LA VIE DE MARGUERITE DE VALOIS

 

CHAPITRE II. — LES NOCES VERMEILLES.

 

 

Baumgarten, Vor der Bartholomaeusnacht, 1882. Desjardins, Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, t. III et IV (Coll. Doc. inédits, 1861 et 72). Dimier, Histoire de la peinture de portrait en France au XVIe siècle, Paris et Bruxelles, 2 vol., 1924-1925. Du Mont, Corps diplomatique du droit des gens, t. V, partie I, Amsterdam, 1728. H. de La Ferrière, Le XVIe siècle et les Valois, d'après les documents inédits du British Museum et du Record Office, Paris, 1879. Mémoires de l'Estat de France sous le roy Charles IX, depuis le troisiesme Edict de pacification fait au mois d'aoust 1570 jusques au commencement du règne de Henry III, 1578, 3 vol. Eletto Pallandri, Les négociations politiques et religieuses entre la Toscane et la France à l'époque de Cosme Ier et de Catherine de Médicis (1544-1580), (22e fasc. du Recueil de travaux de l'Université de Louvain), Louvain et Paris, Picard, 1908. Palma Cayet, Chronologies novenaire et septenaire, 1589-1598, 1598-1604, éd., Buchon, 2 vol. Procès de la dissolution du mariage d'entre Henri IV roy de France et Mme Marguerite, fille du roy Henri II, 1599, Bibl. Nat. Fonds français, 20857. Marquis de Rochambeau, Lettres d'Antoine de Bourbon et de Jehanne d'Albret, Soc. H. F., 1877. Theiner, Annales ecclesiastici, I (1572-1574), Rome, 1856. De Thou, Histoire universelle depuis 1543 jusqu'en 1607, trad. sur l'édition latine de Londres, Paris, 1734, t. V et VI. Walsingham, Mémoires et Instructions pour les ambassadeurs ou Lettres et Négociations de Walsingham, ministre et secrétaire d'Etat sous Elisabeth, reine d'Angleterre, trad. de l'anglais, Amsterdam, 1700.

 

C'ÉTAIT un projet de mariage qui datait de loin. Une première fois Henri II, une seconde fois, Catherine de Médicis, régente pendant la minorité de Charles IX, offrirent ou acceptèrent de donner leur plus jeune fille Marguerite au fils du roi de Navarre et de Jeanne d'Albret[1].

Les passions religieuses rompirent ce dessein. Catherine se déclara contre la Réforme et les réformés, et elle crut que les puissances catholiques, lui sachant gré de son zèle, l'aideraient à établir avantageusement sa fille et ses fils. Mais elle s'aperçut qu'on lui laissait le mérite de servir Dieu gratuitement. Elle ne trouvait pas que ce fût assez. Elle en voulait surtout de ses déceptions maternelles à son ancien gendre, le roi d'Espagne, qui ne la secondait en rien et la contrecarrait en tout. Malgré lui, elle trouverait à sa fille une couronne. Le seul parti sortable, les catholiques exclus, c'était le prince de Navarre. Ainsi ferait-elle peur à Philippe II d'un système d'alliances protestantes. Ce serait sa vengeance. Mais il s'agissait de décider Jeanne d'Albret ; la reine de Navarre, convertie à la Réforme et ferme dans sa foi nouvelle, avait mis au service de ces coreligionnaires en révolte son ardeur de prosélytisme, ses soldats, et les ressources de son énergie et de son cœur. Sans souci de la contradiction, elle abolissait la liberté du culte catholique en Béarn et Navarre où elle était souveraine indépendante, et, sujette du roi de France, réclamait celle du culte réformé dans tout le royaume. Elle détestait les Guise qu'elle croyait capables de tous les crimes et accusait Catherine d'être leur dupe ou leur complice. C'est pourtant cette huguenote passionnée, soupçonneuse, sectaire, que la Reine-mère, pour punir le roi d'Espagne et faire sa fille reine, entreprit de ramener, après huit ans de combats et de massacres, à l'idée d'une union familiale.

Même après la paix de Saint-Germain (8 août 1570), les chefs huguenots restaient défiants. Ils se cantonnaient à la Rochelle, comme s'ils eussent craint quelque attentat contre leur liberté et leur vie. Catherine y envoya le maréchal de Cossé-Brissac, un catholique modéré, pour assurer la reine de Navarre de la bonne volonté du Roi et la prier de venir à la Cour avec le prince de Navarre (3 janvier 1571)[2].

A cette invitation, Jeanne répondit qu'elle ne doutait pas des bonnes intentions du Roi, et d'elle, mais que ses ministres, voulant dire le cardinal de Lorraine, lui étaient suspects.... Je ne suis pas si ignorante que je ne cognoisse bien que toute nostre grandeur dépend de Vos Magestez et le très humble service qui nous oblige et appelle à vos pieds pour y employer vie et biens, et cognoissant cela, que je ne désire y venir infiniment, mais je suis ung petit glorieuse, je désire y estre avec l'honneur et faveur que je pense mienlx mériter que d'autres qui en ont plus que moy[3]....

Charles IX persista. Il estimait que le prince de Navarre, si haut et si puissant seigneur qu'il fût, devait comme vassal du roi de France, se sentir honoré du choix de son souverain.

Jeanne d'Albret résistait à l'appât. Elle ne paraissait occupée que d'assurer l'exécution de l'Edit de pacification à son avantage. Ce fut un incident de politique italienne, qui amena un rapprochement. Pie V avait d'autorité promu le duc de Florence, Cosme de Médicis, à la dignité de grand duc de Toscane. L'empereur Maximilien, comme suzerain de l'Etat que Charles-Quint avait créé, et Philippe II, en qualité de roi de Naples et de duc de Milan, protestèrent contre l'initiative du Pape et l'élévation du Duc. Cosme inquiet, expédia en Allemagne Frégose, pour tâter les dispositions, en cas de conflit, des princes protestants. Cet émissaire froidement reçu à Heidelberg par l'Électeur palatin, qui se défiait de tous les papistes, et particulièrement de ceux d'Italie, gagna La Rochelle où les chefs protestants s'étaient réunis. Il y trouva Ludovic de Nassau, que son frère Guillaume le Taciturne, pressé par les forces supérieures du duc d'Albe, avait chargé de concerter avec leurs coreligionnaires français une action commune des corsaires rochelais et des gueux de mer, la grande flibuste huguenote, contre la marine espagnole. Les deux hommes délibérèrent d'opposer, le cas échéant, au Roi Catholique la France et la Toscane unies.

Charles IX, informé de ces entretiens, accueillit l'idée avec enthousiasme. Il souffrait de la dépendance où sa mère le tenait, et, aussi sensible qu'elle aux airs de hauteur du Habsbourg de Madrid, il saisit cette occasion de s'émanciper et de se venger. Il fit dire à Cosme qu'il le soutiendrait contre tous ses ennemis, qu'il ne cherchait pas d'agrandissement en Italie et portait uniquement ses vues sur les Flandres.

Catherine fut amenée par ses préoccupations maternelles à entrer dans ce jeu d'intrigues. D'Angleterre aussi, deux chefs huguenots, qui s'y étaient réfugiés pendant la guerre civile, le cardinal de Châtillon et le vidame de Chartres, lui exposaient un projet d'alliance entre les deux pays sous la forme la plus faite, pour la tenter, un mariage entre la reine d'Angleterre et son fils bien-aimé le duc d'Anjou. La prétendue avait, en 1570, trente-six ans, et le Duc seulement dix-huit, mais qu'est-ce que cette différence d'âge, au prix des espérances et des avantages que le Vidame, un imaginatif de grande envergure, énumérait : couronne d'Angleterre, conquête des Pays-Bas, élection probable à l'Empire, etc.[4] Mais le succès d'une négociation matrimoniale avec l'Angleterre protestante était lié aux dispositions des huguenots. Pour décider Jeanne d'Albret à sortir de la réserve où elle s'obstinait, Catherine accueillit ou sollicita les avances de Ludovic, le seul chef réformé à qui cette souveraine revêche fit crédit de confiance. Dans les deux entrevues mystérieuses qu'il eut avec le Roi et la Reine-mère (juillet 1571), il demanda le secours des forces françaises, pour délivrer les populations des Pays-Bas de la tyrannie espagnole. Charles IX promit d'intervenir, s'il pouvait être certain de l'appui de l'Angleterre et de l'Allemagne. Le chef militaire du parti protestant, Coligny, que hantait le cauchemar de nouvelles luttes civiles, appelait de tous ses vœux une guerre contre Philippe II, comme l'unique moyen de réconcilier les Français des deux religions. De lui-même, il offrit ses bons offices pour la pacification du royaume.

Catherine accepta. Elle se croyait maintenant sûre du mariage de sa fille avec le prince de Navarre. Déjà en août, elle préparait la corbeille de noces. Il faut, écrivait-elle à son fils, que vous donniez à Marguerite, un acoustrement de pierreries, que set (si) le troues bon, avant que je parte, je les troveré et les donneré à metre en œuvre à Dejeardin — c'était son joaillier — et le prendré au milleur marché que je pouré. Le conte de Rets et moi fayron vostre ménage, de fason que vous voyré qu'elle sera honnorablement aultent que ses seurs et ne sera pas si cher[5].

Mais Jeanne d'Albret n'était pas pressée. Elle se plaignait que le Roi eût mandé Coligny et ne l'eût pas mandée à la Cour, et qu'il ne lui eût fait parler de ce mariage que par tierse personne. Elle veut et ne veut pas venir, et riposte aigrement aux insinuations de Catherine : ... Quant à l'honneur qu'il vous plaist me faire de me souhaiter en votre compagnie, et que penseriez que j'ay oublié le lieu dont j'ay cest honneur d'estre sortie si je n'y vais — c'est sa façon de rappeler qu'elle est la fille de la sœur de François Ier — je vous supplie très humblement croire, Madame, que ce sera toujours avec mon plus grand contentement.... Ne me pouvant oublier moi-même, ny le lieu d'où dépend ma grandeur. . . . . . . . . . et ne sais pourquoy, Madame, vous me mandez que voulez voir mes enfans et moy et que ce n'est pas pour nous mal faire. Pardonnez-moi, si lisants ces lettres, j'ay eu envie de rire ; car vous me voulez asseurer d'une peur que je n'ai jamais eue, et ne pensay jamais, comme l'on dit, que vous mangissiez les petits enfans[6].

Le bruit courut à nouveau, sans qu'elle le démentît, d'un projet de mariage entre son fils, qui était plus jeune de trois ans que le duc d'Anjou, et la reine Elisabeth d'Angleterre, dont la différence d'âge allait s'accentuant d'un prétendu à l'autre.

Mais Catherine ne pouvait croire qu'on y pensât encore, si jamais on y avait pensé, les choses étant avancées comme elles le sont de ce côté. Elle n'admettait pas de résistance à la décision du Roi. Toutefois Jeanne d'Albret, soit par scrupule religieux, soit par amour-propre, soit peut-être encore par calcul, tardait de donner son consentement. Elle demandait pour sa bru, comme douaire, la Guyenne, et revendiquait pour elle-même Lectoure. Elle n'eut pas la Guyenne, mais finit par obtenir Lectoure. Ce point préliminaire réglé, les négociations s'ouvrirent. Elle envoya, écrit Catherine au grand duc de Toscane, homme exprès pour nous prier de bailler ma fille à son fils suivant la promesse du Roy Monseigneur (Henri II) au feu roy de Navarre son mari, 8 octobre 1571[7].

En matière de sacrement, la Cour de Rome avait son mot à dire. Le prince de Navarre, petit-fils de la sœur de François Ier, et Marguerite, petite-fille du même Roi, étant cousins issus de germains, avaient besoin pour s'épouser catholiquement d'une dispense pontificale. Catherine de Médicis, par crainte d'un refus dont le Pape ne pourrait se dédire, si elle la sollicitait directement, pria Cosme de Médicis de lui servir d'intercesseur[8].

La différence de religion était bien plus grave que la consanguinité. Pie V déclara qu'il n'accorderait jamais une dispense secrète dont la Reine-mère se fût bien contentée, pour l'acquit de sa conscience, disait-elle. Mais il commençait à craindre qu'au grand péril du catholicisme et de l'autorité pontificale, le Roi Très Chrétien ne passât outre. Pour prévenir ce mal, il ne voyait qu'un remède, c'était d'amener D. Sébastien à épouser Marguerite. Il réussit à émouvoir le flegmatique roi d'Espagne. Le cardinal Alexandrin, son neveu, qu'il lui-dépêcha pour arrêter les opérations maritimes contre les Turcs, poussa jusqu'en Portugal, mit à la raisons les Théatins et enleva le consentement du jeune Roi. Il était de retour à Madrid en décembre 1571 et, sans s'y attarder, repartit pour la France. Philippe II résolu au mariage, et qui y avait fait résoudre sa sœur, lui adjoignit comme compagnon, le Général des Jésuites, François Borgia, pour être garant de la sincérité de ses intentions. Mais il était bien tard. Jeanne d'Albret se dirigeait vers Blois, où elle allait débattre les clauses du contrat.

Le Légat voulut la gagner de vitesse et, coupant par le plus court, il arriva le 7 février à Blois avant elle[9]. Il l'aurait peut-être emporté auprès de Catherine, s'il avait pu de surcroît proposer à cette mère ambitieuse d'unir le duc d'Anjou, qui décidément n'épousait pas Elisabeth, à la reine douairière de Portugal, ou à une des deux infantes. Mais Philippe II, dans ses instructions, marquait expressément que sa sœur ne voulait pas se marier et qu'il ne voulait pas encore marier sa fille. Après toutes les déconvenues de la Reine-mère, c'était une mince compensation de lui offrir comme gendre ce roi de Portugal qui, avec l'encouragement secret du roi d'Espagne, avait refusé la princesse la plus accomplie de la chrétienté. A sa première audience, il eut du Roi pour réponse qu'on aviserait (9 février).

Le Général des Jésuites avait une mission délicate, celle de voir Marguerite et de la dissuader de cette union exécrable, son frère et sa mère voulussent-ils l'y contraindre. Mais Marguerite était bien gardée et elle savait son devoir de fille. François Borgia, même en tête à tête, ne lui aurait pas persuadé de désobéir. Catherine abusa le saint homme de faux espoirs. Avec une franchise apparente qui n'allait Pas sans restrictions mentales, elle lui certifia que le mariage n'était pas encore résolu, et en effet il restait à débattre les clauses du contrat, et qu'il ne se ferait pas sans dispense (à moins sans doute que le Pape ne se montrât intransigeant).

Le Légat essaya sans plus de succès d'obtenir de Charles IX la publication comme loi de l'Etat des décrets du Concile de Trente et son adhésion à la Ligue maritime contre les Turcs. Il repartit les mains vides, comme il l'avouait au nonce du Pape à la Cour d'Espagne (22 février), mais, pour ne pas rentrer à Rome sous le coup d'un échec, il écrivit de Lyon, le 6 mars, au secrétaire d'Etat de Sa Sainteté, Rusticucci : Avec quelques particularités que j'emporte et dont j'informerai de bouche notre Seigneur (le Pape) je puis dire que je ne m'en retourne pas tout à fait mal expédié[10]. Catherine affirmait au Cardinal et au Général des Jésuites, et elle le croyait peut-être, que la vie de Cour et la beauté de Marguerite convertiraient Henri de Bourbon. Avec même confiance elle leur assura que son fils ne projetait pas de guerre contre l'Espagne, et il est certain qu'elle y était, en principe, contraire. Ce sont ces témoignages de bonnes intentions, qui consolaient les ambassadeurs du pape et du roi d'Espagne de l'échec de leur démarche.

Pour éviter une rencontre entre le Légat, qui ne quitta Blois que le 24 février, et Jeanne d'Albret arrivée à Tours le 10, on décida que la reine de Navarre et sa fille s'arrêteraient à Chenonceau, où Catherine et Marguerite iraient les rejoindre.

Là les deux Reines-mères eurent le 15 un long entretien, que, revenue à Tours de méchante humeur, Jeanne d'Albret raconte à son fils (21 fév.). L'on me hastoit bien de venir, gronde-t-elle, et l'on n'a pas grand haste de me voir. Catherine s'était étonnée ou peut-être même plainte que le prince de Navarre ne fût pas là. Or c'était à dessein que sa mère le tenait au loin. Elle l'avait renvoyé de Lectoure en Béarn quand elle prit elle-même la route du nord. Elle entendait rester maîtresse des décisions et se réservait la liberté de dire non à un article ou à tous les articles du contrat. Mays paiseque les affaires se doibvent manier au doigt et à je vous prie et recommande ne bouger de Béarn que vous n'ayez une segonde dépesche de moy[11].

Catherine, en réclamant la présence du jeune prince, avait répété deux ou trois fois que le mariage dépendait de lui. Jeanne d'Albret n'en convenait pas, étant sa souveraine et sa mère. Elle le savait sensible et peu zélé et craignait que, séduit par l'idée de cette grande alliance et le charme de la fiancée, il ne se montrât disposé à bien des concessions. La Cour de France, renseignée sur sa tiédeur, espérait qu'il consentirait à se marier catholiquement à l'église. Je voy bien, protestait Jeanne d'Albret, que ladite [Reine] cuide que tout ce que je lui dis vient de moy et qu'avés quelque opinion à part.... Je vous prie quand vous m'escrirés, mandés moy, que vous me suppliés de me souvenir bien de tous (tout) se que m'avés dit et surtout de sçavoir la voullanté de Madame sur le faict de la religion et qu'il n'y a que cella qui vous empesche de vous résoudre. Elle lui recommandait de bien prier Dieu et c'est assurément une présomption qu'il l'oubliait quelquefois —, afin que Catherine fût bien convaincue de sa foi et trompée dans ses mauvais calculs. ... Puisque vous estes de si près esclairé (surveillé) et que l'on vous espie, ayez soing d'ouïr presches et prieres, car vous voyez par ce que la Reyne m'a dict comme ils font leur profit de tout[12]. Au gouverneur de son fils, Beauvoir, le plus cher de ses amis et le plus fidèle de ses serviteurs, elle écrivait encore plus clairement (11 mars 1572) : ... Surtout tenez la main qu'il persiste en la piété, car on ne le croyd pas icy et dict on que l'on s'asseure qu'il ira à la messe et que pour luy, il n'en fera pas la difficulté que je faicts[13].

Henri répondit en conséquence qu'il lui tardait d'être renseigné sur les croyances de Marguerite et que si l'on pensait l'éloigner de sa religion et de sa mère, on se trouverait bien déçu (1er mars 1572).

Jeanne d'Albret avait été touchée du bon accueil de la princesse. Je vous diray, assure-t-elle à son fils dans la lettre du 21 février, que Madame m'a faict tout l'honneur et bonne chère qu'il est possible et m'a dit franchement combien elle vous a agréable[14]. Sa fille Catherine, jeune princesse fort avancée pour ses quatorze ans, met à cette lettre en post-scriptum, qu'elle a trouvé Madame fort belle et qu'elle eût bien désiré que son frère la vît. Je luy ay bien parlé pour vous qu'elle vous tinst en sa bonne grace, ce qu'elle m'a proinis et m'a fait bien bonne chère et m'a donné un bau petit chien que j'ème bien[15].

Marguerite avait dix-huit ans accomplis. Le dessin aquarellé du Musée de Chantilly, la Marguerite avec les mains, comme on dit, la représente en 1571, l'année d'avant son mariage. C'est la tête mignonne d'une adolescente qu'on croirait à peine sortie de l'enfance, n'était le plein achèvement du cou et des épaules. L'ovale du visage ne laisse pas deviner les joues légèrement pendantes, un défaut de l'âge, plutôt que de la nature, comme le voudrait ce médisant Tallemant des Réaux. Le front est haut, le menton rond et fuyant, la bouche grande, les lèvres charnues. Elle a, si je puis dire, un air d'innocence[16].

Ronsard, qui l'incarne en Pasithée, la belle Charite de Vénus, se plaît à décrire, à la veille de son mariage, le détail de ses perfections : cheveux ondulez... un peu plus noirs que de blonde teinture ; sourcils noirs faits en arche d'ébène ; yeux bruns ; nez relevé ; tendre, ronde et délicate oreille ; teint meslé de brun et de vermeil ; bouche de mille roses pleine, de lis, d'œillets où blanchissoient dedans, à doubles rangs des perles pour des dents ; gorge blanche et ferme, deux monts de laict ; mains blanches, longues, douillettes ; jambe de marbre long taillé par artifice ; pieds... petits. Et le poète ajoute avec quelque regret :

Du reste, hélas ! de parler je n'ay garde,

Dont le regard aux hommes est osté.

Sacré séjour qu'Honneur et Chasteté,

Ainsi qu'Archers ont en soigneuse garde[17].

Jeanne d'Albret l'admirait avec des réserves, mais elle l'admirait :

Quant à la beauté de Madame, écrivait-elle à son fils, j'advoue qu'elle est de belle taille, mais aussy elle se serre extrêmement ; quant au visage, c'est avec tant d'aide que cela me fasche, car elle s'en gastera, mais en cette court le fard est presque commun comme en Espaigne[18].

A l'égard de Catherine, Jeanne d'Albret restait défiante et hostile. Le 6 mars, les discussions sur les clauses du contrat et la forme de mariage commencèrent et elles furent vives. Jeanne d'Albret s'impatientait que Catherine ne cessât de réclamer le prince de Navarre et surtout elle s'irritait de la raison qu'elle en donnait, « parce qu'il est bien sage. » Elle refusa d'un ton si cassant que le maréchal de Biron dût s'entremettre pour empêcher une rupture.

Les deux futures belles-mères faisaient même calcul, l'une de convertir son gendre, l'autre, sa bru. Aux espérances et aux craintes de la souveraine huguenote peut se mesurer l'opinion qu'elle avait de l'intelligence et du crédit de la jeune fille. De la fasçon (façon) de quoy elle est et du jugement qu'elle a, écrit-elle à son fils, avecq le crédit vers la Royne sa mère, et le Roy et messieurs ses frères, si elle embrasse la religion, je puis dire que nous sommes les plus heureus du monde, et non seullement nostre mayson mais tout le royaulme de France aura part en test heur. Mais si elle s'opiniâtre en sa foi, ce mariage, veu sa prudence et jugement, sera la ruyne premièrement de nos amis et de nos pays et ung tel suport aux papystes qu'avecq la bonne voullonté que nous porte la Royne mère (elle parle ironiquement), nous serons ruinés avec les églises de France[19]. C'était mettre son fils en garde contre l'appel de la sirène, une recommandation que les circonstances ne lui permirent plus d'oublier.

Il n'est pas douteux qu'à ce moment Marguerite fût prête ou résignée à épouser le prince de Navarre. Elle avait aimé le duc de Guise et peut-être l'aimait-elle encore. Mais les princesses de ce temps n'avaient pas l'habitude de disposer d'elles-mêmes ; leur main était le plus souvent le prix d'un arrangement familial ou d'un accord politique. L'ambition, comme c'était ici le cas, les aidait aux renoncements de l'obéissance. Scipion Dupleix, une créature de Marguerite, et qui reçut ses confidences, témoigne qu'elle sacrifia son inclination à l'orgueil d'être reine. Guise, quel que fût l'éclat de sa race, n'était que le cadet de la maison de Lorraine, et un sujet de Charles IX, de qui sa fortune dépendait. Combien l'emportait sur lui en prestige et en espérances l'élu de Catherine, Henri de Bourbon, héritier présomptif de Jeanne d'Albret, et, à titre de premier prince du sang, successeur désigné des Valois-Angoulême, en cas d'extinction des mâles. Vassal du roi de France pour tous les fiefs qu'il possédait en son royaume, il serait un jour, en théorie du moins, son égal, roi lui aussi par la grâce de Dieu en Béarn et Navarre. Il ne semble pas que Marguerite ait résisté beaucoup à l'appât. En tout cas, si Marguerite avait ressenti pour Guise plus qu'une préférence sentimentale, Jeanne d'Albret, naturellement soupçonneuse, n'aurait pas manqué d'imaginer le pire. Le seul endroit de sa correspondance qui fasse, semble-t-il, allusion à un bruit fâcheux vise une lettre de M. de La Caze, qu'elle dit très méchante. La Caze était un gentilhomme huguenot du Poitou, frère du baron de Mirambeau. Il y a, dit-elle à Beauvoir un mot qui importe tant, qu'il convient que son fils, son chancelier Francourt et lui en aient l'interprétation, car il semble par cela qu'il (La Caze) veuille entendre que ce mariage luy apprestera à rire de ceux de qui il parle. Cela m'a autant fasché que chose que j'aye veu depuis longtemps ; cette crainte n'est pas pour moi seule comme vous pouvez penser[20]. La Gaze se moquait-il par anticipation de ces bons huguenots qui cherchaient une vertu à la Cour de France ou simplement des politiques du parti, qui, pour une satisfaction de gloriole et d'intérêt, exposaient la foi si tiède du prince de Navarre à l'assaut des tentations courtisanes ? Cette dernière hypothèse paraît plus vraisemblable. On ne peut pas croire que Jeanne d'Albret, mise en éveil par cette insinuation, eût fait courir à son fils le risque d'être ridicule, même avant d'être marié.

Ce qu'elle avait écrit de Marguerite à son fils, quelques jours auparavant, est caractéristique (2). Elle est belle et bien advisée et de bonne grâce, mais nourrie en la plus maudite et corrompue compagnie, car je n'en vois point qui [ne] s'en sente. Elle admet certainement des degrés dans le mal et ne tient pas sa future belle-fille pour incurable, puisqu'elle ajoute : Voilà pourquoy je désire vous marier et que vous et vostre femme vous retiriez de cette corruption, car encore que je la croyois bien grande, je la trouve davantage. Ce ne sont pas les hommes icy qui prient les femmes, ce sont les femmes qui prient les hommes[21].

La rigide huguenote, par humeur sectaire, ou souci maternel de préservation, calomniait peut-être le désir de plaire et les avances même innocentes du cercle de la Reine-mère.

Elle faisait la leçon à son fils sur ce qu'il devait faire et ne pas faire lors de son passage à la Cour de France. Elle voulait qu'il plût, mais ne voulait pas qu'on lui plût trop. Elle s'amusait de son neveu, Henri de Bourbon, prince de Condé, fiancé à Marie de Clèves, marquise d'Isles, et qui n'était pas de beaucoup si grand que lui : Mais je croy, dit-elle, que c'est qu'il est trop amoureux. Veut-elle dire que son développement physique et ses manières se ressentaient de l'ardeur de sa passion ? Peut-être. Elle ajoutait, toujours railleuse : Si vous ne savez faire l'amour de meilleure grâce que votre cousin, je vous conseille de ne vous en mesler point. Marguerite lui fait si bonne chère qu'elle en espère tout contentement pour son fils. Mais qu'il s'observe bien : Je vous prie regarder à trois choses, d'accommoder votre grasse (c'est-à-dire de la régler, de la contenir, plutôt que de l'étaler), de parler hardiment et mesme en lieux où vous serez appelé à part ; car notés que vous imprimerés à vostre arrivée l'opinion que l'on aura de vous sy après. Suivent quelques conseils de toilette où malheureusement les mots essentiels sont illisibles : Accoutumés vos cheveux à se relever, mays (mais) non pas.... On ne saura jamais quelle façon lui déplait ni celle qui lui convient. Je vous recommande la dernière, comme celle que j'ay la plus souvent en ma fantazie. Ce n'est pas évidemment la mode des galants de la Cour, car sans transition elle ajoute, il faut que vous vous proposés (proposiez) (que vous ayez toujours devant les yeux) tous les alléchemens que l'on vous pourra donner pour vous desbaucher soit en vostre vu, soit en vostre religion et vous establir contre cella une constance invinsible ; car je say que c'est leur but ; ils ne le cellent pas[22].

Elle aussi espérait, contre toute espérance, amener Marguerite au pur Evangile, si elle avait souvent l'occasion de la voir seule à seule. Mais Catherine empêchait tant qu'elle pouvait ces entretiens, et la jeune fille ne s'y prêtait pas. Je trouve Madame bien refroidie depuis deux jours, écrit-elle le 11 mars. Elle eut avec elle une explication décisive, que l'ambassadeur florentin place le 22 mars. Ce jour-là discourant avec Madame, elle lui dit que, devant se tenir désormais pour fait le mariage, elle désirait savoir si celle-ci consentirait à suivre dans sa forme de religion le Prince, son fils, et elle aussi. Madame lui répondit sagement que, quand il plaira à Dieu qu'elle le suive (le Prince), elle ne manquera pas de lui obéir à lui et à sa mère, en toute chose raisonnable, mais que quand même il serait le monarque du monde, elle ne changerait pas la religion dans laquelle elle avait été élevée. Alors la reine de Navarre dit : Le mariage ne se fera pas[23]. Elles se quittèrent froidement.

Exigeante outre mesure, Jeanne d'Albret s'exaspérait des refus. Elle demandait, rapporte l'ambassadeur florentin Petrucci, la superintendance (le gouvernement) de la Guyenne, du comté d'Armagnac et de la meilleure partie de la Gascogne et, avec cela, que tout l'espace de La Rochelle à Bayonne (je parle de la mer et de la terre) échût en partage à Madame, sœur du Roi, et fût comme un usufruit (patrimonio usuale) ou dot[24]. Elle s'étonnait que la Cour de France se refusât à ce démembrement de la puissance royale. Mais ce fut surtout sur la cérémonie du mariage que s'aggrava le désaccord. Elle proposait que les épousailles se fissent dans la forme prévue au contrat d'une fille de France catholique avec un roi d'Angleterre protestant. Henri II, ce farouche persécuteur des hérétiques, avait, pour s'assurer l'appui des Anglais contre Charles Quint, fiancé sa fille Élisabeth de Valois, celle qui fut la femme de Philippe II, avec Edouard VI Tudor, ce petit théologien couronné, le Josias des pasteurs calvinistes. Suivant les stipulations matrimoniales (Angers 19 juillet 1551), Elisabeth, alors âgée de cinq ans, serait, quand elle en aurait douze, conduite en Angleterre et là elle épouserait le jeune roi, ouvertement, publiquement et solennellement à la face de l'église[25]palam, publice et solemniter in facie Ecclesiæ —, c'est-à-dire de l'église anglicane, l'Angleterre n'en connaissant point d'autre en 1551, et suivant les rites de cette église. Henri II, sans aucun doute, comptait qu'en sept ans la tournure des affaires ou l'état maladif d'Édouard VI le dispenserait de tenir sa parole. Et en effet le fiancé mourut en 1555.

La Cour de France, qui avait oublié ce projet illusoire et ses clauses religieuses, donna sans y regarder son consentement. Mais quand la Reine-mère sut que Jeanne d'Albret, forte de ce précédent, voulait mener sa fille au temple, elle riposta que Beauvoir lui avait baillé des espérances de mesme pour faire espouser le prince de Navarre à la messe par procureur. Jeanne d'Albret protesta que Beauvoir n'avait rien dit de semblable. Catherine se prit à rire, car notez, écrit la reine de Navarre à son confident, qu'elle ne parle à moy qu'en badinant[26].

Je vous diray encore que je m'esbahis comme je peux porter les traverses que j'ay, car l'on me gratte, l'on me picque, l'on me flatte, l'on me brave, l'on me veut tirer les vers du nez, sans se laisser aller[27]. S'il lui fallait être encore un mois en ces ennuis, elle serait malade, et peut-être l'est-elle. Car elle ne se sent point à son aise[28]. Le mal aiguisant son humeur, elle a peine à s'empêcher de se mettre en colère, elle se plaint de son logement : .... L'on m'a fait des trous sur mes chambres et garde-robe.... C'est assurément Mme d'Uzès sa voisine, la maîtresse d'atours, qui veut l'épier[29]. Elle ne se fie à personne et se défie de tout le monde, y compris ses serviteurs : son secrétaire des commandements, Brodeau, Mme Dusor, une faulse femelle, Cavaigne, son chancelier, qui est le jubelin (entendre probablement subelin, très fin[30]. Tous ces gens là entretiennent fort la Royne et puis ils me disent ce qu'il leur plaist de leur parlement[31]. Bref je n'ay que Martin seul qui marche droit, encores qu'il ait la goutte et Monsieur le Comte (Ludovic de Nassau) qui me faict tous les bons offices qu'il peut et [je] voids bien qu'il n'y a pas grande fiance aux hommes courtisans[32]. Elle était probablement seule à se croire si patiente. Esprit de soupçon et de moquerie, voilà deux traits de caractère, entre quelques autres, que son fils tient d'elle, d'elle seule : et non de son mari.

Mais elle ne lui a pas transmis ses scrupules de conscience. Dans l'embarras où elle était, tenant le loup par les oreilles, et voyant du danger à conclure, et à ne conclure pas le mariage, elle réunit chez elle les deux ambassadeurs anglais, alors présents à Paris, et une douzaine de gentilshommes, flanqués chacun de leur ministre, pour les consulter[33]. Sur certains points, sa résolution était prise ; elle n'accepterait pas que le Prince demeurât à la Cour de France et qu'il y fût privé de tout exercice de la religion, afin d'en faire un athée et d'ôter toute espérance de convertir Madame Marguerite, qui ne voulait aller à aucun prêche. A son tour, elle accorderait à sa belle-fille dans ses Etats de Béarn et de Navarre, non pas la liberté du culte, mais seulement le droit, quand elle y séjournerait, de faire dire la messe pour elle et la domesticité, à portes closes, dans une chapelle privée. Ces pays, où elle était souveraine indépendante et non vassale du roi de France, avaient été purgés par elle de toute idolâtrie, et elle affectait de craindre que la vue d'une tolérance publique n'encourageât les papistes au désordre et n'empêchât Marguerite de prêter l'oreille à l'Evangile.

Restaient trois questions à débattre :  1° Pouvait-elle en conscience choisir un papiste comme procureur pour fiancer son fils à la princesse ? Tout le monde reconnut qu'elle le pouvait. 2° Mais si ce procureur papiste, contrairement à ses instructions, s'avisait d'aller à la messe immédiatement après les fiançailles, est-ce que les fidèles ne la rendraient pas responsable de ce scandale ? Personne, lui fut-il répondu, ne saurait reprocher au mandant la mauvaise foi de son mandataire. 3° Devait-elle consentir que la bénédiction nuptiale fût donnée par un prêtre revêtu des ornements sacerdotaux ? La discussion fut longue. Les ministres conclurent que la chose était indifférente en soi, mais qu'elle pouvait choquer les âmes pieuses. La Reine protesta qu'elle ne voulait pas courir ce risque. A la majorité, les assistants furent d'avis qu'elle ne le permît pas, puisque sa conscience y répugnait.

Comme il était certain que Catherine et Charles IX ne se passeraient pas du ministère d'un prêtre, c'en était fait, semble-t-il, du mariage. Mais Walsingham n'en croyait rien. Jeanne d'Albret serait restée seule ou presque seule à ne le vouloir pas ; Des préoccupations de cérémonial touchaient médiocrement les chefs huguenots. Ils se seraient étonnés et même indignés que pour une question de surplis et d'étole on laissât échapper l'occasion de délivrer les Pays-Bas, d'accroître le prestige de la Réforme en France et d'étendre son champ de propagande en Europe.

Ils offraient à Charles IX, arrivé à l'âge d'homme et impatient de jouer un rôle, leurs soldats des dernières guerres et s'offraient eux-mêmes pour servir d'avant-garde à l'armée royale d'invasion. Jamais une conjoncture plus favorable ne se présenterait d'avancer les affaires de leur parti sans préjudicier à celles du royaume. Tout le passé semblait oublié, comme l'atteste Marguerite elle-même en termes peu indulgents. ... Bien qu'ils eussent esté très pernicieux à son estat, dit-elle, les regnards avoient sçeu si bien feindre qu'ils avoient gaigné le cœur de ce brave prince pour l'espérance de se rendre utiles à l'accroissement de son estat, et en luy proposant de belles et glorieuses entreprises en Flandre, seul attrait de cette ame grande et royale. L'entreprise paraissait assurée du concours de l'Angleterre et de celle des princes protestants d'Allemagne. La Reine-mère avait peur, il est vrai, d'une guerre contre la première puissance militaire du temps, mais ne serait-elle pas entraînée elle aussi par l'ambition d'établir ses deux derniers fils par mariage, par conquête ou par élection aux Pays-Bas, en Angleterre, en Allemagne. Par la force des choses l'union d'Henri de Navarre et de Marguerite, quel que fût le calcul qui l'avait inspirée, marquait un revirement de la politique française et la reprise des hostilités contre le Habsbourg de Madrid, cet ennemi de la Réforme. Jeanne d'Albret, n'était pas tellement aveuglée de rigorisme qu'elle commît la faute, contrairement aux intérêts de son parti, de s'aliéner les sympathies de Charles IX par l'humiliation d'un refus et, à la veille des graves événements des Pays-Bas, de détacher la Navarre de la coalition possible des forces protestantes. Le 14 mars, tout était rompu, le 4 avril, tout était conclu, ainsi que l'annonçait le lendemain Jeanne d'Albret à la reine d'Angleterre.... Le diable avait insité plusieurs esprits de division pour empescher ceste résolution indisoluble du mariage, mais Dieu s'était servi de ceux de douceur et amateurs d'union et de repos pour l'accomplir[34]. Ludovic de Nassau, dont Walsingham signale les grandes conférences avec la Reine-mère et Monsieur[35], était probablement de ces auxiliaires de Dieu. On régla par un compromis le différend relatif à la cérémonie religieuse. Le prince de Navarre accompagnerait sa femme à l'église, mais il n'assisterait pas à la messe, attendant au dehors la fin de l'office, comme avaient fait à Mézières les seigneurs protestants d'Allemagne lors des noces de Charles IX avec Elisabeth d'Autriche.

Jeanne d'Albret put se réjouir du sacrifice de ses scrupules. Le contrat de Marguerite et d'Henri de Bourbon signé le II avril 1572 fut suivi le 29 d'un traité d'alliance, dont il semblait le symbole, entre la France catholique et l'Angleterre protestante. Les deux puissances se garantissaient mutuellement contre une attaque, et Charles IX avait tenu à spécifier que le casus fœderis jouerait même si l'agresseur invoquait des raisons religieuses. La prise de Brielles par les Gueux de mer le Ier avril et le soulèvement qui s'ensuivit des villes de Zélande permettaient de croire à la faiblesse de la domination espagnole. Ludovic de Nassau sortit de Paris, le 18 mai, muni d'un viatique de dix mille écus et d'une lettre de créance où Charles IX avouait son entreprise. Il parut subitement avec une troupe de huguenots devant Mons et Valenciennes, qui lui ouvrirent leurs portes (23 et 24 mai). Charles IX allait de l'avant sans consulter sa mère qu'il déclarait trop timorée. Le 11 mai il écrivait à son ambassadeur à Constantinople, François de Noailles, évêque de Dax, de prévenir le Grand Seigneur qu'il ferait partir vers la fin du mois une armée navale de douze ou quinze mille hommes soubz prétexte de garder mes havres et costes des depredations, mais en effet en intention de tenir le Roy Catholique en cervelle et donner hardiesse à ces gueulx des Païs-Bas de se remuer et entreprendre.... Toutes mes fantaisies sont bandées pour m'opposer à la grandeur des Espagnols[36].

On pouvait croire que Catherine elle-même serait conquise par le succès à la politique de son fils, qui était celle de tout le parti protestant.

Jeanne d'Albret s'était transportée à Paris pour suivre de plus près les événements (14 mai). Mais ses forces n'égalaient pas sa volonté. Depuis longtemps souffrante, elle était allée faire une cure aux Eaux-Bonnes avant de partir pour le nord. Ses lettres de Blois trahissent une nervosité maladive. L'âpreté des négociations, les résistances et les rires de son adversaire, Catherine, la patience qu'il lui fallait s'imposer, ses colères refoulées, sa mésintelligence avec les chefs huguenots et ses propres serviteurs, l'isolement où elle se sentait à la Cour de France et dans son entourage, tout contribuait à exaspérer son humeur et à ruiner sa santé. Elle s'irritait du défaut de zèle et du manque d'égards de sa belle-sœur, la princesse douairière de Condé, et de sa nièce Marie de Clèves, marquise de l'Isle, fiancée au jeune prince de Condé[37]. Son autre nièce, Henriette de Clèves, duchesse de Nevers, était la femme qu'elle détestait le plus et qui le lui rendait bien. Elle ne retrouvait un peu de douceur que dans la pensée de ses enfants. Elle les aimait bien tous deux, mais avec une préférence marquée pour sa fille, Catherine, pour des raisons qu'elle laisse voir. Vous ne sçauriez croire comme ma fille est jolie parmy cette Cour, car chacun l'assault en sa religion ; elle leur fait teste et ne se rend nullement. Tout le monde l'ayme[38]. Assurément le prince de Navarre n'était pas un controversiste à mettre en parallèle avec cette théologienne de quatorze ans.

Mais quoiqu'elle fît bonne mine au mal, sa force de résistance était épuisée ; elle fut prise le 4 juin d'une fièvre chaude, qui cinq jours après l'emporta. Marguerite n'a pas pour cette femme au cœur viril, qui mourait loin de son pays et de son fils, un mot d'éloge ou tout au moins de sympathie. Les âmes de ce temps-là étaient dures, et, lorsque les passions religieuses les animaient, cruelles.

L'héroïne de la Réforme militante disparaissait au moment où son parti aurait eu le plus besoin d'appui au dedans et au dehors. Elisabeth d'Angleterre ne s'était prêtée aux préliminaires d'un contrat de mariage avec le duc d'Anjou et n'avait en dernier lieu conclu de traité d'alliance défensive avec Charles IX que pour achever de rompre l'entente de la France et de l'Espagne et prévenir la menace d'un nouveau rapprochement. Mais elle mettait tant de restrictions à l'exercice du culte catholique par le prince-consort et le prétendu répugnait si fortement à épouser cette vieille fille coquette et frôleuse de beaux jeunes hommes que la négociation matrimoniale tourna court. Catherine de Médicis, qui ne renonçait pas volontiers à l'espoir d'une couronne royale, posa aussitôt la candidature de son troisième fils, le duc d'Alençon, dont l'ambition atténuait les dissidences religieuses. Elisabeth demanda un mois de réflexion. Son secrétaire d'Etat écrivit gravement à la Reine-mère qu'on la déciderait peut-être en lui offrant Calais avec le jeune prince.

Henry Middelmore, adjoint à l'amiral Lincoln pour recevoir le serment de Charles IX à l'alliance, déclara nettement à Coligny, qui lui parlait d'une coopération franco-anglaise aux Pays-Bas, que l'annexion de ces provinces à la France serait pour l'Angleterre le plus grand des dommages et des dangers et que sa souveraine ne pourrait en aucun cas la souffrir[39].

Les princes protestants d'Allemagne ne montraient aucun zèle pour la religion. L'évêque de Dax écrivait de Constantinople qu'il ne fallait pas compter sur le Grand Seigneur. En cas de conflit avec Philippe II la France resterait seule.

Ce n'était donc pas sans motif que Catherine s'inquiétait d'une aventure où le patriotisme des uns et le prosélytisme des autres cherchaient à entraîner son fils. Les Espagnols avaient repris Valenciennes aussi vite qu'ils l'avaient perdue, et ils bloquaient, dans Mons, Ludovic de Nassau et ses compagnons. Coligny, sûr de l'approbation tacite de Charles IX, leva quatre mille hommes qu'il envoya au secours des assiégés. Mais cette petite troupe fut surprise et presque exterminée par les assiégeants (17 juillet 1572).

Coligny prépara une autre et plus grande armée et parla de marcher lui-même en Flandre. Charles IX laissait faire, escomptant le succès. Mais la peur saisit la Reine des armes espagnoles. Elle craignait les représailles que l'agression huguenote risquait de provoquer. Elle tremblait pour son pouvoir que menaçait le crédit de l'Amiral, appuyé sur les espérances de gloire du jeune Roi. L'ancien chef des rebelles, gracié et rentré en grâce, était aussi dangereux ami qu'ennemi. Après le désastre de Mons, l'idée d'un meurtre dut se présenter à son esprit. Justement l'ambassadeur florentin signale, dans une lettre du 23 juillet, les conférences de Catherine, — et à des heures anormales, — avec la duchesse douairière de Guise, qui, bien que remariée avec le duc de Nemours, estimait de son devoir de venger son premier mari, François de Guise, assassiné par Poltrot de Méré, à l'instigation croyait-elle, à tort d'ailleurs, de Coligny.

La plupart des gens de la Cour et du gouvernement étaient pour des raisons de politique ou des raisons de sentiment opposés à une guerre contre la grande puissance catholique, qui était la première puissance militaire du temps. Deux conseils extraordinaires, l'un du conseil privé, l'autre des chefs d'armée, furent réunis dans les premiers jours d'août pour débattre et trancher la question des Pays-Bas. Les hommes d'épée après les hommes de robe se prononcèrent contre l'intervention. Catherine était présente à cette dernière délibération. L'Amiral, blessé de ce désaveu unanime et emporté par la chaleur de la discussion, se tourna vers elle : Madame, lui dit-il, le Roy renonce à entrer dans une guerre, Dieu veuille qu'il ne lui en survienne pas une autre de laquelle il ne serait pas en son pouvoir de se retirer. Parole de colère, qui trahissait son appréhension, mais qui fut interprétée par les catholiques ardents comme une menace.

Coligny s'entêta, et, confiant dans la faveur du Roi, recruta des soldats, presqu'ouvertement. Les gentilshommes et les capitaines huguenots que le prochain mariage d'Henri de Navarre ou le dessein des Flandres avait attirés en nombre à Paris parlaient de changer le Conseil du Roi. Les ambassadeurs étrangers prévoyaient des troubles.

Catherine s'affermit en sa résolution criminelle. Un homme contrecarrait sa volonté, lui disputait son fils, mettait le Roi et le royaume en péril ; il fallait qu'il mourût. D'accord avec les Guise, elle fit venir Maurevert, qui avait en 1569 assassiné Mouy, un des chefs huguenots, et fait ses preuves comme tueur du Roi. Elle n'attendit pour sonner le glas de l'Amiral que la célébration des noces de sa fille. Henri de Navarre, roi depuis la mort de sa mère, fit son entrée à Paris au commencement de juillet[40] en compagnie de son cousin, le prince de Condé, avec une escorte de bien huit cens gentilshommes tous en deuil. Il fut reçu du Roi et de toute la Cour avec beaucoup d'honneur, raconte Marguerite, qui ne dit rien de son physique, de ses manières, de l'impression que produisit sur elle ce fiancé. Avouer qu'il lui a plu, ce serait réduire à néant l'argument de la contrainte, la maîtresse pièce du procès en annulation de mariage ; écrire qu'il lui avait déplu, c'était insulter au prestige de ce grand roi de France, sous le règne de qui, épouse divorcée ou sur le point de l'être, elle rédigea ses Mémoires. Par discrétion et convenance, elle aime mieux se taire. Il était plus jeune qu'elle de sept mois, étant né le 14 décembre 1553, et devait paraître encore plus jeune en comparaison de cette belle fille, qui, au dire de Brantôme et de Ronsard, s'épanouissait dans la plénitude de ses dix-neuf ans. Jeanne d'Albret dit bien qu'il était plus grand de beaucoup que son cousin, le prince de Condé, son aîné d'un an, et aussi grand que le duc d'Anjou qui avait deux ans de plus que lui, mais l'insistance de la mère à marquer à l'avantage de son fils l'échelle des grandeurs familiales laisserait croire plutôt qu'il était de taille moyenne et n'avait pas encore atteint son complet développement. C'est sans aucun doute une légende que son grand-père a fait de lui un Béarnais robuste et alerte, en défendant qu'on l'élevât mignardement à la manière des petits princes et en le laissant courir à la mode du pays parmi les autres enfans du village (de Coaraze) quelquefois pied descaux et nud teste, tant en hiver, qu'en été[41]. Quand Henri d'Albret mourut, l'enfant n'avait que dix-huit mois et ne trottait pas encore. On peut admettre toutefois qu'il a été nourri plus rudement que les fils de France. Mais les épreuves de sa jeunesse furent son meilleur apprentissage.

A quinze ans, lorsque son oncle, Louis de Bourbon, prince de Condé, mourut à Jarnac les armes à la main au vray lict d'honneur, d'ame et de corps, pour le service de son Dieu et de son Roy et le repos de sa patrie[42], — il reçut cet honneur de l'armée huguenote de l'appeler au commandement à la place du héros, et depuis il fut, sous la tutelle de Coligny, le chef du parti, un chef à cheval. Il a peiné, il a souffert, il a couché sur la dure. Mais cette résistance physique et morale était une beauté qui ne se manifestait pas aux yeux, et, acquise aux dépens du roi de France, elle n'offrait rien à l'imagination qui pût séduire Marguerite de Valois. Il avait pris dans les camps et les cantonnements, où la cuirasse perçait sous l'usure du pourpoint, des habitudes de vie sans élégance et sans recherche. Les instructions de sa mère sur la façon de dresser ses cheveux, le soin qu'elle prenait de réunir à son intention, lors de son mariage, tailleurs et brodeurs, indiquent qu'il n'avait ni l'art, ni le souci de s'habiller. Quelle différence avec les fils de Catherine, et en particulier avec Henri d'Anjou, ce modèle de raffinement et de goût, un roi de la mode !

Il ne tenait pas en place. Jeanne d'Albret avait eu beaucoup de peine à plier à la discipline du travail ce fils remuant et qui aimait par dessus tout, si l'on peut dire, l'école buissonnière. Elle lui avait donné pour précepteur un érudit, Florent Chrestien, qui lui enseigna très bien le latin, lui fit traduire César en français, et lui dicta un commentaire — expurgé, j'imagine — de Suétone. Mais l'élève garda un mauvais souvenir des exigences de ce bon maître, et quand il fut devenu roi de France, il ne lui accorda et encore avec humeur, comme récompense, que quelque petite chose de 20 à 30 escus de rente l'année[43].

Il ne se pliait pas plus facilement aux pratiques du culte. Pendant les préliminaires de son mariage, Jeanne lui recommandait d'ouïr presches et prieres et à son gouverneur de tenir la main qu'il persiste en la piété[44]. Si elle lui en faisait tant d'instances, c'est qu'apparemment il montrait peu de zèle et se souciait plus d'aller à la chasse qu'au temple.

C'est de cette tiédeur que se prévalait Catherine pour venir à bout des résistances ultramontaines. Pie V avait à quatre reprises refusé de lui accorder publiquement ou même in petto une dispense pour Marier Marguerite avec Henri de Bourbon, une catholique avec un huguenot, parents au troisième degré. Catherine rappela, comme en passant, au nonce Frangipani, qu'Henri VIII, roi d'Angleterre, avait rompu avec l'Eglise romaine sur une question de mariage. Ses porte-parole en Cour de Rome, l'ambassadeur florentin et l'évêque Salviati, affirmaient au Pape que le prince de Navarre se ferait un jour catholique, mais ni l'espérance d'une conversion, ni la crainte même d'un schisme ne rendirent le vieillard plus traitable. Il ne permettrait pas, disait-il, cette union scandaleuse de la sœur du Roi Très Chrétien avec un prince hérétique, dût-il perdre la tête, dût-il verser son sang goutte à goutte[45]. La Reine-mère et le Roi son fils étaient aussi résolus. Ils comptaient, si Rome s'obstinait en son intransigeance, sur la présence des cardinaux français à la cérémonie nuptiale, pour légitimer l'union et la rendre indissoluble[46].

Pie V mourut le 1er mai, et Jeanne d'Albret le 9 juin. Catherine de Médicis crut que le jeune roi de Navarre serait plus maniable, et le successeur de Pie V plus conciliant. Elle fit redemander la dispense[47] de la consanguinité. De l'hérésie du fiancé, il n'était pas question, comme si le roi de Navarre était déjà converti. Un valet de chambre de Charles IX porta au nouveau Pape une lettre, où par la bonne espérance qu'il lui donnait de voir le roy de Navarre réduit et prest de satisfaire à toutes les conditions que Sa Sainteté désire, il espérait qu'elle condescendrait à sa prière[48]. M. de Férals, ambassadeur de France à Rome, ne doutait pas du succès des persuasions et des instances (10 août). Mais Grégoire XIII, si l'on peut croire qu'il ait eu un moment l'intention de céder, se ravisa vite, sachant bien que s'il expédiait à Paris une dispense de consanguinité, le Roi et sa mère l'étendraient de leur propre autorité à l'empêchement majeur, celui d'hérésie, dont ils ne soufflaient mot. Il répondit évasivement, donna de bonnes paroles, et ne conclut rien. Catherine mettait sa confiance en son vieil ami, le cardinal de Bourbon, grand seigneur d'église, pauvre théologien, très attaché à sa maison et qui s'enorgueillissait d'une alliance prochaine avec la dynastie régnante. Si Navarre ne se fait pas catholique, expliquait-il au nonce, lors de la signature du contrat le 11 avril 1571, ses enfants du moins le seront. Ne serait-il pas regrettable que le Pape refusât la dispense, et mit les cardinaux français dans la pénible nécessité de s'en passer[49]. Mais bien qu'il blâmât Grégoire XIII de ses atermoiements, comme autrefois Pie V de son intransigeance, il lui répugnait de le braver en face[50]. On le trompa ou il se laissa tromper par une lettre qu'on disait être du cardinal de Lorraine, annonçant de Rome, comme imminente la délivrance de l'autorisation pontificale[51]. La Cour de France, qui savait bien le contraire, coupa les communications avec l'Italie.

Le jeudi 14 août, Catherine écrivit à Mandelot, gouverneur de Lyon, et lui commanda expressément, de par son amour pour le Roi et son devoir d'obéissance, de ne laisser passer aucun courrier de Rome en ça, soit qu'il soit dépesché vers ledit seigneur (Charles IX) ou aultre quel que ce soit, que lundi ne soit passé, le priant de faire le semblable de tous les autres courriers qui viendront d'Italie[52]. Lundi c'était le jour fixé pour le mariage. Comme il fallait de trois à quatre jours pour aller à franc étrier de Paris à Lyon, Mandelot, prévenu le 17 au plus tard, arrêterait tout porteur de dépêches venu d'Italie, qui, continuant sa route, serait arrivé à la Cour le 21 ou le 22. Quel scandale et quel trouble, si quelques jours après les noces, ou bien la veille de l'assassinat de l'Amiral, sinon le jour-même, survenait de Rome la défense formelle de célébrer le mariage !

Le 18, le jour même des épousailles, Charles IX ordonnait à Mandelot de ne laisser passer aucun courrier ny autre quel qu'il soit allant en Italie dans six jours à compter de la date de la présente — c'est-à-dire du 18 au 23 — sinon en vous faisant apparoir de passeport bien et duement expédié et signé de l'un de mes secrétaires d'État. Évidemment, c'était pour se réserver le soin d'annoncer le premier à Grégoire XIII, avec les ménagements nécessaires, qu'il s'était dispensé de la dispense.

Aussi le lendemain, 19, sans crainte d'être prévenue, Catherine écrivait au Pape sa ferme espérance que, connaissant la droite intention de son fils et d'elle, il ne prendré que de bonne part la solannisation dudist mariage, qu'ils avaient fêté pour ne se povoyr plus longuement diférer sans danger de plusieurs ynconvéniens[53].

Au moment de s'engager pour toujours, il semble que la résolution de Marguerite ait fléchi. Elle a beaucoup pleuré. Etait-ce le huguenot qui lui déplaisait ou l'homme ? Était-ce répulsion physique ou répugnance morale ? Mais le sort en était jeté. Le contrat de mariage, arrêté avec Jeanne d'Albret le 11 avril, fut quelque peu remanié, le futur époux étant devenu roi de Navarre, et signé le 17 août[54].

Dans les deux actes, le roi Charles IX donnait en dot à sa sœur 300.000 écus d'or soleil, qui faisaient au prix que de présent ils ont cours en France, à raison de cinquante quatre sols l'écu, la somme de 810.000 livres tournois. Et, ce pour tous droits successifs paternels et maternels, échus et à échoir, moiennant laquelle somme madite dame ne pourra prétendre, avoir ou demander autre chose quelconque es biens, hoirie et succession du feu roy Henri son père, ni à l'avenir à ceux de la Reine sa mère.

En faveur de ce mariage la Reine-mère ajoutait en don 200.000 livres tournois, et les ducs d'Anjou et d'Alençon chacun 25.000 livres tournois (50.000 livres).

Tous ces apports de la famille royale montant ensemble à 1.600.000 livres tournois étaient constitués en rentes sur l'Hôtel de Ville de Paris, qui, on le sait, était chargé de payer les arrérages de la Dette d'Etat, moyennant la perception de taxes et de droits équivalents. En l'espèce, la dot de 300.000 écus, qui au denier douze (8,3333... %) rapportait un intérêt annuel de 67.500 l. t., devait être assignée au compte de l'Hôtel de Ville sur certaines recettes générales, mesmes (spécialement) celles de Guienne, Poitou et Auvergne.

Mais le contrat du 17 août augmentait le douaire de la future reine de Navarre. Pour lui donner meilleur moyen de maintenir son Etat, son mari lui délaissait la jouissance libre des fruits, profits et revenu du comté de Marle et chatellenie de La Fère, chatellenie de Han (Ham), Somme-Somme, Bohaim, Beaurevoir et généralement de toutes les autres terres et seigneuries qu'il a en Picardie avec la disposition des offices et bénéfices.

Jeanne d'Albret, s'engageant pour elle et son fils, s'était réservé le droit de donner à Marguerite des bagues et joyaux de telle qualité et pour le prix qu'il leur plaira. Mais le roi de Navarre, sa mère disparue, attribuait à sa femme 30.000 écus de bagues et joyaux, et, outre ce, l'anneau des épousailles où est enchâssé un diamant de la valeur de 10.000 écus, en somme 108.000 livres de bijoux[55], une somme considérable pour l'époque.

Ce jour-là, le jour du contrat, le cardinal de Bourbon, en rochet, fiança au Louvre le roi de Navarre et Marguerite de Valois, et le lendemain, il les maria solennellement à l'entrée de Notre-Dame, selon le compromis arrêté entre les deux mères. Le palais de l'Evêché, d'où partit le cortège nuptial, était situé au sud de la Cathédrale avec laquelle, il communiquait par une galerie à deux étages (sacristie au rez-de-chaussée et salle du Trésor au premier). Mais ce n'est pas par ce chemin couvert que les mariés et la Cour passèrent. Il était d'usage de faire sa part au peuple de Paris dans le spectacle de ces solennités, et il l'eut cette fois d'autant plus grande que la consécration fut donnée, vu la différence de religion des époux, non à l'intérieur de l'église, mais en plein ciel, devant le grand portail. Marguerite décrit le défilé en quelques phrases glorieuses où ses sentiments n'apparaissent pas : Nos noces se firent... avec autant de triomphe et de magnificence que de nul autre de ma qualité ; le roy de Navarre et sa troupe y ayans laissé et changé le dueil en habits très-riches et beaux, et toute la Cour parée... moy habillée à la royalle avec la couronne et couet d'hermine mouchetée, qui se met au-devant du corps, toute brillante de pierreries de la couronne, et le grand manteau bleu à quatre aulnes de queue portée par trois princesses ; les eschaffaux dressés à la coustume des nopces des filles de France, depuis l'évesché jusques à Nostre-Dame, tendus et parez de drap d'or ; le peuple s'estouffant en bas à regarder passer sur cest eschaffaut les nopces et toute la Cour, nous vinsmes à la porte de l'église où M. le cardinal de Bourbon y faisoit l'office ce jour-là, où nous ayant reseu pour dire les paroles accoustumées en tel cas, nous passasmes sur le mesure eschaffaut jusques à la tribune qui sépare la nef d'avec le chœur, où il se trouva deux degrez l'un pour descendre audit chœur, l'autre pour sortir par la nef hors de l'église, Le roy de Navarre s'en allant par celuy de la nef hors de l'église, nous[56]....

Elle s'arrête là, comme s'il lui était pénible de raconter qu'elle entendit seule la messe pendant que son mari se promenait dans le cloître et faisait le tour de Notre-Dame, en attendant la fin de la cérémonie religieuse.

En son embarras elle insiste sur l'appareil des noces, la grandeur et la beauté de la Cour, l'affluence des spectateurs, et son premier jour de royauté, et elle répète plusieurs fois le mot de triomphe, comme pour se consoler, par tout ce rappel de magnificence, de la tristesse et du douloureux avenir de cette union mal assortie.

Elle laisse aux procès-verbaux du temps le soin de consigner qu'après la messe le roi de Navarre était venu l'embrasser et l'avait reconduite à l'évêché où ils dînèrent ensemble.

C'est aussi aux scribes officiels et aux témoins contemporains, et non à Marguerite qu'il faut demander le récit des réjouissances, où sa gloire n'était pas directement intéressée[57]. Elle cache que les ambassadeurs des puissances catholiques ne parurent pas à la cérémonie et elle passe sous silence le banquet du soir en la grand'salle du Palais (de Justice), où le Roi festoya les Princes et Princesses, ses Courts de Parlement, des Aydes, Chambres des Comptes et des Monnayes et qui fût suivi d'un bal et d'une mascarade caractéristique. N'était-ce pas un hommage à l'Amiral que ce défilé de dix chariots figurant ou des rochers et des écueils, couverts de coquilles et d'une infinité de petits animaux de mer, ou des lions marins argentés, ou un grand cheval marin tout doré, et qui portaient des musiciens, des dieux marins et les premières personnes de France. Ici, seul, ce chantre tant renommé Estienne Le Roy faisoit retentir toute la salle de sa voix harmonieuse, là, sur le grand cheval marin, Neptune, roy de la mer, avec son trident guidait les autres dieux ses sujets. Près de lui trônait le roi de France. Ailleurs dans les autres chariots défilaient les frères du Roi, le roi de Navarre, le prince de Condé, le prince-dauphin (fils du duc de Montpensier), le duc de Guise et le chevalier d'Angoulême (Henri de Valois) avec quelques dames et princesses[58].

Le lendemain, comme on se leva tard, il ne se trouva de temps que pour le dîner à trois heures de l'après-midi, qui fut donné par le roi de Navarre à l'Hôtel d'Anjou, et après dîner pour le bal, au Louvre, jusqu'au soir[59].

Après ce jour de demi-repos, ce fut le mercredi, dans le vieux palais qu'un Bourbon avait construit au XIVe siècle et que l'agrandissement du Louvre sous Louis XIV absorba, la célébration des jeux préparés de longtemps. En la grande salle de Bourbon était, à main droite, le Paradis, et derrière lui les Champs Élisées, à savoir un jardin embelli de verdure et de toutes sortes de fleurs ; et le ciel empyrée qui estoit une grande roue avec les douze signes [du zodiaque], sept planettes et une infinité de petites estoilles faites à jour, rendans une grande lueur et clarté par le moyen des lampes et flambeaux qui estoyent artificiellement accommodez par derrière. Ceste rouë estoit en continuel mouvement, faisant aussi tourner ce jardin, dans lequel estoyent douze nymphes fort richement acoustrées.

L'enfer séparé du Paradis par une rivière dont Caron, l'antique nautonier, assurait le passage, était animé par grand nombre de diables et petits diabloteaux, faisans infinies singeries et tintamarres avec une grande roue tournant dans ledit enfer, toute environnée de clochettes.

Charles IX et ses deux frères en armes barraient l'entrée du Paradis aux chevaliers errants qui voulaient aller quérir les nymphes des Champs Elysées et, à coups de pique et de coutelas, ils les repoussaient vers l'Enfer, où les diablotins survenant les traînaient et les enfermèrent tous.

Aussitôt la prison close, descendirent du ciel Mercure et Cupido, portez par un coq. Mercure, c'était encore Etienne Le Roy, qui chanta mélodieusement, harangua les trois vainqueurs, et remonta au ciel sur son coq en chantant.

Un ballet aux figures diverses suivit, dansé au milieu de la salle par les douze nymphes de l'Elysée, et dura plus d'une grosse heure. Puis les chevaliers, libérés de l'enfer, en vinrent aux mains. La salle estoit toute ouverte d'esclats de piques et voyoit-on le feu sortir de tous costez des harnois. En dernier jeu, on enflamma des traînées de poudre qui estoyent autour d'une fontaine dressée quasi au milieu de la salle, d'où s'éleva un bruit et une fumée qui fit retirer chascun. Un congé brutal, comme on voit, et conforme aux mœurs grossières du temps.

Le jeudi 21, carrousel et parade. Des lices avaient été dressées dans le Louvre pour courir la bague devant les dames assises sur un échafaud. Là se présentèrent plusieurs troupes entre autres le Roy et son frère, vestus en Amazones ; le roy de Navarre et sa troupe vestus à la turque de grandes robbes de drap d'or et le turban en teste ; le prince de Condé et le jeune La Rochefoucaut vestus à l'estradiotte, avec robbes de drap d'or ; le duc de Guise et le chevalier d'Angoulesme aussi vestus en Amazones. Toutes leurs troupes et plusieurs autres richement acoustrées se présentèrent sur la lice ; mais parce qu'il estoit tard on ne courut que deux ou trois coups, et fut (disoit-on) la partie remise au lendemain[60].

Banquets, bals, musique et chant, joutes courtoises, défilés et mascarades, entremêlement de survivances chevaleresques, de souvenirs païens et d'inspirations chrétiennes, le tout relevé par les artifices du machinisme, qui aurait pu penser que ce fût l'annonce de sanglantes journées ? Et en effet les protestants n'y pensèrent qu'après. Lors de la cérémonie du mariage, Coligny, montrant à Montmorency-Damville aux voûtes de Notre-Dame les drapeaux conquis sur ses coreligionnaires à Jarnac et à Moncontour, déclara : Bientôt ils seront remplacés, par d'autres plus agréables à voir. Il se disposait à marcher lui-même en Flandre pour venger la défaite de Genlis, dégager Mons et pousser à fond l'attaque contre les Espagnols. Il ne doutait pas de Charles IX. Mais Maurevert le guettait. Entré secrètement le 21 au soir à Paris, l'assassin avait été conduit par Chailly, surintendant des affaires du duc de Guise, et caché dans le logis ordinaire de l'ancien précepteur du duc, Villemur, à cent pas du Louvre. Le lendemain, posté à une fenêtre que masquait un rideau, il attendit, l'arquebuse prête, et quand l'Amiral sortit du château, où il était allé assister au conseil entre neuf et dix heures, il tira, et d'une balle lui coupa l'index de la main droite et lui brisa le bras gauche. Impassible, le blessé désigna la maison d'où le coup était parti. Quelques gentilshommes de sa suite y coururent et trouvèrent l'arquebuse encore fumante ; l'arquebusier avait disparu.

Le Roi jouait à la paume quand la première nouvelle lui survint. Il pâlit de colère, jeta sa raquette et, sans mot dire, s'éloigna. Catherine écouta, calme et muette, le récit de l'attentat et, emmenant le duc d'Anjou, se retira dans sa chambre. Elle se croyait si sûre de l'adresse du meurtrier qu'elle n'avait prévu que le cas de mort et le désarroi d'un parti privé soudain de son chef. Mais l'événement trompait son calcul. La recherche des coupables que, l'Amiral vivant, on ne pouvait éviter, risquait de la mettre elle-même en cause.

L'enquête ouverte par les commissaires du Parlement avait révélé le rôle de Chailly, ce serviteur des Guise. La lumière parut se faire. Le crime était une vendetta. Le jeune Duc avait voulu frapper celui qu'il regardait — à tort, mais de bonne foi — comme l'instigateur du meurtre de son père.

Charles IX, furieux de ce crime commis pendant les fêtes du mariage, aux abords du Louvre, presque sous ses yeux, jura d'en faire justice. Et si M. de Guise, affirme Marguerite, ne se fust tenu caché tout ce jour-là, le Roy l'eust faict prendre[61]. L'agitation s'étendit et redoubla. Paris, passionnément catholique, était partagé entre la joie et la crainte. Les capitaines et les gentilshommes huguenots, venus nombreux à la Cour pour les réjouissances des noces et l'entreprise des Pays-Bas, manifestaient leur indignation. Les plus ardents passaient, dit Tavannes, à grandes troupes cuiracez devant le logis de MM. de Guise et d'Aumale. Ils usoient, ajoute Brantôme, de paroles et menaces par trop insolentes, qu'ils frapperoient, qu'ils tueroient. L'un d'eux, Pardaillan, gentilhomme gascon, le samedi 23 au souper de la Reine-mère, s'emporta jusqu'à déclarer qu'ils se feraient justice si on ne la leur faisait pas. Catherine prit peur. Elle avait lieu de craindre une bataille en pleine ville entre les Guisards et les huguenots, et, avec plus de raison encore, si Guise pour se disculper la dénonçait comme sa complice, l'exode de tous les chefs protestants et la reprise de la guerre civile, sous un chef implacable, sans paix possible, après un pareil manque de foi. L'idée lui vint alors, ou lui fut suggérée, de se sauver elle-même et l'Etat, en faisant massacrer tous les gens d'épée qu'elle avait sous la main. Elle convainquit facilement le duc d'Anjou et le duc de Guise. Elle s'assura du maréchal de Tavannes, du duc de Nevers, du garde des sceaux, Birague, cruels par fanatisme ou par politique. Le concours des Parisiens n'était pas douteux. Mais il lui fallait un ordre du Roi. Quelque experte qu'elle fût à manier cette nature violente et faible, et capable des plus brusques revirements, elle doutait de pouvoir l'entraîner à condamner à mort ces capitaines et ces gentilshommes dont il avait agréé les services et embrassé la vengeance. Elle lui envoya Albert de Gondi, son ancien gouverneur, de qui elle sçavoit qu'il le prendroit mieux que de tout autre, comme celuy qui luy estoit plus confident et plus favorisé de luy. Gondi, se faisant de sa franchise une force, se dit comme son serviteur très fidelle obligé de lui avouer que le duc de Guise n'avait pas seul tramé l'assassinat de l'Amiral et que sa mère et le duc d'Anjou étaient de la partie. Mais le malheur avoit voulu que Maurevert avoit failli son coup, et, ajoutait-il perfidement, les huguenots en estoient entrez en tel désespoir que ne s'en prenant pas seulement à M. de Guise, mais à la Royne sa mère et au duc d'Anjou son frère, ils croyoient aussi que le roy Charles mesme en fust consentant et [ils] avoient résolu de recourir aux armes la nuict mesme. Au Roi, affolé par cette confidence, tiraillé entre les protestations de son honneur, son amour filial et la peur d'une nouvelle guerre civile, sinon d'une attaque cette nuit même contre le Louvre, le mensonge de Gondi ne laissait entrevoir d'autre solution que le massacre des anciens rebelles alors à Paris. Réussit-il à le convaincre ou simplement à l'ébranler ? Catherine dût-elle intervenir à son tour pour arracher à ses rancunes et à ses craintes l'ordre de mort ? Marguerite raconte, comme le lui ayant depuis ouy dire à luy-mesme qu'il y eust beaucoup de peine à l'y faire consentir ; et sans ce qu'on luy fit entendre qu'il y alloit de sa vie et de son estat, [qu'] il ne l'eust jamais fait[62]. — Tard dans la nuit du samedi au dimanche, les préparatifs de l'exécution furent arrêtés, les soldats réunis, le prévôt des marchands et les échevins prévenus de mobiliser les milices bourgeoises, de tendre les chaînes des rues, de garder la Seine et les portes.

Le récit de Marguerite, dont les historiens ne font pas assez de cas, est le témoignage d'une spectatrice placée au centre de l'affreuse trame. Il est exact malgré ses lacunes, et, sans le vouloir, permet de préciser les responsabilités. D'un plan d'extermination des protestants délibéré à l'entrevue de Bayonne avec la Cour d'Espagne, ou avant ou depuis, il ne dit rien et pour cause. Marguerite savait que son mariage, inspiré à sa mère par des calculs politiques et des déceptions matrimoniales, n'avait pas été un piège tendu aux chefs protestants pour les attirer à Paris et les exterminer tous. La fortune, dit-elle, qui ne laisse jamais une felicité entière aux humains, changea bientost cet heureux estat de mes nopces et triomphe en un tout contraire, par ceste blessure de l'Amiral, qui offença tellement tous ceux de la religion que cela les mist en un dernier désespoir.

L'assassinat de Coligny était depuis deux mois décidé. La Reine-mère n'avait jamais oublié le meurtre de Charry, ce mestre de camp, qui du temps de sa régence, où le royaume était parti en deux factions contraires, aussi factieuses l'une que l'autre, guisards et huguenots, n'avait voulu dépendre que d'elle seule et se dévouer uniquement à sa personne. Elle avait fait le serment, comme le Roi le savait bien, de venger ce brave et loyal serviteur, que le guidon (porte-enseigne) de l'Amiral, Chastellier-Portaut, avait le 1er janvier 1564 traîtreusement assassiné, sur celui qu'elle croyait l'instigateur de l'assassinat, l'Amiral. Elle était naturellement rancunière, et, quand l'intérêt de ses enfants ou son propre intérêt ne s'y opposait pas, vindicative. Or, en cette circonstance la raison d'Etat parlait aussi clair que le ressentiment. Le boutefeu de toutes les révoltes poussait son fils à une périlleuse aventure, au risque ou plutôt dans l'espérance d'un conflit avec la première puissance militaire de la chrétienté. C'était une peste qu'il fallait ôter pour le bien du royaume.

Mais Catherine n'avait point prémédité un plus grand crime. Ce sont les bravades et les menaces des gentilshommes huguenots, qui l'ont déterminée à les englober tous dans la ruine de l'Amiral. Le cri de colère de Pardaillan qui redoubla sa peur des représailles et d'une nouvelle guerre civile, précipita sans doute les résolutions sanglantes. Mais que Catherine ait pu croire dans son effroi et qu'à la réflexion Marguerite continuât de croire que les huguenots complotaient, si l'on n'avait prévenu leur dessein, d'assaillir le Roi la nuit même, dans son château du Louvre, au milieu de ses gardes et de ses gentilshommes, en plein Paris fanatique, voilà qui donne la mesure de la crédulité humaine.

L'un des traits caractéristiques de ce récit, c'est le rôle de premier plan que la narratrice attribue â Albert de Gondi, créature de Catherine et favori de Charles IX.

Il avait dix-huit ans de plus que le Roi, qui avait en lui plus de confiance qu'en nul autre confident. Fils d'un Florentin établi à Lyon, commerçant, puis conseiller de ville, et d'une Lyonnaise, Catherine de Pierre-Vive, il tenait de ses deux patries ; à la fois souple et fin, avisé et prudent. Il était habile, il était heureux ; il conduisit des négociations difficiles avec succès ; il s'éleva sans effort apparent au sommet des honneurs et de la fortune : baron de Retz par son mariage avec l'une des plus savantes dames de la Cour, jolie à ravir et à qui il ne reprocha jamais d'être galante, puis duc et pair par la grâce du loi, et maréchal de France sans avoir commandé une armée, sa grandeur n'excita pas l'envie et ne parut scandaleuse qu'aux pamphlétaires, tant il mettait de bonne grâce à s'effacer. Il fonda une illustre maison dont le rôle exubérant du cardinal de Retz, si contraire à la discrétion familiale, marque l'apogée et annonce la ruine. C'est à cette Excellence grise que Catherine de Médicis confia le soin de faire agréer à son fils un massacre pour prévenir les conséquences d'un assassinat.

Marguerite n'avait aucune raison d'en vouloir aux Gondi ; elle parle de la Duchesse comme d'un subject divin et de l'amitié qui les unit depuis comme parfaite et qui dure encore et durera toujours. Le discours qu'elle prête à Gondi est celui d'un politique impitoyable qui écarte de parti pris toute considération d'honneur et d'humanité et ne tient compte que des intérêts du Roi et du royaume. Mais elle ne croit pas le calomnier, puisqu'elle le représente comme le porte-parole de la Reine-mère et qu'elle-même, si mal à propos que soit survenue la Saint-Barthélemy, estime la saignée juste et nécessaire.

Et cependant quand les Mémoires de la Reine parurent, en 1628, avec un tel succès qu'on les réédita plusieurs fois les années suivantes, les descendants du duc de Retz, mort en 16o2, se sentirent atteints. Les temps et les sentiments ayant changé, ils ne se souciaient pas qu'après l'Édit de Nantes et sous le ministère de Richelieu, leur ancêtre passât pour l'inspirateur d'une odieuse tuerie. Aussi n'est-ce pas sans doute par un pur hasard qu'en 1631 Jean-Baptiste Matthieu inséra dans l'Histoire de France de son père, Pierre Matthieu, qu'il éditait, un Discours du Roy Henri Troisième à un personnaige d'honneur et de qualité estant près de Sa Majesté des causes et motifs de la Saint-Barthélemy[63].

Ce serait à Cracovie, pendant une nuit d'insomnie et d'agitations, en février 1574, qu'Henri d'Anjou, roi de Pologne et qui fut depuis roi de France, aurait fait appeler son médecin Miron pour dégager sa responsabilité. Mais au vrai cette prétendue confession ne vise qu'à innocenter Gondi.

Après que Maurevert eut failli son coup, Catherine et le duc d'Anjou, inquiets des conséquences, proposèrent au Roi d'en finir avec l'Amiral auteur de toutes les guerres civiles, et qui, pour se venger, méditait d'en susciter une autre avec l'aide de 20.000 Allemands ou Suisses. Charles, à qui sa mère et son frère se révélaient complices de l'assassinat, entra d'abord en une extrême cholère et comme en fureur défendit qu'on touchât au blessé. Mais enfin ému par le danger des siens et de l'Etat, il réunit un Conseil qui conclut à la mort de Coligny, à l'unanimité, moins une voix, celle du maréchal de Retz.

Seul, en effet, ce grand ennemi de l'Amiral représenta si fortement la honte et les suites de pareille perfidie et desloyauté que les partisans du meurtre ne surent d'abord que répondre. Mais ils eurent un auxiliaire qu'ils n'avaient pas prévu, le Roi, qui par une soudaine mutation et une merveilleuse et estrange métamorphose embrassa leur avis, passant bien plus outre et plus criminellement. Il se leva et dict de fureur et de cholère en jurant par la m... (Mort-Dieu) que puisque la Reine-mère et son frère trouvaient bon qu'on tuast l'Amiral, qu'il le vouloit, mais aussy tous les huguenots de la France, afin qu'il n'en demeurast pas un qui luy peust reprocher par après et là-dessus il commanda d'y donner ordre promptement.

Ainsi le discours dit d'Henri III et le récit de Marguerite attribuent l'un et l'autre à Gondi un rôle de premier plan, mais ils lui prêtent les thèses les plus opposées. Les Mémoires le présentent comme l'avocat du massacre ; le Discours, comme celui de l'humanité.

Mais contre ce document apocryphe, dont on ne connaît pas de manuscrit antérieur à 163o environ, s'unissent tous les témoignages authentiques : Brantôme et de Thou accusent Gondi ; Tavannes ne le disculpe pas. L'Estoile, lors de la mort de celui qu'il appelle le dernier des auteurs de la Saint-Barthélemy, adore la miséricorde divine qui, le soumettant à l'épreuve d'une longue et cruelle maladie, lui a laissé le temps de se repentir et d'expier son crime.

Non, Gondi n'a pas été le conseiller humain que rapporte le Discours. Son apologie est un faux inspiré par des préoccupations familiales ; elle paraît pour la première fois dans une Histoire de France, que Pierre Matthieu, historiographe, avait préparée et que son fils Jean-Baptiste publia en 1631, trois ans après l'apparition des Mémoires. L'Histoire et le Discours qui est inséré dans l'Histoire se contredisent, l'Histoire affirmant que Charles IX a imaginé de marier sa sœur au prince de Navarre pour attirer les huguenots à Paris et les exterminer ; le Discours repoussant l'idée de préméditation et déclarant qu'on eut beaucoup de peine à faire consentir Charles IX à la récidive d'assassinat contre l'Amiral, qu'en un accès de fureur il transforma en massacre de tous les protestants. Pierre Matthieu, si léger qu'on le suppose, n'aurait pas, sans prévenir, accueilli et adopté un document d'origine royale qui ruinait sa thèse de la préméditation[64]. Mais son fils, Jean-Baptiste Matthieu, qui n'était que l'éditeur de l'œuvre paternelle, ne pouvait avoir mêmes scrupules. Le plaidoyer en faveur de Gondi, ressemble tellement au style des Matthieu qu'on peut le croire de leur fabrique, en l'espèce de celle de Jean-Baptiste que la contradiction ne touchait pas personnellement. Pierre Matthieu, né en Franche-Comté et mort en Languedoc a vécu longtemps à Lyon, la première étape des Gondi de Florence à la Cour de France ; il fut l'avocat de la ville et l'organisateur des grandes fêtes qu'elle donna lors de l'entrée d'Henri IV et de Marie de Médicis. Son fils, né d'une Florentine, avait encore plus de raisons que Pierre de servir les Gondi, ces Florentins de Lyon. C'est lui vraisemblablement qui a consenti à glisser dans l'Histoire de France un plaidoyer pour Albert de Gondi et peut-être l'a-t-il rédigé lui-même[65].

C'est à l'intérieur du Louvre que Marguerite a vu la Saint-Barthélemy. Des sentiments de la famille royale en cette veillée funèbre, que saurait-on sans elle ? Les deux jours précédents elle remarqua tout le monde en action, les huguenots désesperez de cette blessure (de Coligny) ; Messieurs de Guise craignans qu'on n'en voulust faire justice, se suschetans (chuchotant) tous à l'oreille. Mais on ne lui disait rien, les huguenots la tenant pour suspecte comme catholique ; et les catholiques, comme épouse d'un huguenot. Le samedi soir, même aparté. La Reine-mère, qui parloit à quelques-uns, l'aperçut, assise sur un coffre auprès de sa sœur, Claude de Valois, duchesse de Lorraine, et lui commanda de s'aller coucher. Comme elle lui faisait la révérence, sa sœur la prit par le bras et tout en pleurs voulut l'empêcher de sortir, ce qui l'effraya, dit-elle, extrêmement. Catherine en colère appela la Duchesse. Marguerite n'entendait rien de ce qu'elles se dirent, mais l'ordre impérieux qui lui fut réitéré par sa mère de rentrer chez elle et les larmes de sa sœur en lui disant adieu lui firent peur d'un danger qu'elle ne pouvait imaginer. Arrivée dans son cabinet, elle se mit à prier Dieu de la prendre en sa protection et de la garder sans savoir de quoy ni de quy. Autour du lit où son mari l'attendait couché, elle trouva trente ou quarante huguenots — des inconnus — qui toute la nuit ne firent que parler de l'accident advenu à l'Amiral, se resolvans dès qu'il seroit jour de demander justice au Roy de Monsieur de Guyze, et si on ne la leur faisoit de se la faire eux-mesmes. Elle, qui avait dans le cœur les larmes de Claude, ne put dormir pour l'appréhension en quoy elle l'avoit mise sans sçavoir de quoy. La nuit se passa sans fermer l'œil. A l'aube le roi de Navarre se leva, pour aller jouer à la paume, en attendant le réveil du roi Charles, résolu soudain lui aussi à demander justice. Il sortit, suivi de tous ses gentilshommes, et Marguerite, vaincue de sommeil, dit à sa nourrice de fermer la porte afin de pouvoir dormir à l'aise. Mais son repos fut court. Une heure après, elle fut éveillée par des coups qui ébranlaient la porte et les cris de : Navarre, Navarre. La nourrice, pensant que ce fût le Roi, alla ouvrir vitement. Un homme blessé et poursuivi de quatre archers se précipita dans la chambre, courut au lit, saisit, pour se garantir, la Reine à travers corps et roula, la tenant toujours, dans la ruelle où de frayeur elle s'était jetée. Heureusement Nançay, capitaine des gardes, survint, qui renvoya les archers et lui donna la vie de ce pauvre suppliant.

Vingt-sept ou vingt-huit ans après, lors de la rédaction de ses Mémoires, elle n'a pas un mot de blâme contre sa mère et son frère, qui ont fait tuer de sang-froid, et jusque dans leur maison du Louvre, des milliers de seigneurs et de capitaines, venus à Paris pour une fête de réconciliation, et dont la plupart s'y étaient arrêtés avant d'aller conquérir les Flandres au Roi, leur hôte. Elle note avec soin le mystère troublant où on la laissa en cette veille du massacre, et l'insomnie de la nuit dont elle fait un reproche au bavardage intempestif de tous ces justiciers. Si elle a crié d'effroi quand le vicomte de Leran, tout sanglant d'un coup d'arquebuse et d'un coup d'épée, l'enlaçait et la tenait serrée dans sa chute, elle laisse entendre qu'elle a pu craindre une violence. Ce n'est pas sa pitié qui s'émeut à ce souvenir, mais sa vanité de femme convoitée. Enfin Dieu voulust que M. de Nançay, capitaine des gardes, y vint qui me trouvant en cet estat, encores qu'il y eut de la compassion, ne se peust tenir de rire.... Elle ne manque pas de bonté ; elle sauve et fait soigner ce pauvre homme. Dans l'antichambre de sa sœur chez qui Nançay la conduit, elle voit les archers poursuivre et percer d'un coup de hallebarde un gentilhomme à trois pas d'elle, et elle tombe presque évanouie, comme si ce coup nous eut percez tous deux. A peine remise de toutes ces émotions, elle va se jeter aux genoux de la Reine-mère et de Charles IX pour en obtenir la vie d'Henri d'Albret, baron de Miossans, premier gentilhomme, et d'Armagnac, premier valet de chambre de son mari. Elle s'émeut des violences qu'elle voit et s'attendrit aux plaintes qu'elle entend. Mais c'est un pur mouvement de sensibilité physique qui dure autant que son objet, la vue du sang ou la prière du suppliant. Elle n'a pas cette sorte de sensibilité supérieure, d'ordre intellectuel et moral, qu'inspire la répulsion du crime, et tel est le mépris de la vie humaine à cette époque et le préjugé du pouvoir absolu des rois qu'elle parle de l'horrible tuerie comme d'un contretemps imaginé par la fortune jalouse pour gâter le triomphe de ces noces et le repos de sa nuit.

C'est à peine si dans le récit il est question de son mari. Les omissions qu'on peut croire intentionnelles méritent qu'on s'y arrête. Quand les chefs huguenots débattirent après le coup d'arquebuse, s'ils sortiraient de Paris, emmenant leur chef blessé loin d'une Cour perfide, le roi de Navarre fut, avec Condé et le gendre de l'Amiral, Téligny, de ceux qui firent rejeter le projet d'exode comme un défi à la sincérité et à l'esprit de justice du Roi[66]. Rappeler cette intervention et le succès qu'elle eut, c'était convaincre de mensonge Boyancourt, sieur de Bouchavannes, qui, présent à ce Conseil, alla dénoncer à Catherine la fuite de ses coreligionnaires et la reprise imminente des hostilités. Marguerite ne parle que de Pardaillan dont les menaces épouvantèrent Catherine ; elle ignore même Bouchavannes, pour n'avoir pas à le démentir et à reconnaître la volonté de confiance des principaux chefs huguenots. Il y a bien du calcul dans sa discrétion. Elle apprend par Nançay, que son mari est dans la chambre du Roy et qu'il n'auroit pas de mal[67]. Mais elle ne dit pas à quelles conditions il obtint la vie. Et en effet il eût été fâcheux de rappeler qu'il avait inauguré, ce jour-lâ, sous l'impression de la peur, ces changements de religion, qui se répétèrent. Aussi perd-elle l'occasion de signaler un des traits de son caractère, la déférence qu'il ne cessa pas de montrer aux rois, comme s'il devinait qu'il serait un jour l'héritier présomptif de la couronne de France, et non plus le chef du parti protestant. Quand Charles IX les somma, lui et le prince de Condé, de se convertir, il supplia le Roi, son souverain seigneur, de ménager sa conscience, jurant qu'en tout le reste il lui obéirait fidèlement et donnerait sa vie pour lui. Condé au contraire répliqua aux menaces par le rappel des promesses et fit honte au tyran de son manque de foi[68]. Les deux Bourbons finirent d'ailleurs par abjurer.

Aussi bien est-on surpris qu'après avoir représenté la Saint-Barthélemy comme une opération de police un peu rude, mais nécessaire, contre les ennemis du Roi et du royaume, elle conclut sans explication : Cinq ou six jours après, ceux qui avoient commencé cette partie, cognoissans qu'ils avoient failly à leur principal dessein, n'en voulant point tant aux huguenots qu'aux princes du sang, portoient impatiemment que le Roy mon mary et le prince de Condé fussent demeurez. Et congnoissant qu'estant mon mary, que nul ne voudroit attenter contre luy, ils ourdissent une autre trame ; ils vont persuader à la Royne ma mère qu'il me falloit desmarier[69].

Elle n'ose pas aller jusqu'à prétendre, comme Brantôme l'ouït dire à une princesse[70], qu'elle avait obtenu à force de prières du roi Charles la vie de son mari, mais elle voudrait faire croire qu'elle la lui a sauvée autrement. On aimerait à savoir d'une façon précise qui étaient ces ennemis mortels des princes du sang, Tavannes affirme que, dans le Conseil où fut dressée la liste de proscription, le Maréchal, son père, soutint seul et fit prévaloir l'avis d'épargner Navarre et Condé[71]. Mais il est trompé par sa mémoire ou enclin par piété filiale à revendiquer pour l'un des siens et à reprocher à Henri IV-le grand service dont il ne paraissait pas se souvenir. Quant à Catherine, outre le respect qu'elle avait pour le sang royal, elle aurait trouvé impolitique de fortifier la situation des Guise en affaiblissant les Bourbons. Elle s'irritait que ces cadets de Lorraine essayassent à Rome et dans la chrétienté de s'attribuer le mérite de la Saint-Barthélemy[72]. Son vieil ami, le cardinal de Bourbon, et le duc de Montpensier étaient deux bons catholiques, mais qui lui en auraient voulu d'avoir sacrifié les chefs de leur maison. Gondi, Birague et Morvilliers étaient ses créatures et pensaient comme elle. Le duc de Nevers avait intérêt à sauver Condé, qui avait épousé sa belle-sœur, Marie de Clèves. De Thou est certainement dans le vrai quand il raconte que le Conseil décida de laisser la vie au roi de Navarre à l'unanimité, et, sur la proposition de Nevers, au prince de Condé[73].

Il n'y a guère que le duc d'Anjou et Guise qui aient pu regretter ces mesures d'indulgence. Marguerite semble le laisser entendre quand elle les accuse seuls, oublieuse du rôle de Catherine et de Gondi, d'avoir inspiré la résolution de prévenir les huguenots[74]. Guise pensait peut-être hériter de la reine de Navarre, et le duc d'Anjou, de la princesse de Condé, dont il était éperdument épris. Les deux Bourbons sauvés, il ne restait que la ressource du divorce. Est-ce à la prière du plus cher de ses fils et afin de créer un précédent, ou pour récompenser le zèle de Guise par le témoignage de ses bonnes intentions, que la Reine-mère demanda cinq ou six jours après la Saint-Barthélemy à sa fille sous serment si son gendre était homme. Marguerite, qui jusque là, affirme-t-elle, n'avait pas été à même de faire des comparaisons, la supplia de croire qu'elle ne se connaissait pas en ce point ? Mais quoy que ce fust — c'est-à-dire de ce mariage consommé ou non — puisqu'elle m'y avoit mise, j'y voulois demeurer. Elle suppose que n'osant s'attaquer à son mari, tant qu'il serait son mari, on voulait le séparer d'elle pour lui faire un mauvais tour. C'est alors, et non le jour même de la Saint-Barthélemy, qu'elle intervint pour son salut. La Reine-mère, probablement aussi surprise de l'ingénuité que du dévouement conjugal de sa fille, n'insista pas.

Marguerite avait bien le droit de se plaindre que Catherine l'eût considérée comme un simple enjeu politique. On avait voulu lui faire épouser, sans la consulter jamais, l'infant d'Espagne, un dément et un demi-homme, le roi de Portugal, qui détestait les femmes, l'archiduc Rodolphe, qui n'était sensible qu'à la beauté des astres, et enfin on l'avait donnée au roi de Navarre, qu'elle n'aimait pas pour beaucoup de raisons. Par obéissance de fille et de sujette, elle avait renoncé à Guise, qui était beau, qui était blond, élégant, brave soldat, bon catholique. Elle avait lieu d'espérer qu'une couronne royale l'indemniserait du sacrifice de ses sentiments. Peut-être s'était-elle flattée de s'attacher ce mari, qui était un peu plus jeune qu'elle, de le diriger, et, en le convertissant, de s'assurer dans l'Etat une situation hors de pair, et de reprendre ce rôle politique qu'elle s'était flattée déjà une fois de jouer avec le duc d'Anjou. La Saint-Barthélemy ruinait ses espérances de grandeur. Le roi de Navarre était catholique, il est vrai, mais que valait la dignité royale d'un prince humilié en sa conscience, privé de ses meilleurs compagnons, suspect à la Reine-mère, qui, vindicative elle-même, ne pouvait se le figurer qu'en vengeur ? Mais à une nature passionnée, qui fut la cause de tant de faiblesses, Marguerite joignait une hauteur d'orgueil, qui la rendait incapable d'une bassesse comme celle d'abandonner le roi de Navarre en sa détresse. Quels que fussent ses sentiments pour lui, elle le protégerait, l'assisterait, le défendrait contre ses ennemis. Elle montrerait à la Reine-mère et au duc d'Anjou, ce frère ingrat et traître, qu'elle n'était pas une âme de cire pétrissable à volonté. Reine de Navarre, on l'avait faite et contrainte d'être ; reine de Navarre, elle resterait.

 

 

 



[1] Rochambeau, p. 145. Palma Cayet, I, pp. 175-176. Lettres de Catherine, t. X, p. 540.

[2] Lettres, IV, p. 22.

[3] Lettres de Catherine, t. IV, notes, p. 22 et p. 23.

[4] Mariéjol, Histoire de France de Lavisse, t. VI, 1, p. 116.

[5] Lettres, août 1571, IV, p. 59.

[6] Lettres de Catherine, IV, p. 65, 7 août 1571.

[7] Lettres de Catherine, IV, p. 75.

[8] Lettres, IV, pp. 76-77, Introd., XXIX. Desjardins, Négociations, III, p. 715. Sur les démarches de Cosme de Médicis à Rome, Pallandri, p. 153.

[9] Baumgarten, p. 128. Jeanne d'Albret n'arriva que le 10 février à Tours.

[10] Con alcuni particolari ch'io porto, dei quali raggualiero nostro Signore a botta posso dire di non partimi affatto mal espedito. De cette phrase de la dépêche et aussi et surtout d'un propos du Roi au Légat rapporté par lui à un de ses secrétaires, et que celui-ci, devenu le pape Clément VIII, répéta vingt-sept ans après à l'abbé d'Ossat, notre agent à Rome, on a voulu induire que Charles IX méditait, à l'occasion du mariage, le massacre des protestants. Voir la réfutation péremptoire de Baumgarten, p. 130.

[11] Marquis de Rochambeau, p. 339.

[12] Rochambeau, pp. 338-339 et 341-342.

[13] Rochambeau, p. 348.

[14] Rochambeau, p. 340.

[15] Rochambeau, p. 342.

[16] Musée Condé, Chantilly, n° 370. Dimier, I, p. 89 et II, p. 119 (n° 464), mais la date de 1560 est une erreur pour 1570 ou mieux encore 1571.

[17] Ronsard, t. II, pp. 192-194.

[18] Rochambeau, p. 350.

[19] Rochambeau, p. 340.

[20] Rochambeau, p. 352.

[21] Bulletin de la Société de l'Histoire de France, t. II, p. 167 (1835).

[22] Marquis de Rochambeau, p. 343.

[23] Desjardins, t. III, pp. 757-58 et un écrit de l'évêque de Mâcon, Jean-Baptiste Alamanni, à Salviati, ibid., p. 763.

[24] Desjardins, p. 756.

[25] Rymer, Fœdera, t. VI, pars tertia et quaria, La Haye, 1741, p. 207.

[26] Rochambeau, p. 348.

[27] Rochambeau, pp. 352-353.

[28] Rochambeau, p. 351.

[29] Rochambeau, p. 353.

[30] Rochambeau, pp. 350-353.

[31] Rochambeau, p. 346.

[32] Rochambeau, p. 353.

[33] Walsingham, p. 211. La lettre où il raconte cette consultation est datée du 29 mars ; Baumgarten croit que cette réunion a eu lieu le 14.

[34] Rochambeau, p. 354.

[35] Walsingham, p. 212.

[36] Mariéjol, Catherine de Médicis, p. 186.

[37] Rochambeau, pp. 340 et 341.

[38] Rochambeau, p. 350.

[39] Baumgarten, p. 179, et la note avec les références.

[40] Baumgarten, p. 205.

[41] Palma Cayet, I, p. 174.

[42] Lettre de Jehanne d'Albret à Marie de Clèves, avril 1569, Rochambeau, p. 297.

[43] Scaligeriana, verbo roi de Navarre, p. 156.

[44] Rochambeau, pp. 341, 348.

[45] Hirschauer, pp. 80-81 et pour références voir les notes.

[46] Dépêche de Daguilon (9 avril 1572), chargé d'affaires espagnol à Paris depuis le départ de Francès de Alava (fin novembre 1571). Baumgarten, p. 14, Hirschauer, p. 83, note 2.

[47] Lettres de Catherine, t. IV, p. 901, 107, 3 juillet 1572.

[48] Lettres, t. IV, p. 111, note 1.

[49] Baumgarten, p. 145.

[50] Baumgarten, p. 223.

[51] Peut-être y eut-il une comédie à l'italienne, dont il fut dupe ou complice. Vingt-sept ans plus tard, lors de l'enquête de divorce, Jérôme de Gondi, introducteur des ambassadeurs, déclara qu'il avait vu le nonce Salviati, présenter à la Reine-mère un paquet fermé, où, disait Salviati, se trouvait la dispense de consanguinité. Personne n'eut la curiosité de l'ouvrir ; on le remit tel quel au cardinal de Bourbon. Et depuis il ne fut plus question de ce paquet ni de cette dispense. Procès, p. 389.

[52] Lettres, t. IV, p. 109, 14 août.

[53] Lettres, IV, 110. Le barrage de Lyon, comme on le voit, s'explique tout naturellement par les préoccupations de mariage et de dispense. Et cependant quelques historiens (par ex. Bordier, La Saint-Barthélemy et la critique moderne, pp. 85-86 et les notes) y ont vu une preuve de la préméditation de la Saint-Barthélemy. Le Roi et sa mère préparaient le massacre, et, pour s'assurer le secret, arrêtaient les nouvelles au passage. Mais que pouvait craindre Catherine du côté italien, sauf le refus de la dispense ? Et quel intérêt Charles IX aurait-il eu à cacher soigneusement au Pape son projet d'extermination des anciens rebelles. Pouvait-il supposer que Rome avertirait, même s'il lui en avait laissé le temps, les chefs huguenots. Des mesures contre les indiscrétions se comprendraient dans les ports de la Manche ou aux confins de l'Allemagne et de la Suisse, mais non ailleurs. La Cour de France aurait dû, pour le succès du dessein qu'on lui prête, ôter aux Etats protestants tout moyen d'information et de divulgation, et c'est avec les Etats catholiques au contraire qu'elle aurait à même fin rompu les relations. Quelle erreur de raisonnement et de critique !

[54] Le contrat du 11 avril, dans Mémoires de l'Estat de France, t. I, fol° 212 r° à 215 v° ; Celui du 17 août, dans Du Mont, t. V, partie I, pp. 215-217.

[55] En comptant l'écu à 54 sols.

[56] Guessard, p. 25-26. Cf. Mémoires d'Estat, t. I, p. 262 v°, 263 recto et verso. Trois récits du mariage dans Godefroy, Le Cérémonial français, 1649, t. I, pp. 45, 46, 47. Il y a de l'un à l'autre des différences de détail. Marcel Aubert, La Cathédrale Notre-Dame de Paris, 1909, pp. 16 et 17.

[57] Sur les fêtes qui suivirent, voir Mémoires de l'Estat de France, t. I, pp. 263-264, 268, 269.

[58] Mémoires de l'Estat de France, t. I, pp. 263 et 264.

[59] Mémoires de l'Estat de France, t. I, p. 265.

[60] Mémoires de l'Estat de France, f° 271, recto.

[61] Guessard, p. 28.

[62] Guessard, p. 27.

[63] Henri Bordier, La Saint-Barthélemy et la critique moderne, Genève et Paris, 1879, pp. 53-61.

[64] Sur la question d'authenticité, les manuscrits et l'insertion maladroite du Discours dans l'Histoire de France par les Matthieu, voir Bordier, toujours intéressant à consulter et si avisé quand ses préventions huguenotes ne l'égarent pas, pp. 53, 62, 67.

[65] Bordier, pp. 63-68.

[66] De Thou, VI, pp. 390-392.

[67] Guessard, p. 32.

[68] Desjardins, III, p. 824.

[69] Guessard, pp. 35-36.

[70] Brantôme, VIII, pp. 88-89.

[71] Mémoires de Tavannes, éd. Buchon, p. 434.

[72] Theiner, I, p. 332.

[73] De Thou, t. VI, p. 393.

[74] Guessard, p. 26.