CATHERINE DE MÉDICIS

 

CHAPITRE IV. — LA RÉGENTE[1] ET LES RÉFORMÉS.

 

 

CATHERINE prenait le gouvernement clam des conditions difficiles : un roi enfant, des États généraux réunis (après environ quatre-vingts ans d'interruption)[2], les partis et les religions en lutte, les Guise jaloux de leur pouvoir perdu, Antoine de Bourbon envieux de celui qu'il avait cédé ; elle, l'étrangère, n'y ayent (n'y ayant), disait-elle, heun seul [homme] à qui je me puise du tout fyer, qui n'aye quelque pasion partycoulyère. Mais elle avait confiance, comme elle l'écrivait à sa fille le surlendemain de l'avènement de Charles IX : ... Vous diré (je vous dirai de) ne vous troubler de ryen et vous aseurer que je ne feré pouyne (peine) de me gouverner de fason que Dyeu et le monde aront aucasion d'estre contens de moy, car s'et mon prinsypale bout (but) de avoir l'honneur de Dyeu an tout devent les yeulx et conserver mon authorité, non pour moy, més pour servir à la conservation de set (ce) royaume et pour le byen de tous vos frères[3].

Les États généraux, élus du vivant de François II, se réunirent à Orléans cinq jours après sa mort. C'était la première fois depuis 1484 que les trois ordres de la nation étaient consultés ensemble sur leurs griefs et sur leurs vœux. La bataille électorale avait été très disputée et, malgré la pression gouvernementale, la Noblesse et le Tiers état avaient choisi nombre de représentants hostiles aux Guise et favorables à la réformation de l'Église, sinon à la Réforme. Catherine pouvait craindre que cette assemblée sans expérience ni tradition, entraînée par les passions religieuses ou politiques, ne fût tentée de jouer un grand rôle à ses dépens. Pendant tout le principat des Guise, les réformés n'avaient pas cessé de soutenir dans les livrets et de crier dans les libelles qu'en cas de minorité les États généraux étaient seuls aptes à constituer une régence et les princes du sang à l'exercer, et cette polémique avait fait impression. Outre cette raison de principe, les députés très ardents des provinces d'Aquitaine (Sud-Ouest) et de quelques bailliages de Normandie, Touraine, Maine, etc.[4], en avaient une autre pour exclure la Reine-mère. Inspirés par les prédicants calvinistes, ils voulaient, pour régénérer l'Église, amputer les abus, les superstitions, les vices qui la corrompaient et ils jugeaient Catherine incapable, par défaut de zèle ou manque de vigueur, de porter le fer dans les parties gâtées du corps ecclésiastique. Sous prétexte qu'ils avaient été convoqués par François II et qu'ils avaient été délégués par devers lui, ils se déclaraient sans pouvoirs sous son successeur et demandaient soit de nouvelles élections, soit le temps de consulter leurs bailliages et d'en recevoir un nouveau mandat. Mais Catherine craignait que les électeurs, enhardis par la défaite des Guise et du parti catholique, ne nommassent une majorité résolument calviniste, qui donnerait ou même imposerait la régence au roi de Navarre. Elle fit si bien que la majorité des deux ordres laïques déclara que, la dignité royale ne mourant point, les pouvoirs dont ils avaient été investis sous François II restaient valables sous Charles IX.

Sauf en ce qui concernait son autorité, Catherine était disposée aux concessions. Son accord avec Antoine de Bourbon et l'aide qu'elle attendait de lui contre un retour offensif des Guise l'auraient, à défaut d'autres motifs, obligée à suspendre la persécution contre les protestants. Mais elle avait de plus constaté que la rigueur était impuissante à détruire une croyance invétérée et à convertir les dissidents, quand ils sont multitude. Il fallait de toute nécessité changer de méthode, employer la douceur et la persuasion là où la force et la violence avaient échoué. Confiante avec excès dans son habileté, elle ne croyait pas impossible de satisfaire les réformés sans soulever les catholiques et de les acheminer les uns et les autres dans les voies de la tolérance.

Le chancelier Michel de l'Hôpital était lui aussi partisan de la conciliation. Dans la séance royale d'ouverture des États, le 13 décembre, il fit avec quelque rudesse la leçon à tout le monde[5]. Ne soyons si prompts à prendre et suyvre nouvelles opinions, chacun à sa mode et façon... Autrement s'il est loisible à un chacun prendre la nouvelle religion à son plaisir, voyés et prenés garde qu'il n'y ait autant de façons et manières de religions qu'il y a de familles ou chefs d'hommes. Tu dis que ta religion est meilleure, je défends la mienne ; lequel est le plus raisonnable que je suyve ton opinion ou toy la mienne. C'était à l'Église universelle, non aux particuliers, de décider les points de foi. Le Roi et la Reine n'oublieraient rien pour hâter la réunion du Concile général que le pape venait d'annoncer (20 novembre) ; et où ce remède faudroit (manquerait), ils useront de toutes autres provisions, dont ses prédécesseurs roys ont usé, c'est-à-dire assembleraient un Concile national.

II reprocha aux catholiques de n'avoir pas employé les meilleurs moyens pour ramener les dissidents. Nous avons cy devant fait comme les mauvais capitaines, qui vont assaillir le fort de leurs ennemis avec toutes leurs forces, laissans despourveus et desnués leurs logis. Il nous faut doresnavant garnir de vertus et de bonnes mœurs, et puis les assaillir avec les armes de charité, prières, persuasions, paroles de Dieu qui sont propres à tel combat. La bonne vie, comme dit le proverbe, persuade plus que l'oraison. Le cousteau vaut peu contre l'esprit, si ce n'est à perdre l'âme ensemble avec le corps.... Prions Dieu incessamment pour eux et faisons tout ce que possible nous sera, tant qu'il y ait espérance de les réduire et de les convertir. La douceur profitera plus que la rigueur.

Mais contre aulcuns qu'on ne peut contenter et qui ne demandent que troubles, tumultes, et confusions, le Roi déploiera à l'avenir toute sa puissance. Si est ce que jusques icy a esté procédé si doukement que cela semble plutost correction paternelle que punition. Il n'y a eu ni portes forcées, ne murailles des villes abbatues, ne maisons bruslées, ne privilèges ostés aux villes comme les princes voisins ont fait de nostre temps en pareils troubles et séditions[6]. C'était l'affirmation d'une politique qui, indulgente aux erreurs de l'esprit, réprimerait sans pitié les désordres

Les réformés ardents s'indignèrent que le Chancelier les eût accusés de vouloir planter leur religion avec espées et pistoles. Mais pourtant l'Histoire ecclésiastique, qui reflète si fidèlement leurs idées, reconnaît que puisqu'il n'y a qu'une vraye religion à laquelle tous les petits et grands doivent viser, le magistrat doit sur toutes choses pourvoir à ce qu'elle seule soit advouée et gardée es pays de sa subjection...[7] C'est dire que le jour où ils seraient les maîtres, ils réformeraient, autrement dit changeraient la religion, doucement, s'ils le pouvaient, par force, s'ils y trouvaient de la résistance.

Aussi poussaient-ils Antoine de Bourbon, l'espoir des Églises, à disputer à Catherine la première place. C'est à lui et non à elle que les ordres laïques habilement travaillés allèrent, le 14 décembre, porter leurs cahiers de doléances et demander l'autorisation de siéger jusqu'à ce qu'ils eussent reçu mandat de leurs électeurs sur l'organisation du gouvernement. Mais Antoine tint loyalement sa parole et le Conseil privé régla, sans consulter les États généraux, le partage des pouvoirs entre la Reine-mère et le premier prince de sang (21 décembre 1560). Catherine assisterait aux conseils ou, quand elle s'en dispenserait, se ferait faire rapport sur les délibérations. Elle recevrait les dépêches de France et de l'étranger et ouvrirait les paquets pour en prendre connaissance la première. Les lettres du Roi ne seraient expédiées qu'après qu'elle les aurait lues et elles partiraient accompagnées toujours d'une lettre d'elle[8]. Présidence des conseils, droit d'initiative, et droit de contrôle, direction de la politique extérieure et intérieure et, comme il va de soi, sans que le règlement le dit, nomination aux offices et bénéfices, c'était le pouvoir souverain que l'arrêt du Conseil conférait à la Reine-mère. Le roi de Navarre resterait auprès d'elle, d'aultant que les louys (lois) de set royaume, reconnaissait Catherine, le portet ainsyn et il avait s le premier lieu s après elle, mais c'était un surveillant honoraire. Sa principale fonction était de recevoir les gouverneurs et les capitaines des places frontières ou d'ouvrir leurs dépêches et d'en faire rapport à la Reine-mère, qui déciderait les mesures à prendre et les réponses à faire. La part du premier prince du sang était bien petite et Catherine pouvait écrire à sa fille, la reine d'Espagne, qu'il était tout à fait aubéysant et n'a neul comendement que seluy que je luy germés[9]. Les États, n'étant pas soutenus, reconnurent à leur tour à la Reine-mère le gouvernement et administration du royaume.

La Régente avait hâte de se débarrasser d'eux. Le 1er janvier 1561, elle mena Charles IX et la Cour entendre leurs réponses au programme exposé par le Chancelier dans la séance solennelle d'ouverture. Ce fut la manifestation éclatante des divisions du pays. Les trois ordres, contrairement au précédent des derniers États généraux tenus à Tours en 1484, ne siégeaient ni ne délibéraient ensemble ; répartis en trois chambres, ils ne s'assemblaient que pour les séances solennelles. Ils ne s'étaient même pas entendus pour désigner un orateur commun. Le Tiers ne voulut pas du cardinal de Lorraine que le Clergé proposait ; les sentiments de la Noblesse étaient si connus que les Guise n'osèrent pas même la solliciter. De dépit, le cardinal de Lorraine s'excusa de parler pour l'Église seule. L'orateur du Clergé, Quintin, docteur régent en droit canon de l'Université de Paris, rappela que Dieu avait dans l'Ancien Testament interdit à son peuple de lier amitié, de contracter mariage avec les idolâtres et les gentils, à qui les hérétiques devaient être assimilés. Garde-toi bien, faisait-il dire à ce maître impitoyable, qu'ils n'habitent en la terre, n'aye aucune compassion d'eux, frappe-les jusqu'à internecion, qui est la mort [10]. Les ordres laïques attaquèrent violemment l'ordre ecclésiastique. L'orateur du Tiers état, Jean Lange, avocat au Parlement de Bordeaux, s'éleva contre l'avarice et l'ignorance des clercs ; et celui de la Noblesse, Jacques de Silly, baron de Rochefort, exhorta le Roi à supprimer les justices ecclésiastiques et à réformer l'estat de prebstrise, si le prêtre, au lieu de prier, prêcher, et administrer les sacrements, s'entremesle et embrouille des affaires temporelles et du monde[11].

Les trois ordres n'étaient d'accord que pour refuser au gouvernement les moyens de gouverner. La dette publique était de 43 millions de livres, le quadruple du revenu annuel du royaume. Quoi qu'eût pu dire le Chancelier de la détresse de l'enfant-roi engagé, endebté, empesché, il ne décida point les députés aux sacrifices nécessaires. Le Tiers se déclara sans pouvoirs pour voter une augmentation d'impôts ; la Noblesse et le Clergé repoussèrent une demande de subsides. La Régente, n'en pouvant rien tirer, les congédia (31 janvier 1561), et ordonna la réunion à Melun, au mois de mai, d'une autre assemblée d'États, pour donne radvis des moyens d'acquitter le roy mais qui serait composée seulement de deux députés, un du Tiers et un de la Noblesse, de chacun des treize gouvernements de France, tant pour éviter aux frais que à la confusion d'une par trop grande multitude de personnes. Quant au Clergé, il tiendrait ses séances à part.

De l'hostilité des ordres laïques contre l'ordre ecclésiastique, le gouvernement profita pour adoucir le sort des réformés. Des lettres de cachet du 28 janvier 1561 et des lettres patentes du 22 février enjoignirent aux parlements de relâcher les prisonniers arrêtés pour cause de religion, avec obligation pour les amnistiés de vivre catholiquement à l'avenir et sans faire aucun acte scandaleux ni séditieux[12]. C'était le début d'une politique nouvelle. Catherine en exposa les motifs à son ambassadeur en Espagne, l'évêque de Limoges, chargé de faire agréer cet essai de tolérance au plus intolérant des souverains (31 janvier 1561). Le mal datait de trop loin pour que les remèdes ordinaires fussent efficaces. Nous avons, écrit-elle, durant vingt ou trente ans, essayé le cautère pour cuyder arracher la contagion de ce mal (l'hérésie) d'entre nous et nous avons veu par expérience que ceste violence n'a servy qu'à le croistre et multiplier, d'aultant que par les rigoureuses pugnitions qui se sont continuellement faictes en ce royaume une infinité de petit peuple s'est confirmé en ceste oppinion jusques à avoir été dict de beaucoup de personnes de bon jugement qu'il n'y avoit rien plus pernicieux pour l'abollissement de ces nouvelles opinions que la mort publique de ceulx qui les tenoyent, puisqu'il se voyoit que par icelles (les rigoureuses punitions) elles (les nouvelles opinions) estoyent fortiffiez. La rigueur serait plus dangereuse en ce moment que jamais. Vray est qu'estant le Roy monsieur mon filz en la minorité qu'il est et les cendres du feu qui s'est estaint (conjuration d'Amboise et troubles qui suivirent) encores si chauldes que la moindre scintille (étincelle) le flamberoit plus grand qu'il n'a jamays esté, elle avait été conseillée par tous les princes du sang et aultres princes et seigneurs du Conseildu Roy ... ayant esgard à la saison où nous sommes, d'essayer par honnestes remontrances, exhortations et prédications de réduire ceulx qui se trouveront errer au faict de la foy, et d'autre part de pugnir sévèrement ceulx qui feront scandales ou séditions, affin que la sévérité en l'ung et la douceur en l'aultre nous puissent préserver des inconvéniens d'où nous ne faisons que sortir[13].

Sous les raisons d'opportunité, les seules que Philippe II fût capable de comprendre, le dégoût de la violence et l'esprit de charité se devinent. Mais c'étaient de dangereuses illusions. Pour imposer la tolérance aux intolérants, c'est-à-dire à presque tout le monde, il aurait fallu un gouvernement absolu en fait comme en droit. Or le pouvoir de Catherine, bien qu'il fût en principe la délégation de celui du Roi, était en réalité beaucoup plus faible, n'ayant guère d'autre force propre qu'une tradition d'obéissance et de respect. Les princes du sang, les grands officiers de la couronne, les gouverneurs de provinces, chargés d'exécuter les ordres de la Régente, étaient pour la plupart des chefs de partis, passionnés, ambitieux, indociles et qui, selon les idées du temps, trouvaient bien moins criminel de désobéir au représentant du roi qu'à un roi majeur et commandant en personne.

Catherine comptait surtout sur son habileté. Elle se flattait d'obliger les catholiques à quelques sacrifices et de satisfaire les protestants par ces demi- concessions. Elle pensait aussi s'attacher les Bourbons et le Connétable sans désespérer les Guise, et les tenir tous unis sous sa main. A défaut, elle s'aiderait des uns pour faire contrepoids aux autres. Mais ce jeu de bascule demandait un imperturbable sang-froid. Femme, et à l'occasion nerveuse, ne risquait-elle pas, en appuyant sur l'un des plateaux, de rompre l'équilibre ?

Le Premier Prince du sang constatait avec humeur qu'elle ne lui laissait aucun pouvoir effectif ; il lui reprochait aussi de ménager les Lorrains, dont il n'avait pas encore oublié la conduite. A Fontainebleau, où la Cour s'était installée le 5 février (1561), il réclama le renvoi du duc de Guise, qui, en sa qualité de grand maître, avait les clefs du château. Catherine, sentant que, si elle cédait cette fois, elle se donnait un maître, refusa. Antoine annonça qu'il s'en irait lui-même et décida le Connétable et les Châtillon à le suivre. Cette sécession était une menace de guerre civile. La Reine-mère fit la leçon au petit Roi qui pria Montmorency de ne pas l'abandonner. Le vieux favori d'Henri II fut touché et promit d'obéir. Antoine, qui ne savait rien faire seul, se résigna lui aussi à rester (27 février). Mais Catherine ne cachait pas à son ambassadeur en Espagne que l'alarme avait été grande[14]. Pour adoucir le roi de Navarre, elle permit à Condé, qui depuis sa sortie de prison vivait en Picardie, de reparaître à la Cour[15]. Le Conseil privé le déclara innocent, et comme Condé n'acceptait pas cette absolution politique, il fallut que le Parlement admit son instance en révision[16]. Mais les fils de la politique étaient tellement embrouillés qu'elle avait beaucoup de peine à en dévider les fusées (fuseaux). Les électeurs de la prévôté de Paris, convoqués le 18 février pour élire leurs députés aux États généraux, posaient comme mandat impératif le refus de tout subside ; le Tiers dressait la liste d'un Conseil de Régence, d'où les Guise étaient exclus. La Noblesse désignait comme régent le roi de Navarre.

Catherine alla trouver Antoine de Bourbon et lui demanda s'il avouait cette agitation. Il me feit response, raconte-t-elle, qu'il estoit bien ayse de ce qu'il voyoit, car par là je congnoistrois ce qui lui appartenoit et ce qu'il faisoit pour moi en me le ceddant. Elle répliqua que, de lui avoir obligation d'une chose qu'elle pensait lui appartenir, elle ne le pouvait nullement du monde endurer. La duchesse de Montpensier, Jacqueline de Longwy, négocia et fit accepter un compromis. Antoine fut nommé lieutenant général du royaume (27 mars) avec le commandement suprême des armées, mais il abandonna ses droits à tout ce qui pouvait lui être attribué par les États de puissance et d'autorité : renonciation que tous les princes du sang contresignèrent. Je retiens toujours, écrit Catherine à sa fille, la reine d'Espagne, la principalle authorité comme de disposer de tous les estats (charges) de ce royaume, pourveoir aux offices et beneffices, le cachet et les depesches et le commandement des finances[17]. Les opérations électorales furent annulées, et, pour donner aux esprits le temps de se calmer, on remit à la fin de juillet, après le sacre, la réunion des États.

L'élévation du chef des réformés à la lieutenance générale indisposa les Guise qui, en attendant le sacre, se retirèrent en leurs maisons. Catherine, qui savait leurs rapports avec Philippe II, appréhendait qu'ils ne lui fissent accroire qu'i (ils) feusent aylongné ou pour l'ayfaist (le fait) de la religion ou pour aultre aucasion[18]. Le Connétable, que sa femme, ardente catholique, travaillait à détacher du roi de Navarre et des Châtillon, était lui aussi mécontent et il le fit bien voir[19]. Catherine avait choisi pour prêcher le carême à la Cour l'évêque de Valence, Jean de Monluc, ce prélat selon son cœur, qui se montrait aussi facile aux nouveautés qu'il l'avait été aux séductions du siècle. Montmorency trouva à dire à l'orthodoxie de ses sermons et il s'en fut entendre dans les communs du château un moine jacobin, qui endoctrinait catholiquement la valetaille. Il y rencontra le duc de Guise et, après l'entretien qu'ils eurent, ces deux ennemis se réconcilièrent. Unis avec le maréchal de Saint-André, ancien favori d'Henri II et gouverneur du Lyonnais, ils formèrent pour la défense du catholicisme un triumvirat, dont ils déclarèrent la nature et l'objet, en communiant ensemble le lundi de Pâques (7 avril). L'alliance des chefs catholiques et la pression qu'elle pouvait craindre poussa Catherine à se rapprocher un peu plus qu'il n'eût fallu, et peut-être qu'elle n'eût voulu, des chefs réformés. Mais l'appui qu'elle leur demandait l'obligeait à des concessions. Coligny avait fait venir de Genève un ministre, Jean Raymond Merlin, dit M. de Monroy, qui prêchait dans ses appartements, où étaient admis à l'entendre des gentilshommes et des gens du commun. La duchesse douairière de Ferrare, Renée de France, et la princesse de Condé, Éléonore de Roye, tenaient aussi des réunions de prières. Monroy s'enhardit jusqu'à parler en public devant un nombreux auditoire, non loin du château. Les catholiques se plaignirent de cette violation des édits. Catherine invita doucement (blande) le ministre à cesser ses prédications en plein air, mais ce fut sans succès. Il est décidé, écrit Calvin, à tout risquer plutôt que de reculer[20].

A ces premiers essais de tolérance, les catholiques répondirent par des menaces et des agressions. Le 24 avril, les étudiants de l'Université chassèrent à coups de bâton une bande de réformés qui se promenait dans le Pré-aux-Clercs en chantant des psaumes ; deux jours après, ils revinrent en nombre assiéger la maison du sieur de Longjumeau, où les battus s'étaient réfugiés. A Beauvais, la populace envahit le palais épiscopal, où l'évêque c'était le cardinal de Châtillon, frère de Coligny — avait, disait-on, le dimanche de Pâques, 6 avril, célébré la Cène à la mode de Genève. Au Mans, le jour de la fête de l'Annonciation, les artisans du faubourg Saint-Jean assaillirent les protestants, qui tenaient dès assemblées, et dans la bagarre en tuèrent un. A Angers, et dans beaucoup d'autres villes, comme au Mans, le populaire s'ameuta contre ceux de la religion. Le parlement de Toulouse et celui de Provence s'entêtaient, malgré Catherine, à persécuter.

Le gouvernement crut couper court aux violences par l'édit du 19 avril qui défendait d'employer les termes injurieux de huguenots et de papistes, réservait aux gens de justice le droit de pénétrer dans les maisons pour découvrir les assemblées illicites, et réitérait l'ordre de mettre en liberté les personnes détenues pour le fait de la religion. Michel de l'Hôpital, un modéré autoritaire, envoya l'Édit aux baillis et sénéchaux et même au prévôt de Paris sans le soumettre à la vérification du Parlement. Les magistrats protestèrent contre cette façon nouvelle de promulguer les lois et parlèrent même d'ajourner le Chancelier[21].

L'Édit du 19 avril n'autorisait pas les prêches en privé, mais Catherine invitait le procureur général Bourdin à ne pas trop curieusement resercher ceulx qui seront en leurs maisons, ny trop exactement s'enquérir de ce qu'ilz y feront ; et, au contraire, elle lui commandait de faire roide punition des émeutiers du Pré-aux-Clercs, de quelque qualité, estat, condition et religion qu'ils fussent[22]. Le roi de Navarre, qu'elle avait dépêché à Paris, réunit au Louvre les curés des paroisses, les délégués des ordres religieux. le recteur de l'Université, les régents et théologiens de Sorbonne. Après qu'il eut fait lire des lettres du Roi assez sévères pour les catholiques séditieux, il reprocha vivement au recteur de souffrir les désordres des écoliers, aux curés de souffler le fanatisme, aux officiers municipaux de tolérer l'émeute. L'assemblée se retira, confondue de cette leçon.

Mais les chefs catholiques répliquèrent. Lors de la cérémonie du sacre (13 mai 1561), le cardinal de Lorraine, archevêque de Reims, déclara au jeune Roi que quiconque lui conseillerait de changer de religion lui arracherait en même temps la couronne de la tête. Il remontra, au nom de tout le Clergé, à la Reine-mère, que les édicts donnés pour le faict de la religion n'estoyent aucunement gardés... les juges s'excusant de ne pas les appliquer sur maintes lettres qui leur estoyent envoyées [23]. A Nanteuil, où elle s'arrêta au retour de Reims, le duc de Guise, son hôte, lui dit en face qu'il obéirait à son fils et à elle tant qu'ils resteraient catholiques.

D'Espagne lui venaient de sévères avertissements. Un envoyé extraordinaire de Philippe II, Don Juan Manrique de Lara, lui avait apporté, avec les compliments de condoléances sur la mort de François II, le conseil impératif de ne permettre jamais aux nouveautés qui ont pris naissance dans son royaume d'y faire plus de progrès, de ne favoriser en aucune manière et de n'admettre jamais dans sa familiarité aucuns de ceux qui ne sont pas fermes, comme ils devraient l'être, dans leur religion[24]. L'ambassadeur ordinaire Chantonnay, frère du cardinal Granvelle, guettait tous ses manquements et la harcelait de reproches. Elle s'excusait sur la nécessité, qui l'avait conduite à s'accommoder à quelque doulceur et démonstration de clémence pour les choses passées, qui n'est que pour mectre le repos en ce royaulme et mieulx establir l'advenir[25]. Mais dans ses lettres à sa fille, femme de Philippe II, elle qualifiait hardiment de menteries les bruits qui couraient en Espagne sur ses complaisances envers les réformés, et elle en accusait les Guise. Vous pouvés panser que sous qui soukt aystre roy... (ceux qui étaient habitués à être rois) meteron toujours pouyne (peine) de faire trouver mauvese mes actyons. C'est leur faute si elle ne peut pas faire tout soudeyn ce que désirés, car ils nous mue ten embroullé nous afayres (ils nous ont tant embrouillé nos affaires). Philippe II aurait bien tort de les croire. Quant yl avest (ils avaient) le moyen qu'il etet (ils étaient) comme roys, ils excitaient François II contre lui et cela, pour la brouiller elle-même avec son fils à qui elle conseillait de vivre en bonne amitié avec le roi d'Espagne[26]. Elle ne réfléchit pas qu'en les accusant de n'avoir eu d'autre dessein que de la ruiner elle les disculpe de tout parti pris d'hostilité contre Philippe II. Mais elle aime mieux s'embarrasser dans les récriminations que de répondre aux reproches. Elle les accuse encore d'avoir fait courir le bruit qu'en haine d'eux elle ne tenait pins compte de sa fille, Claude, duchesse de Lorraine, leur cousine par alliance, et elle s'indigne. C'est de toutes leurs calomnies la plus perfide, car se je falle (si je manque) à ma propre fille, quelle seureté l'on pourré avoyr en moy ? Mès, conclut-elle, je prans tout en pasiense. Le prinsipal ayst que Dyeu mersi j'é tout le comendement...[27] C'est le cri du cœur.

Elle avait d'autres raisons d'en vouloir aux Guise. Ne prétendaient-ils pas marier leur nièce, Marie Stuart, une veuve, à Don Carlos, fils unique de Philippe II, alors qu'elle avait elle-même une fille à marier, la petite Marguerite. Elle pressait la reine d'Espagne de rompre à tout prix ce projet, car si l'infant épousait Marie Stuart et que Philippe II vint à mourir, elle serait, reine douairière sous cette reine régnante, la femme la plus malheureuse du monde, tandis qu'elle assurerait sa vie en mariant sa sœur, une autre elle-même[28], à l'héritier de son mari. Catherine indiquait à sa fille un plan de sa façon pour écarter Marie Stuart et pousser au premier rang Marguerite. Qu'elle engageât tout d'abord la sœur de Philippe II, doña Juana, reine douairière du Portugal, à prétendre pour elle-même à la main de son neveu. Probablement Juans, parente si proche de Don Carlos et beaucoup plus âgée que lui, repousserait cette suggestion, mais elle en serait tout de même flattée et, reconnaissante à sa belle-sœur de vouloir la marier au souverain en expectative, elle travaillerait à faire de Marguerite la femme de Don Carlos. Et me sanble que y devés mestre tous vos sin san (cinq sens) pour fayre l'eun au (ou) l'autre mariage[29].

Comme les affaires de France seraient faciles à régler si Philippe II se prêtait aux convenances de sa belle-mère ! Ne devrait-il pas satisfaire Antoine de Bourbon, en qui elle cherchait un support contre les Guise ? S'il ne voulait pas lui restituer la Navarre outre monts, dont Ferdinand le Catholique s'était emparé en 1513, il pourrait lui donner une compensation en Italie, Sienne ou la Sardaigne. Tout le monde gagnerait à cet arrangement, même la religion catholique y trouverait son profit. Elle ne disait pas comment et ne le savait pas. C'était une de ces promesses vagues, dont elle prit l'habitude pour tâcher d'obtenir des avantages certains.

Le gouvernement espagnol était bien résolu à ne faire ni cadeaux ni mariages, uniquement pour complaire à Catherine, mais il se gardait de dire non. Antoine de Bourbon fut si surpris de ne pas se heurter à un refus catégorique qu'il commença naïvement à espérer, et, voulant donner des gages à Philippe II, il cessa de montrer du zèle pour la cause réformée. Mais tout irait bien plus vite, pensait Catherine, si elle pouvait voir son gendre et lui parler. Elle était sûre de le convaincre de l'opportunité de sa politique religieuse et de l'intérêt qu'il avait à marier Don Carlos avec Marguerite et à indemniser le roi de Navarre. Déjà en avril 1561, elle lui avait fait proposer une entrevue immédiatement après le sacre[30]. De Reims elle reviendrait à Paris et partirait immédiatement pour le Midi avec le roi de Navarre. On s'expliquerait et tous les malentendus seraient levés. Philippe II s'excusa. Homme d'État circonspect et lent et qui avait pour maxime de cheminer à pieds de plomb, il n'expédiait pas à la légère les intérêts de l'Espagne et du catholicisme. II avait fait dire et répéter à la Régente que ses complaisances pour les réformés étaient dangereuses et criminelles et elle avait répondu par des justifications qui étaient un aveu et par des démentis que les justifications infirmaient. Il ne voulait pas d'un tête-à-tête qui pourrait passer pour une approbation.

Catherine affirmait hardiment que tout allait bien en France... pour le fayst de la relygion, mais elle savait le contraire. Les religionnaires violaient les édits qui défendaient les prêches publics ou privés ; ils s'assemblaient de jour, de nuit, même en armes. Dans le Midi, ils rendaient aux catholiques coup pour coup. A Paris le bruit courut qu'ils projetaient de troubler la procession solennelle du Saint Sacrement le jour de la Fête-Dieu (15 juin). L'Édit du 19 avril était resté lettre morte, les magistrats refusant d'appliquer une loi que le Chancelier avait soustraite à l'enregistrement et les réformés la jugeant trop rigoureuse et s'obstinant à réclamer des temples.

La Régente décida de faire de nouvelles concessions, mais de ne pas en prendre seule la responsabilité. A Reims, le Cardinal de Lorraine, après les reproches que l'on sait sur le nonchaloir dans l'application des lois, l'avait engagée à faire délibérer sur la question religieuse les princes, seigneurs et autres membres du Conseil privé avec les présidents et conseillers du Parlement, et de garder puis après inviolablement ce qui seroit arresté. Elle voulut tenter la chance et obtenir d'une assemblée, qui serait presque toute catholique, l'approbation de sa politique religieuse. Elle caressa les Guise, appela le Duc à Paris pour escorter la procession de la Fête-Dieu ; écrivit à son ambassadeur en Espagne de recommander à Philippe II les intérêts de Marie Stuart. Alors, se croyant sûre du résultat, elle mena le Roi et le Conseil privé tenir séance au Parlement pour adviser aux différends de la religion en ce qui concernoit le fait d'estat[31].

Le Chancelier, fut bien obligé de reconnaître que les troubles et esmotions pullulaient et multipliaient de jour en jour en ce royaume et il pria l'Assemblée d'indiquer quelque bon remède et propre à y pourvoir, mais il n'eut pas celui qu'il attendait. Après de longs débats (23 juin-11 juillet 1561), cette grande compagnie fut d'avis à trois voix de majorité d'interdire sous peine de confiscation de corps et de biens de faire aucuns conventicules et assemblées publiques ou privées avec armes ou sans armes.

Conformément au vœu que la Reine avait provoqué, le Chancelier dressa l'Édit de juillet (1561), qui interdisait l'exercice public ou privé du culte réformé et déférait la connaissance des faits de simple hérésie aux gens d'Église. Mais la peine de mort se trouvait d'une manière implicite abolie, les hérétiques convaincus n'étant déclarés passibles que du bannissement. L'Édit défendait sur peine de la hart les injures, les irruptions dans les maisons, soubs quelque prétexte ou couleur que ce soit de religion ou autre, et commandait aux prédicateurs de n'user en leurs sermons ou ailleurs de paroles scandaleuses ou tendantes à exciter le peuple à esmotion. Enfin il octroyait à nouveau grâce, pardon et abolition pour toutes les fautes passées procédans du faict de la religion ou sédition provenue à cause d'icelle depuis la mort du roi Henri II, en vivant paisiblement et catholiquement et selon l'Église catholique et observation accoutumée[32].

D'ailleurs le gouvernement, avec une inconséquence généreuse, se disposait à violer l'Édit qu'il venait de publier. Le ministre Merlin écrivait, le 14 juillet 1561, aux fidèles : Les moins puissans d'entre nous auront occasion... d'estre assuretz en leurs maisons ou de leurs voysins, jouissant de la prédication de la parole de Dieu. Il leur faisait même prévoir quelques aultres meilheures nouvelles qu'il ne voulait pas divulguer, de peur que nos adversaires ne pussent brasser les moyens de nous priver du bien qui nous peut revenir en les tenant secrettes et cachées[33]. A Saint-Germain, où la Cour s'était installée au retour du sacre, il se faist tousjours, écrit l'ambassadeur d'Espagne Chantonnay, quelque presche en la maison de quelque seigneur et dame, et s'est presché plus hardiment ces jours passez dedans le chasteau de Saint-Germain qu'il n'y fust oncques devant l'Édit[34]. Le président du présidial de Poitiers, menacé d'une émeute par les réformés s'il publiait l'Édit, consulta la Reine-mère qui lui ordonna de le faire lire au siège sans en faire la publication à son de trompe, comme il est accoustumé, ajoutant : Ne vous mectez en nulle peyne d'en requérir l'observation si exacte[35]. La jurisprudence du gouvernement était toujours plus libérale que la loi. La plupart des huguenots ne savaient aucun gré à Catherine de ses complaisances. Ils avaient si vivement mené la campagne aux élections de mai qu'ils eurent la majorité dans les ordres laïques aux États généraux de Pontoise. Les sectaires et les gens à principes du parti jugèrent le moment venu d'ôter la régence à la Reine-mère et d'en investir Antoine de Bourbon, qui, nouveau David, fonderait la nouvelle Jérusalem[36]. Mais le roi de Navarre, alors tout occupé de gagner le roi d'Espagne, repoussa leurs avances ; et Coligny leur fit approuver l'accord passé entre la Reyne et le roi de Navarre pour le faict du gouvernement. Le Clergé paya les frais de l'entente. Au château de Saint-Germain, où se réunirent (26 août), pour la séance royale, les ordres laïques venus de Pontoise et l'ordre ecclésiastique, assemblé à Poissy, l'orateur du Tiers, Bretagne, vierg (maire) d'Autun, justifia la liberté de conscience par le grand zèle que les sujets avaient au salut de leurs âmes. Il rappela au Roi que le faict principal [le] plus précieux et salutaire de son office était à l'exemple des bons roys, comme David, Ezechias et Josias, de faire qu'en son royaume le vray et droict service du Seigneur soit administré, et, en attendant, il réclama des temples ou autres lieux à part pour ceux qui croyent ne pouvoir communiquer en saine conscience aux cérémonies de l'Église romaine [37]. L'orateur de la Noblesse appuya ce vœu. Le cahier du Tiers proposait la confiscation des biens du Clergé comme un moyen qui surpassoit tous les autres en profict et commodité pour rembourser les emprunts de l'État. Le gouvernement profita des dispositions hostiles des ordres laïques pour amener le Clergé, qui ne payait pas d'impôts directs, à verser au Roi une subvention de 1.600.000 livres pendant six ans et à prendre l'engagement d'amortir en dix ans les rentes de l'Hôtel de Ville, autrement dit la dette publique[38]. C'est l'accord connu sous le nom de Contrat de Poissy et qui fut définitivement arrêté le 21 septembre 1561[39].

Catherine poursuivait un plus grand objet. La cœxistence de deux religions dans le même État apparaissait aux croyants de cette époque comme l'affirmation sacrilège de deux vérités et aux politiques comme une atteinte à l'unité nationale. Nous... voyons, avait dit L'Hôpital aux États d'Orléans, que deux François et Anglois qui sont d'une mesme religion ont plus d'affection et d'amitié entre eux que deux citoyens d'une mesme ville, subjects à un mesme seigneur, qui seroyent de diverses religions[40]. Aussi la tolérance, dans les idées du temps, n'était pas un hommage aux droits de la conscience, mais la constatation qu'une des deux confessions était impuissante à supprimer l'autre ou qu'elle n'y réussirait qu'à la ruine de tout le peuple. Les protestants ne pensaient pas autrement que les catholiques. S'ils fussent devenus les maîtres en France, ils auraient travaillé à la décatholiciser. Quand ils réclamaient le droit de bâtir des temples et de célébrer leur culte en public, c'était avec l'espérance de faire assez de prosélytes pour imposer légalement leur credo au reste du pays. Pour les mêmes motifs de conscience, que renforçait la crainte des représailles, les catholiques défendaient par tous les moyens leur suprématie dans l'État. L'histoire de l'Europe éclaire d'un jour brutal la conception du siècle en matière religieuse. L'Italie et l'Espagne catholiques avaient exterminé les groupes épars de dissidents ; l'Angleterre protestante comprimait méthodiquement la majorité catholique la Suède et le Danemark l'avaient convertie de force. Quant à l'Allemagne, elle ne sortit de l'indivision religieuse que par la division politique ; l'accroissement de la souveraineté des princes au préjudice du pouvoir impérial fut la conciliation empirique de l'impossibilité matérielle de maintenir une seule religion et de l'impossibilité morale d'en admettre deux. Le Saint-Empire, État fédéral en droit, se transforma en une confédération de fait pour permettre à deux et même trois confessions d'avoir chacune son territoire : Cujus regio hujus religio.

Aussi les esprits sages et modérés ne voyaient d'autre remède au morcellement politique ou à la persécution que l'union des Églises rivales et, la jugeant nécessaire, ils l'estimaient possible. Catherine se flattait de réussir là où Charles-Quint avec toute sa puissance avait échoué. Depuis quelque temps elle préparait une rencontre des ministres réformés avec les représentants de l'Église établie et elle y avait fait consentir l'assemblée tenue en Cour de Parlement qui avait inspiré l'Édit de juillet. Des six cardinaux présents à Poissy, trois étaient à sa dévotion : le cardinal de Bourbon, par sympathie personnelle, le cardinal de Tournon par vieille habitude d'obéissance, le cardinal de Châtillon par dévouement à la Réforme. Le cardinal d'Armagnac était un diplomate ; le cardinal de Lorraine avait accepté, voulant jouer aux réformés le tour de les mettre en contradiction avec les docteurs luthériens qu'il ferait venir d'Allemagne ; le cardinal de Guise était toujours du même avis que son frère. La Reine espérait que théologiens protestants et catholiques, mis en présence, &battraient leurs différends et, comme en un congrès de diplomates, les régleraient par des concessions réciproques.

Elle ne savait pas qu'au jugement d'un croyant le moindre désaccord est capital, puisqu'il y va du salut éternel. Catholique de naissance et d'éducation, elle pratiquait par habitude et par goût un culte dont le cérémonial, la grandeur et l'éclat touchaient son imagination. Mais elle prenait ailleurs ses règles de conduite. Dans les conseils de morale que plus tard elle adressait à sa fille Marguerite, dans les explications qu'elle donne de ses actes, elle n'invoque jamais que des raisons de sagesse humaine. La religion n'avait pas pénétré jusqu'à son for intérieur. Sa façon de concevoir les rapports de la créature avec le Créateur était restée païenne. Les devoirs qu'elle rend à Dieu ne sont pas une manifestation de reconnaissance et de tendresse, mais un choix de moyens pour se concilier sa bienveillance ou apaiser sa colère. C'est un échange. Elle n'est pas tourmentée par le mystère de l'au-delà Elle est incapable de regarder longuement en ce miroir de l'âme où la reine de Navarre reconnaissait ses péchés et les grâces de Jésus-Christ, son néant et son tout, à la fois humiliée de sa misère et ravie d'amour pour l'époux divin qui l'en avait tirée[41] ; elle n'a pas le sens religieux. Il est étrange, mais il semble vrai, qu'ayant, pendant les vingt-cinq premières années de sa vie en France, entendu sans aucun doute parler de la répression de l'hérésie, elle n'ait pas songé à s'informer de l'erreur des persécutés. La Réforme n'a commencé à l'intéresser que lorsqu'elle apparut constituée en parti, mais ce n'est pas de la doctrine qu'elle voulait s'instruire. Du retour à la pureté de l'Évangile, du rétablissement du culte en esprit et en vérité, elle avait un médiocre souci. Elle n'est pas hostile à ces nouveautés, elle y est indifférente. Et c'est parce qu'elle ignore la force de l'enthousiasme et du fanatisme qu'elle s'exagère l'action des chefs de partis et croit que de leur bonne intelligence dépend la fin des troubles. Aussi tenait-elle à montrer une Cour unie aux deux Églises qu'elle voulait convaincre de l'inutilité de l'intransigeance. Elle négocia la réconciliation du duc de Guise et du prince de Condé, qui se fit solennellement en présence de toute la Cour. Les paroles d'accord avaient été convenues d'avance et un secrétaire d'État requis pour dresser le procès-verbal. ... Monsieur, dit le duc de Guise au Prince, je n'ay ni ne voudrois avoir mis en avant aucune chose qui fust contre vostre honneur et n'ay esté aut heur, motif ne instigateur de vostre prison. Sur quoy monsieur le prince de Condé a dit : Je tiens pour meschant et malheureux celuy et ceux qui en ont été cause Et la dessus mondit sieur de Guise a respondu : Je le croy ainsi, cela ne me touche en rien. Ce fait, le Roy les a priés de s'embrasser et, comme ils estoient proches parens, de demeurer bons amis. Ce qu'ils ont faict et promis (24 août)[42]. La trêve des partis était au moins assurée pendant le colloque de Poissy.

Sur l'invitation du roi de Navarre, les Églises réformées de France avaient député à Poissy, entre autres représentants, des ministres chargés de débattre avec les docteurs catholiques les points de doctrine et les moyens d'en tente. Calvin, trop caduc pour faire le voyage et que le gouvernement d'ailleurs eût craint de ne pouvoir protéger contre un attentat catholique, avait envoyé à sa place Théodore de Bèze, son éloquent coadjuteur. De Suisse vint un des plus savants théologiens de l'Église réformée, Pierre Vermigli, autrement dit Pierre Martyr, Italien de naissance, chassé de son pays par la persécution et alors pasteur à Zurich. Bèze, le lendemain de son arrivée, fut esbahi, suivant sa propre expression, de trouver le soir, chez le roi de Navarre où il était attendu, la Reine-mère elle-même avec Condé, les cardinaux de Bourbon et de Lorraine, Mme de Crussol et une autre dame. Aux assurances qu'il lui donna de servir avec ses compagnons à Dieu et à Sa Majesté en une si sainte et nécessaire entreprise, elle, avec un fort bon visage, respondit qu'elle seroit tres aise d'en veoir un effect si bon et heureux que le royaume en peust venir à quelque bon repos[43]. Le cardinal de Lorraine immédiatement attaqua Bèze sur le dogme de l'Eucharistie, mais il le fit sans aigreur, en s'excusant même d'être rude en ces affaires, comme un grand seigneur qui parle devant des princes et une Reine, et qui a grand désir de conciliation. Bèze montra même volonté, convenant que bien que le corps [du Christ] soit aujourd'huy au Ciel et non ailleurs... toutefoys aussi veritablement nous est donné ce corps et receu par nous moyennant la foy en vie éternelle. Le Cardinal, qui, dit-on, ne croyait guère au changement du pain et du vin en corps et sang de Jésus-Christ, effleura la question de la transsubstantiation et, préoccupé avant tout de la foi en la présence réelle, il put croire, après la déclaration de son interlocuteur, que sur ce point fondamental ils s'entendaient. Je le croy ainsi, madame, dit-il à Catherine, et voilà qui me contente. Alors, raconte Bèze, me tournant vers la Reine, voilà donc ces sacramentaires si longtemps tourmentés et chargés de toutes sortes de calomnies [44]. Sous ce nom de sacramentaires les catholiques englobaient diverses sortes de dissidents, bien à tort d'ailleurs. En effet, les disciples de Zwingle ne voyaient dans la Cène qu'une commémoration du sacrifice expiatoire du Sauveur, mais pour les calvinistes elle était une vraie participation, quoique purement spirituelle, au corps et au sang de Jésus-Christ. Bèze relevait avec ironie l'erreur des adversaires de son Eglise. Catherine, attentive à tout indice de rapprochement, souligna sa protestation. Escoutez-vous, dit-elle, monsieur le Cardinal ? Il dit que les sacramentaires n'ont point aultre opinion que ceste cy à laquelle vous accordez. Après quelques autres propos touchant l'accord et union, la Reine-mère s'en alla fort satisfaite. Les jours suivants, elle se montra très aimable, elle demanda ou fit demander des nouvelles de Calvin, de son âge, de sa santé, de ses occupations. Elle s'enquit avec intérêt de Pierre Martyr Vermigli, son compatriote, qui n'arriva qu'un peu plus tard. Elle permit à Bèze de prêcher au logis du prince de Condé et de l'Amiral. Elle crut que les docteurs des deux confessions parviendraient à s'entendre.

Mais elle se faisait illusion. Catholiques et réformés avaient même fin, qui était de détruire l'Église rivale. Bèze remontrait à Condé, le jour de son apoinctement avec Guise, que quant à sa querelle particuliere... il (Condé) savoit assez à qui il en faloit remettre la vengeance. Mais que nul ne povoit estre tenu pour amy de Dieu s'il ne se declairoit ennemy des ennemys jurez d'iceluy et de son Église en ceste qualité[45]. L'Église gallicane se sentait même devoir contre les hérétiques. Elle autorisa, par zèle catholique, l'établissement en France de l'ordre des jésuites que jusque-là elle avait repoussé, en haine de ses principes ultramontains. Elle avait consenti à entendre les novateurs en leur justification, mais comme un tribunal chargé de prononcer l'arrêt. Les ministres réformés sollicitèrent du Roi la déclaration que les evesques, abbés et ecclésiastiques ne fussent point leurs juges, attendu qu'ils étaient leurs parties. Mais la Reine-mère estima que pour lors il n'estoit expedient de délivrer cet acte, joinct qu'ils se devoient bien contenter de sa simple parole et promesse que les dits ecclésiastiques ne seroient aucunement juges en cette partie[46].

Le clergé catholique n'admettait point d'égalité. Il attendit les défenseurs de l'hérésie dans le réfectoire des nonnains de Poissy, lieu ordinaire de ses séances. Cardinaux, évêques, docteurs occupaient, chacun à son rang, les deux côtés de la salle. Au fond, dominant l'assemblée, siégeaient sur un échafaud, le Roi, la Reine-mère, Monsieur, frère de Charles IX, Marguerite, sasseur, et le roi et la reine de Navarre. Après un discours du Chancelier sur les avantages que le Roi se promettait de cette réunion, les ministres furent introduits. Ils apparurent dans leur simple et sévère costume, escortés par le duc de Guise et les archers, et se rangèrent debout le long d'une barrière qui les séparait des docteurs catholiques assis[47] (9 septembre 1561).

Théodore de Bèze exposa la doctrine de l'Église réformée[48]. Il dit en quoi elle s'accordait avec celle de l'Église romaine, en quoi elle s'en distinguait, et franchement il aborda la question de l'Eucharistie. Jusque-là l'admiration, mêlée de surprise, de sa parole élégante et noble, forte et précise, avait contenu les passions de l'auditoire, mais quand il en vint à dire que le corps du Christ est esloingné du pain et du vin, autant que le plus haut ciel est esloingné de la terre[49], un murmure de protestation s'éleva. Le cardinal de Tournon dit au Roi et à la Reine : Avez-vous ouï ce blasphème ? Bèze, entendant cette rumeur, resta un moment étonné. Quand il eut fini, le cardinal de Tournon pria le Roy, la Reine mère et l'assistance de n'adjouster pas foy aux erreurs qu'ils avaient ouïes ! Catherine, embarrassée, répondit que le Roi, son fils, et elle vouloient vivre et mourir en la foy catholique, en laquelle avoient vécu ses prédécesseurs Roys de France[50]. Le lendemain Bèze lui écrivit pour s'expliquer. On accusait à tort les réformés de vouloir forclorre (mettre hors) Iesus Christ de la Cene, [ce] qui seroit une impiété toute manifeste.... Et de faict, s'il estoit autrement, ce ne seroit point la Cene de nostre Seigneur..... Mais il y a grande différence de dire que Iesus Christ est present en la Saincte Cene, en tant qu'il nous y donne véritablement son corps et son sang, et de dire que son corps et son sang soyent conjoincts avec le pain et le vin[51]. Catherine aurait mieux aimé qu'il ne distinguât point. Bèze, écrivait-elle à son ambassadeur à Vienne, s'oublia en une comparaison si absurde et tant offensive des oreilles de l'assistance que peu s'en fallut que je ne luy imposasse silence et que je ne les renvoyasse tous sans les laisser passer plus avant[52]. Le cardinal de Lorraine se prévalut de la s comparaison s. Dans sa réplique du 16 septembre, au nom du Clergé, il s'attacha presque uniquement aux deux points qui divisaient le plus : l'autorité doctrinale de l'Église et des Conciles et le dogme de l'Eucharistie et il concentra son effort à établir contre l'opinion de ces nouveaux hérétiques la présence réelle, substantielle et charnelle du corps et du sang de Jésus-Christ. ...A tout le moins, s'écria-t-il en s'adressant aux ministres, de ce différent ne refusés l'Église Grecque pour juge si tant vous abhorrés la Latine, c'est-à-dire Romaine, recourant à une particulière puisque l'universelle vous deplaist. Que dyray-je Grecque ? Croyez-en la confession Augustane (la confession d'Augsbourg)[53] et les Églises qui l'ont receue. De toutes incontinent vous vous trouverez convaincus[54].

Bèze aurait voulu répondre, mais on ne le lui permit pas. C'en était fait des tentatives d'union. L'arrivée d'un légat, le cardinal de Ferrare, Hippolyte d'Este, chargé d'annoncer la réunion prochaine d'un Concile général, aurait empêché toute transaction, même si l'Église gallicane y eût été disposée. Catherine réduisit le Colloque à un débat obscur entre théologiens à portes closes. Lainez, second général des Jésuites, qui avait accompagné le légat, lui dit en face que si elle ne chassoit telles gens sentants mal de la Religion chrestienne, ils gasteroient le royaume de France. Il parlait avec tant de vehemence à la mode italienne qu'il fit venir les larmes aux yeux de la Reine mère, à ce qu'on dit[55].

Elle s'obstina pourtant dans la politique de tolérance qui était son œuvre et qu'elle se flattait de mener à bien. Elle mettait son orgueil à résister à la pression des triumvirs et de l'Espagne. Sa grande crainte, écrit le nonce Prosper de Sainte-Croix, qui avait rejoint le Légat, c'est de paraître gouvernée. L'Amiral lui savait gré de ses bonnes intentions. Condé s'effaçait

derrière son frère aîné et celui-ci, uniquement préoccupé de ses ambitions navarraises, se désintéressait des affaires de France. Elle n'en était que plus disposée à favoriser les chefs protestants.

Peut-être aussi a-t-elle pu croire que l'avenir était à la cause de la Réforme et a-t-elle voulu s'y ménager la première place. Les progrès de la jeune Église étaient prodigieux. Les masses restaient fidèles au catholicisme, mais une partie de la bourgeoisie et de la noblesse faisait défection. La politique avait autant de part à ces conversions que les raisons de conscience ; la haine des Guise avait fait autant de huguenots d'État que le pur Évangile de huguenots de religion. La mode aussi s'en mêlait. Il n'était, dit Blaise de Monluc, fils de bonne mère qui ne voulût en être. Le curé de Provins, Claude Haton, exagère quand il évalue les protestants au quart de la population, mais il est vrai qu'ils étaient nombreux dans toutes les provinces et dans toutes les classes. Au premier synode national de Paris en 1558, onze églises seulement étaient représentées ; deux ans après, la Provence seule en comptait soixante. Coligny avait présenté requête à l'Assemblée de Fontainebleau pour 5o.000 fidèles de Normandie ; à Poissy, 2 500 églises réclamaient le droit de bâtir des temples. Le Colloque, cette sorte de reconnaissance officielle de la nouvelle religion, accrut encore l'audace et les espérances des réformés[56]. Catherine avait à son service des dames et des hommes qui étaient des adversaires plus ou moins déclarés de la vieille Église : Claude de Beaune, mariée au seigneur du Goguier, commise à la recette et distribution de ses deniers ; Chastelus, abbé de La Roche, son maître des requêtes ; Feuquières, son écuyer ; Hermand Taffin, un de ses gentilshommes servants. Elle avait pour intime amie Jacqueline de Longwy, duchesse de Montpensier, qui ne voulut pas mourir (août 1561) sans avoir conféré avec un ministre du faist de sa conscience. Une de ses favorites, la spirituelle et galante Louise de Clermont-Tonnerre, comtesse de Crussol, n'était pas contraire aux nouveautés, et Soubise, avec qui elle aimait à se moquer du culte des images, y était tout à fait favorable. Le prélat dont elle appréciait le plus l'intelligence, Jean de Monluc, ce frère si dissemblable du rude soldat qui a écrit les Commentaires, longeait les limites de l'orthodoxie que le cardinal de Châtillon avait, sans le dire, déjà franchies. Les événements de ces derniers mois avaient approché ou rapproché d'elle les grandes dames et les princesses protestantes : Renée de France, duchesse douairière de Ferrare, Mme de Roye et sa fille, la princesse de Condé, Mme l'Amirale, la marquise de Rothelin, mère du jeune duc de Longueville, et enfin la reine de Navarre, Jeanne d'Albret, arrivée le 29 août 1561 à Saint-Germain pour surveiller les infidélités de son mari et les intérêts de la Réforme[57]. Est-il excessif de croire que, vivant en ce milieu ardent, Catherine ne s'en soit pas quelque peu ressentie.

Faut-il y ajouter l'action d'un homme ? Bèze, on l'a vu, était un prêcheur éloquent. Son exposition débarrassée du fatras scolastique, alerte et claire, rendait accessible aux gens de Cour les discussions théologiques. Claude Haton, un ennemi, parle de sa langue diserte et bien affiliée, de son beau et propre vulgaire françoys et reconnaît, tout en se moquant, la force de son action oratoire. Il triompha, dit-il, de cacqueter, ayant la mine et les gestes attrayans les cœurs et vouloirs de ses auditeurs[58]. Les princes et les seigneurs, raconte un témoin, couraient à ses prêches ; les courtisans l'escortaient comme un roi ; les pages et les valets s'agenouillaient sur son passage. La Reine elle-même avait voulu l'entendre et y avait pris grand goust[59]. Le lendemain de la harangue du cardinal de Lorraine, peut-être pour apaiser Bèze, à qui on refusait le droit de répliquer, elle lui parla très familièrement — c'est lui-même qui l'écrit à Calvin — et lui donna de grandes espérances (spem mihi magnam fecit)[60]. Le jour d'après, elle le fit venir encore chez elle avec Pierre Martyr et leur recommanda d'employer tous leurs moyens pour arriver à un accord[61]. Le roide Navarre et l'Amiral obtinrent de Calvin qu'il laissât en France quelque temps encore ce personnage si en faveur. Catherine l'avait prié de rester. La Reine, je ne sais comment, me voit volontiers, dit-il, elle l'a affirmé à beaucoup de personnes et, au vrai, j'en ai la preuve[62]. L'Édit de juillet n'avait pas été plus appliqué que les édits précédents. Enfin j'ai obtenu grâce à Dieu, écrivait Bèze à Calvin le 30 octobre 1561, qu'il soit permis à nos frères de tenir leurs réunions en toute sécurité, mais seulement par autorisation tacite jusqu'à ce qu'un édit solennel nous fasse des conditions meilleures et plus assurées[63]. Mais au lieu de s'assembler 2 à 300, chiffre qu'ils ne devaient pas dépasser, ils affluaient en nombre de 2 à 3000 et quelquefois 10.000. Le prince de La Roche-sur-Yon, gouverneur de Paris, sous prétexte qu'il n'avait d'ordre que pour réprimer les émeutiers, protégeait ces conventicules et ses soldats arrêtaient ou frappaient les catholiques qui essayaient de les troubler[64]. Grâces à Dieu, remarquait Bèze, les choses sont bien changées en peu d'heures, estans maintenant faicts gardiens des assemblées ceux la mesme qui nous menoyent en prison. Mais il craignait qu'il n'y eût des fidèles dont l'impatience détruirait plus en un jour qu'il n'avait bâti en un moys[65]. Et en effet le Conseil du roi, pour arrêter cette licence, prépara un édit qui n'autorisait les réunions que dans les faubourgs des villes et en dehors des jours de fête. Bèze, prévenu un peu tard, au retour d'une course à Paris, déclarait à Calvin que s'il avait été à Saint-Germain, il aurait peut-être empêché cette mesure[66]. Quand il sut que les restrictions étaient pires encore et qu'il faudrait s'assembler, non pas dans les faubourgs, mais à deux cents pas des murailles des villes, il protesta qu'il ferait supprimer cet article[67]. A qui pouvait-il demander pareille concession ? Est-ce à L'Hôpital, dont il parlait avec tant de mépris en août : Le chancelier que vous savez et qu'il avait l'air de considérer comme un faux frère ?[68] Était-ce au lieutenant-général si versatile et si mou et alors en coquetterie avec les Espagnols ? Quelle autre personne que la Reine était capable d'imposer à un Conseil en grande majorité catholique l'amendement d'un édit défavorable aux réformés ?

Philippe II s'irritait de tant de complaisances, persuadé qu'une mutation de religion en France tendait à la destruction et brouillerie de ses États [69] ... luy touche autant qu'à personne, écrivait Élisabeth à sa mère, car stant France lutérien (entendez calviniste), Flandres et Espagne ne sont point loin. Aussi lui mettait-elle le marché à la main : ou elle s'allierait avec Philippe II contre les protestants, ou Philippe II s'allierait contre elle avec les catholiques français[70]. Chantonnay faisait même déclaration à Charles IX. Les Guise, pour marquer leur mécontentement, quittèrent la Cour (fin octobre). Ils avaient, dit-on, projeté pis. Quelques jours avant leur départ, le duc de Nemours (Jacques de Savoie), qui par amour, croyait-on, de la duchesse de Guise, était tout dévoué à son mari, proposa, au frère puîné du jeune roi, Édouard-Alexandre, de l'emmener en Lorraine ou en Savoie[71]. C'était pour l'opposer à la Reine-mère si elle passait avec Charles IX au protestantisme. Monsieur, le duc d'Orléans (plus tard Henri III) était celui de tous ses enfants que Catherine aimait le plus. Tout émue, elle dénonça cette tentative de rapt à Philippe II[72]. Elle demanda des explications à Guise, qui froidement répondit qu'il ne savait rien.

En même temps les nouvelles des Pays-Bas, d'Allemagne, de Rome, annonçaient une guerre prochaine entre la France et l'Espagne. Catherine était affolée[73]. Serait-il possible que son gendre eût pareil dessein, demandait-elle à son ambassadeur à Madrid ? Toutefois, je ne veulx riens croire, tant je l'estime prince de vérité, de vertu et de parolle, ne pouvant me persuader qu'il soit pour entreprendre une guerre sans juste occasion[74]. Avec sa fatuité de femme, Catherine, convaincue que, si elle le voyait, elle le gagnerait à sa politique, remettait en avant le projet d'entrevue. Mais le roi d'Espagne, qui ne l'avait d'abord accusée que d'imprudence, commençait à douter de sa bonne foi.

Elle se montrait toujours plus indocile aux conseils, ou, si elle en demandait, c'était en faisant ses conditions. Cella s'entend autre advis que la force, écrit-elle à son ambassadeur à Madrid, car je ne veulx pas empirer le marché, ne moings avoir affaire des estrangiers, mais eschapper le temps, s'il est possible, sans laisser rien gaster irremediablement attendant l'aage (la majorité) de mon fils. Et elle ajoute de sa main : ... Je ne veos (veux) ni ne suys conselleyé de venir aus arme [contre les réformés][75]. Elle inclinait plus que jamais du côté des chefs protestants : Coligny, d'Andelot, Condé, la reine de Navarre ; elle permettait que les édits fussent violés sous ses yeux. Bèze annonçait à Calvin, le 25 novembre, de Saint-Germain où était la Cour, qu'ils avaient commencé à y établir une église et que le dimanche suivant, Dieu aidant, ils célébreraient la Cène. Il lui parlait avec enthousiasme des trois fils de la Reine. Sache qu'ils sont d'un naturel admirable et tel qu'on peut le souhaiter vu leur âge, sans en excepter même le puîné (Henri) à qui la tentative [de rapt] a admirablement profité[76]. La proposition du duc de Nemours avait eu en effet le résultat inattendu de dégoûter ce petit prince de dix ans du catholicisme. Il criait sans cesse à sa jeune sœur Marguerite, qui le raconte dans ses Mémoires, de changer de religion ; il lui prenait ses Heures pour les jeter au feu, et lui donnait des psaumes et prières huguenotes. La fillette allait avec sa gouvernante trouver le cardinal de Tournon, qui remplaçait les Heures et y ajoutait des chapelets. Alors, dit-elle, mon frère et ces autres particulieres ames, qui avoient entrepris de perdre la mienne, me les retrouvant, animez de courroux m'injurioient, disants que c'estoit enfance et sottise qui me le faisoit faire... Et mon frère y adjoustant les menaces disoit que la Royne ma mere me feroit fouetter ; ce qu'il disoit de luy-mesme, car la Royne ma mere ne sçavoit point l'erreur où il estoit tombé[77]. Il est peu croyable que Catherine fût si mal instruite des actions de son fils le plus cher ; elle a probablement fermé les yeux sur cet accès de huguenoterie, qui était une sauvegarde de plus contre une nouvelle velléité d'enlèvement. Ce prosélytisme d'enfants donne l'idée d'une Cour infectée d'hérésies. Le nonce Prosper de Sainte-Croix rapportait à la Cour de Rome, le 15 novembre, que dans une mascarade le jeune Roi avait paru déguisé avec une mitre sur la tête pour se moquer de l'ordre du clergé[78].

Un jour, probablement de novembre aussi, Charles IX, causant avec la très huguenote Jeanne d'Albret, s'étonna que le roi de Navarre le suivit à fa messe et, sur la réponse que c'était par marque de déférence, il déclara qu'il l'en dispensait volontiers et que, quant à lui, il y allait pour faire plaisir à sa mère[79]. Catherine tenait la main à l'observation des pratiques, mais Bèze devait croire que c'était sans bonne foi. t Je t'assure, écrivait-il à Calvin le 16 décembre, que cette Reine, notre Reine, est mieux disposée pour nous qu'elle ne le fut jamais auparavant s. Et il ajoutait : Plût à Dieu que je pusse sous le sceau du secret t'écrire de ses trois fils nombre de choses que j'entends dire d'eux par des témoins sûrs. Assurément ils sont tels pour leur âge que tu ne pourrais même le souhaiter[80].

Catherine allait emportée par son élan, mais elle commençait à s'effrayer de son audace. Dans une lettre écrite à sa fille, la reine d'Espagne, au moment où elle se compromettait le plus-avec les protestants, elle passe tout d'un coup de combinaisons matrimoniales à l'instabilité du bonheur et au danger que l'on court en ne servant pas Dieu comme on doit et en l'oubliant parmi les plésir, ayse et jeoye qu'il donne. ...Retournés tousjour à lui, reconesés [vous] de luy et que san luy vous ne seriés ne (ni) pouriés rien, afin qu'i (de peur qu'il) ne vous envoy de ses verge pour le vous faire reconestre comme il a faist ha (à) vostre bonne mère[81]. Il fallait un danger bien pressant pour incliner son orgueil devant ce maître tout-puissant et jaloux. Mais elle ne laissait pas d'employer les moyens humains de défense.

Inquiète de l'agitation des catholiques et des menaces de l'Espagne, elle voulut savoir de quelles forces militaires les réformés pourraient l'assister, le cas échéant. L'Amiral s'entremit avec beaucoup de zèle. On constata qu'il y avait plus de t deux mille cent cinquante églises s établies, et en leur nom les députés et les ministres présents à Paris adressèrent une requête au Roi pour avoir des temples, offrant tous services... de leurs biens et personnes à leurs propres despens, s'il en avoit besoin. Mais cette promesse générale de dévouement ne suffisait pas à la Reine. Coligny, pour la contenter, fit décider, dans une réunion des chefs du parti et des ministres, que chaque église serait invitée à dresser à l'heure du prêche la liste des hommes de pied et de cheval prêts à défendre le royaume contre les étrangers, au cas où il serait attaqué pour le motif de la religion.

Bèze, qui s'était prononcé contre ce projet de dénombrement pour des raisons qu'il ne nous a pas dites, reconnaissait toutefois que les calomnies n'étaient pas à craindre, car rien n'était fait en cachette ni sans patronage (sine auspiciis), bien que la Reine ne voulût pas être nommée[82]. Mais beaucoup d'églises, surprises ou même alarmées de cette invitation, ne répondirent pas ou firent des objections. Quelques-unes et même des provinces entières s'organisèrent ou, comme la Haute-Guyenne et le Limousin, étaient déjà organisées pour la défense ou pour l'attaque — et ce n'était pas seulement contre l'Espagnol.

Cet appel à l'aide était grave ; il encourageait la minorité dissidente à s'armer, il surexcitait les craintes de la majorité catholique. Dans le Midi, les passions religieuses faisaient rage ; les huguenots du Sud-Ouest chassaient ou tuaient les moines et brisaient les images ; leurs adversaires massacraient en tas. Le baron de Fumel fut assassiné par ses paysans, qui étaient de la religion (24 novembre 1561)[83]. Quelques jours auparavant (19 novembre 1561), la populace de Cahors avait assailli, enfumé et égorgé une trentaine de réformés qui célébraient le culte dans un de leurs logis. Mêmes violences menaçaient le reste du royaume. A Paris il y eut une bagarre sanglante. Avec le consentement tacite de la Régente, les protestants s'assemblaient, malgré les édits, au quartier de l'Université, hors de la porte Saint-Marcel, tout près de l'église Saint-Médard, en une maison appelée le Patriarche. Le lendemain de la Noël (26 décembre), le clergé de la paroisse, pour empêcher le prêche du ministre, fit sonner les cloches à toute volée. Un réformé alla leur dire de cesser ce bruit assourdissant ; il fut tué ; ses compagnons forcèrent l'entrée de l'église, battirent et blessèrent des fidèles et des prêtres. Le guet survenant arrêta les provocateurs, laïques ou clercs, et les conduisit en plein jour aux prisons du Châtelet. Cet emprisonnement de prêtres fit scandale parmi la population parisienne furieusement catholique. Le Parlement évoqua l'affaire, relâcha immédiatement les ecclésiastiques et, quelques mois plus tard, il fit pendre le chevalier du guet, par forme de réparation (21 août 1562).

La Reine-mère était bien obligée de reconnaître que les troubles et séditions s'étaient, au lieu de s'apaiser, de beaucoup augmentés en divers endroits de ce royaume, mais elle ne se demandait pas si le droit qu'elle s'arrogeait de suspendre les lois qu'on venait de publier n'en était pas en partie cause. Elle escomptait toujours l'effet adoucissant d'un nouvel édit. Elle fit venir à Saint-Germain les principaulx et plus notables présidens et conseillers des Cours souveraines pour y délibérer avec le Conseil privé sur les moyens de pacification. Le Roi en personne ouvrit les délibérations. Le chancelier de L'Hôpital, avec un optimisme déconcertant, affirma que, depuis le début des troubles, la situation du royaume n'avait jamais été meilleure[84]. Généreusement il repoussa l'idée que le Roi dût se déclarer pour un parti et exterminer l'autre, comme contraire à la profession de chrétien et à l'humanité, et comme irréalisable dans l'état de division du pays et des familles. Les remèdes employés jusqu'ici contre le mal étant restés sans effet, il demandait à la compagnie de déclarer si, oui ou non, elle était d'avis d'en essayer un nouveau, qui était la liberté pour les prédicants de tenir des assemblées. Qu'elle ne se méprît point d'ailleurs sur son rôle. Le Roy, dit-il, ne veut point que vous entriez en dispute quelle opinion est la meilleure ; car il n'est pas ici question de constituenda religione sed de constituenda republica ; et plusieurs peuvent estre Cives qui non erunt christiani ; mesmes un excommunié ne laisse pas d'estre citoyen[85].

Les débats furent vifs et parfois même violents (7-15 janvier 1562). Au vote, sur 49 opinants, 22 furent d'avis d'accorder des temples aux réformés, 27 de les leur refuser, tout en leur permettant, comme on l'avait toléré dans les tout derniers mois, de se réunir pour célébrer leur culte[86]. Avant de clore l'assemblée, la Reine-mère[87] fit une déclaration. Elle parla de telle manière qu'on dit, rapporte le nonce Prosper de Sainte-Croix, n'avoir jamais entendu aucun orateur qui se soit exprimé avec plus d'éloquence, ni avec plus de succès. Sa Majesté a dit elle-même qu'il lui semblait que dans cet instant-là Dieu lui mit les paroles à la bouche. Elle pria les députés de répéter qu'elle et ses enfants et tous les membres de son Conseil voulaient qu'on vécût dans la religion catholique et sous l'obéissance de la sainte Église romaine ; que les novateurs n'auraient point des temples et seraient au contraire obligés de rendre ceux dont ils s'étaient emparés ; qu'il leur serait défendu d'en construire ou d'avoir d'autres lieux d'assemblée dans les villes, mais que, sous certaines conditions, elle souffrirait qu'ils se réunissent secrètement en quelque maison. C'était d'ailleurs pour empêcher le désordre et l'effusion du sang qu'elle faisait cette concession, mais provisoirement, en attendant les décisions du Concile de Trente, qu'elle s'engageait dès maintenant à suivre et à faire suivre en tous points[88]. Conformément à l'avis de la majorité, l'Édit de janvier (17 janvier 1562) défendit aux réformés presches et prédications, soit en public ou en privé ny de jour ny de nuict, dans les villes, mais il les autorisa par provision et jusques à la détermination du dict Concile général à s'assembler de jour, hors des villes, pour, faire leurs presches, prières et autres exercices de leur religion[89].

Elle avait proclamé son orthodoxie, au risque d'inquiéter les dissidents, pour faire accepter aux catholiques ce régime de demi-tolérance. Mais le nonce était seul à croire ce qu'il écrivait à Rome, qu'à mesure des progrès de son pouvoir, elle ferait toujours plus ouvertement paraître sa bonne volonté. A Paris, où depuis l'affaire Saint-Médard la population était très excitée, les huguenots furent insultés. Le Parlement refusa d'enregistrer l'Édit. L'ambassadeur d'Espagne alla se plaindre à la Reine-mère du discours du Chancelier tendant à mestre une forme d'interim et laisser vivre tout le monde à sa discrétion. Il la pressa d'expulser les prédicants, lui offrant pour cet effet les forces de son souverain, mais elle répondit qu'elle ne vouloyt point veoir d'estrangers dans ce royaulme ny aussi pas allumer une guerre qui la contraignist de les y appeller. De là il est entré, continue la relation française de l'audience[90], sur la nourriture (éducation) du Roy et de messeigneurs ses frères, prétendant que devant eux chacun disoyt de la religion tout ce qu'il vouloist. Catherine répliqua en colère que cela (cette accusation) ne touchoyst qu'elle et qu'elle voyoit qu'il (Chantonnay) estoit bien adverty, non pas véritablement, mais bien curieusement, et que si elle cognoissoit les advertisseurs qui calomnient ainsi toutes ses actions, elle leur feroyst sentir combien ilz s'oublient de parler ainsi peu revèremment et véritablement d'elle. .... Elle avoyt des enfans qui luy estoyensi obéissans qu'on ne leur disoyt rien qu'ils ne luy redissent, par où il (l'ambassadeur) se pouvoit assurer qu'elle sçavoit tous les lengages qu'on leur tenoist et qu'elle les faisoit nourrir de telle façon qu'elle s'asseuroyt que ce royaulme et tous les gens de bien luy en auroient un jour grande obligation [91]. Dans une lettre à Philippe II de ce même mois de janvier, elle certifiait à son gendre, monsieur mon fils, comme elle l'appelle, qu'elle ferait tousjour grande diférance entre seus qui tiene nostre bonne religion et les aultres qui s'en deportent, mais l'âge de son fils et les troubles du royaume ne m'ont permis, dit-elle, d'avoyr peu fayre conestre à tout le monde set (ce) que je an né (en ai) dans le cour (cœur) et m'on contreynt faire bocup (beaucoup) de chause que en heun aultre sayson je n'euse faist[92].

Mais que cette explication soit ou non sincère, qu'elle agisse par politique ou par dégoût de la violence, on se prend à l'admirer de suivre courageusement la voie qu'elle s'est tracée. Elle réunit dans les derniers jours de janvier quelques théologiens et quelques ministres pour débattre plus particulièrement la question des images. Elle amène à ce nouveau colloque des évêques et des cardinaux. C'était, expliquait-elle au légat, Hippolyte d'Este, le meilleur moyen de convaincre les prédicants d'ignorance que de leur permettre de présenter leurs arguments[93]. En réalité, ce qu'elle voudrait, c'est un programme de réformes, souscrit par les catholiques et les protestants, qu'elle pût présenter au prochain Concile comme le vœu commun des deux Églises. Bèze savait la vanité de cette tentative, mais il s'y prêta pour lui complaire[94]. Monluc et les docteurs catholiques les plus conciliants, Salignac, Despence, Picherel, Bouteiller, sans vouloir, comme les ministres, proscrire absolument les images, émirent le vœu que les évêques, curés et autres pasteurs remontrassent souvent au peuple que les images n'ont esté receues en l'Église que pour instruire les simples et représenter ce que notre Sauveur a fait pour nous ; qu'elles ne sont pas elles-mêmes un objet de culte et que toutes, hormis la simple croix, doivent être déplacées des autels et mises en parois en tels lieux qu'on ne les puisse plus adorer, saluer, baiser, vestir, couronner de fleurs, bouquets, chapeaux, leur offrir vœux, les porter par les rues et temples sur les espaules ou bastons. Mais la majorité des docteurs, tout en blâmant l'abus, décida de maintenir l'usage. Il en fut de ce petit colloque comme du grand colloque de Poissy.

Catherine continuait à jouer très serré, multipliant les affirmations de son zèle pour le- catholicisme, et laissant les réformés jouir du bénéfice de l'Édit de janvier et même d'un peu plus de liberté. Mais une nouvelle et définitive évolution d'Antoine de Bourbon la priva de son plus solide appui du côté des protestants. Le Légat, qui était aussi fin qu'elle, s'était bien gardé de la heurter de front et même, pour lui plaire, il l'aurait, dit-on, un jour accompagnée au prêche. Entre temps, comme s'il n'eût voulu que la seconder, il travaillait lui aussi à rapprocher le roi de Navarre de Philippe II. Antoine de Bourbon avait beaucoup varié en ses pratiques religieuses au cours de l'année 1561, allant successivement ou le même jour à la messe et au prêche et, selon ses intérêts, fidèle de l'une ou l'autre Église, correspondant avec Calvin et déléguant au pape pour qu'il lui fit obtenir du roi d'Espagne la compensation si ardemment convoitée. La Cour de Rome donna de bonnes paroles. Hippolyte d'Este, le cardinal de Tournon et Chantonnay lui persuadèrent que, s'il menait son fils à la messe — ce fils que Jeanne d'Albret nourrissait avec tant de soin dans l'hérésie — il gagnerait le cœur du Roi catholique et obtiendrait de lui ce qu'il voulait. Il le crut et, immédiatement après l'Édit de janvier[95], il rompit, définitivement cette fois, avec les réformés. C'était pour eux un coup terrible, comme on en peut juger par la fureur de Bèze. Ce malheureux, écrit-il à Calvin le 1er février, est absolument perdu et il a résolu de tout perdre avec lui. Il éloigne sa femme, il ose à peine regarder l'Amiral à qui il doit tout[96]. Bèze ne veut plus désormais l'appeler que Julien (l'apostat). A peine pourrait-on trouver, dit-il, pareil exemple de légèreté, de perfidie, de scélératesse[97]. Quant à la Reine-mère, ou, comme il dit, notre autocratrice Άυτκράτορα, il reconnaît, qu'il n'y a pas de sa faute et qu'elle est grandement offensée de ce qui se passe (istis maxime offendi)[98]. Dans le premier moment de colère, elle s'en prit au Connétable, qu'elle rendait responsable du revirement du roi de Navarre ; et en sont venues parolles si aigres que le Connétable s'en est allé[99]. Le moment était critique. Elle était brouillée avec les chefs du parti catholique, et, dans le parti protestant, elle n'avait plus pour elle que l'Amiral et son frère, d'Andelot, qu'elle avait fait entrer au Conseil privé, la Reine de Navarre, et Condé, qui à la fin de février relevait à peine d'une grosse attaque de fièvre. Sous peine de se perdre, elle était obligée de changer d'allure, sinon de sentiments. Elle donna l'ordre à toutes ses dames et demoiselles de vivre catholiquement à son exemple, si elles ne voulaient pas être chassées honteusement et punies. Le 4 février, elle communia et suivit la procession, accompagnée de toute la Cour[100]. Elle coupa court aux fantaisies huguenotes d'Henri d'Orléans. Elle le tansa fort, raconte Marguerite, luy et ses gouverneurs, et, le faisant instruire, le contraignist de reprendre la vraye, saincte et ancienne religion de nos pères, de laquelle elle ne s'estoit jamais departie[101]. Après cette évolution, elle pouvait, dans une lettre à la Reine d'Espagne, s'élever contre ceux qui calomniaient la conduite de son fils. Le cardysnal de Tournon, écrit-elle, m'a dyst luy-mesme qu'il l'a veu à la mese (messe)[102]. Surtout elle s'attachait à convaincre le nonce, son garant auprès de la Cour de Rome. Prosper de Sainte-Croix étant allé lui demander de faire quelques modifications à l'Édit de janvier, que le parlement de Paris s'entêtait à ne pas enregistrer, elle lui expliqua qu'il était bien difficile d'aller contre l'opinion de la compagnie consultée à Saint-Germain, mais elle promit toutefois, après en avoir parlé au Chancelier, de lui faire savoir ce qui se pourrait faire. Le Nonce comprit qu'on ne ferait rien et le lui dit. Alors elle se lamenta fort (se duole grandemente) de ne pouvoir aller plus avant et que la plaie fût de telle nature qu'elle ne pouvait être guérie autrement, c'est-à-dire que par des remèdes doux. Chasser les prédicants et, comme d'un coup, était chose impossible, mais elle avait l'espérance de pouvoir faire de bien en mieux chaque jour. En témoignage de sa bonne volonté, elle allait renvoyer l'Amiral en sa maison pour montrer une fois de plus qu'elle n'approuvait pas qu'on vécût comme il vivait. Elle lui annonça aussi qu'elle venait d'écrire aux prélats de son royaume et à Monsieur de Candale (Henri de Foix), qu'elle avait choisi pour ambassadeur, de partir pour le Concile, mais elle voudrait que ceux de la nouvelle religion pussent s'y rendre en toute sûreté et y être entendus. Elle parla si bien mêlant le faux et le vrai, adoucissant les refus et amplifiant les promesses, que le Nonce assurait la Cour de Rome du désir très grand de la Reine de mettre fin à toutes diversités de religion[103].

Comme il n'était pas aussi facile de convaincre le Parlement, le même jour où elle lui renouvelait par lettres de jussion l'ordre de vérifier l'Édit, elle en faisait publier une interprétation restrictive (14 février). Étaient autorisés à prendre part aux assemblées de ceux de la religion les officiers ordinaires auxquels appartient la cognoissance de la police comme baillifs, senechaux, prevosts, etc., mais défense était faite d'y paraître aux officiers des Cours souveraines ni autres de judicatures, que (lesquels) nous entendons (faisoit-elle dire au Roy en cette déclaration) vivre en la foyet religion de Nous et nos prédécesseurs[104]. Elle laissa partir d'Andelot et Coligny (22 février).

Mais elle renonçait de très mauvaise grâce à sa politique et le montrait bien à l'occasion. Les huguenots continuaient à prêcher à Paris, écrivait le nonce le 28 février, et s'assemblaient par troupes de dix ou douze mille personnes[105]. Les catholiques injurièrent les allants et venants, et ceux-ci menacèrent de s'armer. Les deux partis recoururent Ma Reine, qui invita les réformés à se contenter de la liberté que le Roi leur avait octroyée et promit aux catholiques de leur faire réponse le lundi prochain. Elle ne se décidait pas à éloigner le cardinal de Châtillon. Elle ne souffrait plus de prêche dans le château, mais elle gardait comme prédicateur et premier aumônier Louis Bouteiller, un théologien, si ami des concessions que son orthodoxie en était suspecte (poco sincero, dit Prosper de Sainte-Croix).

Elle refusait de renvoyer le chancelier de L'Hôpital que l'ambassadeur d'Espagne dénonçait comme hérétique. C'est de lui certainement qu'il est question dans une lettre très vive à sa fille, la reine d'Espagne : ...Mon valet ayst plus homme de byen que seus qui en parle et je vous en naseure (en assure), més pour se qu'i (il) ne reconé que moy et ne dépend de personne, yl (ils) le aise (baissent), mais s'et de quoy je l'ayme[106].

Pour détourner Navarre de prendre parti contre elle, elle recommandait ses intérêts à l'ambassadeur de France à Madrid et sollicitait de Philippe II, plus vivement que jamais, cette entrevue où elle se croyait sûre de le convaincre. Irritée de l'opposition où s'acharnait le Parlement contre l'Édit de janvier, elle galopa jusqu'à Paris et força l'enregistrement (6 mars). C'était six jours après le massacre de Vassy.

Les triumvirs s'étaient donné rendez-vous à Paris pour décider ou obliger la Régente à revenir sur ses concessions. Le duc de Guise, parti de son château de Joinville, s'arrêta le dimanche 1er mars à Vassy pour y entendre la messe. Quelques-uns de ses gens se prirent de querelle avec les réformés de la ville et des environs, qui tenaient leur prêche dans une grange près de l'église. Ils appelèrent à l'aide leurs compagnons, assaillirent en armes l'assemblée des fidèles, frappèrent et tuèrent[107]. Cette échauffourée sanglante fut célébrée par les catholiques à l'égal d'une victoire. Le Connétable alla au-devant de Guise jusqu'à Nanteuil[108]. Paris, où il entra le 16 mars, le salua de ses acclamations[109]. Le prévôt des marchands lui offrit, au nom de la ville vingt mille hommes et six millions de livres, pour rétablir la paix religieuse, c'est-à-dire l'unité. Le Duc répondit modestement que c'était l'affaire de la Reine-mère et du roi de Navarre, lieutenant général du royaume, et qu'en sa qualité de sujet du roi, il mettait son honneur à leur obéir[110]. Les protestants armèrent pour se défendre et se venger. Des centaines de gentilshommes rejoignirent à Paris le prince de Condé, qui, depuis la défection de son frère, était regardé comme le chef du parti. Bèze courut à Saint-Germain demander justice des massacreurs. Le roi de Navarre, avec l'ardeur d'un néophyte, imputa le fait de Vassy à l'insolence des religionnaires, mais la Reine fit gratieuse response promettant que bonnes informations seroient prises et que pourvu qu'on se contint on pourvoiroit à tout[111]. Elle nomma gouverneur de Paris le cardinal de Bourbon, qui, frère du roi de Navarre et du prince de Condé, devait inspirer confiance aux deux partis. Le Cardinal réunit les présidents au Parlement et, sur leur avis, décida que Guise et Condé seraient priés de s'éloigner. Mais les habitans, mesmement (surtout) les marchands requirent les triumvirs de n'abandonner la dite ville, et Guise et Montmorency restèrent[112]. Quelques jours après, Condé, qui appréhendait de livrer bataille dans les rues à cette population fanatique, partit avec ses troupes.

Il aurait dû marcher sur Fontainebleau, où se trouvait la Cour, enlever le Roi et la Reine et, les conduisant dans son camp, y transporter la légalité. H ne lui vint même pas à l'esprit de rester dans à voisinage pour les défendre contre une agression des triumvirs. Les quatre lettres que Catherine lui écrivit du 16 au 26 mars le lui signifiaient assez clairement[113]. Je n'oublyeray jamais, dit-elle dans l'une, ce que ferez pour le Roy mon filz et moy[114]. Je voy tant de choses qui me déplaisent, écrit-elle dans une autre, que, si ce n'estoit la fiance que j'ay en Dieu et asseurance en vous que m'ayderez à conserver ce royaume et le service du Roy mon fils, en despit de ceulx qui veullent tout perdre, je seroys encore plus faschée ; mais j'espère que nous remédirons bien à tout avec vostre bon conseil et ayde...[115] Et dans une troisième : Je n'oublyeray jamais, disait-elle, ce que faictes pour moy et si je meurs avant avoir le moyen de le pouvoir recongnoistre, comme j'en ay la voulonté, j'en lairray une instruction à mes enffans[116]. Plus tard elle avouait que lorsque le Prince, à son départ de Paris, lui avait, de La Ferté, demandé la permission pour sa seureté, de rester en armes, elle lui avait répondu qu'elle ne le trouvait mauvés pourveu qu'y (il) ne fallit à set (se) desarmer quand elle le lui manderait[117]. Condé manqua de décision ou voulut éviter jusqu'à l'apparence de la contrainte. Il abandonna la capitale et ne mit pas la main sur Charles IX, oubliant que la prise du Roi ou de Paris est, comme dit Tavannes, la moitié de la victoire.

Les triumvirs le savaient bien. Guise et Antoine de Bourbon allèrent droit à Fontainebleau avec mille cavaliers, et invitèrent la Reine à rentrer avec son fils à Paris. Elle refusa, pria, supplia. Restée seule avec Antoine de Bourbon, elle réussit à l'attendrir. Mais Guise survint. Antoine se ressaisit, et ordonna les apprêts du départ, menaçant de coups de bâton ceux qui ne vouloient destendre le lit du Roy par crainte de la Reyne[118]. La Cour prisonnière s'achemina vers la capitale (31 mars). Catherine pleurait de dépit. Mais Guise goguenard remarquait qu'un bien qui vient d'amour ou de force ne laisse pas d'être toujours un bien.

Elle ne se lamenta pas longtemps. Sa politique de tolérance lui avait été inspirée non par quelque sympathie pour des doctrines qu'elle connaissait mal, mais par le dégoût des persécutions et la constatation de leur impuissance. Il est possible que, si les protestants avaient eu le dessus, elle eût, pour garder le pouvoir, consenti, suivant un mot qu'on lui prête, à entendre la messe en français. Mais elle n'avait plus à choisir ; l'énergie de Guise avait décidé en faveur du catholicisme. Elle n'était pas femme à se sacrifier pour une minorité qui n'avait su ni se défendre ni la défendre. Elle s'accorda sans peine avec les vainqueurs. Ils ne lui imposèrent d'autre condition, comme on peut en juger d'après ce qui suivit, que de revenir sur les concessions de l'Édit de janvier. Ils avaient intérêt à la ménager et à la maintenir à sa place et à son rang, pour ôter à leurs adversaires l'occasion de se poser en champions du Roi. Le revirement de Catherine fût si prompt qu'il n'eut pas l'air d'être forcé. Elle recommença ou plutôt continua de gouverner l'État et elle prit avec aisance la direction du parti catholique. Les lettres qu'elle venait d'écrire au prince de Condé étaient claires, mais elle prétendit prouver à ses ambassadeurs, à Philippe II, au cardinal de Châtillon et au destinataire lui-même qu'elles n'avaient pas le sens qu'elles paraissaient avoir. Comme Condé, fort de ses déclarations, soutenait qu'elle était, avec son fils prisonnière, des triumvirs, elle retourna l'argument contre les huguenots en armes : lesquelz, il fault que je croye, retiennent contre son gré mon cousin le prince de Condé... pour donner plus d'auctorité à leur faict. Mais si prisonniers [il] y a du côté catholique, ce sont les dicts princes et seigneurs (les triumvirs), desquelz le roy mondict fila et moy tenons et les cueurs et les vyes si affectées au bien de ceste couronne que je les veoy prestz à les sacrifier pour la conservation d'icelle et le service du Roy...[119]

Elle s'inquiétait surtout de l'effet de ses lettres sur les princes protestants d'Allemagne. Condé leur en avait envoyé copie ainsi qu'à la Diète germanique pour justifier sa prise d'armes et réclamer des secours d'hommes et d'argent. La Reine jugeait aussi dangereux de passer pour complice que pour victime des chefs catholiques. Le duc de Wurtemberg, un luthérien, qui ne savait pas son évolution, lui avait écrit, le 15 avril 1562, de bien prendre garde aux moyens persuasions menaces et tous autres empêchements.... possibles aux ennemis de la parole de Dieu pour la faire trébucher et desvoyer de la vraye doctrine et religion du saint Évangile que notre Seigneur par sa sainte grâce lui avait esclairci[120]. Il lui parlait comme à une convertie, tant il est vrai qu'à cette époque la tolérance d'une doctrine passait pour une adhésion. Mais, avant d'avoir reçu cette

exhortation, Catherine qui appréhendait pour la sûreté du royaume le contrecoup du massacre de Vassy et de l'enlèvement de Fontainebleau, faisait partir le 17 avril Courtelary, interprète d'allemand, chargé d'assurer de vive voix au pieux souverain qu'elle demeurait permanente en la Confession chrestienne de la Saincte Doctrine de l'Évangile[121]. Elle trouvait légitime de mentir pour éviter une invasion.

La réaction s'annonça par un privilège octroyé à la ville de Paris. Le ri avril, le Roi, tout en confirmant l'Édit de janvier, interdit par une dérogation formelle les prêches, assemblées publiques ou privées, et administration des sacrements, si ce n'est à la mode catholique, dans les faubourgs et la banlieue de la capitale. Après que Catherine eut fait ce premier pas en arrière, les triumvirs lui délivrèrent un certificat d'orthodoxie qu'elle s'empressa d'expédier à Philippe II (16 avril)[122]. Le 12 mai, elle sortit de Paris et alla s'établir en son château de Monceaux.

Libre de ses mouvements, elle ne désespérait pas de maintenir la paix. C'était avoir une foi robuste en ses moyens. A Sens, à Angers, à Tours et en d'autres grandes villes, la populace catholique avait renouvelé l'exploit de Vassy ; la grande lèvrière, comme on disait, donnait la chasse aux hérétiques avec un entrain furieux[123]. De leur côté, les bandes huguenotes assaillaient les places fortes et quelquefois rendaient violence pour violence. Condé, avec quelques centaines de gentilshommes, avait enlevé Orléans, pour ainsi dire au galop (2 avril). Ses lieutenants occupèrent Angers, Tours, Blois, tout le cours moyen de la Loire. Dans la vallée du Rhône, le baron des Adrets surprit Valence le 27 avril et, trois jours après, Lyon, la seconde ville du royaume. Le prestige des triumvirs était atteint par ces échecs. Catherine n'en était que plus à l'aise pour négocier. Elle n'aimait pas la guerre ; qui donne aux chefs militaires trop d'importance. Elle expédia à Orléans, devenue la capitale du parti protestant, des ambassadeurs de tout état : gens de robe, gens d'épée, gens d'Église, Arthus de Cossé, sieur de Gonnor, l'abbé de Saint Jehan de Laon, le maréchal de Vieilleville, le sieur de Villars — et son fidèle Monluc, l'évêque de Valence, qui, pour rester plus longtemps dans la ville, contrefit si bien le malade que le bruit courut qu'il était mort. Mais il y perdit sa peine. Catherine voulait supprimer partout le libre exercice du culte réformé que Condé voulait maintenir là où il était autorisé par l'Édit de janvier. C'étaient des exigences inconciliables.

Elle se mit elle-même en campagne et donna rendez-vous au Prince à Toury (9 juin)[124]. Gênée peut-être par la présence du roi de Navarre, en qui elle pouvait craindre un surveillant, elle se montra, contre son naturel, violente et agressive. Elle parla même d'excepter de l'amnistie les magistrats rebelles. Comme Condé témoignait une grande confiance en ses troupes, elle riposta sur un ton de menace : Puisque vous vous fiez à vos forces, nous vous montrerons les nôtres. On se sépara sans avoir rien fait. Cependant l'opinion s'établissait que la présence des triumvirs à la tête de l'armée catholique était le grand obstacle à la paix. Condé offrit à son frère, s'ils s'éloignaient, de se livrer lui-même en otage à la Reine : condition qui fut de part et d'autre exécutée. Mais quand, à Talcy, où les chefs protestants allèrent la trouver (29 ou 30 juin), elle leur signifia qu'il fallait renoncer à l'Édit de janvier et au libre exercice du culte, Coligny, au nom de tous, protesta. La Reine s'emporta et reprocha au Prince de l'avoir trompée sur les dispositions de ses partisans. Ha ! mon cousin, vous m'affolez, vous me ruinez[125]. Avait-elle pu croire que les huguenots se livreraient à merci ? Même s'ils avaient eu pleine confiance en son bon vouloir, ils pouvaient douter de sa puissance et se défier de la pression des chefs catholiques et de la fureur des masses. Elle estimait probablement que la capitulation sans réserves d'un parti serait glorieuse pour elle et lui donnerait la force d'imposer un compromis à l'autre. C'était toujours au rôle de médiatrice et d'arbitre qu'elle en revenait. Mais était-il possible de faire la loi aux belligérants avant qu'ils fussent épuisés par la lutte ? Le passé ne permettait pas de le croire. Toutefois il est certain que la Régente, comme on le vit après ces premiers troubles, n'avait pas l'intention de désarmer les protestants pour les donner en proie aux catholiques.

Alors, dans son grand désir de pacification, elle s'avisa d'un moyen qui n'était pas ordinaire. Sachant la répugnance de Condé à entrer en guerre contre sa propre nation, elle lui fit suggérer par Monluc de faire paraître ses sentiments par toutes belles offres et beaux effets, comme de déclarer, à la première entrevue qu'elle aurait avec lui, qu'il aimait mieux sortir du royaume avec ses amis que de le voir.... exposé au feu et au sang. Monluc laissait entendre que la Reine, surprise de cette générosité, ne sauroit que respondre et se montrerait d'autant plus facile sur les conditions d'un accord. Aussi, quand Condé revit Catherine, il se dit résigné à l'exil, s'il le fallait absolument pour épargner au pays les malheurs de la guerre. Elle le prit au mot et sur-le-champ lui donna congé de vivre hors de France jusqu'à la majorité du roi. Mais l'Amiral, que son expérience et son caractère égalaient presque à Louis de Bourbon, ne crut pas que l'armée fût liée par l'imprudence de son chef. Il consulta les soldats qui, tout d'une voix, répondirent que la terre de France les avoit engendrez et qu'elle leur serviroit de sépulture[126]. Ainsi finit cette comédie à l'italienne.

La lutte reprit avec plus de violence sur tous les points du territoire et les étrangers s'y mêlèrent. Catherine avait demandé des secours à Philippe II, au duc de Savoie et au pape ; Condé et Coligny à l'Allemagne protestante et aux Anglais, mais ceux-ci vendirent fort cher les subsides et les soldats qu'ils fournirent. Ils avaient, au traité du Cateau-Cambrésis (1559), abandonné à Henri II, pour huit ans, la ville de Calais, cette glorieuse conquête de Guise, à charge pour le roi de France, s'il tardait à la rendre au terme fixé, de leur payer une indemnité de huit cent mille couronnes, sans préjudice de leurs droits. C'était une formule diplomatique pour ménager leur amour-propre et masquer la cession définitive. La reine d'Angleterre, Élisabeth, qui avait, à son avènement, ratifié à contrecœur cette clause onéreuse, voulut profiter des divisions de ses voisins, pour recouvrer son bien. Les négociateurs huguenots la suppliant à grosses larmes de prendre en mains la défense des Églises, elle y mit pour condition que Condé et Coligny s'engageraient à lui faire restituer Calais, le plus tôt possible, sans attendre ni prétexter le délai de huit ans prévu au Cateau-Cambrésis et qu'en garantie de leur promesse ils lui livreraient immédiatement Le Havre (Convention d'Hampton-Court, 20 septembre 1562)[127].

L'armée royale, après s'être emparée de Poitiers (31 mai) et de Bourges (31 août), marcha droit à Rouen, qu'il importait de reprendre aux huguenots avant le débarquement des Anglais (septembre 1562). Catherine alla s'établir devant la place avec les assiégeants. Pour les encourager, elle ne failloit tous les jours, raconte Brantôme, à venir au fort Sainte-Catherine, qui dominait la ville, tenir conseil et voir faire la batterie. Que je l'aye veue souvent passant par ce chemin creux de Sainte-Catherine. Les canonnades et harquebusades pleuvoient autour d'elle qu'elle s'en soucioit autant que rien... Et quand Monsieur le Connestable et Monsieur de Guise luy remonstroient qu'il luy en arriveroit malheur, elle n'en faisoit que rire et dire pourquoy elle s'y épargneroit non plus qu'eux puisqu'elle avoit le courage aussi bon[128]. Elle bravait la mort comme un homme. Son prestige en fut accru, ainsi qu'elle y comptait.

Mais elle aspirait à la paix et le hasard la servit bien. Antoine de Bourbon mourut quelques jours après la prise de Rouen d'un coup d'arquebuse reçu au siège (17 novembre). Les chefs des deux armées, Condé et le Connétable, furent faits prisonniers et Saint-André tué à la bataille de Dreux, l'action la plus mémorable de cette première guerre civile (19 décembre). Guise fut assassiné par Poltrot de Méré devant Orléans qu'il assiégeait (24 février 1563). Elle se trouva débarrassée momentanément ou pour toujours des principaux chefs des deux partis. Mais Coligny continuait à tenir la campagne et les Anglais étaient au Havre. Crussol, le mari d'une de ses dames favorites, qu'elle avait envoyé pacifier le Languedoc, réussissait si bien à s'entendre avec les huguenots de la province qu'il en devenait inquiétant. Il fallait faire la paix au plus vite. Elle eut l'air de la considérer comme un accord entre les catholiques et les protestants, où la royauté n'interviendrait à la fin que pour donner sa sanction. Elle s'assurait ainsi le moyen d'opposer à leurs exigences un contrat d'obligations mutuelles. Le Connétable et Condé furent de part et d'autre relâchés pour discuter les clauses du traité. Catherine était sûre que les négociateurs ne se sépareraient pas sans conclure. C'était à Montmorency, l'un des auteurs responsables du conflit, de voir quelles concessions il pouvait faire aux protestants. Le dernier survivant du triumvirat tint à honneur de ne pas se dédire. A sa première rencontre avec Condé, il lui refusa si net le rétablissement de l'Édit de janvier que le jeune Prince, impatient de sa captivité, consentit à débattre et finit par accepter des clauses moins avantageuses[129]. L'Édit de pacification d'Amboise (19 mars 1563) octroya la liberté de conscience aux réformés dans tout le royaume, mais restreignit la liberté de culte à certains lieux ou à certaines personnes. Les seigneurs hauts justiciers, avec leurs familles et leurs sujets, et les seigneurs ayant fief, avec leur famille seulement, en jouiraient dans leurs maisons ; l'ensemble des fidèles, dans une ville par bailliage, où il leur serait loisible d'avoir des temples dans les faubourgs. Et même dans la vicomté et prévôté de Paris, il n'y aurait d'autre exercice que du catholicisme. Ainsi les droits en matière religieuse étaient localisés et hiérarchisés. Les hauts justiciers pouvaient admettre leurs sujets à leurs cérémonies domestiques, ce que les simples fieffés ne pouvaient pas faire. Le reste des nobles, les gens des villes et les paysans, à moins que ceux-ci ne fussent sujets d'un haut justicier, étaient obligés d'aller chercher souvent très loin un temple ou une assemblée de prière. Les gentilshommes qui défendaient Orléans acceptèrent, par lassitude et préjugé de distinction sociale, ce compromis que les ministres réfugiés dans la place avaient unanimement condamné[130]. Les chefs spirituels prévoyaient sans doute que la Réforme, cantonnée et, pour ainsi dire, parquée, n'aurait plus de pouvoir rayonnant, chacun de ses foyers étant isolément trop faible. Coligny, arrivé aussitôt après la conclusion de la paix, blâma Condé d'avoir fait la part à Dieu, une petite part et d'avoir ruiné plus d'églises par ce trait de plume que toutes les forces ennemies n'en eussent pu abattre en dix ans[131]. Calvin le traitait de misérable qui avait trahi Dieu en sa vanité[132]. La faute était en effet de conséquence dans le présent et pour l'avenir. L'aristocratie du parti semblait s'être désintéressée de la cause commune. Se réserver la pleine jouissance du culte, continuer à occuper les plus hautes charges et les premières dignités de l'État et consentir qu'une grande partie des habitants des villes et des campagnes fût privée de la liberté la plus chère, c'était montrer peu de zèle pour les humbles et les petits et proclamer dans l'unité, de foi l'inégalité des conditions. Le protestantisme apparut aux masses simplistes comme la religion de la haute noblesse, un nouveau privilège. Le recrutement par en bas se ralentit[133].

Catherine sortait indemne d'une expérience où sa fortune avait couru tant de risques. Femme et étrangère, elle avait, sous un roi enfant, entrepris d'inaugurer la tolérance dans un pays où les prisons regorgeaient d'hérétiques et en un temps où persécuteurs et persécutés, s'accusant mutuellement d'hérésie, professaient tous qu'elle était punissable, même de mort C'est sa gloire — une gloire qu'il ne faut pas lui dénier — d'avoir conçu ce dessein et de l'avoir poursuivi, malgré les menaces et les dangers. Mais elle n'avait prévu ni les effets ni les réactions de sa politique généreuse. Aussi fut-elle surprise par l'explosion des haines et des exigences. Confiante à l'excès dans ses moyens et persuadée qu'il lui suffisait de parler pour convaincre, elle pensait diriger les événements, et ce fut les événements qui la menèrent. De son propre aveu fait en une heure de sincérité, elle y pourvoyait au jour la journée. C'était encore trop dire ; en réalité elle ne savait qu'ajouter une nouvelle concession à la concession déjà faite, sans pouvoir, ou, peut-être même, en un très court moment, sans vouloir dire aux réformés : Vous n'irez pas plus loin. Les chefs catholiques, prenant l'offensive, la mirent en demeure de choisir entre les deux religions. Que fût-il advenu d'elle, si Condé, accourant à son appel, l'avait conduite dans son camp et placée à la tête des troupes protestantes ? Son bonheur la sauva de ce risque. Le retour forcé de Fontainebleau à Paris fut son chemin de Damas ; il lui révéla l'avenir du catholicisme. C'était la fin, sans retour possible, des colloques qu'elle présidait solennellement avec le Roi, des apparitions aux prêches, des entretiens familiers avec Bèze et Pierre Martyr, des mascarades mitrées de Charles IX et des démonstrations iconoclastes du duc d'Orléans. Elle avait éprouvé la force des masses et des grands corps de l'État et leur attachement passionné à l'Église traditionnelle. Mais si elle traita désormais les protestants en minorité dissidente et renonça aux complaisances, elle continua longtemps encore à pratiquer ses principes de modération et de tolérance.

 

 

 



[1] Catherine de Médicis n'a pas pris le titre de régente que les États généraux, comme on le verra plus loin, auraient été plutôt portés à décerner au roi de Navarre. Dans une note sur les dates de la naissance de ses enfants, écrite entre la mort de François II (5 déc. 1560) et la majorité de Charles IX (17 août 1563), le secrétaire d'État, Claude de l'Aubespine, la qualifie de Gouvernante de France. (Louis Paris, Négociations, etc., p. 892). C'est le pouvoir de régente sans le nom. Aussi ne me suis-je pas fait scrupule de l'appeler Régente au lieu de Gouvernante de France.

[2] Les États de 1506 sous Louis XII et de 1558 sous Henri II ne sont pas de véritables États généraux. En 1506 les députés des villes étaient seuls ; en 1558 les représentants du clergé, de la noblesse, de la justice et du tiers état avaient été désignés par le roi. Mais les États de 1560 furent une vraie Assemblée générale élue des trois ordres de la Nation.

[3] 7 décembre 1560, Lettres de Catherine, I, p. 368, ou I, p. 158.

[4] On en trouvera la liste dans Lalourcé et Duval, Recueil des cahiers généraux des trois ordres, t. I, p. 176-177. Naturellement ils protestaient qu'ils n'avaient pas eu l'intention de diminuer l'autorité de la Reine-mère.

[5] Le discours dans Duféy, Œuvres complètes de l'Hôpital, t. I, p. 403 sqq., et dans Lalourcé et Duval, Recueil de pièces originales et authentiques, t. I, p. 42-66.

[6] Œuvres complètes de Michel de l'Hôpital, chancelier de France, publiées par Duféy, t. I, 1824, p. 403.

[7] Histoire ecclésiastique, I, p. 426.

[8] Dupuy, Traité de la majorité des rois, 1655, Preuves, p. 353-354.

[9] Lettres de Catherine, t. I, p. 569, 29 déc. 1560.

[10] Lalourcé et Duval, Recueil de pièces, I, p. 220-222.

[11] Pierre de La Place, Commentaires de l'estat de la religion et république sous les roys Henry et François seconds et Charles neufviesme, éd. Buchon, p. 91.

[12] Mémoires de Condé, II, p. 268 et 275. Cf. Joannis Calvini Opera omnia, t. XVIII, col. 360 et les notes 8 et 9.

[13] Lettres, I, p. 577-578. 31 janvier 1561.

[14] 3 mars 2561, Lettres I, 586. De Ruble, Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, t. III, p. 33-36.

[15] Lettres, t. I, p. 171, mars 1561.

[16] De Ruble, Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, t. III, p. 61. L'instruction dura plusieurs mois et le Prince fut déclaré innocent (13 juin).

[17] 27 mars 1561, Lettres, I, p. 577-278. Cf. Lettres, t. X, p. 35.

[18] Lettre à la reine d'Espagne (avril 1561), Lettres, I, p. 593.

[19] Sur les causes du revirement du Connétable, voir La Place, Commentaires de l'estat de la religion et république, liv. V, éd. Buchon, p. 122-124.

[20] Comte J. Delaborde, Gaspard de Coligny, amiral de France, t. I, 1879, p. 504. — De Ruble, Antoine de Bourbon à Jeanne d'Albret, III, p. 69. — Lettre de Calvin du 24 mai 1561, dans Calvini Opera omnia, t. XVIII, col. 466-467.

[21] L'Édit dans Mémoires de Condé, t. II, p. 334 sqq ; les remontrances du Parlement, ibid., t. II, P. 352 et La Place, p. 124-126. Sur l'irritation contre le Chancelier, voir le Journal de Pierre (lisez Nicolas) Bruslart, chanoine de Notre-Dame de Paris et conseiller-clerc au Parlement de Paris, Mémoires de Condé, t. I, p. 27.

[22] Lettre du 27 avril 1561, Lettres, I, p. 193.

[23] La Place, De l'estat de la religion, etc., éd. Buchon, p. 127

[24] Instructions de Don Juan Manrique de Lara, du 4 janvier 1561, dans Lettres, I, p. 161 note.

[25] 3 mars 1561, Lettres, I, p. 587.

[26] Mars 1561, Lettres, I, p. 581.

[27] Mai 1561, Lettres, I, p. 597.

[28] Qui fust heun vous mesme, Lettres, I, p. 576, fin janvier 1561.

[29] Fin janvier 1561, Lettres, I, p. 576.

[30] Catherine à Elisabeth, du 21 avril, Lettres, I, p. 189.

[31] La grande consultation de la Cour de Paris avait été précédée de dix jours de conférences juridico-théologiques entre le Parlement, le Clergé, la Sorbonne. Maugis, Histoire du Parlement de Paris de l'avènement des rois Valois à la mort de Henri IV, t. II, 1914, p. 29.

[32] Édit du 30 juillet dans Fontanon, Edicts et Ordonnances des rois de France, éd. 1611, t. IV, p. 264-265.

[33] Comte J. Delaborde, Les protestants à la Cour de Saint-Germain, lors du colloque de Poissy, 1874, p. 79.         

[34] Mémoires de Condé, t. II, p. 13 et 16, 31 août 1561.

[35] 2 septembre 1561, Lettres, I, p. 233-234.

[36] Sur la similitude du roi de Navarre avec David, voir une lettre de Renée de France, duchesse de Ferrare, Opera Calvini, XX, col. 271.

[37] La Place, p. 146.

[38] La vile de Paris faisait office de banque d'émission et recevait de l'État, pour le paiement des arrérages, la disposition de certaines taxes.

[39] Louis Serbat, Les assemblées du clergé de France, Paris, 1906, p. 36.

[40] Lalourcé et Duval, Recueil de pièces..., t. I, p. 58-59.

[41] Le miroir de lame pecheresse, ouquel elle recongnoit ses faultes et peches aussi les graces et benefices a elle faicts par Jesuchrist son epoux, Alençon, 1531 ; et dans l'édition de Paris, 1533 : auquel elle voit son néant et son tout.

[42] Histoire ecclésiastique des Eglises réformées, I, p. 522-323.

[43] Bèze, dans la lettre à Calvin du 25 août, Calvini Opera omnia, t. XVIII, col. 631-632, se contente de dire qu'il lui déclara la cause de sa venue, à quoi elle me respondit très humainement.

[44] Lettre de Bèze dans les Calvini Opera omnia, XVIII, col. 63-631. La lettre est en français et toutefois cette phrase adressée à la Reine est en latin ; Catherine comprenait donc cette langue.

[45] Bèze à Calvin, 25 août 1564. Calvini Opera omnia, t. XVIII, col. 631.

[46] Histoire ecclésiastique, t. I, p. 553-555.

[47] Sur le colloque, ajouter aux références indiquées par La Ferrière, Lettres de Catherine, p. 238, De Ruble, Le Colloque de Poissy septembre-octobre 1561, dans Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris, XVI, 1889.

[48] Le discours de Bèze dans Calvini Opera omnia, XVIII, col. 688-702.

[49] Calvini Opera omnia, XVIII, col. 699.

[50] Relation de Claude Despence, un des docteurs catholiques, insérée par De Ruble dans les Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris, t XVI, 1889, p. 29. Cf. Histoire ecclésiastique, I, p. 578.

[51] Calvini Opera omnia, t. XVIII, col. 7123.

[52] Lettres, t. I, p. 608, 14 septembre.

[53] Luther, en effet, admettait comme les catholiques la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, sous es espèces du pain et du vin (consubstantiation), tout en rejetant le dogme catholique du changement du pain et du vin en corps et sang de Jésus-Christ (transsubstantiation).

[54] Histoire Ecclésiastique, T. I, p. 160. — La Place, p. 176.

[55] Relation de Claude Despence, Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris, XVI, p. 39.

[56] Lettres de Catherine, t. I, Introd., p. CVIII et CIX.

[57] Elle n'abjura publiquement la religion romaine qu'à la Cène de Noël 1561, à Pau ; mais déjà en avril 1561 elle envoyait un ministre à Tournon pour y organiser l'Église réformée (Calvini Opera omnia, XVIII, col. 433).

[58] Claude Haton, curé de Provins, Mémoires (1553-1582), publiés par Félix Bourquelot (Coll. des Doc. inédits), 1857, t. I, p. 156.

[59] De Ruble, Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris, t. XVI, p. 8.

[60] Calvini Opera omnia, t. XVIII, col. 722.

[61] Calvini Opera omnia, t. XVIII, col. 725.

[62] A Calvin, Calvini Opera omnia, t. XIX, col. 97.

[63] Calvini Opera omnia, t. XIX, col. 88.

[64] Languet, Arcana, liv. II, p. 155. Journal de Bruslart, Mémoires de Condé, I, p. 59.

[65] Bèze à Calvin, 4 nov., Calvini Opere omnia, XIX, col. 96-98.

[66] 9 novembre, Calvini Opera omnia, XIX, col. 109.

[67] Calvini Opera omnia, XIX, col. 141, 29 novembre 1561.

[68] Calvin qualifie le début du discours de L'Hôpital à l'assemblée de Fontainebleau de Præfatio adulationis putida (Préface d'adulation fétide) ; Calvin à Bullinger, 1er octobre 1560, Calvini Opera omnia, t. XVIII, col. 206. Bèze, lors du Colloque de Poissy, écrivait à Calvin, 25 août 1561 : Le chancelier que savez... vouloit avoir l'honneur de m'avoir introduict. Force me fut de le suyvre, mais ce fut avec un tel visage qu'il cognut assez que je le cognoissoys. Calvini Opera omnia, t. XVIII, col. 630.

[69] Lettre de l'ambassadeur de France en Espagne à Catherine du 30 octobre 1561, Lettres, t. I, p. 601, note.

[70] Réponse de la reine d'Espagne à une lettre de Catherine de juillet 1564. Lettres, t. I, p. 600 note.

[71] Voir les réserves que fait Noël Valois dans le Projet d'enlèvement d'un enfant de France (Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, t. LXXV 1914), p. 1-40.

[72] Lettres, t. I, P. 245-246, et la lettre à l'évêque de Limoges, ibid., p. 250.

[73] A l'évêque de Limoges, Lettres, t. I, p. 253 et surtout p. 267 (4 janvier 1562).

[74] Lettres, t. I, p. 252, novembre 1561.

[75] Lettre du 28 novembre 1561. Lettres, I, p. 612.

[76] Calvini Opera omnia, XIX, col. 231.

[77] Mémoires et lettres de Marguerite de Valois, publiées par Guessard, Paris, 1842, p. 6.

[78] Lettre de Prosper de Sainte-Croix, du 15 novembre 556 ; dans Aymon, Tous les synodes, I, p. 55.

[79] Conversation racontée par Jeanne d'Albret à Throcmorton, ambassadeur d'Angleterre en France et rapportée par celui-ci à sa souveraine, Elisabeth d'Angleterre, dans une dépêche du 26 novembre 1561 (Calendar of stats papers, foreign series, of the reign of Elisabeth, 1561-1562, p. 415, publié par Joseph Stevenson, Londres, 1866).

[80] Calvini Opera omnia, t. XIX, col. 178, 16 décembre 1561.

[81] Lettres, I, p. 612.

[82] Lettre de Bèze à Calvin du 6 janvier 2562, Calvini Opera omnia, XIX, col. 238-239. Histoire ecclésiastique, I, p. 268. Les indications de Bèze et de l'Histoire ecclésiastique, sans concorder absolument, ne se contredisent pas.

[83] Sur l'anarchie en Guyenne, voir Courteault, Blaise de Monluc, historien, 1908, p. 402, Courteault place le massacre de Cahors le 16.

[84] Il y a deux textes de ce discours, l'un dans Aymon, Tous les synodes nationaux des églises réformées de France, La Haye, 1710, t. I, p. 49-65 ; l'autre dans Mémoires de Condé, t. II, p. 606-612. Le premier est en italien, accompagné d'une traduction française, et il est, en certaines parties, complété par le second.

[85] Mémoires de Condé, II, p. 652.

[86] Languet, Arcana, liv. II, p. 105.

[87] Et non la reine de Navarre, Jeanne d'Albret, comme l'imagine sottement le traducteur des lettres du nonce Prosper de Sainte-Croix (Aymon, I, p. 41-42).

[88] Lettre du 5 février 1562, Aymon, Tous les synodes, I, p. 43.

[89] Mémoires de Condé, t. III, p. 10-11.

[90] Ce récit de l'entrevue de la Reine-mère et de Chantonnay (Mémoires de Condé, t. II, p. 601), n'a pas été vraisemblablement expédié à son destinataire, l'ambassadeur de France en Espagne. La minute de la dépêche porte des corrections et des additions d'une autre main Elle est datée du 8 ou 9 janvier, au moment où se tenaient les réunions préparatoires à l'Édit de janvier.

[91] Mémoires de Condé, t. II, p. 603.

[92] Lettres I, p. 265.

[93] Baronii, Raynaldi et Laderchi, Annales eclesiastici, éd. de 1879, Bar-le-Duc et Paris, t. XXXIV, p. 178 lettre du cardinal de Ferrare, du 17 janvier 1562.

[94] Histoire ecclésiastique, I, p. 692. — Lettre de Bèze à Calvin, 1er février 1562, Calvini Opera omnia, XIX, col. 273-275.

[95] La défection définitive d’Antoine de Bourbon a suivi l'Édit de janvier, Histoire ecclésiastique, I, p. 688.

[96] Calvini Opera omnia, XIX, col. 275.

[97] Calvini Opera omnia, XIX, col. 299.

[98] Calvini Opera omnia, XIX, col. 275.

Bèze a cancellé dans ses lettres manuscrites, et par conséquent les anciennes éditions ne portent pas les passages où il est question de la bonne volonté de la Reine-mère. Mais les consciencieux érudits Baum Cunitz et Reuss, qui ont publié les Œuvres complètes de Calvin, ont rétabli tous les endroits supprimés et inédits, et, ce faisant, ils ont rendu aux historiens de Catherine un inappréciable service. Bèze s'en voulait d'avoir été dupe, et les éditeurs de la correspondance de Calvin sont confus qu'il se soit trompé sur le caractère de la Reine et les vertus de ses enfants (XIX, col. 178, notes 6, 7, et col 275, note 16). Au vrai, il n'y a pas tant à rougir. Bèze a vu la Reine-mère, telle qu'elle fut, sincère en cet essai d'apaisement et de tolérance. Si elle a changé de sentiment, c'est qu'elle y a été contrainte par la force des choses. Il faut, sans parti pris, lui tenir compte de ses bonnes intentions.

[99] Lettre de Chantonnay, ambassadeur d'Espagne en France, du 3 février 1562, Mémoires de Condé, II, p. 21-22.

[100] Lettre du nonce du 5 février, Aymon, Tous les synodes, I, p. 65.

[101] Mémoires et lettres de Marguerite de Valois, publiées par Guessard, Paris, 1842, p. 7.

[102] Louis Paris, Négociations sous François II (Coll. Doc. inédits), p. 849. Il s'agit, non comme le croit Louis Paris, de Charles IX qui vivait avec sa mère, mais d'Henri d'Orléans qui avait sa maison à part et qu'elle avait moins d'occasions de voir. Rapprocher d'ailleurs cette indication de ce que dit plus haut Marguerite de son frère et du cardinal de Tournon.

[103] Lettre du 5 février, Aymon, Tous les synodes, I, p. 66.

[104] Condé, Mémoires, t. III, p. 16.

[105] Aymon, Synodes, I, p. 77-79.

[106] Février 1562, Lettres, I, p. 614 ; Louis Paris, Négociations, p. 849.

[107] Sur ce massacre, voir Histoire de France de Lavisse, t. VI, 1, p. 58-59 — Lavisse (?), Le massacre fait à Vassy dans les Grandes Scènes historiques du XVIe siècle... de Tortorel et Perrissin, publiées par Franklin, Paris, 1886.

[108] Mémoires du duc de Guise, Michaud et Poujoulat, t. VI, p. 489.

[109] Journal de l'année 1562, Revue rétrospective ou Bibliothèque historique, 1re série, t. V (1834), p. 86-87.

[110] De Ruble, Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, t. IV, p. 119.

[111] Histoire ecclésiastique, II, p. 3.

[112] Mémoires du duc de Guise, Michaud et Poujoulat, t. VI, p. 489.

[113] Lettres, I, p. 281-284.

[114] Lettres, I, p. 282.

[115] Lettres, I, p. 283.

[116] Lettres, I, p. 284.

[117] Lettres, I, p. 291, 10 avril.

[118] De Ruble, IV, p. 234. Le roi, quand il allait d'une résidence à l'autre, emportait sa litelle.

[119] Lettres, t. I, p. 294-295, 11 avril 1562.

[120] 15 avril 1562, Bulletin de la Société du Protestantisme français, XXIV, 1875, p. 507.

[121] Le duc de Wurtemberg à la Reine-mère, 16 mai, Mémoires de Condé, III, 286. La lettre de Catherine du 17 avril à laquelle il répond ne dit rien de semblable (ibid., 283). Catherine vient d'apprendre à ses dépens le danger des écritures et elle se garderait bien de se compromettre à nouveau. Mais il n'est pas douteux qu'elle a fait donner au Duc oralement les assurances qu'il répète et probablement dans les mêmes termes où Courtelary les lui a transmises.

[122] Lettres, I, p. 296-297.

[123] Mariéjol, Histoire de France de Lavisse, t. VI, I. p. 63-64.

[124] Sur cette entrevue et celles qui suivirent, voir de Ruble, Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, t. IV, p. 244, ou Edmond Cablé, Ambassade en Espagne de Jean Ébrard, seigneur de Saint-Sulpice, de 1562 à 1565..., Albi, 1903, p. 44 sq., note 1.

[125] De Ruble, t. IV, p. 263.

[126] F. de La Noue, Mémoires ; ch. IV, éd. Buchon, p. 282-283. — De Ruble, t. IV, p. 263-267.

[127] Le texte le plus exact de l'accord se trouve dans les Mémoires de Condé, t. III, p. 689.

[128] Brantôme, VII, p. 365.

[129] Mémoires de Condé, IV, p. 311.

[130] Calvini Opera omnia, XIX, col. 681 et la note 2.

[131] Histoire ecclésiastique, II, p. 335.

[132] Calvin à Soubise, 5 avril 1563, Calvini Opera omnia, t. XIX, col. 686. — Cf. le même à Bullinger, col. 690.

[133] Mariéjol, Histoire de France de Lavisse, t. VI, 1, p. 74-75.