CATHERINE DE MÉDICIS

 

CHAPITRE XI. — LA LIGUE ET LA LOI SALIQUE.

 

 

DEPUIS la mort sans héritier de François de Valois, duc d'Anjou (10 juin 1584), la question de la succession au trône était posée. Le seul fils survivant de Catherine, Henri III, n'avait pas d'enfant, ni, semblait-il, aucune chance d'en avoir jamais. Qui régnerait après lui ? La loi salique désignait le roi de Navarre, chef de la maison de Bourbon, qui, comme celle de Valois, remontait à saint Louis. S'il avait été catholique, ses droits auraient été, non seulement reconnus, mais acclamés. Il avait des qualités qui, de tout temps, en ce pays de France, ont été populaires : la bonne humeur un peu fanfaronne, l'esprit gaillard, la riposte prompte, et, depuis la prise de Cahors, un renom mérité d'héroïsme. Même les expériences de son cœur innombrable ne lui auraient pas nui. Mais il était hérétique et relaps. La nation catholique craignait que, devenu le maitre, il n'employât, selon le dogmatisme intransigeant de l'époque, tous les moyens en son pouvoir contre les ennemis de son Église. Et même à le supposer tolérant, elle ne jugeait pas qu'il pût être roi sans être oint de la sainte ampoule et couronné de la main des évêques.

Henri III avait à cœur de sauvegarder l'avenir du catholicisme, et d'autre part il se sentait lié par la loi de succession, en vertu de laquelle il régnait. Quand il sut que la fin de son frère était proche, il envoya un de ses deux principaux favoris, le duc d'Epernon, visiter le roi de Navarre a peut-être l'engager à se faire catholique. Mais il se garda bien de reconnaître publiquement ses droits. Rien ne pressait d'ailleurs. Agé seulement de trente-deux ans, ne pouvait-il pas espérer, même après dix ans de mariage, avoir un jour des enfants de sa femme ? En tout cas il attendrait patiemment le coup de la grâce ou de la politique qui déciderait le roi de Navarre à se convertir. Il aimait la paix et la jugeait nécessaire à son royaume. Les expéditions du duc d'Anjou aux Pays-Bas et la diversion de Catherine aux Açores avaient vidé le trésor. Ce n'était pas le moment de recommencer la guerre contre les protestants, et, pour une inquiétude, de mettre le royaume à feu et à sang.

Comme si ce n'était pas assez de ce désaccord avec ses sujets catholiques sur la question de succession, il continuait à braver l'opinion, entremêlant les débauches et les pénitences, les excès du carnaval et les retraites pieuses. Il donnait et dépensait sans compter. Il vivait toujours plus isolé dans le cercle fermé de ses affections. Joyeuse, aimable et doux, cherchait à plaire à tout le monde ; d'Epernon, dur et violent, avait une hauteur d'orgueil qui n'admettait pas de supériorité et une passion de commandement qui ne souffrait pas de résistance. Il ne connaissait que son maître et ne ménageait personne. Il narguait le peuple de Paris, qui lui rendait haine pour mépris. Il contrecarrait l'action de la Reine-mère et minait tant qu'il pouvait son crédit.

Cependant le parti catholique se préparait à la lutte. II voulait en finir le plus tôt possible avec le cauchemar d'une dynastie protestante ; il aiderait le Roi et au besoin le forcerait à exclure du trône le Béarnais. Il désignait pour héritier présomptif le cardinal de Bourbon, oncle germain du roi de Navarre, un vieux barbon de soixante-cinq ans à la tête légère, dont les droits passaient après ceux de son neveu, mais qui s'était laissé persuader sans peine que sa religion lui créerait un privilège.

Le véritable chef du parti était le duc de Guise, Henri, brave comme son père, François, et, comme lui, cher aux gens d'épée et au peuple de Paris. Ses frères, le cardinal de Guise et le duc de Mayenne, l'un grand seigneur d'Église et l'autre capitaine heureux, sinon habile ; ses cousins germains, les ducs d'Aumale et d'Elbeuf, l'aidaient de leurs charges et de leurs bénéfices à défendre la cause catholique étroitement liée à celle de leur maison. Il pouvait compter aussi sur un petit cousin de la branche lorraine de Vaudemont, le duc de Mercœur, frère de la Reine régnante, nommé par Henri III gouverneur de Bretagne et marié par lui à la riche héritière des Martigues-Luxembourg, mais grand catholique.

A la différence des Guise, ces cadets essaimés en France et qui y avaient fait une si éclatante fortune, le chef de la branche aînée de Lorraine, le duc régnant, Charles III, s'étudiait à montrer autant de déférence pour Henri III, son beau-frère, que de zèle pour le catholicisme. Des quatre filles qu'il avait eues de son mariage avec Claude de Valois, il avait confié l'aînée, Christine, à Catherine de Médicis, qui l'aimait et l'emmenait partout avec elle. Il se gardait bien, connaissant la susceptibilité du Roi, de poser son fils, le marquis de Pont-à-Mousson, en prétendant à la couronne. Il laissait ses brillants seconds mener l'attaque contre la loi salique, espérant peut-être, s'ils réussissaient à la faire abolir, que son fils, qui était du sang royal de France par sa femme, et par lui de la branche aînée de Lorraine, apparaîtrait au Roi et aux Guise en lutte comme un candidat de conciliation.

C'était à Nancy[1], sa capitale, mais non, il est vrai, dans le château ducal, que s'étaient réunis, quelques mois après la mort du duc d'Anjou (sept. 1584), Guise, Mayenne, le cardinal de Guise, le baron de Senecey, ancien président de la Chambre de la noblesse aux États de 1576, François de Roncherolles, sieur de Maineville, le principal agent du cardinal de Bourbon, et qu'ils avaient résolu de former une ligue et association naturelle des forces et moyens communs. Les grandes villes montraient même ardeur pour la défense de leur foi. Paris n'avait pas attendu l'appel des princes. Un bourgeois, Charles Hotman, les curés de Saint-Séverin et de Saint-Benoît, Prévost et Boucher, un chanoine de Soissons, Mathieu de Launay, s'étaient concertés secrètement avec quelques autres bons catholiques, l'avocat Louis Dorléans, un maître des comptes, Acarie, le marchand Compans, le procureur Crucé, pour barrer la route au prétendant hérétique. Ces premiers adhérents de la Ligue parisienne en recrutèrent d'autres parmi les suppôts du Parlement, huissiers et clercs, commissaires et sergents, et dans les milieux besogneux et ardents de la basoche et de l'Université. Les mariniers et les garçons de rivière (débardeurs), les bouchers et les charcutiers, gagnés eux aussi, fourniraient, en cas d'émeute, des hommes de main. C'était la bourgeoisie moyenne et le peuple qui se mettaient en avant. Les grandes familles parlementaires étaient trop timorées ou trop loyalistes pour se risquer hâtivement dans cette aventure.

La Ligue se chercha des appuis au dehors. Les conjurés de Nancy députèrent au pape un Jésuite, le P. Claude Mathieu, ancien Provincial de France et supérieur de la maison professe de Paris, pour exposer leur dessein et solliciter sa bénédiction et protection. Grégoire XIII loua l'intention, mais s'excusa discrètement d'autoriser l'entreprise si elle se faisait contre la volonté du Roi[2].

Philippe II n'avait pas mêmes scrupules. Le moment lui paraissait venu de rendre aux Valois coup pour coup. Jusque-là il avait souffert sans riposter toutes les provocations, uniquement attaché à réprimer les révoltes dans ses États, et depluis la mort de D. Sébastien, à s'assurer la couronne de Portugal. Mais après l'achèvement de l'unité politique de la péninsule, — ce legs de ses prédécesseurs et la grande œuvre de son règne — il avait les mains libres pour une action énergique au dehors. Son intérêt était d'accord avec ses rancunes. Souverain des Pays-Bas, dont une moitié, les provinces du Nord, se maintenait en révolte malgré l'assassinat de Guillaume de Nassau (juillet 1584) et les succès du duc de Parme, il ne pouvait, sous peine de perdre le reste, permettre l'avènement en France d'une dynastie huguenote. Roi catholique enfin, il se sentait tenu d'empêcher ce nouveau progrès de l'hérésie en Europe.

Le 31 décembre 1584, au château de Joinville, les ducs de Guise et de Mayenne, tant pour eux que pour le cardinal de Guise et les ducs d'Aumale et d'Elbeuf, le sieur de Maineville et le représentant du roi d'Espagne, s'engagèrent par traité à exclure du trône les Bourbons hérétiques, à déclarer le cardinal de Bourbon successeur de la Couronne de France, à fonder une sainte Ligue perpétuelle, offensive et défensive, pour la seule tuition, défense et conservation de la Religion catholique apostolique et romaine et pour l'extirpation de toutes hérésies en France et dans les Pays-Bas. Philippe II promettait un subside annuel de 600.000 écus, dont il ferait l'avance la première année par moitiés payables en mars et juillet[3].

Le traité restait ouvert au duc de Mercœur, que son alliance de famille avec Henri III n'empêcha pas d'y adhérer, et au duc de Nevers, un des fauteurs de la Saint-Barthélemy, attiré du côté des Guise par le péril de la foi, mais retenu dans l'obéissance d'Henri III par son loyalisme, et qui, ne sachant quel parti prendre, alla solliciter à Rome un conseil que le successeur de Grégoire XIII, Sixte-Quint, un pape autoritaire, aussi ennemi de la rébellion que de l'hérésie, s'abstint de lui donner.

Le duc de Lorraine, continuant son double jeu, refusa de signer le traité pour ne pas offenser Henri III, mais consentit à avancer aux contractants, dans les six derniers mois de la première année, les deux tiers du subside espagnol de la seconde, soit 400.000 écus[4].

Après entente avec la Ligue parisienne, les princes catholiques datèrent de Péronne, le berceau de la Ligue de 1576, une Déclaration des causes qui ont meu Monseigneur le Cardinal de Bourbon, et les Pairs, Princes, Seigneurs, villes et communautez Catholiques de ce royaume de France, de s'opposer à ceux qui par tous moyens s'efforcent de subvertir la Religion Catholique et l'Estat (30 mars 1585).

Il était trop à craindre, disaient-ils, que si la maison régnante s'éteignait sans lignée, ce que Dieu ne vueille, il n'advînt en l'establissement d'un successeur en l'Estat royal... de grands troubles par toute la Chrestienté et peut estre la totale subversion de la Religion Catholique, Apostolique et Romaine en ce royaume très-Chrestien. Il n'était que temps d'y pourvoir. ...Ceux qui par profession publique se sont tousjour monstrez persécuteurs de l'Église Catholique (Navarre et Condé) étaient, surtout depuis la mort de Monsieur, favorisez et appuyez. Ils faisaient partout levées de gens de guerre, tant dehors que dedans le royaume ils retenaient les villes et places fortes qu'ils auraient dû remettre de longtemps entre les mains du Roy. Ils pratiquaient les princes protestants d'Allemagne pour avoir des forces afin d'opprimer les gens de bien plus à leur aise et renverser la Religion Catholique. Ils avaient à la Cour même des complices. ...D'aucuns (c'est-à-dire d'Épernon et Joyeuse) ...s'estants glissez en l'amitié du Roy nostre Prince souverain se sont comme saisis de son authorité pour se maintenir en la grandeur qu'ils ont usurpée, favorisent et procurent par tous moyens l'effect des susdicts changemens et pretentions. Ils ont eu la hardiesse et le pouvoir d'esbigner de la privée conversation de Sa Majesté non seulement les Princes et la Noblesse, mais tout ce qu'il a de plus proche (c'est-à-dire Catherine), n'y donnant accez qu'à ce qui est d'eux. Ils accaparent le gouvernement de l'État, dépouillant ceux qui en étaient investis, les uns du tiltre de leur dignité et les autres du pouvoir de fonction, forcent les titulaires de certaines charges de les leur quitter et remettre... moyennant quelques récompenses de deniers et se rendent par ce moyen maistres des armes par mer et par terre.

La promesse faite aux États généraux de 1576 de réunir tous les sujets à une seule religion catholique n'avait pas été tenue ; le Clergé était opprimé de decimes et subventions extraordinaires ; la Noblesse anulie, asservie et vilennée ; les villes, les officiers royaux et le menu peuple serrez de si prez par la frequentation (fréquence) de nouvelles impositions, que l'on appelle inventions, qu'il ne reste plus rien à inventer, sinon le seul moyen d'y donner un bon remède.

Pour ces justes causes et considérations, le cardinal de Bourbon, premier Prince du sang, Cardinal de l'Église catholique, apostolique et romaine, comme à celuy qui touche de plus près de prendre en sauvegarde et protection la religion et la conservation des bons et loyaux serviteurs du Roi et de l'État, et avec lui plusieurs Princes du sang, Cardinaux et autres Princes, Pairs, Prélats, Officiers de la Couronne, Gouverneurs de provinces, principaux Seigneurs, Gentilshommes, beaucoup de bonnes villes et communautés et bon nombre de fidèles sujets faisans la meilleure et plus saine partie de ce Royaume avaient tous juré et sainctement promis de tenir la main forte et armes à rétablir l'Église en sa dignité et en la vraye et seule Catholique Religion et la noblesse en ses franchises, garantir les droits des Parlements et des officiers, soulager le peuple, employer les deniers publics à la défense du royaume, et obtenir la réunion d'États généraux libres de trois ans en trois ans pour le plus tard.

Les ligueurs protestaient de leur dévouement au Roi, promettant de poser les armes aussitôt qu'il aurait fait cesser le péril qui menasse la ruine du service de Dieu et de tant de gens de bien. Ils sollicitaient les bons offices de Catherine auprès de son fils : ...Supplions tous ensemble tres humblement la Royne mère du Roy nostre tres honorée damesans la sagesse et prudence de laquelle le Royaume seroit dès pieça dissipé efperdu —... de ne nous vouloir à ce coup abandonner, mais y employer tout le crédit que ses peines et labourieux travaux luy devroyent justement attribuer et que ses ennemis lui pourroient avoir infidelement ravy d'auprès du Roy son fils[5].

Henri III crut habile de répondre à cet acte d'accusation. Il s'étendit longuement sur le chapitre de la religion. Qui avait montré plus de zèle que lui pour les intérêts de l'Église ? N'avait-il pas dès sa première jeunesse porté les armes pour elle ? On lui reprochait de laisser les huguenots en paix. A qui la faute ? Les États généraux de 1576 ne lui avaient-ils pas refusé les moyens de pousser la guerre à fond ? D'ailleurs la. paix à laquelle la mauvaise volonté des trois ordres l'avait réduit n'avait pas été sans avantages pour la religion. Le culte catholique avait été rétabli dans nombre d'endroits où les bandes protestantes l'avaient supprimé. La tranquillité avait repeuplé les campagnes. Il avait donné tous ses soins à conférer les bénéfices à des ecclésiastiques dignes de les occuper. On se préoccupait déjà du choix de son successeur. C'était se deffier par trop de la grace et bonté de Dieu, de la santé et vie de sadite Majesté et de la fécondité de ladite dame Royne sa femme[6] que de mouvoir à présent telle question et mesme en poursuivre la décision par la voie des armes. La guerre aux protestants, loin de prévenir un mal incertain, ne ferait que remplir le royaume de forces estrangères, de partialitez et discordes immortelles, de sang, de meurtres et brigandages infinis. Et voilà, s'écriait le Roi, comment la Religion Catholique y sera restablie, que l'Ecclésiastique sera deschargé dëidecimes, que le Gentil-homme vivra en repos et seureté en sa maison et jouira de ses droicts et prérogatives, que les Citoyens et habitans des villes seront exempts de garnisons et que le pauvre peuple sera soulagé des daces et impositions qu'il supporte. Il revendiquait le droit de distribuer comme il lui convenait les charges et les honneurs. Depuis quand les Rois ont-ils été astraincts à se servir des uns plustost que des autres : car il n'y a loy qui les oblige à ce faire que celle du bien de leur service. Mais, toutefois, il avait toujours grandement honoré et chéri les princes de son sang, et tels que l'on dit être autheurs de telles plaintes ont plustost occasion de se louer de la bonté et amitié de sadicte Majesté que de s'en douloir et départir.

La guerre civile n'est pas le chemin qu'il faut tenir pour régler les abus desquels l'on se plainct. Qu'on pose les armes, qu'on contremande les forces étrangères et qu'on délivre ce royaume du danger qu'il court. Alors le Roi embrassera tres-volontiers les remèdes propres et convenables qui lui seront présentez pour y pourveoir[7].

Guise vit qu'il n'obtiendrait rien que par la force. Il assembla de toute part des troupes, il leva six mille Suisses dans les cantons catholiques, enrôla des lansquenets et des reîtres en Allemagne et fit partout des amas d'armes. Ses parents, les ducs d'Elbeuf, d'Aumale et de Mercœur soulevèrent la Normandie, la Picardie, la Bretagne. Mayenne occupa Dijon, Mâcon, Auxonne. La Châtre lui donna Bourges ; Entragues, Orléans. Le gouverneur de Lyon, Mandelot, mécontent de la Cour, rasa la citadelle qui tenait la ville en bride (5 mai). Le Midi et l'Ouest restèrent fidèles au Roi ou à la cause protestante, mais presque toutes les provinces du Centre et du Nord se déclarèrent pour la Ligue. Guise s'empara de Toul et de Verdun, et bien qu'il eût manqué Metz, où d'Épernon le prévint, il barra la route aux secours que le Roi attendait d'Allemagne.

A la fin de mai il avait réuni à Châlons, où il établit son quartier général, 25.000 fantassins et 2.000 chevaux, sans compter les troupes du duc d'Elbeuf et de Brissac et les garnisons qui occupaient les villages autour d'Épernay[8].

Henri était surpris par l'événement. Les Suisses qu'il venait de lever avec l'argent prêté par le banquier Zamet arriveraient-ils à temps ? En son embarras, il recourut comme toujours à sa mère et la députa aux princes ligués. Il se comportait avec elle en enfant gâté ; il la contrecarrait souvent ; il écoutait volontiers les favoris et en particulier d'Épernon, qui la lui représentaient comme faible et timide, ou qui même insinuaient qu'elle était trop favorable aux Lorrains. Mais il savait par expérience quel fonds il pouvait faire sur sa tendresse ? Avant même d'avoir connaissance du manifeste de Péronne, qui invoquait sa médiation, elle s'était mise en route pour aller trouver les chefs catholiques. Mais Guise n'était pas pressé de négocier sans avoir les mains pleines. Il la rejoignit seulement le 9 avril à Epernay et, raconte-t-elle, estans entrez en propos, il a jecté des larmes, montrant d'estre fort attristé. Pourtant elle n'en tira rien que des plaintes sur le voyage du duc d'Épernon en Guyenne, sur un entretien secret du Roi avec un agent de François de Châtillon, et sur le péril du catholicisme. Persuadée que c'étaient des prétextes et que la religion servait de couverture à ses exigences, elle s'efforça sans succès de savoir les causes pour lesquelles ils se sont licenciez à faire un si grand mal que celuy qu'ils commençoient[9]. Mais il éludait les explications. Elle le soupçonnait d'empêcher Mayenne et le cardinal de Bourbon de venir à la conférence où elle les conviait[10] et même il finit par s'en aller lui-même. Elle recourut alors au duc de Lorraine, qui, écrivait-elle à son fils, lui avait témoigné un extresme regret de la grande faulte où les Guise ses cousins sont tombez et de s'estre tant oubliez d'avoir fait une si pernicieuse entreprise. Il assurait à sa belle-mère que l'on ne feust point entré en ces remuements, si, dez qu'il alla à Joinville, il eust eu quelque commandement (instruction) de vous. Car il congnoissoit desjà le malcontentement qu'avoient ses dicts cousins ; et combien qu'il ne sçeust leur delibération, si (toutefois) essaya-t-il tant qu'il peut (pût) de les destourner de rien faire à vostre préjudice. Elle ne savait pas ou cachait qu'elle savait le rôle équivoque de son gendre et proposait à son fils d'agréer ce médiateur, qui a très bonne volonté, dit-elle, de lui faire avec moy tout le très humble service qu'il pourra[11]. Elle l'employa d'abord à ramener Guise à Épernay. Elle s'y morfondait, accablée de misères physiques : accès de goutte, crise de toux avec douleur au côté, mal à l'oreille, mal au pied, mal au cœur, pouvant à peine se tenir debout et ne se levant que le temps de refaire son lit, et cependant plus malheureuse encore de n'avoir personne avec qui négocier. Les chefs ligueurs, sachant son état, espéraient qu'elle perdrait courage et rentrerait à Paris. Le cardinal de Bourbon s'attardait à faire une nonnaine (neuvaine) à Notre-Dame de Liesse. Mayenne protestait que si le Roi l'assurait de sa bonne Brase et lui commandait d'aler lui faire cervice en Flandre[12], c'est-à-dire contre les Espagnols, il partirait immédiatement ; mais, en attendant, il n'arrivait pas. Impatientée de leur mauvais vouloir, elle écrivit à son fils qu'elle allait fayre parler au roy de Navarre et voy bien, disait-elle, qu'à la fin nous en tomberon là[13]. C'est peut-être la peur de ce rapprochement qui, coïncidant avec quelques échecs du parti à Marseille et à Bordeaux, décida les Guise et Bourbon à se hâter. Ils arrivèrent le 29 avril et consentirent une trêve d'armes de quinze jours.

A la première entrevue, ainsi que Catherine tenait son vieil ami le Cardinal embrassé, il pleura et soupira fort, raconte-t-elle, monstrant avoir regrect de se voir embarqué en ces choses cy.... et sur les remontrances que je luy fis, il me confessa franchement avoir fait une grande folie, me disant qu'il en falloit faire une en sa vie, et que c'estoit là la sienne, mais qu'il y avoit esté poussé par le zèle qu'il a à nostre religion. Elle le fit parler — car elle le savait bavard — pour tâcher de découvrir ses intentions, mais elle n'en tira que des déclarations de bonne volonté. Au jugement du bonhomme, l'unité de foi était facile à rétablir pourvu qu'on se hâtât. N'importe quel souverain trouverait bon que le Roi ne voulût qu'une religion en son royaume. Il se faisait fort que tous les princes catolicques de la Chrestienté, voire la royne d'Angleterre, feraient ligue... défensive avec Henri III, à l'encontre de princes — il voulait dire le roi de Navarre et le prince de Condé — qui se soulèveraient contre lui[14]. On peut juger par là de son intelligence.

Henri III consentait, quoi qu'il lui en coûtât, à révoquer son Édit de pacification, mais il trouvait trop humiliant d'accorder à ses sujets catholiques des places de sûreté, comme aux huguenots, en garantie de sa parole. Catherine savait qu'il faudrait céder sur ce point comme sur l'autre, ou sinon, ceret (ce serait) enplatre qui ne guéryra la playe[15]. On le vit bien à Jalons, près de Châlons, où elle était allée chercher Guise et Bourbon., qui de nouveau se dérobaient. Quand le médecin du Roi, Miron, qui circulait entre Paris et Epernay, soignant le catarrhe de Catherine et la congestion de l'État, apporta la nouvelle que le Roi interdisait l'exercice de la religion prétendue réformée en tout son royaume, le cardinal de Bourbon, écrit Catherine à son fils, prenant la parole a commencé, joingnant les mains, à rendre grace à Dieu de vostre saincte intention, disant... qu'il falloit du tout extirper et desraciner cette hérésie, s'efforçant de monstrer qu'il ne falloit pas seulement oster l'exercice de la prétendue religion, mais.... la desraciner entièrement et qu'ils ne demandoicnt rien que cela, répétant si soubvent la mesme chose à qu'elle l'avait prié d'abréger ce propos. Mais le duc de Guise t que je voyois bien à son contenance avoir grande pogne d'oyr parler ainsy franchement le cardinal de Bourbon intervint pour dire qu'en traictant du faict de la relligion, il falloit aussy adviser à leurs seuretés et de leurs colligués... et qu'ils avoient toujours joinct... les deux poincts de la religion et leurs seuretés et que l'ung ne se pouvoit faire sans l'aultre. Catherine proposa de mettre par écrit immédiatement quelque bonne résolution pour décharger le pauvre peuple de tant de maux, et de renvoyer à plus tard le règlement des sûretés. Elle s'adressa au Cardinal qu'elle voyait si bien disposé. Et lui tout d'abord consentit à ce qu'elle disait, mais il s'aperçut qu'il s'estoit un peu trop ouvert au gré de Monsieur de Guise et il en vint lui aussi aux sûretés. Le Duc demanda que le Roi leur fit connaître par écrit son intention sur ce point, pour y adviser et répondre. Quoi que la Reine dît, elle ne réussit pas à les ranger à leur debvoir[16].

Il ne fut pas facile de se mettre d'accord sur le lieu d'une nouvelle conférence, le Duc refusant de revenir à Epernay et la Reine d'aller à Châlons, où il commandait en maître.

Même au lit et ne pouvant écrire, Catherine parlait, dictait, ordonnait, veillait à tout. Elle signalait à son fils les mouvements des Ligueurs, écrivait aux gens de Metz de se garder, ne cessait de recommander au Roi d'estre... le plus fort[17]. Quand vous serez préparé, vous aurez tous-jours la paix plus avantaigeuse[18]. Le bâton porte paix, déclarait-elle pittoresquement[19]. Le Roi n'a pas assez de forces, constate-t-elle avec mélancolie. Elle le presse de hâter ses forces et de les avoir les plus grandes qu'il pourra, car aultrement chacun vous vouldra donner la loy et... quand ce viendra à leurs seuretés, en vous demandant des choses trop déraisonnables[20].

A Sarry, où elle s'était fait porter pour attendre le Duc et le Cardinal, le marchandage sur les sûretés commença (12 mai). Les prétentions des chefs de la Ligue étaient exorbitantes. Ils demandaient pour le Cardinal Rouen et Dieppe ; pour Guise, Metz ; pour Mercœur, deux places à son choix en Bretagne ; pour Mayenne, outre le château de Dijon qu'il tenait, celui de Beaune ou la citadelle de Chalon ; pour le cardinal de Guise, le gouvernement de Reims, qui serait détaché de celui de la Champagne ; pour d'Aumale, les places de Picardie qu'il avait occupées, et en outre le maintien ou le rétablissement dans leurs charges des gouverneurs ou des capitaines qui s'étaient déclarés pour leur parti. La Reine-mère rabattit le plus qu'elle put de ces exigences et sur le reste demanda l'avis du Roi. Henri III restreignit encore les concessions et plus particulièrement celles qui touchaient le duc de Guise et les cardinaux de Bourbon et de Guise. Quand le secrétaire d'Etat, Pinart, eut lu les réponses à leurs articles, le cardinal de Bourbon se leva, raconte Catherine, et nous a dit en collere, estant fort rougy (rouge), que c'estoit les mettre à la gueulle aux loups, puisque vous ne leur bailliez poinct de seuretez particulières, non qu'ilz en demandassent pour eulx, mais pour le faict de la relligion. La Reine eut beau lui remontrer qu'ils avaient grande occasion d'être satisfaits des réponses du Roi ; mais comme gens qui ne se contentent pas de la raison et qui auroyent peult estre bien envye de mal faire, se sont tous ostez de leurs places, monstrans n'estre pas contens. La discussion reprit quelques heures après autour du lit de la Reine, qui, pour ne pas rompre, leur fit quelques offres, les moindres, écrit-elle, qu'il m'a esté possible[21]. Mais le lendemain le cardinal de Bourbon et le Duc vinrent dans sa chambre lui déclarer qu'ils n'avaient aucun pouvoir de diminuer les articles arrêtés de concert avec leurs colligués et qu'ils allaient les avertir de la réponse du Roi. Elle leur reprocha de lui servir cette défaite après l'avoir tenue deux mois là et entretenue et abuzée si longuement de tant de déguisemens — et elle menaça de partir dès le lendemain[22]. Mais probablement elle n'en avait pas grande envie. Le duc de Lorraine, bailleur de fonds de la Ligue et avocat-conseil de la Reine-mère, s'entremit pour empêcher la rupture, écrit Catherine à son fils, et désirant au contraire (comme j'ay tousjours congneu qu'il faisoit) que nous peussions prendre une bonne résollution au bien de vostre service et repos de vostre royaume, et, comme je pense, pour le bien aussi de ses cousins, parlant à eulx et leur remonstrant le tort qu'ilz se faisoient, a renoué nostre négotiation[23]. Le débat reprit. Elle représenta à Guise qu'obliger le Roi à priver ses serviteurs restés fidèles de leur gouvernement pour en investir les ligueurs, c'était partir avec lui son royaume. Mais l'autre soutenait que ce qu'ilz désirent n'est que pour seureté de la relligion[24]. Quelque concession qu'elle fît, les chefs ligueurs trouvaient toujours que ce n'était pas assez[25].

Le Cardinal en convenait lui-même dans une lettre à Mme de Nevers (29 mai). La Reine nous parle de la paix, mais nous demandons tant de choses pour le bien de nostre relligion que je ne croi [pas] qu'on accorde nos demandes[26]. Guise informait aussi le duc de Nevers qu'il assemblait des forces de toutes parts en diligence afin d'estre prest à conclure les choses le bâton à la main. Il se montrait si intransigeant parce qu'il avait avis de l'arrivée de 8.000 Suisses, que lui amenait le colonel Pfyffer.

Catherine désespérait d'aboutir. Elle écrivait à Villeroy pour le redire à son fils qu'il (le Roi) n'aura jeamès la pays (paix), s'yl ne feyt quelque chouse pour Monsieur le cardinal de Bourbon et qu'il set (se) trompe s'il panse autrement, car quelque chouse qu'yl (le Cardinal) dye, yl n'y en a poynt qui veulle plus avoir cet qu'il veult que luy... et aussi Monsieur de Guise... car heu deus contemps (contents), les autres y (ils) les fayront contenter[27]. Elle protestait qu'elle disait au Roi la vérité, et, sachant qu'à la Cour on l'accusait de faiblesse pour les Lorrains, elle offrit de se retirer : J'attends en grande dévotion, écrit-elle à Henri III le 10 juin, ce qu'il vous plaira que je fasse, car je n'ose partir sans le savoir, veu ce que m'avez mandé que après que tout seroit faict ou failly, je ne partisse que je n'eusse de vos nouvelles ; ce que je souhaite estre bientost, car ne vous servant icy de rien je désire infiniment vous voir et avoir parlé une, heure à vous seul et après j'iray où et faire ce qui vous plaira ; car je ne plains ma poyne, sinon quand elle ne vous sert de rien[28].

C'est la seconde fois qu'elle met son fils en demeure de lui laisser les mains libres ou de la rappeler. La veille, les Ligueurs lui avaient présenté leur Requeste au Roy et dernière résolution des Princes, Seigneurs... pour montrer clairement que leur intention n'est autre que la promotion et avancement de la gloire honneur de Dieu et extirpation des hérésies sans rien attenter à l'Estat...[29] C'était leur ultimatum. Ils demandaient un édit contre les hérétiques sans réserve ni restriction, offrant, si le Roi voulait l'exécuter, avec les forces dont ils disposaient, de se départir de toutes autres sûretés que celles qui dépendent de sa bonne grâce, de leur innocence et de la bienveillance des gens de bien.

En même temps, ils faisaient avancer leurs troupes. Le colonel Pfyffer, qui les avait rejoints, leur amenait des Suisses et se faisait fort de débaucher les Suisses du Roi. La Reine n'avait pas cessé de craindre une attaque sur Paris où yl (le duc de Guise), écrivait-elle déjà le 21 mai, espère faire un grand efest (effet) pour les yntelligense qu'il s'asseure d'y avoir, à ce qu'il dyst tout hault sans nomer personne. Faytes-y prendre guarde, et surtout autour de vostre personne, car vous voyés tant d'infydélités que je meurs de peur[30]. Elle insiste : Jé aublié de dyre au Roy qu'il pregne guarde à luy et dans Parys qu'il n'i avyègne neule sedytyon, aprochans ceus [d']ysi[31]. Henri III prit des mesures en conséquence ; la garde des portes fut renforcée ; les chefs de la milice parisienne qui étaient suspects furent destitués, et remplacés par des officiers de robe longue et de robe courte. Il se donna une nouvelle garde du corps, les Quarante-Cinq, pour estre toujours auprès de lui. C'étaient pour la plupart des cadets de Gascogne. qui n'avaient rien à espérer que de sa faveur, et qui lui étaient dévoués jusqu'à la mort et jusqu'au crime[32].

Cependant sa mère le pressait de traiter avec les chefs ligueurs à tout prix. Il finit par céder et envoya Villeroy à Epernay porter les articles de sa capitulation. L'accord fut arrêté le 20 juin et signé le 7 juillet à Nemours. Le Roi prit à sa charge les forces levées par la Ligue, permit aux cardinaux de Bourbon et de Guise, aux ducs de Guise, de Mayenne et de Mercœur d'avoir une garde à cheval qu'il paya, concéda des places de sûreté à tous les chefs du parti, et des avantages et des faveurs à leurs clients et à leurs amis.

Naturellement, le traité conclu, les ennemis de Catherine l'accusèrent de l'humiliation de son fils. Pour se rendre nécessaire, elle aurait encouragé le duc de Guise à prendre les armes, et favorisé de tout son pouvoir le succès du parti catholique[33]. Mais sa correspondance prouve qu'elle défendit de son mieux les intérêts du Roi, et qu'elle subit une paix humiliante pour éviter une 'guerre, dont les suites auraient pu être plus humiliantes encore, ou même funestes. Henri III n'aurait pu faire tête aux ligueurs qu'en appelant les réformés à l'aide, mais c'eût été reconnaître pour successeur le roi de Navarre, malgré son hérésie, et risquer de soulever le reste des catholiques. Entre deux maux, Catherine avait choisi le moindre.

Et vraiment, sauf ce calcul des chances et sa tendresse pour ce fils qu'elle savait incapable d'un effort suivi, quel autre motif aurait pu la déterminer à rapprocher au prix de tant de concessions Henri III et le duc de Guise ? On n'imaginera pas que ce fut par excès de zèle religieux. Il est vrai qu'en vieillissant elle est devenue plus dévote. Et, sans vouloir rien préjuger de sa croyance d'alors au Purgatoire et à la rémission des péchés, il est remarquable toutefois qu'en 1568 elle ne se fût pas décidée, malgré les sollicitations du peintre Vasari, à faire les frais d'un service perpétuel en l'église de Saint-Laurent de Florence pour le repos de l'âme de son père, de sa mère et de son frère naturel, Alexandre. Mais les épreuves, qui allaient se multipliant, lui rappelèrent la nécessité de recourir à Dieu, ce maître souverain[34].

Elle ne s'était jusque-là préoccupée, à ce qu'il semble, que du corps de son mari, à qui elle préparait un sepulchre magnifique à Saint-Denis. Maintenant, elle paraît tout à fait convaincue de l'efficacité des œuvres au sens catholique. Dans une lettre du 27 avril  1582, elle annonce à son ambassadeur à Venise, Arnaud Du Ferrier, qu'elle voue un présent à Notre-Dame de Lorette, et, comme il n'est achevé, elle désire que le bon Père Edmond Auger — ce Jésuite dont en 1573 elle dénonçait le prosélytisme au duc d'Anjou — demeure en Italie encore quelque temps afin que l'offrande soit présentée de sa main comme une chose qu'elle a très au cœur[35]. C'est probablement la lampe (lampade) dont il est question dans un acte du 8 avril 1587 et dans une lettre du 2 août de la même année, qui devait brûler perpétuellement devant l'autel de la Madone et à l'entretien de laquelle elle affecta une somme annuelle de cent écus pris sur ses revenus à Rome[36]. Après une entrevue de ses fils, Henri III et le duc d'Anjou, à Mézières, et une nouvelle réconciliation, elle écrivait de cette ville même son intention de donner aux Murate de Florence, les bonnes Murate, dont elle sollicitait les prières pour le Roi et pour elle, des biens-fonds en Toscane, d'un revenu de 6.000 écus[37]. Par contrat du 5 juin 1584, elle les gratifia en toute propriété d'un grand domaine de quatre fermes qu'elle avait acheté au Val d'Elsa, à charge pour l'abbesse et les nonnes de chanter tous les jours le Salve Regina pour le salut, santé et conservation de son très cher fils, Henri III, roi de France, et de célébrer une messe solennelle des morts le Io juillet pour l'âme d'Henri II. Elle demandait pour elle-même de dire à son intention, de son vivant, la veille de Sainte-Catherine, les vêpres, et le jour même (25 novembre) la messe et à perpétuité, quand Dieu l'aurait rappelée à lui, les vêpres et matines des morts, le jour anniversaire de sa mort, et le lendemain l'office et messe des morts[38]. Dans la lettre qu'elle leur écrivit le 14 août 1584, pour leur annoncer l'envoi de l'acte de donation, elle les prévenait aussi qu'elle mettait à leur disposition mille écus d'or d'Italie, dont la moitié devait être employée à l'achat du bétail pour les métairies dont elle les faisait propriétaires et le surplus au paiement d'une statue de marbre qui me représentera, laquelle sera mise en leur église suyvant le pourtraict (le dessin) qu'elle adressait au grand-duc de Toscane[39]. La donation faite à Saint-Louis des Français à Rome (mai 1584) est plus connue parce qu'elle a duré[40]. Après de longs procès contre Marguerite de Parme, veuve d'Alexandre de Médicis (voir l'appendice), Catherine avait recouvré une grande partie des biens-fonds des Médicis, entre autres le palais des Médicis — aujourd'hui palais du Sénat — situé tout à côté de l'église Saint-Louis et de l'hôpital de la nation française, ainsi que des maisons et boutiques et autres constructions contiguës à ce palais. De toutes ces dépendances, la Reine assigna le revenu aux gouverneurs et administrateurs de l'église et de l'hôpital aux mêmes conditions de prières et de messes. Sixte-Quint avait chargé Saint-Gouard, alors ambassadeur à Rome, de remettre à Catherine de sa part une medaille qui, avec un cent de semblables, a esté trouvée dans une cassette d'airain, presque toute consommée de la rouille, parmy les fouilles qu'il a faict à Saint- Jehan de Latran près le baptistaire de Constantin s. Le Pape était s après à veriffier si ce aura esté ledict Constantin ou sainte Helene, sa mère, qui les y aura mises, et lors il se délibère d'y appliquer une infinité de très grandes indulgences[41]. Saint-Gouard, marquis de Pisani, très fin courtisan sous sa rudesse apparente, n'aurait pas ajouté qu'il ne faillirait pas d'envoyer les indulgences à la Reine si elle n'y avait pas eu foi.

Mais bien qu'elle multipliât les œuvres pies à mesure qu'elle approchait de sa fin — et cela autant et peut-être plus par habitude traditionnelle que par ferveur — elle continuait à distinguer la religion de la politique. Elle resta toujours ennemie des pratiques outrées : flagellations, retraites, processions et pèlerinages, où son fils cherchait l'aide de Dieu, oubliant de s'aider lui-même. A propos d'un voyage à pied à Notre-Dame de Cléry, elle écrivait avec humeur à Villeroy : ...La dévotyon ayst bonne et le Roy son père enn a fets dé voyages à Cléry et à Saint-Martyn-de-Tours, mès yl ne laiset (laissait) rien de cet qu'yl falloyt pour fayre ses afayres[42]. Elle n'était ni enthousiaste ni dupe des affectations de zèle. Elle savait ce qu'elles cachent le plus souvent d'ambition et pour la sincérité des intentions elle assimilait les souverains catholiques, Philippe II et le duc de Savoie, Charles-Emmanuel, bandés contre Genève et l'Angleterre protestante, aux chefs huguenots qui avaient tenté de la faire prisonnière à Meaux avec ses enfants[43]. Ce n'est donc ni par sympathie personnelle, ni par illusion, ni par connivence, qu'elle souscrivait aux exigences des princes catholiques, mais parce qu'ils étaient les maîtres de l'heure. Une de ses maximes était de gagner du temps au prix des sacrifices nécessaires et de savoir attendre le tour de roue, celui-là favorable, de la fortune. En conséquence, le 18 juillet, quelques jours après la paix de Nemours, le Roi porta lui-même au Parlement un édit, qui révoquait tous les édits de pacification, n'autorisait plus qu'une seule religion dans le royaume, bannissait les ministres, obligeait les simples fidèles à se convertir ou à s'exiler dans les six mois, déclarait tous les hérétiques incapables d'exercer aucunes charges publiques, états, offices, dignités et leur ordonnait de restituer les places de sûreté.

Il restait à imposer aux protestants et à leur chef cet arrêt d'extermination. Le roi de Navarre racontait plus tard à l'historiographe Pierre Mathieu, qu'en apprenant la paix de Nemours, il avait eu quelques heures de réflexion si douloureuse que la moitié de sa moustache avait blanchi. Son imagination avait peut-être au cours du temps traduit son émotion en une forme concrète, mais elle n'en a pas probablement exagéré le coup. Il devait craindre que le bloc catholique ne l'écrasât de sa masse et sous son élan. Mais il se ressaisit vite. Avec une dignité ferme, il demanda compte à la négociatrice de cette paix qui bannissait, lui écrivait-il, une grande partie des subjets de ce royaulme et bons François et qui armait, disait-il, les conspirateurs... de la force et autoricté du Roy contre eux et contre lui-même[44]. Il déclarait fièrement qu'ayant cet honneur d'appartenir au Roi de si près et de tenir tel degré en ce royaume, il se sentait tenu de s'opposer à la ruyne de la Couronne et Maison de France de tout son pouvoir contre ceulx qui la voudroyent entreprendre.

Et cependant Catherine ne désespérait pas, à ce qu'il semble, de l'amener à se convertir ou tout au moins à souffrir qu'il n'y eût plus exercice en ce roiaulme que de la religion catholicque apostollicque et romaine[45]. Mais supposer qu'il changerait d'Église et trahirait les proscrits pour assurer le repos de son fils, c'était bien mal le connaître et montrer peu de psychologie.

Il est possible que ses préventions l'aient empêchée d'apprécier l'intelligence de son gendre. Elle avait d'ailleurs une si haute idée de sa finesse qu'elle pensait l'avoir toute accaparée. Elle le croyait un peu fol, et il est vrai qu'il l'était, mais seulement en amour, et elle l'imaginait incapable d'une politique personnelle, mené et stylé par ses maîtresses et ses conseillers. Dans une lettre à Henri III, lors des conférences d'Epernay, elle le comparait à son oncle le cardinal, ce vieillard sans cervelle. ...Monsieur de Guise, disait-elle, est comme le maistre d'escole et fait tout ainsy du Cardinal que faisoit en Guyenne, quand j'y estois, le vicomte de Turenne du roy de Navarre[46]. Aussi était-elle d'avis de bien traiter tous les personnages influents de son entourage. Elle recommandait à Bellièvre, qui s'occupait plus particulièrement des affaires de Navarre, d'être plein de prévenances pour le sieur de Clervant, qui représentait son gendre auprès de son fils. Elle-même restait en correspondance avec Turenne, ce Mentor imaginaire. A tout hasard, elle conseillait de se préparer à la guerre.

Mais Henri III y montrait peu d'inclination. Il en voulait aux ligueurs. ses sujets en révolte, de lui avoir fait la loi ; il en voulait à sa mère de lui avoir forcé la main et imposé la paix. En ses crises de colère et de dignité, il ne consultait et ne ménageait personne. Il s'en prit au successeur de Grégoire XIII, Sixte-Quint, dont cependant il avait besoin pour aliéner des biens du clergé jusqu'à concurrence de deux millions d'or de revenu. Il fit défendre au nouveau nonce, Fabio Mirto Frangipani, archevêque de Nazareth, à qui il prêtait des sentiments ligueurs et espagnols, de s'avancer plus loin que Lyon. A Rome, Pisani, avisé le premier, alla solliciter du Pape comme une faveur le rappel de Frangipani, et ajouta incidemment que le Roi l'avait prié de s'arrêter à Lyon. Mais Sixte-Quint, violent et autoritaire, sans attendre les explications d'Henri III, fit donner l'ordre à l'ambassadeur (25 juillet 1585)[47] de sortir de Rome le jour même et des Etats pontificaux dans les cinq jours. Cette querelle entre le Roi et le Pape remettait en question la pais de Nemours.

Catherine ne fut, semble-t-il, informée qu'après coup. Son fils affectait de la tenir à l'écart des affaires[48]. Elle saisit l'occasion de ce différend pour offrir ses bons offices, qu'on ne lui demandait pas. Au fond, elle trouvait au Roi autant de tort qu'au Pape, mais elle ne se serait pas aventurée à le lui dire. Elle commença par écrire à Pisani qu'elle était très marrie de l'injure faite au Roi en sa personne[49]. Elle recommanda au cardinal Ferdinand de Médicis les intérêts de leur maison. Puis, ayant su quelque temps après que Sixte-Quint se préparait à excommunier le roi de Navarre et à le déclarer déchu de ses droits à la Couronne, elle adressa à Villeroy, n'osant l'adresser directement à Henri III, son avis sur les difficultés pendantes. Elle ne se préoccuperait pas, disait-elle, de la bulle annoncée s'il n'y avait lieu de craindre qu'elle n'apportât plus de mal que ce que nous avons ou sommes prestz à avoir. Le roi de Navarre ne montrait pas grande envie de se soumettre à la volonté du Roi, et ses dispositions n'en seraient pas changées. ...En tout cecy (renvoi de l'ambassadeur et obstination du roi de Navarre) je n'y vois mal que pour le Roy, car si je le voyois avoir les moyens pour estre fort, comme je voudrois qu'il le fust, je ne me soucierois pas d'un bouton de toutes les pratiques et menées, car il n'y auroit pape ny roy et moins encores ses subjetz qui ne s'estimassent bien heureux les uns de luy complaire, les autres de luy obéir. On avait besoin du consentement du Pape pour tirer quelque argent du clergé. ...Jusque là si j'estais creue (et cette réserve prouve qu'elle ne l'était pas en ce moment), je ferois le doux à tous papes et roys pour avoir le moyen de avoir les forces telles que je peusse commander et non leur obéyr, car de commander et n'estre point obéy, il vaut mieux faire semblant de ne vouloir que ce qu'on peut, jusques à ce que l'on puisse faire ce que l'on doit[50]. Il ne faut pas s'émouvoir trop de l'insulte faite au Roi, car elle vient, dit-elle avec quelque dédain, d'un pape et non d'un prince. Et d'ailleurs ...vous savez comme l'on a affaire de luy pour avoir de l'argent et aussi pour l'empescher de faire quelque chose extraordinaire contre le service du Roy, veu le peu de raison qu'il a (Sixte-Quint passait très justement pour être colérique) et le peu de respect qu'il porte à tous les princes[51].

Elle croyait si utile de rhabiller ce désaccord qu'elle offrait d'aller elle-même à Rome. Le Roi y avait envoyé M. de Lenoncourt, mais l'évêque d'Auxerre n'était pas l'ambassadeur qu'il eût fallu. Ce n'était pas, assurait-elle, par dépit qu'elle blâmait ce choix, bien qu'elle vît, à dire la vérité, qu'on l'avait fait pour empêcher qu'elle n'y allât et ne fît quelque chose à son avis[52]. Maintenant elle n'y pourrait aller que si son fils faisait entendre au Pape par le cardinal d'Este, protecteur des affaires de France, les raisons de son voyage et si Sixte-Quint renonçait à sa déclaration contre le roi de Navarre. Elle mettait tant de conditions à son envoi qu'il n'est pas bien sûr qu'elle en eût envie. Mais elle tenait à démontrer son affection à ce fils qui la boudait. C'est aussi à même fin qu'elle travaillait et réussit, après une négociation de près d'un an[53], à décider le duc de Nevers à faire amende honorable à Henri III de sa velléité d'adhésion à la Ligue. Mais quelque zèle qu'elle montrât, elle n'avait plus même crédit. Le désaccord de la mère et du fils sur la politique à suivre allait grandissant. Henri III, par paresse, par scrupules dynastiques, par orgueil, par haine des Guise, ne se décidait pas à faire aux protestants la guerre sans merci à laquelle il s'était obligé.

Catherine appréhendait le danger de ces atermoiements. La Ligue marcherait contre le Roi, si le Roi ne marchait contre les hérétiques. Que le Pape publie la bulle privatoire contre le roi de Navarre, et il se faut résoudre de faire, écrivait-elle à Villeroy, mais à l'intention de son fils, ce que du commencement de tout ce remument icy ceux (les ligueurs) qui les (le) ont commencé, en ont projeté. Car aussi bien si vous ne faictes de bonne voulonté, à la fin on sera contrainct d'en venir là[54].

Henri III parut décidé. Il se rapprocha de sa mère, et le 16 octobre il fit enregistrer par le Parlement une déclaration du 7, qui ordonnait à tous ses sujets protestants de se convertir dans quinze jours ou de quitter le royaume.

Mais il employa le moins possible les chefs de la Ligue à exécuter le dessein de la Ligue. Il ne confia pas d'armée au duc de Guise, et s'il consentit à donner à Mayenne le commandement de celle de Guyenne, il négligea de lui envoyer des renforts et de l'argent. Il eut ce contentement que Condé rejeta au delà de la Loire le duc de Mercœur, qui avait envahi le Poitou, et qu'il fut à son tour mis en déroute par Henri de Joyeuse, un frère du favori, et forcé de se réfugier à Guernesey (octobre). Ce double succès des protestants sur les ligueurs et des troupes royales sur les protestants l'enhardit tant qu'il avoua les bourgeois d'Auxonne, qui le 1er novembre avaient emprisonné leur gouverneur pour la Ligue, Jean de Saulx-Tavannes. Catherine elle-même, qui n'avait capitulé à Epernay que par peur d'un plus grand mal, en profita pour faire la leçon au duc de Guise. Pour le fait de ce qui est avenu à Aussonne, vous avez grande occasion de le remercier (le Roi) et par vos effets luy faire connoistre l'assurance que vous avez de sa bonne grace et vous connoistrez par là qu'il vous a dict vray, que, vous comportant avec luy comme la raison veut, luy faisant connoistre que vous vous voulez conformer à toutes ses volontez et avez toute assurance de sa bonne volonté, qu'il feroit plus que ne sauriez désirer. Je vous prie donc me croire, et qu'il connoisse qu'estes content et que n'avez plus nulle défiance qu'il ne vous ayme[55]. Elle voulait à toute force qu'il se rendit auprès d'Henri III pour louer Dieu tous ensemble de nous avoir donné la victoire (sur les protestants) par ses mains seulle, sans que nul des nostres aist été en hazard[56]. Mais Guise aurait mieux aimé que ce fût par celles de la Ligue.

Cependant les huguenots n'étaient pas tellement étonnés de leur échec qu'ils songeassent, comme elle l'espérait, à se faire catholiques. Le roi de Navarre avait renoué avec Montmorency-Damville, à qui Joyeuse voulait ôter son gouvernement de Languedoc, l'ancienne alliance des huguenots et des catholiques unis (entrevue de Saint-Paul de Cadajoux, près de Lavaur, 10 août 1585). Il avait député Ségur-Pardaillan à Elisabeth et aux Allemands pour demander à l'une la somme nécessaire à la levée d'une armée et offrir aux autres auprès de qui il (l'ambassadeur) allait sans argent ni latin de les payer en terres, faisant des colonies en ce royaume de ceux qui y voudront venir.

La passion du roi de Navarre à défendre son parti déconcertait Catherine qui, à défaut de conversion, se fût contentée, semble-t-il, d'une défection. Je croy, écrivait-elle à Bellièvre, que, quant le roy de Navarre auré byen considéré l'etat de toutes chauses, et du présant et de l'avenir, qu'il conestra que tout son plus grent byen cet de se remettre du tout à la volanté du Roy, ay (et) luy aider par tous moyen à fayr poser les armes... et que ryen ne le peult fayre que luy, set remetent (se remettant), corne yl douyt (il doit) pour son byen à cet que le Roy luy demandera. Son grand argument c'est qu'Henri III, qui avait toujours jusque-là ménagé ses sujets huguenots, serait encore plus accommodant quand ils auraient désarmé et qu'il serait seul fort en son royaume. Mais quand Clervant lui demandait : Que fera le roi de France pour le roi de Navarre ? elle éludait la question. Que sarét-yl fayre d'adventège (davantage) quand yl serèt son fils que ly concéler (conseiller) de fayre cet que (qui) le peult asseurer de demeurer cet qu'il est nay (né) en cet royaume, et le prenant en sa bonne Brase et protection, que peult-yl désirer d'aventège ?[57] Le roi de Navarre n'était pas assez naïf pour se rendre à merci.

Elle résolut d'aller le convaincre et partit en juillet 1586 pour Chenonceau, mi elle était plus près du théâtre de la guerre et des négociations. Mais elle avait affaire à forte partie. Il lui fit dire, écrivait-elle à Bellièvre, 10 août 1586, que yl desirèt de parler aveques moy et cet (se) degorger et que yl savèt byen qu'yl avoit le moyen de pasyfier cet royaume et qu'yl avèt tousjour coneu que je le désirès, et qu'yl me fayrèt conestre que yl desirèt me donner contentement[58].

Mais ce n'étaient que paroles pour l'amuser, pendant qu'il négociait sous main avec le maréchal de Biron, que le Roi avait envoyé contre les protestants de l'Ouest. Quand il eut obtenu de lui qu'il levât le siège de Marans, près de la Rochelle, et qu'il consentit une sorte de trêve (août 1586), il fit le dyfisile pour aller la voir. Catherine, qui n'avait rien su de cet accord qu'après sa conclusion, se désolait de voir se perdre l'argent de son fils et croître la réputation de son gendre. Le roi de Navarre obtint encore que, pendant les conférences, Biron éloignerait ses troupes et qu'il ne se commettrait aucun acte d'hostilité es provinces du Hault et Bas Poictou, Angoumois, Xainctonge, pais d'Onys (Aunis et Brouage)[59].

Alors il fut encore moins pressé de convenir avec elle du rendez-vous. Il avait intérêt à gagner du temps, sachant que les princes protestants d'Allemagne avaient fait partir des ambassadeurs pour recommander à Henri III le rétablissement de la liberté religieuse, et que, faute d'argent, les armées royales commençaient à se ruiner.

Il multiplia les objections, ne trouva jamais les sûretés assez grandes, provoqua les défiances par des défiances. Mais elle s'entêta. Aucune fatigue ne lui coûtait quand il s'agissait de défendre les intérêts de son fils et aussi de satisfaire sa passion pour les exercices de haute école diplomatique. A soixante-sept ans, elle s'exposa, malgré son catarrhe et ses rhumatismes, aux froids de l'hiver, aux hasards des mauvais gîtes dans les châteaux forts ou les petites villes et aux coups de main des bandes et des voleurs. Des pillards arrêtaient ses courriers, dévalisaient ses fournisseurs, et se montraient si asseuré (assurés), écrit-elle à Villeroy, que davant-hyer, où je diné, yl y ann'y avoit quatre ; je ne l'é seu qu'après aystre partye[60]. Elle alla chercher son gendre en plein pays protestant, au château de Saint-Brice, entre Cognac et Jarnac, sur la rive droite de la Charente. Elle était accompagnée du duc de Nevers, qu'elle voulait faire témoin de son zèle catholique et brouiller avec la Ligue par ses attentions, du duc de Montpensier, de quelques conseillers, de ses dames d'honneur et de sa petite-fille, Christine de Lorraine. Le roi de Navarre avait avec lui le vicomte de Turenne et le prince de Condé. La première entrevue (13 décembre) fut peu cordiale[61]. Après les embrassades et quelques propos communs, écrit-elle à son fils, elle se plaignit à son gendre de la longue attente qu'il lui avait imposée, et lui du tort qu'on lui avait fait. Elle voulut lui démontrer que la déclaration de juillet contre les protestants n'avait pas seulement esté pour le salut du royaume, mais aussi pour son bien particulier quand il voudra faire ce qu'il doibt. Il répliqua qu'on avait levé plusieurs armées pour tascher à le ruyner, mais que graces à Dieu on ne lui avait pas faict grand mal e et qu'il aurait e bientost de grandes forces de reytres. Elle soutint qu'il n'avait point de reîtres, et que quand il en auroit, ce seroit sa propre ruyne, car il achèveroit de se faire hayr des catholicques, de qui il debvroit rechercher l'amytié. Comme elle le pressait de lui dire ses intentions, il objecta qu'il ne pouvait rien faire par lui seul et qu'il devait consulter les Églises. Elle lui représenta, dit-elle, par les plus vives raisons que j'ay peu, comme elles sont très grandes et très véritables en cella, que vous luy tendiez les bras pour son grand bien, et que s'il tardoit plus à les recepvoir, il y auroit regret toute sa vie. Mais elle n'en tira rien, et encore après beaucoup de difficultez, que la promesse d'en parler le soir à ses partisans[62]. Les propos furent quelquefois très vifs, ainsi que nous le savons par d'autres témoignages, qui malheureusement sont suspects de quelque arrangement. ....Le Roy, qui m'est, aurait dit le roi de Navarre, comme père, au lieu de me nourrir comme son enfant, et ne me perdre, m'a faict la guerre en loup, et quant à vous, Madame, vous me l'avez faite en lionne. — Mais mon fils ...voulez-vous que la peine que j'ay prise depuis six mois ou environ demeure infructueuse ?Madame, ce n'est pas moy qui en suis cause ; au contraire c'est vous. Je ne vous empesche que reposiez en vostre lict, mais vous depuis dix-huict mois m'empeschez de coucher dans le mien. — Et quoy ! seray-je toujours dans ceste peyne, moi qui ne demande que le repos !Madame, ceste peyne vous plaist et vous nourrit ; si vous estiez en repos, vous ne sçauriez vivre longuement[63]. C'était la bien connaître.

Il revint le lendemain avec Condé, et tous deux demandèrent deux mois pour faire venir les députés des Eglises et écrire en Angleterre et en Allemagne, comme ils y sont tenus envers leurs amys. Les conseillers de la Reine-mère, qu'elle tira à part pour les consulter, furent d'avis de n'accorder qu'un mois ou six semaines, mais les princes ne cédèrent pas[64].

Les deux dernières entrevues furent plus courtoises, mais sans plus d'effet. Elle lui avait fait dire que c'était la volonté du Roi et la sienne qu'il revint au catholicisme et fit cesser l'exercice de la religion réformée dans les villes qu'il occupait. Il s'étonna qu'elle eût pris la peine de le venir trouver pour lui renouveler une proposition dont il avait les oreilles rompues. Quand ils se revirent, elle insista jusqu'à l'importunité sur les avantages d'une conversion. Enfin, voyant qu'elle ne gagnait rien sur lui, elle offrit de lui accorder une trêve générale d'un an à la charge qu'il n'y eût nul exercice de la religion [réformée] dans le royaume. Mais il répondit que l'exercice de la religion ne pouvait être suspendu que par un concile libre et légitime. Ils se séparèrent sur la promesse vague de se revoir un peu plus tard en compagnie des députés des Églises pour adviser aux moyens d'une bonne et perdurable paix[65], et en attendant ils prolongèrent la trêve de deux mois et demi sans conditions.

Elle avait eu double négociation à conduire, avec ce gendre qui se montrait intraitable, avec son fils, dont les instructions changeaient d'une lettre à l'autre. En janvier 1587, il écrivait à sa mère qu'il était résolu à la guerre, si le roi de Navarre refusait de se réduire à la religion catholicque et y ranger ceulx de son oppinion[66]. Mais le même mois, il prévoyait une trêve d'un ou deux ans pour permettre la réunion d'une assemblée des États ou des principaux du royaume, qui aviseraient au salut d'iceluy. Il faudrait pourtant que le roi de Navarre l'aidât au faict de la religion. S'il se convertissait, il lui conserverait le rang qui luy appartient en ce royaume et ne souffrirait qu'il luy en soit faict aucun tort. En outre, il lui donnerait une pension telle que l'on a accoustumé de donner à un filz de France, qui est de cent mil livres tournois par an ; mais il luy fault oster l'espérance d'avoir un appanage ; car c'est chose qu'il n'accorderait jamais. Toute cette affaire doit être conduite très secrètement pour ne pas encourager la désobéissance des huguenots ou provoquer l'inquiétude des catholiques[67].

Peut-être Catherine a-t-elle employé d'autres arguments pour décider son gendre à changer de religion et de parti.

Après la mort du duc d'Anjou, la reine de Navarre avait plus intérêt que jamais à maintenir en étroite union son frère, qui n'avait pas d'enfant, et son mari, que la loi salique appelait à lui succéder. Mais il aurait fallu aimer les deux rois ou mieux encore être aimée d'eux. La réconciliation des deux époux n'avait pas été suivie de cet accord parfait que la Reine-mère recommandait à la protection divine. Le roi de Navarre s'était épris, et comme toujours follement, de Diane d'Andouins, veuve de Philibert, comte de Guiche et de Gramont, la belle Corisande[68], comme il l'appelait, qui n'était pas d'humeur à se laisser traiter de haut ou mettre de côté. Elle s'estimait d'assez grande maison pour épouser le roi de Navarre et, en ayant l'espérance, comptait bien se débarrasser de cette intruse légitime. Marguerite, irritée des bravades de la maîtresse et des rebuffades de l'amant, s'était enfuie de Nérac, où elle ne se croyait plus en sûreté, et réfugiée dans Agen, ville de son apanage (mars 1585). Elle s'unit aux princes catholiques qui allaient imposer à Henri III l'humiliant traité de Nemours, leva des troupes, se retrancha, et, femme de l'héritier présomptif, se déclara contre l'héritier présomptif. C'était bien choisir son temps pour se ressentir des infidélités de son mari.

La Reine-mère s'était d'abord apitoyée sur le sort de sa fille, qui vivait à Agen fort desnuée de moyens et elle avait prié Villeroy de la faire secourir de quelque argent, s car à ce que j'entendz elle est en très grande nécessité, n'ayant pas moien d'avoir de la viande pour elle [69]. Mais ses bonnes dispositions ne durèrent pas. Henri III, qui ne pardonnait pas à la Ligue de vouloir le mettre en tutelle, avait de nouvelles raisons de détester sa sœur, qui s'y était affiliée. Il tenait la preuve authentique, bien qu'elle niât effrontément, qu'elle avait demandé asile au duc de Lorraine, cet allié honteux du parti catholique, en intention peut-être de se rapprocher du duc de Guise et des principaux chefs ligueurs. Catherine en fut malade de chagrin. En ces nouveaux troubles, écrit-elle à Villeroy, elle recevait de sa fille tant d'ennuyz qu'elle en avait cuidé (pensé) mourir [70]. Dans une lettre à Bellièvre du 15 juin, elle parlait de cette createure que Dieu lui avait laissée pour la punytyon de ses péchés, mon flo (fléau), disait-elle, en cet (ce) monde[71].

Elle continuait à s'intéresser à elle, mais c'était par acquit de conscience, et il faut avouer que Marguerite mettait sa tendresse à une rude épreuve. Henri III ayant ordonné au maréchal de Matignon de la chasser d'Agen (25 septembre 1585), la Reine-mère fit offrir à la fugitive — était-ce un asile ou une prison ? — le château d'Ibois (près d'Issoire) ; mais Marguerite refusa de sortir de Carlat (arrondissement d'Aurillac), où elle s'était retirée, et pendant plus d'un an (31 septembre 1585-13 octobre 1586), elle y vécut abandonnée à ses plaisirs, n'écoutant ni ordres ni remontrances.

Puis, à bout de ressources, elle partit sans chevaux et sans armes et portée, dit Catherine, part quelque aysprit (bon ou mauvais génie)[72], elle franchit les âpres montagnes du Cantal pour gagner Ibois, dont elle n'avait pas voulu un an auparavant. Mais l'humeur de la Reine-mère n'était plus la même, à supposer même que son offre d'antan ne fût pas un piège. Elle était scandalisée de la liaison publique de sa fille avec un tout petit gentilhomme, d'Aubiac, et avait résolu d'y mettre ordre à la façon du temps. Aussitôt qu'elle sut l'arrivée de Marguerite à Ibois, elle pressa le Roi avec une ardeur cruelle de la faire arrêter sans perdre une heure, aultrement et (elle) nous fayra encore quelqu'aultre honte. Tenés-i la mayn, écrit-elle à Villeroy, qu'yl (Henri III) euse de delygense (use de diligence) et que, lui, Villeroy fasse ce qui sera nécessaire pour à set coup, nous haulter (ôter) de se torment ynsuportable[73]. Mais Henri III n'avait pas besoin d'être excité. Avant même d'avoir reçu la lettre de sa mère, il avait ordonné à Canillac, gouverneur de la Haute-Auvergne, de se saisir de sa sœur et de l'enfermer dans le château d'Usson, haut perché sur un roc et ceint d'un triple rang de remparts[74]. Sa lettre au Conseil des finances pour demander l'argent nécessaire à la garde de la prisonnière respire la haine, comme aussi cet ordre à Villeroy : Je ne la veuz apeller dans les [lettres] patentes que seur (sœur) sans chere et bien aimée ; ostez cella[75]. Il ajoutait : La Reyne m'enjoint de faire pandre Obyac et que ce soit an la presence de seste miserable en la court du chateau d'Usson[76].

C'était pendant les conférences de Saint-Brice que le Roi arrêtait avec sa mère la détention et le châtiment de la coupable. Il n'est donc pas invraisemblable que Catherine ait offert à son gendre, s'il abjurait, de faire enfermer sa fille dans un couvent et de le remarier avec sa petite-fille, Christine de Lorraine. La conversion du roi de Navarre aurait été si avantageuse à Henri III que Catherine a pu penser, pour un résultat de cette importance, à faire annuler une union, qui était déjà dissoute en fait. Mais il répugne de croire qu'elle ait proposé ou laissé proposer à Henri de Navarre de le débarrasser de Marguerite en la faisant mourir. L'histoire est, il est vrai, rapportée par Claude Groulard, premier président du parlement de Normandie, et celui-ci l'avait ouï raconter en 1588, moins d'un an après les conférences de Saint-Brice, par le maréchal de Retz, qui y avait assisté. Mais Groulard était un politique et, comme la plupart des politiques, il tenait Catherine pour le mauvais génie de la famille des Valois. Quand il répétait, en 1599, la conversation du maréchal de Retz à Henri IV, devenu roi de France, il y avait onze ans qu'il l'avait entendue et peut-être y avait-il inconsciemment ajouté. Le fait qu'Henri IV, à qui il en faisait le récit, lui eust dict que tout cela estoit vrai[77] ne prouve guère. Henri IV estimait que son métier de roi était de régler les affaires d'état, non de renseigner les curieux. Quand ses historiographes, Pierre Matthieu par exemple, l'interrogeaient sur un événement du passé, il faisait la réponse que l'intérêt du moment lui suggérait[78]. A la date où Groulard invoquait son témoignage, il avait obtenu de Marguerite de Valois qu'elle consentît au divorce et probablement lui convenait-il de laisser croire qu'il avait sauvé la vie à la femme qui venait, très opportunément pour l'avenir de sa dynastie, de lui rendre sa liberté. C'est à lui qu'Henri III, dans une lettre à sa mère du commencement de 1587, impute la suggestion de mesures rigoureuses contre sa sœur. ...Il ne fault pas, écrivait-il, qu'il attende de nous que nous la traitions inhumainement ny aussi qu'il la puisse repudier pour après en espouser une aultre... je voudrois qu'elle fust mise en lieu où il la peusse (pût) veoir quand il voudroit pour essayer d'en tirer des enffans et neantmoins fust asseuré qu'elle ne se pourroit gouverner aultrement que tres sagement, encores qu'elle [n']eust volonté de ce faire.... Je pense bien que cette ouverture luy sera d'abordée de dure digestion, d'aultant que j'ay entendu qu'il a le nom de sa dicte femme très à contrecœur. Si est-ce toutes fois qu'il fault qu'il se resolve de n'en espouser jamais d'aultre tant qu'elle vivra et que, s'il s'oublioit tant que de faire aultrement, oultre qu'il mettroit sa lignée en doubte pour jamais, il me auroyt pour ennemi capital[79].

Du récit de Claude Groulard comparé avec cette lettre, et en supposant qu'il soit exact, on peut simplement conclure que la Reine-mère a d'elle-même, sans l'aveu de son fils, proposé à son gendre la solution du divorce et du remariage, qu'elle lui savait agréable, mais à condition qu'il se fît catholique et elle savait combien il y répugnait. L'appât qu'elle lui tendait n'avait peut-être d'autre objet que de mesurer la force de son attachement au parti protestant.

Marguerite, dans les premiers temps de sa captivité, se crut perdue. Elle écrivait à M. de Sarlan, maître d'hôtel de Catherine : Soubs son asseurement et commandement (de sa mère) je m'estois sauvée chez elle et au lieu du bon traitement que je m'y promettois je n'y ai trouvé que honteuse ruine. Patience ! elle m'a mise au monde, elle m'en veut oster[80]. Avait-elle le soupçon de quelque dessein criminel ou parlait-ellede sa réclusion avec l'exagération de la douleur ?

Mais elle ne s'abandonna pas longtemps. Elle séduisit ou acheta le marquis de Canillac, son geôlier[81]. Le duc de Guise ne l'oubliait pas. Dès le 18 février 1587, la Reine-mère savait par une lettre du Roi que Canillac négociait avec les ligueurs. Elle refusait de croire à cette infidellité, de la part d'un serviteur jusque-là si zélé. Monsieur mon filz... ce me seroit une telle augmentation d'affliction que je ne sçay comment je la pourrois supporter[82]. Mais deux jours après elle apprenait, sans y ajouter encore foi, que dans une réunion à Lyon, où se trouvaient quelques-uns des plus notables personnages de la Ligue, M. de Lyon (Pierre d'Epinac, archevêque de Lyon), le gouverneur Mandelot et le comte de Randan, gouverneur d'Auvergne, Canillac avait promis de mettre la Reyne de Navarre en lyberté et en lyeu seur[83]. En effet Canillac s'entendit avec Marguerite et lui livra le château, d'où il avait fait sortir ou laissé expulser les Suisses qui le gardaient. Elle vécut là dénuée de ressources, reniée par les siens, mais toutefois à l'abri des tempêtes politiques et des catastrophes et se consolant de ses disgrâces par l'étude, la rédaction de ses Mémoires et d'autres plaisirs moins innocents[84]. Henri III avait trop d'affaires pour penser à reprendre Usson.

A Saint-Brice, le roi de Navarre s'était gardé de rompre avant que les secours d'Allemagne fussent rassemblés ; il fit traîner ensuite les négociations tant qu'il put. Il donnait par exemple rendez-vous à Catherine à Fontenay, mais de Marans où il venait d'arriver, il se refusait à faire un pas vers elle. Il finit par lui envoyer le vicomte de Turenne, qui lui proposa sans rire le secours des protestants français et étrangers pour restablir l'autorité du Roi anéantie par ceulx de la Ligue et acquérir un perdurable repos à ses sujets[85]. Elle comprit que le roi de Navarre se moquait d'elle ; ce fut la fin des conférences (7 mars 1587).

Il y avait sept mois et demi qu'elle avait quitté son fils. Elle revint à Paris où sa présence était bien nécessaire. Elle ne pouvait pas traiter avec un parti sans alarmer l'autre. Avant même qu'elle eût joint le roi de Navarre, le duc de Guise écrivait à l'ambassadeur d'Espagne Mendoza qu'elle voulait troubler le repos des catholiques de ces deux couronnes (France et Espagne), qui consiste en union[86]. Il invita son frère, le duc de Mayenne, en prévision du compromis qu'il redoutait, à rentrer en son gouvernement de Bourgogne et à s'assurer de Dijon. Les chefs de la Ligue réunis à l'abbaye d'Ourscamp (octobre 1586) décidèrent d'inviter le Roi à observer l'Édit d'Union de point en point, et s'entre-jurèrent de lui désobéir s'il faisait quelque accord avec les hérétiques. Sans attendre ses ordres, ils attaquèrent le duc de Bouillon, qui recueillait dans ses États les protestants fugitifs, et, contrairement à ses ordres, Guise assiégea pendant l'hiver de 1586-87 les places de Sedan et de Jametz, qui bridaient la Lorraine.

Le duc d'Aumale s'empara de Doullens, du Crotoy, etc., en Picardie. A Paris, la haute bourgeoisie parlementaire restait fidèle à Henri III par loyalisme et par peur des troubles ; mais la moyenne bourgeoisie et le peuple s'indignaient de sa mollesse contre les hérétiques et imputaient à hypocrisie les pèlerinages, les processions et les retraites, toutes les mascarades de sa piété maladive. L'exécution de Marie Stuart (18 février) surexcita la haine contre les protestants, ces protégés de la Jézabel anglaise. Les ligueurs les plus ardents complotèrent de se saisir de la Bastille, du Châtelet, du Temple, de l'Hôtel de Ville et de bloquer le Louvre. Ils trouvaient le duc de Guise bien froid, un Allemand, comme ils disaient, et ils s'ouvrirent de leur dessein à Mayenne qui faisait sonner très haut ses succès en Guyenne. Mais Mayenne, ou par peur de la responsabilité ou par ordre d'Henri III, sortit de Paris. Le projet fut ajourné, mais la propagande reprit plus ardente. Les prédicateurs... servoient de fuzils à la sédition s. Des émissaires allèrent dans les provinces et les grandes villes porter des mémoires où la Ligue accusait le Roi de faire entrer en France une armée de reîtres hérétiques pour leur s donner en proie les bons catholiques[87].

Après avoir essayé sans succès de détacher le roi de Navarre du parti protestant, Henri III n'avait d'autre ressource que de se rapprocher du parti catholique. Il laissa un mois de repos à peine à sa mère et la fit partir à la mi-mai pour Reims où elle se rencontra avec le cardinal de Bourbon et le duc de Guise. Mais, après les conférences de Saint-Brice où les chefs ligueurs soupçonnaient une velléité de défection, elle n'était peut-être pas qualifiée pour rétablir la confiance. Après trois semaines de négociation (24 mai-15 juin), ils lui accordèrent seulement une prolongation de trêve pendant un mois pour le duc de Bouillon ; mais ils refusèrent de restituer Doullens et le Crotoy au duc de Nevers, que le Roi avait fait gouverneur de Picardie afin de le brouiller décidément avec la Ligue. Pour dernière concession, ils offrirent de désigner au choix du Roi pour le gouvernement de Doullens trois candidats de leur parti, qui n'auraient pas été mêlés à la prise d'armes de la province.

Catherine était très émue de ce nouvel échec diplomatique, craignant que son fils ne l'accusât d'incapacité. Aussi s'excusait-elle, dans une lettre à Villeroy, sur le peu de temps dont elle disposait. ...Quant on va en quelque lyeu l'on ne peult enn vin (en vingt) jours acomoder les afeyres. Elle demandait sur la question de Doullens l'avis de son fils : Je vous prye que je sache sa résolutyon, car telle qui la (celle qu'il) pansera la mylleure, je latroveré très bonne [88]. Elle n'a plus d'autre politique que de complaire à son fils.

Henri III voyait bien que la diplomatie de sa mère ne viendrait pas à bout des défiances ligueuses. Il envoya le duc de Joyeuse contre le roi de Navarre, il chargea Guise et le duc de Lorraine de barrer la route à l'armée allemande d'invasion. Lui-même s'établit sur la Loire avec le gros de ses troupes pour défendre le passage du fleuve et empêcher la jonction des protestants de l'Ouest avec leurs auxiliaires étrangers. Il comptait que Joyeuse contiendrait le roi de Navarre et que Guise, trop faible pour empêcher les reîtres de piller la Lorraine — et ce serait la juste punition du zèle ligueur de son beau-frère — ne laisserait pas de les affaiblir. Il interviendrait alors avec ses forces intactes et ferait la loi à tout le monde. Mes ennemis, disait-il, me vengeront de mes ennemis. De inimicis meis vindicabo inimicos meos.

Il avait laissé sa mère à Paris avec pleins pouvoirs. Elle montra pendant cette campagne de 1587 une prodigieuse activité. Avec Bellièvre et Villeroy pour principaux collaborateurs, elle administra l'armée, les fortifications, les finances. Elle indique aux capitaines la route la plus courte à suivre pour se rendre à leur poste ou les pays qu'il convient de traverser pour ménager les autres[89]. Elle envoie aux baillis de l'Ile-de-France et des villes et provinces circonvoisines l'ordre écrit de faire avancer les seigneurs, gentilshommes et autres gens de guerre, qui doivent rejoindre le Roi son fils[90]. Elle recommande aux gouverneurs des pays maritimes de prendre garde aux attaques par mer[91] ; aux gouverneurs, aux manants et habitants des villes de veiller à la sûreté des ponts, places et passages des rivières[92]. Elle expédie des tentes et des équipages d'artillerie, met des garnisons çà et là Elle fait venir les Suisses au faubourg Saint-Jacques, règle leurs étapes, leur prépare des logis et du pain. Elle fortifie Paris et fait rentrer dans les villes fermées tous les grains de la région d'alentour[93], s'efforce de trouver de l'argent, en demande au clergé, vend des charges, presse l'enregistrement au Parlement des édits bursaux. Les expéditions sont faites par le secrétaire d'État Brulart, mais elle les voit et les signe. Elle se retrouve bonne munitionnaire comme en 1552, lors de la campagne d'Austrasie.

Elle avait plus de peine à manier les sentiments de son fils. Le duc de Lorraine, pour se venger des dévastations de l'armée allemande, avait offert de la poursuivre en France. Henri III accepta, mais aussitôt que les reîtres de Charles III furent entrés dans le royaume, il exigea qu'ils abandonnassent l'écharpe jaune et le nom de forces du duc de Lorraine. Il lui commanda aussi de renvoyer les quinze cents lances espagnoles que le duc de Parme, gouverneur de Philippe II, lui avait expédiées des Pays-Bas. Avait-il peur que son beau-frère une fois vengé ne se servît contre lui de tous ces renforts, ou tenait-il à rappeler à ce complice masqué des ligueurs qu'il était le maître en son royaume ? Quoi qu'il en soit, Charles III fut tellement ému de sa hauteur ou de sa défiance que les larmes lui en vinrent aux yeulx[94].

Catherine s'était dès le début entremise pour apaiser un conflit, dont les suites pouvaient être si graves[95], et ce fut naturellement au duc de Lorraine qu'elle demanda de céder. Elle savait l'antipathie d'Henri III contre tous les Lorrains, et, pensant qu'avec les forces dont il disposait il devait être encore plus difficile, elle ne se risquait pas à lui recommander la modération. Elle informait Villeroy que son gendre lui avait promis de donner tele asseurance que le Roy en pourrét prendre toute sureté, et elle le chargeait d'annoncer à son fils cette concession — en fait une demi-concession qui tenait compte des peurs, non des susceptibilités d'Henri III. ...Quelque foys le Roy ne prent pas corne ayst mon yntention et panse que je le face pour volouyr (vouloir) toute chause palyer au (ou) pour les aimer (les Lorrains) au (ou) pour aystre trop bonne, qui est aultant à dire que je ayme quelque chause plus que luy qui m'est tres [cher] à jamès, au (ou, que je soye une pouvre creature que la bonté mene[96]. Elle gémit que le Roi doute de son affection ou la croie sottement sensible. Deux suppositions humiliantes pour une mère aussi tendre et pour une femme d'État.

L'intérêt de son fils est son unique règle. Assurément le duc de Lorraine a tort, mais doit-on se priver des secours qu'il procure et s'aliéner cet homme qui nous a aysté tousjours amy, et mesme le chasser. Refuser son aide, c'est braver l'opinion du pape, du roi d'Espagne, de la chrétienté tout entière, et qui pis est, de ce royaume : Je vous lese (laisse) à penser qu'ele aubeysance il (Henri III) aura de cette vyle (Paris) et des autres et de beaucoup de provinces. Sous peine d'être accusé de connivence avec les huguenots, il faut se contenter des assurances du duc de Lorraine. Mais le Roi tint bon ; et le Duc qui ne voulait pas céder se retira ; mais, par un compromis que lui suggéra probablement Catherine, il envoya son fils, le marquis de Pont-à-Mousson, avec quelques troupes qui prêtèrent serment au roi de France. La Reine-mère avait appris le 25 octobre la victoire du roi de Navarre sur l'armée royale et la mort de Joyeuse à Coutras (20 octobre). C'est ung grand malheur, écrivait-elle à son fils, que la perte que vous avez faite en Guyenne, dont je suis en tres grande poyne depuis hier disner que le jeune Desportes me dict ces nouvelles si mal à propos (si malheureuses en ce temps-ci) ; et, continue-t-elle, j'en eus une telle esmotion que je n'en ay pas esté bien à mon aise depuis[97].

Mais elle crut le mal réparé quand le Roi, par force d'argent d'ailleurs, obtint la retraite des Suisses (27 novembre) et des Allemands de l'armée de secours (8 décembre). Elle écrivit d'enthousiasme à Matignon, lieutenant général en Guyenne, de faire aussi bien de son côté, car de desà nous n'avons plus ryen à fayre ca (qu'à) remersyer Dyeu, nous ayent (ayant) telement haydé que s'ét un vray miracle et a monstré à cet coup qu'il aime bien le Roy et le royaume et qu'yl est bon catolique (le Roi, je suppose, et non Dieu). Cete ayfect (cet effet) douyt (doit) convertyr tous les huguenots et [faire] conestre que Dieu n'en veult plus soufryr[98]. Elle était trop prompte à prendre ses désirs pour des réalités. Les huguenots, qui venaient de gagner leur première bataille rangée à Coutras, ne parlaient pas de se convertir, et les ligueurs, qu'exaltaient deux succès de Guise à Anneau et à Vimory, reprochaient au Roi de n'avoir pas exterminé les envahisseurs et même d'avoir défendu à Guise et au marquis de Pont-à-Mousson, qui d'ailleurs ne lui obéirent pas, de les pourchasser jusqu'à la frontière.

Les difficultés recommencèrent. Le duc d'Aumale voulait le gouvernement de la Picardie et préalablement s'installait de force dans toute la province dont je demeure fort en peine, écrit la vieille Reine[99]. Le cardinal de Bourbon se montrait furieux d'une lettre qu'il avait reçue d'Henri III. Mayenne se plaignait à elle que le Roi lui eût commandé de licencier deux compagnies de gens de pied.

Les chefs de la Ligue se réunirent à Nancy en janvier 1588 et arrêtèrent la liste de leurs exigences : octroi de nouvelles places de sûreté, destitution de d'Epernon et de son frère La Valette, publication du concile de Trente et établissement de l'Inquisition au moins ès bonnes villes du royaume, confiscation et vente des biens des hérétiques, taxes énormes sur les suspects d'hérésie, mise à mort des protestants qui seraient pris en combattant et refuseraient de vivre catholiquement à l'avenir, etc.[100]

C'était le moment où la grande Armada de Philippe II s'apprêtait à faire voile vers la Manche pour aller prendre en Flandre et débarquer en Angleterre l'armée du duc de Parme. Les chefs de la Ligue, associés à ce haut dessein catholique contre Élisabeth et le protestantisme européen, voulaient garder les ports de Picardie qu'ils occupaient et même ils tentèrent de s'emparer de Boulogne pour y recevoir au besoin la flotte espagnole. Bellièvre et La Guiche ne purent obtenir de Guise qu'il engageât le duc d'Aumale à restituer les places prises. Catherine était très mécontente. Elle écrivit à Bellièvre de sa main de dire au Duc qu'elle ne certifierait plus au Roi ce qu'il lui manderait, car je suys bien marrye qu'yl (son fils) aye occasion de me dire corne yl yst yer (hier) : Vous m'avés dyst qu'il (les Guise) me contereront (contenteront) et vous voyé si j'é aucasion de l'estre (1er avril 1588)[101]. Et elle ajoute : J'é tent de mal au dens que re vous en dirés daventège. Elle peinait à concilier des volontés inconciliables et ressentait d'autant plus vivement ses misères physiques. Le Roi, déclarait Villeroy, ne peut plus vivre comme il a vécu ; il veut être obéi. Mais les Guise étaient résolus à désobéir.

Henri III avait envoyé à Soissons, pour faire une dernière tentative, Bellièvre, le conciliant Bellièvre. Peut-être le duc de Guise aurait-il continué les négociations sans conclure ni rompre, car, ayant lié partie avec Philippe II, il était obligé de subordonner ses mouvements à ceux du roi d'Espagne et la prise d'armes de la Ligue à l'apparition encore ajournée de l'Armada. Mais il devait compter plus encore avec les ligueurs parisiens qui, par zèle et aussi par peur, étaient impatients d'agir. Ils s'étaient (levés en armes contre les archers du roi, chargés d'arrêter trois prédicateurs factieux ; ils avaient assailli le duc d'Epernon sur le pont Notre-Dame, et ils avaient lieu de craindre que le Roi, ainsi bravé, ne voulût prendre sa revanche. Aussi pressaient-ils leur chef d'arriver. Guise, pour avoir un prétexte d'intervenir, refusait obstinément toute concession à Bellièvre. Catherine lui faisait dire (22 avril) le regret extresme que j'auray s'il ne donne contantement au Roi monsgr et filz[102]. Mais il lui importait beaucoup plus de contenter ses partisans que son maître : ...Je veoy, écrivait Bellièvre le 24 avril, ces princes estre tellement altérés des avis qui leur sont donnés du cousté de Paris que je crains fort que le succès ne soit pas tel que nous devons désirer pour le contentement du Roy et le repos de ce Royaulme[103]. Et, désespérant d'aboutir, il demanda son rappel.

Henri III était exaspéré, comme le prouve un billet à Villeroy : La passion à la fin blessée se tourne en fureur ; qu'ils ne m'y mettent point. Il fit défendre à Guise de venir à Paris sous peine d'être rendu responsable des émotions qui pourraient s'ensuivre. Mais les ligueurs parisiens décidèrent leur chef à passer outre. Le 9 mai, quelques heures après le retour de Bellièvre, il entrait lui-même à Paris par la porte Saint-Denis avec neuf ou dix compagnons. Aussitôt qu'il fut reconnu, les acclamations, les cris de Vive Guise ! Vive le pilier de l'Église éclatèrent. La foule se pressait autour de lui, confiante, familière, heureuse de le voir, de toucher son manteau. Mais cette explosion d'enthousiasme populaire était pour lui un danger de plus ; il pouvait craindre la peur du Roi, plus redoutable encore que son orgueil. Il alla droit à l'hôtel que la Reine-mère habitait depuis quelques années près du Louvre, pour s'expliquer et se faire comme une sauvegarde de sa politique conciliante contre le premier mouvement de la fureur de son fils[104].

Le ligueur anonyme, qui a laissé de ces mémorables événements un récit, à ce qu'il semble, bien informé, raconte que la naine de Catherine, regardant d'aventure par la fenêtre, s'écria que le duc de Guise était à la porte, et que la Reine-mère, croyant à une plaisanterie, dit qu'il falloit bailler le fouet à ceste nayne qui mentoit. Mais à l'instant, elle cogneust que la nayne disoit vray. Il ajoute, sans souci de la contradiction, qu'elle fut tellement esmeue d'ayse et de contentement qu'on la vit (singuliers signes de contentement !) trembler, frissonner et changer de couleur[105]. L'ambassadeur vénitien écrit, le jour même, qu'elle resta toute sens dessus dessous[106], et ce n'était pas de joie. Au fait, Catherine ne cacha pas à Guise qu'elle eût mieux aimé le voir en une autre saison. Mais il lui importait avant tout d'empêcher entre son fils et le chef de la Ligue une rupture irréparable, et peut-être craignait-elle pis encore.

Elle résolut, dans l'intérêt même d'Henri III, de s'entremettre en faveur de Guise. Elle le conduisit au Louvre dans son carrosse, raconte Jean Chandon, un maître des requêtes du Grand Conseil qui les vit arriver, et le mena droit au cabinet du Roi. Henri III debout reprocha au Duc d'être venu contre son commandement. D'après le même témoin qui rouît dire immédiatement après au chancelier Cheverny, présent à l'entrevue, Guise aurait répondu que la Reine-mère l'avait mandé. Catherine, avouant cette excuse qu'elle avait probablement suggérée, expliqua qu'elle avait fait venir le Duc pour le mettre bien auprès du Roy comme il avoit esté toujours et pacifier toute chose. Henri III ne crut pas un instant que Catherine se fût permis à son insu d'envoyer cette invitation, ou eût dissuadé Bellièvre de transmettre sa défense. Il prit, dit Jean Chandon, cette réponse pour argent comptant[107], c'est-à-dire pour ce qu'elle valait. Mais il ne pouvait plus incriminer le voyage de Paris, puisque sa mère en prenait la responsabilité.

Pendant les deux jours qui suivirent, Catherine chercha un moyen d'accord. Le mardi 10, elle eut une conférence avec le Duc et remit en avant la restitution des villes de Picardie. Guise aurait répondu, d'après l'anonyme ligueur, que ce n'étaient pas ses affaires et qu'il fallait penser à guérir tout le corps de l'État. Avec le Roi, les propos prirent un tour plaisant. Le Duc demanda la permission d'appeler à Paris l'archevêque de Lyon, Pierre D'Épinac, l'intellect agent de la Ligue. Le Roi dit qu'il serait le très bien venu. Le Duc ajouta comme en se jouant qu'il s'estoit toujours asseuré que sa Majesté ne le trouveroit mauvais puisque soubs main il leur auroit voulu oster et l'auroit fait pratiquer. Le Roi aurait dit aussi, pensant peut-être à son favori, le duc d'Épernon, dont les ligueurs exigeaient impérieusement le renvoi : Qui aimoit le maistre, il aimoit son chien. Et l'autre de répliquer, mais est-ce croyable ? que cela estoit vray pourveu qu'il ne mordist et que le maistre, le chien et le valet doibvent estre discretz[108].

Le lendemain, c'en était fini du badinage. Henri, qui se trouvait dans la chambre de sa mère quand le Duc y arriva, tourna la tête et feignit de ne pas le voir. Guise s'assit sur un coffre et se plaignit à Bellièvre des mauvais rapports qu'on faisait contre lui. Le Roi avait appris que les ligueurs se préparaient à la bataille et il prenait lui-même ses dispositions. Dans la nuit du mercredi II au jeudi 12, il fit entrer dans Paris, contrairement au privilège qu'avait la ville de se garder elle-même, le régiment des gardes françaises et les Suisses cantonnés dans le faubourg Saint-Jacques. L'Université s'agita. Des étudiants et des bourgeois se retranchèrent place Maubert avec des futailles vides. Au lieu de disperser par la force ces premiers rassemblements, Henri III, surpris, envoya Bellièvre à l'Hôtel de Guise déclarer à l'instigateur présumé de cette résistance qu'il n'avait aucun mauvais dessein contre lui[109]. La Reine mère arriva presque aussitôt ; et, rassurée de trouver le chef de la Ligue en pourpoint, elle lui fit entendre le mécontentement que le Roi prenoit de cette émotion et le pria d'y mettre ordre. Il répondit que de tout cela il ne savoit autre chose que ce qu'aucuns bourgeois lui avoient rapporté. Et sur ce qu'on desiroit qu'il fit poser les armes aux bourgeois, il dit qu'il n'étoit point colonel ni capitaine, qu'elles avoient été prise sans lui et que cela dépendoit de l'autorité des magistrats de la ville.

Cette réponse, pourtant si évasive, ne la découragea pas. Elle retourna au Louvre en esperance que les choses s'apaiseroient[110]. Mais, pendant ces allées et venues, le peuple, irrité par la présence des soldats, s'échauffait peu à peu et inaugurait l'arme des révolutions, les barricades. Gardes françaises et Suisses furent cernés entre des retranchements improvisés et Henri III, pour les sauver, fut obligé de solliciter l'intervention de Guise Mais les ligueurs les plus ardents parlaient d'aller prendre ce bougre de roi en son Louvre. Le vendredi matin, quand la Reine-mère sortit, selon son habitude, pour aller entendre la messe à la Sainte-Chapelle, elle trouva les rues barrées et fut forcée de passer à beau pied par les défilés qu'elle se faisait ouvrir dans les remparts de pavés et de tonneaux, et qu'on refer mait derrière elle. Elle monstroit un visage riant et asseuré sans s'estonner de rien[111]. Mais quand, à travers les mêmes obstacles, elle fut revenue à son hôtel, tout le long de son disner elle ne fit que pleurer[112]. Elle ne désespérait pas encore de conclure un accord. L'après-midi, dans un Conseil au Louvre, elle soutint seule que le Roi ne devait pas quitter Paris. Hier, dit-elle, je ne cogneus point aux paroles de M. de Guyse qu'il eust d'autre envie que de se ranger à la raison : j'y retourneray présentement le veoir et m'asseure que je luy feray appaiser ce trouble[113]. Mais elle le trouva froid à calmer la passion du peuple, disant que ce sont des taureaux échauffés qu'il est malaisé de retenir et qu'aller au Louvre, comme elle le lui demandait, se jetter foible et en pourpoint à la mercy de ses ennemis, ce seroit une grande faiblesse d'esprit[114]. Alors elle dit à l'oreille au secrétaire d'État Pinart, qui l'avait accompagnée, d'engager le Roi à quitter Paris. Il en était déjà sorti secrètement, laissant pleins pouvoirs à sa mère.

Les chefs de la Ligue étaient embarrassés de cette fuite qu'ils n'avaient pas prévue. Ils ne pensaient qu'à mettre Henri III en tutelle et à commander en son nom. Mais le roi fainéant se dérobait aux maires du Palais. Sous peine de le pousser entre les bras des protestants et de soulever les catholiques qui n'étaient pas de la Ligue, ils ne pouvaient gouverner sans lui ni contre lui. Force leur était donc de conserver les dehors de l'obéissance et d'agir de concert avec celle à qui il avait délégué son autorité dans sa capitale en révolte. Les vues de Catherine s'accordaient sur certains points avec les leurs[115]. Elle s'efforça d'adoucir son fils et de lui ramener le peuple. Elle encouragea les Corps constitués, Parlement, Cour des aides, et les Capucins à envoyer des députations à Chartres où il s'était arrêté, pour excuser ou pallier la journée des Barricades. La municipalité que la Révolution avait installée à l'Hôtel de Ville fit elle-même, mais par écrit, assurer Sa Majesté de son devoir et de sa fidélité (23 mai). Dans la requête qu'elle joignit à sa lettre et que contresignèrent le duc de Guise et le cardinal de Bourbon, elle rejetait les malheurs de la France sur d'Épernon et La Valette, son frère et réclamait leur disgrâce comme fauteurs d'hérétiques et dilapidateurs du trésor public. Elle priait aussi le Roi de marcher en personne contre les réformés de Guyenne et de laisser le soin de maintenir la ville de Paris et de pourveoir aux choses nécessaires pendant son absence à la Reine sa mère, qui par sa prudence s'y est acquise beaucoup de croiance et amour du peuple. Elle tiendra les choses très tranquilles et sçaura, comme Elle a faict cy devant en semblable occasion, se servir de personnes affectionnées au bien de vos Estats[116].

Catherine profita de la confiance qu'elle inspirait aux ligueurs pour les mieux surveiller. Elle signalait à son fils l'occupation du château de Château-Thierry par Guise, et ses projets sur Melun, Lagny, Corbeil, Étampes, et autres lieux autour de Paris[117]. Elle l'avisait que le sieur de Bois-Dauphin, un des lieutenants du Duc, pratiquait sur le château d'Angers et qu'il espérait l'avoir pour de l'argent[118]. Elle l'invitait à bien prendre garde à Chartres.

Mais en même temps elle négociait. Elle travaillait à décider les ligueurs à rabattre de leurs exigences et le Roi à faire des concessions. Henri III trouvait particulièrement dur de reconnaître la municipalité révolutionnaire et de donner au duc de Guise le commandement suprême des armées avec le titre de lieutenant général. Mais la Reine le pressait de faire la paix au plus vite et à tout prix, pour arrêter la propagation de la révolte que le duc de Parme favorisait de tous ses moyens. ...J'emerès myeulx, écrivait-elle à Bellièvre le 2 juin, doner la motyé de mon royaume et ly (au duc de Guise) doner la lyeutenance et qu'i (il) me reconeust et (ainsi que) tout mon royaume, que demeurer haletant au (où) nous sommes de voyr le Roy encore plus mal. Je say bien que [mon fils] ayent le ceour (ayant le cœur) qu'yl a que s'èt une dure medecine [à] avaler ; mès yl èt encore plus dur de se perdre de toute l'hautoryté et aubeyssance. Yl serè très loué de set (se) remetre en quelque fanon qu'i (il) le puyse fayre pour set heure ; car le temps amene baucoup de chause que l'on ne peult panser byen souvent et l'on loue ceulx que ceve (qui savent) seder au temps pour se conserver. Je preche le precheur ; mès ayscusés [moi en ce] que jamès je ne me vis en tel anuy (ennui) ny si peu de clarté pour en byen sortyr. Cet (si) Dyeu n'y met la meyn (main), je ne sé que se sera[119].

Le Roi envoya son médecin, Miron, à Paris, porteur de propositions qui furent repoussées, et se décida, en désespoir de cause, à subir la loi de ses sujets révoltés. Il adjoignit à la Reine-mère Villeroy, qui amena les princes à formuler leurs vœux : reconnaissance de la Sainte-Union, jouissance des villes de sûreté pour six ans, publication du concile de Trente (sauf les articles contraires aux libertés de l'Église gallicane), levée de deux armées, dont l'une, commandée par le duc de Guise, marcherait en Guyenne, c'est-à-dire contre le roi de Navarre (15 juin).

La municipalité, de son côté, demanda que la police de Paris fût, comme clans des villes de moindre importance, donnée au prévôt des marchands, que la Bastille fût rasée ou confiée à sa garde, que les gens de guerre fussent logés à 12 lieues de Paris, qu'il fût fait justice des hérétiques, etc. Le Roi finit par céder à peu près sur tout, et signa l'Édit sur l'Union de ses sujets catholiques, qui fut enregistré au Parlement de Paris le 21 juillet[120]. Il y confirmait la promesse faite à son sacre d'extirper du royaume toutes les hérésies, sans faire jamais aucune paix ou tresve avec les hérétiques, et commandait à ses sujets de ne recevoir à estre Roy... prince quelconque qui soit hérétique ou fauteur d'hérésie. Il déclarait éteint, assoupi, et comme non advenu tout ce qui est advenu et s'est passé les douze et treisiesme du moys de mai dernier et depuis en conséquence de ce jusques à la publication des présentes [lettres] en nostre Cour de Parlement de Paris.

Il se sépara du duc d'Epernon, que la Reine-mère n'aimait pas et que les Guise et le peuple de Paris haïssaient à mort, et l'envoya dans son gouvernement d'Angoumois. Il ne tint pas aux ligueurs d'Angoulême que Catherine ne fût complètement vengée de l'hostilité du favori[121]. D'Épernon ayant introduit des soldats dans la ville contre l'ordre exprès du Roi un ordre dont il semble bien qu'il n'ait pas eu connaissance — le maire dépêcha son beau-frère à la Cour pour dénoncer sa désobéissance. Villeroy, confident de la Reine-mère et qui avait eu à se ressentir de la hauteur du Duc, présenta le messager à Henri III et celui-ci le fit repartir avec l'ordre d'arrêter le gouverneur, mais toutefois sans faire de mal à personne. Les gens d'Angoulême n'oublièrent que les moyens de douceur. D'Epernon, investi dans le château, criblé de tous côtés d'arquebusades, obligé de barricader toutes les portes, de se prémunir contre les pétards et de se défendre contre les assauts, fut contre toute espérance sauvé par un secours qui lui arriva de Saintes (10-11 août)[122].

Cependant Catherine, qui était, la paix conclue, restée à Paris, continuait à servir son fils sans mécontenter les ligueurs. Elle dissuada les gens du Parlement de députer au Roi pour demander le paiement de leurs gages et des rentes sur l'Hôtel de Ville. Elle confirma dans ses fonctions la municipalité révolutionnaire de Paris, qui avait, en témoignage d'obéissance, donné sa démission. Mais elle répondit par un refus aux requêtes des villes ligueuses, comme Abbeville et Bourges, qui, ayant été dépouillées par les rois de leurs privilèges, pensaient profiter des troubles pour en obtenir le rétablissement.

Elle eût voulu achever la réconciliation générale, en ramenant le Roi au Louvre. Elle alla le visiter à Chartres et s'efforça sans succès de le décider au retour. D'ailleurs il accueillit bien le Prévôt des marchands et les échevins. Il conféra à Guise, le 4 août, le commandement en chef de toutes les armées ; au cardinal de Bourbon, comme à son plus proche parent, le privilège de créer un maître de chaque métier en toutes les villes de son royaume ; aux autres chefs de la Ligue des faveurs de diverses sortes, mais il resta hors de Paris. Il en voulait, comme toujours, à sa mère de lui avoir conseillé la capitulation. Soudainement (8 septembre), il renvoya les principaux de son Conseil, qu'il savait partisans de la politique de concessions : le chancelier Cheverny, le surintendant des finances Bellièvre, les trois secrétaires d'État, Villeroy, Pinart et Brulart, et il les remplaça par des hommes sans attaches et sans passé : Montholon, un avocat de grand renom et de grande intégrité, dont il fit un garde des sceaux, et Beaulieu-Ruzé et Révol, qu'il nomma secrétaires d'État. Les chefs de la Ligue savaient Henri III si fantasque en ses sympathies qu'ils crurent à un changement de personnes et non de système. Mais il tint aussi sa mère à l'écart, et, tout en lui témoignant des égards, il prétendit gouverner par lui-même. Dans une lettre du 20 septembre à Bellièvre, elle se plaignait du tort, dit-elle, qu'on m'a fest de aprendre au Roy qu'il fault byen aymer sa mère et l'honorer come Dyeu le comende, mès non ly (lui) donner tant d'aultoryté et creanse qu'ele puyse einpecher de fayre cet (ce) que l'on veult[123].

Le jour de l'ouverture des Etats généraux à Blois (16 octobre), il la loua hautement, elle présente, devant les députés des trois ordres, d'avoir tant de fois conservé l'État, qu'elle ne devait pas seulement avoir le nom de Mère du Roy, mais aussi des Mère de l'Estat et du royaulme. C'était son oraison funèbre. Elle cessa d'être consultée en toute occasion et employée en toutes les affaires, comme il est facile d'en juger par sa correspondance politique qui, si abondante à d'autres époques, se réduit désormais à quelques lettres.

Elle n'avait plus le premier rôle. Quand le duc de Savoie, Charles-Emmanuel, le digne fils d'Emmanuel-Philibert, sous prétexte de se protéger contre la propagande des réformés dauphinois, s'empara de Carmagnole et de la ville de Saluces, les dernières des possessions françaises d'outremonts, Henri III fut sur le point de déclarer la guerre à ce princerot, qui osait s'attaquer au royaume de France. A la sommation qu'il lui fit porter de restituer les places prises, Catherine joignit une lettre où elle parlait trop mollement pour une reine-mère qui aurait souci de la grandeur de la Couronne. Elle lui conseillait par l'amour qu'elle avait toujours engravé dans l'ame pour sa mère, Marguerite de France, de ne pas donner occasion au Roi de vous aystre aultre, dit-elle, que bon parent et voisyn[124]. Elle avait l'air de croire que le roi d'Espagne, beau-père de Charles-Emmanuel, se ressentirait de cette agression contre la France. Elle écrivait le même jour à la duchesse, Catherine, infante d'Espagne et sa petite-fille, pour lui représenter, en style de grand'mère, qu'ayant tant d'enfants à marier, auxquels il s'en ajouterait d'autres, elle n'avait pas intérêt à ce que neul de ses (ces) deus grens Roys fussent mal contens du Duc. Pouvait-elle penser que le roi d'Espagne prendrait le parti du roi de France ? Il est vrai que Philippe II, ayant reçu la nouvelle de l'attaque de Saluces presque en même temps que celle du désastre de l'Armada, montra d'abord quelque ennui de cette complication italienne. Il savait les jalousies des États libres de la péninsule et pouvait craindre une alliance des Vénitiens, du grand-duc de Toscane, de Ferrare, et même des Suisses, avec la France pur ramener la Savoie à ses limites. Mais il avait trop d'intérêt à fermer aux Français les routes de l'Italie pour en vouloir à son gendre. Il fit dire à l'agent savoyard à Paris qu'il ne permettrait pas au roi de France de faire injure à son maître[125]. Catherine était donc ou mal renseigné ou bien peu perspicace.

Elle eut tout le succès qu'elle désirait dans une autre négociation — celle-ci d'un caractère presque domestique — le mariage de sa petite-fille, Christine de Lorraine, qu'elle aimait comme une fille.

Bonne grand'mère, elle lui avait cherché ou rêvé pour mari, aussitôt qu'elle eut dix-huit ans[126], un prince souverain ou qui avait chance de l'être : le duc d'Anjou, dont Christine aima mieux rester la nièce ; le duc de Savoie, qui avait de plus hautes prétentions et qui en effet épousa une autre petite-fille de Catherine, mais celle-là fille de Philippe II ; et au pis aller, le prince de Mantoue, Vincent Gonzague, fils du duc régnant, si plustost (auparavant) elle (Christine) n'est mariée en lieu auquel ledict prince ne fera difficulté de céder[127]. En compensation elle destinait à ce prétendant imaginaire la sœur cadette de Christine. Pendant qu'elle disposait à sa fantaisie de la main du Mantouan, l'idée lui vint d'un autre mariage italien, celui de son petit-fils, le marquis de Pont-à-Mousson, avec une de ses nièces à la mode de Bretagne, la fille aînée du grand-duc de Toscane, François de Médicis. Ce fut la première forme d'une alliance de famille entre ses parents de Lorraine et de Toscane.

Elle ne voulait pas, pour beaucoup de raisons, du mari qu'Henri III pensa un moment donner à Christine, le duc d'Epernon. Mais son gendre, le duc de Lorraine, lui épargna l'ennui de s'opposer à cette mésalliance[128]. Elle parut définitivement fixer son choix sur un prince français, Charles-Emmanuel de Savoie, fils de la duchesse douairière de Guise, Anne d'Este, et du duc de Nemours, Jacques de Savoie, qu'elle avait épousé en secondes noces. Il était, par sa mère, arrière-petit-fils de Louis XII, parent ou allié des maisons de Savoie, de Ferrare, de France, et frère utérin de Guise et de Mayenne. La Reine-mère, qui aurait dû être plus sceptique sur l'effet de ces unions, s'enthousiasma pour ce projet, qui lui parut, après la paix de Nemours, un moyen de sceller la réconciliation des Lorrains et de son fils[129]. Elle fit demander une dispense au pape (31 décembre 1585) à cause de la parenté des futurs conjoints, mais, la querelle ayant repris entre Henri III et le duc de Guise, le mariage fut ajourné d'année en année et définitivement rompu par un changement de règne en Toscane. Un soir que le grand-duc François de Médicis dînait à Poggio à Cajano, en compagnie de son frère le cardinal Ferdinand, et de la belle aventurière vénitienne, Bianca Capello, dont il s'était assez épris pour l'épouser, il mourut subitement. Quelques heures après, sa femme mourut aussi (9 octobre 1587) ; coïncidence tragique qui fut diversement interprétée[130]. François n'ayant pas d'enfant mâle, Ferdinand lui succéda. Catherine, sans chercher à pénétrer le mystère de son avènement, saisit l'occasion d'établir Christine à Florence et d'occuper par représentation la place dont les calculs de Clément VII et les événements l'avaient privée. Jugeant que le Cardinal quitterait la pourpre et se marierait, elle engagea dès le 10 novembre une campagne matrimoniale qu'elle mena habilement[131]. Le nouveau grand-duc trouva bon d'accorder par un mariage les prétentions contradictoires de sa maison et de Catherine sur les biens patrimoniaux des Médicis de la branche aînée, un litige que compliquait encore la mort de Marguerite de Parme, veuve un premières noces d'Alexandre de Médicis et usufruitière de ces biens (1586).

Philippe II, qui s'était d'abord inquiété d'un rapprochement possible entre la Toscane et la France, finit par donner son approbation[132]. Le duc de Savoie se plaignit du tort qu'on faisoit à Monsieur de Nemours, son frère (son cousin)[133]. Mais la Reine-mère passa outre. L'homme de confiance du grand-duc, le banquier florentin Orazio Ruccellai, vint à Blois négocier les articles du contrat, qui furent signés le 24 oct. 1588[134]. Catherine donnait à Christine deux cent mille écus et tous ses biens de Florence. Elle n'eut pas la joie de voir le mariage par procuration, qui, retardé par sa maladie et sa mort, n'eut lieu que le 27 février 1589.

Elle souffrait depuis longtemps d'accès de goutte et de rhumatismes, que ramenait périodiquement son formidable appétit, et d'une toux catarrheuse, qui avec l'âge allait s'aggravant. Dans la première quinzaine de décembre, elle faillit mourir d'une congestion pulmonaire. La défaveur ou la maladie de celle qui, par prudence ou amour maternel, travaillait à maintenir l'union des catholiques, laissa le Roi directement aux prises avec les catholiques ardents. Les États généraux lui imposaient la guerre contre les hérétiques et refusaient de lui voter les fonds pour la faire. Ils exigeaient, contrairement aux traditions de la monarchie, qu'il ratifiât d'avance les décisions arrêtées d'un commun accord par le Clergé, la Noblesse et le Tiers. Un avertissement lui vint qu'on voulait le mener à Paris. La conversation qu'il eut le 22 décembre avec Guise le troubla comme une menace. Le chef de la Ligue se serait plaint que ses actions les plus innocentes étaient pour son malheur toujours mal interprétées et lui signifia qu'il était résolu à céder la place à ses ennemis et à résigner ses fonctions de lieutenant-général. Henri III crut que Guise quittait cette dignité pour en obtenir une plus haute, la connétablie. Tremblant pour sa liberté et peut-être pour sa vie, il attira le sujet rebelle dans sa chambre et le fit tuer par les Quarante-Cinq (23 décembre 1588).

Aussitôt après le meurtre, il descendit chez sa mère, dont l'appartement était situé au-dessous du sien. Un homme était là le médecin de la Reine, Cavriana, — agent secret du grand-duc de Toscane — qui le lendemain écrivit au secrétaire d'État à Florence ce qu'il avait vu et entendu. Le Roi entra et lui demanda comment allait sa mère. Il répondit : Bien, et qu'elle avait pris un peu de médecine. Henri s'approcha du lit et dit à Catherine de l'air le plus assuré et le plus ferme du monde : Bonjour, Madame. Excusez-moi. M. de Guise est mort ; il ne se parlera plus de lui. Je l'ai fait tuer, l'ayant prévenu en ce qu'il avait le dessein de me faire. Et alors il rappela les injures que depuis le 13 mai, jour de sa fuite de Paris, il avait pardonnées pour ne pas se salir les mains du sang de ce rebelle, mais, sachant et expérimentant à toute heure qu'il sapait ou minait (ce furent ses propres paroles) son pouvoir, sa vie et son État, il s'était résolu à cette entreprise. Il avait longtemps hésité ; enfin Dieu l'avait inspiré et aidé, et il allait de ce pas lui rendre grâces à l'église, à l'office de la messe. Il ne voulait pas de mal aux parents du mort, comme les ducs de Lorraine, de Nemours, d'Elbeuf et Mme de Nemours, qu'il savait lui être fidèles et affectionnés. Mais je veux être le roi et non plus captif et esclave comme je l'ai été depuis le 13 mai jusqu'à cette heure, à laquelle je commence de nouveau à être le roi et le maître. Il avait fait arrêter le cardinal de Bourbon et lui avait donné des gardes pour s'assurer de lui. Ainsi avait-il fait du cardinal de Guise et de l'archevêque de Lyon. Après cette déclaration, il s'en retourna avec la même contenance ferme et tranquille[135]. Cavriana, qui était tout près, ne laisse pas entendre que Catherine ait répondu. Qu'aurait-elle pu dire à cet homme rasséréné et ragaillardi, comme le remarque l'Italien, par le plaisir de la vengeance ? La moindre réserve l'aurait blessé. Cavriana ajoute que la Reine-mère est souffrante et qu'elle sort d'une terrible bourrasque de mal dont elle a failli mourir et je crains, conclut-il, que le départ de Madame la princesse de Lorraine (pour la Toscane) et ce spectacle funèbre du duc de Guise n'empirent son état[136].

Plus tard, le bruit courut — et il a été recueilli par l'histoire — qu'elle aurait dit à son fils : Avez-vous bien donné ordre à vos affaires ?Ouy, Madame, luy répondit-il. — Faictes advertir donc, luy dit-elle, Monsieur le Légat de ce qui s'est passé, affin que Sa Saincteté sache premièrement par luy vostre intention et que ne soyez prévenu par vos ennemis[137].

Mais ce dialogue, qui ne s'accorde pas avec le témoignage de Cavriana, est par lui-même invraisemblable. Henri III n'avait pas dit à sa mère qu'il eût l'intention de se défaire du cardinal de Guise — et peut-être n'y était-il pas encore résolu. Alors à quoi bon se hâter d'envoyer une justification au pape ; l'exécution du duc de Guise, un laïque, ne le concernait point. Sixte-Quint ne protesta que contre le meurtre du Cardinal, ce prince de l'Église étant, à ce qu'il prétendait, uniquement justiciable de la Cour de Rome[138]. Catherine savait très bien ces distinctions ultramontaines. Le Roi tout ce jour-là refusa de recevoir le légat Morosini, se bornant à lui faire dire par le cardinal de Gondi qu'il avait, pour sauver sa vie, fait arrêter les cardinaux de Bourbon et de Guise et l'archevêque de Lyon, et le soir, sur une nouvelle demande d'audience, il envoya encore Gondi l'assurer que ni le cardinal de Guise ni l'archevêque de Lyon n'étaient morts. Et en effet le cardinal de Guise ne fut tiré de sa prison et passé par les hallebardes que le lendemain matin. Alors seulement Henri III pria Morosini de le venir trouver et il lui expliqua que les desseins criminels des deux frères l'avaient forcé de se défaire d'eux, comme il l'avait fait, sans employer les formes ordinaires de la justice, qui, vu le malheur des temps et la puissance des coupables, risquaient de bouleverser l'État.

Mais naturellement, dans les jours qui suivirent, Henri III a dû, comme en toutes ses difficultés, recourir à sa mère. Après ce sursaut d'énergie sanglante, il oubliait d'agir contre le reste de ses ennemis. Il laissa sans secours la citadelle d'Orléans, que les ligueurs de la ville assiégeaient. Il renvoya aux Parisiens deux de leurs échevins qu'il avait fait arrêter le jour de la tragédie de Blois. Il mit en liberté la mère de ses victimes. Pensait-il avoir tué la Ligue avec les Guise ou retombait-il de tout son poids dans ses habitudes de mollesse et d'indolence ? Catherine était, comme on peut le croire, embarrassée de lui donner des conseils. Il n'est pas douteux qu'elle déplorait ce crime comme une faute. Ah ! le malheureux ! disait-elle de son fils au P. Bernard d'Osimo, un capucin, le 25 décembre. Ah ! le malheureux ! Qu'a-t-il fait.... Priez pour lui qui en a plus besoin que jamais, et que je vois se précipiter à sa ruine, et je crains qu'il ne perde le corps, l'âme et le royaume[139]. Elle est, écrivait Cavriana le 31 décembre, bouleversée (turbata) et, quoique très prudente et très expérimentée dans les choses du monde, elle ne sait toutefois quel remède donner à tant de maux présents ni comment pourvoir aux maux à venir ?[140] Elle allait toutefois mieux, et le médecin espérait que dans huit jours elle pourrait reprendre son train de vie.

Mais elle n'attenait pas d'être complètement rétablie ; son fils avait besoin d'elle. Le 1er janvier, elle sortit, comme il le désirait, pour aller voir le cardinal de Bourbon et lui annoncer, peut-être dans un dessein de réconciliation, qu'il lui faisait grâce[141]. Le temps était très froid, même en cette année qui fut froide. Le vieillard reçut très mal sa vieille amie. Madame, lui dit-il, si vous ne nous aviez trompés et ne nous aviez amenés ici avec de belles paroles et avec garantie de mille sûretés, ces deux [hommes] ne seraient pas morts, et moi je serais libre.

Cette injuste accusation la toucha au vif ; elle s'en retourna toute dolente. Ses poumons se reprirent et son état s'aggrava tellement que le 5 janvier au matin elle dicta ou plutôt se laissa dicter par son fils son testament et mourut le jour même à une heure et demie.

Deux personnes donnèrent des marques de profond chagrin : sa petite-fille très chère, Christine de Lorraine, et le Roi, ce fils, dit Marguerite, que d'affection, de debvoir, d'esperance et de crainte elle idolastrait[142]. Aussi, dans sa lettre à l'ambassadeur de France à Rome, reconnaissait-il qu'il lui était tenu non seulement du devoir commun de la nature, mais de tout le bonheur qu'il avait eu sur terre et que le deuil et regrets que lui apportait la privation du bien de sa présence ne se pouvait comparer au ressentiment de la perte des personnages qui vous sont aussi proches[143].

Mais il l'aimait à sa façon d'enfant gâté et de roi et jusqu'à la fin lui imposa la tyrannie de sa jalouse tendresse. De la recluse d'Usson, il n'était pas plus question dans le testament que si elle fût morte. Catherine déshéritait sa fille ; tacitement, comme indigne, et ne lui faisait pas même l'aumône d'une parole de pardon. Elle instituait Henri III pour son seul et unique héritier, mais, il est vrai, avec tant de fondations et de donations qu'elle ne lui laissait en somme, sauf la ville de Cambrai, que la qualité d'exécuteur testamentaire, et encore à titre onéreux. Elle le chargeait de payer, annuellement ou en une fois, diverses sommes à des religieux attachés à l'église de l'Annonciade en son hôtel de Paris, à des filles à marier, aux pauvres, à ses femmes de chambres, à ses nains et naines, à ses deux médecins, à ses deux ;chirurgiens et apothicaires, à M. de Lanssac, son chevalier d'honneur, à ses dames et filles d'honneur, à son confesseur, Monsieur Abelly, à la duchesse de Retz, au comte de Fiesque, qui avait épousé une Strozzi, à l'abbé Gadagne, un de ses négociateurs, au petit La Roche, son écuyer tranchant et son grand porteur de dépêches, à Mme de Randan, née Fulvie Pic de la Mirandole, et à la comtesse de la Mirandole, à Claude de L'Aubespine, son secrétaire des finances, et à quelques autres personnes. Ses dettes, qu'on a évaluées à vingt millions de notre monnaie, étaient, avec les legs, si supérieures au peu qu'elle laissait à son fils que, s'il n'eût été roi, il aurait certainement répudié la succession. Elle en attribuait la meilleure part à trois légataires : à Louise de Lorraine, sa bru, la seigneurie et château de Chenonceau ; à son petit-fils Charles, le bâtard de Charles IX, tout ce qui lui appartenait de son propre : à savoir en Auvergne, les comtés de Clermont et d'Auvergne, avec les baronnies de La Tour et de La Chaise ; en Languedoc, le comté de Lauraguais, avec les droits de justice et de péage à Carcassonne, Béziers, et sur les moulins de Baignaux, ainsi que la moitié des meubles, bagues et cabinets du palais qu'elle s'était fait construire à Paris ; à Christine de Lorraine, sa petite-fille, sa maison et palais de Paris, avec ses appartenances et dépendances et l'autre moitié de tous et chacuns des meubles, cabinets, bagues et joyaux. Elle transférait aussi à la future grande-duchesse de Toscane les biens, droicts noms, raisons et actions qu'elle avait au pays d'Italie, y compris ses prétentions sur le duché d'Urbin, et la somme de deux cent mille écus pistoles provenant de la vente par elle faicte à Monsieur le grand-duc de Toscane, des biens situés et assis en la Toscane[144].

De l'affection de Catherine de Médicis pour sa petite-fille, de sa sympathie pour la maison régnante de Lorraine et de ses ménagements pour les Guise, cadets de cette maison, on a cru pouvoir conclure qu'elle avait souhaité et préparé l'avènement au trône de son gendre Charles III, ou plutôt de son petit-fils Henri de Lorraine, marquis de Pont-à-Mousson. Pour barrer la route au roi de Navarre, légitime héritier présomptif, elle aurait favorisé les catholiques qui subordonnaient le droit dynastique à la profession du catholicisme. La reconnaissance officielle des droits du cardinal de Bourbon était une première escorne à la règle de succession dynastique et elle en méditait une autre, l'abolition ou la suspension de la loi salique, dont l'un des deux Lorrains chers à Catherine serait appelé à profiter à la mort d'Henri III et du cardinal de Bourbon.

Il est vrai que l'Union catholique s'était faite contre le roi de Navarre. Mais Catherine pouvait s'excuser sur la nécessité ou alléguer qu'Henri de Bourbon, en s'obstinant dans l'hérésie, rendait inutiles les efforts pour le rapprocher du trône. Elle n'avait pas beaucoup de raisons de s'intéresser à lui ; c'était un gendre détestable et un ennemi dangereux. Sauf les droits qu'il tenait de la loi salique, et qu'en sa qualité d'étrangère elle ne devait pas apprécier beaucoup, quel autre mérite pouvait-elle lui reconnaître que de contrecarrer à merveille les volontés du Roi son fils ? L'historiographe Palma Cayet, compilateur méritoire, mais pauvre cervelle, se montre vraiment trop crédule quand il assure que la Reine-mère, à son lit de mort, avait recommandé à Henri III d'aimer les princes du sang et de les tenir toujours auprès de lui, et principalement le roi de Navarre. Je les ay, lui fait-il dire, tousjours trouvés fidèles à la Couronne, estant les seuls qui ont intérest à la succession de vostre royaume[145]. A-t-elle bien pu dire contre toute vérité qu'elle avait toujours eu à se louer des princes du sang ? Si vraiment elle a conseillé à son fils de se rapprocher du roi de Navarre, c'est qu'après le meurtre des Guise il n'y avait plus d'accord possible entre le Roi et la Ligue ; les leçons du passé n'y sont pour rien. Mais il est encore moins vraisemblable que, par amour des Lorrains, Catherine ait songé à préparer leur avènement au trône[146]. Le bruit en avait couru, il est vrai. Un correspondant du comte palatin, Jean Casimir, écrivait à ce condottiere de l'Allemagne protestante, le 6 août 1586, que la Reine-mère avait fait espérer au duc de Lorraine que, vu sa parenté avec le Roi, il avait plus de chance que les Guise d'obtenir la Couronne. Ce n'était pas s'engager beaucoup. En somme, ajoutait ce donneur de nouvelles, la vieille Reine veut ruiner Navarre et transférer la Couronne[147]. C'est prêter un bien long dessein à une femme de cet âge et qui n'avait d'autre politique que l'avenir de son fils. Quel ramassis de contes bleus ou noirs deviendrait l'histoire si elle admettait pour vérités tous les racontars que s'empressaient de transmettre sans contrôle les agents officieux et même les agents officiels des princes !

Il faut aussi se garder de trop solliciter les textes. En 1587, quand les protestants d'Allemagne envoyèrent une armée au secours des protestants de France, Guise, craignant pour la Ligue les suites de cette jonction, écrivit au duc de Lorraine de lever des soldats et de munir ses places pour-barrer la route aux envahisseurs. Il l'assurait que la France paiera le tout pourveu qu'on soit le plus fort, c'est-à-dire que s'il aidait à l'être, il serait indemnisé de sa peine et de ses dépenses. Henri III avait autant d'intérêt que le Duc à la défense de la frontière. ...Croyez que le Roy vous donnera le mesme secours que firent ses ayeulx (Louis XI) aux vostres (René de Lorraine) contre le duc de Bourgogne (Charles le Téméraire)[148]. Enfin, pour décider son cousin aux sacrifices d'hommes et d'argent, Guise employait les grandes raisons : il y trouverait honneur, reputation, et commencement destablir la belle fortune d'un gran monarque. Car de l'estime qu'on fera de vous despens non seullement vostre conservation, mais ce que pouvez esperer. Quelle fortune et quelles espérances ? Dans une lettre que les envahisseurs saisirent le 27 ou le 28 septembre sur un messager lorrain, Christine de Danemark, duchesse douairière de Lorraine, souhaitait à son fils Charles III bon succès sur cette armée allemande. Et en ceste occasion, disait-elle, je désirerois bien que puissions jouyr de la couronne qu'aultrefois m'avez escript, et me semble que le temps ne seroit mal à propos d'y penser[149]. Les protestants conclurent, non sans apparence, de ces quelques mots que le Duc, en récompense du service rendu, se ferait reconnaître par Henri III héritier présomptif. Mais à la vérité ce n'est pas à la Couronne de France que pensaient la duchesse douairière de Lorraine et Guise. Les ducs de Lorraine se vantaient de descendre de Charlemagne, et plusieurs fois, au cours du XVIe siècle, ils employèrent leurs historiographes à le démontrer. En tête d'un ouvrage publié en 1509 ou 1510, et qui ouvre la série de ces généalogies tendancieuses, Symphorien Champier, médecin du grand-père de Charles III, le duc Antoine, et fameux polygraphe, avait inscrit ce titre significatif : Le recueil ou croniques des hystoires des royaulmes daustrasie ou france orientale, dite à présent lorrayne. Henri III savait ces prétentions et même il s'en irritait. Mais pour décider Charles III à donner Christine en mariage à son favori le duc d'Épernon, il lui laissa probablement entendre qu'il lui céderait Metz, et le reconnaîtrait pour roi d'Austrasie. D'Épernon, qui commandait à Metz, aurait eu en échange le gouvernement du Comtat Venaissin, à titre de vicaire du pape. Ce n'est pas une simple hypothèse. L'agent de Walsingham en France, Geffrey, écrivait à ce ministre d'Elisabeth, le 18 avril 1583 : Le duc de Lorraine ne la voullut donner (sa fille) à Monsieur d'Espernon [ce] qui a esté cause de rompre le desseing du royaume d'Austrasie et du comtat de Venisse[150]. Jean-Casimir, qui suivait avec une curiosité intéressée les affaires de France, notait dans son Diaire en juin-juillet 1583, c'est-à-dire avec quelque retard : Lorraine et ses mignons veult il (Henri III) faire roy [151]. Mais si Charles III n'avait pas voulu payer d'une mésalliance le titre de roi, il n'y renonçait pas. Le 4 juin 1588, La Noue écrivait à Walsingham : Si Sedan et Jamès (Jametz) — deux villes de la principauté protestante de Bouillon menacées par le duc de Guise — se perdent par faulte d'assistance, Metz suivra le mesme chemin, dont s'ensuivra ung nouveau establissement du roiaume d'Austrasie[152]. Rien de plus naturel que la duchesse douairière ait fait allusion, dans une lettre de septembre 1587, à ces espérances de la Maison de Lorraine soupçonnées de tout le monde et immédiatement réalisables.

Mais quand même la mère de Charles III aurait rêvé pour son fils la couronne de France, rien ne permet de supposer que Catherine de Médicis ait été complice de ses ambitions. Les sympathies de la Reine-mère pour le duc de Lorraine étaient grandes[153]. Elle ne laissait pas échapper l'occasion de signaler à Henri III la volonté qu'il avait de le servir, mais tout le reste est conjecture. Elle n'eût pas osé recommander la candidature de Charles III ou du marquis de Pont-à-Mousson à Henri III, qui n'aimait pas les Lorrains et qui était sincèrement attaché à la loi de succession dynastique.

L'intention que lui prête le cardinal Granvelle dans une lettre du 28 juin 1584, immédiatement après la mort du duc d'Anjou, de proposer le cardinal de Bourbon pour héritier présomptif, s'accorderait mieux avec son habitude d'ajourner la solution des difficultés. Exclure le roi de Navarre à cause de son hérésie et mettre à sa place son oncle, ce n'était pas méconnaître les titres des Bourbons ni la loi salique sur lesquels ils étaient fondés, mais déclarer que la règle immuable de succession dynastique comportait une exception, une seule, la profession de l'hérésie. Ce compromis permettait de gagner du temps. Peut-être aussi Catherine a-t-elle à même fin inspiré, quelques années plus tard, une consultation politico-juridique contre les droits immédiats de son gendre. L'auteur est un jurisconsulte italien, Zampini, qu'elle avait chargé en 1576 de démontrer que les États généraux étaient une assemblée-consultative, qui donnait au Roi des avis, non des ordres. A sa demande, ou de lui-même — mais pourquoi cet étranger serait-il intervenu spontanément dans ce débat ? — Zampini s'efforça-de démontrer que les droits de l'oncle, indépendamment des croyances religieuses, l'emportaient sur ceux du neveu. Le fond de son argumentation était qu'Antoine de Bourbon, mort pendant le règne de Charles IX et du vivant de deux autres fils d'Henri II, n'avait jamais été lui-même héritier présomptif et par conséquent n'avait pu transmettre à son fils une qualité qu'il ne possédait pas. Après la mort du duc d'Anjou, le candidat éventuel à la couronne était non le fils d'Antoine, mais son frère le cardinal, qui était plus proche parent d'Henri III, car le plus prochain en degré exclut tousjours celuy qui est le plus remot et esloigné[154]. Mais cette disposition du droit civil, à supposer même qu'elle pût prévaloir contre la règle de succession dynastique, n'écartait pas pour toujours le roi de Navarre — réserve faite de l'hérésie — elle l'ajournait simplement à la mort du Cardinal, dont il était l'héritier naturel. La thèse de Zampini décourageait, sans les désespérer, les partisans d'Henri de Bourbon et de la loi salique, et, vu la différence d'âge du Cardinal et d'Henri III, elle avait, sauf l'accident qu'on ne pouvait prévoir, les plus grandes chances de rester purement spéculative.

C'est trop donner à l'hypothèse que d'imaginer Catherine méditant un changement de dynastie. Les difficultés étaient grandes et les chances des Lorrains petites. L'exclusion du roi de Navarre comme hérétique au profit du cardinal de Bourbon affirmait les droits des Bourbons catholiques, c'est-à-dire, sans compter le vieux cardinal, de François de Conti, du comte de Soissons et du cardinal de Vendôme, qui, quoique fils du héros de la Réforme, Condé, n'étaient pas de sa religion. Les ligueurs prétendaient que Conti et Soissons ayant combattu à Coutras dans l'armée du roi de Navarre, étaient, comme fauteurs d'hérétiques, civilement et politiquement déchus. Mais l'incapacité de tous les Bourbons et l'abrogation de la loi salique n'auraient pas résolu la question de succession à l'avantage des Lorrains. Il y avait parmi les parents d'Henri III des ayants droit ou plus qualifiés ou plus puissants. Philippe II, qui avait épousé la fille aînée d'Henri II, pouvait réclamer l'héritage pour sa fille, l'infante Claire-Isabelle-Eugénie, à plus juste titre que Charles III pour le marquis de Pont-à-Mousson, qui était le fils de la cadette, Claude de Valois. Même en admettant qu'au même degré les mâles dussent être préférés aux femmes, le duc de Savoie, Charles-Emmanuel, fils d'une fille de François Ier, n'avait-il pas, comme représentant d'une ligne plus ancienne, de meilleurs droits à faire valoir ? Et les Guise, qui pouvaient mettre les forces de la Ligue au service de Charles III, ne seraient-ils pas tentés de s'en servir à leur profit ? Entre tant de concurrents catholiques et contre l'héritier légitime, quelles seraient les chances du duc de Lorraine ? Et au vrai il n'a jamais ambitionné, et encore sans franchise, qu'un morceau de France.

Catherine était assez intelligente pour comprendre que l'élection de ce petit prince amènerait le démembrement de la France. Deux prétendants seuls pouvaient maintenir le royaume en son entier : le roi de Navarre et le roi d'Espagne, celui-ci pour en faire un autre Portugal, celui-là pour assurer la nationalité française. Catherine aimait aussi peu Philippe II qu'Henri de Bourbon. Le zèle de l'un pour le catholicisme lui était aussi suspect que l'obstination de l'autre dans le protestantisme. Mais le roi de Navarre avait pour lui la tradition, sa race, un parti puissant et tous les catholiques qui ne subordonnaient pas le droit dynastique au droit religieux. Catherine n'avait pas de préférence à marquer tant que son fils était vivant, mais, si tièdes qu'on suppose ses sentiments pour sa patrie d'adoption, il est croyable que, forcée de choisir, elle se fût prononcée pour le seul candidat capable de sauvegarder l'indépendance de la Couronne.

Mais on ne lui eût pas demandé son avis. Après la sanglante exécution de Blois. qui tuait l'Union catholique, son rôle à elle était fini. Odieuse aux ligueurs, qui la croyaient complice du meurtre des Guise, elle était, pour toutes les raisons du passé, suspecte aux protestants. Elle mourut dans l'épouvante de ce qu'elle put deviner, et encore eut-elle ce bonheur, dans la ruine de ses efforts, de ne pas voir l'assassinat de son fils et la fin des Valois.

Elle n'avait pas cessé, sauf dans les moments de grande pénurie financière, de faire travailler à la chapelle funéraire contiguë à l'abbaye de Saint-Denis où elle espérait aller retrouver son mari sous le mausolée de marbre. Mais, quand elle mourut, Paris était en pleine insurrection. Les ligueurs les plus ardents menaçaient, si son corps traversait la ville, de le traîner à la voirie ou de le Per au fleuve[155]. On le garda donc provisoirement à Blois, dans l'église de Saint-Sauveur, mais il avait été, paraît-il, si mal embaumé qu'il fallut le mettre en pleine terre. Il y resta vingt et un ans[156].

Henri III périt quelques mois après ; Henri IV fut assez occupé pendant dix ans à conquérir son royaume sur ses sujets et sur les Espagnols pour faire des obsèques solennelles à sa belle-mère. Même quand il fut le maître absolument obéi, il oublia ou ajourna le transfert à Saint-Denis de celle qu'il avait si peu de raisons d'aimer. Ce fut la bâtarde d'Henri II, la bonne Diane de France, qui, mue de pitié, s'en chargea. L'année même de l'avènement de Louis XIII, elle fit exhumer la vieille Reine et transporter ce qui restait d'elle auprès du Roi son mari. Quand la chapelle des Valois, qui croulait faute de soins, fut démolie en 1719, le tombeau d'Henri II fut réédifié dans l'église abbatiale[157]. C'est là que Catherine de Médicis repose, du moins en effigie. Quant à son cœur, même s'il avait été retrouvé, il n'y aurait pas eu place pour lui dans le monument gracieux qui, de l'église des Célestins où il avait été élevé, a passé aujourd'hui au musée du Louvre. L'urne de bronze doré que supportaient les trois cariatides de marbre de Germain Pilon réunissait les cœurs d'Henri II et de son vieil ami, le connétable Anne de Montmorency. La veuve, aussi déférente que l'épouse, s'était résignée à laisser s'affirmer jusque dans la mort un attachement qui, pour d'autres raisons, comme on le pense, que la faveur de Diane de Poitiers, avait été une des amertumes de sa vie conjugale[158].

 

 

 



[1] Sur l'assemblée de Nancy, voir Davillé, les Prétentions de Charles III, duc de Lorraine, à la Couronne de France, p. 71 et passim, ch. III.

[2] P. Fouqueray, Histoire des Jésuites, t. II, p. 131.

[3] Du Mont, Corps diplomatique, t. V, Ire partie, p. 441-443.

[4] Davillé, p. 86.

[5] Le Premier Recueil de pièces concernant les choses plus mémorables advenues sous la Ligue..., 1590, p. 85-97.

[6] Le secrétaire de Jérôme Lippomano, ambassadeur de Venise en France en 1577-1579, dit de Louise de Lorraine : Elle est d'une constitution et complexion très faible ; et c'est pourquoi on l'estime peu propre à avoir des enfants. Elle est plutôt maigre de corps qu'autre chose.... Relations des ambassadeurs vénitiens sur les affaires de Francs au XVIe siècle, publ. et trad. par Tommaseo, t. II, p. 632 (Coll. Doc. inédits, 1838).

[7] Le Premier Recueil de pièces..., 1590, p. 101-115.

[8] Comte Édouard de Barthelemy, Catherine de Médicis, le duc de Guise et le traité de Nemours, Revue des questions historiques, t. XXVII, 1880, p. 489.

[9] Lettres, t. VIII, p. 245.

[10] Lettres, t. VIII, p. 255, lettre du 16 avril 1585.

[11] Lettres, t. VIII, p. 250-251, 14 avril 1585.

[12] 9 avril 1585, Lettres, t. VIII, p. 259.

[13] Lettres, t. VIII, p 265.

[14] Lettres, t. VIII, p. 269.

[15] Lettres, t. VIII, p. 275.

[16] 7 mai 1585, Lettres, t. VIII, p. 278-279.

[17] 25 avril 1585, Lettres, t. VIII, p. 263.

[18] Lettres, t. VIII, p. 251 et p. 272.

[19] Lettres, t. VIII, p. 249.

[20] Lettres, t. VIII, p. 280.

[21] 29 mai 1585, Lettres, t. VIII, p. 303 et 305.

[22] Lettres, t. VIII, p. 306, 30 mai.

[23] Lettres, t. VIII, p. 306.

[24] Lettres, t. VIII, p. 307.

[25] Lettres, t. VIII, p. 310, 31 mai.

[26] Lettres, t. VIII, p. 292, note 1.

[27] 3 juin 1585, Lettres, t. VIII, p. 311.

[28] Lettres, t. VIII, p. 316.

[29] Recueil de pièces, p. 325.

[30] Lettres, t. VIII, p. 290.

[31] Lettre du 7 juin à Brutart, Lettres, t. VIII, p. 313.

[32] Mariéjol, Histoire de France de Lavisse, t. VI, 1, p. 247.

[33] Davillé, Les prétentions de Charles III à la couronne de France, p. 91, et références, note 2.

[34] Déjà en 1575, quand les huguenots et les catholiques unis se préparaient à faire la loi à Henri III, elle lui recommandait d'apaiser l'ire céleste, en renouvelant les ordonnances contre les blasphémateurs, en nommant des gens de bien aux bénéfices ecclésiastiques et aux évêchés. Lettres, t. V, p. 145-146.

Le péril de son fils la fait souvenir alors qu'il y avait peut-être une âme en peine, celle d'Henri II, et, mêlant ses inquiétudes de mère à ses regrets d'épouse, elle fonda (23 janvier 1576) une messe perpétuelle en l'église, collegial et chappelle royal Nostre Dame de Clery pour le roi Henri défunt, pour elle et les rois ses enfants, et pour la paix et repos de ce royaume et pour la conservation d'icelluy. Elle donna et légua au chapitre une rente de 220 livres sur les revenus de la baronnie de Levroux — terre et baronnie incorporée et unie au domaine de Chenonceau — à charge pour le doyen et les chanoines de dire tous les jours à perpétuité une messe basse au principal autel, à sept heures du matin, après la messe fondée en cette église par deffunct et de bonne mémoire le roi Loys unziesme — à qui, on se le rappelle, elle pensait beaucoup en ce temps-là — et chaque an ung service et obit complet le dixième jour de juillet, jour anniversaire de la mort d'Henri II. Lettres, t. VIII, p. 412. Trois jours après (26 janvier 1576), Catherine affectait aux embellissements de Chenonceau les revenus de la baronnie de Levroux ; mais elle réservait expressément 220 livres pour la fondation de Cléry (Lettres, t. VIII, p. 24, note). En 1582, quand elle disposa de la baronnie en faveur de la comtesse de Fiesque (Alfonsina Strozzi), elle proposa aux chanoines et obtint d'imputer les 220 livres sur le duché d'Orléans qui lui avait été attribué.

[35] Lettres, t. VIII, p. 53.

[36] Lettres, t. IX, p. 227, et t. IX, p. 451. Sur les biens-fonds de Catherine à Rome et en Toscane, voir en appendice, Les droits de Catherine sur l'héritage des Médicis.

[37] Lettres, t. VIII, p. 112.

[38] Lettres, t. VIII, p. 442.

[39] Lettres, t. VIII, p. 203. — En 1588, elle renonça à faire payer aux Murate les frais de la statue et même leur envoya un portrait d'elle au vif très bien faict. Lettres, t. VIII, p. 208, note 3. C'est peut-être celui qui est dans le couloir du Musée des Uffizi au palais Pitti.

[40] Texte de la donation, Lettres, t. IX, P. 493-494. — Cf. t. IX, p. 451, 221 et 227.

[41] Lettre de Pisani du 30 juin 1587 en appendice dans Lettres, t. IX, p. 481-482.

[42] 9 mars 1584, Lettres, t. VIII, p. 178, cf. L'Estoile, II, p. 249-250.

[43] Lettre à Villeroy du 13 novembre 1586, Lettres, t. IX, p. 83. Sur les armements de Philippe II contre l'Angleterre et la préparation de l'Armada, voir les lettres d'Henri III et de ses ambassadeurs à Venise, Charrière, Négociations de la France dans le Levant, t. IV, p. 542-562 et les notes ; et sur les projets de Charles-Emmanuel contre Genève, Rott, Histoire de la représentation diplomatique de la France auprès des Cantons suisses, t. II, 274, 279, 283 et références ; et aussi le chapitre V du t. I d'Italo Raulich, Storia di Carlo Emanuele I duca di Savoia, Turin, 1896, p. 230-314. Toutefois Catherine semble croire que les levées de soldats même en Italie menacent surtout l'Angleterre.

[44] Lettres missives, t. II, p. 98, 25 juillet. — Cf. t. II, p. 88.

[45] Lettre à Bellièvre du 31 mai 1585, Lettres, t VIII, p. 308. Dans cette lettre elle dit que la conversion du roi de Navarre était le seul moyen de veoir le repos bien asseuré en ee roiaulme.

[46] 29 mai 1585, Lettres, t. VIII, p. 302.

[47] Guy de Bremond d'Ars, Jean de Vivonne (Pisani), sa vie et ses ambassades, 1884, p. 182, 185.

[48] Rares sont les lettres d'un caractère politique en août et septembre 1585.

[49] 17 août 1585, Lettres, t. VIII, p. 347.

[50] 24 septembre 1585, Lettres, t. VIII, p. 350-352.

[51] 16 septembre 1585, Lettres, t. VIII, p. 352.

[52] 14 septembre 1585, Lettres, t. VIII, p. 351.

[53] Documents publiés par M. le Comte Baguenault de Puchesse, Lettres, t. VIII, passim, et t. IX, app., p. 397 sqq.

[54] 14 septembre, Lettres, t. VIII, p. 351.

[55] Lettres, t. VIII, p. 364, 8 novembre.

[56] 15 novembre, Lettres, t. VIII, p. 366.

[57] Décembre 1583, à Bellièvre, Lettres, t. VIII, p. 376.

[58] Lettres, t. IX, p. 28, 10 août 1586.

[59] Lettres, t. IX, p. 403 et 407.

[60] 7 novembre 1586, Lettres, t. IX, p. 81.

[61] Références sur ces conférences dans Lettres, t. IX, p. 76. Documents en appendice t. IX, P. 402-430. Guy de Brémond d'Ars, La Conférence de Saint-Brice, Revue des Questions Historiques, octobre 1884.

[62] Récit de la Reine-mère à son fils du 23 décembre, Lettres, t. IX, p. 112-114.

[63] Lettres, t. IX, p. 114, note.

[64] Lettres, t. IX, p. 115-116.

[65] Lettres, t. IX, p. 118 note 1 et p. 121, 18 déc. 1386.

[66] Janvier 1587, Lettres, t. IX, t. IX, p. 431.

[67] Lettres, t. IX, p. 436-437.

[68] De Jorgains, Corisande d'Andouins, comtesse de Guiche el dame de Gramont, Bayonne, 1907, ne dit rien de cette rivalité.

[69] 27 avril 1585, Lettres, t. VIII, p. 265.

[70] 22 mai 1585, Lettres, t. VIII, p. 291.

[71] 15 juin 1585, Lettres, t. VIII, p. 318.

[72] 23 octobre 1586, Lettres, t. IX, p. 513.

[73] Lettres, t. IX, p. 513.

[74] Scaligeriana sive excerpta… Josephi Scaligeri, 2e éd., La Haye, 1668, p. 239. Usson est une ville située en une plaine où il y a un roc et trois villes l'une sur l'autre en forme du bonnet du pape tout à l'entour de la roche et au haut il y a le château avec une petite villette à l'alentour.

[75] Lettre de la première semaine de janvier 1587, et non d'octobre 1586, citée par M. le Cie Baguenault de Puchesse, t. IX, p. 108-109, note 1. Henri III dit en effet qu'il sera à Saint-Germain le jour des Rois, nommément mardi prochain. Le jour des Rois, c'est le 6 janvier 1587.

[76] Henri III revint sur cette décision ; il voulut probablement tirer de ce mignon de couchette ce qu'il savait des agissements de sa sœur (Merki, La Reine Margot, 1905, p. 350) Canillac expédia Aubiac à Aigueperse, où Lugoli, lieutenant du grand prévôt de France, qui l'attendait, l'interrogea et, avec ou sans ordre, le fit ensuite exécuter.

[77] Mémoires de Claude Groulard, dans Michaud et Poujoulat, 1re série, t. XI, p. 582.

[78] Il avait la mémoire imprécise et complaisante des hommes d'État et une imagination très vive. Nombre de légendes se sont ainsi établies sur sa foi. Il aurait entendu à l'entrevue de Bayonne concerter le projet de la Saint-Barthélemy, comme s'il était vraisemblable qu'on eût décidé le massacre des protestants devant cet enfant de onze ans et demi, d'une intelligence précoce, et qui n'aurait pas manqué d'en avertir sa mère, Jeanne d'Albret, cette huguenote soupçonneuse. Il raconta au Parlement, pour enlever l'enregistrement de l'Édit de Nantes, qu'après le massacre de Paris, jouant aux dés avec le duc de Guise, il les lui avait vu abattre, rouges de sang. En 1603, afin d'obtenir le rappel des Jésuites, il ne craignit pas d'affirmer à cette Cour, qui savait bien le contraire, que Barrière, son assassin, ne s'était pas confessé à un jésuite et même qu'il avait été dénoncé par un jésuite. Or il est certain que la dénonciation vint d'un dominicain florentin établi à Lyon. Il serait facile de multiplier les exemples de ces altérations volontaires ou non de la vérité.

[79] Janvier 1587, Lettres, t. IX, p. 437.

[80] Mémoires et lettres de Marguerite de Valois, éd. Guessard, p. 298, lettre qui est citée à tort par l'éditeur des Lettres, t. VIII, p. 265, comme ayant été écrite après la fuite de Nérac.

[81] Merki, p. 356 sq. Que Canillac ait été débauché du service du Roi par la beauté de sa prisonnière, comme le veut la légende, c'est possible, mais, contrairement à la légende, il ne se laissa pas berner. Il lui vendit à bon prix la liberté et le château d'Usson, et peut-être reçut-il quelque chose de plus comme à-compte ou comme appoint. Séduction et rançon ne s'excluent pas nécessairement.

[82] Lettres, t. IX, p. 176 ; lettre à Canillac, ibid., p. 177.

[83] Lettres, t. IX, p. 181. Sur les relations des Guise avec l'Archevêque, voir P. Richard, Pierre d'Épinac, 1901, p. 272, qui les fait commencer un peu plus tard.

[84] Elle est libre, dit le célèbre philologue, Joseph Scaliger, qui la visita à Usson, faict ce qu'elle veut, a des hommes tant qu'elle veut et les choisit. Scaligeriana, 1668, p. 239.

[85] Mariéjol, Histoire de France de Lavisse, t. VI, 1, p. 237.

[86] Cité dans Lettres, t. IX, p. 68, note 3.

[87] Mariéjol, Histoire de France de Lavisse, t. VI, 1, p. 264 et 267.

[88] Lettres, t. IX, p. 229, 11 juin 1587.

[89] Lettres, t. IX, p. 249.

[90] Lettres, t. IX, p. 251 et note 1.

[91] Lettres, t. IX, p. 254.

[92] Lettres, t. IX, p. 255.

[93] Lettres, t. IX, p. 260 et 262.

[94] Davillé, p. 232.

[95] Davillé, p. 237. Lettres, t. IX, p. 279.

[96] Lettres, t. IX, p. 279-280, 15 nov. 1587.

[97] Lettres, 26 octobre 1587, t. IX, p. 259.

[98] 12 décembre 1587, Lettres, t. IX, p. 312.

[99] 16 mars 1587, Lettres, t. IX, p. 332.

[100] Davillé, p. 145.

[101] Lettres, t. IX, P. 334.

[102] 22 avril 1588, Lettres, t. IX, p. 336.

[103] 24 ou 26 avril, Lettres, t. IX, p. 335, note 1.

[104] Mariéjol, Histoire de France de Lavisse, t. VI, 1, p. 269.

[105] Récit d'un ligueur anonyme, Histoire de la Journée des Barricades de Paris, mai 1588, Archives curieuses, t. XI, p. 368-369.

[106] Cité par Berthold Zeller, qui cependant maintient, Catherine de Médicis et la Journée des Barricades (Revue Historique, t. XLI, sept.-déc. 1889, p. 267), que la Reine-mère était d'accord avec Guise.

[107] Cabinet historique, t. IV, 1858, p. 104-105, extrait de La vie de Jean Chandon..., publiée par un de ses arrière-petits-neveux, M. P. C. de B. (M. Paul Chandon de Briailles), Paris, 1857. Le témoignage de Jean Chandon est d'autant plus important que certains historiens en ont voulu tirer la preuve que Catherine, complice, avait en effet invité Guise à venir à Paris.

[108] Histoire de la Journée des Barricades de Paris, mai 1588, Archives curieuses, 1re série, t. XI, p. 370-371. Voir aussi pour l'ensemble des faits Histoire tres-veritable de ce qui est advenu en ceste ville de Paris depuis le septiesme de may 1588 jusques au dernier jour de juin ensuyvant audit an, Paris, 1588 (attribué à l'échevin ligueur Saint-Von), Archives curieuses de Cimber et Danjou, 1re série, t. XI, p. 327-350 ; récit royaliste : Amplification des particularités qui se passèrent à Paris lorsque M. de Guise s'en empara et que le Roy en sortit, mai 1588, Archives curieuses, t. XI, p. 351-363. Consulter, en se défiant des partis pris Pobiquet, Paris et la Ligue sous Henri III, Paris, 1886, p. 313-358.

[109] Charles Valois, Histoire de la Ligue, œuvre inédite d'un contemporain (ligueur) (S. H. F.), t. I, 1914, p. 206.

[110] Charles Valois, p. 207. L'Amplification des particularités (récit royaliste), Archives curieuses, t. XI, p. 357, parle aussi de cette première visite de la Reine-mère au duc de Guise.

[111] Histoire de la Journée des Barricades (ligueur), Archives curieuses, t. XI, p. 387.

[112] Mémoires-journaux de L'Estoile, éd. des Bibliophiles, t. III, p. 144. — Amplification des particularités, Archives curieuses, p. 357.

[113] Palma Cayet, Chronologie novenaire, éd. Buchon, Introd., p. 44.

[114] Mémoires-journaux de L'Estoile, t. III, p. 144. — Robiquet, Paris et la Ligue sous le règne de Henri III, 1886, p. 351 sqq.

[115] Comte Baguenault de Puchesse, Les Négociations de Catherine de Médicis à Paris après la Journée des Barricades, extrait du compte rendu de l'Académie des sciences morales et politiques, tirage à part, Orléans, 1903, p. 8 et 9.

[116] Registres des délibérations du Bureau de la Ville de Paris, publiés par François Bonnardot, t. IX (1586-1590), Paris, 1902, p. 132-133.

[117] 2 juin 1588, Lettres, t. IX, p. 357.

[118] 17 juin, Lettres, t. IX, p. 371.

[119] 2 juin, Lettres, t. IX, p. 363. Voir aussi sa lettre découragée au duc de Nevers du 20 juin, Ibid., p. 372.

[120] Le second Recueil contenant l'Histoire des choses plus mémorables advenues sous la Ligue, Paris, 1590, p. 574-582 (autrement dit Mémoires de la Ligue, t. II).

[121] Girard, Histoire de la vie du duc d'Épernon, Paris, 1663, t. I, p. 296 sqq. Girard, qui renvoie à de Thou, Davila et d'Aubigné, raconte le fait d'après ce que lui en a dit le duc d'Épernon lui-même.

[122] Sur cette ténébreuse affaire, voir Nouaillac, Villeroy, p. 129-133.

[123] Lettres, t. IX, p. 382.

[124] Poigny, qui portait la sommation du Roi, arriva à Turin le 4 novembre (Italo Raulich, Storia di Carlo Emanuele I, duca di Savoia, Milan, 1896, t. I, p. 378). Les deux lettres de la Reine-mère, qui partirent avec celles d'Henri III, sont probablement de la fin d'octobre, et non du mois de novembre, comme l'ont cru les éditeurs des Lettres de Catherine. Voir t. IX, p. 390. — Sur l'attitude du pape, de Philippe II et les sentiments des États italiens, Italo Raulich, Storia, t. I, p. 370.

[125] Italo Raulich, p. 371. — Cf. Pietro Orsi, Il Carteggio di Carlo Emanuele I, dans le Carlo Emanuele I, Turin, 1891, p. 7.

[126] Christine de Lorraine était née en 1565.

[127] 11 novembre 1583, Lettres, t. VIII, p. 153 et p. 154.

[128] Lettre de l'agent anglais Geffrey à Walsingham, 18 avril 1583, Lettres, t. VIII, p. 411.

[129] Lettres, t. VIII, p. 372.

[130] Le cardinal Ferdinand de Médicis s'est-il après la mort subite de son frère, débarrassé, sans autre forme de procès, d'une parvenue mal famée, suspecte d'avoir machiné l'accident dont mourut la première femme de François, Jeanne d'Autriche ? c'est une explication qui n'est pas invraisemblable. La légende veut que Bianca Capello ait fait servir à son beau-frère un blanc-manger empoisonné, et que celui-ci, averti, se soit excusé d'y toucher, tandis que la grande-duchesse, sous peine de s'avouer coupable, était obligée d'en prendre et d'en laisser prendre à son mari. La réputation de tous ces Médicis était d'ailleurs si mauvaise qu'on soupçonna le Cardinal d'avoir fait empoisonner son frère et sa belle-sœur. Blaze de Bury, Bianca Capello (Revue des Deux-Mondes, 1er juillet 1884, p. 152-158), n'écarte pas l'idée d'une mort naturelle. Voir Saltini, Tragedie Medicee domestiche, Florence, 1898.

[131] Lettre de Pisani, ambassadeur de France à Rome, Lettres, t. IX, p. 278.

[132] Lettre du 1er juin 1588, Lettres, t. IX, p. 32.

[133] Lettre du duc de Savoie du 6 mars 1588, Lettres, t. VIII, p. 438.

[134] Correspondance de Ruccellai, dans les Négociations de la France avec la Toscane, t. IV, p. 876 sqq.

[135] Le récit de Cavriana dans Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, t. IV, p. 842-843.

[136] Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, t. IV, p. 846.

[137] Palma Cayet, Chronologie novenaire, éd. Buchon, Introd., p. 85.

[138] Guy de Brémond d'Ars, Jean de Vivonne, p. 299-302 sqq.

[139] Le récit de cette entrevue que le capucin expédia immédiatement à Rome a été publié par M. Charles Valois, Histoire de la Ligue, œuvre inédite d'un contemporain, S. H. F., t. I, 1914, p. 300.

[140] Desjardins, Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. IV, p. 852.

[141] Cavriana dit la sua liberazione. Cela veut-il dire qu'Henri III avait l'intention de remettre le Cardinal en liberté, mais, dans ce cas, c'était assurément à de certaines conditions. La colère du vieillard, en montrant son intransigeance, aurait été cause qu'on le garda en prison.

[142] Mémoires de Marguerite, éd. Guessard, p. 49.

[143] Lettres, t. IX, p. 395.

[144] Testament de la Reine-mère, dans Lettres, t. IX, p. 494-498.

[145] Palma Cayet, p. 160.

[146] Cette thèse a été reprise, à grand renfort de textes, par Davillé, ce bon travailleur, dont le livre d'ailleurs contient çà et là tous les arguments contre le rôle qu'il prête à Catherine.

[147] Davillé, p. 108, note 2.

[148] Davillé, p. 126.

[149] Cette lettre est rapportée dans les Mémoires de La Huguerye, t. III, p. 148-150. La Huguerye était alors au service de François de Châtillon, qui avait rejoint l'armée d'invasion avec une petite troupe de huguenots, et bien que ce diplomate marron, qui passa du parti protestant au parti catholique plusieurs fois en sa carrière, soit un imaginatif, comme il a déjà été indiqué plus haut, il n'est pas vraisemblable qu'il ait inventé ce document ni même qu'il l'ait altéré, car il l'aurait en ce cas éclairci. C'est ce qu'a fait l'éditeur des Mémoires de la Ligue, Le Second Recueil..., p. 338, qui précise ainsi ce passage : car jamais ne se présenta une plus belle occasion de vous mestre le sceptre en la main et la Couronne sur la teste. Par contre, il supprime l'incidente qu'aultrefois m'avez escript, et cependant elle est essentielle, comme on le verra.

[150] Lettres, t. VIII, p. 412.

[151] Cité par Davillé, Les Prétentions de Charles III, p. 46, note 1, d'après le journal de Jean-Casimir qu'a publié F. v. Bezold, Briefe des Pfalsgrafen Johann Casimir, t. II, Munich, 1884, p. 530.

[152] Hauser, François de La Noue, app. p. 314.

[153] Ajouter aux textes déjà cités une lettre du 2 juin 1387, Lettres, t. X, p. 475.

[154] Matthieu Zampini, De la succession du droict et prérogative de premier prince du sang de France déférée par la loy du Royaume à Monseigneur Charles, cardinal de Bourbon, par la mort de Monseigneur François de Valois, duc d'Anjou, Lyon, 1589, p. 16.

[155] L'Estoile, janvier 1589, éd. Jouaust, t. III, p. 233.

[156] Pasquier, Œuvres, t. II, liv. XIII, lettre 8, p. 377.

[157] Paul Vitry et Gaston Brière, L'Eglise abbatiale de Saint-Denis et ses tombeaux, Paris, 1908, p. 21.

[158] On croit communément que l'urne était destinée à recevoir et a reçu les cœurs, unis cette fois, d'Henri II et de Catherine, mais il n'est pas possible que le secrétaire de l'ambassadeur vénitien se soit trompé. Dans sa relation écrite peu de temps après 1579, et en tout cas du vivant de Catherine de Médicis, il dit qu'Anne de Montmorency fut l'âme (anima) du roi Henri II, comme on le voit par la sépulture de leur cœur dans un même vase à l'église des Célestins. Des trois distiques gravés sur le soubassement, le plus ancien et le plus équivoque ne contredit pas ce témoin :

Cor junctum amborum longum testantur amorem

Ante homines Junctus spiritus ante Deum.

Amor, en langage poétique, peut très bien signifier l'amitié de deux hommes. — L'urne actuelle du Louvre est une reconstitution moderne.