LA VIE DE MARGUERITE DE VALOIS

 

CHAPITRE VII. — LA COUR DE NÉRAC.

 

 

Agrippa d'Aubigné, Œuvres complètes publiées pour la première fois d'après les manuscrits originaux par Eug. Réaume et F. de Caussade, 2 vol. 1873-1877. De Ruble, Histoire universelle d'Agrippa d'Aubigné (1550-1601), S. H. F., 9 vol. et une table, 1880-1909. Frédéric Lachèvre, Bibliographie des Recueils collectifs de poésies publiés de 1597 à 1700, 3 vol. et un supplément et des tables (t. IV) 1901-1905, t. I (1597-1635). Sully, Mémoires des Sages et royales Œconomies d'Estat, éd. dite des trois V verts, Amstelredam, 2 tomes en 1 vol. Bourciez, Nérac au XVIe siècle, Revue des Cours et Conférences, t. XLI, 1912, t. XLII, 1913.

 

LA COUR de Navarre, au sortir de Montauban, se dirigea vers Nérac. La reine, sa belle-sœur, Catherine de Bourbon et leur suite, descendirent la Garonne de Moissac à Agen en six bateaux. Le roi de Navarre avec sa troupe suivait à cheval. Les registres de ses comptes portent qu'il a fait payer demi-teston au batelier qui passa la rivière à dix-huit ou vingt chevaux, et un écu sol à une troupe de mariniers, qui, pour le divertir, dansèrent sur le rivage. Le 7 août 1579, dames et gentilshommes étaient réunis à Nérac où ils devaient demeurer longtemps.

Le château était une ancienne forteresse quadrangulaire[1], flanquée aux quatre coins de tours rondes, entourées de douves profondes, et accessible à l'ouest par un pont-levis qu'encadraient deux tours plus petites. Tout autour d'une large cour centrale s'alignaient les ailes de l'édifice, que les d'Albret, dès la fin du XVe siècle, avaient commencé à démolir, pour transformer cette maussade demeure féodale en palais de la Renaissance et l'adapter aux besoins et aux goûts d'une vie nouvelle. L'aile septentrionale est seule encore debout avec sa façade en plein midi, où se découpe tout en haut, sous la corniche du toit, une loggia à l'italienne, dont la colonnade aux chapiteaux finement ouvragés et aux fûts rayés de spires porte des arceaux surbaissés. La Baïse, aux eaux jaunâtres, contournait le château au sud et à l'est et séparait le jardin du roi, planté de lauriers et de cyprès, du parc ou, comme on dit, de la Garenne, œuvre de Marguerite.

A l'intérieur, de belles tapisseries apportées de Pau masquaient la nudité des murs et animaient les salles et les chambres.

Ce fut en cette demeure princière que la reine de Navarre passa les quelques mois les plus brillants de son règne. Réconciliée avec son mari par ses bons services à Eause et par les bons offices de Turenne, elle y vécut avec lui en des rapports si amicaux qu'il ne reconnaissait plus pour siens certains mots que le chancelier Pibrac pensait avoir entendus et reçus de la bouche du roi pour les redire à la reine. Après tant de déplacements et de chevauchées, elle peut, en ce retour de confiance qu'elle s'imaginait durable, s'abandonner à ses goûts de luxe, de représentation et de magnificence. Elle dépense pour les satisfaire plus que ses revenus ; elle emprunte à Pibrac, qui secrètement l'adore, ou sur sa garantie, environ 94.500 livres et elle en est réduite, pour payer ses créanciers, à vendre la maison qu'Henri III lui a donnée à Paris. Elle a les vertus royales et ruineuses de tous les Valois-Médicis et leur appétit de grandeur et de plaisir.

Elle entretient de ses deniers une Cour telle que la pauvre Navarre n'en connut jamais, plus nombreuse que celle de la première Marguerite, sœur de François Ier, et qui n'a rien de l'austérité de celle de Jeanne d'Albret. Sa suite de trente-trois dames et filles d'honneur s'est encore accrue de l'entourage de Catherine de Navarre, sa belle-sœur. Tous les jours, ce sont bals, concerts ou spectacles.

Elle a ses musiciens ordinaires : deux joueurs de luth, un joueur de musette, trois autres exécutants, six violons, à qui se joignent à l'occasion les violons de la ville de Condom requis à cette fin, sans oublier les chantres de sa chapelle. Le roi de Navarre, qui aime à rire, gage un joueur de farces, Nicolas Léon. Il appelle ou retient au passage les troupes ambulantes de comédiens italiens, et par exemple celle de Massimiano Milanino et de Scotiveli, qu'il charge de distraire la Reine-mère et sa femme, et celle encore d'un autre impresario Paul de Padoue.

La Cour de Navarre a ses poètes et même un grand poète, Guillaume de Saluste, seigneur du Bartas. Le premier recueil de ses vers, la Muse Chrestienne, paru en 1574, est dédié à Mme Marguerite de France, reine de Navarre, et la Judit, un des poèmes de ce recueil, célèbre en une nouvelle dédicace Marguerite, qu'il assimile à Judith, la vaillante veuve, pour sa vertu.

Fille du grand Henry, et compagne pudique

D'un autre grand Henry, ô Marguerite unique,

Qui décores la France, oy ce vers qui ne dit

Rien, sinon ton beau los sous le nom de Judit.

Il glorifie encore au livre V du poème la pureté inaltérable de celle qui est perle et fleur tout ensemble :

Mesme dans le bourbier...

Votre lustre n'est point effacé tant soit peu,

Par les meschantes mœurs de ce temps corrompu.

et il se demande ce qu'il doit louer en elle de préférence.

Ô de France, ains plus tost du monde l'ornement,

Quelle de tes vertus donra commencement

A ce carme doré ? sera-ce ta prudence ?

Sera-ce ta bonté ? sera-ce ta science ?

L'an même qu'elle arriva en Gascogne (1578), il avait publié La Semaine, où il décrivait le monde et l'homme sortis du néant à la parole de Dieu et, dans un verbe coloré, éclatant, emphatique, paraphrasait la simplicité éloquente et la beauté toute nue de la Genèse.

Aussi était-ce raison qu'on l'eût choisi lors de l'entrée solennelle à Nérac pour louer dignement cette Marguerite en qui il releva les divers ordres de grandeur : naissance, perfections, mariage.

La Semaine avait consacré son talent et lui faisait une place à part entre les poètes de la Renaissance, si païens d'inspiration, dans un genre nouveau d'épopée, qui n'était pas un poème épique. Henri III admirait l'élévation morale et la manière austère et forte de ce chantre nourri de la Bible.

Le Midi était fier de son génie. P. de Brach, magistrat de Bordeaux et poète lui aussi, avait porté la Muse chrestienne à d'Aubigné. Ce gentilhomme de lettres et d'épée, à qui l'on faisait crédit d'œuvres en faveur d'un mérite justement reconnu, ne trouva pas grand goût à Judith et autres pièces du recueil. Mais il fut pris d'enthousiasme quand il lut La Semaine. Il n'est pas sûr que Marguerite appréciât autant que le Roi son frère l'interprète de l'Ancien Testament ; les vers qu'elle a inspirés, et ceux qu'on lui prête : stances à pointes et concetti, plaintes funèbres, duos d'amour posthumes ou chansonnettes, ne prouvent pas que, bon écrivain en prose, elle fût capable de comprendre ce visionnaire qui collaborait avec Jéhovah à la Création. Mais elle devait l'aimer pour ses panégyriques.

Elle détestait Agrippa, huguenot lui aussi, qui, d'humeur sectaire et d'esprit caustique, s'échappait en sarcasmes contre elle et sa dame favorite, la comtesse de Duras. Colporteur de propos blessants, il n'aurait pu disputer la palme de poète lauréat à Du Bartas, même s'il y avait prétendu.

Jusque-là, il était surtout célèbre comme vaillant soldat et hardi batteur d'estrade. Personne ne devinait le Juvénal et le prophète tonnant des Tragiques dans l'organisateur à la Cour de France du Ballet de Circé et le rimeur de mascarades. Il avait en 1578 vingt-huit ans et cherchait encore sa voie. Lui aussi, à la mode du temps, imitait les néo-pétrarquisants d'Italie et raffinait et soupirait. Un sonnet dont il était si fier qu'il l'a inséré dans Sa vie à ses Enfants est représentatif de la manière sentimentale où le satirique se flattait, s'il l'avait voulu, d'exceller aussi. A Libourne où se trouvaient en mars 1581 Henri et Marguerite avec le duc d'Anjou survint un banni, le connétable D. Francesco de Portogallo, comte de Vimioso, qui sollicitait secours de France et de Navarre contre les Espagnols. Philippe II, à la mort du cardinal Henri, avait envahi le Portugal et s'y était fait reconnaître pour roi. Son concurrent, D. Antonio, bâtard de la dynastie éteinte, avait fui à l'étranger, avec quelques partisans, au nombre desquels Vimioso.

Un jour que d'Aubigné se promenait avec lui sur les bords de la Dronne, le banni commença, raconte-t-il, à jetter de grands soupirs, arracha de l'escorce, comme lors estans les arbres en sève ; sur ceste escorce après plusieurs soupirs et discours espagnols (il faut entendre sans doute portugais) sur les regrets d'une dame, il escrivit en six vers latins le message chargé de porter aux rives d'Hespérie ses pleurs d'amour et la nostalgie de son patriotisme.

Comme il le vouloit jetter dans l'eau à genoux et fondant en larmes, Aubigné le prit par le poing et promptement ayant prononcé ce distique (ces distiques), il traduisit sur la mesme escorce en un sonnet lyrique l'exastique latin.

Fleuve, dit le sonnet, si tes eaux vont se mêler à celles de l'Espagne (entendez le Portugal) :

Fay une pose pour me prendre

Et me prens affin de me rendre

A ces bords distillé en pleurs :

Le feu qui brusle mes moelles

Pourra, sans noyer ses ardeurs,

Vivre en ses ondes naturelles.

Cet impromptu, dit d'Aubigné, me concilia une grande amitié du Conestable[2].

La Cour de Navarre ne voulait rien envier à celle de France. Sous le règne de Charles IX, Jean-Antoine de Baïf et Joachim Thibault de Courville avaient fondé à Paris une Compagnie et Académie de poésie et de Musique, qui, réorganisée par les soins d'Henri III, s'adonna plus particulièrement à la philosophie. Le Roi présidait quelquefois lui-même les séances et il lui arriva de les tenir dans son cabinet ou au couvent des Hiéronymites, lorsqu'il y faisait oraison.

Des poètes, des savants, Pibrac, le moraliste des Quatrains, discoururent sur la cognoissance, l'âme, la rhétorique, les vertus morales et théologales.

Au temps où il était avocat général au Parlement de Paris, Pibrac, maintenant chancelier de la reine, avait poursuivi l'enregistrement en cette Cour des lettres de Charles IX confirmatives de la fondation de l'Académie. Il semble aussi que la Compagnie ait reçu de lui la forme nouvelle que désirait Henri III et son programme de travaux dans le Discours qu'il y prononça de l'âme et des sciences.

L'idée lui vint-elle de tenter à Nérac l'expérience qui avait réussi à Paris. Faut-il attribuer le mérite de cette fondation à l'entourage du roi de Navarre. D'Aubigné, qui connaissait et admirait l'Académie des Valois, a peut-être suggéré d'en créer une en Gascogne. Il est d'ailleurs le seul historien, ce semble, qui en fasse mention. Il nomme parmi les académiciens Du Plessis-Mornay, Du Bartas, le conseiller du Roi, Constant, Ravignan, président de la cour de Pau, le premier médecin du roi de Navarre Hortoman[3], De la Nagerie, conseiller et maître des requêtes, Ville-Roche, un gentilhomme, et Pellisson, de la chambre mi-partie de Castres, père du défenseur de Fouquet, un académicien encore plus célèbre qui a écrit la première histoire en date de l'Académie française.

Il ne dit rien des sujets débattus et se borne à marquer les coups. ... Quand il faloit faire party (c'est-à-dire organiser le débat sur une question), Hortoman et Pelisson ne pouvoyent demeurer d'un costé pour ce que nul de nous ne pouvoit résister à ces deux Docteurs[4].

C'était assurément une réunion d'hommes graves, y compris Du Bartas, et tous, du moins ceux que d'Aubigné nomme, réformés. Ce qui marque bien la nature des discussions, c'est qu'un médecin et un magistrat y levaient la paille. L'Académie de Shakespeare dans Peines d'Amour perdues n'était composée que de grands seigneurs catholiques, qui passaient vite de l'amour de la science à l'amour de l'amour, une pratique et une théorie qui auraient eu les préférences de Marguerite. Aussi bien d'Aubigné ne dit-il pas qu'elle ait paru à ce cénacle de savants personnages, qui ne ressemblait pas à une joute de troubadours.

Elle ne pouvait pas pour d'autres raisons fréquenter une compagnie d'allure plus légère où se groupaient sans diplôme les gentilshommes en quête d'amusement. D'Aubigné, au retour d'une de ces disgrâces que multipliaient ses brocards (1579), fut accueilli par la joyeuse bande. La jeune noblesse de cour, qui avoit fait une partie dans elle et s'apeloit Dœmogorgonistes, comme ils avoient apelé le chef de leur folie Demogorgon, vint au devant du réconcilié[5]. Demogorgon, c'est le père des dieux, le plus ancien dieu, contemporain du chaos et de l'Eternité morne, devenu, par la grâce des avatars, dans la littérature italienne, le coryphée d'une association de plaisir, par exemple d'une troupe de masques[6].

Nérac ne disputait pas à Pau le titre de petite Genève. Si la vie qu'on y menait inspira jusqu'à Shakespeare, c'est qu'elle ne ressemblait pas à celle des autres capitales. Des poètes, des Académies et des Associations de plaisirs, il s'en trouvait en France et ailleurs, mais quelle Cour pouvait prétendre à la pratique d'une pastorale !

La jouissance de plaisirs inconnus ou retrouvés, la compagnie de femmes, dont beaucoup étaient jeunes et belles, et de celle surtout qui les effaçait toutes, étant, c'est le froid Montaigne qui parle, de ces divines supernaturelles et extraordinaires beautez qu'on voit parfois reluire comme des astres soubs un voile corporel et terrestre, tant de sujets d'admiration, et le charme ressenti en passant, au hasard des rencontres, maintenant offert et savouré tous les jours, achevaient d'amollir les capitaines et les gentilshommes du roi de Navarre. Ils se montraient aussi honnestes gens que les plus galants que la reine eût vus à la Cour de France, et n'y avoit, continue-t-elle, rien à regretter en eux sinon qu'ils estoient huguenots. Les passions qui avaient déchiré le pays avaient fait place à d'autres. ... De cette diversité de religion, il ne s'en oyoit point parler le Roy : mon mari et Mme la Princesse sa sœur allants d'un costé au presche et moy et mon train à la messe, en une chapelle qui est dans le parc ; d'où, comme je sortois, nous nous rassemblions pour nous aller promener ensemble ou en un très beau jardin qui a des allées de lauriers et de cyprez fort longues, ou dans le parc que j'avois faict faire, en des allees de trois mille pas qui sont au long de la riviere ; et le reste de la journée se passoit en toutes sortes d'honnestes plaisirs, le bal se tenant d'ordinaire l'apres-disnee et le soir[7].

Tout n'était pas innocent en cette idylle ou du moins ne le demeura pas toujours. Henri de Bourbon en était encore avec Fosseuse aux petits soins, la première étape du voyage au royaume du Tendre. Il contribuait en dons de confitures de Gênes, d'abricots et de poires de safran, apportées de Tours, de pâtes d'Italie, et de boîtes de dragées, aux collations des filles d'honneur, mais il privilégiait de massepains, dont il semble qu'elle fut très friande, sa toute mignonne favorite platonique[8]. Il faisait verser à son père, Pierre de Montmorency, baron de Fosseux, une somme de cent quatorze écus pour certaines bonnes et justes raisons. Hé ! oui.

A la Cour de Nérac il ne se parlait que d'amour. Sully, lui-même, le grave Sully faisoit, dit-il, l'amoureux comme les autres[9]. Mais que faut-il entendre par là ? simplement peut-être qu'il servait quelque dame en tout respect et tout honneur. Aussi n'est-on pas obligé d'entendre le passage si connu d'Aubigné au sens méchant qu'il y met : La reine de Navarre apprit au roy, son mari, qu'un cavalier estoit sans ame quand il estoit sans amour et l'exercice qu'elle en faisoit n'estoit nullement caché, voulant par là que la publique profession sentist quelque vertu et que le secret fast la marque du vice[10]. L'amour, inspirateur des hautes pensées et des nobles sentiments, c'est la thèse même du Banquet qu'elle lisait dans le Convito de Marsile Ficin, traduit par Guy Le Fèvre de La Boderie sous le titre de l'Honneste Amour, et qu'il lui avait dédié (1578). Ce livre qui est une adaptation aux idées chrétiennes d'un dialogue de Platon, elle l'a pratiqué et goûté jusqu'à s'en assimiler l'essence et à en copier presque textuellement des passages. Il représente l'idéal d'amour pur rêvé par Marguerite, et où elle n'a pas atteint ou pu se maintenir, tirée en bas par la faiblesse de sa nature ou, comme elle aimerait à le faire croire, par les sollicitations grossières des âmes auxquelles la sienne s'appariait. Mais il lui resta de ce commerce même indirect avec l'esprit le plus élevé du monde antique et de cette conception, encore plus spiritualisée par l'interprétation chrétienne, une hauteur de sentiments, des aspirations et une attitude morale qui contrastent avec les abandons de sa vie passionnelle. Cette grande amoureuse est l'un des écrivains les plus chastes du XVIe siècle. Même dans les déclarations les plus ardentes de sa correspondance et dans la seule page sensuelle qu'elle ait écrite, — si, comme il est probable, la Ruelle mal assortie est son œuvre, — il n'y a pas un mot qui choque la pudeur et, qui, pour traduire le trouble du corps, ne soit du langage de l'âme. Ce souci des bienséances féminines qu'elle tenait de sa mère, ennemie des lascivetés a été fortifié encore par ce traité de l'Honneste Amour, qui a donné à l'usage du monde et à l'exemple maternel le support d'une doctrine. En son autobiographie, où la peinture des sensations s'offrait comme elle-même, et avec abondance, elle n'a jamais voulu exprimer que des sentiments, avec une telle recherche de décence et un tel éloignement de ce qui n'est ni noble, ni délicat, ni incorporel, si l'on peut dire, qu'elle mérite d'être regardée comme la première en date des précieuses.

Son mari avait l'habitude en ses passions de brûler les étapes à la soldate. Que cette platonicienne se soit avisée de faire son éducation sentimentale et de lui apprendre les délicatesses de l'art d'aimer, il n'y a pas de quoi surprendre ; toujours elle aima à s'instruire et à instruire. Mais il n'était pas facile de transformer en héros de roman ce Béarnais, gaillard en ses propos, peu recherché en sa parure, impatient en ses plaisirs et qui ne savait faire deux choses : tenir gravité et lire[11]. Cependant avec Fosseuse, du moins tant qu'elle fut toute jeune, il se résigna au rôle de soupirant. Marguerite avait, elle aussi, ses serviteurs.

Il est difficile d'imaginer des époux plus accommodants. Ils avaient dès les premiers temps de leur mariage constaté leur incompatibilité d'humeur et s'étaient accordés à vivre sous un régime d'infidélité mutuelle, elle, dévouée aux intérêts et complaisante aux passions de son mari, lui peu curieux du plaisir qu'elle prenait ailleurs. La seule différence qu'il y eût dans leur conduite, c'est qu'elle, par souci de sa réputation et des convenances, expliquait les liaisons, dont elle ne se cachait pas, comme la pratique avouable d'une honneste liberté en une Cour mondaine, tandis que lui se prévalait de ses bonnes fortunes et allait tout d'abord les raconter à sa femme.

Autrefois, à la Cour de France, quand il s'était amouraché de Charlotte de Sauves, il avait parlé de cette phantaisie à Marguerite, et, dit-elle, — ce qui ouvre un jour singulier sur leur conception de la vie conjugale — aussi librement qu'à une sœur, cognoissant bien que je n'en estois aucunement jalouse. Le malheur voulut qu'il se laissât persuader par sa maîtresse qu'elle l'était. Erreur bien excusable sans doute : Nous croyons aisément ce qui nous est dit par personnes que nous aymons, mais qui lui avait fait ce grand tort de l'éloigner de la bonne grâce de cet amant trop crédule. C'est tout le regret qu'elle a de la première en date de ses infidélités majeures.

Des diverses favorites qu'il eut en Gascogne, elle ne dit jamais de mal à moins que celle-ci ne lui en fassent. Elle avait tenté de le reprendre et peut-être eut-elle une déception d'amour-propre de n'y avoir pas réussi. Mais elle en prit vite son parti. Elle nomme Dayelle, et c'est tout ; si elle en veut à Rebours, c'est d'être une fille malicieuse, qui ne l'aimoit point et, qui, comme auparavant Mme de Sauves, lui faisait tous les plus mauvais services qu'elle pouvoit. Elle se dit heureuse, que, durant la maladie de cette maîtresse, son mari se soit attaché à Fosseuse, qui estoit plus belle et pour lors enfant et toute bonne. Comment n'a-t-elle pas craint de laisser cette mignonne en proie à un homme dont elle savait le tempérament exigeant ou, si elle se doutait du danger, à quel rôle descendit-elle ? Sa mère s'était résigné au partage avec Diane de Poitiers, mais elle ne cachait pas à Henri II qu'elle en souffrait. Marguerite, elle, consentait à patronner les inclinations de son mari. Etait-ce manque de sens moral ou rançon des libertés qu'elle s'octroyait ? Peut-être les deux à la fois. Elle ne s'émut pas du jeu d'amour avec Fosseuse jusqu'au moment où il devint dangereux pour sa propre tranquillité.

La renommée de cette Cour se répandit au loin. Plus tard, en 1594, quand Henri de Bourbon, devenu roi de France, fut célèbre dans toute la chrétienté comme l'adversaire heureux de l'hégémonie espagnole et comme le plus galant des héros, l'auteur de Peines d'Amour Perdues, ce Sosie de Shakespeare, mêlant au gré de sa fantaisie poétique la légende et l'histoire, mit en scène un roi de Navarre, le roi de Navarre lui-même, qui décidait avec les grands d'ériger son Conseil en Académie vivant pour l'art et morte à l'amour, mais la belle princesse de France et son cortège de belles dames apparaissaient, et soudain c'en était fini des résolutions de renoncement et des vœux d'austérité. En France, l'opinion n'appréciait pas aussi favorablement la mascarade sentimentale de Nérac. Henri III colportait avec délices la chronique scandaleuse de l'Arcadie gasconne. Un synode national des églises réformées, tenu à la Rochelle le 28 juin 1581, fulmina contre les fards, plissures, houpes, lardoires, guiquerolets, seins ouverts, vertugadins et autres inventions diaboliques, qu'il interdisait aux fidèles[12]. C'était avouer l'influence corruptrice de cette Valois-Médicis dans le milieu huguenot. Montaigne lui-même, qui était capable de tout comprendre, mais qui dans la pratique de la vie blâmait le zèle, la passion, les hardiesses de pensée et de conduite, tous les excès, même celui de la vertu, comme nuisibles à la santé du corps social, rappelait rudement son infidèle disciple à la sagesse et au bon sens. Je vous conseille, lui disait-il, en vos opinions et en vos discours, autant qu'en vos mœurs et en toute aultre chose, la modération et l'attrempante et la fuyte de la nouvelleté et de l'estrangeté. Toutes les voyes extravagantes me faschent[13]. Et parmi ces voies-là n'est-il pas permis de découvrir, outre l'esprit de prosélytisme religieux, attesté par la mésaventure de Pau, les galanteries d'une souveraine savante, qui, poursuivant mêmes études que les hommes, pensait, contrairement aux opinions reçues, avoir droit aux mêmes privilèges qu'eux en matière d'amour.

Parmi les amants de Marguerite, il n'est pas douteux, quoi qu'on en ait dit, qu'il faille compter le vicomte de Turenne. Peut-être avait-elle eu tout d'abord peu de sympathie pour ce cousin huguenot, le conseiller le plus écouté d'un mari qui se dérobait, et qu'elle savait lui-même fort amoureux de La Verne, une des filles d'honneur de Catherine de Médicis. Mais après que La Verne fut partie avec la Reine-mère, elle eut à Eause l'occasion de le mieux connaître. Comme les femmes de ce temps, elle aimait les vaillants hommes, habiles escrimeurs. Turenne était célèbre comme duelliste, depuis sa rencontre quelques mois auparavant (17 mars 1579) avec Duras, un grand seigneur catholique, qu'il avait provoqué pour quelques méchants propos. Il le tenait à ses pieds et, sans vouloir l'achever — trait de générosité rare pour l'époque, — il lui permit de se relever. A la reprise du combat, il l'avait fait reculer de plus de soixante pas â la pointe de l'épée, quand il fut assailli par neuf ou dix serviteurs de son adversaire qui le percèrent de coups, dont vingt-deux lui tiroient du sang[14]. Avec son bras qu'il porta longtemps en écharpe, il pouvait rappeler à Marguerite Bussy d'Amboise, ce batailleur forcené, dont elle raconte avec tant de détails les traits de bravoure qu'il n'est pas défendu de croire qu'elle eut pour lui plus que de l'admiration. D'Aubigné dit en son Histoire que Turenne s'était embarqué dans l'amour de la reine de Navarre, et d'autres témoignages prouvent que cette fois il n'invente pas.

Au commencement de-1580, à Paris, un astrologue italien annonçait que la reine de Navarre serait en danger de mort, du 21 au 29 mars, per conto del honore (pour des raisons touchant à l'honneur). Le chancelier Pibrac, alors de retour de Gascogne, informé de ce bruit et tremblant pour cette belle jeune reine, dont, malgré ses cinquante ans, il était profondément épris, courut chez le faiseur d'horoscopes et en sortit tellement troublé des preuves que l'autre lui donna de sa faculté divinatoire qu'il alla aussitôt prévenir le roi de France et la Reine-mère. Henri III et Catherine étaient déjà au courant de la prédiction ; ils recommandèrent à Pibrac d'avertir Marguerite en temps voulu ; une précaution qu'ils n'eussent pas suggérée, s'ils n'avaient pas eu vent de quelque galanterie. Pibrac, après avoir longtemps hésité, se décida enfin, à l'approche du terme fatal, à écrire à sa souveraine ; il lui conseillait de quitter Nérac, la ville huguenote, deux semaines avant Pâques, qui tombait en 1580 le 3 avril, et d'aller faire ses dévotions accoutumées au Port-Sainte-Marie ou à Agen, villes catholiques de l'obéissance du Roi son frère.

Mais cet explorateur du ciel était bien mal informé des choses de la terre. Croire le roi de Navarre jaloux de sa femme jusqu'à vouloir la tuer de sa main, c'était le fait d'un visionnaire et d'un Italien. Sans penser aux ides de mars, le ménage vivait en bonne camaraderie. En février, Henri fit cadeau à Marguerite, de deux paires de gants de fleur (?) parfumés, garnis de passemens d'or et d'argent du prix de 36 livres tournois et d'un panache d'oiseau de paradis, où tout l'oiseau est, qui est des plus beaux et des plus rares et qui a coûté 300 livres[15].

Même s'il avait ignoré — chose invraisemblable — que Turenne était l'amant de sa femme, il n'était pas homme à s'en ressentir outre mesure.

Il avait en ce moment bien d'autres affaires. Le colonel général de l'infanterie française, Philippe Strozzi, venait en effet d'arriver à Nérac, le 3 mars, avec l'ordre de faire restituez les places de sûreté. Quel intérêt Henri III aurait-il eu à joindre à son ultimatum, comme le raconte un historien du XVIIe siècle, Mezeray, la dénonciation, qu'il voulait blessante, des rapports de Turenne et de Marguerite ? Si impulsif qu'on l'imagine, il n'allait pas s'aliéner, pour un plaisir de médisance, sa sœur, qui ne lui avait rendu jusque-là que de bons offices et dont le concours lui était plus que jamais nécessaire pour décider son beau-frère à obéir. Au vrai, il n'a écrit cette lettre diffamatoire que beaucoup plus tard, et à l'époque où la relate une dépêche du 30 mai de l'ambassadeur florentin, elle s'explique, si elle ne se justifie point, par le désir de se venger des auteurs responsables, ou qu'il croyait tels, d'une nouvelle révolte.

A la fin de 1579 ou au début de 1580, les amants s'étaient d'ailleurs brouillés pour des raisons qu'on ne sait pas. Si l'on pouvait ajouter foi au Divorce satyrique, ce pamphlet grossier, dont je ne sais comment émousser les précisions pour être intelligible sans blesser la décence, Marguerite, qui n'avait pas trouvé en Turenne le plaisir qu'elle attendait, aurait congédié ce flasque amoureux, l'accomparant aux nuages vuides qui n'ont que l'apparence dehors. C'est alors peut-être que Turenne s'en serait allé à Castres où on signale sa présence le 11 janvier. Mais le roi de Navarre, qui avait plus souci de l'intérêt de son parti que des déceptions de sa femme, l'aurait fait revenir et il aurait imposé une réconciliation. Que cette histoire ait été plus ou moins arrangée et salie par d'Aubigné, l'auteur probable de ce pamphlet génial, il est certain que Turenne prit le parti de rompre. Il échangea la lieutenance générale de la Guyenne, qui le retenait près de Nérac, contre le gouvernement du Haut-Languedoc, qui l'en mettait loin. Il voulait, explique-t-il, en vue d'une nouvelle guerre qui s'annonçait prochaine, avoir le mérite ou assumer la responsabilité de ses actes[16]. Il ajoute, et les termes de sa déclaration sont à peser : J'avois, outre cela, un sujet qui me convioit à m'esloigner dudict roy pour m'esloigner des passions qui tirent nos âmes et nos corps après ce qui ne leur porte que honte et dommage. Il ne parlerait pas si craintivement, comme d'un grand danger matériel et moral, d'une intrigue avec une dame ou fille d'honneur ni des prétentions qu'il aurait, dit-on, laissé voir à la main de Catherine de Bourbon, sœur du roi de Navarre. Non, c'est bien l'aveu discret de ses amours avec Marguerite. Appréhendait-il que son maitre ne finît par s'émouvoir, non de la faute, mais du scandale, et, à la veille d'une guerre de religion, estimait-il qu'il perdrait toute autorité sur les églises et compromettrait son salut dans l'autre monde, si, lieutenant du chef du parti, il continuait à le tromper, au vu de tous, avec la reine, zélée catholique et sœur du roi de France, cet ennemi des huguenots ? Ce sont probablement ces raisons d'intérêt et de conscience qui le décidèrent à quitter Nérac. Il n'en partit, c'est lui-même qui le dit, qu'après la prise de Sorrèze par les catholiques, qui est du 3 mars 1580, et cette fois pour ne pas revenir. Il a pu voir à Nérac Strozzi, qui y passa tout le mois de mars et les deux tiers du mois d'avril, mais parmi les dépêches que l'ambassadeur extraordinaire d'Henri III apportait, il n'y en avait aucune qui le concernât.

Le départ de Turenne est plus qu'une date dans la chronique amoureuse de Marguerite, c'est le prélude d'une prise d'armes. La plupart des gentilshommes protestants s'en allèrent aussi rejoindre leurs postes de combat. Adieu les fêtes, les concerts, les promenades et les tendres propos dans les allées ombreuses ou le long de la Baïse. La guerre approchait, celle que d'Aubigné a baptisée guerre des amoureux[17], imaginant en poète que Marguerite et ses dames avaient poussé leurs amants à la bataille pour se venger des bons contes d'Henri III sur la Cour d'amour de Nérac. La reine de Navarre, qu'il suppose furieuse de de ces diffamations, aurait appris aux maîtresses de son mari qu'elles avoyent en leur puissance la vie de leur maistresse (c'est-à-dire la sienne) et la disposition des plus grandes affaires de France, si bien qu'en se concertant avec elle la paix et la guerre du royaume estoyent entre leurs mains.... Elle séduisit, dit-il encore, les maistresses de ceux qui avoyent voix en chappitre. Elle mesme gaigna pour ce point le vicomte de Turenne, embarqué en son amour[18]. Il se trompe ici d'époque et il exagère. Si les hommes se sont battus de meilleur cœur pour plaire aux dames, ils en avaient depuis longtemps envie. En juin 1579, à l'assemblée de Montauban, comme on le sait par Turenne lui-même, ils avaient résolu d'en appeler aux armes, si on les pressait trop de rendre les villes de sûreté, au terme fixé par l'accord de Nérac, et chacun s'employoit (déjà) à se préparer en vue d'un nouveau remuement et à recognoistre des places.

Pour entraîner la masse, Condé avait pris les devants. Il sortit secrètement de Saint-Jean d'Angély, traversa Paris déguisé, et alla s'emparer de la forte place de La Fère (29 novembre 1579), d'où il pouvait correspondre avec l'Angleterre et l'Allemagne protestante. Un mois après, Merle, l'un de ces capitaines larrons que la paix ruinait, surprit Mende (25 décembre) sur l'ordre, racontent ses Mémoires, d'un des principaux chefs de la religion[19], sans doute François de Châtillon, fils de l'Amiral Coligny. Le roi de Navarre écrivit à Henri III pour s'excuser de cette agression qui n'avait été faicte de son sçeu ni de son consentement. C'était un faict particulier dont ceulx de la Religion en général portent beaucoup de desplaisir. Il ne disait pas tous et ne pouvait avouer plus clairement qu'il n'était pas toujours maître de son parti. Même aveu d'impuissance en réponse à la sommation que Strozzi lui apporta de restituer les places de sûreté.... Je mettray tousjours peine d'obéir en ce qu'il ira de mon particulier ; seulement estant bien marry que pour le général je ne vous puis donner la satisfaction que vous me demandez[20].

Naturellement il recommençait à se plaindre des agressions des catholiques et de la désobéissance du maréchal de Biron, mais il n'aurait pas couru les risques d'une révolte s'il n'avait eu la main forcée par les intransigeants.

Soudain, en avril 1580, les chefs huguenots, sans la promesse de concours d'une armée étrangère, contre l'aveu des gens de La Rochelle et de beaucoup d'églises, malgré la froideur du duc d'Anjou et l'hostilité du gouverneur du Languedoc, Montmorency-Damville, mirent leurs troupes en campagne. Les Mémoires et les lettres de Marguerite prouvent clairement qu'elle n'était pas responsable du conflit. Elle s'était efforcée de faire réussir la négociation de M. d'Estresse (Strozzi), écrit-elle au Roi son frère, selon vostre veulonté que je dessire plus que chose du monde voir satisfaite an ce qui despand du Roy mon mari et de moi[21]. Elle n'avait pas cessé d'avertir la Cour de France de l'aigreur des réformés pour y remédier en donnant quelque contentement au roi de Navarre, en même temps qu'elle remontrait à celui-ci et aux gens de son Conseil combien peu advantageuse leur seroit ceste guerre, où ils avoient un chef contraire, tel que M. le mareschal de Biron, grand cappitaine et fort animé contre eux, qui ne les feindroit (ne les ménagerait) ni ne les espargneroit, comme avoient fait d'aultres[22]. Femme du roi de Navarre et sœur du roi de France, elle risquait, quelque décision qu'elle prît en cas de rupture, de déplaire à l'un ou à l'autre. Aussi, quand il en était encore temps, pressait-elle sa chère Sibylle, la duchesse d'Uzès, de bien suivre ses instructions pour l'entretenement de la paix... et pour le contentement et repos de la meilleure de vos amies... car je ne sais que ce seul moyen pour éviter la guerre que vous savez combien je l'appréhende et la dois craindre[23]. Elle dénonçait à Henri III les remuements et armements de Gramont et de Duras, deux grands seigneurs catholiques. L'on dit qui l'ont (qu'ils ont) des comitions de M. le Mareschal de Biron et le Roy mon mari croit que c'est luy qui leur faict jouer ce jeu pour le dossesperer et luy faire prandre les armes, ce qui (qu'il) ne fera pas et ne sera point dict que ce soit luy qui commanse... estant résolu dandurer jusques à l'extrémité pour faire connoistre sa bonne volonté à l'entretenement de la paix. Convaincue que ces provocations se faisaient contre l'intention de son frère, elle le suppliait très humblement de la faire prontement paroistre à ceux qui l'ignoret (l'ignorent) ou la respecte peu. Elle n'oublierait rien en cette occasion du service qu'il pouvait attendre d'une très humble servante qu'il honorait du nom de sa bonne seur. C'était son intérêt comme son devoir. Car outre sa résolution de le servir, elle avait devant les yeux mile malheurs représentés qui se préparaient pour elle. Si la gaire (guerre) est de sorte, Monseigneur, que falloient (manquaient) tous moiens pour la destourner, je n'orois autre recours que prier continuellement Dieu qui (qu'il) me voulut auter de ce monde[24]. Une lettre du roi de Navarre à sa femme, datée du 10 avril, cinq jours avant la déclaration de guerre, confirme ce qu'elle dit de ses sentiments pacifiques. ... Ce m'est un regret estresme, qu'au lieu du contentement que je désirois vous donner... il faille tout le contraire et qu'aiez ce desplaisir de voir ma condition réduicte à un tel malheur[25]. Parlerait-il ainsi à une complice et pouvait-il signifier plus clairement qu'il entrait en campagne malgré lui et malgré elle ?

Jusqu'au dernier moment elle voulut croire à la paix parce qu'elle la souhaitait de tout cœur. ...Si les huguenots avoient du meilleur, c'estoit à la ruine de la religion catholique, de quoy j'affectionnois la conservation plus que ma propre vie. Si aussi les catholiques avoient l'avantage sur les huguenots, je voyois la ruine du Roy mon mari. L'alternative était si redoutable, qu'elle chercha jusqu'au dernier jour à se faire illusion, écrivant à Paris au chancelier Pibrac qu'il ne falloit point croire que ceux de la religion voulussent prendre les armes.

Contrairement à son espoir, la guerre éclata et il lui fallut prendre parti. L'honneur, dit-elle, que son mari lui faisait de l'aimer — on a vu ce qu'il faut entendre par là, — lui commandait de ne pas l'abandonner. Elle résolut donc de courre sa fortune. On peut croire aussi que la prise de Cahors (28-31 mai) y contribua. Ce combat de quatre jours dans les rues de la ville, d'où le roi de Navarre, ce cadet de Gascogne paillard, raillard et vantard, sortit tout sang et poudre avec un renom de héros, a pu faire impression sur son esprit romanesque.

En tous cas, elle se remua beaucoup en juin pour empêcher certaines villes de se déclarer contre lui, promettant aux consuls d'Auch et de Condom de les protéger contre l'attaque et les déprédations des troupes huguenotes, s'ils gardaient la plus exacte neutralité[26]. Fait plus grave, elle n'empêcha pas les gentilshommes de sa suite, mais aurait-elle pu les en empêcher ? d'aller frapper quelques bons coups d'épée en compagnie du roi son mari.

Cependant elle évitait de rompre avec la Cour de France et elle employait la duchesse d'Uzès à maintenir le contact. Elle voudrait faire croire à cette confidente qu'elle assistait, spectatrice résignée, au développement des hostilités. Dans une de ses lettres, elle signalait incidemment la prise de Cahors, mais insistait sur un choc possible d'armes entre le roi de Navarre et le maréchal de Biron près d'Agen. Jugez, je vous supplie, en quelle peine je puis estre, ma Sibille ; si vous plaignez ma douleur, je l'en estimeray moindre. Elle ajoutait : Je vous supplie, parlant à la Royne ma mère, faites-luy souvenir de ce que je luy suis et qu'elle ne me veuille rendre si misérable, m'ayant mise au monde, que j'y demeure privée de sa bonne grâce et protection[27].

Mais elle ne prend pas le deuil. Elle continue à entretenir sa Cour de dames aussi parée que par le passé. Elle fait autant de commandes qu'avant la guerre aux argentiers, aux orfèvres, aux tapissiers, aux couturiers, aux cordonniers. Elle se fait apporter cet été-là de l'eau prise sous les moulins de Barbaste, pour trois bains. Est-ce que la Galise, qui meut ces roues pittoresques, a plus de fraîcheur et de vertu que la Baïse ? Elle achète des robes, des voiles, des soieries, des rubans, une glace de Venise garnie de nacre, or, perles et argent. Elle et ses filles se tiennent prêtes aux jeux de l'amour et du hasard.

Elle avait obtenu du Roi et de la Reine-mère qu'ils commandassent au maréchal de Biron de ne pas approcher de plus de trois lieues de Nérac, à condition que le roi de Navarre n'y entrât point. Mais il se plaisait tellement parmi les dames, et surtout avec Fosseuse, dont il était toujours plus épris, qu'il allait les visiter souvent, et même une fois il se logea dans la ville avec sa troupe et y demeura trois jours, ne pouvant se départir d'une compagnie et d'un séjour si agréable. Biron, qui guettait ce manquement, se présenta un matin devant la place avec toute son armée en bataille près et à la voilée du canon. Le roi de Navarre, qui venait d'en sortir, accourut et jeta quelques soldats dans les vignes pour faire front aux assaillants. Il n'y eut pas d'engagement, l'extrême pluie de ce jour ayant noyé la poudre des arquebuses. Seuls deux ou trois gentilshommes de l'armée catholique sortirent des rangs et vinrent demander des coups de lance pour l'amour des dames. Biron, en s'éloignant, fit tirer sept ou huit volées de canon dans la ville dont l'une donna jusques au chasteau (12 septembre 1580)[28]. Galamment il envoya un trompette à la reine pour s'excuser d'avoir fait son devoir contre le violateur de la neutralité. Mais Marguerite protesta qu'il ne pouvait s'attaquer à son mari sans s'attaquer à elle, qu'elle en était fort offensée et qu'elle s'en plaindrait au Roi et à la Reine-mère[29]. Comment pouvait-elle penser qu'ils lui donneraient raison contre ce fidèle serviteur ?

Henri III avait eu quelque peine à croire que sa sœur eût, jusqu'au dernier jour, ignoré les projets belliqueux des huguenots et il avait vivement repris Pibrac, qui, sur l'assurance de sa souveraine, se portait encore garant, à la veille de la déclaration de guerre, de leurs intentions pacifiques[30]. Quand survint la nouvelle que Cahors avait été prins et sacagé, tous les habitans massacrés et le butin des églises publicquement vendu à Nérac, il manda le malheureux chancelier et, publicquement au millieu de la basse-court du Louvre, en présence de plus de deux cens gentilshommes, il lui reprocha d'avoir trompé sa confiance, ajoutant : Les officiers auxquels ma sœur a donné des offices et bénéfices dans Cahors ont trahy la ville et receu l'ennemy ; je ne veux plus qu'elle aye ce moyen de me nuire ; j'ay ce matin commandé à mon procureur général de faire saisir les terres qu'elle a ; et quant à vous, je vous deffends d'uzer de son sceau, ny sceller offices quelconques[31]. Pibrac alla trouver Catherine, gisante au lit et griesvement malade, et lui persuada de faire révoquer la saisie comme préjudiciable à l'honneur de sa fille, pour ce que les registres du Parlement en demeareroient chargez, et fondée sur ce fait faux que les officiers et les bénéficiers de Cahors avaient été nommés par elle[32]. Mais si Henri III avait été faussement renseigné sur le sac de Cahors et la responsabilité de Marguerite, il ne douta plus de sa mauvaise foi. C'est alors seulement qu'il écrivit au roi de Navarre, et pour se venger, que Turenne caressait sa femme. Il aurait dû, pour être exact, parler au passé.

Biron poussa si vivement les hostilités que Marguerite cria grâce. Elle supplia sa mère d'envoyer en Gascogne son frère, le duc d'Anjou, qui avait essayé de prévenir la guerre et qui s'offrit à rétablir la paix. L'ancien chef des huguenots et des catholiques unis, impatient de rentrer aux Pays-Bas, avait intérêt à réconcilier les combattants afin de se procurer les soldats nécessaires à son entreprise. Pour des raisons tout opposées, Henri III et Catherine de Médicis l'acceptèrent comme médiateur, espérant l'enliser dans les négociations interminables du Midi et ajourner indéfiniment toute nouvelle bravade à la puissance espagnole. Le Duc, assisté de Bellièvre et de Villeroy, les deux hommes de confiance du Roi et de la Reine-mère, se mit facilement d'accord avec le roi de Navarre sur les conditions de la paix (Fleix, novembre 1580). Les protestants étaient autorisés à garder encore six ans les places de sûreté qu'ils avaient obtenues à Nérac. Mais consentiraient-ils à restituer les autres. La Cour de France comptait que le négociateur y perdrait son temps et sa peine.

Marguerite souhaitait aussi de retenir le plus longtemps possible ce frère si cher. Ce n'était pas, d'ailleurs, uniquement pour lui. On suppose qu'elle a vu à La Fère, pendant les deux mois qu'ils y passèrent ensemble, et à Paris, à l'époque de sa fuite, un de ses gentilshommes, Champvallon. Mais elle ne pensait alors qu'à Bussy. Il n'était pas dans sa nature de se partager, si franchement amoureuse qu'elle se donnait tout entière à un homme, sans coqueter avec les autres, et d'autre part si ardente qu'elle ne s'attardait pas aux regrets et le remplaçait, aussitôt disparu de son horizon ou de sa vie. Son cœur n'avait qu'une place, mais qui ne restait pas longtemps vide. Après son malheureux essai de fidélité conjugale, elle s'était liée avec Turenne qui, en qualités du corps et en chaleur de passion, ne se pouvait comparer à Bussy, et qui la quitta ou qu'elle congédia. Mais elle revit à Fleix Champvallon, promu grand écuyer de son frère, depuis l'assassinat de Bussy par un mari trompé, que le Roi ou le Duc n'avait pas découragé.

Jacques de Harlay, sieur de Champvallon, appartenait à cette grande famille qui, en ses diverses branches, a produit tant d'hommes éminents, magistrats, diplomates, prélats, hommes d'épée. Fils puîné de Louis de Harlay, sieur de Césy, et de Louise Stuart de Carr, une noble dame apparentée à la maison royale d'Ecosse, il avait passé du service d'Henri II1 à celui du duc d'Anjou. On ignore la date de sa naissance, mais on sait qu'il mourut très âgé en 163o, et, en supposant qu'il eut à sa mort quatre-vingts ans, il serait né vers 1550. L'Estoile en 1583, l'appelle le jeune Chamvallon. Il avait donc à peu près le même âge que Marguerite, née en 1553.

Il était très beau, le plus bel homme de son temps, dit-on.

Que Marguerite appréciât la beauté comme un mérite rare, il suffit, pour s'en convaincre, de penser à l'admiration qu'elle eut toujours de la sienne. Un de ses livres de chevet, le commentaire de Marsile Ficin sur Le Banquet de Platon, traduit par La Boderie, est le panégyrique du beau en tant que splendeur visible de Dieu. De la contemplation des belles formes, l'âme s'élève à l'idée de la beauté divine, mais elle commence par elles. Toute sa vie, Marguerite a aimé les perfections du corps, et même quand l'âge aurait dû la prévenir contre les comparaisons fâcheuses et l'empêcher d'en courir le risque, elle ne cessa pas d'adorer Dieu à travers ses créatures d'élection.

Champvallon, plus beau que Bussy, était brave comme lui. Brantôme le cite parmi les duellistes fameux[33].

Il était cultivé, poète même à ses heures, bien qu'en sa jeunesse les qualités de son esprit se perdissent dans l'éblouissement du corps. Et encore est-on réduit aux conjectures sur son mérite littéraire, des vers qu'on lui attribue étant de l'un de ses fils[34] ou du fournisseur qu'il entretenait lui-même à l'exemple des grands seigneurs. Justement, il avait pour ami ou client Benjamin Jamyn, à peine connu aujourd'hui, mais que d'Aubigné estime supérieur sur un point à son illustre frère, Amadis[35]. Il n'est pas impossible que cet habile écrivain ait senti et pensé pour son patron ou donné forme et vie à des conceptions mal venues.

Sans distinguer, l'opinion faisait un mérite à Champvallon des pièces qui portaient sa marque[36]. Vingt ans plus tard, comme il cherchait à obtenir gratis du pape pour son fils, François de Harlay, les bulles d'investiture de l'abbaye de Saint-Victor, le cardinal d'Ossat, ambassadeur de France à Rome, qu'il priait d'intercéder en sa faveur, tout en s'excusant de lui donner cette peine pour un inconnu, protesta aimablement contre l'ignorance qu'on lui supposait : Encore, répondait-il, que je n'aye eu le bien de vous voir, si est-ce que vous m'estes cogneu par la meilleure partie de vous, qui est votre bel esprit et bon entendement, et par la réputation de vostre vertu, talent et mérite[37] (24 fév. 1603).

Il a tourné assez bien les vers jusqu'à un âge avancé, et si l'abbé de Marolles lui portait en 1623 sa traduction de Lucain[38], c'est que septuagénaire il s'intéressait encore à la poésie et à la littérature latine.

L'histoire est nécessairement sur certains points de détail une science conjecturale. On suppose qu'à Fleix, où le roi de Navarre et le duc d'Anjou avaient pris rendez-vous pour débattre les conditions de la paix, Marguerite était trop absorbée par les négociations pour s'occuper de Champvallon. Ce serait à Coutras où, après la signature de la paix, la Cour de Navarre et la suite du duc d'Anjou passèrent ensemble tout le mois de décembre (1580) que la reine et le grand écuyer devinrent amants. Mais il n'y en a d'autre preuve que la facilité des rencontres et la fringale de plaisir d'une jeunesse désœuvrée.

A Cadillac, un témoin se produit. Marguerite et le duc d'Anjou y séjournèrent deux mois (24 janvier-15 mars 1581) dans le vieux château fort des Foix-Candale, en partie restauré dans le style de la Renaissance. Le roi de Navarre, qui était retourné dans ses Etats, faisait de courtes ou longues apparitions à la Cour de sa femme, ne pouvant passer plus d'une semaine sans voir Fosseuse. C'est dans cette villégiature que Marguerite avait été surprise en ses privautez avec Champvallon, et peut-être par d'Aubigné, alors à Cadillac. Cet incident, de quelque façon qu'il l'ait connu, lui a paru si mémorable qu'il le rapporte dans son Histoire universelle[39] parue seulement en 1616, mais l'on peut croire, sans lui faire injure, qu'il n'a pas gardé jusque-là le secret. En bon huguenot, il détestait la très catholique Marguerite. Et cependant il s'étonne et presque s'indigne, qu'exposée aux brocards de cet indiscret, elle ait voulu l'embarquer dans l'expédition que Catherine de Médicis projetait, pour soustraire le Portugal à l'emprise espagnole.

Mais cette fois il ne calomniait pas celle qu'il diffamait. L'amour est, quand elle et lui se retrouvèrent à la Cour de France, attesté par nombre de contemporains : L'Estoile, Busini, l'agent florentin, Busbecq, l'ambassadeur de l'Empereur, comme aussi par les accusations d'Henri III et le bruit public, que personne n'a jamais démenti.

De Champvallon, elle ne dit pas un mot dans ses Mémoires, qui s'arrêtent d'ailleurs en 1582, à la veille de ce voyage de France où il lui aurait été bien difficile de ne pas le nommer. Mais ce n'est pas une preuve qu'elle ne l'a pas aimé et même beaucoup. Il serait aussi paradoxal de prétendre qu'elle a commis avec lui le premier de ses manquements, depuis si répétés, à la foi conjugale. Mais après quelques expériences où elle ne se donnait qu'à moitié, soudain, en ces alentours de la trentième année qu'un des historiens des grandes dames du temps, le comte Hector de La Ferrière, déclare l'âge critique de la vertu des femmes, il semble qu'elle se soit éprise corps et âme et qu'elle ait ressenti pour la première fois une tendresse plus brûlante et plus entière, l'amour-passion.

Aussi peut-on imaginer ce qu'a souffert Marguerite quand elle vit partir cet amant si cher (avril 1581). Après six mois passés où, à son avis, perdus à surveiller l'exécution du traité de Fleix, le duc d'Anjou emmenant son grand écuyer, quitta la Gascogne, en route pour une nouvelle invasion des Pays-Bas, malgré les ordres du Roi son frère, et les remontrances de la Reine sa mère. Sa sœur avait d'autres raisons de vouloir le retenir, et, n'y ayant pas réussi, elle eut beaucoup de peine à lui pardonner. C'est à ce moment-là qu'il lui échappa de dire, à en croire d'Aubigné, que si toute l'infidélité estoit bannie du reste de la terre, son frère l'en pourroit repeupler[40]. Comme elle n'a pas cessé d'aimer et d'honorer ce prétendu félon, ce propos si contraire à ses sentiments peut, s'il est vrai, donner la mesure de l'exagération de sa douleur. Elle renonce aux toilettes éclatantes et revient aux livres, ces grands consolateurs, dont elle a déjà éprouvé en sa prison du Louvre l'action bienfaisante. Elle achète un Plutarque, les Mémoires de Du Bellay, les Discours de Cicéron, un dictionnaire grec-latin-français, etc. Elle tâche de se concilier Dieu, faisant cadeau aux religieuses du Paravis (près du Port-Sainte-Marie) de dix aunes et demie de treillis noir pour doubler une chasuble ; d'une étole ; d'un phanon et d'un parement d'autel en toile d'argent et de soie noire. Le noir domine comme si la religion elle-même devait prendre le deuil de ses chagrins d'amour.

Elle recevait de lui des vers où dans un style qui se ressent de l'imitation italienne, il protestait de leur constance en dépit de tous les agents d'inconstance[41].

1. Vous qui violentez nos volontez subjectes

Oyez ce que je dis, voyez ce que vous faictes.

Plus vous l'enfermerez, plus ferme elle sera,

Plus vous la forcerez, plus elle aura de force,

Plus vous l'amortirez, plus elle aura d'amorce,

Plus elle endurera, plus elle durera.

3. Vous me faites tirer proffit de mon domage,

En croissant mon tourment, vous croissez mon courage,

En me faisant du mal, vous me faictes du bien.

Vous me rendez content, me rendant misérable,

Sans vous estre obligé, je vous suis redevable,

Vous me faictes beaucoup et ne me faictes rien.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il prend à témoin de sa peine la bien-aimée et tourne et retourne, expose et oppose l'identité, selon Marsile Ficin et Platon, de l'amant et de l'amante.

18. Belle âme de mon corps, bel esprit de mon âme,

Flamme de mon esprit et chaleur de ma flamme.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ma vie, si tu vis, ne peut estre ravie,

Veu que ta vie est plus que la vie de ma vie,

Que ma vie n'est pas la vie de mon corps.

19. Je vy par et pour toi ainsy que pour moy mesme ;

Tu vis par et pour moy ainsy que pour toy mesme ;

Nous n'aurons qu'une vie et n'aurons qu'un trespas.

Je ne veux pas ta mort, je désire la mienne,

Mais ma mort est ta mort, et ma vie est la tienne,

Ainsy je veux mourir et je ne le veux pas.

Seul un écrivain de profession, formé à l'école des néo-pétrarquisants, était capable d'atteindre à ce raffinement de métaphysique amoureuse, à ces antithèses de mots et d'idées, à ce cliquetis de pointes et de concetti. Aussi les connaisseurs ne les attribuaient pas à Champvallon, un amateur, quoique de bel esprit et bon entendement. Les Délices satyriques de 1620, choisissant parmi les premiers poètes de l'époque, les publièrent sous le nom de Mathurin Régnier. Or Régnier avait en 1581 huit ans, et il n'y a d'enfant prodige à cet âge que parmi les musiciens. L'auteur est probablement Benjamin Jamyn, dont Agrippa d'Aubigné dit qu'il a emporté le prix des Stances de son siècle. En effet le Jardin des Muses (1643) restitue son bien à qui de droit, à Benjamin Jamyn de Châtillon-sur-Seine[42].

Marguerite avait mis d'autant plus de zèle à retenir son frère, qu'elle y avait plus d'inclination. Mais quelque effort qu'elle eût fait et quelque tendresse qu'il lui portât, elle n'avait rien gagné sur cet opiniâtre qui en tant de grandz et hazardeux afferes, écrivait Bellièvre à Catherine, n'a changé d'opinion, sinon comme la volunté luy en est venue et qui n'en fera jamais qu'à sa tête partout[43]. Mais Catherine en voulait quand même à Marguerite de n'avoir pas su le garder. Entre le duc d'Anjou, qui se préparait à secourir la ville de Cambrai bloquée par une armée espagnole et Henri III, bien résolu à ne lui donner aide ni permission[44], la rupture paraissait inévitable. Le Midi n'était pas pacifié. Le roi de Navarre dénonçait l'humeur indépendante de Biron et se plaignait même du roi de France qui lui refusait la grâce de son favori Lavardin, le meurtrier d'un La Rochefoucauld[45]. Le prince de Condé, qui ne recevait pas contentement de deniers, s'était rendu dans le Languedoc en intention de brouiller. La Reine-mère craignait qu'à leur prochaine assemblée à Montauban, les chefs huguenots ne prissent quelque mauvaise résolution[46]. Elle fit appel au zèle de Bellièvre et le pria, montrant sa lettre à sa fille, de la faire resouvenir cet qu'ele ayt et que sans la conservatyon dé siens et du lyeu [d'] où ayl et sortie, que ne doucte point qu'en seroit rien (qu'elle ne setait rien), que sela la face faire cèt qu'ele peult et plus. Il y a de la colère dans ce recours à Marguerite, et comme la peur qu'elle ne se dévouât une fois encore à la fortune de son mari.

Catherine était injuste, ainsi que le lui remontrait doucement Bellièvre[47]. Sans doute la reine de Navarre embrasse fortement tout ce qui concerne le bien et grandeur du roy son mari et par ces moyens prend une grande part près de luy. Mais elle est aussi du tout résolue à se servir de son influence pour le décider a se conformer aux bons désirs et commandements de sa mère. Conseils très sages qu'il m'a promis, assure Bellièvre, de vouloir suivre. Le Roi a écrit à sa sœur et à son beau-frère de fort bonnes lettres et leur ouvre tellement son cœur, poursuit ce diplomate conciliant, qu'il m'a semblé que cela les a fort touchés. Ils ont fort bien pris ses invitations à le venir voir, mais le roi de Navarre ne peut partir avant que les afferes de la paix soient plus asseurées et sa femme le laisser qu'elle ne voye les choses mieux establies (1er juin 1581)[48].

Elle était pour beaucoup de raisons, y compris les raisons de sentiment, impatiente de quitter la Gascogne où un an auparavant, dans une lettre à la duchesse d'Uzès, elle se disait si heureuse de vivre. Aussi les avances d'Henri III étaient-elles les bienvenues. Elle s'applique à décider le roi son mari à l'accompagner, mais sans grande réussite jusqu'ici. A la vérité, Madame, disait déjà en avril Bellièvre à Catherine, quelque chose que nous sachions fere, il sera bien difficile de luy nectoyer le cerveau de tant de subçons dont il s'est remply parmi ce mauvais air des guerres civiles.... Il la presse, si on trouve bon que le roi de Navarre aille à la Cour, de luy oster toutes occasions d'entrer en nouveaux subçons, dont il a l'esperit plus fertile que prince que j'ay jamais congnu[49].

Bellièvre, comme Marguerite, indique ou laisse entendre les satisfactions qu'il faut lui donner : restitution de ses maisons encore occupées par les catholiques, rappel du maréchal de Biron, avec qui il ne cessait pas d'être en pique, arrêt du régiment du sieur de Lancosme, dont la marche vers le Midi semblait une menace.

Henri III remplaça le maréchal de Biron par Matignon, un fin Normand, à qui Catherine recommandait de gouverner en Guyenne avec sa preudence accoustumée[50]. Mais le bruit que Biron recouvrerait bientôt sa charge mit de nouveau le roi de Navarre en cervelle. Cela estant, écrit Bellièvre à Catherine, il est impossible que les troubles ne recommencent. Il a voulu que je le face entendre à Vos Majestés[51].

La reine de Navarre avait autant de motifs de partir que lui de rester. Il fallait qu'elle en eût bien envie pour croire qu'elle entraînerait à la Cour de France cet habile homme, qui s'y trouverait caution de l'ordre dans le Midi, une sorte d'otage. Bellièvre, avec les réserves d'un diplomate et d'un courtisan, se montrait moins optimiste.

Parmi les raisons du voyage de Marguerite à la Cour, il ne faut pas oublier les embarras financiers où elle se débattait. Elle était une Valois-Médicis, habituée à vivre sans compter, bien qu'elle tînt exactement ses comptes, comme on en peut juger par les 24 volumes de la Trésorerie et recepte générale de ses finances, de l'année de son mariage à celle de sa mort (1572-1615). Ses officiers enregistrent jour par jour les dépenses de sa maison et les additionnent mois par mois, mais c'est pour constater le manque de provision, comme on dit. Ses revenus sont médiocres et ses appétits de luxe et de magnificence grands. Elle avait par contrat de mariage reçu en dot une rente de 67 500 livres, assise depuis 1578 sur des seigneuries du domaine royal, et, en douaire, l'usufruit estimé à 63.000 francs par an de terres appartenant au roi de Navarre, en Picardie. Elle touchait comme les filles de France une pension de 50.000 francs et une autre, dont elle ne dit pas le chiffre, que le Roi lui donnait de l'argent de ses coffres, et qui a dû être irrégulièrement payée, suivant l'humeur et les besoins d'Henri III[52]. En somme ses revenus annuels, du moins ceux qui paraissent assurés, montaient à 18o 500 livres, le franc ayant été frappé à la valeur de la livre. Il semble que ce fût assez pour suffire à ses besoins. L'entretien de sa maison et de sa Cour ne lui coûtait que 70.000 livres environ. Mais, ou les recettes rentraient mal, ou les cadeaux, la richesse du vêtement, le superflu somptuaire, et, si l'on peut dire, voluptuaire dépassaient de beaucoup les dépenses utiles, car le budget de la Reine est en 1586 en déficit de plus de 18.000 livres[53].

Le viatique fourni par Henri III n'avait mené Marguerite qu'à la porte du Midi. Dès qu'elle eut atteint Bordeaux, à La Réole, où son mari la rejoignit, à Agen, à Toulouse, à Aix (lire Auch), au Port-Sainte-Marie et même à Nérac, elle se ressentit de l'insuffisance de fonds. Son chancelier Pibrac lui avait prêté de grosses sommes et s'était porté garant de celles qu'elle emprunta pour empêcher sa maison de demeurer tout à plat sept fois[54]. En la quittant, il lui laissa quatre mille écus. Bref en débours ou emprunts faits sous sa caution, il lui avait procuré 35.000 écus ou 95.500 livres[55] (valeur absolue), environ 5 à 600.000 fr. (valeur relative).

Elle pensait reconnaître assez les sacrifices de ce bon serviteur, en lui accordant l'expectative de certains bénéfices ecclésiastiques, mais tantôt le titulaire ne se pressait pas de mourir, et tantôt il avait déjà résigné en faveur d'un candidat agréé par le roi de France ou la Cour de Rome[56].

Quant aux offices dont elle disposait réellement, elle en avait donné aux uns et aux autres, mais aucun à son chancelier, bien que la raison voulût qu'elle fit au moins le geste gracieux de lui en offrir un[57].

Mal récompensé, et même incomplètement payé de ses gages de chancelier, il continuait à se dévouer avec joie au service d'une Royne si vertueuse. Quand il partit pour Paris, elle le chargea de vendre une maison qu'elle tenait de la libéralité d'Henri III, l'hôtel d'Anjou. Mais cette vente se fit dans de si mauvaises conditions après la guerre des amoureux que ni Pibrac, ni Marguerite n'y trouvèrent leur compte, et naturellement Marguerite, toujours à court d'argent s'en prit à l'infidèle serviteur.

Elle avait contre lui quelques griefs que le mauvais succès de cette affaire exaspéra. Pibrac était intervenu dans le domaine du cœur, qui n'admet ni conseil ni contrôle. Pendant les dix-sept mois qu'il passa près d'elle en Gascogne — d'août 1578 à novembre 1579 — il avait été traité, déclare-t-il, avec toutes les doulceurs, grâces et courtoisies qu'un homme de sa qualité pouvoit jamais désirer d'une sage et vertueuse Royne[58]. Ne lui avait-elle pas dit, lors du différend de Pau, et cent fois depuis, qu'elle fût morte d'ennuy et de regret en ce lieu là sans son assistance ? Loin d'en disconvenir, elle reconnaissait — pour lui en faire un reproche — l'avoir choisi, comme pour pere et comme celluy en qui elle voulait fier sa fortune entière[59]. Mais lui a pu croire à un sentiment autre que filial. Il était galant et sensible et passait pour aimer les grandes dames, dont quelques unes s'étaient laissé abuser par ses doulces paroles.

La chronique scandaleuse lui prêtait, comme maîtresse, la duchesse de Nemours, Anne d'Este, la mère des Guise. Il avait conscience de sa faiblesse et peut-être eût-il voulu s'en guérir. Dans ses Quatrains moraux, il signale les dangers de l'amour en homme qui les redoute :

Fuy jeune et vieil de Circé le breuvage,

N'escoute aussi des Serenes les chants,

Car enchanté tu courrois par les champs

Plus abruty qu'une beste sauvage[60].

Il exagérait un peu à fin de préservation. Lui-même à cinquante ans, tenté par même appât, ne perdit point la raison, mais frôla le ridicule, Circé ayant dédaigné de tendre la coupe à un soupirant de cet âge. Il est superflu d'imaginer qu'il a reçu le coup de foudre au château de Pibrac, où elle s'arrêta un seul jour (10-11 novembre 1578). Les meubles étaient magnifiques, mais les jardins mal tenus, triste décor pour une déclaration d'amour[61]. Les attentions de tous les jours, la confiance que lui montrait cette belle reine de vingt-cinq ans, les services qu'il lui rendait avaient un bien plus grand attrait que cette nature mal peignée, sous un ciel gris d'automne. La voix surtout, comme Pibrac le savait bien, avait un redoutable pouvoir de séduction.

Ha ! le dur coup qu'est celuy de l'oreille,

On en devient quelquefois forcené,

Mesmes (surtout) alors qu'il nous est assené

D'un beau parler plein de douce merveille[62].

Or, la voix qu'il entendit tous les jours pendant dix-sept mois était celle de la princesse la mieux disante de France en ce temps-là.

Elle avait dû s'apercevoir qu'il était sans le dire fortement épris, et elle s'amusait sans doute, à part soi et devant son entourage, de la passion de ce vieux fou. Peut-être ne souhaitait-il rien, mais il souffrait que d'autres plus jeunes eussent les faveurs auxquelles il s'abstenait de prétendre. Maladroitement, alors que la vie inimitable de Nérac battait son plein, il avait essayé de rappeler l'amante de Turenne à la religion des souvenirs. Quand la nouvelle survint que Bussy d'Amboise, l'avant-dernier de ses serviteurs, avait été massacré (août 1579) par les bravi du comte de Montsoreau, le grand veneur du duc d'Anjou, à un rendez-vous d'amour qu'il avait obtenu de la comtesse, des stances parurent où l'ombre ensanglantée de Lysis (Bussy) apparaissait à Flore (Marguerite) pour lui dire un dernier adieu avant de passer sur le sombre bord.

Marguerite pouvait s'irriter que ce poète anonyme, — Pibrac, affirmait le bruit commun — se mêlât de raviver ses regrets en pleine fête, et, en idéalisant le passé, de le faire servir de leçon et de reproche au présent.

Le Léthé oublieux — disait Lysis

Ne fera que j'oublie une amitié si sainte.

Et Flore répliquait :

L'excessive douleur ne me permettra pas

De survivre après toi....

Tu m'emportes le cœur. Qui pourrait sans cœur vivre ?

Lysis reprenait :

Madame, au moins tenez vostre douleur secrette.

Naturellement elle protestait de sa douleur éternelle et la voulait publique :

Puisque la vertu seule en aimant je poursuis

Peu me chaut que chascun fondre en larmes me voie[63].

Cette insistance, ici comme dans les lettres du chancelier, sur la nature vertueuse de la Reine, a plus l'air d'un conseil que d'un hommage. Encore plus significative est sa conduite dans l'affaire racontée plus haut de l'astrologue italien. Se défendre de croire aux horoscopes et reconnaître qu'en voyant celui de Marguerite, il eut le cœur saisi, l'esprit troublé et que, la larme à l'œil, il se résolut à la prévenir pour la sauver, n'était-ce pas avouer qu'il l'aimait à en perdre la raison ?

C'était le moment de sa rupture avec Turenne, et l'on pense si l'avis tombait à propos. Elle s'en moqua, dit-elle, et lui fit sentir qu'elle découvrait son artifice, c'est-à-dire son désir de se rendre cher par son zèle.

Là-dessus survint la guerre des amoureux. Pibrac, qui, jusqu'à la déclaration des hostilités, se porta garant — sur la foi des lettres de Marguerite — des intentions pacifiques du roi de Navarre et des huguenots, courut lors une telle fortune que, si le Roy (Henri III) eust esté un prince colère et précipité ou si Dieu ne luy eust mis dans le cœur l'innocence du chancelier, il avoit argument selon la raison humaine de lui faire un mauvais party[64]. De ce risque Marguerite ne lui savait aucun gré. Au contraire, elle lui en voulait de lui dépeindre la juste douleur du Roi, usant industrieusement, ainsi qu'il le lui confessait, de paroles aigres pour la poindre, afin de l'esveiller et exciter à satisfaire au Roy pal escript ou aultrement[65].

Après la cessation des hostilités, le duc d'Anjou, qui avait conclu la paix de Fleix et passé cinq mois dans le Midi à en assurer l'exécution, s'en alla au Pays-Bas avec Champvallon. Marguerite, désireuse de se rapprocher de son frère et de son amant et de servir les vues d'Henri III, parla elle aussi de retourner à la Cour de France et se flatta même un moment d'y conduire son mari. Des avis de Coutras (3 avril-27 avril 1581) annoncèrent à Paris que le roi de Navarre avait promis et juré d'accompagner le duc d'Anjou à la guerre de Flandre, que les meubles de Marguerite étaient déjà en route, et qu'elle-même partait dans cinq ou six jours et s'installerait à La Fère pour estre près de tous les deux[66]. Mais Pibrac, qui n'ignorait pas les nouvelles amours de la reine, a dû s'émouvoir de ce séjour à La Fère si près de Champvallon. Aussi se montra-t-il ardent à la dissuader de partir. Ses raisons étaient assez spécieuses. Si le roi de Navarre faisait cette folie de quitter le Midi où la paix était encore si instable, il fallait qu'elle y restât pour empêcher les huguenots d'interpréter son départ comme une trahison et d'élire à sa place plusieurs chefs ignobles et de petite étoffe[67].

Elle l'accusait à tort de n'avoir pas appuyé sa requête au Roi pour obtenir l'argent nécessaire à son voyage en France. Non seulement il l'avait demandé, mais il en avait eu la promesse formelle. Ce n'était pas sa faute à lui si les fonds disponibles manquaient à ce moment.

Mais Pibrac n'était qu'à moitié sincère, car s'il sollicitait le retour de la reine, il soutenait, comme il l'avoue, qu'elle ne devait point venir et que le roi son mari ne pourroit rien faire plus préjudiciable que de le consentir[68].

Marguerite, furieuse de ces ajournements et de ses défaites, prêtait à Pibrac le noir dessein de la brouiller avec le roi son mari, le Roi son frère et la Reine-mère. Il voulait et ne voulait pas qu'elle revint en France et jouait une fois de plus ce jour-là double jeu. Mais elle savait bien à quelles fins il agissait. Pour se justifier de sa foi en l'astrologie, il lui avait écrit deux lettres que je garde, dit-elle. En la première[69] il prétendait qu'il ne l'avait avertie de la funeste prédiction que sur l'ordre du Roi et de la Reine-mère, mais elle n'en voulait rien croire, et en tout cas en leur obéissant il faisoit un acte de tres infidelle amy à son endroit.

Dans la seconde[70], il lui écrivait une excuse non moins indiscrète et peu considérée pour un homme si sage : qui estoit, que aultre chose, ne l'avait conduit à lui donner cet advertissement que l'extresme passion qu'il avait pour elle ; ce qu'il ne lui avait osé découvrir, mais qu'à cette heure il y était forcé. Ce sont, concluait-elle, d'estranges traits pour ung homme d'honneur tel que vous estes... où je ne veulx aultre tesmoing que vostre conscience pour juger selon vostre profession et estat ce tort que vous avez d'avoir vaiscu (vécu) aveq tant d'ingratitude et infidellité[71]. Rappeler à son métier ce robin qui avait levé les, yeux jusqu'à une reine, c'était vraiment cruauté. Elle l'invitait à se démettre de son office de chancelier et à lui renvoyer les sceaux[72].

Pibrac prit du temps pour répondre, et peut-être était-il malade de corps, ainsi qu'il l'écrivait à Marguerite, pour expliquer son retard. Mais la blessure au cœur était probablement plus profonde. Son apologie qui est datée du 1er octobre 1581, et qui ne parut que longtemps après, est un des bons morceaux de la prose française au XVIe siècle.

Il se défendait mal de l'avoir aimée et peut-être ne le voulait-il pas. Quand l'historien de Thou, alors jeune magistrat, s'arrêta au château de Pibrac en 1582, Pibrac lui récita sa réplique aux accusations de la reine de Navarre, mais avec un air si prévenu, en des termes si étudiés, et dans un style où il paraissoit tant de passion que cela ne servit qu'à convaincre de Thou de la vérité des reproches de cette princesse[73]. A propos de l'avertissement qu'il lui a donné, quel aveu d'amour plus clair en son inconscience que de dire la crainte qu'il a eue de la perdre, et le coup qu'il reçut au cœur par une fausse appréhension de la mort de celle à laquelle je n'eusse pas voullu survivre d'un quart d'heure[74]. Le mensonge d'une dénégation se transforme en vérité probante : S'il reconnaissait, dit-il, un seul poinct de faute en son cœur, il se donneroit lui-mesme d'un poignard dans la gorge[75]. Il faut que je confesse, ajoute-t-il, que le cœur me crève de veoir que vous ne cognoissez pas l'affection de laquelle je vous ay servie[76]. Et encore : Je ne refuseray oncques de réparer avec mon sang et ma vie ce que l'on pourra monstrer avoir meffaict contre la foy de vostre service[77].

La vie de Marguerite est pleine d'épisodes passionnels, et c'est à vrai dire toute sa vie : amour qu'elle ressent, amour qu'elle inspire, jalousie, inquiétudes et conflits d'amour.

Bien que sa femme se fût compromise pour lui dans la dernière guerre, le roi de Navarre dont la reconnaissance n'était pas la principale vertu, oubliait tout ce dévouement pour une contrariété sentimentale. Il s'était aperçu, à Coutras et à Cadillac, que le duc d'Anjou tournait autour de Fosseuse, à mêmes fins, à mêmes mauvaises fins, et il avait failli en vouloir mal à Marguerite, qu'il pensait faire de bons offices pour son frère contre lui. Elle, aussitôt ce soupçon deviné, représenta si fortement au Duc la peine où il la mettait par cette recherche qu'il força sa passion et ne parla plus à Fosseuse. Mais la jeune fille, qui aimoit estresmement le roi de Navarre, raconte toujours Marguerite, lui permit, pour lui ôter la jalousie de ce poursuivant, d'autres privautez que celles que l'honnesteté peut permettre, et elle s'abandonna tellement à le contenter en tout ce qu'il vouloit d'elle que le malheur fust si grand qu'elle devint grosse. Dès lors, au lieu d'être l'aimable suivante, qui lui rendait a l'endroict du roy son mari, tous les bons offices qu'elle pouvoit, elle se conduisit en rivale haineuse. En peu de temps, la reine de Navarre connut son mari tout changé. Il s'estrangeoit de moy, dit-elle, il se cachoit, et n'avoit plus ma présence si agréable[78].

Aussitôt que la Cour fut revenue à Nérac, après le départ du duc d'Anjou, la favorite mit en teste à son amant d'aller aux Eaux-Chaudes en Béarn, sous prétexte de se guérir d'un mal d'estomac, mais, en réalité pour trouver une couverture à sa grossesse ou bien pour se desfaire de ce qu'elle avoit. Mais il aurait fallu passer par Pau. Marguerite, lors de sa mésaventure de la Pentecôte, avait juré et protesté qu'elle ne remettrait jamais les pieds dans ce petit Genève. Elle supplia son mari de l'excuser si elle ne l'accompagnait pas, ayant fait serment de n'entrer jamais en Béarn que la religion catholique n'y fust. Il insista, elle ne céda point. Finalement, il partit avec Fosseuse en compagnie des deux autres filles, Rebours, son ancienne maîtresse, et Villesavin, et de la gouvernante. La reine alla les attendre à Bagnères-de-Bigorre, y versant, raconte-t-elle, autant de larmes qu'eux beuvoient de gouttes des eaux où ils estoient (8-26 juin)[79].

Mais elle exagère sans doute. La lettre qu'elle lui écrivit dès l'arrivée esquisse si joliment les accidents du voyage, les mauvais chemins de montagnes, où l'on verse mille fois tous les jours, son équipage semblable à ces chemins, les mulets, qui, je crois, sont aussi vieux que moi, la société de dames et de gentilshommes, réunis là pour se récréer, sinon pour se guérir, et marque d'un trait si précis et quelquefois si malicieux les choses et les gens, qu'elle aurait dû le dégoûter d'une maîtresse incapable de ce style. Je n'espargne, ajoute-t-elle, ni les violons ni les comedians à ce fâcheux logis pour le rendre agréable. Ils jouèrent hier la tragédie d'Esfigenie (Iphigénie) estremement bien et demain je les ferrai jouer dans un fort beau pré où il y a des arbres... ce qui ne sera, Monsieur, sans vous y souhaiter[80].

Il est vrai qu'elle recevait de Rebours des nouvelles inquiétantes. Fosseuse se vantait, si elle avait un garçon, de se débarrasser de la femme légitime et de se faire épouser par son royal amant. Et il n'est pas impossible que le roi de Navarre l'en ait flattée, inaugurant l'habitude qu'il garda jusqu'à son union avec Marie de Médicis, de promettre le mariage aux maîtresses qui mettaient leur première faveur à ce prix. Aussi Marguerite avait-elle intérêt, pour s'assurer contre cette rivale, à essayer elle-même la vertu fécondante des sources. Aujourd'hui, annonce-t-elle à son mari, j'en ai beu et espere qu'ele me serviront, sinon à tous mes maux, pour le moins à ce que je désire le plus pour vostre contantement[81], c'est-à-dire, à lui donner un héritier. Même indication à sa mère.

Quand le roi de Navarre revint des Eaux-Chaudes avec son quatuor féminin, il était bien résolu, pour complaire à sa maîtresse, d'imposer à sa femme l'humiliation de repasser par Pau, mais touché des larmes et des paroles de la reine, qui lui disoient ensemble qu'elle eliroit plustost la mort, et sur les représentations de la noblesse présente, il changea de dessein et s'en retourna droit à Nérac[82].

Marguerite, qui compatissait aux faiblesses du cœur, voyant que tout le monde parlait de l'état de Fosseuse, offrit à la jeune fille de l'emmener avec elle, dans une maison écartée, jusqu'à sa délivrance. Mais la maîtresse, qui peut-être la soupçonnait de quelque noir calcul de suppression d'enfant, cria très haut à la calomnie et tout en colère alla se plaindre au roi. Lui, qui pourtant devait savoir à quoi s'en tenir, se courrouça fort contre sa femme disant que sa fille, ainsi appelait-il Fosseuse par tendresse, feroit mentir tous ceux qui la taxoient. Il ne lui en coûtait pas de se dédire. Le matin où Fosseuse fut prise des douleurs de l'enfantement, il demanda sans façon à sa femme, après quelques excuses sur ce qu'il lui avait celé, de se lever et d'aller la secourir. Vous sçavez, dit-il, combien je l'ayme, je vous prie, obligez-moi en cela. A quoi elle répondit qu'elle l'honorait trop pour s'offenser de chose qui vint de lui, qu'elle y allait et ferait comme si c'était sa fille. Elle se leva aussitôt, fit porter Fosseuse dans une chambre à part, et, pour se débarrasser des indiscrets et des bavards, envoya le roi avec tout son monde à la chasse, Dieu voulust, ajoute Marguerite, qu'elle (Fosseuse) ne fist qu'une fille qui encore estoit morte. C'est un cri de soulagement ; car elle estimait son mari capable d'épouser sa suivante, si elle avait eu un fils.

Il était en son égoïsme exigeant jusqu'à l'indiscrétion. De retour de la chasse, trouvant Marguerite au lit, où elle s'était mise de fatigue, il la pressa d'aller visiter l'accouchée, comme elle faisait pour ses autres filles, quand elles étaient malades, pensant par ce moyen oster le bruit qui couroit. Mais elle refusa nettement de se faire montrer au doigt par cet excès de complaisance. Il se fascha fort ; elle lui fit sentir qu'elle ne méritait pas cette récompense. La favorite le mit souvent, dit-elle, en des humeurs pareilles contre moi.

Privée de son amant, mal vue de son mari, elle accueillit volontiers les avances d'Henri III, qui lui faisait écrire par la Reine-mère de revenir à la Cour. Catherine comptait que sa fille y ramènerait aussi son gendre. Elle ne savait pas ou ne voulait pas savoir les querelles du ménage royal. Peut-être espérait-elle que le roi de Navarre, tant elle le croyait léger et l'appréciait mal, ne résisterait pas à la tentation de suivre la fille d'honneur que sa qualité obligeait à suivre la reine.

Le roi de France faisait même calcul, qui était d'éloigner du Midi le chef du parti protestant. Marguerite voudrait nous faire croire qu'il la rappelait pour la brouiller avec son mari et la rendre à jamais misérable. C'est une explication trop facile des malheurs qui lui survinrent à Paris en suite de ses fautes. Sans bonne foi, elle allègue qu'elle se proposait d'y passer seulement quelques mois pour y accommoder ses affaires, c'est-à-dire ses embarras financiers, avec l'espoir que cette absence serviroit comme de diversion pour l'amour de Fosseuse et que le roi ne la voyant plus s'embarqueroit possible avec quelque aultre qui ne lui seroit pas si ennemie. Au vrai, elle cache la principale raison de son départ, qui est une raison de sentiment ; elle pèche ici, comme ailleurs, par omission. En dépit de sa haute culture, elle fut toujours l'esclave de ses impulsions.

Elle avait quitté la Cour de France, où elle était persécutée et diffamée, pour celle de Navarre, où elle rêvait de jouer le premier rôle. Elle n'avait pas réussi à y disposer le maître de sa fortune, mari infidèle et chef du parti protestant, et maintenant déçue, attirée au nord par un mirage d'amour, elle s'en retournait vers le théâtre des anciennes inimitiés, sans réfléchir que le Roi son frère, outre les ressentiments du passé, la rendait, pour surcroît de griefs, responsable de la dernière guerre des amoureux.

C'en était fait. Elle partit de Nérac le 29 janvier 1582 et s'éloigna de la Gascogne en compagnie de son mari, qui s'attardait aux pas de Fosseuse. Catherine vint au-devant d'elle jusqu'en Poitou pour voir son gendre et lui donner asseurance de la volonté et bienveillance du Roy. Mais à la Mothe-Saint-Héraye, où ils se rencontrèrent (27-31 mars), elle ne parvint pas à lui prouver qu'il avait intérêt à s'en convaincre par lui-même. Quelque amoureux qu'il fût, il ne consentit pas à dépasser la zone d'influence protestante.

Ainsi disparaissait l'espérance conçue par la Reine-mère d'enlever aux huguenots leur chef et de rétablir l'autorité royale dans le Midi. Elle avait trop estimé les moyens de séduction de sa fille et trop mésestimé l'intelligence de son gendre. Elle le croyait un peu fol, et le fait est qu'il l'était, mais seulement en amour. Il était si discrètement fin qu'il ne laissait rien voir de sa finesse. Sa belle humeur, ses gaillardises, l'exubérance de sa nature faisaient illusion. Il ne paraissait occupé que de chasse et des dames. Peu de gens imaginaient qu'en cette ardente recherche de mouvement et de plaisir il y eût place pour la réflexion et le calcul. Mais s'il ne se résignait pas, même dans les délibérations, à rester assis et s'il s'en remettait à ses conseillers du détail des affaires, il intervenait toutes les fois qu'il fallait pour rectifier une erreur de direction.

Marguerite ne fut jamais qu'un instrument aux mains de cet habile homme. Il la laissa faire tant qu'elle défendit bien ses intérêts et adoucit les exigences de la Cour de France. La place qu'elle tint dans les négociations de Nérac et de Fleix, cette grande autorité dont parlent Du Bartas et Montaigne, ce n'était en somme qu'une délégation de son mari pour arracher des concessions à Catherine et mieux exploiter l'affection fraternelle du duc d'Anjou. Mais le pouvoir de la mandataire s'arrêtait aux termes du mandat. Quand elle s'attaqua, par zèle catholique, à la législation intolérante du Béarn, au risque de le brouiller avec les réformés de France et de porter atteinte à ses droits souverains, il lui fit signifier rudement de ne pas s'entremettre dans les affaires religieuses de ses Etats. Elle se le tint pour dit. Il l'inclina toujours plus vers lui, la cajolant si bien ou la laissant si bien cajoler que, catholique fervente, elle prit parti contre les catholiques et permit aux gentilshommes de sa maison de combattre dans l'armée huguenote.

Leur grand désaccord vint d'où on ne l'aurait pas attendu. Il la voulait aussi dévouée à ses amours qu'à ses desseins. Mais il ne lui savait pas gré de ses complaisances et trouvait toujours que ce n'était pas assez. Il ne l'aimait plus, si, lors de leurs premières rencontres en Gascogne, il l'avait un moment aimée. Les maîtresses avaient toujours raison contre la femme légitime. Aimable de nature, mais brutalement instinctif, et, sous des apparences de bonne grâce, égoïste et impérieux, il était tout à la sensation présente, ardent à la satisfaire, irrité qu'on y pût contredire. En sa passion pour Fosseuse il n'admit plus de bornes à la condescendance de Marguerite. Sans souci de leur dignité à tous deux, il n'exigea pas seulement, que reine, elle donnât des soins à une maîtresse en mal d'enfant illégitime ; il aurait voulu qu'épouse elle couvrît sa faute et se portât même caution de son innocence.

Elle trouva pendant quelques années soulagement et gloire à tenir une Cour aussi belle que le lui permettait la médiocrité de ses revenus et à jouer à la souveraine. Mais le jour vint où elle se lassa de cette vie monotone, dans la plus petite des deux capitales d'un petit Etat, sans même la consolation, en sa détresse sentimentale, de la sympathie et de la confiance de son mari. En France, elle retrouverait une mère dévouée, son frère très cher, le duc d'Anjou, un Henri III, peut-être plus pitoyable, et, par-dessus tous les autres plaisirs de la Cour, elle se promettait celui de revoir Champvallon.

 

 

 



[1] Etat ancien, Lauzun, Itinéraire, p. 60, état actuel, ibid., p. 116.

[2] Œuvres, éd., Réaume, 1, 43-44.

[3] M. Hortoman, chancelier de Monspelier et premier médecin du roy de Navarre que nous appelions le thrésaurier de nature, dit d'Aubigné, Œuvres, éd. Réaume, t. I, p. 436.

[4] Œuvres, I, p. 441.

[5] Œuvres, éd. Réaume, t. I, p. 39.

[6] Ginguené, Histoire littéraire d'Italie, 1812, t. IV, partie IIe, chap. IX, p. 510. Tommaseo, Dictionnaire français-italien verbo Demogorgon.

[7] Guessard, pp. 163-164.

[8] Itinéraire, p. 118.

[9] Sully, I, 23.

[10] Histoire universelle, t. VI, p. 381.

[11] Scaligeriana, verbo Henri IV.

[12] Un portrait-médaillon, en terre cuite, de Marguerite en 1580 est au Musée de Cluny, n° 1298, p. 99, du catalogue de 1883. A voir cette gorge qui s'offre et les collerettes largement ouvertes pour découvrir les seins, on pense tout naturellement à la condamnation du synode de La Rochelle.

[13] La préface de la première édition des Essais est datée du ter mars 1580. Jusque-là Montaigne n'avait cessé de remanier son œuvre. Il n'est pas possible d'indiquer tous ces changements. Miss Grace Norton s'est particulièrement occupée de fixer la chronologie de la composition de l'Apologie. Cf. Pierre Villey, Les sources et l'évolution des Essais de Montaigne, II, pp. 363-370. La phrase que je cite, si elle fait corps avec le reste de la Dédicace, permettrait de placer celle-ci pendant le fameux séjour de la Cour à Nérac, c'est-à-dire à la fin de 1579 ou tout au début de 1580.

[14] Turenne, p. 143.

[15] Itinéraire, pp. 128-129, février 1580.

[16] Turenne, p. 119.

[17] Histoire universelle, t. V, p. 386.

[18] Histoire universelle, t. V, pp. 382-383.

[19] Merle, Mémoires, éd. Buchon, p. 748. Cf. Desjardins, t. IV, p. 282.

[20] Lettres missives, t. I, p. 270 (fin janvier 1580) ; p. 277 (3 mars 1580).

[21] Itinéraire, p. 133.

[22] Guessard, p. 165.

[23] Guessard, p. 208.

[24] Itinéraire, p. 139.

[25] Lettres missives, I, p. 285.

[26] Lauzun, Lettres inédites de Condom, p. 21.

[27] Guessard, p. 212.

[28] Guessard, pp. 167-169.

[29] Guessard, p. 170.

[30] Guessard, p. 237.

[31] Guessard, p. 239.

[32] Guessard, p. 240.

[33] Brantôme, t. VI, p. 29.

[34] Lachèvre, Bibliographie, t. I, pp. 88, 142 et 377 (supplément).

[35] Réaume, I, p. 459.

[36] Sur tous ces Champvallon, voir Goujet, Bibliothèque française, t. XVI, p. 376.

[37] Tamizey de Larroque, Lettres inédites du Cardinal d'Ossat, Paris, 1872, p. 43.

[38] Mémoires de l'abbé de Marolles, 1756, 3 vol., t. I, p. 105, t. II, p. 126 et t. III, p. 255.

[39] Histoire universelle, t. VI, p. 159.

[40] Et encore n'est-il pas sûr que ce propos soit d'elle. Sully l'attribue avec plus de vraisemblance au roi de Navarre. Œconomies royales, I, p. 32. Il (le duc d'Alençon) me trompera bien s'il ne trompe tous ceux qui se fieront en lui. D'Aubigné est suspect, car, dans son acharnement contre la reine de Navarre, il manque souvent à la vérité.

[41] Ce sont les Stances amoureuses que L'Estoile publie, t. XI, p. 157-160, et qui sont non, comme il le dit, de Marguerite, mais de son amant, ainsi qu'il est facile d'en juger à la lecture à qui regarde au genre des adjectifs. Une femme ne dirait pas au masculin (stance 3) : Vous me rendez content ; sans vous estre obligé je vous suis redevable.

[42] Sur Benjamin Jamyn, voir Lachèvre, les Recueils collectifs des poésies libres et satyriques, 1922, t. I, pp. 238-240, où d'ailleurs ce consciencieux érudit confond Champvallon avec son fils.

[43] Lettres, VII, p. 464.

[44] Lettres, p. 276.

[45] Lettres, p. 461, janvier 1581.

[46] Lettres, pp. 373-374.

[47] Lettres, p. 472.

[48] Lettres, p. 472.

[49] Lettres, p. 471.

[50] Lettres, V, p. 390, 8 août 1581. La nomination de Matignon ne fut définitive qu'en novembre 1581.

[51] 1er juin 1581, Lettres, V, p. 473.

[52] Sur l'assignat de sa dot en terre, voir chap. VI ; sur le revenu de son domaine, et ses pensions, voir éd. Guessard, p. 354.

[53] Les dépenses de sa maison et de sa Cour en 1580 (et l'on peut faire le même calcul pour les autres années de séjour dans le Midi), sont en chiffres ronds, abstraction faite des sols et des deniers, de 26.056 écus (70.350 livres, en comptant la livre comme en 1572 à 54 sols), mais, faute de fonds, cette année-là, les trésoriers de la reine ne peuvent payer que 19.274 écus, autrement dit 52.039 livres. C'est un arriéré de 18.000 livres. Consulter Lauzun, Itinéraire, pp. 125-162.

[54] Lettre de Pibrac, à la suite des Mémoires, éd. Guessard, p. 272.

[55] En comptant la livre à 54 sols comme en 1572.

[56] Le détail de ces récompenses gratuites est exposé tout au long dans la lettre de Pibrac à Marguerite, Guessard, pp. 275-277.

[57] Guessard, p. 273.

[58] Guessard, p. 243.

[59] Guessard, p. 253.

[60] Quatrains moraux, XC.

[61] Mémoires de De Thou, p. 601.

[62] Quatrains moraux, LXXXI.

[63] La pièce est reproduite par L'Estoile, à la date d'août 1579, t. I, pp. 324-325.

[64] Guessard, p. 236.

[65] Guessard, p. 235.

[66] Guessard, p. 231.

[67] Guessard, p. 232.

[68] Guessard, p. 233.

[69] Guessard, p. 252.

[70] Guessard, p. 255.

[71] Guessard, pp. 220-221.

[72] Guessard, p. 223.

[73] Mémoires d'Auguste de Thou, pp. 601-602.

[74] Guessard, p. 245.

[75] Guessard, pp. 221-222.

[76] Guessard, p. 273.

[77] Guessard, p. 254.

[78] Guessard, pp. 174-173.

[79] Guessard, p. 176.

[80] Itinéraire, p. 177 et note.

[81] Itinéraire, p. 178.

[82] Guessard, Mémoires, p. 177.