CATHERINE DE MÉDICIS

 

CHAPITRE X. — DIVERSION EN PORTUGAL.

 

 

CATHERINE ne s'émouvait pas outre mesure de cette recrudescence d'agitation. Elle se croyait maintenant si sûre de l'amour du Roi qu'elle s'en estimait beaucoup plus forte. Confiante à l'excès dans son habileté et dans la vertu du nom royal, elle se flattait qu'en voyant agir ensemble la mère et le fils les huguenots et les politiques entendraient plus facilement raison. Mais c'était à la condition, comme elle le savait bien, que le duc d'Anjou ne prit pas parti contre son frère et qu'il restât en fait neutre et en apparence ami. Il n'était pas allé la saluer au passage à Orléans, sous prétexte qu'il avait été pris d'un dévoiement d'estomac au moment de monter à cheval, mais en réalité pour ne pas se rencontrer avec le Roi. Inquiète de cette mauvaise excuse, elle ne s'arrêta que quelques jours à Paris, juste le temps de se reposer, et repartit pour aller causer avec le Duc et le bien disposer en faveur de la paix.

Elle le rejoignit à Verneuil-en-Perche (près d'Évreux). Des conversations qu'ils eurent elle n'a pas tout écrit à Henri III, se réservant de lui en raconter plus long en tête-à-tête. Ils ont dû parler, quoiqu'elle n'en dise rien, des affaires des Pays-Bas où elle savait qu'il se s rembarquait s. Peut-être lui a-t-il avoué qu'il venait de signer le 25 octobre avec le sieur d'Inchy, gouverneur de Cambrai, un accord secret qui lui assurait la possession de cette ville libre impériale, mais dépendante du roi d'Espagne[1]. Très franchement il l'entretint des sollicitations qui lui étaient venues de divers points du royaume. Voulait-il lui faire peur afin de l'incliner à le soutenir en ses entreprises de Flandres ? A-t-elle elle-même, par quelque vague promesse de secours, provoqué ses confidences ? En tout cas elle sut de lui, comme elle le rapporte à Henri III, et de Christophe de Savigny, seigneur de Rosne-en-Barrois, qui était là, que les malcontents des deux religions, à Commercy et ailleurs, s'étaient assuré le concours de certains colonels de reîtres et du Casimir et qu'ils se cherchaient un chef. Le Duc expliqua que, pour mieux faire service au Roi, il avait sans rien respondre jusques icy ecousté ce qu'ils lui ont voulu dire, bien résolu toutefois à ne jamais refaire chose qui pût déplaire à son frère. Il montrait, disait-elle, en tous ses propos, ne désirer rien tant en ce monde que de rendre au Roi le très humble service qu'il lui doit. Il ajouta deux lignes de sa main à cette lettre de sa mère pour confirmer l'assurance de sa fidélité[2].

A Évreux, jusqu'où elle s'avança pour décider les États de Normandie, en se rapprochant d'eux, à voter les nouveaux impôts, elle apprit qu'ils avaient repoussé toutes les surcharges. Il a esté conclud que ce pays vous paiera seulement ce qu'ils ont accoustumé du principal de la taille, du taillon et ustancilles de la gendarmerie et solde de cinquante mille hommes de pied ; c'est l'ordinaire ; mais quant au parisis[3], à une creue de III s. (sous) VI d. (deniers) et une autre de XVIII d. pour livre qui revient ensemble, à VI d. près, compris ledit parisis, à deux parts dont les six font le tout, ils n'en veullent rien payer et ont conclud de vous en faire visve remonstrance, vous voullant représenter les grandes pauvretés et charges de ce pays et font une comparaison que d'un corps bien composé il ne s'en peut tirer ny faire que quatre quartiers non plus que d'une année et que d'y en faire six ils ne le pourroient pour leur impuissance[4]. La noblesse de la province, pour marquer son mécontentement, n'avait envoyé qu'un délégué par chacun des sept bailliages et vicontés, au lieu qu'il en souloit tousjours avoir grand nombre. Un gentilhomme protestant, bon serviteur du Roi, lui a révélé que les gentilshommes catholiques sont après, tant qu'ils peuvent, à unir avec eux ceulx de la Religion [réformée] et qu'ils sont du tout résolus de faire appel et de se joindre aux étrangers. Leur raison, c'est qu'on les mesestime et contemne[5]. Elle est si troublée de ce qu'elle voit et entend qu'elle écrit à Henri III, sans détours, contrairement à son habitude : Vous supplie.... commander visvement à vos financiers qu'ilz regardent à vous faire un fonds pour vous faire aider sans plus fouller vos peuples, car vous estes à la veille d'avoir une révolte generalle, et qui vous dira le contraire ne vous dit la veritté[6].

A-t-elle vraiment peur ou bien exagère-t-elle le danger pour décider le Roi aux concessions qu'elle allait lui demander. Avec elle on ne sait jamais très bien.

Le Roi, dans un sursaut d'énergie, avait ordonné au maréchal de Matignon de rompre les rassemblements de Champagne et de forcer Commercy. Elle lui insinuait, sous réserve toutefois de son meilleur advis, que la voie de la douceur serait peut-être préférable. Les gens de guerre que l'on disait réunis en Champagne pour cette entreprise de Strasbourg s'étant dispersés, était-il prudent que Matignon attaquât Commercy ? Ce serait provoquer là et ailleurs l'esprit de résistance. Et quel est le messager qu'elle lui propose d'expédier à La Rocheguyon pour le dissuader de mettre des soldats dans Commercy et au Maréchal pour lui recommander de ramener les siens ? c'est un favori du duc d'Anjou, La Rochepot, qui était d'ailleurs le frère de La Rocheguyon[7].

Le Duc conseillait, lui aussi, de tout apaiser, disait-elle dans une autre lettre. Il lui avait représenté que le Maréchal n'était pas assez fort, même renforcé, pour affronter les troupes massées à Commercy et les auxiliaires qui leur viendraient. Et semble que ceux qui ont envie de mal faire et remettre vostre royaume en trouble n'attendent que de vous voir commencer pour, sur cette occasion, s'élever et faire entrer le Casimir en vostre royaume[8].

François, tout en protestant de sa fidélité, n'avait pas caché à sa mère qu'il avait lieu de se plaindre de son frère, qui ne tient pas compte de lui et qui s'en défie. La Reine engageait donc le Roi, pour dissiper cette humeur dangereuse, à écrire au Duc, comme de lui-même, qu'il est heureux de lui veoir une si bonne volonté à l'aimer et le servir, mais que son éloignement et l'opinion qu'il est mal content, cela nuit infiniment au bien des affaires et à l'exécution de la paix ; qu'il le prie de revenir à la Cour avec leur mère, d'être bien assuré de sa bonne grâce, dont il lui a donné déjà tant de marques, et de n'adjouter foy aux passions de ceux qui veullent veoir les troubles en ce royaume et que par là il peut congnoistre estre ennemis de tous deux. Comme elle savait Henri III susceptible, elle ajoutait : Vous lui saurez mieux dire, de sorte que c'est sottise à moy de le vous escripre[9]. Mais si elle s'en remettait à lui, et très justement, de la façon de faire les avances, elle ne lui cachait pas qu'elle les jugeait nécessaires.

L'escapade de Condé montra combien elle avait raison. Ce Bourbon sectaire, le seul véritable huguenot de sa race, ne se résignait pas à vivre dans l'Ouest, hors de son gouvernement de Picardie, loin des Pays-Bas, de la reine d'Angleterre et de Jean Casimir. Il sortit de Saint-Jean-d’Angély, traversa Paris déguisé et s'introduisit par surprise dans une des places les plus fortes de Picardie, La Fère (29 novembre 1579). Il avait trompé Catherine, à qui, le 13 novembre, il écrivait qu'en toutes choses qui concerneront le service de vozdites Majestez (le Roi et sa mère), s'il vous plaist m'honorer de vos commandemens je monteray aussytost à cheval pour les exécuter promptement[10].

Comme d'usage, en désobéissant au Roi, il se défendait de vouloir rien faire qui lui déplût, et cependant il se remparait dans La Fère et réclamait son gouvernement contrairement aux stipulations de l'Édit de Poitiers (septembre 1577). Un des articles secrets portait en effet que la ville de Saint-Jean-d'Angély serait laissée au Prince pour sa retraite et demeure pendant le temps et terme de six ans, en attendant qu'il pût effectuellement jouir de son gouvernement de Picardie auquel Sa Majesté veut qu'il soit conservé[11]. Condé alléguait pour sa justification que, lors de la signature de la paix, il avait protesté que devant les six ans il entendoit retourner en son gouvernement[12]. Il ne se croyait pas lié par un contrat qu'il avait répudié en le signant : un distinguo qui sentait le casuiste.

La Reine-mère alla le trouver à Viry (près de Chauny) avec la princesse douairière de Condé, sa belle-mère, et le cardinal de Bourbon, son oncle, mais elle n'obtint pas qu'il rentrât à Saint-Jean-d’Angély[13]. Les négociations continuèrent entre La Fère et Paris sans plus de succès. Le Prince, seul et guetté par les ligueurs de la province, était incapable de rien entreprendre, mais les huguenots du Midi remuaient. Rambouillet, que le Roi avait député en Guyenne, n'était pas parvenu, au bout de deux mois de sollicitations, à leur faire restituer les places de sûreté qu'ils détenaient indûment[14]. Montmorency, qui s'était joint à Rambouillet pour persuader le roi de Navarre, n'avait pas mieux réussi, lors de l'entrevue de Mazères (9 décembre 1579)[15]. Quelques jours après, le capitaine huguenot, Mathieu Merle, sur l'ordre d'un des principaux chefs de la Religion[16] — il ne dit pas lequel — surprit Mende (25 décembre). Le roi de Navarre s'excusa de cette agression, qui, écrivait-il à Henri III, n'a esté faicte de mon sceu ni de mon consentement. C'était un faict particulier dont ceulx de la Religion en general portent beaucoup de desplaisir[17].

Mais il ne disait pas qu'ils en eussent tous et il laissait clairement entendre qu'il n'était pas le maître de son parti. Au printemps de 1580 les coups de main recommencèrent. Les protestants prirent Montaigu (15 mars), les catholiques, Montaignac (en Périgord) (avril). On s'acheminait à la guerre ouverte.

Ce que la Reine-mère appréhendait par-dessus tout, c'est que les catholiques malcontents ne se joignissent aux réformés. J'ay bien peur, écrivait-elle à Henri III, qu'il y ait quelque chose meslé en cecy d'autre faict que de la relligion, et elle lui en donnait pour preuve que les communes et les huguenots du Dauphiné, au lieu qu'ils souloient estre si mal sont à présent si bien[18].

Elle aurait pu alléguer comme exemple de ces compromissions, si elle n'avait craint d'exciter l'humeur du Roi son fils contre son gendre, les fêtes que le duc de Lorraine venait de donner à Nancy à l'occasion du carnaval (11-18 février 1580)[19]. La présence du fameux Jean Casimir y avait attiré des hôtes ou des visiteurs de marque : Mayenne, frère du duc de Guise, Rosne, le confident du duc d'Anjou, Bassompierre et cinq ou six colonels de reîtres, La Rocheguyon, le damoiseau de Commercy, et d'autres mécontents des deux religions. Jean Casimir tenait boutique ouverte en Allemagne de mercenaires et même il ne lui aurait pas déplu de s'assurer le monopole de ce marché. Il vendait de préférence ses services à ses coreligionnaires et soutenait volontiers aussi, toujours moyennant finances, les sujets catholiques en révolte contre les souverains catholiques, faisant ainsi les affaires de la Réforme et les siennes. Mais on ne le croyait pas incapable, à condition d'y mettre le prix, d'aider les papistes contre les protestants et par exemple de fournir des soldats au duc de Guise pour assaillir Strasbourg et au roi d'Espagne pour recouvrer les Pays-Bas. Il avait en 1576 conduit une armée allemande au secours du duc d'Anjou et des huguenots et il en voulait à Henri III d'ajourner le paiement des trois millions de livres que, vainqueur, il lui avait imposé comme indemnité de guerre ; il guettait l'occasion de contraindre ce débiteur récalcitrant. Il était en rapports avec le duc d'Anjou, avec Lesdiguières, le chef des protestants dauphinois, avec le roi de Navarre, avec le prince de Condé, et il ne repoussait pas les avances du duc de Guise. On le sollicitait, on le craignait, on le surveillait. Le Casimir était le cauchemar de Catherine. Elle ne cessait pas depuis deux ans d'engager le Roi à s'acquitter. Il semble que, sur les instances de sa mère, il se soit décidé à charger le duc de Lorraine de négocier un concordat. Charles III était tout désigné pour ce rôle d'intermédiaire, voisin et ami de Jean Casimir, avec qui il avait été élevé à la Cour de France, gendre de Catherine, qui l'aimait et élevait en tendre grand'mère sa fille Christine. Ambitieux, mais timoré, serviable aux Guise, ces brillants cadets de sa maison, déférent pour Henri III, qu'il savait soupçonneux et irascible, il ménageait tout le monde. Il ouvrait sa maison aux conspirateurs, mais il ne conspirait pas. Le duc de Lorraine, écrivait le 10 janvier l'agent florentin Saracini, a fait savoir à Sa Majesté, par courrier exprès, que Casimir lui demandait de passer dans ses États, faisant une levée de reîtres tout à l'alentour[20]. Mais il ne disait pas qu'il l'en empêcherait. Il réussit probablement à faire accepter au Palatin l'idée de versements en plusieurs termes[21].

Des propos de table ou des conciliabules de ces condottieri et de ces grands seigneurs, presque rien n'a transpiré parce que probablement tout s'est passé en paroles. On sait que déjà Casimir avait promis à La Rocheguyon de lui fournir cinq mille reîtres contre la cession de Commercy. On peut supposer que le duc de Lorraine a dû le tâter sur l'entreprise que Guise, d'accord avec lui, tramait contre Strasbourg[22]. Mais il est imprudent de pousser plus loin les hypothèses[23].

Cette rencontre de personnages de divers pays et des deux religions était si symptomatique que la Reine-mère retourna auprès du duc d'Anjou, qui n'avait pas consenti à l'accompagner ou à la suivre à Paris. Elle alla le trouver à Bourgueil (près de Chinon) et passa plusieurs jours avec lui (14-17 avril 1580)[24]. Elle lui parla des projets qu'on lui prêtait sur les Pays-Bas, mais ce n'était pas sa principale affaire et elle eut l'air de le croire quand il feignit de s'en départir, considérant le peu que l'on a faict pour luy quand il y a estés[25]. Elle appréhendait par-dessus tout qu'il ne se rapprochât des huguenots et, pour cette raison, elle le dissuada d'épouser la sœur du roi de Navarre, Catherine de Bourbon, un parti qu'avant son voyage du Midi elle trouvait sortable. C'est qu'alors elle y voyait un moyen de se concilier le chef des protestants avec qui elle allait traiter. Les temps étaient changés et ses dispositions aussi. Ce mariage, lui dit-elle, exciterait contre lui une grande inimitié de tous les catholiques du royaume et de la Chrestienté. Il lui fit remarquer, non sans malice, qu'elle et le Roi son frère ne voyaient point de difficultés à son mariage avec la reine d'Angleterre, qui estoit de la mesme relligion. Mais elle lui représenta — c'est elle-même qui l'écrit à Henri III — la grande différence d'acquérir à soy en se mariant un grand royaume comme le sien (celui d'Élisabeth) ou seullement cinquante mil livres de rente tout au plus, épousant la princesse de Navarre[26]. Ce n'était pas assurément la peine de se brouiller avec le monde catholique à si bas prix.

Elle lui proposa, au lieu de Catherine, sa petite-fille Christine, fille du duc de Lorraine. Mais il fit le sourd.

Au fond, il appréhendait autant qu'elle, mais pour d'autres raisons, le retour des troubles dans le royaume. Il souhaitait le maintien de la paix pour recruter dans les deux partis les soldats qui étaient nécessaires à son entreprise des Flandres. Sa mère l'entendit plusieurs fois dire qu'il y avait un moyen très grand et fort aisé de pourvoir aux menées et défiances de ceux de la religion. Ce serait que le Roi fît une paix nouvelle ou accordât un pardon général et qu'il allât jurer l'amnistie ou la paix en sa Cour de Parlement devant les princes, les grands officiers de la couronne, les principaux du royaume, et les procureurs des grands personnages qui n'y pourraient venir[27]. Il offrait son humble service pour cette œuvre d'apaisement, et le maréchal de Cossé, qui était à Bourgueil, déclarait à Catherine et à beaucoup d'autres, comme elle le raconte avec intention à Henri III, que le Roi en devait donner expressément la charge à son frère afin de bien faire connaître à tous ses sujets qu'il voulait la paix et le repos du royaume. Elle répondit qu'elle n'était pas d'avis de faire un édit nouveau, celui que le Roi avait octroyé aux protestants suffisait ; mais elle ne rejeta pas absolument l'idée d'envoyer un des siens avec un serviteur du Duc, s'informer de l'occasion des troubles, combien que mon intention, expliquait-elle à Henri III, fust de n'en rien faire sans la résolution de vous mesme et de vostre volunté. Et toujours elle lui répétait qu'il y avait dans ces remuements autant de politique que de religion. Le lendemain elle le pressait de mander à Paris, suivant le conseil de son frère, les princes et les grands pour aller jurer devant eux en son Parlement l'entretènement de la paix et le promectre solennellement et avec tant d'expression qu'il ne s'y puisse rien adjouster ny jamais trouver aulcune excuse[28]. Quant au pardon général de tous les maux et faultes passées, que recommandaient le duc d'Anjou et le maréchal de Cossé, c'était aussi son opinion fondée sur ce que il seroit très difficile de chastier ceulx qui les ont commis sans danger de rentrer aux troubles, mais elle s'en remettait à son prudent avis. Elle l'engageait pourtant, s'il voulait bien pardonner cette fois, à déclarer par parolles fort expresses qu'à l'avenir il serait fait justice sévèrement et exemplairement des coupables, de quelque qualité, condition et religion qu'ils fussent. Elle était sûre que ce serment d'entretenir la paix servirait grandement à aller au devant et empescher le mal qui se prépare. Et quant il n'y auroit, affirmait-elle, que la bonne intelligence que l'on verra par là qui est entre vous et vostredict frère, croiez que cela contiendra beaucoup de gens[29]. C'était l'intérêt du Roi de regagner son frère.

La guerre éclata soudainement dans le Midi. Le roi de Navarre adressa un manifeste à la noblesse (15 avril) et, cinq jours après, une lettre au Roi pour justifier la prise d'armes[30]. Son grand argument, c'est que ses coreligionnaires étaient désespérés par les agressions des catholiques. Mais les catholiques pouvaient répondre qu'ils ne faisaient que rendre coup pour coup. Au vrai, les chefs protestants avaient résolu, d'accord avec les députés des Églises, à l'assemblée de Montauban (juillet 1579), de garder les quinze places que les articles de Nérac, signés le 28 février, les obligeaient à restituer dans les six mois[31], c'est-à-dire à la fin août. Leurs craintes et leurs inquiétudes n'étaient qu'un prétexte. Ils savaient bien que Catherine ne les forcerait pas à se dessaisir et qu'elle négocierait toujours, même s'ils prenaient encore quelques châteaux, comme ils en étaient bien tentés. Turenne avoue que, pendant leur séjour à Montauban, chacun s'employait à se préparer à un nouveau remuement et à recognoistre des places[32]. Ils recommencèrent à tirailler avec les catholiques, et subitement, en avril 1580, sans être assurés du secours d'une armée étrangère, contre l'aveu des gens de La Rochelle et de beaucoup d'Églises[33], malgré la froideur du duc d'Anjou et l'hostilité de Montmorency, ils mirent toutes leurs forces en campagne. L'ont-ils fait, comme le dit Turenne, pour dégager le prince de Condé, aventuré dans La Fère, ou, comme le croit Marguerite, de peur qu'Henri III, outré de leur désobéissance, ne vint en personne régler la question des places et les obliger à tenir leur parole ? Il est probable que le roi de Navarre a été entraîné par des compagnons plus ardents et des capitaines âpres au butin, qu'il ne pouvait mener qu'à la condition de les suivre.

D'Aubigné, l'historien-poète, veut, lui, que la reine de Navarre et son entourage aient provoqué la prise d'armes. Henri III, le médisant Henri III, se serait plu à colporter l'histoire amoureuse de la Cour de Nérac, et les dames, pour se venger du diffamateur, auraient excité contre lui leurs maris et leurs amants[34]. Mais si le ressentiment des femmes a fait battre les hommes de meilleur cœur, il y avait longtemps qu'ils en avaient envie.

Marguerite aurait eu une raison de plus de détester le Roi, son frère, s'il est vrai, comme le rapporte l'agent florentin, Renieri, souvent bien informé, qu'il ait écrit à son mari que Turenne la caressait[35]. Mais elle se défend dans ses Mémoires, avec beaucoup de vraisemblance, d'avoir voulu la rupture ; elle a fait de son mieux pour réconcilier son mari et le maréchal de Biron ; elle a remontré au Conseil de Navarre tous les dangers d'une agression, et, d'autre part, averti le Roi son frère et la Reine-mère de l'aigreur croissante des réformés. Si Catherine avait douté de Marguerite, elle ne l'aurait pas appelée à l'aide pour rétablir la paix. Faictes luy congnoistre (à votre mari) le tort qu'il se faict et mettez peine de rhabiller cette faulte qui est bien lourde[36] (21 avril 1580).

Le roi de Navarre, qui savait mieux que personne les sentiments de sa femme, lui écrivait le 10 avril, quelques jours avant la déclaration de guerre : Ce m'est un regret estresme qu'au lieu du contentement que je desirois vous donner... il faille tout le contraire et qu'aïezce desplaisir de voir ma condition réduicte à un tel malheur[37]. Parlerait-il ainsi à une complice et pouvait-il signifier plus clairement qu'il entrait en campagne malgré lui et malgré elle ? De la prétendue cause passionnelle de la prise d'armes, il convient de ne retenir que le nom pittoresque de guerre des Amoureux.

Catherine fut outrée de cette révolte qui récompensait si mal sa longanimité. Le Roy, écrivait-elle à son gendre, quelle occasion vous donne-[t]-il de ce faire ? Il vous demande que luy observiez ce que luy avez promis et juré et de quoy avez esté tous contens, car ce n'est pas une loy ny commandement qu'il vous ait faict par la puissance que Dieu luy a donnée sur tous estans ses subjects.... mais c'est bien paix et traicté faict et disputté comme de per à per (de pair à pair). Elle ne voulait pas croire que Dieu l'eût assez abandonné pour avoir commandé la prise d'armes.... Je ne croyray jamais qu'estant sorty d'une si noble race (les Bourbons), vouliez estre le chef et général des brigands, voleurs et malfaicteurs de ce royaulme. Il fallait remettre les choses comme la raison le veult... et faire exécuter ce que le Roy vous mande.... affin que ce pauvre royaume demeure en repos et qu'il n'y ait occasion de dire que l'avez troublé. Les formules de politesse : Et vous prie, pour l'amour que je vous porte, excuser ce que je vous dis.... ; Je prie Dieu qu'il vous le fasse bien prendre n'enlevaient rien à la vigueur de la leçon[38].

La révolte dispensa Henri III de la manifestation théâtrale de bonne volonté que lui avaient suggérée son frère et sa mère. Ilse contenta de publier, près de deux mois après (3 juin), une déclaration confirmative des édits de pacification. Il avait nommé son frère lieutenant général du royaume (4 mai), mais il ne lui donna aucun commandement. Trois armées marchèrent contre les protestants. Condé n'attendit pas l'attaque de Matignon dans La Fère et s'enfuit en Allemagne (20 mai). Mayenne pénétra en Dauphiné[39], où en septembre il prit la forte place de La Mure. Le roi de Navarre avait emporté la ville de Cahors, mais cet assaut de quatre jours (28-31 mai), d'où il sortit tout sang et poudre[40] avec la réputation d'un héros, ne servit qu'à sa gloire. Biron le poussa si vivement que Marguerite criait grâce à sa mère dans une lettre à la duchesse d'Uzès. ...Faictes luy souvenir ce que je luy suis et qu'elle ne me veuille rendre si misérable, m'ayant mise au monde, que j'y demeure privée de sa bonne grace et protection. Si l'on faisoit valoir le pouvoir de mon frère (le duc d'Anjou), nous aurions la paix, car c'en est le seul moyen[41] (fin juin).

Le Roi et la Reine-mère étaient tout disposés à employer ce médiateur. Il s'entêtait, malgré leurs représentations, dans son dessein des Pays-Bas[42]. Le 22 août 1580, il avait fait occuper par ses troupes la ville et la citadelle de Cambrai. Les États généraux, épouvantés des progrès du duc de Parme et poussés par le prince d'Orange, étaient cette fois résolus à payer son concours du prix qu'il y mettait et à le reconnaître pour prince et souverain seigneur. Mais le Roi, s'il le laissait partir, pouvait craindre, en pleine guerre civile, une guerre avec l'Espagne et, s'il l'en empêchait, une coalition des malcontents catholiques avec les huguenots. Pour échapper à l'un et à l'autre danger, il fallait que le duc d'Anjou, de lui-même, ajournât l'expédition. Catherine avait acheminé Henri III doucement, suivant son habitude, à confier à ce frère détesté la mission d'apaiser les troubles. Elle savait combien les négociations avec les protestants du Midi étaient laborieuses et elle espérait gagner du temps, beaucoup de temps. Le Duc, qui manquait d'hommes et d'argent, escomptait pour ses futures conquêtes l'appoint des forces huguenotes que la paix rendrait disponibles. Peut-être Catherine lui avait-elle laissé entendre que le Roi, en récompense d'un succès diplomatique, ne s'opposerait plus à ses entreprises. Mesmes la Reine mère, dit un rapport anonyme, a beaucoup diminué des remontrances qu'elle souloit faire[43].

Quand les députés des États eurent rejoint le Duc à Plessis-Lès-Tours, ils demandèrent, avant de le reconnaître pour souverain, que le Roi s'engageât formellement à le soutenir de tous ses moyens. On leur aurait fait voir en guise de réponse une lettre où Henri III promettait à son frère de l'assister jusques à sa chemise, mais en négligeant de leur dire que le Duc avait promis de ne jamais se prévaloir de cet engagement[44]. Le traité qu'ils consentirent à signer (Plessis-Lès-Tours, 19 septembre) portait seulement que le nouveau souverain des Pays-Bas s'assurerait l'alliance et l'appui du roi de France.

Le Duc partit immédiatement pour le Midi, et y fut bientôt rejoint par Bellièvre et Villeroy, les deux hommes de confiance d'Henri III et de Catherine, qui devaient lui servir d'aides et de conseils. Les négociations avec le roi de Navarre commencèrent en octobre et aboutirent assez vite à la paix de Fleix (26 novembre), qui confirmait les articles de Nérac, mais laissait aux protestants pendant six ans encore les places de sûreté. La Reine-mère remercia Bellièvre avec effusion de la bonne et grande et dextre façon dont il avait usé en la conférence de Flex et aux affaires qui se sont traictez de delà auprès de son fils le duc d'Anjou[45]. — De ma part, lui écrivait-elle encore le même mois, vous povés panser corne je l'é reseus (reçu la nouvelle), que, oultre la pays (paix) du royaume, voyr une entière récosyliation de tous mes enfans[46]. Elle se réjouissait déjà, dans une lettre à la duchesse d'Uzès, d'avoir ses deux fils et sa fille Marguerite réunis autour d'elle aveques joye et contentement et repos de set royaume, et comme elle s'endormait de fatigue en écrivant, elle répétait les mêmes mots, mais avec une addition qui trahit sa préférence maternelle : aveques plus de repos en se royaume et contentement pour le Roy mon fils amé[47].

Elle affectait de rapporter tout l'honneur de la négociation à Bellièvre pour se dérober aux exigences du duc d'Anjou. Il réclamait comme récompense de son grand service les moyens d'aller guerroyer en Flandres. Elle priait Bellièvre de lui redire après Villeroy de ne se présipiter, et, en se perdent (perdant), nous perdre tous[48]. Mais il alléguait les raisons d'honneur et d'opportunité qui l'obligeaient à secourir au plus vite Cambrai qu'Alexandre Farnèse bloquait[49]. Il pouvait invoquer les engagements pris par le Roi, et dont le dernier, du 26 novembre 1580, portait expressément qu'il aiderait et assisterait son frère de tout son pouvoir et se joindrait, liguerait et associerait avec les provinces des Pays-Bas qui auraient contracté avec lui, aussitôt qu'elles l'auraient effectivement reçu et admis en la principauté et seigneurie desdites provinces[50]. Le Duc escomptant l'effet de ces promesses, recrutait partout des soldats et ordonnait à ses gentilshommes de monter à cheval. Mais Henri III se dérobait.

Les États généraux des Pays-Bas, réunis à Delft pour ratifier le traité de Plessis-Lès-Tours, y mettaient pour condition que le roi de France donnât assurance sous son seing d'aider son frère de ses forces et moyens pour tousjours maintenir ensemble les provinces[51]. Mais, au contraire, Henri III demandait l'annexion de l'une de ces provinces à la France comme prix de son concours. C'étaient des exigences inconciliables et il pensait en tirer parti.

La Reine-mère prétendait que le Duc restât dans le Midi ou qu'il se tint tranquille jusqu'à la complète exécution de la paix. Est-il possible ou seulement raisonnable, lui disait-elle dans une de ces grandes lettres, qui sont de véritables mémoires politiques[52], que le Roy offence le Roy catholique et se mecte en danger de avoir la guerre contre luy, devant que d'avoir estably, comme il convient, les affaires de son royaume et d'estre asseuré de la fidélité de ses subjectz.

Nous avons trop esprouvé, avouait-elle, le peu de respect... que ceulx de la nouvelle religion des provinces de Languedocq et Daulphiné portent au Roy et mesmes à mondict filz le roy de Navarre pour nous asseurer de leur fidélité devant l'exécution et accomplissement de leurs promesses ; j'ay la mémoire encores trop ressente de leurs deportemens en mon endroict[53].

D'avantage, mon filz, trouvez-vous qu'il soit à propoz que le Roy vostre frère et vous entrepreniez ceste guerre contre le plus puissant prince de la Crestienté, devant que de vous estre randuz plus certains de la volonté et amityé de vos voisins, spécialement de ceulx qui ont intérest à la grandeur dudict Roy catolicque comme la Royne d'Angleterre et les princes de Germanie ? La reine Élisabeth, il est vrai, a fait plusieurs fois dire par son ambassadeur qu'elle était prête à former une Ligue avec la France, mais quand le chancelier Cheverny, Villequier et le secrétaire d'État, Pinart, sont allés le trouver, pour en traiter avec lui, il s'est déclaré sans pouvoirs.

Les cantons suisses font difficulté de renouveler l'alliance pour les excessives sommes de deniers qui leur sont dues et qu'il faut réunir le plus tôt possible sous peine de perdre quasi l'unique alliance et amitié dont la Couronne est appuyée. Au contraire, les Espagnols ont de nombreuses intelligences dans le royaume, et loin d'assoupir les divisions, lesquelles se rendent tous les jours plus dangereuses par la licence effrénée qui croist et augmente à vue d'œil, une guerre étrangère fournira aux factieux plus de moien de nuire et accomplir leurs desseings.

Vous n'avez pas, continuait-elle, quasy de quoy faire monter à cheval ceulx desquelz vous entendez vous servir et [vous] vouliez aller combattre une armée hors du royaulme, forte et gaillarde (l'armée espagnole), qui ne désire rien tant que de se hazarder pour accroistre sa réputation à voz despens[54]. Il ne s'agissait pas seulement de faire une course jusqu'à Cambrai, mais d'y conduire une grande quantité de vivres et rafraichissemens. Pour protéger un pareil convoi, il lui fallait une armée au moins égale à celle du duc de Parme, car s'il y allait sans approvisionnements, son armée apporterait aux habitants plus d'incommodité que de secours. Elle lui signalait sans ménagements les fautes commises. Ses premières bandes, battues presque aussitôt après avoir franchi la frontière, s'étaient vengées en ravageant le pays, et, comme pour mieux braver Philippe II et l'inciter aux représailles, avant même que le traité de Fleix fût exécuté, ses serviteurs, jusques aux principaux, avaient fait arrêter à leur passage en France des Espagnols de qualité. Même à l'intérieur du royaume, les soldats enrôlés sous son nom avaient commis tant d'insolences, de désordres et de ravages .que les députés des États de Normandie et de Bourgogne étaient venus demander au Roi d'être déchargés du payement des deniers ordinaires. Que serait-ce si Fervaques, à qui il en avait donné commission, faisait de nouvelles levées ? Il ne servait de rien de dire qu'on empêcherait les pilleries des gens de guerre, c'est chose du tout impossible tant ilz sont maintenant depravez, mesmes (surtout) n'estant payez de leur solde, comme ilz ne peul-vent estre. Quand ils auront achevé de détruire et de ruiner les sujets du Roi, où le Roi trouvera-t-il de quoi le soutenir ? Et alors que pourrez-vous faire pour les Estats des Pays Bas qui vous appellent ? Ses devoirs de Français et de fils de France passaient avant toutes ses promesses. Vous nous dictes que vous avez engaigé vostre foy à ceulx de Cambrai et que vous vous estes obligé de les secourir, s'estant jectez entre vos bras. Mon fils, vous avez passé ce marché sans nous à mon très grand regret.... Combien que vous ayez cest honneur que d'estre frere du Roy, vous estes néanmoings son subject, vous lui debvez toute obéissance, vous debvez aussi préférer le bien publique de ce royaulme, qui est le propre heritaige de voz predecesseurs, duquel vous estes héritier présomptif, à toute aultre consideration : la nature y a obligé vostre honneur de (dès) vostre naissance. Il devait fermer l'oreille aux mauvaises suggestions. ...L'on vous a conseillé de luy demander (au Roi) secours d'hommes et d'argent.... Prenez garde que ce ne soit une invention de voz ennemys, lesquelz congnoissans que le Roy ne vous peult accorder maintenant voz demandes, esperent par ce moyen vous desunyr et empescher que vous ne paracheviez d'exécuter la paix, par où vous pouvez vous asseurer pour jamais de l'amityé du Roy vostredict frere et acquérir une gloire immortelle.

Rien ne pressait d'ailleurs. Au fort de l'hiver, il est quasi impossible de porter la guerre aux Pays-Bas. Qu'il ne ruinât pas inutilement le Roi et le royaume par de nouvelles levées. Quand la paix sera bien établie au dedans, il viendra trouver le Roi et ensemble ils résoudront, conclut-elle, ce qui sera de faire pour vostre grandeur et l'honneur de ce royaulme.

C'était la raison même. Henri III, incertain de la paix intérieure et de l'alliance anglaise, ne pouvait, avec un trésor vide, des revenus réduite et grevés d'anticipations, se lancer dans une guerre contre le puissant roi d'Espagne. Mais, à ce compte, il n'aurait pas dû promettre à son frère, si vaguement que ce fût, de l'assister aux Pays-Bas, puisqu'il n'avait ni les moyens ni la volonté de tenir sa parole. Catherine, qui n'avait pas toujours parlé aussi net, avait sa part de responsabilité dans ce double jeu.

Le duc d'Anjou consentit à rester encore quelques mois dans le Midi. Sa mère était toute occupée d'une négociation matrimoniale, qui, si elle avait abouti, l'aurait fait si grand qu'il eût pu dédaigner la souveraineté des Pays-Bas ou l'acquérir avec toutes les chances de succès. Les projets de mariage entre la reine d'Angleterre et un prince français dataient de loin et, suivant l'intérêt de la politique anglaise, ils paraissaient, disparaissaient, reparaissaient. En 1578, quand le duc d'Anjou, après sa fuite du Louvre, avait préparé la campagne des Flandres, Élisabeth avait signifié son opposition. Elle redoutait moins de voir à Dunkerque et Anvers les Espagnols, lointains et entravés par la révolte, que la France, riveraine de la Manche et du Pas de Calais et qui ferait bloc avec sa future conquête. Aussi avait-elle fait dire au Duc que, s'il ne se départait de l'entreprise, elle mettrait peine de l'en empescher, mais en même temps elle lui laissait entrevoir l'offre de sa main comme prix d'un renoncement[55].

Après l'échec de cette première tentative, elle ne parut pas éloignée de récompenser même la désobéissance. Il était clair que le duc d'Anjou n'était pas capable de chasser les Espagnols, mais qu'il avait assez de moyens pour les tenir en alarme, double garantie de la sécurité de l'Angleterre. L'envie de se marier revenait à Elisabeth et pour les mêmes raisons qu'en 1571. L'internement toujours plus étroit de Marie Stuart, s'il assurait en Ecosse la suprématie du parti anglais, excitait dans le monde catholique une vive indignation. Don Juan avait rêvé d'aller, aussitôt après la soumission des Pays-Bas, délivrer la reine prisonnière[56] et détrôner la reine hérétique. Lui mort (2 octobre 1578), le pape Grégoire XIII reprit le projet de débarquement pour attaquer le protestantisme en son repaire. Il s'entendit avec les Guise, mais essaya sans succès d'entraîner Philippe II. Il expédia en Irlande quelques réfugiés anglais et vingt-cinq à trente Italiens et Espagnols, qui abordèrent le 17 juillet 1579 sur la côte de Kerry et appelèrent les Irlandais aux armes. L'ordre des Jésuites, associé à ce dessein, fit partir neuf missionnaires, qui, au risque de la mort et d'atroces supplices, se glissèrent en Angleterre pour la convertir. L'invasion des séminaristes affola le peuple anglais. Avec une inquiétude plus explicable, le gouvernement surveillait Alexandre Farnèse, grand général et fin diplomate, qui, par les armes et des concessions, venait de ramener à l'obéissance la moitié des Pays-Bas.

Elisabeth jugea le péril si grand qu'elle décida de se rapprocher de la France. Mais sa coquetterie donnait comme toujours un air de candeur aux inspirations de sa politique. Elle était femme et sensible, elle aimait les hommages, s'attendrissait aux protestations d'amour et s'exaspérait de rester fille. Simier, que le duc d'Anjou avait envoyé en reconnaissance, était un des courtisans les plus raffinés de la Cour de France, écrivant et parlant à merveille le pathos amoureux du temps. Quand le Duc était allé lui faire sa première visite à Greenwich (août 1579), il l'avait trouvée tout émue par les compliments et les façons galantes de son interprète. Elle s'engoua de ce Valois, si séduisant malgré sa petite taille et sa figure, et elle l'appelait tendrement ma grenouille. Ils se séparèrent, l'un emportant des espérances et l'autre manifestant des regrets, qui annonçaient de prochaines épousailles[57].

Mais l'opinion protestante se déchaîna contre ce mariage avec un prince français et papiste. Le Parlement, consulté sur le contrat dont le Conseil privé de la Reine et Simier avaient arrêté les clauses, supplia si fermement Elisabeth de refuser sa signature qu'il fallut le proroger. Elle proposa au Duc, comme moyen de se concilier les esprits, de renoncer au libre exercice du culte catholique. Mais la Reine-mère représenta doucement à sa future bru que rien ne touche tant que ce qui est de la conscience et religion que l'on tient... Par ainsy je vous supplie luy laisser (à mon fils) ce qui est par vous déjà accordé et qui est de son salut d'avoir moien de servir Dieu et le prier et luy faire souvenir qu'il a ung maistre qui le conservera et aussi peut le chastier[58], s'il méfait. Derrière ces retranchements elle voyait venir la rupture, et dans les entretiens qu'elle eut avec le duc d'Anjou à Bourgueil, en avril 1580, elle ne s'était pas fait scrupule de l'entretenir d'un autre mariage avec sa petite-fille, Christine de Lorraine. Par orgueil et par calcul, Elisabeth ajournait le mariage, mais entendait garder le fiancé. Elle recevait du duc des lettres passionnées, et ne doutait pas qu'elles fussent sincères. Elle était touchée de ses plaintes et compatissait au désespoir qu'il affectait. Elle se laissa un jour dérober par Simier un mouchoir qui lui était destiné. Elle invita Henri III à nommer des commissaires pour rédiger un nouveau contrat, mais sans vouloir prendre d'engagement et en se réservant de les mander au moment voulu[59]. Elle s'inquiétait et s'irritait de l'opposition de son peuple.

Catherine se prêtait de bonne grâce à ces jeux de l'amour et de la politique. Elle ne croyait guère au mariage, mais elle négociait avec zèle comme s'il devait se faire. En tant que femme, les questions matrimoniales l'intéressaient. La recherche de son fils par cette grande souveraine la flattait, et elle y trouvait un moyen de distraire les Anglais pendant la guerre des Amoureux. Ses flatteries à la Reine, ses protestations de belle-maman avant la lettre, contribuèrent sans doute, avec l'âpre esprit d'économie, à détourner Elisabeth d'avancer à Condé, qui s'était enfui de La Fère, 300.000 écus dont il pensait se servir pour lever des reîtres en Allemagne. En août, quand la Reine se déclara prête à recevoir les commissaires, Catherine lui écrivit sa joie de voyr ayfectuer cest heureus mariage. C'est à cet coup qu'elle mourra contente de se voir honorée d'une tele fille, ajoutant ...Je prie à Dieu m'achever cet heur de vous voyr byentost mère. Et toute transportée d'aise, elle s'excusait d'espérer que par la grâce de Dieu ce premier enfant serait accompagné d'une belle lygnée[60]. Elle voulait oublier les quarante-sept ans de la prétendue.

Mais si tentée que parût la reine d'Angleterre de prendre époux, elle ne perdait pas de vue les intérêts de son pays. De tout temps ses avances matrimoniales aux Valois avaient eu pour principale fin de se prémunir contre l'alliance de l'Espagne et de la France et de les opposer l'une à l'autre sans en favoriser aucune à son détriment. Elle fit dire à. Henri III que, s'il faisait la guerre au roi d'Espagne, elle l'y aiderait secrètement, mais à condition que ce ne fût pas dans les Pays-Bas. Les desseins du duc d'Anjou sur les dix-sept provinces lui donnaient de la jalousie, et ce n'était pas une susceptibilité d'amoureuse. Il ne fut plus question de contrat ni de commissaires, quand elle apprit que les États généraux avaient délibéré de reconnaître pour prince et seigneur le duc d'Anjou. Ô Stafford, écrivait-elle à son envoyé extraordinaire en France, je trouve qu'on a mal agi envers moi. Dites à Monsieur que désormais il ne sera qu'un étranger pour moi si ceci s'accomplit.... Nous ne voulons pas placer si complètement notre confiance dans la nation française jusqu'à mettre entre ses griffes toute notre fortune pour être dans la suite à sa discrétion. J'espère ne pas vivre assez pour voir ce moment[61].

C'était au moment des pourparlers de Plessis-Lès-Tours. Le Duc, pour l'apaiser, offrit de lui communiquer les dépêches relatives aux Pays-Bas et d'admettre son ambassadeur en tiers dans les délibérations[62]. Elle revint à son projet de ligue contre l'Espagne, qui était en train de s'annexer le Portugal. Mais quand le Roi demanda ce qu'elle ferait pour son frère aux Pays-Bas, l'ambassadeur anglais répondit qu'il n'avait charge ny pouvoir de sa maistresse, d'entendre à ce party, mais seullement résouldre ce qu'il falloit faire pour traverser ledit roy catholique en Portugal[63]. Ce fut au tour du duc d'Anjou de bouder. Alors elle fit de nouvelles avances. Elle pressa l'envoi des commissaires[64]. Le Duc, très refroidi, fit partir Marchaumont pour entendre la façon dont ils seraient reçus[65]. Catherine arrêta le messager au passage, étant sûre, écrivait-elle à Villeroy, que la reine d'Angleterre prendrait pour rompture de ceste négociation, et en (pour) mocquerie si elle veoid qu'on veuille encore retarder lesdicts commissaires. Comme ladicte Royne est femme couroigeuze et mal endurante, elle ne fauldra pas de... faire si grand prejudyce à l'advansement de mondict fils (le duc d'Anjou) qu'elle n'espargnera rien des grandz moyens qu'elle a pour luy nuyre et faire non seulement contre luy, mais aussy contre le Roy du pis qu'elle pourra, comme de susciter une nouvelle guerre avec ceulx de la Religion, les assistans de moyens, praticques et intelligences en Allemaigne et partout ailleurs où elle pourra, et si (ainsi) elle se liguera avec le Roy d'Espagne et aydera par despit à sa grandeur et à la ruyne, tant qu'ilz pourront tous deux, de ce royaulme. Mais si son fils l'épouse il peult sans [aucun] doubte espérer estre [le] plus grand prince, après le Roy son frère, qui soit en la chrestienté.

Avec les moyens de la Reine sa femme, qui ne luy peuvent déffaillir et l'assistance du Roi, son frère, et du royaume de France, il peut, comme la Reine le laisse entendre, se faire élire roi des Romains[66]. Elle se plaît à rêver tout éveillée.

Henri III nomma les commissaires, parmi lesquels trois princes du sang, le comte de Soissons, le duc de Montpensier et le prince Dauphin[67], pour traiter, passer, accorder et contracter le mariage (28 février 1581). Après de laborieuses négociations, le contrat fut signé le 11 juin 1581, mais à l'épreuve on vit bien qu'il n'aurait pas plus d'effet que le premier.

L'hiver fini et les négociations du Midi s'éternisant, le duc d'Anjou écrivit à sa mère (Libourne, 1er avril 1581) qu'il allait, comme il l'avait promis par sa déclaration de Bordeaux du 23 janvier, marcher au secours de Cambrai. Trois semaines après, il partit, et de peur des reproches et des empêchements, il s'achemina vers Alençon, sans visiter au passage sa mère et son frère. Catherine eut un regret extresme, voyant, écrivait-elle à Bellièvre, que son honneur et sa personne ne courront moyngs de hazard que feront les affaires du Roy... les ayant laissées imparfaictes et confuses[68]. Elle le suivit à Alençon, et, dans les trois jours qu'elle passa près de lui (12-15 mai), elle le pressa et le supplia sans succès d'ajourner l'entreprise des Flandres jusqu'au complet rétablissement des affaires du royaume. Mais elle n'obtint rien. De colère, elle s'en prit aux mignons du Duc, qui assistaient à l'entretien, les accusant d'avoir, par leurs brigues et conseils, provoqué toutes ces brouilleries, et déclarant qu'ils méritaient le gibet. François se plaignit qu'elle manquât à sa promesse de ne l'insulter ni lui ni les siens et il sortit sans vouloir ce jour-là en écouter davantage[69]. Elle écrivit à Montpensier, que son fils aimait beaucoup, d'user de toute son influence pour le retenir[70]. Le duc d'Anjou continua ses levées, et le 25 mai il leur donna rendez-vous à Gisors[71]. Des grands et des seigneurs des deux religions, le grand écuyer, Charles de Lorraine, Guy de Laval, fils de d'Andelot, le catholique Lavardin et le huguenot Turenne, favoris du roi de Navarre, un ancien mignon du Roi disgracié, Saint-Luc, La Châtre, La Guiche se préparaient à le joindre avec des soldats et leurs gentilshommes. La Rochepot l'attendait en Picardie avec de l'infanterie[72]. Ces bandes que leurs chefs n'avaient pas le moyen de payer vivaient sur l'habitant, pillaient le plat pays, saccageaient les villages qui résistaient. Les Parisiens effrayés appelèrent à l'aide Henri de Guise. Catherine retourna voir son fils à Mantes (fin juin ou commencement juillet). Le Duc, tout en confessant qu'il n'avait de quoy exécuter telle entreprise et en rapporter l'honneur et avantage qu'il s'était promis, ne s'en voulut desmouvoir, dont je suis encores plus affligée que je ne vous puis escrire, disait-elle à l'ambassadeur de France à Venise, Du Ferrier, le voyant à la veille de perdre sa personne avec sa réputation et mettre ce royaume, auquel j'ay tant d'obligation, au plus grand danger où il fut oncques.... Vous pouvez de là comprendre en quelle douleur et perplexité je me trouve...[73]

La raison de son grand trouble, c'est qu'elle ne parvenait pas à calmer Henri III. Le Roi, indigné que son frère armât s sans son consentement, voires contre son gré et vouloir, e qu'il foulât ses sujets et le lançât dans une guerre avec l'Espagne, paraissait résolu à se faire obéir même par la force. Il convoqua les compagnies d'ordonnance à Compiègne. Il ordonna au sieur de La Meilleraye de rompre toutes les bandes, fussent celles de son frère. Je vous le commande aultant que vous m'aymez et debvez obeissance à vostre Roy.... Aydez vous de la noblesse, du peuple, du toxain et de tout qu'il sera besoing, je vous en advoue et le vous commande[74].

Catherine voulait empêcher à tout prix cette lutte plus que civile. Convaincue qu'il importait au bien du royaume et du Roi de contenter le duc d'Anjou, elle changea de politique, sinon de sentiments. Sans doute elle aurait mieux aimé voir François à la Cour, paisible et docile, que de le servir en ses entreprises étrangères. Mais le seul moyen qui lui restât d'accorder les deux frères, c'était de soutenir les ambitions de l'un pour assurer la sécurité de l'autre. Une première fois à Blois ou à Chenonceau, à son retour d'Alençon, en mai 1581, elle aurait essayé sans succès de décider le Roi à soutenir le Duc sous main[75]. Elle lui avait représenté, raconte l'ambassadeur d'Espagne, Tassis, que le Duc, se voyant sans souffisans moyens pour exécuter ce qu'il a en teste par faulte de la faveur de son frère, de rage ne voulsist convertir sa furye contre luy et allumer ce royaulme de nouvelle guerre civile[76]. A la longue elle lui persuada de souffrir ce qu'il n'aurait pu défendre, sans de gros risques. En juillet il était résigné, tout en continuant à désavouer l'agression. Le seigneur de Crèvecœur, lieutenant général du Roi en Picardie, rapporte l'agent florentin Renieri, vint à la Cour, pour savoir de la bouche du Roi la vérité sur l'entreprise de Monsieur, à qui Sa Majesté répondit qu'elle ne se faisait pas de son consentement. Crèvecœur m'a dit que la Reine-mère lui demanda si le Roi pouvait empêcher la dite entreprise. Il dit que oui. De quoi elle se montra mécontente[77].

Elle alla encore une fois, par acquit de conscience, trouver son fils à La Fère-en-Tardenois pour le détourner de cette aventure (7 août), mais déjà elle avait pris toutes les dispositions pour la protéger. Le sieur de Puygaillard, qui commandait les troupes royales, avait l'ordre de côtoyer l'armée d'invasion et d'empêcher les Espagnols de l'attaquer avec avantage. C'est sous la protection de ce lieutenant du Roi que le duc d'Anjou mena au secours de Cambrai les troupes que le Roi lui avait défendu de rassembler et qu'il avait abandonnées aux coups des populations. Il entra dans la ville le i8 août, la débloqua ensuite et marcha sur Cateau-Cambrésis, qui capitula le 7 septembre. Mais la Reine-mère restait anxieuse. Je suis, écrivait-elle à Du Ferrier, le 23 août, en une extresme peine de l'issue du voyage auquel mon fils s'est embarqué[78]. Elle craignait que la fin ne correspondît pas au commencement.

Cependant la reine d'Angleterre ne s'opposait plus aux projets du duc d'Anjou. Décidément inquiète du surcroît de puissance que donnait à Philippe II l'acquisition du Portugal et de ses colonies, elle cherchait à lui susciter partout des ennemis. Elle blâmait maintenant Henri III de ne pas soutenir son frère. Elle le poussait à faire valoir les droits de sa mère sur la couronne de Portugal et lui proposait de conclure une ligue défensive. Mais, toujours prudente et toujours économe, elle se refusait à rompre ouvertement avec l'Espagne, et même à payer tout ou partie des frais de la conquête des Pays-Bas[79]. Quant à son mariage, elle l'ajournait après l'alliance. Or Henri III, pour être bien certain de son concours, exigeait qu'il se fît avant. On ne pouvait s'entendre. Elisabeth envoya l'un de ses plus habiles conseillers, Walsingham, exposer ses raisons au Roi et au duc d'Anjou. Le ministre anglais ne croyait pas ce mariage sortable et il le laissait trop voir. Aussi, comme, dans l'entretien qu'il eut avec Catherine au jardin des Tuileries, le 30 août, il ne lui parlait que de former la ligue, elle représenta nettement qu'on pourroit mettre en œuvre plusieurs persuasions et artifices pour rompre des traitez qui ne seroient composez que d'encre et de papier[80]. Il ne fallait pas espérer que le Roi son fils attaquât les Espagnols avant que le duc d'Anjou fût l'époux de la Reine. Le Duc se plaignit à Elisabeth de la perdre en termes d'une pation si afligée[81] qu'elle fut émue de sa douleur. Elle lui fit dire de ne pas désespérer, lui promit de l'argent et blâma Walsingham[82]. Elle recommençait

à fluctuer : aujourd'hui homme d'État et demain femme. Quand François, après ses premiers succès, fut obligé, faute de fonds et de soldats, de reculer sur Le Catelet et d'aller chercher en Angleterre secours et réconfort, elle le reçut à Greenwich, où elle passait l'hiver, comme un fiancé. Un jour qu'elle se promenait avec lui dans la galerie du château, suivie de Walsingham et de Leicester, l'ambassadeur de France, Mauvissière, s'approcha et respectueusement lui demanda ce qu'il devait dire à Henri III de ses intentions. Écrivez à votre maître, répondit-elle, que le Duc sera mon mari ; et soudain elle baisa le Duc à la bouche, et lui passa au doigt un anneau qu'elle portait[83] (22 novembre). Mais, le lendemain elle lui raconta qu'elle avait pleuré toute la nuit, en pensant au mécontentement de son peuple, à la différence de religion, au mal qui résulterait de leur union. Il la rassura ; elle échangea avec lui des promesses écrites et célébra par des fêtes à Westminster ses futures épousailles. Mais en dépit de la parole donnée, elle ne laissait pas de s'estimer libre et se félicitait de l'être encore. Elle continuait à débattre avec Henri III le prix de sa participation à l'affaire des Pays-Bas. Les États généraux, qu'effrayaient les progrès des Espagnols et la prise de Tournai (30 novembre), ayant sommé l'absent de leur venir en aide, elle affectait en public le plus profond chagrin de son départ et, en particulier, elle dansait de joie à la pensée de ne le revoir jamais[84]. Elle voulut l'accompagner jusqu'à Cantorbéry et, tout en larmes, lui jura au départ qu'elle l'épouserait, le priant de lui écrire : à la Reine d'Angleterre, ma femme (12 février 1582). Les graves conseillers de la Reine, Burleigh, Walsingham, le comte de Sussex, étaient scandalisés par les contradictions de ses nerfs et de sa raison. Ils l'accusaient de fausseté, de mensonge. Pauvre psychologie. Elle était toujours, mais successivement sincère.

Une flotte anglaise alla débarquer sur la côte de Zélande le fiancé d'Élisabeth accompagné du comte de Leicester, son favori, et de cent gentilshommes anglais. Le Duc annonçait qu'aussitôt après s'être fait reconnaître par les diverses provinces il reviendrait en Angleterre pour épouser la Reine, mais elle était bien décidée à ne se marier jamais.

Depuis longtemps Catherine en était convaincue et elle pensait à un autre mariage ; mais, pour ne pas irriter un amour-propre féminin, dont elle savait la susceptibilité, elle aurait voulu qu'Elisabeth elle-même libérât le duc d'Anjou de la servitude des fiançailles. Dans une lettre autographe qu'elle lui fit porter par Walsingham, après l'entrevue du 30 août, elle la suppliait de faire à son fils cet honneur de lui donner des enfants, sinon qu'il en puisse bientost avoir [une femme] de qui il en ait. Mais ce sera à nostre grand regrect, je dis nostre, car ce sera de tous trois (la mère et les deux fils), si le malheur estoit tel que vous vous resolussiez de n'espouser celui que tous vous avons voué et qui lui mesme se dit tout donné à vous[85]. Une idée, qui datait de loin, se précisait dars son esprit, c'est qu'il serait possible, la reine d'Angleterre se dérobant, de régler par un mariage tous les différends entre l'Espagne et la France et d'assurer la paix de la chrétienté et du royaume. Aussi quand le Duc était parti pour Cambrai, lui avait-elle fait signer (5 août 1581) l'engagement, vague dans les termes, mais très précis au fond-de e se déporter entièrement de ses entreprises e aux Pays-Bas, si les propositions de sa mère pouvaient être suivies d'effet, et de restituer de bonne foi toutes les villes qu'il aurait occupées, aussitôt que les choses seront accordées de part et d'autre[86], c'est-à-dire entre elle et Philippe II. Pendant qu'Élisabeth délibérait encore d'être ou de ne plus être fille, elle profitait des plaintes de Tassis sur l'agression française pour faire dire à cet ambassadeur d'Espagne et lui dire elle-même que le vrai moyen pour estraindre l'amitié entre les deux couronnes, c'était le mariage de son fils avec l'une des infantes, ses petites-filles. L'offre était claire, mais elle ne voulait pas avoir l'humiliation d'un refus. Tassis ayant consenti à dépêcher un exprès à Madrid pour avertir son gouvernement, elle écrivit elle-même à Saint-Gouard, l'ambassadeur de France auprès de Philippe II, de faire, si le Roi catholique lui en parlait, comme si les choses viennent d'eux et néanmoins de hâter les négociations[87]. Elle s'imaginait que Philippe II agréerait ce moyen de composer le faict de Flandres et de Portugal et elle se proposait, s'il résistait, d'exercer sur lui la pression nécessaire.

Trois siècles auparavant, un infant portugais (Alphonse) avait épousé en France une veuve richement pourvue, Mathilde ou Mahaut, comtesse de Boulogne (1235), mais quand il fut devenu roi, dans son pays, après la déposition et la mort de son frère, don Sanche (1248), il l'avait répudiée sans façon afin de prendre pour femme une fille naturelle du roi de Castille, qui lui apportait en dot les Algarves (1253). De son mariage avec Mahaut, il n'avait pas eu d'enfant ou du moins rien ne permettait de croire qu'il en avait eu. Alphonse III, d'abord excommunié par un pape pour sa bigamie, avait été réhabilité par un autre pape, à la sollicitation des évêques portugais, après la mort de Mahaut.

Catherine prétendait que, Mahaut ayant eu des enfants d'Alphonse, la descendance de l'épouse castillane régnait depuis trois siècles sans cause légitime et que la couronne appartenait de droit à la maison de Boulogne, sa propre maison, et à elle comme héritière de Mahaut[88]. Le vieux cardinal Henri, successeur de son neveu, avait oublié, et pour cause, de l'inscrire parmi les divers prétendants qu'il avait invités, en prévision de sa fin prochaine, à lui exposer leurs titres à sa succession. Mais Catherine réclama. Sur ses instances, Henri III, qui avait chargé le sieur de Beauvais, son capitaine des gardes, de porter ses condoléances au Cardinal sur la mort de don Sébastien, adjoignit à cet homme de guerre ung prélat d'Eglise et homme de lettres, l'évêque de Comminges, Urbain de Saint-Gelais, pour exposer les raisons de sa mère. Ce ne seroit pas peu, écrivait-elle à son fils, le 8 février 1579, si ces choses réussissoient et que je puisse avoir cet heur que de mon costé et selon la prétention que j'y ay (qui n'est pas petite) j'eusse apporté ce royaulme-là aux François[89]. Son imagination aidant, elle découvrait sur le tard qu'elle était une royale héritière[90]. Ce serait sa revanche — une revanche rétrospective — sur les ennemis du mariage florentin, qui avaient tant reproché à François Ier d'être allé choisir pour belle-fille une Médicis, mal dotée et d'illustration récente, sur l'espérance incertaine du concours de Clément VII.

Le cardinal Henri étant mort (31 janvier 1580) sans avoir réglé la question de succession, les gouverneurs des cinq grandes provinces, chargés de la régence, décidèrent qu'elle le serait par voie de justice, comme s'il s'agissait d'un procès civil. Des trois prétendants les plus sérieux, Antonio, prieur de Crato, fils naturel d'un frère du cardinal, Philippe, roi d'Espagne, fils d'une infante portugaise, et le duc de Bragance, grand seigneur portugais, gendre d'une autre infante, mais qui était inférieure en degré à la mère de Philippe II[91], Antonio était le plus populaire, Bragance, le plus sortable et Philippe II, le plus puissant et le plus proche en parenté. Le roi d'Espagne avait tant d'intérêt à parfaire l'unité politique de la péninsule, ce rêve de ses prédécesseurs, qu'il était bien résolu à n'en pas laisser échapper l'occasion. Il faisait exposer ses droits par ses juristes, sans toutefois admettre qu'ils fussent contestables, simplement pour éclairer l'opinion. Cependant il massait sur la frontière de Portugal ses vieux régiments, tirait de sa disgrâce pour les commander son meilleur général, le duc d'Albe, et, en prévision d'un prochain voyage dans son nouveau royaume, faisait venir de Rome où il l'avait relégué, le plus habile de ses hommes d'État, le cardinal Granvelle, qui le remplacerait en son absence à Madrid.

Les régents, émus de ces mouvements de troupes, demandèrent un secours de six mille hommes au roi de France. La Reine-mère leur promit toute l'aide, confort et bonne assistance pour les aider à maintenir le gouvernement du Portugal en sa dignité, splendeur et liberté. Henri III les admonesta de tenir la main que le faict de ladicte succession se termine par les veoies ordinaires de la justice, tant pour conserver le droit à qui il appartient que pour garder la liberté de la patrie[92].

C'étaient de belles paroles qu'il eût fallu soutenir d'un envoi de soldats. Saint-Gouard, ambassadeur de France à Madrid, excitait depuis longtemps le Roi à prévenir les desseins de Philippe II. Il importe pour le bien de la France, écrivait-il le 20 février 1580... qu'il (le Portugal) demeure toujours royaume en son entier[93].

Mais la Cour de France ne se pressait pas d'agir. Le duc d'Albe eut le temps de vaincre D. Antonio, que la populace avait proclamé, et d'occuper Lisbonne (septembre) et le reste du Portugal. Même après la paix de Fleix (novembre 1580), Catherine en était encore à la période d'attente. Le 17 décembre, elle ordonnait au général des finances en Guyenne, Gourgues, de faire partir un homme bien confident sur un navire chargé de blé pour aller à Viana, Porto et Lisbonne, s'enquérir de l'état des choses, sous couleur de vendre son chargement, car sans cette connaissance il ne se peut bonnement rien exécuter de ce que nous avions pensé debvoir faire sans rien altérer avec le roy d'Espagne ny nos aultres voisins de la prétention et droict que j'ay audict royaulme de Portugal[94] (17 décembre 1580).

Le roi D. Antonio s'était réfugié à l'étranger, mais Tercère, l'île la plus importante de l'Archipel des Açores, lui restait fidèle. Catherine laissa ses partisans acheter des vaisseaux et recruter des hommes en France, et, comme l'ambassadeur d'Espagne s'en plaignait, elle répondit franchement qu'elle les y avait autorisés et qu'elle avait pris peine que le Roi son fils ne le trouvât mauvais. Elle protestait qu'en Bourdelais et en Normandie, il ne se faisait aucun préparatif. Ainsi elle engageait sa responsabilité et dégageait celle d'Henri III. C'était un différend entre elle et le roi d'Espagne sur un litige, que celui-ci avait tranché par la force, à son détriment[95]. Elle eut même l'idée, à ce qu'il semble, de donner toute autorité sur les armements que faisait le connétable de D. Antonio à son gendre, le roi de Navarre, qu'elle fit assister par son cousin, Philippe Strozzi, colonel général de l'infanterie française. La résolution de tout, écrivait Strozzi à Catherine, est remise à la volonté de saditte majesté (Henri de Navarre).... Le tout ne se résoudra que après avoir parlé à elle et reçeu ses commandemens sur lesquels monsieur le comte de Vimiose (le connétable) est résolu de se régler de tout...[96] Henri III, qui avait peu de goût pour les aventures, avait probablement, pour marquer sa désapprobation, laissé attendre quelque heure le comte de Vimiose dans l'antichambre de sa mère avant de le recevoir[97]. Mais Catherine, plus diligente, faisait verser au capitaine Caries, qui avait convenu avec Vimiose de mener des hommes aux Iles, les 1500 écus qui lui étaient nécessaires pour aller rafraîchir les troupes du capitaine Scalin qui s'y trouvait déjà. Elle pressait le départ des renforts[98], sachant que le roi d'Espagne avait expédié de Lisbonne aux Açores, le 15 juin, 8 vaisseaux et 8 ou 900 bisognes (recrues). Elle soutenait D. Antonio, tout en s'excusant de ne pas lui donner dans ses lettres le titre de roi, de peur que l'Espagnol pût croire qu'elle ne persistait plus en son droit et prétention[99].

Quand Tassis se plaignit de nouveau à elle (septembre 1581) que Strozzi dressait en France une armée de cinq mille hommes pour aller attaquer les possessions de Philippe II, elle répliqua que poursuivre son droit en Portugal, ce n'était faire tort à personne ni faire la guerre au roi d'Espagne, mais conserver son bien, ajoutant qu'elle n'y vouloit rien espargner d'aulcuns moyens qu'elle avoit ; que le Portugal était à elle. Il la priait de lui livrer D. Antonio, qui d'ailleurs n'était pas en France, mais en Angleterre. Et pourquoi le ferait-elle ? D. Antonio n'était pas le sujet de Philippe II, mais le sien[100].

Or c'est à cette même audience où elle se déclara reine de Portugal qu'elle proposa le mariage du duc d'Anjou avec une infante. Ses revendications personnelles et ses projets matrimoniaux étaient étroitement liés. Assurément, dans sa pensée, la dot de l'infante — une dot territoriale — devait être le prix de sa renonciation. Comme elle était trop intelligente pour supposer que Philippe II céderait le Portugal à son gendre, il fallait que les compensations fussent cherchées du côté des Pays-Bas, et c'est ce que les Espagnols comprirent. Elle avait fini par décider Henri III à intervenir en Portugal. D. Antonio fut reçu à Paris comme un prince (octobre 1581). On tient pour chose très certaine, écrit le 31 octobre l'agent florentin, que l'entreprise du Portugal est résolue et l'on fait compte d'y mener 10.000 fantassins français, dont la Reine-mère fournit la moitié de ses propres deniers, et 4.000 Allemands[101].

Le comte de Brissac eut charge d'embarquer en Normandie 1.200 hommes pour les Iles[102]. Strozzi devait, avec le gros de la flotte, partir de Guyenne. Catherine s'occupait de réunir des fonds[103]. On allait être prêt et partir. Elle était confiante dans le succès de l'entreprise[104]. Mais il fallait se hâter, car la saison s'avançait[105], et mettre à la voile avant le 10 décembre[106]. En Normandie les armements étaient achevés. Que Bordeaux poussât les siens ! Mais, le 10 décembre, Strozzi était encore à Poitiers et attendait de l'argent[107]. La Reine-mère, annonçait, bien marrye, qu'elle en demandait au clergé et à la ville de Paris, sans grande espérance d'ailleurs. Elle ne pouvait rien obtenir du Roi.

C'est une des raisons du retard de l'expédition, mais ce n'est probablement pas la seule. Le duc d'Anjou était alors en Angleterre et son mariage, si par hasard il se faisait, dispensait de l'aventure du Portugal, dont le principal, sinon l'unique objet, était de lui procurer une principauté aux Pays-Bas. Les affaires de France étaient toujours en mauvais état, et quand elles s'amélioraient sur un point, elles se gâtaient ailleurs. Bellièvre, occupé toute l'année 1581 à poursuivre les négociations interminables du Midi, se croyait sûr en novembre de la paix avec le roi de Navarre, et il en faisait honneur à la bonne volonté de la reine de Navarre, mais il lui restait à pacifier le Languedoc, une province, disait la Reine-mère, plus débauchée que les autres[108].

L'esprit de faction, dont Catherine, un an auparavant (23 décembre 1580), signalait la licence effrénée, se déchaînait plus ardent à la veille d'une agression directe contre la grande puissance catholique, l'Espagne. L'agent florentin Renieri, s'excusant de ne pouvoir, pour beaucoup de raisons, renseigner son gouvernement sur les partis en France, ajoutait toutefois : Les gens passionnés sont nombreux, neutri autem pauci (mais les neutres sont rares), et je vous dirai une opinion et qui se vérifie certaine, c'est que les dites passions sont si véhémentes que, en ce qui touche aux affaires de la Couronne, et principalement à celles de Monsieur, frère du Roi, beaucoup font connaître la douleur qu'ils ont, que son Altesse ait mieux réussi en ses entreprises qu'ils ne le désiraient ni ne le pensaient, ne craignant pas de cette façon de se déclarer Espagnols plus quam honestum decel (plus que l'honneur ne le voudrait), de quoi toutefois quelques-uns disent qu'il ne se faut pas émerveiller [de leur impudence] pour être le nombre de ces gens-là si grand, et être composé de grands ; et en outre in hoc mundo (entendez, en ce royaume) celui qui fait bien sæpissime (le plus souvent) ne peut avoir un œuf, tandis que celui qui fait mal en a encore plus de neuf[109] (9 septembre 1581).

C'en était fait du beau rêve où Catherine se complaisait, à son retour du Midi, d'une union si étroite avec son fils que leurs deux volontés n'en feraient qu'une. La question du duc d'Anjou avait empêché l'accord parfait. Henri était jaloux que sa mère s'intéressât à la grandeur de son frère et, quoiqu'elle lui représentât que c'était pour son bien, irrité qu'elle compromît à cette fin les finances et la sécurité de son royaume. Un Roi qui ne veut pas, une Reine-mère, autant dire un principal ministre, qui ne peut pas tout ce qu'il veut, c'étaient des personnalités accouplées dont l'une usait son effort à entraîner l'autre. Catherine gouvernait en apparence toujours avec même puissance, mais en fait elle était entravée par les résistances ou la force d'inertie de son compagnon. Henri suit, se cabre, s'arrête, repart. L'action de Catherine est à proportion faible ou forte.

Elle ne s'exerce librement (et encore ?) que pendant les maladies du Roi ou ses dévotions, qui alternent avec ses débauches. Après la crise d'otite dont il avait failli mourir en septembre (1579), il souffrit le mois suivant d'une blessure au bras d'origine inconnue. Il était si délicat qu'en février 158o la Reine-mère pria le pape de lui interdire sous peine d'excommunication de faire maigre pendant le carême[110]. Peut-être avait-il observé avec trop de zèle les pratiques du carnaval ? En juin, il lui vint une enflure au pied, dont il alla se soigner seul à Saint-Maur, laissant sa femme avec sa mère[111]. Il avait bonne mine en novembre — du moins Catherine le dit — mais en décembre la tumeur (lupa) qu'il avait à la jambe se ferma et l'humeur se porta au visage. Le Roi, dit clairement l'agent florentin Renieri, fait la diète à cause du mal français, dont le traitement est à recommencer. Il a la figure remplie de boutons, le teint mauvais, il est maigre et mal en point. Ses fidèles serviteurs sont dans la peine et doutent de sa vie[112]. Il quitta la Cour en janvier (1581) et se retira seul à Saint-Germain, où il resta jusqu'à la fin mars. En partant il chargea sa mère d'expédier, commander et signer tout pendant six semaines[113]. Il l'aurait même nommée régente, comme en cas de maladie grave. Catherine jugea bon de démentir ce bruit et d'annoncer le retour prochain du Roi à la Cour dans une lettre à Du Ferrier, qui représentait la France à Venise, ce centre international d'information (23 mars)[114]. Mais avec ou sans ce titre elle exerça plusieurs semaines de pleins pouvoirs.

Or ce fut pendant cette période que le duc d'Anjou quitta le Midi, fit des levées et prépara une seconde expédition des Pays-Bas. La Reine-mères n'avait pas réussi par conseils, remontrances et prières à le détourner de son projet. Elle reculait devant l'emploi de la force pour ne pas provoquer aux armes la multitude des mécontents. Mais Henri III, qui ne se décidait pas à courir sus à son frère, en voulait à sa mère de ne pas l'y pousser. Il la savait habile, mais il la jugeait faible et inclinant avec l'âge à ménager tout le monde et à tout apaiser. L'idée lui vint, non pas de l'exclure du gouvernement, mais de se fortifier lui-même d'agents d'exécution intelligents et énergiques, qu'avec sa tendance habituelle il choisit dans son entourage le plus intime.

Après la mort de Quélus, Maugiron, Saint-Mesgrin, qui n'étaient que de beaux éphèbes, apparaissaient au premier plan des mignons d'une autre espèce, qui ne sont plus seulement ou qui ne sont même plus du tout les compagnons de plaisir du Roi. Henri III ne se borne pas à les gratifier de pensions et de faveurs ; il les veut puissants et riches pour les opposer à ses ennemis. Sa mère ne voyait de moyen de salut que dans le contentement du duc d'Anjou, il en cherchait un autre, qui était de s'entourer de serviteurs à son entière dévotion. Il disgracia Saint-Luc, qui avait un jour hasardé d'excuser la révolte de Bellegarde ; il éloigna d'O, qui se plaignait de n'être pas assez favorisé. Il concentra ses grâces sur d'Arques et La Valette. Il les fit ducs et pairs pour les égaler aux princes de son sang. Il maria d'Arques, promu duc de Joyeuse, à une sœur de sa femme, Marguerite de Lorraine (24 septembre 1581), et il aurait fait épouser, s'il l'avait pu, à La Valette, le nouveau duc d'Epernon, une autre de ses belles-sœurs ou même la petite-fille de Catherine, Christine de Lorraine[115]. Il leur réserva les grands offices de la Couronne. S'il ne réussit pas à décider le duc de Guise à se démettre de la grande maîtrise, il acheta l'Amirauté de France à Mayenne, qui l'avait en survivance du marquis de Villars, son beau-père, et la donna à Joyeuse (19 juin 1582). Il investit d'Epernon de la charge de colonel général de l'infanterie française, que Philippe Strozzi abandonna pour un titre de vice-roi dans le Nouveau Monde (novembre 1581), et peu à peu il accrut tellement son autorité sur les gens de guerre qu'il en fit une sorte de connétable moins le titre. Le chancelier Birague, vieux, fatigué et chagrin, dut céder les sceaux à Cheverny, un serviteur d'une complaisance à toute épreuve.

Il pensait par les mêmes moyens se faire obéir dans les provinces. Il pressa le duc de Montpensier, un prince de sang, de résigner le gouvernement de la Bretagne et, aussitôt qu'il fut mort (22 septembre 1581), il y nomma le frère de la Reine, le duc de Mercœur. Il destinait à d'Epernon celui de la Guyenne, qu'il proposa au roi de Navarre d'abandonner, et, en attendant, il lui confia le commandement des trois grandes places fortes de l'Est, Toul, Metz et Verdun. Joyeuse eut la Normandie, qui était d'ordinaire dévolue à un prince de sang. Les parents des deux favoris participèrent à leur fortune. Le frère aîné de d'Epernon, Bernard Nogaret de La Valette, obtint Saluces et les territoires d'outremonts ; le père de Joyeuse attendait le Languedoc, que le Roi méditait d'enlever à Montmorency. Tant de changements, et à la même époque, sont évidemment l'indice d'un plan arrêté, et en soi ils peuvent se comprendre. Il était politique de substituer aux gouverneurs et aux grands officiers de la Couronne tièdes, peu dociles ou suspects, une aristocratie nouvelle qui, craignant beaucoup de celle qu'elle dépossédait, aurait, à défaut de reconnaissance, intérêt à bien servir. Il était conforme à la tradition du pouvoir absolu de montrer que les premières charges de l'État et même que la plus haute naissance tiraient de la faveur royale toute leur autorité. Richelieu n'eut pas d'autres maximes. Mais la création d'une aristocratie nouvelle n'était qu'un palliatif. Il manquait au gouvernement l'unité, qui est la condition même de la force. Catherine restait au pouvoir ; son fils se faisait assister de deux grands officiers. Ce n'était pas une concentration, mais bien son contraire. Le Roi ne dirigerait pas ses mignons, étant par nature le serviteur de ses serviteurs, et il était impossible, que ceux-ci le dirigeassent, étant eux-mêmes égaux et par conséquent rivaux, divergents d'opinions et d'ambitions. Ils ne parvenaient à s'entendre que contre la Reine-mère dont ils cherchaient à ruiner le pouvoir pour augmenter d'autant le leur. Leur élévation ajoutait à toutes les autres causes de mécontentement celle d'une faveur inouïe qui n'était fondée ni sur l'origine ni sur le mérite. Elle ne procurait pas à la royauté l'appoint d'un parti, d'une clientèle, d'une grandeur historique. Ce n'était pas assez, pour lutter contre les huguenots, les catholiques ardents et les politiques, contre les Guise, les Bourbons, les Montmorency et le duc d'Anjou, de deux simples gentilshommes de vieille race. La mauvaise administration financière du Roi exaspérait les peuples ; ses prodigalités indignaient tous ceux qui n'en profitaient pas. Il n'avait jamais d'argent pour ses affaires et il en extorquait de tous côtés pour ses plaisirs. Les noces de Joyeuse coûtèrent 1.200.000 écus qui auraient fait un meilleur service en Flandre. Les grands et la noblesse s'irritaient de voir les pensions, les charges, les gouvernements passer à deux parvenus.

La Reine-mère gémissait de cette façon de gouverner si contraire à son système de tempéraments et de ménagement. Mais elle se gardait bien de protester tout haut. Elle fait tout ce qu'elle peut, écrit l'agent florentin, pour complaire aux deux mignons[116]. Elle se montra si empressée aux fêtes du mariage de Joyeuse qu'elle fut obligée de prendre le lit pour se remettre de cet excès de bienveillance[117]. Au moins aurait-elle voulu que les mignons se fissent pardonner leur fortune, à sa façon, qui était de caresser tout le monde. Mais d'Epernon, orgueilleux et autoritaire, n'entendait céder à personne. Elle essaya de le décider à se rendre agréable aux Guise, qu'il détestait, comme les ennemis du Roi et les rivaux possibles de demain. La duchesse douairière de Guise, mariée au duc de Nemours, désirait l'abbaye de Chailly, qui était vacante, pour un de ses enfants du second lit, le marquis de Saint-Sorlin, offrant de résigner celle de Martigny-le-Comte, dont on pourrait gratifier un des fils de Bellièvre. Catherine, désireuse de faire plaisir à la duchesse et à Bellièvre, et n'osant s'adresser elle-même à son fils, pria le favori de s'entremettre auprès du Roi pour lui faire agréer l'échange. S'èt, lui écrivait-elle, le servyse du Roy que toutes défienses et mauvèse yntelygences sèset (cessent)... et tout cet (ceux) que le Roy fayst l'honneur de aymer, en doivet avoyr [d'affection] pour li (lui) acquérir aultant de servyteur. Puysque me volés aystre amy je vous parleré corne vous tenant pour tel[118]. Mais que d'Epernon ait fait ou non cette démarche, les raisons d'hostilité subsistaient. D'Epernon eut quelques mois après une querelle avec Mayenne sur le droit qu'ils revendiquèrent tous deux de présenter la chemise au Roi à son lever[119].

Le duc de Joyeuse était plus aimable, mais aussi ambitieux. Il voulait avoir de gré ou de force le gouvernement du Languedoc pour son père, qui y était lieutenant général, et il excitait le Roi, qui n'y était que trop disposé, contre Montmorency. Il fit nommer un de ses frères archevêque de Narbonne (14 mars 1582), ce qui lui donnait la présidence des États du Languedoc. Montmorency s'inquiétait de cet envahissement des Joyeuse. Il savait que le Roi lui gardait rancune de ses injures passées, malgré les preuves récentes de son dévouement, et qu'il le rendait responsable de la désobéissance des protestants du Midi. Il prenait ses précautions. Il n'avait pas cessé d'être en bons rapports avec le duc d'Anjou, à qui il fournissait des soldats ; il se rapprocha du roi de Navarre, avec qui il n'avait jamais rompu. Il s'était assuré des amis à Rome, en protégeant Avignon et le Comtat contre les huguenots, et l'on croyait qu'il avait des intelligences avec Philippe II[120].

Henri III ne dissimulait pas son intention de se débarrasser de lui. Mais la Reine-mère estimait qu'en pleine expédition des Flandres, et à la veille de l'expédition du Portugal, le plus sage serait d'intéresser Montmorency à la pacification de la province, en y mettant le prix. L'offre suivait la menace dans une instruction qu'elle avait dictée le 10 novembre 1581. La Royne mère du roy, aiant tousjours désiré de venir monsieur de Montmorency hors de la peyne où elle s'asseure (est sûre) qu'il est, pensant bien qui (qu'il) ne peult estre aultrement, se voient hors de la bonne grace de son Roy et tousjours en creinte et double où il est de sa vye... a pensé ne perdre ceste occazion de mander audict sieur de Montmorency que c'est à ce coup qu'il fault qu'il monstre par effect ce qu'il a tousjours faict dire à la dame Royne, que quand il verroit sa seurete, qu'il n'y auroit rien qu'il desirast tant que de pouvoir avoir la bonne grace de son Roy[121]. Le service qu'elle attendait de lui, c'est, comme elle l'écrivait à Bellièvre, de décider aveques les deputez de ceulx de la religion pretendue réformée la restitution des places et l'entier accomplissement de l'Édit[122]. En récompense, elle lui asseure et promect, dit l'instruction, que le Roy lui accordera de demeurer en son gouvernement avec la puissance que gouverneur absolut y doibt avoir et la survivance pour son filz et trouvera bon le mariage de sa fille avec le filz de Monsieur de Montpensier et donnera telle femme à son filz qu'il aura occazion d'entre content. Elle lui garantissait les mêmes avantages au cas où les protestants refuseraient de faire la paix, pourvu qu'il abandonnât leur parti. Elle ajoutait de sa main : Ne fault aublyer à luy dire (à Montmorency) que il faut que le roi de Navarre souyt catolique : c'est son bien et seureté (du roi de Navarre) et le repos de l'Estat[123]. Assurément Henri III y trouverait son avantage, mais que gagnerait le roi de Navarre à trahir sa cause pour ce gouvernement versatile. C'était trop demander à Montmorency. Cet homme si fin dut penser qu'on ne le ferait jamais gouverneur absolu puisqu'on y mettait pareille condition. Et il ne cessa plus de se défier.

A tout le moins Catherine avait le plus grand intérêt à éloigner du Midi le chef des protestants et à l'attirer à la Cour. Elle y pensait beaucoup, et, comme toujours, raisonnant par hypothèse, elle croyait la chose possible. Elle comptait beaucoup sur Marguerite, dont elle avait apprécié tout récemment le zèle et l'intelligence. Elle décida Henri III à la rappeler, pensant que son mari ne résisterait pas au plaisir de la suivre. Le roi de Navarre s'y déclara d'abord assez disposé, pour ne pas dire non tout de suite, mais quand il eut pris le temps de réfléchir, toutefois il a considéré, expliquait Bellièvre, que la paix n'est pas encores ansés exéqutée et ne vouldroit que le mal qui se commectroit de deçà donnast occasion au Roy de le veoir mal voluntiers[124]. Catherine ne désespérait pas que Marguerite finît par l'entraîner. Elle ne savait pas ou se refusait à croire que le ménage de Navarre allait mal. Marguerite, qui n'était pas tans reproches, était indulgente aux faiblesses de son mari, mais il était exigeant jusqu'à l'indiscrétion. Sa liaison avec une des filles d'honneur, Fosseuse (Françoise de Montmorency), ayant eu les suites qu'on peut penser, il aurait voulu que sa femme se retirât avec sa maîtresse dans un coin des Pyrénées jusqu'à la délivrance de la jeune mère. Elle refusa et cependant poussa la condescendance envers lui jusqu'à secourir la favorite la nuit où elle accoucha, mais le lendemain, comme il la pressait d'aller lui faire visite comme à une malade pour empêcher les méchants propos, elle s'excusa de servir de couverture. Il en prit de l'humeur et le lui fit sentir. Marguerite ne fut que plus pressée de partir, ayant reçu du Roi 15.000 écus pour son voyage[125]. Elle quitta le Midi le 26 février 1582, accompagnée de Fosseuse et de son mari. La Reine-mère alla au-devant de sa fille jusqu'en Poitou afin de voir son gendre et lui donner asseurance de la volonté et de la bienveillance du Roy, mais il était si méfiant qu'il refusa d'aller au-devant d'elle jusqu'à Champigny et l'obligea, malgré son mauvais état de santé, à pousser jusqu'à Saint-Maixent, ville protestante[126]. De leur conversation au château de la Mothe-Saint-Heraye (27-31 mars), on ne sait rien[127], si ce n'est que le roi de Navarre s'en retourna en Gascogne, fort mécontent de sa femme et de sa belle-mère, qui emmenaient sa maîtresse.

Catherine avait pris le parti de sa fille. A son retour elle fit chasser Fosseuse et prétendit que son gendre trouvât bonne cette exécution. C'était, lui écrivait-elle, pour ouster (ôter) d'auprès d'elle (Marguerite) tout ce que (qui) pouroit altérer l'amityé des deux époux qu'elle avait conseillé de faire partir ceste belle beste[128]. Mais lui dont l'amour fut de tout temps la grande et d'ailleurs l'unique faiblesse protesta vivement. Il envoya à Paris Frontenac, ung petit galant outrecuidé et impudent, dire des injures à Marguerite. La vieille Reine était confondue de ces nouvelles façons. ....Vous n'estes pas, lui écrivait-elle, le premier mary jeune et non pas bien sage en telles chouses, mais je vous trouve bien le premier et le seul qui face après un tel fet advenu tenir tel langage à sa femme. Henri II, ...la chouse de quoy yl estoit le plus mary (marri) c'estoit quand yl savoit que je seuse de ces nouveles là et quand Madame de Flamin fut grosse, yl trouva très bon quant on l'en envoya (la renvoya) et jeamès ne m'en feit semblant ny pire visage et moins mauvais langage. Et avec qui son gendre prenait-il pareille liberté ? Avec la fille d'Henri II, avec la sœur de vostre Roy qui (laquelle) vous sert, quand l'aurès considéré, plus que ne pensés, qui vous ayme et honore come s'ele avoyt autant d'honneur de vous avoir espousé que si vous fusiés fils de roy de France et elle sa sugète. Ce n'est pas la façon de traiter les femmes de bien et de telle maison de les injurier à l'apétit d'une p.... publique.... Elle exagérait sans doute l'amour conjugal de Marguerite et l'honneur que le Béarnais, ce roitelet, avait eu de l'épouser. Mais elle avait raison de donner sur la crête à ce jeune coq. Eh quoi ... ce sufisant personnage de Frontenac a dyst par tout Paris que si Fosseuse s'en aloit que vous ne vyendriés jeamès à la Court, à cela vous pouvés conestre corne yl est sage et affectionné à vostre honeur et réputation que d'une folye de jeunesse en fayre une conséquence du bien et repos de ce royaume et de vous principalement...[129]

L'attitude du roi de Navarre, les défiances de Damville, l'opposition des protestants du Languedoc, le mécontentement général contre le Roi et les mignons, tout poussait Catherine à suivre sa nouvelle politique. La paix intérieure dépendait des dispositions du duc d'Anjou. Son mariage avec Elisabeth était désespéré. Il venait d'être reconnu pour souverain par les États généraux des Pays-Bas (mars 1582), mais ce n'était qu'une force d'opinion. S'il était obligé d'abandonner les Pays-Bas, faute d'hommes et d'argent, les moyens ne lui manqueraient pas pour se venger sur son frère de son échec et de son abandon. Ce n'était pas assez de le laisser aller en Flandres, il fallait l'y soutenir et faire une diversion ailleurs pour assurer sa fortune et la tranquillité du royaume. L'aider à conquérir à la pointe de l'épée la main d'une infante était la solution idéale de toutes les difficultés. Ce mariage satisferait son ambition, car la Reine-mère ne l'imaginait qu'avec une principauté pour dot, et en le fixant hors du royaume, il l'arrachait à la tentation de brouiller au dedans. Il ôtait aux protestants et aux politiques l'appui de ce fils de France et fortifiait d'autant l'autorité royale. Philippe avait, il est vrai, qualifié la proposition de Catherine d'extravagante[130], mais il céderait à la nécessité.

Henri III avait dit à Villeroy, qui revenait des Pays-Bas, où il avait assisté à la proclamation du duc d'Anjou comme souverain de Brabant (19 février 1582), qu'il n'avait moyen ny aussy volonté d'entrer en guerre contre le roy d'Espagne, congnoissant que ce seroit la ruyne de ce royaulme. Mais, après cette déclaration de principe, il avait ajouté qu'il s'en remettait à l'avis de sa mère. Elle saisit l'occasion de lui exposer par écrit son-programme de politique étrangère[131] (17 ou 18 mars 1582).

Elle a fait, dit-elle, tout ce qu'elle a pu pour détourner le duc d'Anjou de l'entreprise des Pays-Bas, dont il risquait de sortir avec peu d'honneur, vu les ressources dont il disposait. ....Si Dieu eust voullu que cette occasion (la révolte des Pays-Bas, contre Philippe II) se fust présentée du temps du Roy vostre père, je crois qu'il en eust eu une grande joye, en ayant les moyens, mais qu'en ce temps icy, je n'y en vois nul. Elle le constatait, il est vrai, à son très grand regret, n'ayant que ces deux fils, qu'elle voudrait voir seigneurs de tout le monde.

Elle n'avait jamais manqué non plus de remontrer au Duc que le royaume avait déjà horriblement souffert des ravages des gens de guerre, que s'il faisait de nouvelles levées, il perdrait la bonne grâce du Roi en foulant les peuples et que ce seroit sa totale ruyne, que piller le pays et demander aide, ce n'estoit pas le moyen de luy en pouvoir donner, que son frère n'avait Perou ny Inde.

Elle pouvait assurer le Roi qu'elle ne s'épargneroit jamais en rien, comme elle avait toujours fait, pour son contentement, pour son service, pour la conservation du royaume. Vous me faictes, disait-elle, cet honneur de m'escripre que je l'ay conservé et gardé d'estre divisé entre plusieurs : Dieu m'a tant favorisée que je le voie tout entier en vostre obéissance. Ceux-là seuls qu'elle avait empêchés de parvenir à leurs desseings — à leurs mauvais desseins — mais non les gens de bien et les bons serviteurs, lui avaient voulu mal et haine de sa conduite.

Ce n'était pas par vanité, on le voit bien, qu'elle rappelait ses services, elle voulait convaincre Henri III de son habileté comme de son dévouement pour l'amener à ses vues. Avec vostre congé... je ne puis dire qu'il faille laisser perdre vostre frère. Mais s'ensuivait-il qu'il aurait la guerre avec le roi d'Espagne ou des troubles dans son royaume ? Non, assurément. Vous me direz qu'il faut venir à l'une ou à l'autre de ces trois choses. Tout bien considéré, elle pensait qu'il pouvait éviter tous ces inconvénients. Qu'il envoyât à son frère un homme qui lui fût agréable ou tout au moings point odieux pour lui représenter la détresse de ses finances et l'impossibilité de soutenir une guerre et lui dire ce qu'il pouvait et ne pouvait faire. L'important était d'assister le Duc aux Pays-Bas jusques à ce que avec honneur il s'en puisse retirer. Ce moyen honorable, c'était, à son avis, qu'il retournât en Angleterre, comme il avait déclaré qu'il le ferait, quand les États généraux l'auraient reconnu, pour épouser la Reine. Celle-ci ne pourrait plus objecter contre ce mariage la crainte d'une rupture avec Philippe II, après s'être compromise jusqu'à faire conduire le Duc d'Anjou aux Pays-Bas, sur une flotte anglaise, en compagnie du comte de Leicester. Même s'il craignait un refus, il n'en devrait pas moins aller la trouver pour la supplier de lui déclarer sa volonté.... et que s'il ne peut avoir l'heur de l'espouser... regarder de luy en faire [trouver] une [femme] et se joindre avecque vous et par mesme moyen mettre une paix générale par toute la chrestienté. L'idée de Catherine se devine. Elle voulait par cette marque de déférence intéresser Élisabeth au mariage de son ancien fiancé et la décider à négocier, de concert avec la France, une paix générale dont le prix serait la main de l'infante. Elle prévoyait que son fils, si longuement berné par la reine d'Angleterre, refuserait tout d'abord de faire une nouvelle démarche, mais elle pensait qu'il s'y résignerait, sachant qu'il n'avait pas d'autre moyen de s'assurer l'aide de son frère et que la reine d'Angleterre, n'étant pas sa femme, ne ferait pas la guerre pour l'amour de lui. Le Roi, de son côté, devait députer à Elisabeth pour aviser d'accord avec elle à la paix générale et lui dire son intention de marier son frère, qui avait déjà vingt-sept ans, et la prier de prendre à ce sujet une bonne résolution.

Le moment était d'ailleurs bien choisi pour oser sans risques et traiter avec succès. Philippe II n'avait ni la force ni même la volonté de s'attaquer à la France ; il était trop préoccupé d'achever l'occupation du Portugal et de garder le peu qui lui restait en Flandres. Il suffirait de fortifier les places de Provence, du marquisat de Saluces et de Picardie, pour se prémunir contre une surprise. Mais... si vostre frère se peut conserver où il est et que nous puissions conserver les Isles de Portugal, je crois fermement... qu'il (Philippe II) désirera de traicter à bon escient, et la raison le veut, veoyant l'ange qu'il a de ne voulloir laisser à ses enfans [mâles], qui se peuvent dire au maillot, une guerre commencée contre ung si grand ennemy que vous leur seriez, et si cette négociation ne se fait ainsy que nous désirons, je pense que pour le moings cela servira à le faire temporiser de rien faire contre vous.

Ce qu'elle proposait, en somme, c'était, tout en se maintenant aux Pays Bas, de s'établir fortement aux Açores, une diversion qu'elle jugeait sans danger et capable de prévenir un danger. Et (je) ne veois pas d'aultre moyen pour ne brouiller le Royaulme dedans ne dehors que [ce que] je vous ai dit cy-devant. L'affaire toutefois était de telle importance qu'elle suppliait le Roi de prendre l'avis de tant de gens de bien qui sont auprès de lui, car je serois bien marrie que sur le mien seul... les choses n'advenant pas comme je le désire, ce Royaulme en pastisse et que n'en eusiez le contentement que [je] vous en désire. Le temps n'est plus où elle prenait hardiment ses responsabilités.

Ce changement de direction inspiré par un dessein d'union familiale était hasardeux. Jusqu'ici elle avait tiraillé contre l'Espagne à couvert. Il s'agissait maintenant de s'engager assez à fond pour se faire payer très cher le prix de la retraite. Ce mémoire à Henri III la peint tout entière avec ses qualités et ses défauts. Elle part d'observations très justes, mais elle prend ses désirs pour des réalités et compte trop sur une solution favorable. Il est très vrai, comme elle le constate, que Philippe II a trop d'affaires en Portugal et aux Pays-Bas pour penser aux représailles, qu'il est en ce moment dépourvu de soldats et d'argent et que l'on peut presque impunément exercer sur lui une pression. Mais il est douteux, quoiqu'elle le dise a vieil et caduc r, qu'il soit, à cinquante-trois ans, pressé comme s'il allait mourir, de régler à perte ses différends avec ses voisins. Même mourant, il ne consentirait pas à céder les Pays-Bas, un patrimoine, et si riche qu'il rapportait plus, en temps de paix, que le Pérou et les Indes, et encore moins le Portugal, sa conquête, qui achevait l'unité de la péninsule, ou même les Iles dont l'ambassadeur vénitien dit qu'elles seraient comme une épine en son œil. Tout au plus (ce n'est qu'une supposition) se serait-il résigné à lâcher les quelques établissements portugais du Brésil. Mais la Reine-mère pouvait-elle croire que le duc d'Anjou serait heureux jusqu'à l'apaisement de s'intituler roi du Brésil ou empereur d'Amérique. L'idée en paraît plaisante. Une hypothèse qu'elle n'examine pas non plus, c'est que Philippe II vive encore longtemps, comme il arriva, et qu'ayant un jour les mains libres, il veuille se venger des injures passées et de l'agression finale. La question méritait cependant d'être débattue. Où Henri III trouverait-il alors pour lui résister la force et les ressources qui lui manquaient maintenant pour l'attaquer en face ? La situation de la France serait donc meilleure et celle de l'Espagne pire. Catherine supposait pour les besoins de la cause que Philippe II mourrait, laissant un enfant pour lui succéder, ou que le Roi son fils serait dans quelques années riche, obéi et puissant,

Un manque de psychologie tout aussi extraordinaire que cette erreur de logique, c'était sa méconnaissance du caractère d'Elisabeth. Cette vieille fille coquette n'était pas tellement sensible aux égards qu'elle en oubliât ses intérêts. Elle avait des nerfs de femme, mais une tête d'homme, et elle ne marierait pas le duc d'Anjou pour faire plaisir à la Reine-mère. Elle trouvait plus de sécurité à maintenir la brouille entre la France et l'Espagne qu'à intervenir en tiers dans leur réconciliation, au risque de voir s'unir contre elle les deux grandes puissances catholiques. Elle avait un patriotisme trop jaloux et un sens trop net de ses devoirs pour favoriser et même pour souffrir une paix dont la première condition était l'établissement d'un prince français aux Pays-Bas et le résultat prochain, Henri III n'ayant pas d'héritier, la réunion de ces provinces à la couronne de France.

Il vaut mieux pour l'intelligence de Catherine supposer qu'en flattant la vanité d'Elisabeth elle pensait endormir sa vigilance et s'assurer le temps de dépêcher le mariage et la paix. Mais il aurait fallu en ce cas agir vite et porter tous ses efforts sur un point ou sur un autre, Pays-Bas ou Portugal. Or elle ne disposait que de ressources médiocres et elle ne pouvait ni arrêter les opérations dans les Pays-Bas sans mécontenter le duc d'Anjou, ni les pousser à fond sans heurter les sentiments d'Henri III et les inquiétudes de l'Angleterre. Elle-même croyait plus facile et peut-être légitime d'attaquer Philippe II en ce royaume de Portugal, qu'elle disait être son bien. Mais comment n'a-t-elle pas réfléchi qu'avec ses revenus propres et les quelques subsides qu'elle arracherait au Roi, il ne lui serait pas possible d'entretenir à la fois une flotte et une armée ?

Henri III était assez clairvoyant pour apercevoir les points faibles du raisonnement maternel. Sa pensée de toujours sur les affaires des Pays-Bas, elle est dans un de ses courts billets à Villeroy, qui sont les témoins d'une politique personnelle qu'il n'avait pas la force et le courage d'appliquer. Il ne s'intéressait qu'à la possession de Cambrai, qui couvrait la frontière française. Mais, disait-il, sy (aussi) ne faut-il pour Cambray que par moyens couverts l'on doyst et peust secourir, l'on face chose qui nous alumast le feu que nous ne pouryons esteyndre[132]. Il laissa faire sa mère par faiblesse, par tendresse. Mais il était bien décidé à soutenir, aux moindres frais possibles, l'entreprise de son frère, qu'il jugeait injuste et très dangereuse.

Il n'avait pas mêmes préventions contre l'expédition du Portugal. Après tout c'était une querelle particulière entre Philippe II et sa mère où il pouvait intervenir. Le droit des gens du temps admettait qu'un souverain secourût ses alliés contre un autre souverain sans entrer en guerre avec lui. Les candidats à la succession portugaise revendiquaient par la force ce que Philippe II avait acquis par la force. Le roi de France n'était pas un belligérant, mais le soutien naturel de l'un des belligérants. Il aidait sa mère comme le gouverneur espagnol du Milanais avait aidé Bellegarde en révolte, sans qu'il y eût lieu à rupture[133]. L'honneur même n'était pas en cause. Mais justement parce que le succès ou l'échec de l'affaire intéressait si peu la grandeur et la sécurité du royaume, il était à prévoir, comme il arriva, qu'Henri III n'y sacrifierait rien de ses plaisirs.

Catherine s'était aussitôt mise à l'œuvre. Elle envoya le secrétaire d'État Pinart demander à la reine d'Angleterre, si, oui ou non, elle se décidait, aux conditions déjà débattues, à épouser son fils, et Bellièvre au duc d'Anjou pour le bien convaincre que le Roi n'était pas responsable de l'échec du mariage anglais, ainsi qu'Élisabeth voulait le lui faire accroire. Elle avait beaucoup de peine à satisfaire ses deux fils, l'un se plaignant de ne pas recevoir d'argent, l'autre s'irritant des pilleries des gens de guerre et d'ailleurs poussé contre sa mère par les deux mignons, qui ne voulaient partager avec personne sa faveur et ses faveurs[134]. Elle recommandait au Duc d'appeler au plus vite les reîtres qui étaient déjà à Saint-Avold et de faire les levées à la file pour ne pas fouler les peuples et courroucer le Roi. Elle le priait de commander à ceux qui avaient charge de lui recruter des soldats de s'adresser à Bellièvre et d'obéir en tout à ses ordres[135]. Elle s'occupait de régler le passage des troupes et elle aliénait une partie de ses revenus et de ses domaines pour les payer et les nourrir, afin de les empêcher de mal faire. D'argent il n'en fallait pas demander au trésor. Ces deux-là (d'Epernon et Joyeuse), écrivait l'ambassadeur florentin Albertani au grand-duc, ont accaparé de telle façon les finances que pendant deux ans, si le temps ne change, personne ne peut faire d'assignation [sur les recettes générales] et qu'aucun conseiller du Roi n'oserait présenter une demande de fonds (richiesta di denari) de quelque sorte que ce soit pour ne pas déplaire à ces deux hommes.

Comme six mois auparavant, elle pressait le départ de la flotte qui devait enlever aux Espagnols les archipels portugais : en face de la côte d'Afrique, Madère et les îles du Cap Vert, où se croisent les routes de l'Inde et du Brésil ; au large du Portugal, les Açores, un admirable poste pour guetter et surprendre les galions, qui tous les ans apportaient en Espagne l'or et l'argent du Nouveau Monde, c'est-à-dire la solde des armées[136]. Catherine avait donc quelque raison de croire qu'en s'établissant fortement dans les Iles, elle amènerait Philippe II à composition. Dans l'entrevue qu'elle avait eue en octobre avec le roi de Portugal, D. Antonio, qu'elle soutenait sans le reconnaître, elle avait dû fixer un prix à son concours. L'ancien gouverneur de Philippe Strozzi savait que D. Antonio promit à la Reine-mère que luy restabli en ses Estats elle auroit pour ses prétentions la région du Brézil[137]. Mais il fallait d'abord occuper les Iles. Brissac, qui commandait les vaisseaux de Normandie, fut le premier prêt et il aurait voulu partir au printemps de 1582, mais la Reine-mère, ayant appris la grande force que le roy d'Espagne a mis ensemble et qui sont (sic) prestes aussi tost que nous à partir, décida que Brissac attendrait Strozzi afin de faire ce qui pour cest heure nous sera aussi utile, et sans hazard de recevoir honte et dommage (20 mars)[138]. Les deux escadres se réuniraient à Belle-Isle et navigueraient de conserve.

L'ancien colonel général de l'infanterie française, transformé en commandant des forces navales et qui, dans toute la campagne, se montra si indécis[139], ne semblait pas pressé de prendre la mer. Le 20 mai, deux mois après, la Reine-mère, qui avait des trésors d'indulgence pour ses parents florentins, s'étonnait de ce retardement à cause du soubçon que les huguenotz en ont prins et des souffrances des populations, que c'est ce qui me tourmente le plus[140]. Elle lui annonçait dans une lettre, qui est probablement de la même époque, l'envoi d'une instruction, où comme elle disait de : cet (ce) que [le Roy et moy] volons et elle le priait de ryn (rien) n'en paser, ny plus ny moyns et montrer à cet coup cet que volés et ne vous gouvernés en mer comme en terre. Mais la lettre ne s'en tient pas à cette seule recommandation. Qu'il se fasse aimer de tous et néanmoins qu'il ne fasse pas chose contraire à l'Instruction pour contenter quelques personnes. Acordé vous avec Brisac et aveques tous, mès ne lesé pour cela de vous fayre haubeyr (et) à fayre aubserver cet que vous mandons... s. Elle insistait, connaissant son irrésolution : Ne vous lesés poseder de fason que l'on vous puyse en rien fayre varier de ce que voirés (verrez) dans l'ynstruction. Strozzi ayant été nommé, on le sait maintenant, vice-roi des pays à occuper, elle ajoutait : Ne sufrés que l'on pislle ni [que l'on fasse] sagage (saccagements) ou desordres, car metés pouyne (peine) de vous y fayre aymer (évidemment là où il débarquerait), car cet (ce) que entreprenés n'est pas pour fayre une raflade (rafle), cet (c'est) pour vous en rendre le metre (maître) et le conserver à jamès.... Elle lui rappelait sa promesse : Sovegné-vous de cet que m'avés dyst à Myrebeault[141] du lyeu où yriès au mois d'augt (août). Cet (si) voyès que le puysiés fayre, ne l'aublyé t'as d'y aler[142].

L'Instruction annoncée par cette lettre et que le porteur devait développer oralement, c'est assurément la note écrite de la main de Catherine, soussignée par Henri III et datée du 3 mai (1582). Elle recommande à Strozzi d'aller droit à. Madère et de revenir de là aux Açores, pour les remettre toutes en l'aubéysance des Portugués. Quant à Brissac, il s'assurera des îles du Cap Vert. Elle ajoute : qu'après avoir veu ce que susederoyt (ce qui succéderait, ce qui arriverait) audystes yles, quand set viendroyt sur le moys d'aust (août), y lesant cet qui seroyt pour la conservatyon dé dystes yles, qu'avecque à reste ledict Strozzi s'ann alat au Brézil[143]. Ainsi les deux amiraux commenceront par occuper les archipels portugais qui commandent les voies maritimes de l'Inde et de l'Amérique, et s'ils réussissent, Strozzi fera voile vers le Brésil.

Catherine s'occupait avec tant d'ardeur de l'expédition des Iles que les ambassadeurs italiens ne savaient qu'imaginer. Ils la savaient pacifique et prudente, et elle se montrait hardie et belliqueuse. Un agent florentin parlait de ce revirement comme d'un caprice de femme[144]. L'ambassadeur, Priuli, qui, pendant son séjour de deux ans et demi en France, avait eu le temps de la bien observer, dit qu'elle est avide de gloire (desiderosissima di gloria). Il ne paraît pas éloigné de croire, comme les Espagnols, que si elle a engagé l'entreprise portugaise contre le Roi catholique, c'est par un motif de vanité. L'expédition du Portugal, ce serait sa réponse aux blâmes et aux insinuations d'autrefois sur la médiocrité de sa dot et de son origine. En se posant en héritière d'une couronne, elle aidait à rehausser grandement la noblesse de ses ancêtres[145]. Mais ni le Florentin, ni le Vénitien ne supposèrent jamais, comme le fait l'historien de la marine française[146], que la Reine-mère eut l'intention de fonder au delà des mers un Empire colonial. Son secret, qui ne contredit pas ses appétits de gloire, elle l'a dit très clairement à Priuli, pour qu'il allât le répéter aux très illustres seigneurs de Venise, ces maîtres en diplomatie. La Reine-mère me dit à ce propos, quand j'allais lui baiser les mains à Orléans (mars ou avril 1582) et prendre congé d'elle, qu'elle avait donné ses soins aux affaires du Portugal à cette seule fin de voir si elle pouvait amener le Roi catholique à faire un faisceau de toutes les difficultés qui se présentent actuellement et pour les choses du Portugal et pour celles de Flandres et à en venir à une bonne composition au moyen de quelque mariage[147]. Il est très vrai qu'elle a donné l'ordre à Strozzi d'occuper les Açores, Madère et les îles du Cap Vert, et, en cas de succès, de pousser jusqu'au Brésil. Elle a même marqué dans son Instruction qu'il s'agissait d'un établissement et non d'une rafle. Mais que peut-on en conclure, sinon qu'elle voulait traiter avec Philippe II les mains pleines ? L'engagement qu'elle avait fait signer au duc d'Anjou à La Fère, le 5 août, avant la campagne des Flandres, son offre à Philippe II de régler les différends des deux Couronnes par un mariage, sa proposition à Elisabeth de se joindre à la France pour la conclusion d'une paix générale, sa lettre-programme à Henri III (du 17 mars 1582), sa déclaration à Priuli à quelques jours d'intervalle, tout un ensemble de témoignages prouve que l'expédition du Portugal était non un but, mais un moyen, non une guerre de conquête, mais un effort de pacification générale, un remède aux troubles du royaume et aux divisions de la famille royale.

La flotte partit enfin de Belle-Isle le 16 juin 1582. Elle comptait 55 navires, grands ou petits, portant, en outre des mariniers, 5.000 combattants, dont 1.200 gentilshommes, et elle se renforça aux Sables d'Olonne d'une huitaine de vaisseaux et de sept à huit cents soldats. D. Antonio était à bord du vaisseau amiral avec le comte de Vimiose et ses gentilshommes. Strozzi aurait dû, conformément à son Instruction, aller droit à Madère, mais il écouta D. Antonio, qui craignait que si une fois le François y eust mis le pied, jamais on ne l'en eust sorty[148]. Il s'arrêta donc aux Açores, où Terceire continuait à tenir ferme pour le prétendant portugais et attaqua San Miguel, qui avait reçu une garnison espagnole. Il débarqua heureusement, mais ne poussa pas son succès à fond et manqua la citadelle. Il se hâta de rembarquer toutes ses troupes quand il apprit que la flotte espagnole approchait. Elle était forte de vingt-huit gros vaisseaux et de six mille sept cens soldats tous vieils et commandée par le marquis de Santa-Cruz, le meilleur marin de l'Espagne. Les chefs français réunis en Conseil ne s'accordèrent pas. Il y avait beaucoup de couards dans cette armée de mer et probablement des traîtres. Strozzi ne sut pas imposer sa volonté, qui était de combattre. Il attaqua une première fois et, laissé seul, eut de la peine à se dégager. Il résolut, malgré les avis, de recommencer l'attaque, et suivi seulement de sept à huit navires, parmi lesquels celui de Brissac, il aborda bravement les vaisseaux ennemis et fut accablé parla force du nombre. Blessé d'une arquebusade, il mourut à l'instant qu'on l'amena devant l'amiral espagnol ou fut achevé de sang-froid (26 juillet 1582). Brissac, qui s'était bien conduit, s'éloigna dès qu'il vit la partie perdue. Santa-Cruz fit décapiter les gentilshommes et pendre les soldats et les mariniers qu'il prit, comme ennemys de la paix publique, perturbateurs du commerce et fauteurs des rebelles à son Roy[149].

Plus de trente navires retournèrent en France sans avoir combattu. C'était un désastre et une honte.

L'opinion s'émut du récit triomphal que Santa-Cruz publia de sa victoire et de ses exécutions (septembre)[150]. Henri III en fut indigné. J'ay l'escryst d'Espagne, il nous faust vanger avant l'an et jour, s'il est possible, de l'Espagnol[151]. Catherine, que les mignons avaient un jour humiliée jusqu'à lui faire refuser l'entrée de la chambre royale, venait, par un revirement subit, d'être chargée de tout le pouvoir, à la suite d'une crise de mélancolie aiguë, où le Roi était lui-même en doute de ne pas devenir fou et finir sa vie violemment[152]. Elle profita de sa colère pour renforcer l'armée des Pays-Bas. Elle avait fait passer au Duc des reîtres. Elle leva des Suisses et enrôla en France des gens de pied et de cheval. Elle mit à leur tête le jeune duc de Montpensier, François de Bourbon, à qui elle envoya la solde des Suisses[153]. Elle lui avança 3.000 écus pour les vivres de l'armée sur les 50.000 qu'elle cherchait à se procurer, par emprunt soubz l'obligation particulliere d'aucuns des principaulx du Conseil du Roy[154].

Pour prévenir un revirement du Roi, elle suppliait Montpensier de débarrasser au plus tôt le royaume de ces gens de guerre, dont les paieries et les oppressions faisaient horreur à en ouyr parler[155] et de les conduire droit à son fils le duc d'Anjou, qui en avait bon besouing pour estre (étant) ceul[156]. Qu'il forçât toutes les dyficultés et passât immédiatement en Flandres en sorte que après tant de maulx et dommaige que en a souffert le peuple, elle (cette armée) puisse enfin rendre quelque utile service à mondict fils[157]. Henri III écrivit expressément au sieur de Crèvecœur, son lieutenant général en Picardie, de faciliter le ravitaillement de ces troupes. Elle commanda elle-même au sieur de Puygaillard de les côtoyer avec les compagnies d'ordonnance jusque sur la lizière de France[158]. D'après le duc de Parme qui exagérait, probablement à dessein, de moitié, cette armée de secours aurait monté à 22.000 fantassins et 5.000 chevaux[159]. Le maréchal de Biron, qui passait pour le meilleur homme de guerre de France, devait la commander en chef ; il l'avait devancée aux Pays-Bas.

Les sujets du duc d'Anjou, dont beaucoup étaient des calvinistes ardents, lui en voulaient d'être Français, catholique et impuissant. Il pouvait leur reprocher avec autant de raison de lui laisser presque toute la charge de les défendre et de l'en récompenser par une hargneuse méfiance. Il n'obtenait pas des États généraux les subsides nécessaires à l'entretien de sa maison, il n'avait nulle autorité dans les villes. De France, dit-on, lui vint le conseil de s'emparer des places fortes du pays pour parler en maître à ces bourgeois indociles. Les troupes françaises campaient devant Anvers, où les magistrats, se défiant de la soldatesque, ne laissaient entrer que le duc d'Anjou et ses gentilshommes. Un jour qu'il en sortait, sous prétexte d'une revue à passer, des soldats postés tout exprès aux abords de la porte surprirent le corps de garde avant qu'il dit le temps de relever le pont-levis. Le reste de l'armée accourut et, pénétrant dans la ville dont elle se croyait déjà maîtresse, se dispersa pour piller. Mais les Anversois tendirent des chaînes, barrèrent les rues et, de derrière les barricades ou du haut des maisons, frappèrent ou assommèrent les agresseurs, dont un petit nombre échappa ou fut fait prisonnier (17 janvier 1583). Dans toutes les villes des Pays-Bas où il y avait une force française, le même coup de main fut tenté, mais il échoua partout, sauf à Dunkerque, Termonde et Dixmude.

La Saint-Antoine d'Anvers, le plus mémorable de ces guets-apens, souleva l'indignation et, pour le malheur du duc d'Anjou, raviva le souvenir de la Saint-Barthélemy. Les villes fermèrent leurs portes à ce prince félon. Catherine désavoua le fait dont nous (le Roy et elle) n'avons jamais rien entendu qu'après le malheur advenu[160]. Mais ce n'est pas une preuve qu'elle l'ait ignoré ou même qu'elle ne l'ait pas suggéré. L'idée de s'emparer de nombre de villes des Pays-Bas s'accorde bien avec son projet d'échange. L'important pour elle, ce n'était pas de vaincre le duc de Parme, mais de se procurer assez de gages pour imposer à Philippe II sa solution matrimoniale.

Bellièvre, le diplomate insinuant, fut envoyé aux Pays-Bas pour réparer le mal. Il parvint à conclure avec les États un accord qui laissait Dunkerque au Duc, lui rendait les soldats faits prisonniers dans Anvers, mais l'obligeait à restituer les villes qu'il occupait et à licencier la plus grande partie de son armée (18 mars 1583)[161]. Le Duc, sans argent comme toujours, quitta Dunkerque, qui se rendit aux Espagnols sans coup férir (15 juin 1583) immédiatement après son départ. Un agent étranger, qui le vit passer à Abbeville le 4 juillet, le dépeint fort débile et comme apoplisé (frappé d'apoplexie) tellement qu'à grand'peine il chemine[162]. La Reine-mère alla le trouver à Chaulnes (11 juillet) et tenta de le ramener auprès du Roi son frère[163]. Il promit, mais ne tint pas sa parole. Le Roi signifia sa volonté. Il ne souffrirait plus de nouvelles levées, qui foulaient le peuple, ni de nouvelles agressions aux Pays-Bas, qui risquaient de provoquer les représailles du roi d'Espagne. Je l'ay faict exhorter, disait-il de son frère le 22 juillet, de se retirer de ses entreprises, cause de la ruine de la France.... qu'il se range près de moi pour y tenir le lieu qui luy appartient et vivre en paix avec les voisins[164].

Catherine ne pouvait passer outre, mais elle ne désespérait pas de réussir en Portugal. Immédiatement après la nouvelle du désastre des Açores, elle avait recommencé à armer. Elle eut l'idée singulière de confier à Brissac, qui n'avait été ni heureux ni héroïque, le commandement d'une nouvelle flotte, mais Henri III réclama pour son favori, Joyeuse, amiral de France, le droit de choisir le chef d'escadre. Brissac n'a ni gaigné la bataille, ni raporté tele marque sur luy qu'à son ocasyon il faillust (fallut) désonorer autruy pour l'onorer, et il concluait : Ou il faust conserver les personnes en honneur ou il ne s'en faust poinct servir. La Reyne sera mieulx et plus dilijanunant servie[165]. Elle n'avait qu'à obéir et à consulter Joyeuse. Le Roi, ayant bien marqué qu'il était le maître, la laissa continuer ses préparatifs. Mais il ne fut pas d'avis d'envoyer une armée navale ni chefs si grants que l'Amiral, car se seroyt nous déclarer de tout, se (ce) que mes affaires ne portent pas[166]. On désigna Aymar de Chastes, un commandeur de l'ordre de Malte, pour diriger l'expédition. Elle se remua fort. Elle pria M. de Danzay, ambassadeur de France en Danemark, de s'informer si et à quel prix il pourrait lui procurer, là ou ailleurs, en Suède, ou à Lubeck et à Hambourg et autres villes de ces quartiers-là, une vingtaine de grandz vaisseaux, le quart du port de XVII cens tonneaulx, autre quart de VIII cens et VI cens tonneaulx, equippez et artillez et s'il s'en trouvoit qui feussent en façon de roberges et gallions pour servir à voile et à rame, ce seroit ung grand plaisir[167]. Elle sollicita les bons offices de M. de La Gardie, bon et naturel gentilhomme françoys, qui avait pris du service dans les armées du roi de Suède et qui fut l'ancêtre en ce pays du Nord d'une illustre famille[168]. Elle s'occupa de faire payer Danzay de son traitement, qui était fort en retard, afin de stimuler son zèle[169]. Elle avait hâte de recevoir une réponse. Comme elle était sans argent, elle fit demander au roi de Suède de lui céder quelques ungs de ses grands vaisseaulx en compensation de l'embargo qu'il avait mis sur les marchands français[170].

Elle fit partir Aymar de Chastes avec 2.500 soldats pour secourir Terceire. Et ce qui prouve bien que l'intervention en Portugal n'est pour elle qu'un moyen de pression, c'est qu'elle répond à de nouvelles plaintes de Tassis, comme elle a répondu aux premières, qu'elle est prête à postposer son intérest privé au repoz de la Crestienté. L'ambassadeur ayant laissé entendre que son maistre seroit très aise d'entrer en des traités pour tirer des Païs-Bas mon dict fils, par le moïen duquel (desquels) l'on pourroit après convenir de tout ce qui estoit controverssé entre nous, elle lui fit observer, écrit-elle à Longlée, résident de France à Madrid, que si son dict maistre avait envye d'en passer plus avant, il vous en pouvoit déclarer son intention. Elle terminait sa lettre en recommandant à Longlée d'aller visiter de sa part le plus souvent qu'il pourrait les infantes ses petites-filles[171].

Ce n'était pas sans motif. Mais elle aurait voulu que le roi d'Espagne prît l'initiative de ce mariage pour n'avoir pas, comme la première fois, l'ennui d'un refus. Et puis, elle craignait si elle s'avançait trop de provoquer gratuitement les inquiétudes des huguenots et de la reine d'Angleterre.

La reculade du duc d'Anjou, les succès des Espagnols, qui en peu de temps s'étaient emparés de dix ou douze bonnes et grandes villes, tenaient en alarme le monde protestant. Le bruit courait que le Duc, qui était sans argent et désespéré, avait conclu un accord avec Parme. Catherine rassura Elisabeth, qui, malgré l'engagement signé par Henri III[172] de la défendre contre tous ses ennemis et de ne traiter que de son consentement, affectait d'être inquiète. Elle reparla du mariage, dont elle ne voulait pas encore désespérer, lui écrivait-elle, l'assurant qu'elle n'avait jamais autant désiré le succès des entreprises de son fils que le contentement de voir un général repos en toute la Chrestienté par le moyen de ce mariage. Je vous supplie croire que vous n'aurez jamais une meilleure sœur et amie ni qui désire plus vous voir contentement en l'amytié du Roy mon filz, comme je vous puis asseurer de l'avoir, ni qui s'emploie de meilleur cœur à y faire tous les offices... en quoy [je] n'auray grande peine pour le voir si résolu de vous aymer[173].

Elle chargeait l'ambassadeur de dire à la Reine qu'il n'y avait s nulle apparence s que soyons d'accord avec lui (le duc d'Anjou) pour paciffier avec le roy d'Espaigne au préjudice d'elle. Le Roi, son fils, ne demande que la paix et repos en son royaume et avec ses voisins[174].

Elisabeth profita de l'occasion pour donner congé à son fiancé. Son ambassadeur, le sieur de Cobham, alla dire à la Reine-mère qu'il souhaitait que le mariage dont il était question — avec l'infante — réussît. Sur cela elle lui répondit qu'il ne parlait donc plus de celui de la Reine et de son fils. Il répondit franchement et honnestement, raconte Catherine, que le Roi n'ayant point d'héritier, il fallait au duc d'Anjou une femme plus jeune que sa souveraine qui estoit trop âgée pour avoir enfans. Et je luy ay sur cela respondu, selon la vérité, que quand bien il ne s'en espereroit des enfans que pourtant ne lais-gelions nous pas de souhaiter ledict mariage, et, quoiqu'il se feist pour le mariage de mondict filz. que ce ne seroit jamais sans sa bonne grâce et contentement[175].

Le même jour (9 août), elle écrivait à Longlée de dire au Roi catholique le désir qu'elle avait qu'il lui plût de donner une des infantes ses filles, ses petites-filles à elle, en mariage au duc d'Anjou et par même moyen accorder tous leurs différends, et donner repos à la Chrétienté. Elle demandait une réponse dans les six semaines[176]. S'il lui tardait tant d'être fixée sur les intentions de la cour de Madrid, c'est que les affaires des Pays-Bas risquaient d'avoir leur répercussion dans le royaume. On avait dit au Roi et à sa mère qu'immédiatement après l'attentat d'Anvers, le prince d'Orange avait expédié le sieur de Laval au roi de Navarre et aux huguenots du Languedoc, leur donnant avis de prendre garde à eux et mesme reprendre les armes pour se réunir et courre dorénavant une mesme fortune[177]. Ses efforts pour réconcilier le duc d'Anjou avec les États généraux n'avaient pas rassuré la Reine-mère ; elle s'inquiétait de son mariage avec Louise de Coligny, fille de l'Amiral et veuve d'une autre victime de la Saint-Barthélemy, Téligny. Ce mariage pourchassé depuis l'accident d'Envers et qui fut contracté le 12 avril 1583, c'était, pensait Catherine, pour avoir toujours davantaige d'apuy avec ceulx de la religion prétendue refformée de ce royaulme et les maisons qui s'en seront rendues principaulx chefz, mais je crains, ajoutait-elle, que ce soit plus en intention de troubler le repos que non pas de l'entretenir[178].

Aussi lui faisait-elle dire par Bellièvre que son bien, seureté et conservation principalle, ensemble celle des Estats generaulx desdicts Païs-Bas dépendra tousjours du repos qui sera maintenu en la France... et que quand il adviendra que les menées et praticques de ceulx qui le veullent rompre seront si fortes qu'elles pourront effectuer au dedans, nulz n'en recevront plus grand dommaige que les dicts Païs-Bas[179].

Les protestants du Languedoc, toujours intraitables, refusaient de restituer la place forte de Lunel. Châtillon recrutait des soldats pour le duc d'Anjou[180]. Le Roi obligea sa mère à mander le gouverneur du Languedoc à la Cour. Elle l'assurait qu'il serait reçu honorablement et lui faisait toutes sortes de promesses. Il répondit qu'il y serait venu sous sa parole, si elle avait été dans le même degré d'autorité qu'autrefois, mais qu'il savait bien le contraire. Elle montra, non sans intention, la lettre à son fils, qui se mit en une colère extraordinaire[181]. Les affaires du Languedoc, écrivait Villeroy le 3 avril[182], se brouillent tous les jours davantage.... En cette province, les choses s'échauffent bien fort, ajoutait Catherine le lendemain et mon cousin le duc de Montmorency est prest à y reprendre les armes[183]. Mais celui-ci se serait bien gardé de fournir à Henri III un prétexte pour abandonner le duc d'Anjou. Le roi de Navarre était si préoccupé de l'affaire des Pays-Bas qu'il faisait dire au prince d'Orange que si les Estats peuvent faire trouver bon à Monseigneur (le duc d'Anjou) que le Roy de Navarre pour plus grande asseurance leur soit donné pour régent et lieutenant général, il acceptera volontiers ceste charge pour le zèle et affection qu'il a à leur conservation et defense[184].

Les événements d'Allemagne expliquent peut-être ce zèle. L'archevêque-électeur de Cologne, Gebhard de Truchsess, ayant embrassé le luthéranisme et rendu public son mariage avec la comtesse Agnès de Mansfeld, son abjuration enlevait dans le Collège électoral la majorité aux catholiques et permettait aux protestants, le cas échéant, de disposer de la couronne impériale. C'était une éventualité d'une importance incalculable. L'Allemagne catholique armait pour déposer l'Archevêque et prévenir l'avènement d'un empereur hérétique. Le roi de Navarre, à son tour, délibérait d'envoyer Ségur-Pardaillan à la reine Elisabeth (juillet 1583) pour lui proposer la formation d'une Ligue protestante contre les princes papistes[185]. Mais il différait le départ de son ambassadeur quand un éclat de colère d'Henri III faillit provoquer cette guerre civile que la Reine-mère s'efforçait de conjurer.

Marguerite avait en 1582, quand elle reparut à la Cour de France, vingt-neuf ans. C'était un milieu dangereux pour une femme de cet âge, aimable et belle, et qui revenait de Gascogne avec un grand appétit de plaisirs. Aussi a-t-elle arrêté prudemment ses Mémoires à cette date, comme si elle eût craint d'avoir trop à dire pour sa justification. Pourtant, elle excelle dans le récit de sa vie antérieure à dissimuler qu'elle fut une des grandes amoureuses du temps. Elle réduit à un jeu de conversation ou à un pur commerce de sentiment les liaisons dont elle fut soupçonnée. Elle raconte avec un air de vierge innocente combien sa mère l'étonna, quand, pensant à la démarier quelques jours après la Saint-Barthélemy, elle lui demanda si le roi de Navarre son mari estoit homme. Je la suppliay, dit-elle, de croire que je ne me cognoissois pas en ce qu'elle me demandoit (aussi pouvois-je dire lors à la vérité comme cette Romaine à qui son mari se courrouçant de ce qu'elle ne l'avoit adverty qu'il avoit l'haleine mauvaise, luy répondit qu'elle croyoit que tous les hommes l'eussent semblable, ne s'étant jamais approchée d'aultre homme que de luy[186]. Elle aimerait à laisser croire qu'elle n'eut d'autres aspirations que les plus nobles et d'autres passions que les intellectuelles.

Peut-être sa première éducation avait-elle été assez négligée. Ce fut dans sa demi-captivité du Louvre en 1576 qu'elle commença, dit-elle, à prendre goût à la lecture, où elle trouva, on peut la croire, soulagement à ses peines, et, si elle n'anticipe pas, acheminement à la dévotion. Après l'élan d'enthousiasme de la Pléiade, l'esprit se repliait curieusement sur lui-même et s'interrogeait et s'étudiait. A la différence de Charles IX qui se piquait d'être poète, Henri III était plutôt porté vers la philosophie, l'histoire et les sciences. Il faisait débattre devant lui, dans l'Académie de musique et de poésie que son prédécesseur avait fondée, des sujets de philosophie morale : Des passions de l'âme et quelle est la plus véhémente ; — de la joie et de la tristesse ; — de l'ire ; — de l'ambition. Marguerite s'adonna aux mêmes spéculations, lisant en ce beau livre universel de la nature, et, des merveilles qu'elle y découvrait, remontant au Créateur, car toute ame bien née faisant de cette congnoissance une eschelle, de laquelle Dieu est le dernier et le plus hault eschelon, ravie, se dresse à l'adoration de cette merveilleuse lumière et splendeur de cette incompréhensible essence, et, faisant un cercle parfaict, ne se plaist plus à autre chose qu'à suivre ceste chaisne d'Homère, cette agréable encyclopédie, qui, partant de Dieu mesme, retourne à Dieu mesme, principe et fin de toutes choses[187]. Elle s'élève à l'idée première sur les ailes de Platon.

Mais elle était femme, et malgré sa haute culture, elle fut toute sa vie l'esclave de ses inclinations. Elle aimait et haïssait de toute son âme. Elle se résignait bien dans certaines occasions à dissimuler ses antipathies, mais s'avouait impuissante à changer son cœur hault et plein de franchise ou à le faire abaisser, puisqu'il n'y a rien que Dieu et le Ciel, disait-elle, qui le puissent amollir et le rendre tendre en le refaisant ou le refondant[188]. Aussi, quand elle revint à la Cour en 1582, et y trouva plusieurs personnes — les d'Epernon, les Joyeuse — eslevées en des grandeurs qu'elle n'avoit veu ny pensé, elle ne cacha pas son mépris pour ces parvenus de la faveur royale, tant elle avoit le courage grand ! Hélas trop grand certes, s'il en fust onq', ajoute Brantôme, son grand amoureux platonique, mais pourtant cause de tout son malheur[189]. Henri III s'attendait à plus de complaisance il fit pour l'attirer à lui beaucoup d'avances qu'elle enregistrait sans gratitude comme autant d'hommages dus à son mérite, ou qu'elle suspectait comme la couverture de mauvais desseins. Elle restait ferme dans son affection, on pourrait dire presque son adoration pour le duc d'Anjou, ce frère détesté. Pendant les six mois qu'il avait passés dans le Midi, dans le voisinage de la Cour de Navarre, à l'occasion de la paix de Fleix (novembre 1580-avril 1581), Marguerite s'était éprise de son grand écuyer, le beau Harlay de Champvallon, qu'elle revit à la Cour de France. Le bruit courut qu'il lui était survenu même accident qu'à Fosseuse. Fait plus grave, la Reine-mère elle-même la soupçonnait d'avoir voulu, après les promesses de Chaulnes, destourner s'il est possible le duc d'Anjou de la bonne volunté qu'il monstre avoir de se conformer aux intentions du Roy, monsieur mon filz, et luy faire prendre quelque mauvaise résolution[190].

L'intrigue, sans l'inconduite, c'était assez pour Henri III. Mais il prétexta l'inconduite. Avant de rentrer lui-même à Paris, il lui fit signifier d'en sortir et de rejoindre son mari. Puis il lança derrière elle une troupe d'archers et le capitaine de ses gardes, Larchant, qui la rejoignirent près de Palaiseau, l'obligèrent à se démasquer et visitèrent sa litière, comme s'ils y cherchaient quelqu'un. D'autres soldats arrêtèrent en route Mme de Duras et la demoiselle de Béthune et quelques autres personnes de sa suite. Le Roi se fit amener ces prisonnières à l'abbaye de Ferrières près de Montargis et les interrogea lui-même sur les déportements de ladite reine de Navarre sa sœur, mesme sur l'enfant qu'il estoit bruit qu'elle avoit faict depuis sa venue à la Cour[191]. Il ne découvrit rien de certain, mais il donna l'ordre à Marguerite de continuer sa route vers le Midi.

Catherine était certes innocente de cet esclandre, si contraire à son humeur et si préjudiciable à sa fille. La lettre qu'elle écrivit ce jour même (8 août) à M. de Matignon[192], lieutenant général du roi en Guyenne, n'en dit rien, et ce silence est significatif. Elle prévoyait, comme il arriva, que le roi de Navarre refuserait de recevoir une femme si publiquement diffamée Mais elle n'osait contrecarrer Henri III. Elle lui fit demander par l'évêque de Langres, Charles de Perusse d'Escars, de renvoyer à leurs familles les dames de Béthune et de Duras, qu'il avait retenues, et après cette tentative d'intervention, que le Roi trouva mauvaise, elle estima prudent de remectre les choses au jugement et discrétion de son fils, puisqu'elles sont passées si avant[193]. Le roi de France, traitant son beau-frère en sujet, prétendait l'obliger à reprendre sa sœur sans vouloir s'excuser de son insulte, et le roi de Navarre le menaçait de répudier Marguerite s'il ne déclarait pas publiquement l'innocence de l'insultée. La négociation fut longue, difficile, comme on le devine, et quelque peu ravalée de questions d'argent et de places de sûreté.

La Reine-mère la suivait de très près ; malade de la fièvre, elle avait fait partir pour le Midi le diplomate selon son cœur, l'homme fin et insinuant qu'elle employait dans les affaires délicates, Bellièvre. Elle n'avait pas un mot de blâme pour son fils. Vous congnoissez, écrivait-elle au négociateur, son naturel qui est si franc et libre qu'il ne peult dissimuller le mescontentement qu'il reçoipt[194]. Elle ne se plaignait que de la mauvaise volonté du roi de Navarre, craignant que la guerre ne s'ensuivit à la ruyne de ce pauvre royaume menacé de toutes partz et à l'infamye trop grande de toute nostre maison[195]. Elle se réjouit d'apprendre qu'il consentait, moyennant le retrait de quelques garnisons royales, à passer sur l'humiliation de sa femme.

Ses lettres montrent avec quelle impatience elle attendait la réunion des deux époux. Elle était alors convalescente ; quand elle sut qu'ils s'étaient enfin rejoints à Port-Sainte-Marie, le 13 avril, elle écrivit à l'heureux courtier de cette réconciliation, qu'après Dieu il lui avait rendeu la santé de avoyr par vostre preudense et bonne conduyte hachevé une si bonne heuvre et sy ynportente pour tout nostre meyson et honneur, d'avoir remys ma fille avecques son mary[196].

Marguerite avait tant de raisons de se féliciter d'être sortie de la longueur de ses annuis[197] qu'elle informa aussitôt sa mère de l'honneur et bonne chère qu'elle a reçus du roy, son mari et son ami. Mais son contentement dura peu. Henri de Navarre ne l'avait reprise que par intérêt, et peut-être le lui fit-il sentir dès le premier jour, s'il fallait en croire Michel de La Huguerye, un diplomate marron, alors au service des princes protestants d'Allemagne, et le plus imaginatif, pour ne pas dire pis, des mémorialistes. Je ne vey jamais [au repas du soir], dit-il de Marguerite, visage plus lavé de larmes ny yeux plus rougis de pleurs[198].

Catherine priait Dieu — ce qui prouve la nécessité d'une intervention puissante — que sa fille puysse demeurer longuement a avec son mari et s y vivre en femme de bien et d'honneur et en prynsès (princesse) dont méryte ses condysions d'estre pour le lyeu dont ayl à naye[199]. Elle adressait à Bellièvre quelques conseils dont il devait recommander l'observation à la reine de Navarre. C'est la contrepartie de la morale au roi de Navarre et comme le résumé de l'expérience de la vieille Reine[200]. Il importait surtout aux prynsesses qui sont jeunes et qui panset (pensent) aystre belles — plus belles peut-être qu'elles ne sont — de s'entourer de jans d'honneur hommes et femmes, car aultre (outre) que nostre vye nous fayst honneur au (ou) deshonneur, la compagnye que avons à nous (autour de nous, à notre service) y sert beaucoup. Que Marguerite n'objecte pas que sa mère a été moins difficile en d'autres temps, par exemple à l'égard de Mme de Valentinois et de Mme d'Etampes. C'est que François Ier, son beau-père, et Henri II, son mari, étaient ses rois, et qu'elle était tenue à l'obéissance. Mais bien qu'elle fût soumise à leurs volontés, ils ne lui demandèrent jamais et elle ne fit jamais chose contre son honneur et sa réputatyon. Sur ce point, elle s'estimait irréprochable, et elle n'aurait point à sa mort à en demander pardon à Dieu, ni à craindre que sa mémoire en souyt (soit) moyns à louer. Elle ajoute, ce qui ouvre un jour curieux sur ses sentiments de parvenue, que si elle avait été fille de roi, elle n'eût pas enduré de son mari le partage.

Depuis son veuvage, l'intérêt de ses enfants l'avait forcée d'accepter tous les services et de n'offenser personne ; et d'ailleurs à la façon dont elle avait vécu jusque-là elle pouvait sans risques pour sa réputation parler et aler et anter (hanter) tout le monde. Quand sa fille aurait son âge, elle pourrait faire de même sans hofanse (offense) ni de Dyeu ni scandale du monde. Il n'y avait d'excuses à de certaines complaisances que l'ignorance ou quand les favorites sont fammes sur quy l'on n'a puysance. Mais Marguerite était fille de roi, et ayant espousé un prynse [qui] encore qui (bien qu'il) s'apèle roy, l'on set byen qui le (qu'il la) respecte tent, qu'ele faist ce qu'ele veult.

Elle ne devait donc plus comme autrefois feyr (faire) cas de celes à qui yl (le roi de Navarre) feyra l'amour. Si son mari n'avait pas d'affectionpour elle, c'est qu'elle ne montrait aucune humeur de ses infidélités. Il en a conclu qu'elle ne l'aimait pas, et même qu'elle était bien aise qu'il ayme autre chause (chose) afin qu'ele en puyse fayre de mesme. Il faut donc qu'elle lui obéisse en cet que la reyson veult et que les fammes de byen doivet à lor mary en ses aultres chauses ; mais qu'en même temps elle lui fasse connaître ce que l'amour qu'ele luy porte et cet que ayl aist ne luy peuvest fayre endeurer. Assurément yl ne le saret que trover tres bon et [que l'] aystymer et aymer d'avantege[201].

Parmi tous ces tracas, qui influaient sur son humeur et sa santé[202], Catherine travaillait à dissoudre et à payer l'armée des Pays-Bas. Elle ne garda que quelques troupes chargées d'assurer la défense de Cambrai. Elle fit dire au duc d'Anjou qu'il ne comptât plus sur ses subsides ; elle donna l'ordre à Crèvecœur et à Puygaillard, qui l'avaient escorté à l'aller jusqu'à Cambrai, de le protéger au retour, mais sans sortir du royaume[203]. Elle fournissait à l'ambassadeur de France à Madrid des arguments pour décider Philippe II au mariage : il était à craindre que le Duc ne se rengageât dans les affaires des Pays-Bas et que le feu ne s'allumât en ces quartiers, plus violent que jamais ; la querelle de Gehhard de Truchsess attirait dans la région du Rhin des reîtres des deux religions et menaçait tout le voisinage. Mais pouvait-elle croire qu'après le désastre des Açores et la débâcle d'Anvers le roi d'Espagne prendrait peur des velléités de revanche de son fils et du contrecoup de l'affaire de Cologne ?

Elle espérait avec un peu plus d'apparence que si nous avions ce bonheur de garder l'île de Terceire que ce nous sera plus de moyen de parvenir au bien de la pain pour toute la chrestienté. Et comme elle aimait les complications, elle chargeait l'ambassadeur de dire à la duchesse de Bragance que nous embrasserions ses affaires de même affection que celles de Don Antoine que nous n'abandonnerons jamais[204] (6 septembre 1583).

Or le jour même de cette dépêche à Longlée, survint à Paris la nouvelle que Terceire s'était rendue le 26 juillet. Ce n'était pas le moment d'irriter Philippe II, avec qui elle négociait, par de nouvelles courses aux Pays-Bas. Mais il lui était moins que jamais facile de manier le duc d'Anjou, qui était revenu en France furieux, mélancholique et malade[205]. Il ne se pressait pas de licencier ses troupes. Il refusa de paraître à l'assemblée de Saint-Germain[206], une réunion de notables, s'imaginant qu'elle était dirigée contre lui[207]. Il priait sa mère d'aller le voir à Château-Thierry, promettant en ce cas de faire ce qu'elle lui conseillerait, mais elle ne croyait pas beaucoup à cette promesse Dyeu le veulle et que se ne souyt à la coteume (ce ne soit comme de coutume)[208]. Elle le trouva au lit brûlant de fièvre, consumé par la phtisie qui le tua[209]. Elle n'en paraissait ni émue ni inquiète, ayant d'autres soucis. Il laissait entendre qu'il serait forcé de vendre Cambrai aux Espagnols, si le Roi ne lui donnait pas les moyens d'en payer la garnison.

Livrer ce boulevard de la frontière française, c'est, écrit-elle à Bellièvre, un marché dont le seul bruict apporte et à toutte la France tant de honte et infamie que je meurs de desplaisir et d'ennuy quand je y pense[210]. Cri d'indignation qui émouvrait davantage si l'on était sûr qu'il jaillît de son patriotisme blessé et non pas seulement de la douleur de perdre avec cette ville tout le prix des sacrifices faits par le Roi et le royaume. Le Duc s'en prenait à tout le monde de ses malheurs. Lors d'une tentative de meurtre contre son mignon, d'Avrilly, il fit mettre à la torture l'assassin, un soldat miséreux, qui revenait des Iles, et lui arracha par la torture l'aveu qu'il avait projeté de le tuer lui aussi, à l'instigation de Philippe II, de l'abbé d'Elbene, serviteur de la Reine-mère, du duc de Guise et de beaucoup d'autres personnages. Catherine repartit pour Château-Thierry et interrogea elle-même le prisonnier, qui raconta très simplement qu'un inconnu lui avait offert quelque argent pour attenter sur la vie du mignon. A la description qu'il fit du corrupteur, on crut reconnaître Fervaques, un favori en disgrâce, qui voulait se venger d'un rival préféré. Catherine était très t marrie I, comme elle l'écrivait à Villeroy, qu'il eût couru ce mauvais bruit, et à un moment en effet bien inopportun, contre le roi d'Espagne. Elle resta plusieurs jours pris de son fils pour le calmer. On lui avait fait accroire ou il s'était persuadé que son frère profiterait de ses échecs en Angleterre et aux Pays-Bas pour le dépouiller de tous les aventèges et prérogatives qui ly (lui) ont esté [accordés] par luy (Henri III) et le feu roy son frère (Charles IX), en luy donnent son apanage. Et sela le tormente, dit-elle, plus que chause qui souyt (chose qui soit). Elle se fit écrire par Villeroy une lettre particulière destinée à rassurer le Duc et à le remettre du tout au bon train que je désire pour se conformer aux intentions du Roy... au moings, s'ilz ne se voient, qu'ilz ayent bonne intelligence ensemble, qui est le seul moyen de leur bien et [du bien] de ce roiaulme ; car elle craignait toujours que il feist encores des follies. Il lui avait bien promis qu'il ne ferait rien qui trouble le royaume ni puyse depleyre au Roy, mès, disait-elle, [ce] sont paroles[211].

Alors que tant de gens le poussaient à brouiller, il eût été dangereux de le désespérer. Les États généraux des Pays-Bas, tremblant pour Ypres, que les Espagnols assiégeaient, le sollicitaient de nouveau d'intervenir, bien résolus cette fois à intéresser le roi de France lui-même à les secourir. Le Duc arriva subitement à Paris (12 février 1584) chez sa mère, qu'il trouva au lit grelottant de fièvre, et, conduit par elle au Louvre, il se jeta aux genoux de son frère, le priant de lui pardonner et jurant de l'honorer et le servir désormais comme son maître et son roi. Henri l'embrassa et l'assura de toute son affection. ...Je n'eus jeamés, écrivait la Reine-mère à Bellièvre, une plus grande joye depuis la mort du Roy monseigneur (Henri II) et m'aseure que si eusiés veu la façon de tous deux qu'en eusiés pleuré comme moy de joye[212].

Après que les deux frères eurent fêté ensemble le carnaval trois jours durant, François s'en retourna à Château-Thierry. Sa mère l'y suivit et le trouva fiévreux et harassé des plaisirs de Paris et de la Cour. Elle lui fit écrire t de très bonne encre s une dépêche à Montmorency pour lui annoncer sa réconciliation avec le Roi et une autre à l'un de ses capitaines, Rebours, qui pillait le pays, pour lui commander de prendre les ordres du lieutenant général de Picardie, Crèvecœur[213]. Henri III laissait entendre à Duplessis-Mornay, alors à Paris et le principal conseiller du roi de Navarre, qu'il se préparait à faire la guerre aux Espagnols[214] ; et il est possible que cette espérance ait contribué à décider le chef du parti protestant à reprendre Marguerite. Les propositions des États généraux étaient bien tentantes ; ils offraient au roi de France, pour l'induire à les assister, de lui remettre deux villes ayant un libre accès à la France, et en outre, si le Duc venait à mourir sans enfants légitimes, tous les Pays-Bas pour être et demeurer perpétuellement unis et annexés à la Couronne de France aux mesmes conditions qu'ils estoyent avec son Alteze[215].

Le duc d'Anjou était rongé par son mal avec des répits qui donnaient à sa mère l'illusion d'un retour à la santé. Le 22 mars elle écrivait qu'il se portait bien, mais qu'il était débille et ne pourroit [être] aultrement aiant esté si fort mallade et si bas que l'on l'a veu s. Elle s'étonnait que le Roi n'eût pas envoyé visiter son frère et croyait qu'il suffirait de l'en faire souvenir[216]. Mais Henri III même averti ne se dérangea pas. Le 18 avril, elle estimait que si le Duc ne fet quelque grau desordre que sa vie est asseurée pour longtemps[217]. Le 26 avril il eut un nouveau flux de sang qui faillit l'emporter[218]. Le 10 mai, il paraissait guéri[219]. Le 10 juin, il était mort. La Reine-mère eut certainement du chagrin, mais pas aussi grand ni de telle nature qu'on le souhaiterait. Elle pleurait surtout sur elle, se voyant privée de tous ses enfants, elle veut dire en sa langue ses fils, hormis d'un seul qui me reste, encore qu'il soyt, Dieu mercy, tres sain. Elle souhaitait pour elle et pour le royaume qu'il eût des garçons, ressentant outre son mal ancore cetuy-là qui pourrait survenir, finisant cete race, à qui elle avait tant d'obligation.

Il ne lui restait plus grande consolation que de voyr ce qui reste du Roy monseigneur — Marguerite et Henri — bien ensemble. C'était son grand souci. Je vous prie dyre à la Royne de Navare ma fille qu'elle ne soit cause de me augmenter mon affliction et qu'elle veille (veuille) reconestre le Roy son frère comme elle doit et ne veille fayre chouse qui l'ofence...[220]

Le duc d'Anjou avait légué à son frère par testament la ville de Cambrai. Henri III eut peur d'accepter et honte de restituer cette conquête à Philippe II. C'est probablement Catherine qui suggéra une combinaison à l'italienne. Le Roi renoncerait à la succession et elle, comme mère et héritière du défunt, entrerait en possession. A ce titre et vu t la dévotion s du clergé et du peuple de Cambrai, envers son fils et la Couronne de France, elle déclara prendre la ville et cité de Cambray avec ce qui en dépend et le duché de Cambrézis, ensemble tous et chacuns les manans et habitans sous sa protection et sauvegarde[221]. Elle laissait en suspens la question de souveraineté et peut-être par cet expédient pensait-elle empêcher aulcune alteration en la paix qui est entre le Roy catholicque et nous[222].

Elle battait en retraite, comme toujours, sur un air de bravoure. En cas d'agression, la France ne se trouvera poinct tant despourveue de moyens qu'elle n'ayt de quoy se deffendre et repoulser l'injure que l'on luy vouldra faire[223]. Mais les actes juraient avec les paroles.

Le 2 juillet 1584, elle avait défendu aux députés des Etats généraux d'avancer plus loin que Rouen, où ils venaient de débarquer[224]. Le 9 avril 1585, elle leur refusa formellement tout concours[225] et, avec de vagues assurances de bonne volonté, elle les abandonnait à leur sort[226]. Son fils mort, il ne fut plus question que d'échapper aux représailles.

Aussi bien Catherine n'avait jamais eu l'idée de fonder un empire colonial ni même de reculer les limites du royaume. Tout son effort tendit à pourvoir au dehors l'un de ses fils pour l'empêcher de brouiller contre l'autre au dedans. L'expédition des Açores et le projet de descente au Brésil, comme aussi sa participation à l'envahissement des Flandres, n'ont pas eu d'autre objet. Tout au plus peut-on supposer qu'elle a, par vanité personnelle, détourné vers le Portugal des forces qui eussent trouvé un meilleur emploi aux Pays Bas. Mais les conquêtes sur terre et sur mer l'intéressaient par-dessus tout comme un moyen de rétablir ou de maintenir l'accord entre ses enfants : préoccupation maternelle, qui, si légitime qu'elle paraisse, exclut l'idée d'une grande politique.

L'annexion de la ville de Cambrai fut tout le bénéfice — et si vite perdu de ce dessein familial. Ces agressions couvertes irritèrent Philippe II plus qu'une guerre franche. Enfin elles épuisèrent le royaume. Il est d'usage d'imputer la détresse financière aux prodigalités d'Henri III. Mais il ne faudrait pas oublier le prix des entreprises continentales et maritimes pour faire vivre en paix deux frères ennemis.

 

 

 



[1] Kervyn de Lettenhove, Les Huguenots et les Gueux, t. V, p. 469-470.

[2] Au Roi, Verneuil-au-Perche, 23 novembre 1579, Lettres, t. VII, p. 199 et note 1 de la page 200.

[3] Le taillon, c'est l'imposition provisoire établie en 1543 sur les villes closes pour l'entretien de 50.000 hommes de pied, et maintenue depuis comme supplément ordinaire à la taille. Les ustensiles sont un autre supplément à la taille, mais affecté à la solde de la gendarmerie. Le parisis, calculé d'après la différence entre la livre parisis et la livre tournis, est une augmentation d'environ 7 pour 100.

[4] Evreux, 25 novembre 1579, Lettres, t. VII, p. 201. Beaurepaire, Cahier des Etats de Normandie, t. I, p. 59-60 (art. III) et p. 71 (art. XXII des demandes des Etats). — Cf. la défense du Roi dans le discours du Premier Président de Rouen, 16 novembre 1579, p. 362-365.

[5] Lettres, t. VII, p. 201-202.

[6] Lettres, t. VII, p. 202.

[7] 23 novembre 1579, Lettres, t. VII, p. 199.

[8] Au Roi, 25 novembre, Lettres, t. VII, p. 201.

[9] Lettres, t. VII, p. 202.

[10] D'Aumale, Histoire des princes de Condé, 1889, t. II, p. 128 et 419 (appendice IX).

[11] Art. XXIV, Du Mont, Corps diplomatique, t. V, Ire partie, p. 310. — Cf. Lettres, t. VII, p. 209.

[12] Lettres, t. VII, p. 208.

[13] Lettres du 16 et du 18 décembre, t. VII, p. 207-212.

[14] Les négociations de Rambouillet, dans la Revue rétrospective, t. VI, 2e série, p. 125-132.

[15] Lettres, t. VII, p. 214-215.

[16] Merle, Mémoires, éd. Buchon, p. 748.

[17] Recueil des Lettres missives de Henri IV, publié par Berger de Xivrey, t. I, p. 270.

[18] Au Roi, 18 avril, Lettres, t. VII, p. 247. — Cf. à Villeroy, même date, p. 249.

[19] Voir les références dans Davillé, Les Prétentions de Charles III, duc de Lorraine, à la couronne de France, 1909, p. 26 sqq.

[20] Desjardins, Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, t. IV, p. 282 : avis du 10 janvier 1580.

[21] Calendar of Stats papers, foreign series, 1579-1580, p. 167.

[22] Sur cette entreprise qui aurait permis aux Lorrains d'ouvrir ou de fermer le passage du Rhin aux auxiliaires allemands, voir les références dans Davillé, Les prétentions de Charles III à la couronne de France, 1900, p. 26, note 7 ; et y ajouter celles de P. de Vaissière, De quelques assassins, 1912, p. 210, note 1.

[23] Voir toujours le consciencieux Davillé, dont je n'accepte pas d'ailleurs les hardiesses érudites, p. 27 sqq.

[24] Lettres, t. VII, p. 238-247.

[25] Au Roi, 15 avril, Lettres, t. VII, p. 241-242.

[26] 13 avril, Lettres, t. VII, p. 241.

[27] Tours, 18 avril, Lettres, t. VII, p. 246.

[28] Tours, 19 avril, Lettres, t. VII, p. 250.

[29] Tours, 29 avril, Lettres, t. VII, p. 251-522.

[30] Lettres missives, 15 avril, t. I, p. 288 sqq. ; lettre du 20 avril au Roi, Ibid., p. 296 sqq.

[31] Anquez, Histoire des assemblées politiques des Eglises réformées, 1859, p. 28, parle de deux assemblées : 1579 et 1580 (?), sans dire en quel mois. La date de la première réunion, la seule certaine, est fixée par une lettre de Catherine au Roi du 55 juin 1579 (t. VII, p. 52). ...Le premier jour du mois prochain se doit faire un sinode général à Montauban où mon fils le roi de Navarre, le prince de Condé, le vicomte de Turenne, tous les principaulx et premiers, ensemble les députés de leurs églises se doivent trouver. L'assemblée fut d'avis que le roi de Navarre ne restituàt point les places, mais elle se prononça contre une prise d'armes avant qu'on sût la réponse d'Henri III aux remontrances qui lui seraient adressées (Anquez, p. 28). Ce cahier fut porté à Henri III par le sieur de Lezignant (ou Lusignan), Lettres de Catherine, 8 août, t. VII, p. 73.

[32] Mémoires du vicomte de Turenne, depuis duc de Bouillon, 1565-1586, publiés pour la Société de l'Histoire de France par le comte Baguenault de Puchesse, 1905, p. 547.

[33] Mariéjol, Histoire de France de Lavisse, t. VI, 1, p. 199.

[34] D'Aubigné, Histoire universelle, publiée pour la Société de l'Histoire de France par de Ruble, t. V, p. 383-384.

[35] ....Che Turenne chiava sua moglie. Caressait est un euphémisme, Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, t. IV, p. 320. Henri III n'était pas incapable de cette dénonciation. En tout cas, au début de la guerre, Turenne laissa la lieutenance de la Guyenne, qui le retenait près du roi de Navarre, et prit de son plein gré, du moins il le laisse entendre, le gouvernement du Haut-Languedoc, pour avoir tout le mérite ou assumer la responsabilité de ce qu'il ferait. Il ajoute : J'avois outre cela un sujet qui me convioit à m'éloigner dudict Roy pour m'esloigner des passions qui tirent nos ames et nos corps après ce qui ne leur porte que honte et dommage. Mémoires, p. 149. Il avoue la passion et se fait un mérite de l'avoir fuie. N'oublions pas qu'il écrit en sa vieillesse pour l'édification de ses enfants.

[36] Lettres de Catherine, t. VII, p. 254.

[37] Lettres missives de Henri IV, t. I, p. 528.

[38] Chenonceau, 21 avril 1580, t. VII, p. 252-253.

[39] Lettres, t.VII, p. 276-277 et références.

[40] Lettres missives, I, p. 302.

[41] Citée par Baguenault de Puchesse, Lettres, t. VII, p. 274, note 1.

[42] Henri III à Saint-Gouard, son ambassadeur en Espagne, Lettres, t. VII, p. 477.

[43] Kervyn de Lettenhove, t. V, p. 578, note 3.

[44] [De Licques], Vie de Mornay, p. 55, cité par Groën van Prinsterer, Archives de la maison de Nassau, t. VII, p. 403-404.

[45] Lettres, t. VII, p. 310, décembre 1580.

[46] Lettres, t. VII, p. 310.

[47] Lettres, t. VII, p. 302.

[48] Lettres, t. VII, p. 311.

[49] Bellièvre à la Reine-mère, Coutras, 11 décembre, Lettres, t. VII, app., p. 453.

[50] Kervyn de Lettenhove, t. V, p. 599.

[51] Kervyn de Lettenhove, t. V, p. 397, note 1.

[52] Au duc d'Anjou, 23 décembre 1580, Lettres, t. VII, p. 304-309.

[53] Lettres, t. VII, p. 305.

[54] Lettres, t. VII, p. 307. Cette grande armée, à laquelle le duc d'Anjou n'avait rien à opposer, comptait 2 500 à 3.000 chevaux et 6.000 ou 7.000 hommes de pied.

[55] Lettres de Catherine, t. VI, p. 12-13, mai 1578. — Cf. p. 28.

[56] Kervyn de Lettenhove, t. IV, P. 441 sqq. et passim.

[57] Froude, History of England from the fall of Wolsey to the defeat of spanish Armada, t. XI, 1887, p. 494.

[58] A la reine d'Angleterre, 8 février 1580, Lettres, t. VII, p. 225.

[59] Catherine au Roi, Lettres, t. VII, p. 244.

[60] 18 août 1580, Lettres, t. VII, p. 277.

[61] Wright, cité par Kervyn de Lettenhove, t. V, p. 542-543.

[62] Kervyn de Lettenhove, t. V, p. 545.

[63] Catherine au duc d'Anjou, 23 décembre 1580, Lettres, t. VII, p. 305.

[64] 12 janvier 1582, Lettres, t. VII, p. 320.

[65] 17 janvier 1581, Lettres, t. VII, p. 323.

[66] A Villeroy, 27 janvier 1582, Lettres, t. VII, p. 323-324.

[67] Le comte de Soissons, Louis de Bourbon, fils du prince de Condé, qui avait été tué à Jarnac, mais catholique, et le duc de Montpensier se firent excuser. Lettres, t. VII, p. 363 et note.

[68] 29 avril 1582, Lettres, t. VII, p. 373.

[69] Lettre d'un agent anglais, Snaeuenbourg, du 26 mai, citée par Kervyn de Lettenhove, t. VI, p. 238.

[70] 28 mai 1581, Lettres, t. VII, p. 381.

[71] Kervyn de Lettenhove, t. VI, p. 233.

[72] Lettre de Renieri, agent florentin, du 16 mai, Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, IV, p. 365.

[73] 29 juillet, Lettres, t. VII, p. 385.

[74] Kervyn de Lettenhove, t. VI, p. 133.

[75] Sur ce premier échec à Blois, voir une dépêche de l'ambassadeur vénitien, citée dans Lettres, t. VII, p. 375, note.

[76] Jean-Baptiste de Tassis, cité dans Kervyn de Lettenhove, t. VI, p. 140, note 2.

[77] Renieri, 25 juillet, Négociations diplomatiques, t. IV, p. 377.

[78] Mariéjol, Histoire de France de Lavisse, t. VI, 1, p. 209. Lettres, t. VII, p. 391.

[79] Lettre d'Henri III du 12 juillet, citée par Kervyn de Lettenhove, t. VI, p. 223, note 1, et mission de Somers, p. 223.

[80] Sommaire de la conversation secrète entre la Reine mère et moi, secrétaire, (Walsingham), en appendice dans Lettres de Catherine de Médicis, t. VII, p. 496.

[81] Kervyn de Lettenhove, t. VI, p. 153-154.

[82] Kervyn de Lettenhove, t. VI, p. 163-164.

[83] Dépêche de Mendoza, ambassadeur d'Espagne, à Philippe II, citée par Froude, History of England from the fall of Wolsey to the defeat of the spanish Armada, t. XI (1879), p. 208, note 1.

[84] Froude, History of England from the fall of Wolsey to the defeat of the spanish Armada, t. XI, p. 212.

[85] Septembre 1581, Lettres, t. VII, p. 397.

[86] Déclaration secrète du duc d'Anjou du 5 août 1581, citée par Kervyn de Lettenhove, t. VI, p. 157. Bibliothèque nationale, 3302, f. 14.

[87] 23 septembre 1581, Lettres, t. VII, p. 401.

[88] La thèse de la Reine est clairement exposée, ce qui ne veut pas dire établie, par l'ambassadeur vénitien, Lorenzo Priuli, dans sa relation de 1582 : Alberi, Relazioni degli ambasciatori veneti al senato, serie D, Francia, t. IV, p. 427-428.

[89] 8 février 1579, Lettres, t. VI, p. 256. Henri III avait cédé, d'assez mauvaise grâce, à ce qu'il semble, aux importunités de sa mère. — Cf. t. VI, p. 217, 13 novembre 1578 ; t. VI, p. 24, 20 janvier 1579.

[90] Elle venait de signer la paix de Nérac et elle était enorgueillie de ce succès diplomatique, qui n'eut pas, comme on le sait, de lendemain. C'était d'ailleurs son principe de ne laisser prescrire aucun droit. A la même époque elle apprit que des Urbinates, probablement mécontents de leur ancien duc mort ou de son successeur, étaient allés le dire à l'ambassadeur de France à Rome, le sieur d'Abain. Elle n'oubliait pas que son père avait été duc d'Urbin et qu'on l'appelait elle-même en son enfance la duchessina. Elle écrivit à l'ambassadeur d'interroger les gens de ce duché, où j'ay tel droict que je puis dire qu'il m'appartient comme le comté d'Auvergne qui est de mon propre et privé héritage (30 décembre 1578). Elle lui recommanda de voir le pape, offrant, si celui-ci embrassait chaudement cette affaire, de bien gratifier son bâtard (Jacques Buoncompagni, châtelain de Saint-Ange). Mais Grégoire XIII ou les mécontents d'Urbin se tinrent cois, car il n'est plus question du duché dans la correspondance de Catherine.

[91] Conestaggio, Dell' Unione del regno di Portogallo alla Corona di Castiglia, Venise et Vérone, 1642, p. 56.

[92] Lettres de Catherine, t. X, p. 454 et note 2. Ces deux lettres, datées par l'éditeur de février ou mars 1580, doivent être postérieures à la demande des gouverneurs, qui elle-même se place en fin mars ou avril 1581. Voir, pour le récit des événements, Schäfer, Geschichte von Portugal, t. IV, p. 345 (coll. Heeren et Ukert).

[93] Lettre de Saint-Gouard, app. aux lettres de Catherine, 20 février 1580, t. VII, p. 447. — Cf. 12 novembre 2579, t. VII, p. 228, notes.

[94] A Bellièvre, Lettres, t. VII, p. 300.

[95] A Saint-Gouard, lettre du 24 janvier 1581, Lettres, t. VII, p. 330.

[96] Strozzi à la Reine-mère, Coutras, 6 avril 1584 Lettres, t. VII, p. 500. L'auteur de l'Histoire de la Ligue, publiée par Charles Valois (S. H. F.), t. I, 1914, p. 61-62, parle de pourparlers, après la paix de Fleix, entre le Vimiose et le roi de Navarre, pourparlers que la Reine-mère aurait fait échouer. Mais Strozzi parle à Catherine comme si elle était consentante, et son témoignage est d'un tout autre poids.

[97] Lettre de la Reine-mère à Strozzi, t. VII, p. 383, 16 juillet 1581.

[98] Probablement les 300 hommes, et aussi les poudres pour les habitants des Iles dont il est question dans sa lettre à Mauvissière, 21 juillet, t. VII, p. 386. Les Iles, terme vague et qui désigne tantôt particulièrement les Açores, tantôt tous les archipels portugais, Açores, Madère, îles du Cap Vert.

[99] A Mauvissière, Lettres, t. VII, p. 387.

[100] A Saint-Gouard, 23 septembre 1581, Lettres, t. VII, p. 401.

[101] 31 octobre 1581, Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, t. IV, p. 408.

[102] Lettre du 27 octobre à Matignon, qui faisait l'office de lieutenant général du roi à la place de Biron et qui le remplacera en cette qualité en novembre 1581, Lettres, t. VII, p. 407.

[103] Matignon à la Reine, 15 octobre, Lettres, t. VII, p. 499, appendice.

[104] La Reine à Matignon, 28 octobre, Lettres, t. VII, p. 409.

[105] A Matignon, 8 novembre, t. VII, p. 412.

[106] 21 novembre, à Bellièvre, t. VII, p. 417.

[107] Lettres, t. VII, app., p. 500.

[108] Bellièvre à la Reine mère, 10 novembre 1581. Lettres, t. VII, app., p. 473, et réponse de la Reine-mère, 18 novembre, Lettres, t. VII, p. 416.

[109] Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. IV, p. 397-398.

[110] 29 février 1580, Lettres, t. VII, p. 226-227.

[111] Lettres, juin 1580, t. VII, p. 263-264. — Cf. le billet d'Henri III, p. 264, note.

[112] Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, 25 décembre 1580, t. IV, p. 342.

[113] Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, 25 décembre 1580, t. IV, p. 345.

[114] 23 mars 1581, Lettres, t. VII, p. 328.

[115] Entérinement au Parlement des lettres portant érection de la vicomté de Joyeuse en duché-pairie (7 sept. 1581) et de la châtellenie d'Epernon (27 nov. 1581).

[116] 7 septembre 1581, Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, t. IV, p. 396.

[117] Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. IV, p. 404, octobre 1581.

[118] 13 novembre 1581, Lettres, t. VII, p. 415.

[119] Juin 1582, Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. IV, p. 421.

[120] Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. IV, p. 396-397.

[121] Lettre du 10 novembre et instruction du même jour, Lettres, t. VII, p. 413-414.

[122] La Reine à Bellièvre, 27 décembre 1581, Lettres, t. VII, p. 420.

[123] Instruction, Lettres, t. VII, p. 414.

[124] La lettre de Bellièvre, 10 novembre 1581, Lettres, t. VII, app., p. 473.

[125] Fin décembre, Lettres, t.VII, p. 420. Mémoires de Marguerite, p. 177-181.

[126] Catherine à Matignon, 16 mars, t. VIII, p. 14 et le roi de Navarre à Scorbiac, Lettres missives, t. I, p. 445.

[127] L'opuscule de M. Sauzé, Les conférences de La Mothe-Saint-Heraye, Paris, 1893, est une reconstitution nécessairement conjecturale.

[128] 12 juin, Lettres, t. VIII, p. 37.

[129] 12 juin 1582, Lettres, t. VIII, p. 36-37.

[130] Kervyn de Lettenhove, t. VI, p. 273, note 1, lettre de Philippe II à Tassis, du 19 mars 1582.

[131] Lettres, t. VII, P. 34I-344. Cette lettre est antidatée d'un an dans la correspondance. Elle ne peut pas être de janvier ou février 1581 ; en effet, il y est question du départ de l'archiduc Mathias, autre prétendant à la souveraineté des Pays-Bas, qui ne déposa sa charge de gouverneur général que le 7 juin 1581 et qui même ne sortit d'Anvers que le 29 octobre de cette même année ; — de la réception du duc d'Anjou, qui ne peut s'entendre que de son entrée à Anvers et de son inauguration comme duc de Brabant et souverain des Pays-Bas (février-mars 1582) ; —du comte de Leicester, qui, on l'a vu, accompagnait le Duc sur la flotte anglaise. On peut fixer à un jour près la date de cette lettre-mémoire. Elle commence ainsi : Hier arriva La Neufville, c'est-à-dire Villeroy (Nicolas de Neufville, seigneur de Villeroy), porteur des lettres du prince d'Orange. Or le 17 mars 1582 (Lettres, t. VIII, p. z5), Catherine remerciait le prince d'Orange des lettres qu'il lui avait fait remettre par le Sr de La Neufville. Le mémoire de Catherine à Henri III est du même jour que sa réponse au prince d'Orange ; du 17 mars, si Villeroy est arrivé le 16, ou du 18, s'il est arrivé le 17.

[132] Lettres, VII, p. 389, note. Ce billet n'est pas daté, mais il exprime très bien les sentiments d'Henri III en tous les temps.

[133] L'ambassadeur d'Espagne à Paris, Jean-Baptiste Tassis, ne quitta pas son poste, et celui de France à Madrid, Jean de Vivonne, sieur de Saint-Gouard, qui avait suivi Philippe II à Lisbonne, ne revint en France qu'à la fin de 1582 ou au commencement de 1583 (Guy de Brémond d'Ars, Jean de Vivonne, sa vie et ses ambassades, Paris, 1884, p. 133-137 et p. 140-147).

[134] Négociations diplomatiques, t. IV, p. 444, 22 juillet 1582.

[135] 18 mai 1582, Lettres, t. VIII, p. 29 et 30.

[136] Priuli (Albert, Relazioni, serie Ia, t. IV, p. 426), dit que les Terceire (Açores), saranno sempre un grandissimo spino negli occhi al Re di Spagna, essendo poste in sito dove necessariamente convengono capitar le flotte che vengono dalle Indie cosi orientali corne occidentali.

[137] H. T. S. de Torsay, La vie, mort et tombeau de... Philippe Strozzi, Paris, 16o8, reproduit dans les Archives curieuses de Cimber et Danjon, Ire série, t. IX, p. 444.

[138] Catherine à Brissac, Mirebeau, 20 mars 1582, t. VIII, p. 16.

[139] Voir la relation de la bataille des Açores, adressée à Bernard Du Haillan, historiographe de France, par un capitaine de l'armée, Du Mesnil Ouardel, dans Lettres de Catherine, t. VIII, app. p. 397 sqq.

[140] 20 mai 1582, Lettres, t. VIII, p. 32.

[141] Catherine séjourna à Mirebeau du 20 au 26 mars.

[142] Lettres de Catherine, t. X, p. 20-21. L'éditeur a, contre toute vraisemblance, placé cette lettre en 1557, date à laquelle Philippe Strozzi avait seize ans et faisait son apprentissage des armes en Piémont sous les ordres du gouverneur, le maréchal de Cossé-Brissac. Ainsi ce novice aurait traité de pair à compagnon avec le chef de l'armée française d'outremonts et même il aurait eu autorité sur lui. Mais tous les détails de la lettre se rapportent à l'expédition navale de 1582. Le Brissac dont il est question ce n'est pas le maréchal, mais son fils, le comte de Brissac. La lettre serait du commencement de mai, si, comme il est probable, elle accompagnait l'Instruction qui, elle, est datée du 3 mai 1582.

[143] Lettres, t. VIII, p. 28, note. L'Instruction a été découverte par M. le Comte Baguenault de Puchesse à qui les historiens du XVIe siècle et de Catherine ont tant d'obligations. Le lieu où yries au mois d'augt, dont il est question dans la lettre précédente, est donc bien, comme on le voit par l'Instruction, le Brésil. Lettre et Instruction d'ailleurs subordonnent l'expédition du Brésil à l'occupation préalable des Açores, de Madère et du Cap Vert. On ne voit apparaître qu'au second plan le projet de descente en Amérique.

[144] Albertani au grand-duc, Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. IV, p. 456.

[145] Cf. sa lettre au Roi du 8 février 1579, citée ci-dessus.

[146] Ch. de la Roncière, Le secret de la Reine et la succession du Portugal, 1580-1585. Revue d'histoire diplomatique, t. XXII (1908), p. 482 sqq.

[147] Alberi, Relazioni, serie Ia, Francia, t. IV, p. 426. Il y avait longtemps qu'elle pensait à ce mariage d'Espagne. Dans une lettre à Henri III, du 10 août 1579, elle lui rapportait sa conversation avec le nonce, qui se scandalisait du projet de mariage du duc d'Anjou avec la reine d'Angleterre, une hérétique. Elle lui avait dit que c'était la faute du pape, qui aurait dû moienner son mariage avec une des infantes, ses petites-filles, mais il n'en avait rien fait, et le Duc voiant les choses ainsi négligées avait cherché sa fortune. Lettres, t. VII, p. 79.

[148] Relation de Du Mesnil Ouardel, app., Lettres, t. VIII, p. 397. — Cf. Conestaggio, Dell' Unione del regno di Portogallo alla Corona di Castiglia, 1642, liv. IX, p. 253-278.

[149] Il s'en vante dans une relation dont il est question dans une lettre de Villeroy à Henri III, 12 septembre 1582, Lettres, t. VIII, p. 405.

[150] Dès le 28 août, l'agent florentin à Paris, Busini, savait que la flotte de Strozzi et de Brissac avait été battue par les Espagnols. La nouvelle certaine du désastre, car des bruits contraires circulaient, arriva à Saint-Maur où était la Reine-mère le 11 septembre 1580 (Lettres, t. VIII, p. 405). La bibliographie de l'affaire des Açores dans Lettres de Catherine, t. VIII, introd. p. IX.

[151] Lettres, t. VIII, p. 61, note 2.

[152] Albertani au grand-duc, d'après un avertissement de Cavriana, un Mantouan très intelligent, qui avait été le médecin de Claude de Lorraine et qui le tut de Catherine de Médicis, Négociations diplomatiques, t. IV, p. 443, 15 juillet 1582.

[153] 13 octobre 1582, Lettres, VIII, p. 67.

[154] 29 octobre, Lettres, VIII, p. 68.

[155] 30 septembre, Lettres, VIII, p. 62.

[156] 13 octobre, Lettres, VIII, p. 67.

[157] 29 octobre, Lettres, VIII, p. 69.

[158] 31 octobre, Lettres, VIII p. 69.

[159] Kervyn de Lettenhove, t. VI, p. 357, note 1 et note 3.

[160] Lettre à Danzay ambassadeur de France en Danemark, 26 février, t. VIII, p. 90 ; à Mauvissiàre, 8 mars, t. VIII, p. 92.

[161] Du Mont, Corps diplomatique, t. V, p. 434.

[162] Kervyn de Lettenhove, t. VI, p. 422.

[163] Kervyn de Lettenhove, t. VI, p. 469.

[164] Kervyn de Lettenhove, t. VI, p. 468.

[165] Octobre 1582, Lettres, t. VIII, app. p. 407.

[166] Henri III à Villeroy, Lettres de Catherine, t. VIII, p. 65, col. 2, note 1.

[167] 13 novembre 1582, Lettres, t. VIII, p. 71.

[168] Lettres, t. VIII, p. 72.

[169] Lettres, t. VIII, p. 75.

[170] 23 mai 1583, Lettres, t. VIII, p. 103.

[171] 25 mai 1583, Catherine à M. de Longlée, qui avait remplacé Saint-Gouard à Madrid avec le titre de résident, Lettres, t. VIII, p. 104.

[172] Le 7 septembre 1582, Lettres, t. VIII, app., p. 409.

[173] 26 juillet 1583, Lettres, t. VIII, p. 116.

[174] Lettres, VIII, p. 115, 25 juillet, à M. de Mauvissière.

[175] Lettres, VIII, p. 120, 9 août, à Mauvissière.

[176] 9 août 1583, à Longlée, Lettres, t. VIII, p. 119.

[177] Villeroy au maréchal de Matignon, 1er février, Lettres, VIII, p. 85, note 1.

[178] 29 mars 1583, Catherine à Bellièvre, Lettres, t. VIII, p. 96.

[179] A Bellièvre, 4 avril, Lettres, t. VIII, p. 97.

[180] Catherine au duc de Montmorency, 29 Janvier 1583, Lettres, t. VIII, p. 85.

[181] 30 mars 1583, Négociations diplomatiques, t. IV, p. 461.

[182] Lettres, t. VIII, p. 97, note.

[183] Lettres, t. VIII, p. 97.

[184] Instruction du 14 février au sieur Caluart, Groën von Prinsterer, Archives de la maison de Nassau, Ire série, t. VIII, p. 167.

[185] Instruction du 6 juillet, Mémoires et Correspondance de Du Plessis-Mornay, Paris, 1824, t. II, p. 272-294.

[186] Mémoires de Marguerite de Valois, éd Guessard, p. 36.

[187] Mémoires de Marguerite de Valois, éd Guessard, p. 76.

[188] Brantôme, t. VIII, p. 65.

[189] Brantôme, t. VIII, p. 61.

[190] A Bellièvre, 31 juillet 1583, Lettres, t. VIII, p. 116.

[191] L'Estoile, t. II, p. 231. — Cf. sur cet épisode, Comte Baguenault de Puchesse, Le Renvoi par Henri III de Marguerite de Valois, Revue des questions historiques, 1er octobre 1901, et Armand Garnier, Un scandale princier au XVIe siècle, Revue du XVIe siècle, t. I, 1913.

[192] Lettres, t. VIII, p. 117 et 118, note.

[193] Lettre du 21 août 1583 à Bellièvre, Lettres, t. VIII, p. 226.

[194] 21 janvier 1584, Lettres, t. VIII, p. 271.

[195] 26 janvier 1584, Lettres, t. VIII, p. 272.

[196] 25 avril 1584, Lettres, t. VIII, p. 180.

[197] Lettres, t. VIII, p. 416 et p. 183 n. 2.

[198] Mémoires de la Huguerye, t. II, p. 316.

[199] En femme de bien et d'honneur, comme elle se doit de le faire eu égard au lieu d'où elle est née.

[200] 23 avril 1584, Lettres, t. VIII, p. 180-182. — Cf. Baguenault de Puchesse, Les Idées morales de Catherine de Médicis, Revue historique, mai-juin 1900.

[201] Lettres, VIII, p. 181. Voici la traduction en orthographe moderne de ce dernier passage qui est le plus difficile :

Il faut donc que Marguerite obéisse à son maria en ce que la raison veut et ce que les femmes de bien doivent à leur mari en toute autre chose, mais qu'en même temps elle lu fasse connaître ce que l'amour qu'elle lui porte et ce qu'elle est (sa qualité d'épouse ou de reine) ne lui permettent pas d'endurer. Assurément il ne saurait que le trouver très bon et que l'estimer et aimer davantage.

[202] Le médecin Vigor écrit au Roi (3 sept. 1583) qu'elle a été malade et qu'il a dû la purger pour la débarrasser de ses passions mélancholiques, Lettres, t. VIII, app. p. 424. — Cf. ibid., p. 425, une lettre de Pinart au roi.

[203] A Bellièvre, 21 août 1583, Lettres, t. VIII, p. 126 ; à Pibrac, chancelier du duc d'Anjou, p. 130-131 ; à Quincé, secrétaire du duc d'Anjou, t. VIII, p. 131 ; à Bellièvre, 4 septembre, p. 133 ; au chancelier de Cheverny, p. 132 ; au colonel Wischer du régiment suisse, septembre 1582, p. 143, à Crèvecœur, 6 septembre, p. 133-136-137-138.

[204] A M. de La Motte-Longlée, 6 septembre 1583, t. VIII, p. 141.

[205] Mémoires de Nevers, t. I, p. 91.

[206] Mariéjol, Histoire de France de Lavisse, t. VI, 1, p. 233 sqq.

[207] La Reine à Mauvissière, Lettres, t. VIII, p. 171.

[208] A Bellièvre, 27 octobre 1583, Lettres, t. VIII, p. 151.

[209] A la duchesse de Nemours, 4 novembre, Lettres, t. VIII, p. 152.

[210] A Bellièvre, 22 novembre, Lettres, t, VIII, p. 157.

[211] 2 janvier 1584, Lettres, t. VIII, p. 169.

[212] 11 mars 1584, Lettres, t. VIII, p. 176.

[213] 29 mars 1584, Lettres, t. VIII, p. 277.

[214] Lettre de Du Plessis Mornay au roi de Navarre, 9 mars 1584, Mémoires et Correspondance, t. II, p. 542-543, 545, 549.

[215] Kervyn de Lettenhove, t. VI, p. 158-519.

[216] A Villeroy, 22 mars, Lettres, t. VIII, p. 178-179.

[217] 18 avril, à Bellièvre, Lettres, t. VIII, p. 180.

[218] A M. de Fois, Lettres, t. VIII, p. 284.

[219] Charles IX, miné comme le duc d'Anjou par la phtisie, trompa jusqu'à la fin les prévisions de son entourage. Le jour même de sa mort, Marillac, son premier médecin, assurait à la Reine-mère que Sa Majesté se portoit bien et alloit guérir. Mémoires du chancelier Cheverny, éd. Buchon (Panthéon littéraire), p. 233.

[220] A Bellièvre, 11 juin 1584, Lettres, t. VIII, p. 190.

[221] Déclaration du 20 juillet 1584, Lettres, t. VIII, app., p. 444.

[222] A M. de Maisse, 12 septembre 1584, Lettres, t. VIII, p. 219.

[223] Lettres, t. VIII, p. 219.

[224] Lettres, t. VIII, p. 193.

[225] Lettres, t. X, p. 470.

[226] Sa revanche contre Philippe II se borna désormais à suivre avec une sympathie rancunière les déprédations du fameux corsaire anglais, Drake, dans les mers et les colonies espagnoles. Lettre à Châteauneuf, ambassadeur de France en Angleterre, 10 juin 1586, t. VIII. p. 18 et à Villeroy, 15 août 1586, t. VIII, p. 32. Dans sa galerie de portraits des souverains et des princes, elle avait admis celui de ce simple chef d'escadre, honneur significatif. Bonnaffé, Inventaire, p. 77, n° 279.