CATHERINE DE MÉDICIS

 

CHAPITRE VII. — UNE MÉDICIS FRANÇAISE.

 

 

IL Y A EN Catherine de Médicis une femme d'un caractère très complexe et d'une intelligence très étendue, à qui les historiens politiques, comme si son activité avait été absorbée par les affaires d'État, n'accordent en passant que quelques lignes ou même quelques notes au bas des pages. Des anecdotes, qui ne sont pas toutes vraies, et les épithètes de Florentine, d'Italienne tiennent lieu le plus souvent d'informations sur ses goûts, ses sentiments, ses idées. La souveraine, amie des lettres et des arts et qui était elle-même artiste et lettrée, est un peu plus favorablement traitée, mais son action propre disparaît et se perd dans celle des Valois[1]. On dirait d'une gloire étrangère, et sur laquelle la France, à cause de la Saint-Barthélemy, se ferait scrupule de rien prétendre. Il ne faudrait pas oublier pourtant que cette Médicis a quitté l'Italie étant encore toute jeune fille, presque enfant, qu'elle a vécu en France sans jamais plus en sortir, et que l'empreinte de son pays d'adoption fut peut-être à la longue aussi forte que celle de sa famille paternelle.

Pour montrer cette Catherine si peu connue, le moment le mieux choisi est, ce semble, le début du règne d'Henri III, où le récit des événements nous a conduits. Elle a eu le temps de donner toute sa mesure et de se révéler telle qu'elle était en bien et en mal. Elle a, pendant une dizaine d'années, gouverné souverainement l'État. Elle a disposé des ressources du Trésor pour la Cour, qui ne fut jamais plus brillante, pour ses fêtes, ses constructions, et le patronage des lettrés, des poètes, des artistes. Le règne de Charles IX est l'apogée de son pouvoir ou, pour mieux dire, c'est son règne. Aussi peut-on grouper ici, comme en leur centre, les diverses manifestations de sa vie morale, artistique et intellectuelle avant et après 1574 et les traits les plus marquants de sa personnalité.

Elle avait, à l'avènement d'Henri III, cinquante-cinq ans ; c'est le commencement de la vieillesse ou l'extrême fin de la maturité. L'âge avait épaissi et alourdi la Junon épanouie par dix maternités. Les cheveux, autrefois blonds, avaient passé au roux sombre, et ses yeux châtains[2], à fleur de tête, s'embrumaient de myopie. Un grand air de sérieux et de dignité, le visage virilement accentué et qui ne s'empâtait qu'au double menton, le nez fort et les lèvres épaisses, donnaient l'idée d'une maîtresse femme. Ses vêtements noirs de veuve, qu'elle ne quitta que le jour du mariage de Charles IX et d'Henri III, ajoutaient encore à cette impression d'autorité. Mais les paroles étaient douces et le ton rarement impérieux. Elle se possédait bien et ne laissait voir de ces sentiments que ce qu'elle voulait : art de grande dame que les nécessités de la politique avaient porté à sa perfection.

Son activité, sinon sa force physique, était restée la même. Elle continue à voyager, malgré ses rhumatismes et son catarrhe, au hasard des mauvais gîtes et des mauvais temps, intrépide chevaucheuse jusques en l'âge de soixante et plus, malgré sa blessure à la tête de 1564, dont il l'en falust trépaner. Elle est bonne marcheuse et chasse tant qu'elle peut. Elle aymoit fort, dit Brantôme, à tirer de l'harbaleste à jalet et en tiroit fort bien, et toujours quand elle s'alloit pourmener faisoit porter son harbaleste, et quand elle voyoit quelque beau coup, elle tiroit[3]. Elle n'est jamais en repos. Elle écrivait quelquefois vingt lettres de suite[4], et, revenue parmi ses dames, elle causait et brodait. Elle passoit fort son tems les après-dinées, dit Brantôme, à besongner après ses ouvrages de soye, où elle y estoit toute parfaicte qu'il estoit possible[5]. L'habile dessinateur pour broderies, le Vénitien Vinciolo, dédia à cette reine aux doigts de fée ses Singuliers et nouveaux pourctraicts.... pour toutes sortes d'ouvrages de lingerie... Paris, 1587, qui eurent une dizaine d'éditions[6].

Elle est grosse mangeuse. L'Estoile rapporte qu'elle pensa crever d'indigestion pour avoir trop mangé, disait-on, de culs d'artichaux et de crestes de rongnons de coq[7]. La vie en elle surabonde. Elle est gaie, prend grand plaisir aux farces de la Comédie Italienne, et en rioit son saoul comme un autre, car elle rioit volontiers. Elle n'était point prude, du moins en sa jeunesse, et, lors de la seconde guerre civile, s'amusa fort de la raison, à faire rougir un corps de garde catholique, pour laquelle les huguenots avaient nommé leur couleuvrine du plus gros calibre la Reine-mère. Elle croyait que la joie est le principe de la fécondité et recommandait à son fils Henri III et à sa belle-fille, Louise de Lorraine, ce moyen d'avoir des enfants : Car voyés combien Dieu m'en a donné pour n'estre poynt menencolyque (mélancolique)[8]. Les pamphlets n'ont jamais altéré sa bonne humeur. Même dans les pires dangers de la monarchie, quand elle fut obligée (traité de Nemours, 7 juillet 1585) de subir la loi des chefs de la Ligue, elle ne s'interdisait pas de réagir. Quelques jours après, elle s'amusa fort avec sa grande amie, la duchesse d'Uzès, d'une pantalonnade où figuraient déguisés en femmes et s coiffés de rideaux de lit s le grave surintendant des finances, Bellièvre, et le vieux cardinal de Bourbon[9]. Elle avait alors soixante-six ans. La situation s'aggrava, mais elle ne voulait pas s'attrister. Si ce n'estoit que je me divertiz le plus que je puis, alant à la chasse et me promenant, je pense que je serois malade. J'attens demain Madame de Longueville qui m'aydera bien aussi à passer mon tems[10].

Une question se pose et s'impose à l'historien. Catherine fut-elle toujours, épouse et veuve, une femme vertueuse ? Il ne suffirait pas d'établir — et l'on a vu combien la preuve était difficile[11] — qu'elle employa pendant sa régence, et depuis, à des fins politiques les attraits de son personnel féminin pour avoir le droit de conclure qu'elle avait les faiblesses dont elle tirait parti. Les corrupteurs ne sont pas nécessairement des corrompus. Brantôme est bien embarrassant. Il parle de sa Cour comme d'une école de vertu et cependant il laisse entendre, sans souci à ce qu'il semble, de la contradiction, que Dauphine elle aima fort Pierre Strozzi[12], bon soldat et fin lettré. Mais entend-il par aimer ce qu'historien des Dames galantes, il entend d'ordinaire par là ? Pierre était son cousin germain, un fils de Clarice de Médicis, cette tante si dévouée en souvenir de qui elle protégea tous les Strozzi. Elle ne l'aurait pas défendu avec un courage si franc en 1551, lors de la défection de Léon Strozzi[13], si elle avait pu craindre que le Roi son mari soupçonnât entre elle et lui plus qu'une affection légitime. Brantôme raconte aussi que François de Vendôme, vidame de Chartres, un très grand seigneur apparenté aux Bourbons, portait le vert, qui fut la couleur de Catherine avant son veuvage, et avait la réputation de la servir[14], Henri II, qui savait ce qu'est un amant platonique pour ne l'être pas lui-même, n'aurait pas souffert que le Vidame rendît des soins à la Reine autrement qu'en tout respect. D'autre part Catherine n'aurait pas été femme si elle n'avait eu quelque plaisir à prouver à son mari et à sa rivale qu'elle était capable elle aussi d'inspirer une passion romanesque. Qu'elle s'en soit tenue à cette satisfaction d'amour-propre, c'est très vraisemblable, vu les risques d'une faute, sa prudence et son amour pour l'époux infidèle. Devenue veuve, elle laissa les Guise, ministres tout-puissants de François II, emprisonner à la Bastille son adorateur, qui s'était déclaré contre eux pour le prince de Condé, et, quand elle prit le pouvoir, à l'avènement de Charles IX, elle le retint, malade, sous la charge et garde d'aulcuns archers de la garde du corps du Roy en une chambre basse de l'Hôtel de la Tournelle[15], où il mourut (22 décembre 1560). Il est possible qu'elle ait voulu par cette rigueur démentir le bruit d'une liaison et affirmer sa fidélité conjugale ou prouver que ses sympathies ne prévaudraient jamais contre la raison d'État[16].

L'éditeur des mémoires de Castelnau-Mauvissière, J. Le Laboureur, veut aussi qu'elle ait eu pour amant — un amant qui celui-là n'était pas platonique — un de ses anciens pages, Troïlus de Mesgouez, mais il n'indique aucune date et il ne cite pas ses autorités. La preuve, l'unique preuve qu'il donne de cette passion, c'est que la Reine-mère fit de ce pauvre gentilhomme bas-breton un marquis de La Roche-Helgouahc (lisez Helgomarc'h) et le laissa user indiscrètement de ses bonnes grâces[17]. Il faut chercher ailleurs les précisions qu'il s'interdit probablement par respect pour une personne royale. Des lettres patentes d'Henri III, datées de Blois, mars 1577, autorisent le sieur de La Roche, marquis de Cœtarmoal, comte de Kermoallec (en Bretagne) et de la Joyeuse Garde (en Provence ?), chevalier de l'Ordre, conseiller du Roi en son Conseil privé et gouverneur de Morlaix, à lever, fréter et équiper tel nombre de gens, navires et vaisseaux qu'il avisera pour aller aux Terres-Neuves (Canada, etc.) et autres adjacentes ; à s'y établir et en jouir pour lui et ses successeurs pérpétuellement et à toujours comme de leur propre chose et royal acquest, pourveu qu'elles n'appartiennent à amis, alliez et confederez de ceste couronne[18]. D'autres lettres patentes du 3 janvier 1578 nomment le marquis de Coetarmoal, etc. gouverneur lieutenant général et vice-roy esdites Terres-Neuves[19].

Tant de faveurs accumulées sur une seule tête, sans services connus, sans mérite apparent, ont pu tromper l'honnête érudit et lui faire admettre la légende d'origine bretonne d'une faiblesse amoureuse de Catherine[20]. Mais la fortune de La Roche eut une cause moins sentimentale ; il servait d'intermédiaire entre la Cour de France et les fugitifs d'Irlande — comme on le verra plus loin — et, de sa propre initiative par haine de Breton contre les Anglais, ou comme agent occulte de son gouvernement[21], il encourageait sous main l'esprit de révolte dans un pays qui ne se résignait pas à la domination de l'Angleterre. Il est possible aussi que Le Laboureur ait brouillé dans ses souvenirs ce La Roche de Bretagne avec un autre La Roche, Antoine de Brehant, écuyer tranchant de la Reine-mère en 1578, promu premier écuyer tranchant en 1584[22], La Roche qui est à moi, écrit-elle[23], le petit La Roche[24], comme elle l'appelle familièrement, un grand porteur de dépêches, à qui elle légua par testament six mille écus[25], et que de ces deux La Roche, l'un serviteur particulier de la Reine, et l'autre de la politique française, il ait fait un seul et unique personnage promu par la grâce d'un cœur royal aux plus hautes dignités.

En réalité ce prétendu favori de la Reine ne figure pas dans la liste de ses gentilshommes servants, de 1547 à 1585[26], et c'est la preuve qu'il ne résidait pas à la Cour, près de Catherine. Il n'est nommé, dans une lettre d'elle et pour la première fois, qu'en juillet 1575[27] à propos des affaires d'Irlande, comme estant au duc d'Alençon, alors en disgrâce et qu'Henri III gardait au Louvre en une demi-captivité. La Reine-mère le désigne par le nom de sa province : La Roche de Bretagne, une précision bien inutile en écrivant à l'ambassadeur de France à Londres, si La Roche avait été pour elle, à la connaissance de tous, ce qu'il ne paraît pas qu'il fût. Les distinctions n'étant venues que dans les deux années qui suivirent, comment admettre, à supposer une inclination ancienne, que Catherine eût différé si longtemps d'en acquitter le prix et même qu'elle n'eût jamais attaché à sa personne l'homme qu'elle aimait. Il est encore plus invraisemblable qu'elle se soit éprise de lui sur le tard. A cinquante-sept ans (c'est l'âge qu'elle avait lors de la création du marquisat), une femme qui a jusque-là été sage ne commence pas à cesser de l'être.

Aussi les grands pamphlets d'inspiration huguenote ou politique, qui, surtout après la Saint-Barthélemy, recueillirent sans contrôle les bruits les plus fâcheux pour l'honneur de la Reine et qui cherchèrent à la diffamer jusque dans ses ancêtres, ces Médicis, confits de vices, d'incestes et de crimes, ne disent rien de cet amour d'arrière-saison. Qu'ils se taisent sur le culte de François de Vendôme pour Catherine, ce n'est pas merveille, car ils ne pouvaient attaquer la Reine sans atteindre son adorateur, et tout complice de la conjuration d'Amboise avait droit au moins au silence respectueux. Mais Troilus de Mesgouez, mignon de la Reine-mère et ennemi d'Élisabeth, la protectrice de la Réforme, quel admirable sujet de déclamation morale et religieuse ! Si les protestants ont réservé leur éloquence contre d'autres fautes, c'est qu'ils ignoraient cette passion tardive, et ils l'ignoraient parce qu'elle n'existait pas. A défaut de preuves, ils se fussent contentés de présomptions. Ils prêtaient à Catherine pour favoris ou valets de cœur les gens de son intimité, Gondi[28], l'étalon, comme ils disaient, et, contre toute vraisemblance, le cardinal de Lorraine, qui, pour être un de leurs ennemis, n'était pas pour cela l'ami de la Reine-mère. De ces charités gratuites, le Discours merveilleux de la vie et déportements... de Catherine de Médicis (1574) renvoyait à plus tard la démonstration : Je ne veulx pas parler, disait l'auteur anonyme, des vices monstrueux de nostre Reyne-mere ny des aultres [Reines-mères], cette-cy (Catherine) auroit besoin d'un gros volume à part que le temps et les occasions publieront. Je ne parle que du gouvernement[29]. Le temps et les occasions ne se sont jamais présentés et pour cause. Brantôme, qui a traité si surabondamment des faiblesses des veuves, ne sait rien de celle-là. Catherine en sa vieillesse n'eût pas osé dire, dans une lettre adressée à un de ses confidents et qui devait servir de leçon à sa fille, qu'elle n'avait jamais rien fait contre son honneur et sa reputation, qu'elle n'aurait pas à sa mort à demander pardon à Dieu sur ce point ni à craindre que sa mémoire en fût moins à louer[30] ; et Henri III se serait gardé de la citer comme un modèle de vie incoulpée, si elle n'avait pas été de l'aveu général une femme irréprochable.

L'historien italien Davila, un contemporain, grand admirateur de Catherine, et qui, panégyriste compromettant, ne veut voir dans ses actes que calcul, explique, mais constate lui aussi sa vertu : A ces qualités (politiques) en furent jointes, dit-il, plusieurs autres par lesquelles bannissant les deffaults et la fragilité de son sexe elle se rendit toujours victorieuse de ces passions qui ont accoutumé de faire forligner du droit sentier de la vie les plus vives lumières de la prudence humaine[31].

Quelles que fussent ses raisons pour se bien conduire : fidélité à la mémoire de son mari, prudence, souci de l'opinion publique ou pureté, le fait semble établi — et c'est lui par-dessus tout qui importe, les motifs des actes échappant le plus souvent aux moyens d'investigation de l'histoire.

Elle y avait quelque mérite. Sa fille Marguerite n'admirerait pas tant sa maîtrise si elle ne la savait pas si passionnée. Il y a des phénomènes psychiques qui, sans compter les accès historiques de colère et de peur, trahissent chez elle, sous les apparences du calme, un fonds de sensibilité aiguë. On dit que la nuit d'avant le fatal tournoi où périt son mari, elle le rêva blessé à l'œil. Marguerite de Valois rapporte aussi qu'Elle n'a... jamais perdu aucun de ses enfans, qu'elle n'aye veu une fort grande flamme à laquelle soudain elle s'escrioit : Dieu garde mes enfans ! et incontinent après elle entendoit la triste nouvelle qui par ce feu luy avait été augurée[32]. Ces hallucinations peuvent s'expliquer comme la crise d'émoi d'une tendresse inquiète, ou obsédée de l'image de la mort par des avis alarmants, mais en voici une qui est plus surprenante. C'était en 1569. Le duc d'Anjou poursuivait le prince de Condé dans l'Ouest. La Reine-mère était alors à l'autre bout du royaume, à Metz, occupée à surveiller les armements des princes protestants d'Allemagne. Elle fut gravement malade, et, dans le délire de la fièvre, on l'entendit s'écrier : Voyez vous comme ils fuyent ; mon fils a la victoire. Hé ! mon Dieu ! relevez mon fils ! il est par terre ! Voyez, voyez, dans cette haye, le prince de Condé mort [33]. La nuit d'après, quand un courrier apporta la nouvelle de la victoire de Jarnac, elle se plaignit qu'on l'éveillât pour lui apprendre ce qu'elle savait depuis la veille. D'Aubigné raconte — mais c'est un grand imaginatif qu'en 1574, à Avignon, pendant la maladie du cardinal de Lorraine, un soir qu'elle s'était couchée de meilleure heure que de coustume, elle se jetta d'un tressaut sur son chevet, mettant ses mains sur ses yeux pour ne pas voir et criant : Monsieur le Cardinal, je n'ai que faire de vous. C'était le moment même où le Cardinal trépassait. Elle apercevait devant elle et repoussait de la voix, loin de sa vue, le principal collaborateur de sa funeste politique[34].

Marguerite explique les pressentiments de sa mère par une prescience dont Dieu l'aurait privilégiée.... Aux esprits, dit-elle, où il reluit quelque excellence non commune, il (Dieu) leur donne par des bons génies quelques secrets advertissemens des accidens qui leur sont preparez ou en bien ou en mal [35]. C'est une explication platonicienne, le démon de Socrate adapté aux croyances chrétiennes.

Mais Catherine ne se contentait pas de ces révélations extraordinaires, et elle en cherchait d'autres. Elle était d'un pays où princes et peuples croyaient, où les Universités enseignèrent jusqu'au commencement du XVIe siècle, que les astres influent sur la vie humaine, et qu'un observateur expert peut lire au ciel le livre du Destin. Le signe du Zodiaque sous lequel un enfant vient au monde, les conjonctions de planètes à l'heure de sa nativité, sont des indices ou même des facteurs déterminants de son caractère et du bon ou du mauvais succès de sa vie. Catherine était convaincue de ce rapport et l'incertitude, où elle fut souvent, du lendemain, en ces temps malheureux, l'y rendit encore plus crédule. Elle était en relations avec les astrologues les plus fameux de France et d'Italie, Luc Gauric, qui mourut évêque de Città Ducale, le Lombard Jérôme Cardan, le Florentin Francesco Giunctini, le provençal Nostradamus. Elle avait ses astrologues attitrés, Regnier (Renieri ?) et Côme Ruggieri. La Pléiade, pour lui complaire, célébra la vertu des astres, et l'étoile scientifique de cette constellation, Pontus de Thyard, affirma dans sa Mantice la vérité de ce genre de divination :

Quand nature accomplit le bastiment du monde

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Ne voulant point ailleurs qu'au mesme monde mectre

La conduite de tout qui, au monde, peut estre

Ell' ficha dans le Ciel avec clous éternels

La vie et le Destin[36].

L'astrologie gagna en crédit et faveur à la Cour. Lors de son grand tour de France, la Reine-mère vit, à son passage à Salon (novembre 1564), Nostradamus, à qui son poème des Centuries, rédigé en quatrains d'une obscurité sibylline, avait fait la réputation du premier prophète du temps. Ces vers :

Le lion jeune le vieux surmontera

En champ bellique par singulier duelle :

Dans cage d'or les yeux luy crevera,

Deux classes une, puis mourir, mort cruelle[37].

avaient été, après l'événement, interprétés comme la prédiction du tournoi où Mongomery tua Henri II. Nostradamus, écrivait Catherine au Connétable, promest tou playn de bien au Roy mon filz et qu'il vivera aultant que vous, qu'il dist aurés avant mourir quatre vins et dis ans. Elle ajoute sagement : Je prie Dieu que (il) dis vray...[38] Cette fois l'oracle avait, pour sa gloire, parlé trop clair. Montmorency périt, trois ans après, simple septuagénaire et Charles IX mourut à vingt-quatre ans. Mais Catherine ne rendait pas l'astrologie responsable des erreurs des astrologues ; c'était une science qui, comme toutes les autres, était, du fait des savants ou de l'intervention divine, sujette à faillir. N'avait-elle pas eu plus d'une fois l'occasion d'en constater l'incertitude ? Gauric avait, disent les éditeurs de ses œuvres, annoncé à Henri II qu'il mourrait en duel et combat singulier aux environs de la quarante et unième année[39], mais il faut les croire sur parole. Au vrai, dans ses Horoscopes d'avant 1559, il s'était borné à prédire que le Roi de France atteindrait soixante-neuf ans, deux mois et douze jours, pourvu qu'il dépassât les années 56, 63 et 64[40] : une prophétie peu compromettante et dont il était à peu près sûr de ne pas voir le dernier terme — précis, celui-là — ayant lui-même trente ans de plus qu'Henri II. Giunctini et Cardan, consultés par Catherine, lui avaient assuré que son mari aurait une vie longue et glorieuse.

Connaître sa destinée, c'est, avec l'aide de Dieu, une chance de s'y soustraire. Il faut se protéger aussi contre les maléfices des magiciens et des nécromants en rapports avec les esprits infernaux. L'astrologue Côme Ruggieri, Italien, homme noir, qui n'a le visage bien fait, qui joue des instrumens... toujours habillé de noir, puissant homme [41], passait pour un de ces intermédiaires redoutables, capables de procurer, par des moyens diaboliques, la mort d'un ennemi. C'était un esprit libre et hardi. Il aurait osé dire en face à Catherine, après la Saint-Barthélemy, qu'elle avait travaillé pour le Roi d'Espagne[42]. Il fut entraîné ou enveloppé dans le complot des Politiques[43]. On trouva, dans les besognes de La Molle, son grand ami, une poupée de cire. Catherine se demandait avec inquiétude si ce n'était pas une effigie de Charles IX, que Côme aurait modelée, à des fins d'envoûtement, pour faire périr son fils, ou le faire dépérir de mort lente, en piquant son image au cœur ou au corps avec une aiguille. Elle informa le procureur général que Côme avait demandé au lieutenant du prévôt de l'Hôtel, quand il fut pris, si le Roi vomissoit, s'il seignoit encore et s'il avoist douleur de teste, et comment allait La Molle, et qu'il l'aimerait tant qu'il vivrait. Elle voulait qu'on lui fit répéter cette déclaration, en présence du lieutenant, du premier président et du président Hennequin : Faictes lui tout dire... et que l'on sache la vérité du mal du Roi et que l'on lui face défaire, s'il a faict quelque enchantement pour nuire à sa santé et aussi pour faire aimer La Mole à mon fils d'Alençon, qu'il le défasse[44]. La terreur qu'il inspirait le sauva. Il ne fut condamné qu'à neuf ans de galères, et, après un court séjour à Marseille, où le gouverneur l'avait autorisé, à ouvrir une école d'astrologie, il fut libéré, rentra en faveur, et mourut très âgé sous Louis XIII, abbé de Saint-Mahé en Bretagne et incrédule notoire, toujours craint et admiré[45].

Peut-être aussi Catherine croyait-elle que les mots avaient en eux une force opérante, analogue à celle des charmes et des maléfices. Informée qu'un soldat, qui avait voulu tuer d'Avrilly, un des mignons du duc d'Alençon, avait dit, en voyant les portraits du Roi (Henri III) et de son frère, qu'ils n'avaient pas longtemps à vivre, ce propos de mauvais augure la troubla : Sela me met en pouyne (cela me met en peine), écrit-elle, de cet qu'il a dist qu'il (ils) ne viveret gyere (ne vivraient guère) ; Dieu le fasse mentyr[46]. Elle se hâte d'appeler la puissance divine à l'aide contre cette sorte de sortilège verbal.

Voilà les faits établis. Il ne faut pas croire tous les contes qui ont couru et qui courent sur les superstitions de Catherine[47]. Un devin lui ayant prédit que Saint-Germain lui serait funeste, elle aurait cessé d'aller au château de Saint-Germain, et même renoncé à habiter les Tuileries, après y avoir fait travailler de 1564 à 1570 l'architecte Philibert de L'Orme, parce que les nouveaux bâtiments se trouvaient dans la paroisse de Saint-Germain l'Auxerrois. C'est aussi pour cette raison qu'elle aurait acheté dans la paroisse de Saint-Eustache des maisons et des terrains pour s'y construire un hôtel, mais, malgré toutes ces précautions, elle n'avait pu échapper à son sort. L'aumônier qui à Blois lui administra les derniers sacrements s'appelait Saint-Germain[48].

Au vrai, si elle ne s'établit pas à demeure aux Tuileries, comme elle avait projeté de le faire aussitôt que Charles IX serait marié, et si elle se contenta d'y donner des fêtes et d'aller s'y promener dans les jardins ombreux, animés de statues et égayés d'eaux jaillissantes, c'est vraisemblablement que ce palais des champs, situé hors des remparts de Paris, était, en ces temps de troubles, trop exposé à un coup de main ou trop éloigné, à son gré, du Louvre, la résidence de ses fils. Elle continua, longtemps après son installation dans son hôtel de la rue Saint-Honoré, à faire des séjours, longs ou courts au château de Saint-Germain[49]. Une autre légende veut qu'elle ait destiné à ses observations astronomiques la haute colonne monumentale, qui se dressait dans la cour de l'Hôtel et qui de tout l'édifice subsiste seule, accolée à la Halle au blé actuelle. A l'intérieur, un escalier à vis, très étroit, de 280 marches, continué par une échelle de six pieds, mène à une plate-forme que surmonte une sphère armillaire en fer haute de dix pieds. Imagine-t-on la vieille Reine, épaissie et alourdie par l'âge — elle avait, quand elle occupa l'Hôtel, plus de soixante ans — s'élevant, par le boyau étroit de l'escalier tournant, jusqu'au sommet de la colonne et, debout, la nuit, à 143 pieds au-dessus du sol, sur un palier large de huit pieds six pouces de diamètre, étudiant, avec le calme requis, les révolutions et les révélations des astres ?[50] Le prétendu observatoire était probablement une tour de guette, adaptée au style et à la grandeur de l'édifice, pour surveiller la nuit l'amas très inflammable des ruelles avoisinantes et donner l'alarme en cas d'incendie.

Il est possible qu'afin de se préserver des dangers de toutes sortes, Catherine portât des talismans. Voltaire a l'air de décrire comme tel une médaille où Catherine (?) est représentée toute nue entre les constellations d'Aries et Taurus (du Bélier et du Taureau), le nom d'Ebullé Asmodée sur sa tête, ayant un dard dans une main, un cœur dans l'autre, et dans l'exergue le nom d'Oriel [51]. On en cite un autre qui figure[52] à l'endroit un roi assis, le sceptre en main et, au revers, une femme nue, debout, encerclée de signes mystérieux et de noms de génies : Hagiel, Haniel, Ebuleb, Asmodel. La lettre H placée sous une petite couronne aux pieds du roi, semble désigner Henri II ; plus bas, les initiales K, F, A, surmontées chacune d'une couronne, peuvent s'appliquer à ses trois premiers fils Charles (Karolus), François et Alexandre (qui prit plus tard le nom d'Henri). Le nom de Freneil serait, avec une légère déformation, celui de Fernel, médecin d'Henri II et de Catherine et habile accoucheur. Catherine serait cette femme nue tenant de la main droite un cœur et de la gauche un peigne, symboles de pureté et d'amour conjugal.

Cette interprétation paraît bien ingénieuse. Si les initiales K, F, A couronnées désignent les trois fils de Catherine qui ont régné, il s'en suit que le talisman est postérieur à l'avènement d'Henri III (1574), mais alors il est tout à fait étrange, qu'Henri soit encore appelé Alexandre, plus précisément Édouard-Alexandre, un prénom qu'il ne garda que jusqu'en 1565. D'ailleurs un talisman, c'est un préservatif. Contre la fécondité ? Catherine était veuve, se faisait gloire de sa vertu, et elle avait, en 1574, cinquante-cinq ans. Contre la stérilité ? Le remède viendrait un peu tard. Que ferait ici Fernel qui n'assista la Reine que lors de son dernier accouchement, le neuvième, en 1556[53] ? Après la naissance de quatre garçons et de plusieurs filles Catherine ne pouvait penser qu'à célébrer ses nombreuses maternités. Le prétendu talisman ne serait donc qu'une médaille commémorative. On n'est pas non plus obligé de croire sur la foi d'un éditeur des Mémoires-Journaux de L'Estoile[54] que cette médaille ou ce talisman était fait de sang humain, de sang de bouc et de divers métaux fondus ensemble sous les constellations en rapport avec la nativité de Catherine. Un autre, — c'est l'érudit J. Le Laboureur, qui décidément paraît bien crédule — raconte[55] que la Reine-mère portait sur son estomach pour la seureté de sa personne une peau de velin semée de plusieurs figures et de caractères tirez de toutes les langues et diversement enluminez qui composoient des mots moitié grecs, moitié latins et moitié barbares.

Un bracelet, qui appartenait, dit-on à Catherine, fait meilleure figure de talisman. C'était un chapelet de dix chatons d'or sertis de pierres diverses et rares : aétite ovale, agate à huit pans, onyx de trois couleurs, turquoise barrée d'une bande d'or transversale, éclat de marbre noir et blanc, agate brune, crapaudine, morceau d'or arrondi, onyx de deux couleurs, fragment de crâne. Sur quelques-unes de ces pierres étaient gravés en creux ou ressortaient en relief des indications, des noms ou des figures, la date de 1559, un dragon ailé, la constellation du serpent entre le signe du scorpion et le soleil, et tout autour six planètes, les noms de quatre archanges : Raphaél, Gabriel, Mikaél, Uriel, celui de Jéhovah et d'un génie inconnu, Publeni[56].

Ce bracelet aux gemmes variées, polychrome et multiforme, où apparaissent accouplés Jéhovah et le caducée de Mercure, constituait en somme un porte-bonheur très pittoresque, sauf la parcelle d'os humain. C'est l'amulette d'une civilisation raffinée d'importation étrangère. La vieille sorcellerie française, issue du peuple, n'aurait pas atteint d'elle-même à cet éclectisme savant.

A ceux de ces traits qui sont vérifiables on reconnaît une femme d'un autre pays. La croyance à l'astrologie, à la magie, à la nécromancie n'était pas particulière à l'Italie, mais elle y était plus raisonnée et plus étendue qu'ailleurs, commune aux plus hautes et aux plus basses classes, au clergé et aux laïques, aux savants et aux ignorants.

Astrologues, magiciens, fabricants de philtres, faiseurs et défaiseurs de sorts, étaient presque tous des Italiens ou des élèves des Italiens. D'Italie aussi, l'ancien marché et le grand laboratoire des essences et des aromates d'Orient, vinrent, attirés par les goûts de Catherine, nombre de parfumeurs que le populaire accusait d'être des empoisonneurs. Le fournisseur attitré de la Reine-mère, maître René (Bianchi ou Bianco) de Milan, était un personnage abominable, qui lors de la Saint-Barthélemy se déshonora entre tous les tueurs par sa passion du butin.

Il faut sans aucun doute laisser à la littérature romantique et au roman romanesque le conte des coletz et gands parfumez que Catherine lui aurait commandés pour se défaire de ses ennemis[57]. Elle n'a empoisonné ni le dauphin François, son beau-frère, ni Jeanne d'Albret, ni François de Vendôme, ni tant d'autres personnages à qui il arriva, comme aujourd'hui, de mourir jeunes ou, à l'improviste, de mort naturelle. Mais il y a de bonnes raisons de croire, on l'a vu, qu'elle tenait certains chefs protestants et le plus redoutable de tous, Coligny, pour des traîtres et des félons, contre qui toutes les armes étaient permises.

Et peut-être aussi lui venait de son pays d'origine cette inconscience ou cette ataraxie morale qui ne lui a laissé, de la Saint-Barthélemy ni remords ni regrets. Mais faut-il en rendre Machiavel responsable ? On répète un peu à la légère que le Prince était son livre de chevet. Tout au plus est-il possible de dire qu'elle connaissait et même devait apprécier, ne fût-ce que par orgueil familial, ce manuel fameux de l'art de fonder et de conserver un État, commencé pour Julien de Médicis, son grand oncle, et dédié à son père, Laurent.

L'idée fondamentale du grand penseur florentin, c'est que la politique est une science à part, distincte de la morale et de la religion, et qu'elle a ses règles propres, indépendantes de la notion du bien et du mal. Et à dire vrai, il ne faisait que poser en principes les constatations de l'histoire en ce temps-là et même en d'autres temps. Le machiavélisme, un machiavélisme sans doctrine, est aussi ancien que les plus anciennes sociétés humaines. Il s'affirme dans la maxime lapidaire : Salus populi suprema lex esto ! L'originalité de Machiavel fut de tirer de l'expérience des siècles un système. Les faits prouvaient surabondamment que les souverains les plus heureux n'avaient eu d'autre règle de conduite que la raison d'État, et Machiavel concluait ou suggérait que le Prince devait tendre à ses fins sans scrupules. Mais il n'a jamais prétendu — comme on voudrait le lui faire dire — qu'il n'y eut de bons moyens de gouvernement que les pires[58]. La violence et la fourberie n'étaient pas toujours conformes à leur objet, et souvent elles y étaient contraires. Il n'aurait pas certainement admiré les massacres de la Saint-Barthélemy, cette contrefaçon impulsive, furieuse, et, si l'on peut dire, grossière, du piège, ce bel inganno, tendu par César Borgia à ses condottieri révoltés et dont il fit jouer le ressort au moment résolu avec une aisance et un sang-froid incomparables. L'extermination des chefs protestants, après mûre délibération, le même jour, dans tout le royaume, froidement, impitoyablement, serait un forfait qui pourrait se réclamer de Machiavel. Mais des tueries, improvisées par la populace des villes à la nouvelle de l'improvisation de Paris, entravées ici par l'humanité ou la prudence de certains gouverneurs, encouragées là par le fanatisme ou la faiblesse des autres, et qui, s'espaçant entre le 26 août (Meaux) et le 3 octobre (Bordeaux), laissèrent à la masse des huguenots le temps de s'enfuir, n'est-ce pas tout le contraire d'une exécution machiavélique ?

Aussi les beaux esprits d'Italie ne purent-ils supposer qu'elle eût commandé cette œuvre sanguinaire dans une crise de peur et d'ambition. Un gentilhomme, Camille Capilupi, camérier secret du pape, se dépêcha d'écrire, sans prendre le temps de s'informer, son fameux e Stratagème de Charles IX où il affirmait et essayait de démontrer la préméditation. Le jour même où arrivait à Rome le courrier du nonce Salviati apportant la nouvelle officielle de la Saint-Barthélemy, (5 septembre), Capilupi, comme on le voit dans une lettre à son frère, était déjà fixé sur le long dessein du Roi et de la Reine-mère, d'après le renseignement qu'un prélat tenait du cardinal de Lorraine[59]. Ainsi la thèse repose sur cette base légère : un propos du Cardinal, qui depuis deux jours savait le massacre par un exprès et qui, suspect à Rome d'être en disgrâce à Paris, avait intérêt à faire croire, pour démontrer son crédit, qu'il avait été mis à son départ de France dans le secret d'un guet-apens. Capilupi, de lui-même, faisait le crime plus grand pour le rendre glorieux. Ceux des protestants qui avaient échappé à la mort étaient naturellement enclins à imaginer un attentat préparé de longue main. Catherine elle-même eût bien voulu persuader au pape et à Philippe II, à fin de récompense, qu'elle avait depuis toujours médité de détruire les hérétiques. Ainsi les protestants et les catholiques, pour des raisons diverses, collaborèrent à la légende du Stratagème. Le système de Machiavel servit de support. Quand le duc d'Anjou traversa l'Allemagne pour aller prendre possession de son royaume de Pologne, il aurait allégué au landgrave de Hesse, comme justification de la Saint-Barthélemy, des raisons de Machiavelli, mais on voit ce qu'il en faut penser[60].

L'exemple des princes et des Républiques d'Italie, la passion et la jalousie du pouvoir, la crainte enfin, ont plus qu'un livre de doctrine contribué à déterminer Catherine. Elle aimait mieux agir doucement, mais elle ne laissait pas d'être à l'occasion cruelle. Si elle se souvenait des bienfaits, elle n'oubliait pas les injures. Elle était rancunière et, quand son intérêt ne s'y opposait pas, vindicative. Les Médicis ne furent jamais tendres à leurs ennemis et ils n'ont guère pardonné qu'à ceux qui ne pouvaient plus leur nuire.

C'est une Médicis, mais Française par sa mère, qui est fille d'un grand seigneur de vieille extrace et d'une princesse du sang. Arrivée à quatorze ans dans un pays où elle n'était pas une étrangère, elle n'en est plus sortie. Elle a reçu plus fortement qu'une autre, par suite de son aptitude originelle et de sa complaisance à s'adapter, l'empreinte de ce nouveau milieu. La Cour de France, quand elle y entra, s'épanouissait en sa splendeur, ou, pour parler comme Brantôme, en sa bombance. C'était par surcroît une excellente école d'éducation intellectuelle et mondaine. Elle y apprit le français avec les sentiments et les idées qu'une langue contient, dans l'intimité de François Ier, de son mari, de Marguerite de Navarre, de Marguerite de France, et dans la compagnie de la duchesse d'Etampes et d'autres grandes dames. Elle y affina les dons qu'elle avait de naissance. Elle y fit l'apprentissage de son métier de reine et acquit dans la perfection l'art de tenir un cercle et de causer, les manières affables sans vulgarité, l'aisance dans la grandeur. Qu'on la compare à une autre Médicis, Marie, la femme d'Henri IV, fille d'une archiduchesse d'Autriche, comprimée jusqu'à vingt-sept ans par l'étiquette espagnole de la petite Cour de Florence d'alors et qui, lourde et inintelligente, ne sut jamais se défaire de sa hauteur morose ni échapper à la tutelle de sa domesticité, et l'on comprendra ce que Catherine a gagné à être née de Madeleine de la Tour d'Auvergne, et faicte, comme dit Brantôme, de la main de ce grand Roy Françoys.

Sans doute elle a retenu de son parler toscan quelques mots et des tournures qu'elle transporte trop fidèlement dans notre langue[61]. Il y a de bonnes raisons de croire que sa prononciation fut toujours relevée d'une pointe d'exotisme. Elle continue par exemple à écrire se pour si (conjonction) et elle est tellement imprégnée du son ou de l'u italien qu'involontairement sous sa plume but se change en bout. Par le même effet à rebours de l'empreinte enfantine, qui ne connaît pas d'e muet, il lui arrive de mettre fasset pour fasse, cet pour se, emet pour aiment[62]. Des réminiscences de deux langues s'entremêlent bizarrement dans certaines de ses lettres à des Italiens. Elle remercie le pape Sixte-Quint, en langage macaronique, si du moins le copiste a bien lu, de l'amore (amorevole) letra que son nontio lui a remise de sa part[63]. Son orthographe est parfois si phonétique qu'il suffit, pour comprendre certains passages obscurs, de les lire à haute voix[64]. Mais sa forme est, en général, bien française, comme on peut en juger d'après des lettres écrites de sa main. La phrase garde l'allure de la conversation, fluide et verbeuse, lâche en son développement, mal liée en ses parties, embarrassée d'incidentes, allongée de tours et de détours, et qui n'a pas l'air de savoir comme ni où elle finira. Mais Catherine sait à l'occasion resserrer sa pensée et, par exemple, glisser dans quelques mots la caresse d'un compliment ou d'une sympathie. Elle avait vu en passant à Lyon Marguerite de France, duchesse de Savoie, sa chère belle-sœur, et souhaitait de la revoir à Paris. Se sera, lui écrit-elle, quant yl vous pléra, més non jeamés si tost que je le desire, car vous avoir revue si peu ne m'a fayst que plus de regret de ne povoyr aystre aurdinairement auprès de vous[65]. Et quel raccourci pittoresque dans cette description : Ma Comère, annonce-t-elle à sa vieille amie la duchesse d'Uzès, je suys en vostre péys de Daulphiné, le plus monteueux et facheus où j'é encore mis le pyé ; tous les jour y a froyt, chault, pluye, baul (beau) tems et grelle, et les cerveaulx de mesme...[66]

Elle a appris l'art de bien dire à la Cour des Valois où sa personnalité s'est formée et elle n'y réussit que dans la langue qui a servi à son épanouissement intellectuel. Ses lettres italiennes, qui sont de moins en moins nombreuses à mesure qu'elle avance dans la vie, ne valent que par les renseignements qu'elles contiennent, et, en dehors de leur valeur documentaire, elles sont insignifiantes.

Cet enchevêtrement d'influences italiennes et françaises se retrouve, sans qu'il soit toujours facile ou même possible de les démêler, dans les goûts littéraires et artistiques de Catherine, dans sa passion pour les fêtes, le luxe, les bijoux[67], et les manifestations d'éclat de la grandeur royale. Elle tient de ses ancêtres florentins, comme aussi de sa formation française, une large curiosité intellectuelle. C'est une lettrée et c'est aussi une savante. A une forte culture littéraire, elle joint, comme on l'a vu, la connaissance des mathématiques, de l'astronomie ou de l'astrologie, et des sciences naturelles. Elle aime les livres, et les recherche, estimant qu'ils sont l'ornement obligé de la demeure des rois. Jusque-là, la bibliothèque royale avait beaucoup voyagé, de Paris, où Charles V l'avait établie, à Blois, où Louis XII l'avait transportée, et enfin à Fontainebleau, où François Ier s'en était fait suivre. Pierre Ramus, le fameux ennemi de la scolastique et d'Aristote, mathématicien et philosophe, rappelait à Catherine qu'un jour, devant lui, elle s'était déclarée contre le maintien de la bibliothèque à Fontainebleau, et il la suppliait, par des raisons qui devaient la toucher, de la ramener à Paris, et de la fixer sur la montagne de l'Université. Le temple que vous y élèveriez aux Muses dominerait de tous côtés les plus larges et les plus gracieux horizons. Côme et Laurent de Médicis, qui savaient que les livres ne sont faits ni pour les champs ni pour les bois ne mirent pas leur bibliothèque dans leurs délicieuses villas de Toscane ; ils la placèrent au foyer de leurs États, dans la ville où elle était le plus accessible aux hommes d'étude... Mettez donc cette librairie au chef-lieu de votre royaume, près de la plus ancienne et de la plus fameuse des Universités[68].

Elle la fit venir de Fontainebleau, mais la garda au Louvre[69]. Elle avait fait, comme autrefois Côme et Laurent de Médicis, rechercher des anciens manuscrits en toutes sortes de langues. Elle s'en était d'ailleurs procuré beaucoup à très bon compte[70]. Son cousin, Pierre Strozzi, possédait une collection de manuscrits précieux, qu'il avait héritée du cardinal Ridolfi, neveu de Léon X, et qu'il avait beaucoup augmentée. Après qu'il eut été tué sous les murs de Thionville (1558), Catherine persuada à sa veuve, Laudomina de Médicis, et à son fils, Philippe Strozzi, de les lui céder pour quinze mille écus, mais elle oublia toujours ou n'eut jamais les moyens de s'acquitter. A sa mort, les créanciers saisirent sa bibliothèque, mais les savants protestèrent, et sur l'ordre d'Henri IV, livres et manuscrits — en tout 4.500 volumes — allèrent enrichir la Bibliothèque du roi[71].

Elle aime les gens doctes, et, comme on vient de le voir pour Ramus, cause volontiers avec eux. Elle fréquente chez les amateurs d'art. Elle a ses poètes attitrés, Ronsard, Rémy Belleau, Baïf et Dorat, comme elle a ses décorateurs, ses tapissiers, ses architectes. Elle les protège, elle les emploie à l'illustration poétique de ses fêtes. Elle fit une pension à Baïf. Elle donna à Ronsard le prieuré de Saint-Cosme[72] et alla l'y visiter avec Charles IX à son retour de Bayonne. Elle reprit hautement Philibert de L'Orme d'avoir fermé l'entrée des Tuileries en construction au grand poète. Souvenez-vous, lui aurait-elle dit, que les Tuileries sont dédiées aux Muses. Mais Ronsard lui en voulait de préférer les maçons, c'est-à-dire les architectes, aux poètes. La Pléiade se vengea de ce qu'elle considérait comme un déni de justice. Dans les louanges qu'elle donne à la dispensatrice des grâces royales, c'est le plus souvent de son génie politique ou de sa vertu qu'il est question. Elle aurait cru dépasser les limites, pourtant si reculées, des flatteries permises, en lui disant, comme Ronsard à Charles IX :

Ronsard te cède en vers et Amyot en prose[73].

C'est qu'elle la jugeait sur la liste comparée des bénéfices et des pensions. La Reine-mère a rendu pourtant d'autres services à la littérature française. Elle connaissait les deux grandes littératures de l'époque, l'italienne et la française, antérieures en chefs-d'œuvre à celles de l'Angleterre et de l'Espagne et plus directement apparentées à la Grèce et à Rome. Elle savait du grec et du latin, peu ou beaucoup. Si elle n'égalait pas en culture classique la reine de Navarre et Marguerite de France, elle était de la même famille intellectuelle. Elle n'avait pas cessé de s'intéresser à la littérature italienne. Elle accepta que Tasse, venu en France à titre de secrétaire du cardinal d'Este, en 1571, lui présentât son Rinaldo et elle envoya son portrait au jeune poète, en témoignage d'admiration[74]. Elle a dû obliger bien généreusement l'Arétin pour que ce grand écrivain vénal célèbre en elle la Femme et la déesse sereine et pure, la majesté des êtres humains et divins, et qu'il souhaite d'avoir le verbe des anges de Dieu pour louer comme il convient les très saintes grâces et les faveurs sacrées de cette divine idole[75].

Tous les Italiens parlent, en moins haut style, de sa douceur et de sa bienveillance. Sous son patronage, la Comédie italienne s'installe à Paris[76]. Quelque temps avant l'accident de son mari, elle avait assisté avec lui au château de Blois à une représentation de Sophonisbe, composée par Trissin, un initiateur, sur le modèle des tragédies grecques, et traduite de l'italien par Mellin de Saint-Gelais. Elle s'était persuadé que la fin lamentable de l'héroïne, ce suicide imposé par la volonté impitoyable de Scipion, avait, comme un mauvais sort, porté malheur au royaume de France, ainsi qu'il succéda, et désormais elle ne voulut plus voir représenter devant elle que des pièces à dénouement heureux. Elle aurait ainsi, par piété conjugale, inspiré un nouveau genre littéraire.

La première en date des tragi-comédies, la Belle Genièvre, représentée le dimanche gras 13 février 1564, à Fontainebleau, avec l'apparat que l'on sait, est un épisode du Roland furieux, de l'Arioste, adapté au théâtre français par un poète inconnu[77]. Polinesso, duc d'Albany, voulant se venger de Ginevra, fille du roi d'Écosse, dont il n'avait pu se faire aimer, raconte au chevalier Ariodonte, fiancé de la princesse, qu'il est son amant et qu'elle le reçoit la nuit dans sa chambre. Pour l'en convaincre, il le fait cacher près du palais et, lui-même se rapprochant, apparaît à une fenêtre une femme habillée comme Ginevra et qui lui fait un signal de la main. C'était une suivante, Dalinda, maîtresse de Polinesso, qui l'avait décidée, par menaces et par promesses, à revêtir les vêtements de la jeune fille. Ariodonte, désespéré, court se précipiter dans la mer. Le frère d'Ariodonte, Lurcanio, qui par hasard a été témoin de la scène et qui s'y est lui aussi trompé, accuse la fiancée impudique et la fait condamner à être brillée vive. Mais Dalinda, prise de remords, dénonce Polinesso ; et le fourbe est jeté dans le bûcher qu'on avait dressé pour l'innocente princesse. Ariodonte, qui a été sauvé des flots, épouse sa fidèle Ginevra. La pièce se termine heureusement, comme le souhaitait Catherine, par le triomphe de la vertu et le châtiment du crime.

Elle voulait aussi que le théâtre fût moral. Aux représentations de la Comédie italienne, elle riait de bon cœur des niaiseries de Zani (forme vénitienne de Giovanni), l'Auguste de la troupe, et de la sottise de Pantalon, ce vieillard toujours berné par ses enfants et ses valets. Les bouffonneries, parfois gaillardes, ne la choquaient pas. Mais elle condamnait les gravelures. Après qu'elle eut vu jouer à l'Hôtel de Guise, le 28 janvier 1567 (v. s.), le Brave de Jean-Antoine de Baïf qui est une adaptation du Miles Gloriosus de Plaute, elle encouragea l'auteur à mettre sur la scène française l'œuvre de Térence[78]. Mais elle lui recommanda expressément, s'il tenait à lui plaire, de fuir les lascivetés en propos des anciens.

Ce conseil prouve le souci qu'avait la Reine-mère de maintenir autour d'elle un grand air de décence. Elle cherchait à épurer les spectacles et à détourner les écrivains d'imiter l'antiquité jusqu'en son réalisme ordurier. Le fait est que jamais l'art officiel ne se montra aussi chaste que dans cette Cour, qu'il y a des raisons de croire corrompue. Les entremets de Ronsard à Fontainebleau, les cartels, les mascarades, toutes les pièces commandées par Catherine pour l'entrevue de Bayonne parlent d'amour pur et de chasteté victorieuse de l'amour. Elle oubliait donc Laurent de Médicis et l'inspiration sensuelle des canti carnascialeschi, Léon X et le divertissement donné aux cardinaux d'une comédie scabreuse, la Calandra, faite par le cardinal Bibbiena. Mais peut-être estimait-elle qu'une Reine était astreinte à une rigueur morale dont les préjugés de tous les temps, et plus particulièrement ceux de la Renaissance, dispensent les hommes et les rois. Et puis sa Cour était séduisante et ses fils avaient grandi ; double raison de se montrer sévère. Elle eût même désiré que la poésie lyrique se contint en ses écarts de passion. Ronsard, aux environs de la cinquantième année, ne cessait pas de chanter t l'amour, le vin, les banquets dissolus s, avec l'enthousiasme et la fougue d'un jeune homme. Un jour qu'on louait devant Catherine les sonnets de Pétrarque à Laure, elle excita le grand poète, qui était présent, à escrire de pareil stile comme plus conforme à son âge et à la gravité de son sçavoir [79]. Ronsard, déférant à cette invitation royale, choisit, parmi les filles de chambre de la Reine, Hélène de Surgères, d'une noble maison de Saintonge, pour idole d'un culte poétique. Il dédia à cette maîtresse de tout respect cent douze sonnets d'un idéalisme chaste et subtil, mais traversé çà et là d'élans et de cris de passion sensuelle qui montrent que, toujours jeune de cœur, il pétrarquisait à sa façon[80]. Ce fut un nouvel emprunt, après tant d'autres, fait à l'Italie, sur l'indication d'une reine d'origine florentine, et qui fut heureux, puisqu'il inspira un chef-d'œuvre. Il est vrai que le succès de Ronsard sollicita ses successeurs à copier plus que jamais servilement la littérature italienne. Mais Catherine n'est pas responsable de ce pétrarquisme affadi et alambiqué, riche de pointes et pauvre de sentiment, qui sévit jusqu'à Malherbe et même un peu au delà[81].

Les fêtes s'accordaient si bien avec ses goûts qu'elle n'était qu'à moitié sincère quand elle invoquait l'exemple de François Ier et même des empereurs romains pour en justifier la dépense. Celles qu'elle donna au cours de son grand voyage et enfin aux Tuileries en l'honneur de l'ambassade polonaise, qui apportait au duc d'Anjou une couronne royale, dépassèrent en magnificence tout ce qui s'était jamais vu. Elle était trop soucieuse de ménager les habitudes de la noblesse pour abolir d'autorité les joutes et les passes d'armes, bien qu'elle eût juré de n'en permettre jamais despuis qu'elle en vist mourir le roy son mari[82]. Mais elle inaugura des divertissements dont l'Italie lui fournissait le modèle, entremêlant ces plaisirs dangereux avec les spectacles les plus capables de réjouir l'esprit, l'imagination et les yeux. Il y eut donc comme autrefois des combats à pied, à cheval, à la barrière. A Fontainebleau, à l'exemple des Amadis et autres héros des romans de chevalerie, douze Grecs et douze Troyens, s lesquels avoient de longtemps une grande dispute pour l'amour et sur la beauté d'une dame s, vidèrent ce débat les armes à la main, en présence de grands princes, seigneurs, chevaliers et de belles dames... tesmoins et juges de la victoire [83]. Un autre jour, le prince de Condé et le duc de Nemours offrirent le combat à tout venant. Le chenil du château, où ils attendaient les défis, représentait le palais merveilleux d'Apollidon, souverain de l'Ile-Ferme et grand magicien[84]. A l'entrée du champ clos, bordé de larges fossés et de barrières, était un ermitage, dont l'ermite, singulier héraut de bataille, averti par le son d'une clochette, recevait les appelants et allait prévenir les deux tenants, qui ne refusaient personne. Et puis rompoient leurs lances et hors la lice donnoient coups d'épée. Tout cela estoit de l'invention de la Reyne et du brave M. de Sypiere [85]. Pour clore les luttes, le jeune Roi et son frère attaquèrent une tour enchantée où estoient detenues plusieurs belles dames gardées par des furies infernales, de laquelle deux géans d'admirable grandeur estoient les portiers et délivrèrent les prisonnières[86].

A Bayonne, les chevaliers bretons se portèrent champions de l'austère vertu contre les Irlandais, qui soutenaient la cause de l'honnête amour. Le moyen âge reparaissait rajeuni par l'esprit créateur de la Renaissance.

Mais voici les innovations. Là voltent six compagnies de six cavaliers, ici des escadrons, conduits par les plus grands seigneurs et les princes et costumés en Maures, Indiens, Turcs et autres barbares pittoresques, défilent devant les échafauds, recouverts de tapisseries éclatantes et surmontés de classiques architectures, où trône, parmi les dames superbement parées, a Reine-mère toute vêtue de noir. C'est l'origine des carrousels, parades guerrières sans combat[87]. La poésie et la musique étaient associées à ces spectacles. Le jour que le duc d'Anjou festoya le Roi son frère, des sirènes fort bien représentées ès canaux des jardins chantèrent la gloire d'Henri II, ce roi s semblable aux Dieux de façons et de gestes et prédirent à Charles IX :

L'heureuse fin que doit avoir

Un fils nourri de telle mère[88].

Les chevaliers de la Grande-Bretagne et d'Irlande, avant de combattre, disputent de la prééminence de la Vertu ou de l'Amour en un concours de chant avec accompagnement musical.

A Bayonne encore, orchestre sur terre, orchestre sur l'eau. Des Tritons, juchés sur une tortue de mer, sonnent du cornet ; sous les arbres, des Satyres jouent de la flûte. Les neuf Muses sont figurées par neuf trompettes. La Reine-mère renouvelle les ballets de la Cour. Elle a probablement entendu parler de celui que donna François Ier à Amboise, lors du mariage de ses parents[89] où il y avoit soixante-douze (dames) chascune par douzaine, chascune déguisée avec masques et tambourins. Elle reprend cette idée, qui lui est agréable comme souvenir de famille, mais elle y ajoute en ingéniosité et en magnificence. Dans une clairière de l'île d'Aiguemeau, plusieurs groupes de bergers et de bergères, habillés à la mode des divers peuples du royaume, mais tous vêtus de toile d'or et de satin, dansèrent les pas propres à ces pays de France, en s'accompagnant des instruments et des airs de musique indigènes. Aux Tuileries, lors de la réception des ambassadeurs polonais, les seize dames et demoiselles des plus belles et des mieux apprises, qui représentaient les seize provinces, allèrent, leurs danses finies, offrir au Roi, aux Reines, aux princes, aux grands de France et de Pologne des plaques toutes d'or.... bien esmaillées, où étaient figurées les productions singulières de chaque province en fruits et en hommes, oranges et citrons de Provence, vins de Bourgogne, blés de Champagne, gens de guerre de Guyenne, etc.[90] Catherine relevait chaque fois le même thème d'une invention ou d'un détail pittoresque.

Mais elle excellait surtout dans la mise en scène. A Fontainebleau, ce fut l'incendie et l'effondrement d'une tour parmi le crépitement des pétards et l'explosion d'un feu d'artifice. Des sirènes nageaient en chantant dans les canaux des jardins. A Bar-le-Duc, en une grande salle, les quatre Cléments, Terre, Eau, Air et Feu, sur lesquels estoyent le Roy, le duc d'Orléans et deux autres princes, s'avancèrent par engins. Tout au fond, resplendissaient les quatre planètes, Jupiter, Mercure, Saturne et Mars ; les nuées, qui supportaient un Jupiter de chair et d'os, descendirent, et fort bas, sans que personne s'en aperçût[91], c'est-à-dire ne se doutât du ressort qui les faisait mouvoir. Aux Tuileries, le rocher argenté où s'étageaient les seize nymphes de France fit le tour de la salle par parade, comme un quadrille de cavaliers dans un camp. Mais Bayonne fut le triomphe du machinisme. Neptune accourut de la haute mer au-devant du vaisseau du Roi sur un char tiré par trois chevaux marins, assis dans une grande coquille faite de toile d'or sur champ turquin[92]. Déjà en 1550, lors de l'entrée solennelle d'Henri II et de Catherine à Rouen, l'apparition sur les eaux de la Seine de déesses et de dieux marins avait eu un tel succès que cette partie des réjouissances en avait pris le nom de Triomphe de la Rivière[93], mais la Reine-mère y avait ajouté le chant, la poésie, la musique et l'attrait de nouvelles difficultés vaincues. La baleine mécanique que l'escadrille royale croisa dans l'Adour lançait des jets d'eau par ses évents.

L'Opéra avec ses décors, ses ballets, ses chœurs, son orchestre et le défilé des figurants donne une image assez fidèle des spectacles de la Cour. Et c'est en effet de là qu'il tire son origine. Le Ballet comique de la Reine, représenté aux noces de Joyeuse en 1582, est le premier essai en France d'une action scénique, entremêlée de chants, de musique, de danses et illustrée par les artifices du décor[94].

Ah ! la Reine-mère est une merveilleuse organisatrice. Elle se souvient de Florence ; de son carnaval esthétique avec ses troupes de jeunes hommes, vêtus de velours et de soie, qui passaient et repassaient en chantant des odes et des satires ; des cortèges solennels et des réceptions princières[95], ces grands jours de décoration improvisée, où, avec du bois, du plâtre et de la couleur, les rues et les places de la ville étaient transformées, égayées, embellies par le génie inventif et l'imagination joyeuse de la foule des architectes, des sculpteurs et des peintres. A toutes ces manifestations d'art qu'elle a vus de ses yeux ou qu'elle a entendu décrire en son enfance, elle emprunte ce qui s'adapte le mieux aux goûts et aux mœurs de la France et elle y ajoute ce que permettent en éclat, en richesse, en splendeur les ressources d'un des plus puissants royaumes de la chrétienté.

Catherine était, comme le lui reprochait Ronsard, plus artiste que lettrée. Elle appréciait mieux ou elle employait plus volontiers les architectes, les sculpteurs, les peintres, les tapissiers que les poètes. C'est un trait qui lui est commun avec les Médicis, qui tous, sauf Laurent le Magnifique, ce spécimen complet de l'homme de la Renaissance, goûtaient plus vivement les couleurs et les formes que les idées et admiraient la beauté surtout en ses représentations plastiques et concrètes.

Mais, même en ce domaine préféré, où l'impression des merveilles vues à Rome et Florence avec des yeux d'enfant et une imagination toute fraîche a dû être si profonde, Catherine a ressenti à la longue l'influence de sa patrie d'adoption. Quand elle arriva en France, en 1533, la pénétration de l'art français par l'art italo-antique était déjà fort avancée. Un Italien, Le Primatice, architecte et peintre, avait été chargé par François Ier de la direction des grands travaux (1532), et il y occupait nombre de ses compatriotes. Fontainebleau, qu'il transforma en château de la Renaissance et décora de fresques, était le grand centre de diffusion du goût classique. Catherine n'eut donc pas à importer une esthétique nouvelle ; jamais il ne se vit à la Cour de France autant d'artistes et d'artisans de son pays qu'à l'époque où elle était trop jeune encore pour avoir crédit ou pouvoir.

Malgré l'inspiration étrangère, l'art français gardait une partie de ses caractères propres. Les châteaux de la Loire ne ressemblent pas aux palais ni même aux villas italiennes. En sculpture, la tradition réaliste des vieux imagiers se maintenait. L'indépendance de la peinture fut défendue contre les modes d'outremonts parla faveur des portraits, qui ne fut jamais plus grande qu'au XVIe siècle. Il y eut même, sous le règne d'Henri II, une sorte de réaction contre l'accaparement des travaux officiels par les étrangers. Si Catherine, prenant exemple sur François Ier, avait complété et renforcé l'équipe de Fontainebleau, l'idéal des maîtres italiens aurait achevé de comprimer le génie national. Heureusement, elle n'en fit rien et ne se montra pas exclusive. Sans doute elle donna la surintendance des bâtiments, dont Philibert de L'Orme avait été privé pour sa mauvaise administration[96], au Primatice, qu'elle avait depuis dix ans à son service particulier. Mais, en 1564, elle confia la construction des Tuileries au grand architecte français et, à la mort du Primatice (1570)[97], elle lui restitua la surintendance, qu'il garda tant qu'il vécut, et où Jean Bullant lui succéda.

Ces deux Français, chargés de la direction et du contrôle des travaux, cessèrent d'appeler d'Italie des artistes et des ouvriers et ils n'employèrent plus guère depuis 1570 que des Français. Ils étaient aussi fervents admirateurs de l'antiquité que Le Primatice ; mais ils pensaient n'avoir plus besoin d'intermédiaires. L'initiation de leur pays étant accomplie, les initiateurs pouvaient partir. L'art français bien dressé, trop dressé, allait pour un temps se suffire à lui-même et vivre de ses propres moyens. Il est remarquable que son émancipation d'un moment se soit affirmée sous une reine italienne.

L'architecture était de tous les arts celui qui l'intéressait le plus et auquel elle s'entendait le mieux. Aussitôt qu'elle disposa librement des finances de l'État, elle activa les travaux des maisons royales et des siennes. Elle continua le palais Renaissance que François Ier et Henri II avaient entrepris de substituer au Louvre de Charles V. Pierre Lescot acheva ce qu'il avait commencé, la réédification de l'angle sud-ouest, la seule partie du vieux château qui eût été démolie. A ce point de jonction des bâtiments neufs, mais extérieurement à eux, Catherine fit construire ensuite, dans la direction de la Seine, un portique sur lequel s'éleva plus tard la galerie d'Apollon. Elle chargea de ce travail un autre Français, Pierre Chambiges, le descendant des grands maçons de Beauvais. En retrait de ce portique, parallèlement à la rive du fleuve, se développa la galerie actuelle des Antiques[98]. Portique et galerie reposaient sur un soubassement en bossage vermiculé, qui rappelait les blocs rustiques du palais Médicis de la Via Larga et d'autres palais de Florence. Le Primatice, aussi bon architecte que peintre, poursuivit jusqu'à sa mort les travaux de Fontainebleau, où il avait été déjà occupé sous Henri II. La construction de la salle des Gardes, l'agrandissement de la chambre des Poêles ou de l'Étang (au-dessus du Musée chinois actuel) sont la part de Catherine dans l'immense édifice.

Elle chargea Philibert de L'Orme de parachever pour le Roi son fils (Charles IX) Saint-Maur-des-Fossez, qu'il avait construit pour le cardinal du Bellay, et de transformer ce rendez-vous de chasse à un étage, que le Cardinal avait dédié à François Ier et aux Muses, en une cassine (villa) bâtie avec une grande et magnifique excellence... d'une façon bien autre et beaucoup plus riche et logeable et digne — du moins de L'Orme le croyait — de servir de maison de plaisance au château de Vincennes[99]. La Reine-mère avait aussi ses maisons des champs : Monceaux, près de Meaux, dont la construction était assez avancée en 1561 pour qu'elle y reçût la Cour[100] ; — et loin de Paris, dans la région de la Loire, Chenonceau, qu'elle s'était fait céder par Diane de Poitiers. La situation du château dans le lit même du Cher, en partie sur le tablier d'un pont, était originale. Philibert de L'Orme, à qui elle demanda un projet d'agrandissement, lui en soumit un[101] qui aurait fait de Chenonceau une résidence plus splendide que Fontainebleau et que Chambord. Mais Philibert de L'Orme mourut et l'argent manqua ; il fallut se borner. Toutefois, elle affecta aux embellissements qu'elle y entreprit à partir de 1576, outre les revenus du domaine, qui étaient de 1.200 écus d'or, ceux de la baronnie de Levroux[102]. Elle traça des jardins et amena par des canaux souterrains les eaux du voisinage. Ce sera son Poggio à Cajano, avec une rivière abondante, le Cher, au lieu du maigre Umbrone ; et à l'exemple de Laurent de Médicis qui avait fait de sa propriété un champ d'expériences, un musée et un jardin d'acclimatation[103], elle planta des vignes étrangères, établit une magnanerie et une filature de soie, installa une volière d'oiseaux rares et une petite ménagerie d'animaux curieux. Aussi était-ce, de toutes ses maisons des champs, celle laquelle, disait Henri III, elle s'estoit plus qu'à nul autre affectée et delectée.

A Paris, elle avait son logement au Louvre, mais, dès le temps de sa régence, elle se préparait une résidence qui fût toute à elle, pour s'y retirer quand Charles IX, majeur et marié, prendrait le gouvernement de l'État et de la Cour. Elle acheta de Villeroy le lieu dit des Thuileries, sur la rive droite de la Seine, hors de l'enceinte de la ville, mais tout contre la Porte-Neuve, et elle y ajouta en 1564 le Jardin des Cloches. Philibert de L'Orme lui dressa le plan d'un palais à l'italienne : un quadrilatère fermé avec cours intérieures, mais dont la façade s'ouvrait à la française sur des jardins. Mais il n'eut que le temps de construire celui des grands côtés qui faisait face à l'Ouest. Le manque d'argent, la recrudescence des troubles, et l'intérêt qu'avait Catherine à rester au Louvre, près de son fils, la détournèrent d'achever l'œuvre. D'ailleurs, ce qu'elle voulait, c'était moins un palais qu'une villa à l'italienne[104], avec jardins, grottes, eaux courantes et eaux jaillissantes. Les Tuileries furent l'un et l'autre, un château adossé à la ville, où elle ne résida pas, mais où elle se promena, donna des banquets et des fêtes. Le jardin était, raconte un ambassadeur suisse, qui le visita en 1575, très vaste et tout à fait riant... traversé par une longue et large allée, qui était bordée de grands arbres, ormes et sycomores, pour fournir un ombrage aux promeneurs. Il s'y trouvait un labyrinthe fait de main d'homme et combiné avec un art si merveilleux qu'une fois entré il n'est pas aisé d'en sortir ; des fontaines, c'est-à-dire des nymphes et des faunes, couchés, versant l'eau de leur urne[105] ; et aussi une façon de rocher incrusté d'ouvrages en poterie (ex opere figulinario), serpents, coquillages, tortues, lézards, crapauds, grenouilles et oiseaux aquatiques de toutes sortes, qui répandaient de l'eau par leur bouche[106]. C'était une grotte artificielle — encore une importation italienne dont le cardinal de Lorraine avait donné le premier spécimen dans son château de Meudon —, mais que Catherine avait commandée à un Français, Bernard Palissy, l'inventeur des rustiques figulines émaillées[107]. Mais cet ouvrage, que le représentant des Cantons déclarait merveilleux menaçait déjà ruine, et à la mort de Catherine il était tout ruiné. Les desseins de la Reine-mère dépassaient toujours ses ressources.

Et d'ailleurs, elle ne se souciait plus des Tuileries. Elle avait, en 1572, acquis l'Hôtel d'Orléans ou Petit-Nesle, situé rue de Grenelle-Saint-Honoré tout près du Louvre, et qui appartenait à la congrégation des Filles Repenties ; l'Hôtel d'Albret, rue du Four, et plusieurs maisons du voisinage, près de la rue Coquillière. Elle rasa les bâtiments des Filles Repenties, sauf la chapelle, pour en faire un vaste jardin, et, sur l'emplacement de l'Hôtel d'Albret, elle se fit bâtir, par Philibert de L'Orme et Jean Bullant, son Hôtel, l'Hôtel de la Reine, où elle passa les huit ou neuf dernières années de sa vie[108].

C'était un palais français, entre cour et jardin, ouvert largement au soleil, et non le palais italien aux cours intérieures, comme de L'Orme avait commencé d'en bâtir un aux Tuileries. Mais Jean Bullant, grand imitateur de l'antiquité, avait, dans la cour d'honneur, élevé, sur le modèle de la colonne de Marc-Aurèle, et de Trajan, une colonne monumentale de 143 pieds dont il avait d'ailleurs modernisé les larges cannelures, en les parsemant de couronnes de fleurs de lis, de cornes d'abondance, de chiffres, de miroirs brisés et de lacs d'amour déchirés, symboles de la prospérité et du bonheur détruits par la mort d'Henri II[109].

Depuis les premiers temps de sa régence, elle faisait travailler aussi à Saint-Denis, cette nécropole des rois. La chapelle funéraire qu'elle destinait à recevoir le corps de son mari, celui de ses enfants et le sien était un édifice à part, accolé au croisillon septentrional de l'église abbatiale et qui ne communiquait avec elle que par une porte. Elle était de forme circulaire, large de trente mètres de diamètre à la base, haute de deux étages péristyles, et couronnée d'une coupole en retrait que portaient douze colonnes et qu'une lanterne surmontait[110]. L'idée de cette rotonde était du Primatice, que Catherine avait chargé de la construction ; et, en effet, elle devait venir plus naturellement à un Italien, qui avait vu le Panthéon de Rome, le Tempietto de Bramante et les baptistères de Pise et de Florence. Après la mort du Primatice, les travaux furent continués par Jean Bullant et repris enfin par Baptiste Androuet du Cerceau, qui aurait modifié et surtout alourdi le plan primitif.

On voit combien elle était éclectique. Elle employait indifféremment des architectes français ou italiens, comme Henri II et François Ier. Ce qui la distingue de tous les souverains qui ont eu la passion des bâtiments, c'est qu'elle ne se contentait pas de s'intéresser aux travaux et d'intervenir par conseils, désirs et observations. En lui dédiant son Premier Tome de l'Architecture, qui parut en 1567, Philibert de L'Orme admirait comme de plus en plus, disait-il, vostre bon esprit s'y manifeste (dans l'architecture) et reluit quand vous-mesme prenez la peine de protraire et esquicher les bastiments qu'il vous plaist commander estre faicts[111]. Dans le cours de l'ouvrage, il revenait sur cette collaboration de la Reine-mère, laquelle pour son gentil esprit et entendement tres admirable accompagné d'une grande prudence et sagesse a voulu prendre la peine, avec un singulier plaisir, d'ordonner le départiment de son dit Palais (des Tuileries) pour les logis et lieux des salles, antichambres, chambres, cabinets et galleries et me donner les mesures des longueurs et largeurs, lesquelles je mets en exécution en son dit palais, suivant la volunté de Sa Majesté[112].

Elle ne se contentait pas de la beauté un peu froide du style classique. Pour relever et égayer l'aspect des murs, d'abundant, raconte toujours de L'Orme, elle a voulu aussi me commander faire faire plusieurs incrustations de diverses sortes de marbre, de bronze doré et pierres minérales, comme marchasites (marcassites) incrustées sus les pierres de ce pals, qui sont très belles, tant aux faces du palais et par le dedans que par le dehors....

Par cette recherche de l'éclat, elle se distingue de son architecte, partisan d'un art plus sévère. Elle se souvient de San Miniato et de Santa Maria del Fiore, si riants en leur polychromie de marbre. Les chantiers des Tuileries, comme on le voit par l'Inventaire de ses meubles, étaient remplis de marbres de toutes couleurs : noir de Dinan, rouge de Mons, rouge et vert, rouge et blanc, rouge et tanné, blanc et noir, blanc tacheté de jaune, blanc tout tacheté. Au Louvre, le long de la galerie actuelle des Antiques, du côté du Jardin de l'Infante, et dans l'angle de la cour intérieure, ressortent aussi, quoiqu'elles soient ternies par le temps, des tables de marbre, vert, rouge, etc. Au mausolée d'Henri II à Saint-Denis, des masques rougeâtres parmi les bas-reliefs de marbre blanc, le contraste entre le bronze noir des statues symboliques et la blancheur cadavérique des gisants, rompent aussi l'uniformité[113]. C'est, avec le bossage vermiculé de la galerie et du portique qui y est contigu, l'indice du pays d'origine de la Reine-mère, et, pourrait-on dire, sa marque de fabrique.

En sculpture aussi, ses impressions de jeune Florentine expliquent la souplesse de son goût. Il est naturel, qu'elle se soit adressée, pour faire la statue équestre de son mari mort, au sculpteur de génie qui avait, à la Sacristie Neuve de Saint-Laurent, idéalisé l'image de son père. C'est vraisemblablement de cette statue qu'il s'agit dans deux lettres, l'une de l'ambassadeur de France à Rome, Ville-Parisis (31 mai 1564), et l'autre de Catherine (15 juin)[114]. Michel-Ange, qui venait de mourir plus qu'octogénaire, s'était peut-être, malgré sa vieillesse, chargé de cette œuvre[115]. En tout cas, il en avait dressé les portraicts et desseings. Ville-Parisis avait choisi, pour les exécuter, ainsi qu'il l'écrivait à la Reine-mère, un homme qui entend très bien telles besongnes, mais qui malheureusement, s'était trompé sur la quantité de bronze nécessaire. Il fallait faire venir de Venise t pour le plus près s, le complément de métal, et toutefois, Ville-Parisis estimait que tout serait fini pour la my aoust ou environ.

Mais le travail n'alla pas aussi vite que le prévoyait l'ambassadeur et que le désirait Catherine. Le praticien spécialiste étant, dit la Reine-mère, fort subject à l'apoplexie et passant pour le seul homme en la chrétienté capable d'accomplir un pareil ouvrage, il convenait de se hâter avant la crise finale. Daniel de Volterra — car c'est de lui assurément qu'il s'agit — mourut en 1566 et n'eut le temps que de fondre le cheval[116].

Pour couler en bronze son mari, Catherine pensa cette fois à Jean de Bologne, un autre disciple de Michel-Ange et flamand éperdument italianisé. Elle pria le prince de Florence, François de Médicis, dont il était le sculpteur attitré, de le lui prêter pour aller achever à Rome la statue d'Henri II et la mettre en telle perfection qu'elle puisse correspondre à l'excellence d'un cheval qui est jà faict. François refusa de lui donner ce contentement. Le cheval expédié en France attendit vainement son cavalier. Il servit plus tard à une statue équestre de Louis XIII, qui, dressée place Royale, fut brisée en 1793.

Ce n'est pas la seule preuve de l'admiration de Catherine pour Michel-Ange. Ayant su qu'un médecin de Rome voulait vendre l'Adonis l'Adonis mourant, — qui est si beau, disait-elle (elle l'avait donc vu en sa jeunesse), elle écrivait au comte de Tournon, son ambassadeur près du pape, de s'enquérir du prix, offrant même, si c'était nécessaire, de donner au vendeur un bénéfice ecclésiastique[117].

Mais les travaux de Saint-Denis permirent à Catherine d'apprécier à sa valeur la sculpture française.

Elle avait entrepris d'ériger à Henri II dans la chapelle des Valois un monument funéraire comparable à ceux de ses prédécesseurs immédiats, François Ier et Louis XII. Le Primatice, sans parti pris, avait commandé les bas-reliefs et les figures à des Italiens ou des Français, Dominique Florentin, Jérôme della Robbia, Germain Pilon, Ponce Jacquino, Laurent Regnauldin, François Roussel. Mais tous, sauf Germain Pilon, moururent avant d'avoir achevé ou même commencé leur tâche. Germain Pilon continua ou reprit l'œuvre de ses compagnons, et c'est lui qui est, on peut le dire, le principal ou même l'unique sculpteur du mausolée d'Henri II. Comme dans les grands tombeaux de l'époque, Henri II et Catherine de Médicis sont représentés deux fois : en bas, morts et nus ; en haut, sur la plate-forme, revêtus du costume royal et priant. Les gisants sont de marbre et les orants de bronze ; ils sont les uns et les autres de Germain Pilon.

Le cadavre d'Henri II accuse de la raideur et de l'affaissement, mais sans excès de réalisme ; et sa belle tête renversée sur un coussin fait penser à celle du Christ de Holbein[118]. Le corps de la Reine montre les formes pleines et jeunes encore d'une femme de quarante ans, l'âge qu'elle avait lors de la mort de son mari[119]. Les orants représentent les souverains en leur majesté, agenouillés sur des prie-Dieu, qui ont disparu. Catherine est ressemblante et n'est pas laide. Son manteau de cérémonie laisse voir la taille bien prise sous un corsage semé de pierreries. Henri est drapé dans le grand manteau fleurdelisé, d'où ressort son visage aux traits nobles, à la physionomie fermée d'homme têtu. A l'exemple des vieux imagiers, Germain Pilon réalisait l'art dans la vérité.

Aux angles de cet édicule de marbre, quatre figures de femmes en bronze noir symbolisent les vertus cardinales : Tempérance, Prudence, Force, Justice. C'est, avec l'architecture du monument, la part de l'influence italo-classique[120].

Idéalisées aussi à la mode de la Renaissance, les trois cariatides, court vêtues en leur tunique de chasseresses, qui représentent les Vertus théologales, et portent sur leur tête l'urne de bronze où étaient unis dans la mort comme dans la vie les cœurs d'Henri II et du connétable de Montmorency[121].

Catherine était capable de comprendre le grand artiste en qui se conciliaient la tradition française et l'inspiration nouvelle. Elle était d'une ville, Florence, où les ouvriers du marbre et du bronze, Donatello, Verrocchio, les Rossellino, Luca della Robbia et même Mino de Fiesole — en laissant à part Michel-Ange qui trône dans l'isolement du génie — ont toujours suivi de plus près la nature que les autres Italiens. Aussi Germain Pilon fut-il son sculpteur favori, peut-être parce que, sans y penser, elle retrouvait en lui sa conception atavique de l'art. Elle se fit représenter par lui en 1583 avec son mari, en gisants de marbre, étendus sur des matelas de bronze, mais cette fois couronne en tête, en costume du sacre. Cette œuvre très réaliste reproduit avec une scrupuleuse fidélité le détail des étoffes, des ornements et des vêtements d'apparat. La tête de Catherine est d'une vérité frappante : c'est peut-être le portrait le plus exact qu'on ait d'elle en sa vieillesse : figure hommasse et empâtée, menton court doublé d'un collier de graisse, front fuyant.

Elle lui commanda aussi, pour décorer la chapelle de son hôtel, une Annonciation, et c'est pour elle aussi qu'il sculpta et peignit cette admirable Pieta de pierre, aujourd'hui au Louvre, où, dans la figure amaigrie de la mère de Dieu, l'humain et le divin transparaissent et se fondent dans l'expression de la douleur[122].

Il y avait encore plus loin des Clouet aux peintres italiens que de Germain Pilon à Verrocchio et à Donatello, et cependant Catherine se fit portraiturer par les uns et les autres. Il est vrai qu'en 1541 elle faisait demander à Paul III par le nonce un portrait de Donna Giuli, qu'elle avait vu, étant enfant, dans la chambre du cardinal Hippolyte de Médicis et pour lequel elle s'était sentie prise d’amour[123]. Mais était-ce pour la beauté de la dame ou le mérite du peintre, Sébastien del Piombo ? Il est plus significatif qu'en 1557 elle ait écrit au cardinal Strozzi, son cousin, pour lui demander un peintre qui saiche, disait-elle, bien peindre au vif et lui ferez faire vostre pourtraict ou de quelque autre que je cognoisse et le m'envoyez à ce que, si je le trouve bon et bien faict, vous m'envoyez le dit personnaige pour qu'il serve par deça[124]. Mais cette demande ne prouve pas nécessairement qu'elle préférât la manière idéaliste des portraitistes italiens à celle des portraitistes flamands. Elle s'était déjà fait peindre à cette époque par François Clouet[125] et voulait se voir tout autre : fantaisie de femme ou désir de faire cadeau à ses amis d'Italie d'un portrait à leur goût et à leur mode. Mais elle n'a pas probablement insisté ; et en effet il y a d'elle beaucoup de portraits français et très peu de portraits italiens.

Une iconographie critique de Catherine de Médicis en fournirait une preuve décisive[126] ; mais elle est difficile. Catherine a été représentée tant de fois et de tant de manières, peintures, fresques, dessins, émaux, cires, aujourd'hui dispersés, qu'il faudrait aller la chercher dans tous les musées de France et d'Europe et dans les collections des princes et des particuliers. Pour ce qui est des portraits peints, ils sont, pour la plupart, d'auteurs inconnus, et, en attendant de les identifier et de les dater, si c'est possible, il faut se contenter de les grouper par écoles. Il y a à Poggio à Cajano un portrait que l'on donne comme celui de Catherine enfant. Il représente une jeune fille de quatorze ou quinze ans, qui n'est pas laide, coiffée d'un diadème de perles et couverte d'un riche manteau[127]. Bouchot s'amuse fort de cette princesse moldave, et tout au plus accorde-t-il qu'un peintre inconnu ait voulu donner un pendant au portrait romantique du cardinal Hippolyte peint par le Titien. Mais pourtant il ne faudrait pas oublier que Vasari, à la veille du mariage de Catherine, fit d'elle un portrait destiné à la Cour de France et au futur époux et qu'il a dû dissimuler les misères de l'âge ingrat[128]. On n'y reconnaît pas sa manière ; mais, à l'époque où il peignit la fiancée, il n'avait que vingt et un ans et n'était pas encore lui-même. Il est d'ailleurs à remarquer que cette Catherine ressemble assez à elle que Vasari a peinte au Palazzo Vecchio dans la fresque des épousailles.

Le portrait publié par Alberi, en tête de sa Vie de Catherine de Médicis — avec ses fleurs dans les cheveux — n'est certainement ni de Catherine de Médicis, ni peut-être même du XVIe siècle. Il y a d'elle aux Uffizi un assez beau portrait que le catalogue (n° 40) attribue à Santi di Tito, un peintre florentin, qui vécut de 1536 à 1605. La figure est assez vulgaire, mais les lèvres sont fines et l'air intelligent. Catherine est assise sur un fauteuil à haut dossier ; elle est en demi-deuil, manches à gigot rayées noir et blanc. Elle parait âgée de quarante à quarante-cinq ans. Mais Santi di Tito est-il venu en France ?[129] Un autre Italien, mais inconnu, l'a peinte en sa vieillesse, peut-être d'après un portrait de l'école française[130].

A ces trois ou quatre peintures se réduit l'apport de l'art italien. Il n'y a pas d'autre image d'elle à Florence et à Rome qui ait été faite par ses compatriotes. Mais elle a été représentée à tous les âges et de toutes façons par les peintres français. Les musées de Florence sont particulièrement riches en portraits, qui sont incontestablement de l'école de Clouet. Il y en a trois dans la galerie qui va des Uffizi au palais Pitti et dont l'un, — celui de Catherine vers trente ans, — est comparable aux plus authentiques chefs-d'œuvre de François Clouet, à l'Élisabeth d'Autriche du Louvre et au Charles IX du Musée impérial de Vienne. La jeune Reine est debout en costume d'apparat, avec une coiffe de perles, un collier de perles, une robe brun mordoré et un jupon rose éteint tout quadrillé de perles, une lourde cordelière entremêlée de perles et d'or. De son manteau il n'apparaît que l'hermine, qui recouvre presque tout le bras, et qui rompt de sa blancheur les manches à bouillons longitudinaux, entrelacés aussi de carrés de perles. Les mains, les belles mains, ressortent longues et fines, la droite tenant un éventail aux plumes blanches en panache.

Il y a des médaillons d'elle, enluminés ou peints sur parchemin ou sur émail, dans son Livre d'heures qui est au Louvre, dans la salle des miniatures et des pastels aux Uffizi, dans le Musée impérial et le Trésor impérial de Vienne[131]. Ils sont tous de la manière de Clouet inimitable en ces œuvres ténues. Nombreux aussi sont les dessins de la même école au crayon noir ou au crayon de couleur. Mais à mesure qu'elle vieillissait, l'image ressemblait moins au modèle. Les portraitistes du crayon, les Caron, les Du Monstier, les Quesnel, disciples infidèles de Clouet, prêtèrent à cette femme grosse et lourde les formes, que sous le vêtement on devine élancées, de la Diane de Poitiers sculptée nue par Jean Goujon. L'esprit courtisan aidait à ces mensonges de l'idéalisme classique. Mais ce n'est pas un indice des goûts de Catherine. Il y a aux Uffizi, à Florence, un portrait peint, qui la représente en sa vieillesse, épaissie par l'âge, avec de gros yeux à fleur de tête et de grosses lèvres rouges, vêtue toute de noir, sauf la guimpe blanche, assise sur un siège noir, entre deux rideaux noirs, sur un fond de tapisserie noire. Après avoir vu ce beau portrait réaliste, on s'étonne que Bouchot puisse dire qu'elle voulait être représentée, non telle qu'elle était, mais telle qu'elle aurait voulu être[132].

Son goût était bien plus large. L'Inventaire qui fut dressé après sa mort mentionne des tableaux d'inspiration religieuse ou antique : une Charité (?), l'Enfant prodigue, le Jugement de Salomon, l'Histoire d'Esther et d'Assuérus, l'Histoire d'Orphée, une Vénus, le Ravissement d'Hélène et qui, tous, étaient probablement traités à la mode italo-classique ; mais Catherine ne méprisait pas, comme on le voit par le même Inventaire, la peinture de genre, où les Flamands excellaient déjà, ces scènes d'intérieur ou de cabaret, avec de petits bonshommes très réalistes que le grand Roi qualifiera plus tard, sujets compris, de magots. Elle a en son Hôtel pour en égayer les murs des drolleries de Flandres, une cuisinière (est-ce une cuisine ou simplement une rôtissoire ?)[133], le groupe d'un barbet, d'une drollerie et d'une cuisinière de Flandres, et trente-six petits tableaux peints sur bois, avec leurs châssis, de divers paisages et personnages[134], qui paraissent de même caractère. Elle tapisse son cabinet de travail de vingt tableaux de paisages peintz sur toile attachez avec des doux. Or, comme on le sait, le paysage pour le paysage, le paysage qui n'est pas simplement un décor, ce n'est pas, à cette époque, un genre en faveur ni même en usage parmi les peintres italiens ou français. La Florentine n'a point de parti pris contre l'art du Nord.

Les émaux de Léonard Limousin empruntent leurs sujets à la mythologie et à la réalité. Ils montrent la Cour de France et l'Olympe ; ils sont antiques et ils sont contemporains. Catherine avait fait enchâsser dans les lambris trente-neuf petits tableaux d'émail de Limoges en forme ovale et trente-deux portraits d'environ ung pied de hault de divers princes, seigneurs et dames[135]. D'autres pièces d'émail, transportables, celles-là, étaient enfermées dans des bahuts : cent quarante ici, quarante-huit là[136].

Bernard Palissy, l'illustre potier, que la Reine a employé à la grotte des Tuileries, ne connaissait guère l'antiquité ; et même, comme il pratiquait un art que Rome et la Grèce ignoraient, il en faisait fi : Je n'ai point d'autre livre, déclare-t-il, que le ciel et la terre.

Mais ce qui prouve mieux encore l'éclectisme de Catherine, ce sont deux séries de tapisseries, dont l'une est représentée par de nombreuses répliques au Garde-meuble de Paris, et dont l'autre existe en original au Musée archéologique (section des Arazzi) et aux Uffizi de Florence. Elles sont une illustration du règne de Catherine et quelquefois des mêmes événements, qu'elles interprètent de la façon la plus différente.

La série du garde-meuble est d'inspiration toute classique. Son premier auteur est un bourgeois de Paris, Nicolas Houel, ancien marchand apothicaire et épicier enrichi par son négoce, et qui devint plus tard intendant et gouverneur de la maison de la Charité chrétienne establie es Faubourg Saint-Marcel[137]. Il écrivait, collectionnait, achetait, probablement revendait des tableaux, et par là se trouvait en rapport avec des personnes de toutes conditions. L'idée lui vint, comme il le raconte lui-même, de dresser un dessin de peinture qui pût servir de patron à beaucoup d'ouvriers vraisemblablement des tapissiers — et d'y joindre un peu d'escriture pour en donner plus claire intelligence. Des personnages de sçavoir l'engagèrent à traiter l'histoire d'Artémise, femme de Mausole, c'est-à-dire, sous un autre nom, celle de Catherine de Médicis, une veuve inconsolable elle aussi et qui, comme Artémise, élevait à son mari mort un mausolée. Après quelque hésitation, il composa la légende, comptant, pour l'illustrer, sur les amis qu'il avait parmi les plus excellents peintres et sculpteurs. Ce double travail allait son train, mais Houel ne savait comment ni par qui le faire exécuter en tapisserie. Un jour qu'il était dans ces alteres (angoisses), il fut ébahi de voir entrer en son logis la Reine-mère, qui venait examiner quelques pièces de son cabinet et quelques peintures des meilleurs ouvriers de France. Il en profita pour lui montrer la minute de ses Histoires avec plusieurs cartons de peinture, que la royale visiteuse trouva véritablement fort beaux. Elle prit plaisir à entendre ses explications et à regarder ses dessins, et elle l'encouragea à pousser activement son travail. Bientôt il put aller lui présenter les deux premiers livres de ses Histoires et les illustrations faictes par des premiers hommes tant de l'Italie que de la France pour faire de belles et riches peintures à tapisseries pour l'ornement de ses maisons. Elle approuva le projet et le fit exécuter dans son château du Louvre par la manufacture de tapisseries de la Couronne[138].

Il y a au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale trente-neuf de ces cartons pour tapissiers, avec des légendes explicatives en vers, de Nicolas Houel[139]. Mais des tentures faites d'après ces dessins pour Catherine de Médicis, il n'en reste probablement aucune. Les tapisseries qui se trouvent au Garde-meuble, au Louvre, à Fontainebleau, et ailleurs, et qui représentent les hauts faits d'Artémise, son gouvernement glorieux et l'éducation de son jeune fils, le roi Lygdamis, sont du XVIIe siècle. La régence de Marie de Médicis, et même plus tard celle d'Anne d'Autriche, prêtaient avec quelque complaisance aux mêmes comparaisons. On reproduisit, avec les variantes nécessaires, quelques-uns des anciens cartons ; on en élimina d'autres ; on en fit de nouveaux, qui furent la Suite de la reine Artémise. Sur ces modèles, que les minorités de Louis XIII et de Louis XIV remirent deux fois à la mode, on fabriqua des tapisseries pendant tout un demi-siècle, et même jusqu'en 1664.

Il ne saurait être question ici que des cartons commandés par Nicolas Houel. Ils racontent, en une succession de tableaux, l'histoire d'Artémise, régente du royaume de Carie pendant la minorité de son fils. C'est le triomphe des obsèques de Mausole, ce mari tendrement aimé, et tout le détail de ce triomphe : cortèges de prêtres, d'enfants et de femmes, concerts funéraires, défilés de chars et défilés de guerriers portant les dépouilles opimes des nations vaincues, éloge funèbre, brûlement du corps et sacrifices, construction du temple destiné à recevoir les cendres royales ; — c'est la réunion des États du royaume et la proclamation d'Artémise comme régente ; — c'est l'instruction que la Reine-mère donne à son fils Lygdamis tant aux lettres qu'aux armes ; — ce sont les combats qu'elle livre et les victoires qu'elle remporte sur les Rhodiens révoltés ; — et ce sont aussi les œuvres de la paix, ses constructions, ses jardins, ses ménageries, ses palais. Costumes, armes et armures, jeux, cérémonies, bâtiments, tout est antique, grec ou plutôt romain, car les artistes de ce temps ne voyaient la Grèce qu'à travers Rome.

Mais, sous ce travesti, Houel et ses collaborateurs ont voulu représenter des événements et des personnages de leur temps. Vous verrez, dit-il à Catherine, le sepulchre qu'Artémise a dressé à Mausole et qui a servi longtemps de merveille à tout le monde. Ce qui a esté de nostre temps renouvellé en vous après la mort du feu roy Henry vostre époux. L'éducation de Lygdamis la fera ressouvenir de celle qu'elle a donnée à ses enfants, et l'assemblée des États généraux cariens, des représentants des trois ordres de France réunis à Orléans. La défaite des Rhodiens — ces insulaires assimilés aux protestants de La Rochelle et des îles adjacentes, lui rappellera ses cinq victoires sur ses sujets rebelles et le pardon qu'elle leur avait accordé. Les édifices construits par la Reine de Carie, tant à Rhodes qu'à Halicarnasse, étaient un prototype des Tuileries et des châteaux de Saint-Maur, de Monceaux, etc. La comparaison allait tellement de soi, remarquait Houel, qu'on diroit que nostre siècle est la révolution de cet antique et premier soubs lequel régnoit cette bonne princesse Artemyse. Aussi le principal but de mon entreprise a esté de vous représenter en elle et de monstrer la conformité qu'il y a de son siècle au nostre.

Les artistes que Nicolas Houel avait employés avaient une telle superstition de l'art antique qu'ils n'en imaginaient point d'autre. Français ou Italiens, ils appartenaient, c'est Houel qui le dit, à cette école de Fontainebleau, dont le maître était Le Primatice. Les dessins ayant été terminés entre août et novembre 1570[140], Le Primatice, qui venait à peine de mourir, a pu inspirer l'œuvre et même y travailler. C'est, en tout cas, un de ses élèves, Antoine Caron, de Beauvais, (1521-1599), qui passe pour être l'auteur de presque tous les cartons du Cabinet des Estampes[141]. Lui et ses collaborateurs ont placé dans un décor et traduit en une forme antique des faits tout contemporains : attaques de places fortes, tournois, luttes corps à corps, combats à pied et à cheval, funérailles d'Henri II. Ils ont trouvé tout naturel d'identifier la Reine de France à la Reine de Carie, que séparaient vingt siècles et plusieurs civilisations, et de s'inspirer des Triomphes de Jules César, cette reconstitution de l'ancienne Rome par Mantegna, pour illustrer l'histoire de Charles IX et de la Régente, sa mère.

Mais il est remarquable que Catherine ne se soit pas contentée de ce travesti et qu'elle ait commandé aux ateliers de Bruxelles ou d'Enghien[142] une interprétation réaliste des épisodes les plus brillants de son gouvernement. Les tentures de Florence reproduisent les costumes, les armes, les combats, les divertissements et les personnages du temps avec une scrupuleuse fidélité. Elles sont, contrairement à ce qu'on continue de croire, la fixation par l'image des grandes fêtes que Catherine avait données à Fontainebleau, à Bayonne, aux Tuileries, et qu'elle considérait comme une de ses gloires[143]. En ces huit tapisseries éclatantes de couleur se succèdent les spectacles du Tour de France : voyage de la Cour, joutes sur terre et sur l'eau, concerts, tournois et cavalcades, et, pour finir, dans le décor du jardin des Tuileries, les danses en l'honneur de l'ambassade polonaise qui apporta une couronne au duc d'Anjou. L'antiquité fournit les accessoires d'ornementation, chars, statues, allégories et dieux, mais les paysages et les villes sont de France ; les figures, les vêtements, les plaisirs et les luttes, du XVIe siècle. Bien en vue sont placés, spectateurs ou acteurs, les fils et les filles de la Reine, ressemblants comme des portraits peints. Elle, toute vêtue de noir comme de coutume, préside à ces plaisirs et semble les animer du regard.

Ainsi, pour perpétuer la mémoire de ces magnificences, elle les avait fait représenter en deux styles, l'un conventionnel et symbolique, l'autre rigoureusement conforme à la vérité. Elle était Artémise et elle était Catherine, et, sans s'arrêter à une formule d'art, suivait indifféremment les traditions réalistes ou les inspirations néo-classiques.

En 1580 ou 1581 elle quitta le Louvre et s'installa dans l'hôtel qu'elle venait de se faire construire rue Saint-Honoré. Elle voulait avoir sa maison à elle, où plus commodément qu'au Louvre, et loin du voisinage des favoris, elle passerait les dernières années de sa vie — celles dont il nous reste à raconter l'histoire politique — pendant les séjours qu'elle faisait à Paris dans l'intervalle de ses voyages et de ses villégiatures. Peut-être aussi tenait-elle à faire croire qu'elle s'effaçait et laissait enfin le roi régner par lui-même. Mais il n'y avait pas loin du Louvre à son palais, et si elle sacrifiait, dans l'intérêt de son fils, les apparences du pouvoir, elle espérait bien en garder la réalité. Elle y vécut en souveraine, ayant ses dames, ses demoiselles, ses maîtres d'hôtel, ses pannetiers, ses échansons, ses écuyers d'écurie, ses gens du Conseil, ses secrétaires, ses nains et ses naines, bref une Cour[144], où elle maintenait le même cérémonial et la même étiquette qu'au Louvre.

Grâce à l'Inventaire[145], qui fut dressé immédiatement après sa mort, des collections, des objets d'art et des meubles qu'elle y avait accumulés, il est relativement facile d'entrer plus avant dans ses habitudes, ses goûts et l'intimité de sa vie. Il y manque tout ce qu'elle avait emporté à Blois, où elle était alors, c'est-à-dire son linge, ses vêtements, son argenterie, ses bijoux ; mais il en reste assez pour la revoir en son milieu. Elle s'y était entourée de souvenirs. Au premier, dans le grand salon en façade qui occupait toute la longueur de l'Hôtel, trente-neuf portraits représentaient les rois, les reines, les fils et les filles de France, depuis François Ier, ainsi que les souverains apparentés ou alliés à la maison royale. Au bout de cette galerie, deux cabinets, complétant cet assemblage familial, montraient, celui de droite, Catherine au milieu des Médicis, celui de gauche, sa mère, Madeleine, Elisabeth d'Autriche, sa bru, et les deux infantes d'Espagne, ses petites-filles.

On voit que, comme aux Tuileries, la Reine n'avait pas abandonné à l'architecte seul le département des logis. Il y avait une chambre des Miroirs, qui est comme la première ébauche, en raccourci, du salon des Glaces de Versailles ; un cabinet des Émaux, où étaient enchassez dans le lambris de petits tableaux d'émail, parmi lesquels trente-deux portraits, d'environ un pied de haut, de divers princes, seigneurs et dames.

Son cabinet de travail était entouré d'armoires, pleines d'objets familiers. Elle y avait sa bibliothèque particulière — sa grande bibliothèque et les manuscrits étant logés non loin de là, rue de la Plâtrière, sous la surveillance de l'abbé de Bellebranche. L'Inventaire nomme parmi ces ouvrages de chevet : Les Abus du Monde, de Gringore, le Calendrier grégorien, le Livre des Sibylles, une Généalogie des comtes de Boulogne et une Origine et succession des comtes de Boulogne[146], et en signale d'autres sans en donner le titre. Il mentionne aussi deux bahuts pleins de livres, que, faute de clef, on ne put ouvrir[147]. Il est naturel que Catherine eût sous la main l'histoire et le tableau de ses ancêtres maternels pour s'en prévaloir à l'occasion. Mais le Livre des Sibylles trahit sa faiblesse pour l'art divinatoire. La Sotie de Gringore, qui était peut-être un don de Marguerite de Navarre ou de Marguerite de France, permet de supposer qu'elle a dû s'égayer, du moins en sa jeunesse, des lourdes plaisanteries du vieux poète sur la corruption de l'Église romaine. Quel malheur pour l'intelligence de sa psychologie que les commissaires chargés d'inventorier ne se soient pas donné la peine de cataloguer nommément tous les volumes accessibles et qu'ils aient craint ou négligé de forcer la serrure des armoires closes !

Heureusement, ils ont eu le soin de détailler les cartes géographiques que la Reine avait en sa possession. Le nombre en est surprenant, même pour l'homme d'État que fut cette femme. Il s'en trouve des quatre parties du monde alors connues, Europe, Asie, Afrique, Amérique, et des pays à qui elle eut particulièrement affaire, l'Angleterre, l'Espagne, les Pays-Bas, l'Allemagne. Elle a en double exemplaire la région de l'Amérique du Nord, Canada et Terre-Neuve, dont les rivages et les bancs sous-marins étaient depuis si longtemps exploités par les pêcheurs bretons et basques que la partie de l'Atlantique qui la baigne est, dans la Mappemonde d'Henri II, dénommée Mer de France. Qu'elle ait voulu avoir sous les yeux cette Nouvelle France, dont Coligny tenta deux fois de reculer la limite au sud aux dépens des Espagnols, rien de plus compréhensible. Mais il faut d'autres raisons pour expliquer qu'on trouve dans ce recueil la Guinée, les Indes occidentales et orientales, l'Éthiopie et le pays du prêtre Jean. Il est permis de supposer que Catherine s'est toujours intéressée aux découvertes géographiques et qu'elle rechercha les moyens d'en suivre le progrès. Son éducation scientifique, qui la distinguait entre les autres princesses de la Renaissance, avait élargi le champ de sa curiosité. Elle avait même des cartes des vents. Son astrologie comportait quelque connaissance de la cosmographie : c'est le ciel, l'air et la terre qui attiraient également cette Reine de science[148].

Elle avait des pays connus par les cartes et les livres des souvenirs divers : peaux de crocodiles pendues au plafond, caméléon, branche s de corail, tapis des Flandres, tapis de Turquie, de Perse (chérins), laques de Chine : c'était une grande collectionneuse.

On croit à tort que les bibelots sont une manie contemporaine ; le cabinet de Catherine en est plein. Il y a, bien en vue, sur une tablette, douze pièces de cristal de roche, parmi lesquelles trois grandes coquilles, ou gondoles, sur pieds d'or émaillés, et, dans les armoires, des éventails en cuir du Levant, de la soie pour faire des turbans, six poupines (poupées) en habits de deuil, en vêtements noirs, en costumes de demoiselles (nobles), des pots de senteur, des masques et des verreries de Venise, des laques de Chine, une quenouille de bois de crotelle ? un damier de bois de rose, un échiquier de nacre de perles, quatre petits canons, des jeux de jonchets, de regnard et de billard, plusieurs écritoires, enfin un nombre si considérable d'objets d'art et de curiosité, que l'éditeur de l'Inventaire a renoncé à en faire même une énumération sommaire.

Tous les appartements et même les greniers de l'Hôtel étaient remplis de meubles de toute sorte, et comme il n'est pas alors d'usage de garnir d'étoffe et de rembourrer les bancs et les chaises, la Reine-mère a cinq cents coussins de laine, de velours et de soie pour transformer en sièges moelleux les bois les plus durs.

Cent trente-cinq tableaux et trois cent quarante et un portraits illustrent les diverses pièces du logis. Catherine peut contempler, quelquefois en plusieurs répliques, l'image des siens et d'autres chefs de la chrétienté. Elle vit et se meut dans une atmosphère de grandeur.

Pour ses fêtes, ses bâtiments, ses collections et ses dons, elle dépensait des sommes immenses. A Bayonne, les tournois, les banquets, les joutes sur terre et sur mer coûtèrent si cher qu'il y eut quelques murmures. Elle disait pour se justifier qu'elle vouloit monstrer à l'estranger que la France n'estoit si totalement rüynée et pauvre à cause des guerres passées qu'il l'estimoit. Souvent aussi elle alléguait l'exemple des empereurs romains, qui s'estudioient d'exhiber des jeux au peuple et luy donner du plaisir pour l'empêcher de mal faire. Mais elle n'avait pas besoin de chercher ses raisons si loin.

Tout enfant, elle avait la réputation d'être dépensière et libérale. Ses appétits de magnificence s'ajoutant aux charges du gouvernement et des guerres civiles, le trésor, à la mort de Charles IX, était vide, et toute la matière imposable imposée. Inquiète de la détresse de l’Etat, elle recommanda à Henri III de regarder de très près à ses finances, mais Henri III aima mieux suivre son exemple que ses conseils. Elle n'était pas meilleure ménagère de ses propres revenus[149]. Elle ne savait rien refuser à qui la sollicitait et, par exemple, faisait don d'une coupe de bois à un gentilhomme qu'elle ne pouvait gratifier d'un secours d'argent. Longtemps l'abbé de Plainpied, son intendant, s'efforça de contenir les profusions de cette mère prodigue, mais, lui mort, elle cessa de compter. Elle avait près d'elle des nains et des naines, comme les autres souverains, mais ce que seule elle faisait, à ce qu'il semble, c'était d'entretenir des gouverneurs, des gouvernantes, un aumônier pour ces êtres disgraciés, de les marier à grands frais et de leur faire des cadeaux, quand ils allaient à confesse.

Elle empruntait à tous les taux l'argent nécessaire à ses fantaisies, à son luxe, à ses besoins, et, cette ressource même lui manquant, elle engageait d'avance ses revenus, et payait irrégulièrement ou ne payait pas les gages des officiers de sa maison et de ses dames. A sa mort elle devait huit cent mille écus, environ vingt millions de notre temps, et n'avait pas un sol. Elle riait de ses embarras, disant à ses financiers qu'il falloit louer Dieu du tout et trouver de quoy vivre[150]. C'est à peu près le mot qu'on prête à son grand-oncle, Léon X : Godiamo il papato, poiche Dio ci l'ha datoJouissons de la papauté, puisque Dieu nous l'a donnée.

 

 

 



[1] Il est juste toutefois d'excepter l'ouvrage de Bouchot, Catherine de Médicis, Paris, 1899.

[2] Au Louvre, salle X, n° 5030, portrait peint de Catherine de Médicis. A Chantilly, Musée Condé, n° 458, crayon de François Clouet, mort en 1572. A Florence, dans le couloir des Uffizi au palais Pitti, côté Pitti, n° 59, un portrait de Catherine de Médicis en sa vieillesse. Il y a aussi au Musée des Uffizi, dans la salle des Miniatures et Pastels, n° 3380, douze médaillons représentant les principaux membres de la famille des Valois. Catherine y a, comme les autres personnages, les yeux bleus, mais c'est évidemment une couleur de convention.

[3] Brantôme, VII, p. 346. L'arbalète à jalet servait à lancer soit des jalets (c'est-à-dire des petits cailloux ronds ou galets), soit des balles de plomb ou d'argile. Une arbalète de Catherine en ébène et damasquinée d'or est au Musée d'artillerie.

[4] Brantôme, p. 374.

[5] Brantôme, p. 347.

[6] Bonnaffé, Inventaire des meubles de Catherine de Médicis en 1589, Paris, 1874, p. 101 et 108, notes. Sur Frédéric de Vinciolo, voir G. d'Adda, Essai bibliographique sur les anciens modèles de lingerie, de dentelles, de tapisserie (Gazette des Beaux-Arts, Paris, 1864, P. 425-426).

[7] L'Estoile, juin 1575, I, p. 64.

[8] Lettres, t. IX, p. 103, 2 décembre 1586.

[9] Lettres, t. VIII, p. 341, note 1 (entre le 11 et le 23 juillet).

[10] Lettres, t. VIII, p. 352, 14 septembre 1585.

[11] Chap. V, p. 142-144.

[12] Brantôme, Œuvres, éd. Lalanne, t. II, p. 269.

[13] Voir plus haut, chap. II : Dauphine et Reine.

[14] Brantôme, Œuvres, éd. Lalanne, t. VI, p. 117.

[15] Il y dicta du 18 au 21 décembre son testament, qu'on trouvera en appendice dans la Vie de Jean de Ferrières, vidame de Chartres, seigneur de Maligny, par un membre de la Société des Sciences historiques et naturelles de l'Yonne (comte Léon de Bastard), Auxerre, 1858, p. 211-228. Sur sa demi-captivité, voir p. 212.

[16] Peut-être en voulut-elle au Vidame d'avoir pris parti pour les princes du sang, dont les droits étaient destructifs de ceux des reines-mères. Elle dut trouver que, pour un favori en expectative, il comprenait bien mal ses intérêts. Elle le jugea un sot et le lui fit rudement sentir.

[17] Additions de J. Le Laboureur aux Mémoires de Mesure Michel de Castelnau, seigneur de Mauvissière, 1659, t. I, p. 291-292.

[18] Dom Hyacinthe Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, 1742-1746, t. III, col. 1439-1440.

[19] Dom Hyacinthe Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, 1742-1746, t. III, col. 1442-1443.

[20] J. Pommerol en a tiré un roman historique agréable, qu'il a présenté pour aider à l'illusion comme un travail d'archives, Revue de Paris, 1er mars 1908, p. 1-50 : Messieurs les gens de Morlaix.

[21] Voir ch. VIII, p. 63-68.

[22] Lettres, t. X, app., p. 523.

[23] 17 mai 1579, Lettres, t. VI, p. 366.

[24] Lettres, t. VI, p. 132 ; t. VII, p. 47, 75, 239 et passim.

[25] Lettres, t. IX, app., p. 497.

[26] La liste des gentilshommes servants se trouve en appendice, Lettres, t. X, p. 519-523. Elle est à peu près complète, voir note de l'éditeur (Comte Baguenault de Puchesse), p. 538, 3.

[27] Catherine à La Mothe-Fénelon, ambassadeur de France en Angleterre, 29 juillet 1575, Lettres, t. V. p. 127 et 129.

[28] Albert de Gondi, duc de Retz, et maréchal de France, particulièrement cher à Charles IX, dont il avait été le gouverneur. Il n'avait que trois ans de moins que la Reine. Quant à Jean-Baptiste de Gondi, ancien banquier à Lyon, et qu'on appelait le compère de Catherine, probablement parce qu'ils avaient été parrain et marraine de quelque enfant, il était beaucoup plus âgé qu'elle et passait déjà pour un vieillard quand il épousa, en 1558, la veuve de Luigi Alamanni, l'écrivain diplomate.

[29] Discours merveilleux de la vie, actions et déportements de Catherine de Médicis, Paris, 1650, p. 151 ou Archives Curieuses, t. IX, p. 99.

[30] Catherine à Bellièvre, 25 avril 1584, Lettres, t. VIII, p. 181.

[31] H.-C. Davila, Histoire des guerres civiles de France, mise en français par Baudouin, Paris, 1657, t. I, ch. IX, p. 544-545.

[32] Mémoires de Marguerite, éd. Guessard, p. 42.

[33] Mémoires de Marguerite, p. 43. Remarquons d'ailleurs que dans cette vision il y a un fait inexact, la chute du duc d'Anjou.

[34] D'Aubigné, Histoire universelle, liv. VII, ch. XII, éd. de la Société de l'Histoire de France, publiée par de Ruble, t. IV, p. 300-301.

[35] Mémoires de Marguerite, éd. Guessard, p. 41-42.

[36] Extraits de Mantice dans les Œuvres de Pontus de Thyard, éd. Marty-Laveaux, p. 231.

[37] Centurie L, quatrain 35.

[38] Lettres, X, p. 1455, novembre 1564.

[39] Brantôme, Œuvres complètes, éd. Lalanne, t. III, p. 280-283.

[40] D. Nass, Revue des études historiques, 1901, p. 217. Cf. Dictionnaire de Bayle, verbo Henri II.

[41] Archives curieuses de Cimber et Danjou, Ire série, t. VIII, p. 192. — Cf. Defrance (Eug.), Un croyant de l'occultisme, Catherine de Médicis ; ses astrologues et ses médecins envoûteurs, Paris, 1911, p. 198-199.

[42] Lettre de Petrucci, 2 septembre 1572, Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, t. III, p. 836.

[43] Vincenzo Alamanni, qui succéda à Petrucci comme ambassadeur de Florence, donne, Lettres du 22-26 avril et du 1er mai 1574, Négociations diplomatiques..., t. III, p. 920-923, des détails intéressants sur les premiers rapports de Ruggieri avec Catherine de Médicis. Il ne l'estime pas grand astrologue et croit qu'on l'accuse à tort d'être un nécromancien.

[44] Lettres, t. IV, p. 296-297, 29 avril 1574, onze [heures] du soir. — Cf. Eugène Defrance, Catherine de Médicis, p. 196.

[45] Le texte le plus important, sur Côme Ruggieri, se trouve dans les Mémoires de J.-A. de Thou, le grand historien, année 1598, liv. VI (éd. Buchon, p. 671-672) avec renvoi à l'Histoire générale, année 1573. De Thou prétend que Ruggieri, mis à la chaîne, fut délivré sur la route de Marseille, par des courtisans. Sur cet abbé commendataire, mort sans sacrements, que Concini aurait voulu faire inhumer en terre sainte et que l'évêque de Paris fit jeter à la voirie, voir aussi les Mémoires du cardinal de Richelieu, Soc. Hist. Fr., t. I (1610-1615), 1907, p. 391.

[46] Lettres, t. VIII, p. 165.

[47] Dreux du Radier les a recueillis sans trop y croire dans ses Mémoires historiques et critiques et anecdotes des reines et régentes de France, Paris, 1808, t. IV, p. 253-268.

[48] Voir une variante de la même légende dans les Mémoires de Claude Groulart, premier président du Parlement de Rouen, un contemporain, qui raconte que le château de Blois où elle mourut était soubz une paroisse qui s'appelle Saint-Germain (Mémoires, Michaud et Poujoulat, Ire série, t. XI, p. 585).

[49] Elle réside à Saint-Germain (voir son Itinéraire dressé par le Comte Baguenault de Puchesse - Lettres, t. X, P. 574-589), en 1583, du 11 au 25 novembre et du 12 au 19 décembre ; en 1584, du 19 au 26 janvier, du 12 au 29 novembre, et du 12 au 19 décembre. Elle n'y parait pas en 1585, 1586, 1587, 1588, parce qu'elle est entraînée par les négociations vers la Loire ou la Champagne, ou bien retenue à Paris par son âge ou par l'urgence des affaires.

[50] A. de Barthélemy, La Colonne de Catherine de Médicis à la Halle au blé, Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris et de l'Ile-de France, t. VI, 1879, p. 280-299.

La sphère armillaire indiquerait le champ d'action où devait se déployer la gloire d'Henri II, s'il eût vécu ; c'est l'interprétation concrète de sa devise : donec totum impleat orbem, tandis que les lacs, les miroirs brisés, etc., échelonnés le long de la colonne, symbolisent l'amour détruit et les regrets de sa veuve.

[51] Essai sur les mœurs, ch. CLXXIII, Œuvres complètes de Voltaire, éd. Moland, t. XII, p. 527.

[52] Elle est reproduite dans l'édition de Ratisbonne de la Satyre Ménippée, 1726, t. II, p. 422. — Sur un talisman trouvé à Laval en 1826, voir Tancrède Abraham, Un talisman de Catherine de Médicis, Laval, 1885, et sur le talisman de Bayeux, Lambert, Mémoires de la Société d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres de Bayeux, 1850, p. 231. Tous ces prétendus talismans se ressemblent beaucoup, sans qu'il soit possible de rien conclure sur leur origine, leur caractère et leur date.

[53] Goulin, Mémoires littéraires, critiques philologiques, biographiques et bibliographiques pour servir à l'histoire ancienne et moderne de la médecine, 1775, p. 341.

[54] La Haye, 1744, t. II, p. 160.

[55] J. Le Laboureur, Mémoires de messire Michel de Castelnau, t. I, p. 291.

[56] Description de Paul Lacroix, citée par Edouard Frémy, Les poésies inédites de Catherine de Médicis, 1885, p. 225-223, note. P. Lacroix, dont je n'ai pu retrouver le passage dans ses innombrables publications, indiquerait lui-même comme référence le Catalogue des objets rares et précieux du cabinet de feu M. d'Ennery, écuyer, dressé par les sieurs Remi et Milliotti, Paris, 1786. Il n'a probablement pas vu le bracelet.

[57] Dr Lucien Nass, Catherine de Médicis fut-elle empoisonneuse ? dans Revue des Études historiques, 1901, p. 208-221. Le Dr Nass, ayant disculpé Catherine de la plupart des empoisonnements qui lui sont reprochés, conclut trop vite qu'elle n'a jamais voulu empoisonner personne.

[58] La distinction est très nette. Le Prince doit non partirsi del bene potendo, ma sapere entrare nel male necessitato (faire le bien, si c'est possible, et avoir le courage du mal si c'est nécessaire), ch. XVIII, Turin, 1852, p. 78.

[59] G.-B. Intra, Di Cansillo Capilupi e dé suoi scritti (Archivio storico lombardo, serie 2a, vol. X, anno XX [1893], P. 704-705). — L'écrit de Capilupi était achevé au plus tard le 22 octobre 1572 ; voir l'épître d'envoi à son frère dans la traduction française parue en 2574 d'après unes copie s italienne (Archives curieuses de Cimber et Danjou, t. VII, p. 420). M. Romier, La Saint-Barthélemy (Revue du XVIe siècle, t. I, 1913), prétend, p. 535-536, que le manuscrit de Capilupi était achevé et imprimé le 18 septembre 1572. Laissons de côté la question d'impression sur laquelle je dirai un jour mon avis, et tenons-nous-en à la composition. Une œuvre aussi délicate, et qui suppose tant de recherches, expédiée en un mois et demi (du 5 septembre au 22 octobre), ou même en treize jours (5-18 septembre), d'après les racontars des cardinaux de Lorraine et de Pellevé, et de l'entourage du duc de Nevers, etc., qu'est-ce autre chose qu'une hypothèse en l'air ? Capilupi aurait dû réfléchir que le nonce du pape en France, Salviati, et qui était à Paris le 24 août, ne croyait pas à la préméditation. Voir ch. VI.

[60] Mémoires de La Huguerye, t. I, p. 200.

Dans un article de l'Historische Vierteljahrschrift, 1903 (VI), p. 333 sqq., Jordan soutient qu'il n'y a trace de machiavélisme ni dans les lettres, ni dans les actes de Catherine. On le croirait plus volontiers s'il n'y avait pas dans son étude tant d'erreurs de détails. — Les protestants s'en prirent au machiavélisme, comme à la cause de leur malheur, et l'un d'eux, probablement Innocent Gentillet, conseiller au Parlement de Grenoble, publia en 1376 avec dédicace au duc d'Alençon, chef des protestants et des catholiques unis, un Discours sur les moyens de bien gouverner et maintenir en bonne paix un royaume ou autre principauté... (s. n. d. l.), qui est une réfutation point par point des principales maximes extraites du livre de Machiavel.

[61] Bouchot, Catherine de Médicis, p. 137.

[62] Les exemples abondent dans les autographes de Catherine. Elle emploie même côte à côte les deux figurations ; par exemple, Lettres, t. VI, p. 38 : Ceulx qui remet mieulx qu'il ne s'ayme (ceux qui l'aiment mieux qu'il ne s'aime).

[63] Lettres, VIII, p. 356. Mais ces beaux italianismes, pour parler comme Henri Estienne, dans ses Deux dialogues du nouveau langage François italianisé..., sont rares dans ses lettres, et ce n'est pas la Reine-mère qu'on peut considérer comme particulièrement coupable de cette mascarade. Les guerres d'Italie, la littérature italienne, l'art de la Renaissance, la banque et le commerce finirent à la longue par faire sentir leur influence, et surtout sous Henri III, qui d'ailleurs, tout en sachant admirablement l'italien, affectait de ne parler que le français aux ambassadeurs des divers États de la péninsule. Voir dans L. Clément, Henri Estienne et son œuvre française, Paris, 1898, le chap. IV, p. 305-362 : L'influence italienne et le nouveau langage.

[64] Elle a tellement conscience de sa mauvaise orthographe qu'il lui est arrivé de dicter à un secrétaire une nouvelle lettre, mot pour mot semblable à celle qu'elle venait d'écrire, mais que le secrétaire écrirait dans la forme usuelle, Lettres, t. IX, p. 124 et 125.

[65] Lettres, t. X, p. 146.

[66] Lettres, t. VII, p. 111.

[67] Germain Bapst, Histoire des joyaux de la Couronne de France, Paris, 1889, parle très bien de ce goût, p. 114-115 et passim. Sur les orfèvres de la Reine, voir p. 96, note 3, et p. 97, notes 1, 2, 3. Elle cherchait avec eux des combinaisons, leur soumettait des dessins.

[68] Edouard Frémy, Les poésies inédites de Catherine de Médicis, Paris, 1885, p. 239-240.

[69] Henri IV, réalisant sans le savoir le souhait de Ramus, transporta la Bibliothèque en plein quartier latin, dans le collège de Clermont, vacant par l'expulsion des Jésuites.

[70] Les références dans Frémy, p. 75-78.

[71] Frémy, p. 239-242. — Cf. Lettres, t. I, p. 563, note 1 et les références.

[72] Saint-Cosme-en-l'Isle, près de Tours.

[73] Ronsard, éd. Blanchemain, t. III, p. 257. Voir la Complainte à la Royne mère du Roy, en tête de la seconde partie du Bocage royal, éd. Blanchemain, t. III, p. 369.

[74] Frémy, p. 42-43.

[75] Texte en italien, cité par Frémy, p. 52.

[76] Armand Baschet, Comédiens italiens à la Cour de France sous Charles IX et Henri III, s. d. (1882).

[77] Arioste, fin du chant IV, chant V et commencement du chant VI du Roland furieux. — Jacques Madeleine, Renaissance, 1903, p. 30-46. Cf. Toldo, Bulletin italien des Annales de la Faculté de Bordeaux, 1904, p. 50-52.

[78] Peut-être à faire jouer l'Eunuque, que Baïf avait fini de traduire en décembre 1565, mais qui ne parut qu'en 1573 dans les Jeux et bien remanié. Œuvres, éd. Marty-Laveaux, p. 451.

[79] La vie de P. de Ronsard, de Claude Binet, éd. par Paul Laumonier, Paris, 1909, p. 26, lignes 23-24. M. Laumonier, d'ordinaire si judicieux, conteste sans trop de raison que Catherine ait conseillé à Ronsard d'imiter Pétrarque (commentaire, p. 163). Dans Ronsard poète lyrique, qui est de la même année, il est moins affirmatif et admet qu'elle a, par fantaisie (p. 256), invité le poète à immortaliser la jeune fille. Le renseignement de Binet est bien plus vraisemblable. — Vianey, Le Pétrarquisme en France, Montpellier, 1909, p. 257, croit que les premières œuvres de Philippe Desportes (1573) donnèrent à Ronsard l'idée des Sonnets à Hélène. Mais il est difficile d'imaginer que les poésies d'un débutant parues en 1573 aient eu une influence si immédiate sur Ronsard, le grand Ronsard, dont les sonnets, bien que publiés seulement en 1578, étaient, s'il faut l'en croire, écrits dès le mois de mai 1574. Ce qui est hors de doute, c'est que Ronsard a imité, comme Desportes, Tebaldeo, le plus fameux des pétrarquisants parmi les quattrocentistes, mais qu'il l'ait fait avant ou même après Desportes, cela n'exclut pas l'intervention de la Reine-mère.

[80] Laumonier, Ronsard, p. 242-256.

[81] Lanson, Histoire de la littérature française, Paris, 1898, p. 290 et p. 377-378.

[82] Brantôme, Œuvres complètes, éd. Lalanne, t. V, p. 276.

[83] Les Mémoires de messire Michel de Castelnau, seigneur de Mauvissière, par J. Le Laboureur, 1659, t. I, liv. V, ch. VI, p. 568-269.

[84] Sur Apollidon et son palais, voir Le Second livre d'Amadis de Gaule, au commencement duquel sera fait description de l'Isle Ferme et mit les enchantemens et mit les grands trésors qui s'y trouvèrent... (s. n. d. l., ni date), ch. I, f° III et IV, recto et verso.

[85] Brantôme, Œuvres, éd. Lalanne, t. V, p. 276-277.

[86] Mémoires de Castelnau, t. I, p. 169.

[87] On s'y acheminait clés l'époque d'Henri II. Voir dans Sauval, Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris, 1724, t. III, p. 692, la description d'une cavalcade parée et masquée suivie d'un combat.

[88] Œuvres de Ronsard, éd. Blanchemain, t. IV, p. 223 et 224.

[89] Ou plutôt lors du baptême du dauphin François, qui eut lieu trois jours avant. L'enfant royal lut tenu sur les fonts baptismaux par le duc d'Urbin, Laurent de Médicis, chargé par Léon X de le représenter comme parrain. Mémoires du maréchal de Floranges, dit le jeune adventureux, publiés pour la Soc. Hist. de France par Robert Coubaux et P.-André Lemoine, t. I (1505-1521), 1913, p. 223 et 224.

[90] Brantôme, t. VII, p. 372.

[91] Lettres d'Antoine Sarron à Chantonnay, l'ambassadeur d'Espagne, Mémoires de Condé, t. II, p. 599.

[92] Relation d'Abel Jouan, un des serviteurs de Charles IX, dans les Pièces fugitives, du marquis d'Aubais, t. I, Première partie : Mélanges, p. 25 sqq. — Ample discours de l'arrivée de la Royne catholique dans le même recueil, t. I (2e partie, vol. II, p. 13 à 23 des Mélanges).

[93] Planche VII, t. V, p. 12 des Monuments de la Monarchie française de D. Bernard de Montfaucon, Paris, 5733.

[94] La Reine, c'est ici Louise de Lorraine, femme d'Henri III. Sur les origines de l'Opéra, Combarieu, Histoire de la musique, t. I, ch. XXXII, et Prunières, L'Opéra italien en France avant Luli, 1913, p. XXIV-XXVI. Les paroles et la musique du ballet comique sont de Balthasar de Beauljoyeux, un musicien piémontais, valet de chambre d'Henri III et de Catherine de Médicis. J'ai, dit Beauljoyeux dans sa préface, animé et fait parler le ballet, et chanter et raisonner la comédie et y ajoutant plusieurs rares et riches représentations et ornemens, je puis dire avoir contenté en un corps bien proportionné l'œil, l'oreille et l'entendement. Cité par Prunières, p. XXIV.

[95] On peut citer comme type de réception celle qui fut faite à Charles-Quint à son passage à Florence et que décrit Trollope, The Girlhood of Catherine de' Medici, Londres, 1856, p. 252 sqq. avec les références. Mais Trollope a inventé que Catherine y assista. Elle avait depuis trois ans quitté la ville.

[96] Et non pour avoir été l'architecte favori de Diane de Poitiers et le constructeur du château d'Anet : Henri Clouzot, Philibert de l'Orme (Les Artistes célèbres), p. 65-67.

[97] Le Primatice est mort entre mars et septembre 1570 : Dimier, Le Primatice, peintre, sculpteur et architecte des rois de France, Paris, 1900, p. 210.

[98] Babeau, Le Louvre et son histoire, Paris, 1895, p. 68 sq.

[99] Philibert de L'Orme, Tome premier de l'Architecture, p. 251. Cet agrandissement ne fut pas un embellissement, et l'élégant pavillon s'alourdit de deux ailes banales (Palustre, Renaissance, t. II, p. 70).

[100] Palustre, L'Architecture de la Renaissance, p. 197. Cf. Bouchot, p. 146.

[101] Conservé par Jacques Androuet du Cerceau, dans son Recueil des plus excellens bastimens de France : Clouzot, Philibert de L'Orme, p. 151.

[102] Sauf les 220 livres qu'elle réservait au chapitre de l'église de Cléry pour le service d'Henri II : l'abbé C. Chevalier, Debtes et créanciers de la Royne mere, Introd. p. XXXVI-XL, Techener, 186e.

[103] Sur Poggio à Cajano, voir Müntz, A travers la Toscane. Les villas des Médicis aux environs de Florence (Tour du monde, 1883, 2e semestre, p. 193-200).

[104] Lettres, t. X, p. 214, 9 septembre 1567. — Description des Tuileries par le secrétaire de Girolamo Lippomano, ambassadeur vénitien, dans Tommaseo, Relations, t. II, p. 591 (Coll. Doc. inédits).

[105] C'étaient peut-être des parties de la fontaine monumentale que Paul Ponce Trebatti avait commencée et que la mort l'empêcha d'achever : H. Sauval, Histoire et recherches des Antiquités de la ville de Paris, Paris, 1724, t. II, p. 60. L'ambassadeur suisse aura pris pour des faunes et des nymphes deux naïades et deux fleuves.

[106] Cité par Ernest Dupuy, Bernard Palissy, p. 59-60.

[107] Ce n'était pas d'ailleurs une simple grotte, mais une grande caverne, une sorte de temple souterrain, que le bon potier aurait voulu faire : Œuvres de Bernard Palissy, éd. par Anatole France, p. 466. Il dut se borner à orner son rocher.

[108] Lettres, t. X, p. 428, n. A. de Barthelemy, La colonne de Catherine de Médicis à la Halle au blé, Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris, t. VI (1879), p. 183.

[109] Lettres, t. X, p. 428 n. A. de Barthelemy, La colonne de Catherine de Médicis à la Halle au blé, Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris, t. VI (1879), p. 184.

[110] Paul Vitry et Gaston Brière, L'Église abbatiale de Saint-Denis et ses tombeaux, Paris, 1908, p. 19-21. — Dimier, Le Primatice, 1900, p. 353 sqq.

[111] Le Tome premier de l'Architecture, par Philibert de L'Orme, Paris, 1567, préface, p. 1.

[112] Philibert de L'Orme, Le Tome premier de l'Architecture, p. 20.

[113] Paul Vitry et Gaston Brière, L'Église abbatiale de Saint-Denis et ses tombeaux, Paris, 1908, p. 154.

[114] Lettres, t. II, p. 593, et même page, note 2.

[115] Peut-être aussi s'est-il excusé d'entreprendre un pareil travail à son âge et s'est-il contenté de dresser les portraicts et desseings. Il mourut le 18 février 1564.

[116] Sur Daniel Ricciarelli, né vers 1509 à Volterra, voir pour références Müntz, La Renaissance, t. III, p. 552-552.

[117] Lettres, II, p. 394. Lettre du (20 ?) octobre 1566. L'Adonis mourant est maintenant au Musée national de Florence. On conteste qu'il soit de Michel-Ange par de pauvres raisons exposées dans Thode, Michelangiolo, Berlin, 1912, tol. III, p. 111 sq. La lettre de Catherine, écrite deux ans après la mort de Michel-Ange, semble prouver que l'Adonis mourant est bien du grand sculpteur. De quel autre Adonis pourrait-il y être question et avec cette admiration ? C'est une question que je me propose de reprendre bientôt.

[118] Au Musée de Bâle.

[119] La gisante, dite de Catherine de Médicis, qui est maintenant au Louvre, après avoir traîné un demi-siècle, dit-on, dans la cour de l'École des Beaux-Arts, ce cadavre de femme au gros nez aplati, aux lèvres épaisses, aux mamelles plates, à l'ossature rude, est-ce vraiment Catherine de Médicis ? Jérôme della Robbia, à qui on l'attribue, se serait-il permis de présenter à sa royale compatriote cette image cruelle de la déchéance qui suit la mort. S'il l'a fait, on comprend que Catherine n'ait pas voulu de cette effigie.

[120] Vitry et Brière, p. 155-158.

[121] Voir infra, ch. XI, p. 410.

[122] Lemonnier, Histoire de France, publiée sous la direction d'E. Lavisse, t. V, 2, p. 356.

[123] Romier, Les Origines politiques des guerres de religion, I, p. 57. Cette Donna Giulia que j'ai pu identifier, est une Gonzague de la ligne de Sabioneta et Bozzolo, femme de Vespasiano Colonna, qui mourut prématurément en 1528, la laissant veuve toute jeune. Elle passait pour nue des plus belles femmes de l'Italie. Le cardinal Hippolyte de Médicis, qui était amoureux d'elle, la fit peindre, entre le 8 juin et le 15 juillet 5535, par Sebastiano del Piombo, — un portrait que Vasari (éd. Milanesi, V, p. 578) qualifie de pittura divina Catherine, qui n'a quitté Rome qu'en avril ou mai 5532, a donc pu le voir, et c'est certainement ce portrait-là qu'elle demandait. Celui qui se trouve à Mantoue en est une réplique et il servit à son tour de modèle, par exemple, pour le petit portrait qu'on voit au Musée impérial de Vienne. Voir Dr Friedrich Kenner, Die Porträtsammlung des Ersherzogs Ferdinand von Tyrol. Die italinischen Bildmisse, dans le Jahrbuch der Kunsthistorischen Sammlungen des Allerhöchsten Kaiserhauses, 1896, t. XVII, p. 256, n° 89 A. — B. Amante, Giulia Gonsaga, Bologne, 1896.

[124] Lettres, I, p. 509.

[125] En 1564, elle se fit peindre à Lyon avec ses enfants par Corneille de La Haye (dit de Lyon), un Flamand, lui aussi.

[126] Elle a été essayée par Bouchot et Armand Baschet, mais elle est incomplète et fautive. Beaucoup de portraits, qu'il est facile de voir à Florence dans la Galerie qui mène des Uffizi au palais Pitti, n'y sont pas indiqués, et par contre on donne comme un portrait de Catherine par le Tintoret, celui de la duchesse d'Urbin Giulia (comme l'a démontré Gronau, Titian, 1904).

[127] Dans l'inventaire des objets légués à la grande-duchesse de Toscane, Christine de Lorraine, par Catherine de Médicis, sa grand'mère, se trouve indiqué, au n° 288 (Reumont-Baschet, p. 346) un ritratto della Regina Catarina fanciuletta con ornamento d'oro. Ne serait-ce pas celui-là ?

[128] Voir la lettre de Vasari, où on lit qu'il faisait le portrait pour le duc d'Orléans et qu'il en ferait une réplique pour le bon vieux cousin de Catherine, Ottaviano de Médicis, et même il en promettait une autre copie à un ami de Rome, blesser Carlo Guasconi.

[129] Le buste de ce portrait est reproduit trait pour trait dans un médaillon peint à la fresque qui se trouve au-dessus d'une fenêtre dans la salle de Léon X au Palasso Vecchio. Mais le copiste ou la courbe de la paroi a singulièrement épaissi le modèle.

[130] Dans le couloir, côté Pitti, n° 1121, phot. par Alinari, p. 2a, n° 725.

[131] F. Mazerolle, Miniatures de François Clouet, au Trésor impérial de Vienne (Extrait de la Revue de l'Art  chrétien, octobre 1889).

[132] Couloir du palais Pitti aux Uffizi, côté Pitti, n° 19.

Il est possible, mais c'est une hypothèse, que ce portrait soit celui qu'elle promettait d'envoyer à ses bonnes Murats (3 janvier 1588) : portraict au vif de moy, très bien faict.

[133] Bonnaffé, Inventaire, p. 72.

[134] Bonnaffé, Inventaire, p. 83, 95.

[135] On en voit encore au Louvre, dans les vitrines de la galerie d'Apollon.

[136] Bonnaffé, Inventaire, p. 155, 74, 81.

Ce Jérôme della Robbia, ou, comme elle dit, Hierosmme de La Rubie, qu'elle recommandait à Cosme de Médicis, 12 mars 2549, Lettres, t. I, p. 29 et note 2, appartenait à la dynastie des grands émailleurs florentins, mais il était lui-même architecte et sculpteur, et c'est en cette qualité qu'il avait déjà travaillé en France pendant plus de trente ans, sous François Ier et Henri II, par exemple à la construction du château de Madrid, voir p. 234, 114.

[137] C'était une école pour les orphelins et un asile pour les pauvres honteux. Le plan en avait été présenté par Nicolas Houel à la femme d'Henri III, Comte de Baillon, Louise de Lorraine, Paris, 1884, p. 97-98. Sur Nicolas Houel, voir Jules Guiffrey, Nicolas Houel, apothicaire parisien, fondateur de la maison de la Charité chrétienne et premier auteur de la tenture d'Artémise (Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris et de l'Ile-de-France, t. XXV, 1898, P. 179-271).

[138] C'est probablement l'ancien atelier d'Henri II à Fontainebleau, transféré au Louvre.

[139] Réserve, côté Ad. 105, grand in-f°. Reproductions photographiques de ces dessins. Ad. 105a. L'Histoire de la Reine Artémise de Nicolas Houel, une compilation très indigeste est au cabinet des manuscrits, f. fr., n° 306.

[140] Ce n'est pas une hypothèse. Dans la dédicace des deux livres de la Reine Artémise à Catherine, Houel fait mention de la paix de Saint-Germain (août 1570) comme conclue, et du mariage de Charles X, qui fut célébré à Mézières le 26 novembre de la même année, comme devant prochainement se conclure.

[141] Müntz, Histoire générale de la tapisserie en France, p. 93, réclame pour Caron tous les dessins sauf les huit suivants : n° 9, 10, 14, 18, 19, 23, 28, 31. Voir aussi Jules Guiffrey, Les tapisseries du XIIe à la fin du XVIe siècle, dans le tome VI de l'Histoire générale des arts appliqués à l'industrie du Ve à la fin du XVIe siècle, Paris, Librairie Centrale des Beaux-Arts, s. d., p. 204, 207 sqq. J. Guiffrey admet que quelques-uns de ces cartons soient de Lerambert. L. Dimier, La tenture d'Artémise et le peintre Lerambert (Chronique des Arts, 1902, p. 327-328), croit tenir la preuve du contraire et que Lerambert n'a travaillé qu'à la Suite d'Artémise.

[142] J. Guiffrey, Les tapisseries du XIIe à la fin du XVIe siècle, p. 122, note 2, indique, comme lieu de fabrication, Enghien et, comme date de la commande, 1585, d'après l'Histoire des seigneurs d'Enghien d'un annaliste flamand, P. Collins, né en 1560 — un contemporain, bien qu'il ait publié son livre seulement en 1634.

[143] Voir les hypothèses de M. Jules Guiffrey, Les tapisseries du XIIe à la fin du XVIe siècle, p. 154, qui s'est cependant le plus rapproché de la vérité.

Je me propose de publier un peu plus tard un travail sur ces tapisseries de Florence, où je pense pouvoir identifier les lieux, les scènes et quelques personnages. On y verra aussi pour quelles raisons ces panneaux se trouvent à Florence. Je me borne aujourd'hui à indiquer ce qui est nécessaire pour l'intelligence et la diversité des goûts de Catherine.

[144] Le fait qu'il y a deux Cours explique en partie l'augmentation de presque tous les officiers domestiques de la Reine, depuis la mort de Charles IX et surtout depuis le mariage d'Henri III et l'établissement de la Reine-mère dans son nouveau logis (liste publiée par le Comte Baguenault de Puchesse, Lettres, t. X, p. 504 sqq.) ; dames (d'honneur), 5 en 1575, 8 en 1583 ; — autres dames, 48 en 1576 ; 81 en 1583 ; — filles damoiselles (c'est-à-dire nobles), 15 en 1576, 22 en 1583 et 25 en 1585 ; — gens du Conseil, 30 en 1576, 58 en 1583 ; — secrétaires, 22 en 1576, 89 en 1583, 108 en 1585, etc.

[145] L'Inventaire a été publié avec des annotations, qu'on souhaiterait plus nombreuses, par Edm. Bonnaffé, Inventaire des meubles de Catherine de Médicis en 1589, Paris, 1874. Pour la description de l'Hôtel, voir p. 7-15 et 150, 151.

[146] Bonnaffé, Inventaire, p. 85, n° 243 et 244.

[147] On ne voit nulle part indiqué le Prince de Machiavel, son prétendu livre de chevet.

[148] Edm. Bonnaffé, Inventaire des meubles de Catherine de Médicis, p. 63-66, 77-78 et 83. Ces cartes, la plupart figurées à la main, sont-elles des copies, et faites par qui ? L'imprécision de l'Inventaire ne permet pas de dire si les unes reproduisent les cartes de la mappemonde d'Henri II et les autres celles des cosmographes et géographes du temps, Munster, Mercator, Ortelius, etc. Cf. Jomard, Les monuments de la géographie ou Recueil d'anciennes cartes européennes et orientales, Paris, s. d.

[149] Bouchot, p. 147 : Le livre de comptes de Cl. de Beaune. — Cf. p. 149 et la cause des dépenses p. 151.

[150] L'abbé Chevalier, Debtes et créanciers de la Royne-mère, Techener, 1862, p. XLIII. En 1588, elle avait dévoré les revenus de 1589 et devait un an de gages à ses serviteurs.