Constantinus ad Ælianum proconsulem scripsit, ut remotis necessitatibus publicis, de vita Felicis Autumnitani publice quæreretur. (De schism. donatist., I, 27 ; édit. Ellies du Pin, pp. 22-23). C’était en effet parce que le concile de Rome n’avait pas examiné la question relative à Félix d’Aptonge que les dissidents refusaient de se soumettre à la sentence du pape, et c’était cette question qu’allait avoir à décider le concile d’Arles dont saint Optat ne fait pas mention. A ces indications si précises de saint Optat et de saint Augustin on oppose un autre passage de saint Augustin tiré d’une lettre écrite le 14 juin 412 à une époque où, dit-on, il était mieux éclairé que précédemment. Voici ce passage : Nam et ordinem consulum et dierum, qui gestis expressus est, si quis nunc diligenter advertat, inveniet primo Cæcilianum episcopali judicio fuisse purgatum. Deinde non multo post Felicis Aptungensis causa ab Æliano proconsule examinata est, ubi eum constitit innocentem ; in qua causa ad comitatum mitti jussus est Ingentius. Et longe postea ipse imperator causam inter partes cognovit atque finivit ; in qua cognitione Cæcilianum innocentem, illos autem calumniosissimos judicavit. (S. Augustin, Ép. CXLI, 11 ; Migne, P. L., t. XXXIII, pp. 582-583).

Il n’y a pas lieu, semble-t-il, de voir une contradiction entre ce passage et le précédent. Il reproduit au contraire presque mot pour mot ce dernier et le confirme. De part et d’autre, saint Augustin affirme qu’il est établi, par les dates des consulats et des jours, que les procédures se sont succédé dans l’ordre suivant :

1° Cécilien a été déclaré innocent par une sentence épiscopale, celle du pape et du concile de Rome ;

2° Peu de temps après cette sentence, la cause de Félix d’Aptonge a été examinée par Ælianus (dans son enquête), et Félix a été reconnu innocent ;

3° Par suite des faits révélés dans cette enquête (in qua causa), ordre a été donné d’envoyer Ingentius au conseil impérial. Saint Augustin ne dit nullement que cet ordre a été donné immédiatement ;

4° Puis, longtemps après, l’empereur lui-même a connu de cette affaire, et a jugé coupables de calomnie les détracteurs de Cécilien, dont il a ainsi proclamé une fois de plus la complète innocence. Il n’est point possible de fixer l’ordre des choses d’une façon plus claire et plus formelle. Ce serait plutôt dans une épître de saint Augustin écrite apparemment au commencement de 409, avant la conférence, qu’on pourrait observer un doute touchant l’ordre des procédures, dont il parle en ces termes : Quia Constantinus non est ausus de causa episcopi judicare, eam discutiendam atque finiendam episcopis delegavit. Quod et factum est in urbe Roma præsidente Melchiade episcopo illius Ecclesiæ cum multis collegis suis. Qui cum Cæcilianum innocentem pronuntiassent, et Donatum qui schisma Carthagini fecerat sententia percussissent, iterum vestri ad imperatorem venerunt, de judicio episcoporum, in quo victi fuerant, murmurarunt. Quomodo enim potest malus litigator laudare judices quibus judicantibus victus est ? Iterum tamen clementissimus imperator alios judices episcopos dedit apud Arelatum Galliœ civitatem, et ab ipsis vestri ad ipsum imperatorem appellarunt, donec etiam ipse causam cognosceret, et Cœcilianum innocentem, illos calumniosos pronuntiaret. Nec sic Loties victi quieverunt, sed de Felice Aptungitano, per quem Cæcilianus fuerat ordinatus, quotidianis interpellationibus ipsi imperatori tœdium fecerunt, dicentes eum esse traditorem, et ideo Cæcilianum episcopum esse non posse, quod a traditore fuerit ordinatus, donec et ipse Felix jussu imperatoris, causa cognita ab Æliano proconsule, innocens probaretur. (S. Augustin, Ép. CV, 8 ; Migne, P. L., t. XXXIII, p. 399).

Saint Augustin voulait-il dire, en 409, que l’enquête sur la conduite de Félix d’Aptonge avait été ordonnée après le concile d’Arles, parce que les donatistes ne cessaient d’ennuyer l’empereur de leurs récriminations ? C’est possible. Seulement, dans ce cas, il a rectifié son erreur, comme on l’a vu, dans ses écrits postérieurs à la conférence, où il avait été à même de vérifier les dates. Mais la fin du passage cité ci-dessus peut aussi être entendue en ce sens que Constantin, fatigué des continuelles récriminations des donatistes au sujet de Félix d’Aptonge, prit le parti d’établir l’innocence de celui-ci, la cause ayant été examinée et éclaircie [précédemment] par Ælianus, causa cognita ab Æliano. Il ne subsisterait alors aucune contradiction entre la lettre de 409 et les écrits postérieurs à la conférence, qui sont plus précis et plus probants, et dont les affirmations paraissent confirmées par le texte même de l’enquête d’Ælianus. Alfius Cæcilianus, ancien duumvir d’Aptonge en 303, expliquant comment les faits qui remontent à cette année peuvent n’être plus bien présents à sa mémoire, s’exprime en ces termes : Il s’est passé pas mal de temps depuis l’époque où j’administrais le duumvirat ; il y a de cela onze ans. — Non modicum tempus est ex quo duumviratum administravi, anni sunt undecim. (Gesta purgationis Felicis episcopi Aptungitani ; édit. Ellies du Pin, à la suite de saint Optat, p. 254, col. 2). Onze ans après 303, c’est bien 314.

Du texte du procès-verbal de l’enquête, dont on ne possède qu’une partie, rendue souvent fort obscure par des omissions et des coupures, il résulte, comme le remarque M. Pallu de Lessert (o. c., t. II, p.163), que ces paroles d’Alfius Cæcilianus ont été prononcées antérieurement à l’audience d’Ælianus, lorsque Cæcilianus venait de recevoir une assignation à comparaître, signifiée par ordre d’Ælius Paulinus, qualifié de vir spectabilis, agens vicariam præfecturam. De ce nom Ælius Paulinus il ne peut résulter aucune indication. Le vicaire des préfets en Afrique, durant l’année 414, est nommé tantôt Ælafius, tantôt Ælius Paulinus, tantôt Verus. Est-ce le même personnage dont le nom exact serait Ælius Paulinus Verus ? Un copiste a-t-il écrit Ælafius pour Ælius ? Y eut-il plusieurs vicaires successifs ou plusieurs magistrats chargés des fonctions de vicaire des préfets en 314 ? II nous est impossible d’avoir à cet égard aucune certitude (cf. Pallu de Lessert, Fastes des provinces africaines, t. II, pp. 159-165) ; mais on n’en a pas moins la preuve que l’enquête était commencée en 314. Dès lors pourquoi supposer qu’il y fut procédé dans l’automne de cette année, après le concile d’Arles (Pallu de Lessert, o. c., t. II, p. 169), plutôt qu’avant ce concile, en vue duquel elle avait sa raison d’être ? Pourquoi supposer que, commencée en 314, elle a traîné jusqu’au 15 février 315 ?

On ne peut opposer aux textes de saint Augustin cités ci-dessus les rectifications qui se trouvent au second livre de ses Retractationes. Saint Augustin y rectifie uniquement une erreur de dates dans son ouvrage intitulé De unico baptismo et dans un autre de ses ouvrages intitulé Probationum et testimoniorum contra donatistas liber unus, qui n’est point parvenu jusqu’à nous. (Retractationum sancti Augustini liber secundus, cap. XXVII et XXXIV ; Migne, P. L., t. XXXII, pp. 642 et 644-645). Il ne modifie en rien l’ordre des dates indiquées dans ses épîtres et dans son avertissement aux donatistes après la conférence. Il le confirme au contraire en ces termes : In quo libro (De unico baptismo, cap. XVI, n° 28 ; Migne, P. L., t. XLIII, pp. 610-611) illud quod dixi, in ordine temporum postea consideratum, aliter inventum est. Nam prius wemoratus imperator causam Felicis fecit audiri a proconsule, ubi legitur absolutus ; et postea ipse Cæcilianum cum accusatoribus ejus auditum comperit innocentem, ubi eos expertus est in ejus criminibus calumniosos. Qui ordo temporum per consules declaratus multo vehementius in ea causa calumnias donatistarum convincit penitusque subvertit : quod alibi ostendimus. (Retractationum liber II, cap. XXXIV ; Migne, P., L. t. XXXII, pp. 644-645).