CATHERINE DE MÉDICIS

 

CHAPITRE II. — DAUPHINE ET REINE.

 

 

Catherine avait quatorze ans quand elle fit ses débuts à la Cour de France, où elle allait s'élever par degrés jusqu'au premier rang, duchesse d'Orléans, dauphine et enfin reine. C'était un milieu très différent de celui où elle avait vécu. Mais elle avait une expérience au-dessus de son âge.

Dans les séjours qu'enfant et déjà grande fille elle fit à Rome, capitale religieuse et centre des affaires du monde, l'arrivée des ambassadeurs des divers pays, leurs entrées et leurs audiences solennelles lui avaient appris, en une suite de leçons vivantes, les noms et les intérêts des princes et des peuples, la géographie et l'histoire politique de l'Europe. Pour avoir d'elle une idée juste, il ne faut pas se figurer une infante d'Espagne, élevée dans une sorte de claustration, sans connaissance du dehors ni culture, ni même une princesse française du temps de la Renaissance, dressée aux élégances et aux bienséances de la Cour, et le plus souvent ignorante du reste du monde. Cette jeune Florentine avait le sens des réalités de la vie et de la politique.

Elle avait été certainement très bien élevée. Ses tantes, Clarice Strozzi, Lucrèce Salviati, et sa cousine, Maria de Médicis, à qui Clément VII confia successivement la surveillance de son éducation, étaient des femmes vertueuses, sages et distinguées. Mais la société des nonnes et des prêtres, à Rome et à Florence, a dû agir sur elle plus efficacement. Elle y apprit par l'exemple à contenir ses sentiments, à régler ses gestes et ses paroles, et même à masquer son irritation d'un sourire. Les compliments, les caresses, les flatteries dont elle fut toujours si prodigue, s'expliquent en partie par son sexe, sa race, et le désir ou le besoin de plaire, de convaincre ou de tromper. Mais la maîtrise de soi-même, si remarquable chez elle, est un don de nature, qui a été porté à sa perfection par le séjour au couvent et à la Cour des papes.

Elle n'oubliait pas non plus par quel coup de fortune elle était entrée dans la maison royale de France. Elle était la première femme de sa famille qui eût fait un si grand mariage, et elle sentit vivement toujours, avec une modestie dont l'expression cause parfois quelque malaise, le rare honneur qu'elle avait eu d'épouser un fils de roi. Plus tard, quand elle fut régente du royaume, après la mort de son mari, elle parlait de ses enfants comme s'ils étaient d'une autre race qu'elle, lesquels je ayme, écrivait-elle à une de ses filles, comme du lyeu d'où vous aytes tous venus[1]. Bien des complaisances de sa vie s'expliquent par le sentiment qu'elle avait de la médiocrité de son origine.

De précoces épreuves y contribuèrent aussi. Elle avait su le sac de Rome et la captivité de son oncle, Clément VII ; elle avait vu la révolte de Florence et l'expulsion des Médicis. Elle avait craint pour elle-même un sort pire encore. Le jour où le chancelier de la République, Salvestro Aldobrandini, vint la prendre au couvent des Murate, pour la mener à celui de Sainte-Lucie, elle avait cru marcher à la mort : terreur de quelques heures qui laissa son empreinte en ce cœur d'enfant et le rendit pour toujours pusillanime. Elle apprit à céder aux puissants et à leur complaire, à simuler et dissimuler.

Ce n'était pas trop de son intelligence et de sa culture pour s'adapter à la Cour de France. Celle de Rome était tout ecclésiastique : un prêtre pour souverain, un conseil de cardinaux, des clercs de tous grades et de toute robe dans les offices du palais et dans l'administration de la ville, de l'État et de la chrétienté. Les plus grandes fêtes étaient des cérémonies religieuses, qui nulle part n'étaient exécutées par tant de figurants, célébrées avec autant d'éclat, de pompe et de majesté. Cependant le Vatican n'était pas un monastère. Léon X avait sa troupe de musiciens et son équipage de chasse ; il courait à cheval par monts et par vaux à la poursuite du gibier ; il donnait des concerts et, personnellement irréprochable, se plaisait trop aux facéties grossières de ses bouffons et aux plaisanteries scabreuses de comédies comme la Calandria[2]. Clément VII, plus retenu[3], avait lui aussi les goûts fastueux d'un prince de la Renaissance[4]. Le temps des papes de la Contre-réforme n'était pas encore venu ; mais il est vrai que celui des Borgia était pour toujours fini. Les attaques de Luther contre e la prostituée de Babylone s avaient accru les scrupules et imposé un grand air de décence. Le souverain de Rome n'oubliait plus qu'il était le pontife des chrétiens, et, sans renoncer aux ambitions temporelles, il affectait de s'intéresser avant tout à sa mission spirituelle.

Encore moins l'entourage d'Alexandre de Médicis, le nouveau duc de Florence, aurait-il pu donner à Catherine l'idée du monde où elle entrait. Le gouvernement tenait tout entier dans le palais de la Via Larga, la demeure patrimoniale des Médicis. Il n'y avait là ni passé, ni tradition, ni étiquette. Le Duc avait un train de vie plus somptueux que celui des autres grandes familles florentines, une clientèle plus nombreuse et le privilège d'une garde. C'étaient toutes les marques extérieures d'une fortune de fraîche date.

Le roi de France était le souverain héréditaire d'une grande nation, attachée à sa personne et à sa race par une habitude séculaire de respect et d'obéissance. Sa Cour était un petit monde de princes, de grands officiers, de prélats, de seigneurs, de conseillers, une France en raccourci, mais éminente en dignité, qui vivait avec lui et l'accompagnait dans ses déplacements et ses voyages, le centre de la vie politique et des affaires, une vraie capitale ambulante que suivaient les ambassadeurs, et où affluaient les solliciteurs et les ambitieux, quiconque désirait une pension, un bénéfice, une charge.

Son originalité, entre les autres cours de la chrétienté, c'était le nombre et l'importance des dames. Anne de Bretagne, femme de Louis XII, pour ajouter à l'éclat de sa maison et soulager les familles nobles, que la disparition des dynasties féodales ou leur destruction par Louis XI laissait sans emploi, avait appelé auprès d'elle des femmes et des filles de gentilshommes[5]. François Ier, qui ruina le dernier des grands vassaux, le connétable de Bourbon, hérita de sa clientèle, et, par politique comme par goût, accrut encore le personnel féminin. Les reines et les filles de France eurent chacune leur maison, où des dames et des demoiselles nobles furent attachées avec un titre et un traitement : dames et filles d'honneur, dames d'atour, dames et filles de la chambre, etc.

La présence de tant de femmes, dont beaucoup étaient belles, intelligentes et cultivées, changea le caractère de cette Cour, et d'une réunion d'hommes d'État et de capitaines, fit le lieu d'élection des fêtes et des plaisirs. Les divertissements prirent une très large place dans le cérémonial. Bals, concerts, assemblées chez la reine, banquets, défilés et cortèges, furent autant d'occasions d'étaler le luxe des vêtements et les magnificences de la chair. Mais l'esprit païen de la Renaissance, qui triomphait dans cette glorification de la richesse et de la beauté, inspirait aussi la recherche de plaisirs plus délicats. Le goût des lettres antiques gagnait les plus hautes classes ; de très grandes dames se faisaient gloire de les cultiver, et celles même qui n'en avaient ni le temps ni la force respiraient dans l'air les idées et les sentiments que les écrivains y avaient répandus.

La famille royale était composée, en 1533, de la sœur de François Ier, Marguerite d'Angoulême, reine de Navarre, de sa seconde femme, Éléonore d'Autriche, une sœur de Charles-Quint, épousée par politique, et des enfants de sa première femme Claude : trois fils, le dauphin François, Henri duc d'Orléans, Charles d'Angoulême ; et deux filles, Marguerite, qui épousa sur le tard le duc de Savoie, et Madeleine, qui mourut très jeune, en juillet 1537, quelques mois après son mariage avec le roi d'Écosse, Jacques V. C'est le milieu où Catherine allait vivre. Étrangère, de médiocre origine épousée pour le secours que le Roi attendait du Pape dans ses entreprises italiennes et, depuis la mort de Clément VII, privée du prestige des espérances, sa situation était difficile. Sans doute, ces parfaits gentilshommes, François Ier et ses fils, étaient incapables de lui tenir rigueur de leurs mécomptes, mais quelques-uns de leurs conseillers n'étaient pas aussi généreux, La première relation vénitienne où il soit question d'elle, en 1535, dit que son mariage avait mécontenté toute la France. Elle n'avait ni crédit, ni parti. Les haines religieuses et politiques ont pu seules imaginer beaucoup plus tard qu'en 1536, âgée de dix-sept ans, elle ait eu les moyens ou l'idée de faire empoisonner son beau-frère, le dauphin François, pour assurer la couronne à son mari. Le dauphin fut emporté probablement par une pleurésie. et son écuyer, Montecuculli, condamné à mort pour un crime imaginaire, n'avait de commun avec Catherine que d'être Italien.

Devenue par cet accident dauphine et reine en expectative, elle continua comme auparavant à ne laisser voir d'autre ambition que de plaire. Elle s'attachait à dissiper les préventions et à gagner les sympathies. Elle se montrait douce, aimable, prévenante. L'ambassadeur vénitien dit ce mot caractéristique : Elle est très obéissante. C'était un de ses grands moyens de séduction.

L'homme qu'après son mari elle avait le plus d'intérêt et qu'elle mit le plus de soin à gagner, ce fut le Roi, que d'ailleurs elle admirait beaucoup. Plus tard, quand elle gouverna le royaume, elle se proposa et proposa toujours à ses enfants la Cour et le gouvernement de François Ier comme le modèle à imiter. Le Roi-chevalier était aimable, et même en son âge mûr il restait pour les femmes le héros de Marignan et de Pavie. Des sentiments qu'il inspirait, on peut juger par la lettre que lui écrivirent les princesses de sa famille et l'amie chère entre les plus chères, la duchesse d'Étampes, en apprenant qu'il venait de prendre Hesdin aux Impériaux (mars 1537) :

Monseigneur, nostre joye indicible nous ouste l'esperist et la force de la main pour vous escripre, car combien que la prise de Hedin feust fermement espérée, sy (cependant) nous demeuroit-il une peur de toutes les choses qui pouvoient estre à craindre, sy très (tellement) grande que nous avons esté despuis lundy comme mortes ; et, à ce matin, ce porteur nous a resuscitées d'une si merveilleusse consolacion que après avons (avoir) couru les unes chés les aultres, pour annoncer les bonnes nouvelles, plus par larmes que par paroles, nous sommes venues ycy avesques la Royne, pour ensemble aller louer Celluy qui en tous vos afaires vous a presté la destre de sa faveur, vous aseurant, Monseigneur, que la Royne a bien embrassé et le porteur et toutes celles qui participent à sa joye, en sorte que nous ne savons [ce] que nous faisons ny [ce] que nous vous escripvons.

Au nom de la Reine et des dames, elles le suppliaient de leur permettre d'aller le voir en tel lieu qu'il lui plairait.

Car, disent-elles, avesques Sainct Toumas, nous ne serons contantes que nous n'ayons veu nostre Roy resuscité par heureuse victoire et très humblement vous en resuplions.

Vos très humbles et obéissantes subjectes : Catherine, Marguerite (de France), Marguerite (de Navarre), Marguerite (de Bourbon-Vendôme, plus tard duchesse de Nevers), Anne (duchesse d'Étampes)[6].

La lettre est trop jolie pour être de Catherine, bien qu'elle ait signé la première en sa qualité de dauphine ; on y reconnaît la manière de la reine de Navarre, ce délicat écrivain ; et comme elle traduit bien, avec l'adoration de la sœur, l'enthousiasme de ces jeunes femmes.

La favorite en titre, Anne de Pisseleu, duchesse d'Étampes, qui signait avec les princesses, était une de ces triomphantes beautés, le désespoir des reines et l'ornement de la Cour de France[7]. Catherine s'était liée avec elle, sachant que c'était une voie très-sûre pour arriver au cœur du Roi. En sa vieillesse, comme elle avait souffert cruellement elle-même de la faveur d'une maîtresse, elle s'excusera sur la nécessité d'avoir autrefois fréquenté des dames de médiocre vertu. Aystent (étant) jeune, j'avès un Roy de France pour beau-père, qui me ballet cet qui luy pleyset (baillait la compagnie qui lui plaisait) et me fallet l'aubeir et anter (hanter) tout cet qu'il avoyst agréable et l'aubeyr[8]. Mais il ne semble pas que l'obéissance lui ait coûté. François Ier avait formé une petite bande des plus belles gentilles et plus de ses favorites avec lesquelles se dérosbant de sa court, s'en partoit et s'en alloit en autres maisons courir le cerf et passer son temps. Catherine fit prière au Roy de la mener tousjour quant et luy et qu'il luy fist cest honneur de permettre qu'elle ne bougeast jamais d'avec luy. François Ier, qui l'aymoit naturellement, l'en aima plus encore, voyant la bonne volonté qu'il voyoit en elle d'aimer sa compagnie[9].

Elle se plaisait comme lui aux exercices de plein air. C'était un goût qu'elle tenait probablement des Médicis. Son oncle, Léon X, partait tous les ans pour les régions giboyeuses de Civita-Vecchia, de Corneto et de Viterbe avec ses cardinaux favoris, ses musiciens, sa garde et la troupe des piqueurs, rabatteurs et valets, en tout plus de trois cents personnes. Il traquait à cheval les bêtes sauvages, petites ou grandes, non quelquefois sans péril. Dans une de ces battues dont un poète de cour a célébré les incidents dramatiques, le cardinal Bibbiena avait tué d'un coup d'épée un sanglier qui fonçait sur le cardinal Jules de Médicis (le futur Clément VII) ; le Pape, assailli par un loup, avait été sauvé par les cardinaux Salviati, Cibo, Cornaro, Orsini l'éloquent général des Augustins, Egidio de Viterbe, avait fait voir qu'il valait autant par le bras que par la parole[10]. Avant de quitter l'Italie, Catherine, déjà grande fille, a dû suivre des chasses. Autrement on ne s'expliquerait pas qu'aussitôt arrivée en France, elle ait montré l'ardeur dont parle Ronsard, peut-être avec quelque exagération poétique :

Laquelle (Catherine) dès quatorze ans

Portoit au bois la sagette

La robe et les arcs duisans (convenant)

Aux pucelles de Taygette.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Toujours dès l'aube du jour

Alloit aux forêts en queste

Ou de reths tout à l'entour

Cernoit le trac d'une beste ;

Ou pressoit les cerfs au cours ;

Ou par le pendant des roches,

Sans chiens assailloit les ours

Et les sangliers aux dents croches[11].

Elle abandonna la sambue, sorte de selle en forme de fauteuil où les darnes étaient assises de côté, les pieds appuyés sur une planchette, mais ne pouvaient aller qu'à l'amble, et elle introduisit l'usage, qu'elle avait déjà peut-être pratiqué en Italie, de monter à cheval, comme les amazones d'aujourd'hui, le pied gauche à l'étrier et la jambe droite fixée à la corne de l'arçon[12]. Elle pouvait ainsi courir du même train que les hommes et les suivre partout. François Ier, grand chasseur, appréciait fort cette enragée chevaucheuse, que les chutes ne décourageaient pas. Elle ne renonça qu'à soixante ans à ce plaisir dangereux[13].

Sa vive intelligence, à défaut de ses habitudes de complaisance, lui rendait facile de s'adapter aux goûts lettrés de cette Cour. Elle avait très bien appris le français, que d'ailleurs elle écrivit toujours en une orthographe très personnelle, et elle le parlait non sans une pointe d'accent exotique, dont elle ne parvint jamais à se débarrasser.

Il n'y a pas dans ses lettres une citation, une phrase latine[14]. Au lieu de l'expression courante in cauda venenum, elle emploie la forme française : en la queue gist le venyn. Ce n'est pas d'ailleurs la preuve qu'elle ignorât le latin[15]. Elle savait du grec. En 1544, l'ambassadeur de Côme, Bernardino de Médicis, bon lettré et l'un des fondateurs de l'Académie Florentine, écrivait qu'elle possédait cette langue à stupéfier tout homme (che fa stupire ogni uomo). Même en admettant que ce compatriote de la Dauphine, qui était aussi son arrière-petit-cousin à la mode de Bretagne, ait un peu exagéré, il doit y avoir dans cet éloge une part de vérité. Avait-elle commencé à étudier le grec en Italie ? Bernardino ne le dit pas. Elle a bien pu l'apprendre en France où elle était depuis dix ans. Il est probable qu'elle eut pour maître notre grand helléniste Danès[16].

Un fait qui paraît bien établi, c'est sa culture scientifique. Elle est, dit François de Billon, dans Le Fort inexpugnable de l'Honneur du sexe femenin, 1555, réputée pour sa e science mathématique s. Ronsard célèbre aussi en images poétiques le comble de son savoir :

Quelle dame a la pratique

De tant de mathématique ?

Quelle, princesse entend mieux

Du grand monde la peinture,

Les chemins de la nature,

Et la musique des cieux ?

Ce qui probablement veut dire qu'elle était savante en géographie, en physique et en astronomie. C'était dans la famille royale une originalité. Elle se distinguait par là des autres princesses de la Renaissance française, qui étaient de pures lettrées.

Elle se lia étroitement — et ce sera pour la vie — avec Marguerite de France, plus jeune qu'elle et qui étudiait les anciens avec passion. Peut-être est-ce pour lui plaire qu'elle a commencé ou continué après son mariage l'étude du grec. Elle rechercha pour son intelligence et son crédit la sœur très chère du Roi, Marguerite d'Angoulême, âme tendre avec quelque mièvrerie, inquiète et joyeuse, conteur gaillard et poète mystique, claire en son réalisme et confuse en ses aspirations, et, malgré ces contrastes, ou même à cause d'eux, une des figures les plus attachantes de la Renaissance littéraire et religieuse du XVIe siècle. Catherine avait certainement lu ou entendu lire en manuscrit les Nouvelles de la Reine de Navarre, qui lui rappelaient un autre conteur célèbre, Boccace, Florentin celui-là. Elle et Marguerite de France résolurent d'écrire un recueil du même genre, idée d'imitation qui devait paraître à cette princesse de lettres une flatterie délicate. Aussi l'aimable femme s'en est-elle souvenue dans le Prologue de l'Heptaméron ; et, vraiment généreuse, elle laisse croire que le projet de ses nièces était du même temps que le sien, ou même un peu antérieur, et n'avait d'autre modèle que Boccace ; mais à la différence des Nouvelles du Décaméron, les leurs devaient être de véritables histoires.

Toutes deux et le Dauphin prosmirent ... d'en faire chacun dix et d'assembler jusques à dix personnes qu'ils pensoient plus dignes de recompter quelque chose. Mais on se garderait de s'adresser à des gens de lettres, car Henri, ce robuste garçon, à qui l'on n'a pas coutume de prêter tant de finesse, ne voulloyt que leur art y fust mêlé, et aussy de peur que la beaulté de la rethoricque feit (fît) tort en quelque partye à la vérité de l'histoire.

Les grandes affaires de François Ier et les occupations de la Dauphine firent mectre en obly du tout ceste entreprinse[17]. Quel malheur de n'avoir pas ce Brantôme en raccourci, moins les exagérations de crudité, un Triméron en trente nouvelles, sans embellissements romanesques, de la Cour et de la société au temps de François Ier. La correspondance restera l'unique œuvre littéraire de Catherine de Médicis[18].

Catherine venait d'un pays où toutes sortes de poèmes étaient chantés à quatre, cinq, six ou huit voix, que les instruments soutenaient. En France même, la tradition des jongleurs, conteurs et chanteurs, ne s'était pas encore perdue, et les poètes contemporains, comme Mellin de Saint-Gelais, s'accompagnaient du luth autrement que par métaphore[19]. Quand Clément Marot eut rimé en français les trente premiers psaumes de David, les grands musiciens d'alors, Certon, Jannequin, Goudimel, s'empressèrent de les mettre en musique. Ces chants où le musicien et le poète ont chacun, à sa façon, traduit et souvent trahi la grandeur, la couleur et la passion de la poésie hébraïque, eurent à la Cour de François le un grand succès, mais moins d'édification que de mode.

L'amateur le plus ardent de cette musique sacrée, c'était le Dauphin, qui la faisait chanter ou la chantait lui-même avec lues (luths), violes, espinettes, fleustes, les voix de ses chantres parmi. Aussi les gens de son entourage, en bons courtisans, voulaient tous avoir leur Psaume, et s'adressaient au maître pour leur en trouver un qui répondît à leurs sentiments. Il s'était réservé pour lui le Psaume :

Bien heureux est quiconques

Sert à Dieu volontiers, ......

et il en avait fait lui-même la musique. Catherine choisit le 141e[20], dont le traducteur est inconnu :

Vers l'Eternel des oppressez le Père

Je m'en yrai...

Dans sa douleur de n'avoir pas d'enfant, après neuf ans de mariage, elle recourait à Dieu, comme à l'unique espérance. Mais le chant des Psaumes était si cher aux hérétiques qu'il en devint suspect. La Cour laissa les cantiques pour les vers lascifs d'Horace, qui, disait un réformé, eschauffent les pensées et la chair à toutes sortes de lubricitez et paillardises[21].

Catherine, toujours déférente, fit fête aussi aux chansons folles[22].

Ce n'est pas merveille qu'avec cette bonne volonté, elle ait réussi à retourner l'opinion. L'ambassadeur vénitien, Matteo Dandolo, disait dans sa Relation de 1542 : Elle est aimée et caressée du Dauphin, son mari, à la meilleure enseigne. Sa Majesté François Ier l'aime aussi, et elle est aussi grandement aimée de toute la Cour et de tous les peuples, tellement qu'à ce que je crois il ne se trouverait personne qui ne se laissât tirer du sang pour lui faire avoir un fils[23].

Elle craignait d'être répudiée comme stérile, depuis que son mari avait su par expérience qu'il pouvait avoir des enfants. En 1537, lors de sa campagne en Piémont avec le connétable de Montmorency, il connaît à Moncallier (Moncalieri) une jeune fille, Philippa Duc, sœur d'un écuyer de la grande Écurie, Jean-Antoine, et eut d'elle une fille qu'il légitima plus tard sous le nom de Diane de France et maria à Hercule Farnèse, duc de Castro. Les anciens adversaires du mariage florentin crurent tenir leur revanche. Il y eust, dit Brantôme, force personnes qui persuadarent (c'est-à-dire conseillèrent) au Roy et à M. le Dauphin de la répudier, car il estoit besoing d'avoir de la lignée de France s. Il assure que s ny l'un ny l'autre n'y voulurent consentir tant ils l'aymoient[24]. Mais Brantôme n'était pas né en 1538 et ne parle que par ouï-dire. L'ambassadeur vénitien, Lorenzo Contarini, qui écrivait treize ans après la crise, rapporte au contraire que le beau-père et le mari étaient décidés au divorce, et que Catherine réussit à les fléchir. Elle alla trouver le Roi et lui dit que pour les grandes obligations qu'elle lui avait, elle aimait mieux s'imposer cette grande douleur que de résister à sa volonté, offrant d'entrer dans un monastère, ou plutôt, si cela pouvait plaire à Sa Majesté, de rester au service de la femme assez heureuse pour devenir l'épouse de son mari[25].

François Ier, ému de sa peine et de sa résignation, lui aurait juré qu'elle ne serait pas répudiée. Mais elle appréhendait sans doute un retour offensif de la raison d'État. Elle employait tous les moyens pour avoir des enfants, prenant les remèdes des médecins, buvant les drogues que lui envoyait le Connétable, et recourant à l'expérience de sa dame d'atour, Catherine de Gondi, mère d'une nombreuse famille. Enfin, après dix ans de mariage, le 20 janvier 1544, elle mit au monde un fils, dont la naissance fit pleurer de joie le Roi et sa sœur Marguerite et fut célébrée à l'égal d'une victoire par Marot, Mellin de Saint-Gelais et Ronsard.

Une cause de chagrin qui s'éternisa, ce fut la passion de son mari pour Diane de Poitiers, veuve du grand sénéchal de Normandie, Louis de Brézé, une des plus grandes dames de la Cour. Henri avait en 1538, quand il se lia avec elle, dix-neuf ans ; elle en avait trente-huit, et pourtant il l'aima et jusqu'au bout lui resta fidèle de cœur.

On a imaginé que cet amour ne fut si durable que parce qu'il fut pur, une amitié amoureuse. Sans doute, les romans de chevalerie à la mode, l'Amadis des Gaules, qu'Herberay des Essars commença en 1540 à traduire ou à adapter de l'espagnol, et les autres Amadis de divers pays et en diverses langues qui suivirent, célèbrent, entre les paladins, ceux qui, chastes et constants, aiment en tout respect, adorent en toute humilité. Si cette littérature eut tant de succès, c'est qu'elle répondait peut-être à un réveil des idées chevaleresques et du culte de la femme.

La conception de l'amour dégagé de la servitude des sens, telle que l'expose Phèdre dans le Banquet, et l'interprétation que donna Marsile Ficin de la doctrine de Platon, contribuèrent, plus encore que les romans, à élever les sentiments et à épurer les passions[26]. Le spiritualisme du philosophe grec et de son commentateur florentin, répandu par les traductions qui parurent à partir de 1540, eut pour centre d'élection l'entourage de Marguerite d'Angoulême. ...Quant à moy, je puis bien vous jurer, dit un des personnages de l'Heptaméron, que j'ay tant aymé une femme que j'eusse mieulx aymé mourir que pour moy elle eust faict chose dont je l'eusse moins estimée. Car mon amour estoit tant fondée en ses vertuz que, pour quelque bien que j'en eusse sceu avoir, je n'y eusse voulu veoir une tache[27]. A travers ces nouvelles, qui sont pour la plupart très gaillardes, circule un fort courant d'idéalisme, et nul document ne prouve mieux le conflit dans la société polie d'alors entre les aspirations de l'esprit nouveau et la grossièreté des mœurs. Le Pétrarquisme des poètes de la Renaissance tendait aussi à spiritualiser la passion[28].

Ce rêve sentimental avait ses dangers. Il menaçait le mariage, qui n'a pas l'amour pour unique ou même pour principal objet, et, à vrai dire, il ne se déployait à l'aise qu'en dehors de lui. Les plus raffinés, parmi ces admirateurs de Platon, n'estimaient pas suffisamment héroïque une constance qui serait, après un temps d'épreuve, payée de retour ; ils voulaient un renoncement sans espoir et un sacrifice sans récompense. Ce serait un sacrilège de ravaler à son plaisir l'être à qui l'on avait dressé un autel et un culte. Mais la nature a ses exigences et la vie ses obligations. Aussi la morale romanesque, pour concilier le besoin d'idéal et les nécessités physiques ou sociales, admettait comme légitime qu'on eût une femme et une parfaite amye, celle-là mère des enfants et continuatrice de la race, celle-ci inspiratrice de grandes et nobles pensées. L'attachement du mari de Catherine pour Diane de Poitiers serait l'exemple le plus illustre, quoique rare, de ce compromis amoral du temps.

Voilà la thèse que j'ai fortifiée de mon mieux, comme si je l'avais adoptée. Et voici maintenant les témoins. Les Français sont récusables. Suivant les temps et les intérêts de parti, ils se sont déclarés pour ou contre la vertu de Diane. Pendant le règne de François Ier, les partisans de la duchesse d'Étampes, favorite du Roi, ne se firent pas faute d'incriminer les mœurs de la favorite du Dauphin. Après l'avènement d'Henri II, l'éloge de la vertu de Diane fut de règle : diffamation ou louange qu'il y a lieu de tenir pour également suspecte. Il n'est pas nécessaire de demander si Brantôme, qui enregistre avec tant de plaisir l'histoire et la légende amoureuse du XVIe siècle, pouvait croire à l'innocence des rapports d'Henri II et de la favorite. Mais les étrangers et même les Vénitiens, d'ordinaire si bien informés, ne sont pas d'accord sur la nature de cette liaison. Marino Cavalli, qui fut ambassadeur de la République en France en 1546, pense que le Dauphin était peu adonné aux femmes (en quoi il se trompait) et qu'il s'en tenait à la sienne. Pour ce qui est de la Grande Sénéchale, il se serait contenté de son commerce et conversation. Celle-ci aurait entrepris de l'instruire, le corriger, l'avertir et l'exciter.... aux pensées et actions dignes d'un tel prince[29]. Elle serait parvenue à lui inspirer de meilleurs sentiments pour sa femme, et à faire de lui un bon mari. C'est le rôle de la parfaite amie dans ces sortes de ménages à trois des romans de chevalerie. Cavalli n'affirme pas pourtant que Diane ne fût que l'Égérie du Dauphin. Lorenzo Contarini, qui, en 1551, résume l'histoire intérieure de la Cour de France, rapporte que, d'après le bruit public, Diane a été la maîtresse de François Ier et de beaucoup d'autres avant de devenir celle du Dauphin[30]. Giovanni Soranzo, dans une relation de 1558, ne parle que de sa liaison avec Henri, dauphin et roi. Il dit qu'elle a été très belle, qu'elle avait été grandement aimée, et que l'amour était resté le même (elle était alors dans sa soixantième année), mais qu'en public il ne s'est jamais vu aucun acte déshonnête[31].

C'est probablement la vérité. Henri aimait beaucoup les dames, et se plaisait e à aller au change ». Si Brantôme dit vrai, ses nombreuses expériences lui auraient permis un jour de faire par comparaison un éloge fort indiscret de sa femme. Ses poètes favoris étaient Lancelot de Caries et Mellin de Saint-Gelais, qui ne sont pas des chantres de l'amour transi. Mais il est vrai qu'il n'aimait pas le scandale et se débarrassait vite des femmes qui, glorieuses de son choix, faisaient, comme dit Catherine, s voler les éclats e de leur faveur. Aussi donna-t-il congé à une grande dame écossaise, Lady Fleming[32], qui, ayant eu de lui un enfant, affectait les prétentions d'une maîtresse en titre. Et cependant il reconnut le fils qu'il avait eu d'elle, Charles de Valois, comme il avait reconnu Diane de France, la fille de Philippa Duc. S'il n'a pas avoué l'enfant de Nicole de Savigny[33], c'est peut-être que la mère étant mariée, l'attribution de paternité restait douteuse. Il a eu bien d'autres caprices qui n'ont pas laissé de traces.

Est-il vraisemblable que cet homme de tempérament amoureux ait, dans l'ardeur de sa jeunesse, adoré de loin Diane de Poitiers, cette beauté savoureuse, alors dans l'épanouissement de sa maturité ?

S'il ne l'avait pas aimée d'amour, lui aurait-il écrit pendant qu'elle était absente : Je croy que pourés asés panser le peu de plésyr que j'aré (aurai) à Fontenebleau sans vous voyr, car estant ellongné de sele de quy dépant tout mon byen, il est bien malésé que je puysse avoir joye. — Je ne puis vivere (vivre) sans vous. —Et il signe Seluy qui vous ayme plus que luy mesmes. — Vous suplye avoyr toujours souvenance de celuy qui n'a jamés aymé ni n'aymera jamés, que vous. Elle est, comme il le lui dit en vers, sa princesse, la dame roine et maistresse de la forteresse de sa foi, une déesse, de qui il avait craint qu'elle ne se voulut abeser (abaisser) jusqu'à faire cas de lui[34]. Il avait, en 1547, quand il succéda à son père, vingt-huit ans. L'agent du duc de Ferrare savait qu'il allait à toute heure, après dîner, après souper, voir la Sénéchale. L'ambassadeur de Charles-Quint, Saint-Mauris, qui avait intérêt à renseigner son gouvernement sur les influences de la nouvelle Cour, avait appris d'Éléonore d'Autriche, veuve de François Ier, des détails qu'elle tenait de Mme de Roye, une très grande dame, dont le prince de Condé épousa plus tard la fille. Tous les jours le jeune Roi, qui s'était empressé de faire Diane duchesse de Valentinois, allait lui rendre compte des affaires importantes qu'il avait traitées avec les ambassadeurs étrangers ou ses ministres. Et puis après, il se assiet au giron d'elle avec une guinterne (cithare) en main, de laquelle il joue et demande souvent au Connetable, s'il y est, ou à Omale (François de Guise, alors duc d'Aumale) si led. Silvius (Diane) n'a pas belle garde touchant quant et quant les tetins et la regardant ententivement comme homme surtrins de son amitié[35]. Diane minaudait, protestant que désormais elle sera ridée.

Quelle adoration et qui s'accorde si bien avec ses lettres d'amant humble et tendre ! Pour qu'il lui ait gardé jusqu'à la mort le même amour, et comme une sorte de reconnaissance émue, il faut bien qu'elle ne l'ait pas rebuté dans la crise de désir de sa jeunesse ; et peut-être qu'éprise elle-même — elle avait en 1538, quand il la connut, près de quarante ans, l'âge des grandes passions, — elle se soit donnée et abandonnée.

La principale intéressée, Catherine, n'avait aucun doute sur la nature des rapports de son mari avec Diane. Elle dissimula la haine que lui inspirait la maîtresse en titre tant que vécut Henri II, et même après la mort du Roi elle s'abstint, par respect pour sa mémoire, de trop vives représailles. Mais elle n'oubliait pas. Veuve depuis vingt-cinq ans, elle remontrait à sa fille, la reine de Navarre, dans une lettre du 25 avril 1584, qu'elle ne devait pas caresser les maîtresses de son mari, car celui-ci pourrait croire que, si elle se montrait si indulgente, c'est qu'elle trouvait son contentement ailleurs. Et, allant au-devant de l'objection probable, elle ajoutait : [Qu'elle] (ma fille) ne m'alègue [mon exemple] en sela ; car cet (si) je fesé bonne chère à Madame de Valentinois, c'estoyt le Roy (à cause du Roi) et encore je luy fésèt tous-jour conestre (au Roi) que s'estoyt à mon très grent regret ; car jeamès famine qui aymèt son mary, n'éma sa p..., car on ne le peust apeler aultrement, encore que le mot souyt vylayn à dyre à (par) nous aultres[36].

Il est possible qu'au déclin de son automne, la favorite, intelligente et avisée, comme on le voit par ses lettres, ait compris qu'un tel attachement pour durer toujours, devait changer de nature. Elle pouvait craindre, à mesure que la différence d'âge apparaissait mieux, le ridicule et la désaffection. Le rôle d'amie, prôné par les doctrines littéraires et sentimentales du temps, la gardait de ce risque. Ce fut dès lors, pour les courtisans et les poètes qui voulaient plaire, une vérité établie que Diane, plus belle qu'Hélène et plus chaste que Lucrèce, était chérie du Roi, dit Ronsard, comme une dame saige, de bon conseil et de gentil couraige. Mais le souvenir de la possession, si la possession a cessé, resta si vif chez Henri II que, pour expliquer l'empire sans limite ni terme de cette femme qui n'était plus jeune sur cet homme qui l'était encore, le grave historien De Thou admet l'emploi de moyens magiques, le charme d'un maléfice.

Catherine avait pour l'infidèle, son mari et son roi, une tendresse mêlée de respect. Plus tard, au commencement de sa régence, en pleine période d'incertitude et de trouble (7 décembre 1560), elle rappelait à sa fille Élisabeth, reine d'Espagne, le temps où, disait-elle, je n'avais aultre tryboulatyon que de n'estre asés aymaye (aimée) à mon gré du roy vostre père qui m'onoret plus que je ne mérités, mais je l'aymé tant que je avés toujours peur[37]. Elle avait toujours souffert du partage, et quand Henri fut devenu roi, elle en souffrit plus encore, mais pour d'autres raisons. Henri II était aimable et plein d'égards pour sa femme. A son avènement, il lui avait assigné deux cent mille francs par an et retenu à son service trop plus de femmes qu'il n'y avoit du vivant du feu roy, que l'on dit excéder d'un tiers[38]. Mais personne n'ignorait que Diane avait la première place dans son cœur et sa faveur. Lorsqu'il fit son entrée solennelle à Lyon, en 1548, 23 septembre, les consuls, bons courtisans, imaginèrent de le faire recevoir, au portail de Pierre Encize, par une Diane chasseresse, qui menait en laisse un lion mécanique avec un lien noir et blanc, les couleurs de la favorite[39]. Une Diane figurait aussi au fronton de l'arc triomphal dressé à la porte du Bourg-Neuf. Le lendemain, quand la Reine fit son entrée (24 septembre), la Diane arriva encore avec son automate, qui s'ouvrit la poitrine montrant les armes de Catherine au milieu de son cœur, et, à l'heure, elle luy dit quelques vers. La Reine lui ayant fait la révérence passa outre et s'attarda ailleurs à des symboles plus plaisants. Dans les fêtes que donna le cardinal Jean du Bellay à Rome pour la naissance du quatrième enfant du roi (en mars 1549) un défilé de nymphes précéda le tournoi. Desquelles, raconte Rabelais, témoin oculaire, la principale, plus éminente et haute de toutes autres représentant Diane portoit sur le sommet du front un croissant d'argent, la chevelure blonde esparse sur les épaules, tressée sur la teste avec une guirlande de lauriers, toute instrophiée de roses, violettes et autres belles fleurs [40]. Lors du sacre de la Reine à Saint-Denis (juin 1549), Diane de Poitiers marchait à sa suite en compagnie des princesses du sang[41].

La favorite et un favori, Anne de Montmorency, accaparaient le pouvoir et tenaient la Reine à l'écart des affaires. C'était, explique le Vénitien Contarini, parce que, malgré sa sagesse et sa prudence, s elle n'étoit pas l'égale du roi ni de sang royal ». Mais n'en pouvait-on pas dire autant de la toute-puissante maîtresse ? Les poètes et les courtisans arrangèrent l'histoire. Ronsard, mettant enscène le dieu fluvial du Clain, un petit cours d'eau qui passe à Poitiers, lui faisait prédire à l'ancêtre de la maison des Poitiers une descendance royale. Il apparentait probablement de parti pris et confondait avec intention les comtes de Valentinois, la grande famille dauphinoise d'où Diane était issue, avec les anciens souverains du pays, les Dauphins de Vienne, qui se sont constitués, pour ainsi dire, par adoption une lignée royale, en léguant leur titre avec leurs domaines au fils aîné du roi de France. On imagine combien Catherine devait souffrir de voir exalter l'origine de la favorite et rabaisser la sienne. Et cependant, pour complaire à son mari, elle dissimulait sa jalousie et même faisait bonne grâce à sa rivale.

Les égards même que la favorite lui montrait ne devaient pas la lui rendre plus chère. Diane s'occupait des enfants royaux comme s'ils étaient siens. Elle servit à la Reine de garde-malade. Souvent, dit une relation vénitienne de 1551, elle envoyait le Roi coucher avec elle. Mais c'était une attention humiliante et qui n'était pas désintéressée. Sans doute elle aimait mieux qu'il prît son plaisir en lieu légitime que de courir les aventures, où, entre autres risques, il pouvait rencontrer une nouvelle passion. Les deux femmes s'étaient unies contre Lady Fleming[42].

Le grand amour de Catherine apparaît surtout dans la correspondance, quand son mari fait campagne. Henri II, à l'exemple de François Ier, s'était allié avec les protestants d'Allemagne contre Charles-Quint et, pour prix de son concours, il avait obtenu d'occuper Metz, Toul et Verdun, ces trois évêchés de langue française, qui étaient membres du Saint-Empire (traité de Chambord, 15 janvier 1552)[43]. Il alla lui-même en prendre possession avec une armée que commandait son ami de cœur, le connétable de Montmorency, et il y réussit presque sans coup férir[44].

La Cour avait suivi de loin. A Joinville, en Champagne, Catherine tomba malade, en fin mars 1552, d'une fièvre pourpre dont elle faillit mourir. Le médecin Guillaume Chrestien affirme qu'elle fut sauvée par les soins et les prières de Diane. Mais Diane elle-même indique, avec peut-être quelque ironie, un meilleur remède : Vous puys asseurer, écrivait-elle au maréchal de Brissac (4 avril 1552), que le Roi a fait fort bien le bon mari, car il ne l'a jamais abandonnée[45]. En cet extrême danger, Henri II se montra pour sa femme si attentif et si tendre, qu'on en fut, écrit le 5 avril l'agent du duc de Ferrare, stupéfié[46]. Mais cette crise d'affection dura aussi longtemps que la fièvre.

Pendant cette campagne, et pendant les deux qui suivirent, en 1553 et 1554, le Roi fut souvent absent de la Cour. Catherine alors s'habillait de noir et de deuil et obligeait son entourage à faire comme elle. Elle exhorte chacun, rapporte Giovanni Cappello, à faire de très dévotes oraisons, priant Notre Seigneur Dieu, pour la félicité et la prospérité du Roi absent[47]. Michel de l'Hôpital, alors chancelier de Marguerite de France, duchesse de Berry, disait en vers latins au cardinal de Lorraine, qui avait suivi le Roi dans ce voyage d'Austrasie. Que s'il te plaît peut-être de savoir ce que nous devenons, ce que fait la Reine, si anxieuse de son Mari, ce que font la saur du Roi et sa bru, et Anne (d'Este) la femme de ton frère, et toute leur suite impropre à porter les armes, sache, que par des prières continuelles et par des vœux, elles harcèlent les Puissances célestes, implorant le salut pour vous et pour le Roi et votre retour rapide après la défaite des ennemis[48].

La femme et la maîtresse faisaient au Connétable, chef de l'armée, les mêmes recommandations. Veillez sur le Roi, écrit Diane, car il ly a bien de quoy le myeux garder que jamès, tant de poyssons (poisons) que de l'artyllerye [49]. Battez les ennemis, écrit Catherine (août 1553), mais tenez le Roi loin des coups, car s'il advient bien corne je m'aseure tousjour, l'aunneur et le byen lui en retournera ; s'yl advenet aultrement, [le Roi] n'y estant point, le mal ne saret aystre tieul (saurait être tel) que y ne remedyé (vous n'y remédiiez). Je vous parle en femme. Peu lui importe le reste, pourvu que sa personne n'aye mal[50]. Les lettres de la maîtresse semblent d'une épouse, inquiète sans doute, mais sûre de l'affection de l'absent ; celles de la femme sont d'une maîtresse amoureuse. Catherine écrit à la duchesse de Guise, qui a rejoint son mari à l'armée : Plet (plût) à Dyeu que je feusse aussi byen aveques le myen [51]. Elle est irritée contre Horace Farnèse, duc de Castro, le mari de Diane de France, qui venait de capituler dans Hesdin, après avoir reçu d'ailleurs un coup d'arquebuse dont il mourut : J'é grand regret qu'i (Horace Farnèse) ne l'eut [reçu] avant rendre Hédin. Ce n'est pas qu'elle paraisse sensible à la perte de cette place forte ; mais Henri II étant retenu à la frontière pour la couvrir contre l'ennemi, Horace Farnèse est cause, dit-elle, de quoy je ne voy point le Roy[52].

Mais lui n'est pas à l'unisson. Diane parait informée jour par jour des événements ; mais Catherine reste longtemps sans l'être. Elle apprend en juin 1552, par l'entourage de son mari, qu'elle va se rapprocher de l'armée et se rendre à Mézières. Mès, dit-elle, je ne m'an ause réjeuir pour n'an n'avoyr heu neul comandemant du Roy[53]. Elle se plaint quelquefois de ne pas recevoir de réponse à ses lettres. Henri II laisse tomber la correspondance, peut-être pour éviter les effusions conjugales. Il n'aime que Diane et Montmorency, et c'est à eux qu'il réserve ses déclarations d'amour. Catherine en est réduite à demander de ses nouvelles à tout le monde et à se recommander par intermédiaire à sa bonne grâce. Elle multiplie les lettres au Connétable, qu'elle prie de dire au Roi la passion qu'elle a pour son service et pour sa personne. Mon conpère, lui écrit-elle, fin juin 1552, je vis arsouyr set que me mandès teuchant ma maladye, mès y fault que je vous dye que se n'é pas l'eau qui m'ay fayst malade, tant corne n'avoyr point dé novelles deu Roy, car je pansès que luy et vous et teu le reste ne vous sovynt plulx que je aystès ancore en vie : aseuré vous qu'il n'i a sayrayn qui me seut fayre tant de mal que de panser aystre aur de sa bonne grase et sovenance ; par quoy, mon conpère, set désirés que je vive ay sauy sayne antertené m'i le plulx que pourès et me, fayste savoir sovant de ses novelles ; et vela le meilleur rejeyme que je sarès tenir[54].

Dans une autre lettre au Connétable (6 mai 1553), elle s'excusait de ne rejoindre son mari que le lendemain. Mais la lettre du Roi portait qu'elle devait venir le plus tôt qu'elle pourrait avec toute la compagnie, ses enfants compris. S'il lui eût écrit d'arriver tout de suite, elle n'aurait pas manqué de partir seule, même sans chevaux. Ce n'était qu'un retard d'un jour, et cependant elle s'en justifiait comme d'une faute, protestant que ... Dieu mercy, depuis que j'ay l'onneur de lui estre (au Roi) ce que je luy suis, je n'ay jamais failly de faire ce qu'il m'a commandé, m'aseurant qu'il me faict cest honneur de le croire ainsi dans son cueur, [ce] qui me faict estre contante et m'aseurer que j'aye cest heur que d'estre en sa bonne grace et qu'il me cognoist pour telle que je luy suis.

Elle revient plusieurs fois, comme pour s'en bien convaincre elle-même, sur cette assurance où elle est de n'être jamais esloignée de sa bonne grâce, ajoutant pour le Connétable tant plus quen (d'autant plus quand) je sçay qu'estes auprès de luy qui estes et faictes profession d'homme de bien[55].

Comme elle craint de déplaire ! Et cependant, à la même époque, elle montrait quelque velléité de rompre avec ses habitudes d'effacement. Elle osa se plaindre de la façon dont le Roi, partant en campagne, avait organisé le gouvernement[56]. Il l'avait déclarée régente (25 mars 1552), mais au lieu de lui conférer pleine et entière autorité, comme c'était l'usage et comme il le lui avait promis, elle se découvrit pour compagnon le garde des sceaux, Bertrandi, une créature de Diane. Ainsi que l'écrivait au Connétable le sieur du Mortier, Conseiller au Conseil privé, c'est Bertrandi lui-même qui avait fait réformer le pouvoir de la Reine, lors de la première lecture qui en fut faite au Roi, pour s'y faire adjouster au lieu même qu'il est nommé[57], hardiesse qu'assurément, on peut le croire, il ne se fût pas permise s'il n'y avait été poussé par la toute-puissante favorite. En outre, les affaires occurrentes devaient être délibérées avec aucuns grands et notables personnages du Conseil privé, qui donneraient leur avis pour y pourvoir. Ainsi la Régente partageait avec le garde des sceaux la présidence du Conseil privé, et dans le Conseil les décisions seraient prises à la majorité des voix. Pour plus de complication, Catherine était autorisée — avec l'avis du Conseil à lever les troupes que le besoin requerrait pour la défense du royaume ; et l'Amiral de France — c'était alors Claude d'Annebaut[58] — avait charge lui aussi de s'occuper des mêmes choses concernant le fait de la guerre, dont il lui serait toujours conféré et communiqué. L'Amiral ne savait comment concilier ses attributions avec celles du Conseil privé et du Garde des sceaux.

Le Connétable, ce vieux renard, avait refusé, sous quelque prétexte, de communiquer ce pouvoir à la Reine ; et ce fut sur ces entrefaites qu'elle tomba malade à Joinville. Quand elle fut rétablie, elle demanda de le lui apporter, désir de convalescente qu'il fallut satisfaire. Et alors, en se souriant, a dit qu'en aucuns endroits on luy donnoit beaucoup d'authorité, et en d'autres bien peu, et que quand ledit pouvoir eust esté selon la forme si ample qu'il avait pleu au Roy de luy dire qu'il estoit, elle se fust toutefois bien gardée d'en user autrement que sobrement, et selon ce que ledit seigneur luy eust fait entendre son intention en particulier, soit de bouche ou par écrit, car elle ne veut penser qu'à luy obéir....

Elle faisait remarquer à du Mortier que Louise de Savoie eut une ampliation telle que l'on n'y eust sceu rien adjouster ; et de plus elle n'avoit point de compagnon comme il semble que l'on luy veuille bailler Monsieur le Garde des Sceaux qui est nommé audit pouvoir. Elle notait aussi que, dans une autre clause, le Roi disait qu'il emmenait avec lui tous les Princes de ce royaume. Il s'ensuivrait donc que s'il fust demeuré aucuns desdits princes par deçà, elle n'y eut pas été régente. Et toujours en protestant qu'elle n'eût jamais usé du pouvoir le plus ample autrement qu'il eust plu audit Seigneur, elle se refusait à faire publier la déclaration de régence es Cours de Parlement ny Chambre de Comptes, car elle diminueroit plus qu'elle n'augmenteroit de l'authorité que chacun estime qu'elle a, ayant cet honneur d'estre ce qu'elle est au Roy. D'Annebaut, du Mortier tentèrent sans succès de la ramener. Du Mortier, qui au fond était de son avis, écrivit au Connétable de décider le Roi à mettre en termes généraux les particularitez contenues audit pouvoir[59].

Le Connétable répondit qu'il fallait qu'il fût publié. Doucement elle insista. ... Quant à set (ce) que me mandès de mon pouvoir, je suys bien ayse, puisqu'i (il) fault qui (qu'il) souyt (soit) veu, qui (qu'il) souyt de façon que l'on conese que set que me mandés ay (est) vrai que je suys an la bonne grase deu Roy[60]. Probablement, pour en finir, Henri lui écrivit, et la voilà contente, car, écrit-elle au Connétable, j'é ayst és an grant pouyne (peine) pour la longueur deu temps qui l'y avent que n'en avés seu (eu de lettres), par quoy je vous prye si ledist signeur et vous avés anvye que je ne retombe poynt malade que je aye le byen d'an savoir (avoir) plux sovant[61].

Et aussitôt elle s'empresse. Elle annonce au Connétable que tous ceux du Conseil ont été d'avis que l'Amiral devait demeurer ici jusqu'à ce que le Roi en eût ordonné autrement. Par quoy mandé nous vystement sa volonté, afin que ne fasyon (fassions) faulte à l'ensuyvre. Elle met avec joie la main à l'administration. Mon compère, écrit-elle au Connétable, vous verrez par la lettre que j'escris au Roy que je n'ay pas perdu temps à apprendre l'estat et charge de munitionnaire[62].

Mais, pour tout remerciement, Montmorency la rabroua : Il me semble estant ledit seigneur (Roy) si prochain de vous qu'il sera doresnavant que vous ne devez entrer en aucune despense ny plus faire ordonnance d'autres deniers sans premièrement le luy faire sçavoir et entendre son bon plaisir[63].

Ses initiatives inquiétaient. Pour la première fois, elle laissait voir le désir assurément légitime de tenir son rang. Sa prétention d'être régente pour tout de bon, et cette passion d'activité, c'était une révélation. Une Catherine apparaît que la Cour ne soupçonnait pas. La femme d'État perçait sous l'épouse obéissante.

Dans les affaires italiennes, elle montre à la même époque la même volonté d'intervenir. A son départ pour la France, Alexandre de Médicis était depuis deux ans duc héréditaire de Florence, par la grâce de Clément VII et de Charles-Quint et le consentement du peuple. Elle n'aimait guère ce frère bâtard, estimant peut-être qu'il occupait une place où elle se croyait, comme fille légitime, plus justement destinée. Quand la nouvelle survint qu'il avait été assassiné par un de leurs cousins, Lorenzino de Médicis (5 février 1537), elle prit la chose si doucement, racontait la reine de Navarre à un agent florentin, que mieux ne se pouvait imaginer[64]. Alexandre ne laissait pas d'enfant. Un Médicis, d'une branche cadette, intelligent et énergique, Côme, fils de Maria Salviati et de Jean des Bandes Noires, l'ancien compagnon de jeux de Catherine, accourut à Florence et se fit reconnaître pour chef par le peuple, et quelques mois après par l'Empereur. François Ier n'eut pas même le temps de décider s'il ferait valoir les droits de sa bru ou travaillerait à rétablir la République. L'oncle de Catherine, le fameux banquier Philippe Strozzi, souleva les ennemis du nouveau duc ; mais il fut vaincu à Montemurlo (1538) et enfermé dans une prison où il mourut, non sans soupçon d'aide.

François Ier avait gardé rancune à Côme de son bonheur et de ses attaches avec Charles-Quint. Il refusa d'accorder à son ambassadeur la préséance sur celui de Ferrare[65]. Henri II, qui pouvait se prévaloir des droits de sa femme, était encore plus mal disposé[66]. Entre tous les fuorusciti (bannis), napolitains, milanais, génois, etc., que la tour de France recueillait pour s'en servir dans ses entreprises italiennes, il montrait une particulière faveur aux Florentins. La mauvaise volonté du Roi envers vous, écrivait à Côme son ambassadeur à Rome, vient de ce que vous avez servi et servez l'Empereur... et de ce que vous êtes maitre de cet État de Florence auquel aspire Sa Majesté très Chrétienne[67].

Pendant le règne de François Ier et les premières années de celui d'Henri II, Catherine affecta de rester étrangère à ce conflit des puissances. Elle avait des revendications à faire valoir sur les propres de son frère Alexandre et ne tenait pas à se brouiller avec le souverain de la Toscane ; elle entretenait une correspondance amicale avec lui et faisait gracieux accueil aux ambassadeurs qu'il envoyait de temps à autre en France pour tenter un rapprochement. Elle disait, en 1539, à l'un d'eux, l'évêque de Saluces, Alfonso Tornabuoni qu'elle se recommandait à Côme et à la mère de Côme, Maria Salviati, et que si elle avait occasion de rendre service au Duc elle le ferait de bon cœur, comme pour son propre frère, car elle tient Votre Excellence pour tel, et elle m a donné commission de le lui dire de sa part[68]. Lors du règlement de l'affaire de préséance, elle en écrivit à Côme ses regrets : Je veodré (voudrais) que lé choses feulent pasé autrement, et sy je use plulx pleusant esté... (et si j'eusse été plus puissante)[69]. Elle reçut l'ambassadeur Ricasoli, lorsqu'il vint féliciter Henri II sur son avènement avec une bénignité (dolcezza) et une démonstration d'affection qui ne se peut redire[70]. Mais Côme, un Médicis aussi fin qu'elle et qui savait la valeur des compliments, ne croyait pas à tant d'amour.

Elle était entourée de fuorusciti ardents à qui la maison de son maître d'hôtel, le poète Luigi Alamanni, servait de synagogue. Elle prit en 1552 pour dame d'atour Maddalena Bonaiuti, femme d'Alamanni, qui lui peignait en noir (sinistramente) le gouvernement de Florence[71]. Ses cousins, Pierre, Léon, Robert et Laurent Strozzi, avaient leur père Philippe à venger. Ils cherchaient partout des ennemis à Côme et n'y épargnaient ni peine ni argent. Robert faisait fructifier les capitaux de la famille dans ses banques de Rome et de Lyon ; Laurent était d'Église ; Léon, chevalier de Malte ; Pierre avait essayé du service de l'Empereur avant de passer à celui du roi de France. C'était un condottiere de race, brave, aventureux, haut à la main, et si lettré qu'il pouvait traduire en grec les Commentaires de César. Il avait épousé Laudomia (ou Laudomina) de Médicis, la sœur du meurtrier d'Alexandre. Catherine avait pour ce cousin à mine rébarbative une préférence marquée. Lorsqu'il avait rejoint François Ier au camp de Marolles[72] avec la plus belle compagnie qui fut jamais veue de deux cens harquebuziers à cheval les mieux montez, les mieux dorez et les mieux en poinct qu'on eust sceu voir, la Dauphine, qui estoit cousine dudict sieur Estrozze qu'elle aymoit, s'en cuyda perdre de joye, raconte Brantôme, pour voir ainsi son cousin parestre et faire un si beau service au roy et le tout à ses propres despans[73]. Sans imaginer qu'elle l'ait aimé au sens où se plaît à l'entendre l'historien des Dames galantes, il faut que son affection ait été bien vive pour se manifester avec un éclat presque compromettant.

C'était bien le serviteur qu'il lui fallait, entreprenant et fidèle. Au nom de la liberté, ce fils du vaincu de Montemurlo pouvait soulever contre Côme les partisans de Catherine et ceux de la République. Henri II, qui avait mêmes vues sur lui, le nomma, aussitôt après son avènement, capitaine général de l'infanterie italienne[74]. Il le fit chevalier de l'Ordre le jour de son sacre. Strozzi, si cher à la Reine, avait eu le talent de plaire à la favorite, à un favori, le maréchal de Saint-André, et aux Guise. Mais Montmorency le considérait comme un aventurier, et son crédit était grand.

La défiance du Connétable parut justifiée par la conduite du frère de Pierre, Léon, qui commandait les galères du Levant. C'était quelques mois avant la campagne d'Austrasie et l'occupation des Trois-Évêchés. Henri H avait pris parti pour les Farnèse, que le pape Jules III voulait dépouiller du duché de Parme, un fief de l'Eglise romaine, pour en investir l'Empereur, et il les soutenait d'hommes et d'argent[75]. Pendant ces premières hostilités, Léon, qui avait été, par intrigue ou pour incapacité, privé de sa charge en faveur du sieur de Villars, neveu du tout-puissant Connétable, tua, de colère, un de ses serviteurs, Jean-Baptiste Corse, qu'il accusait d'avoir comploté sa disgrâce et même voulu attenter à sa vie, et il s'enfuit de Marseille à Malte avec deux galères (septembre 1551)[76]. Cette défection, à la veille d'une grande guerre — presque une trahison — risquait de ruiner tous les Strozzi et- de compromettre la Reine, leur cousine et leur patronne. Aussi Catherine ne perdit-elle pas de temps. Six jours seulement après la naissance d'Édouard-Alexandre (le futur Henri III), elle se mettait à son écritoire, écrivait au Roi, au Connétable : Je vouldrois, disait-elle à Montmorency, que Dieu eust tant faict pour luy de l'avoir osté de ce monde à l'heure qu'il luy donna la volunté de s'en aller[77]. Elle ne pensait pas revoir jamais chose qui aprochast de ceste faute et pourtant elle était sûre qu'il ne l'a point faict par meschanceté, s'étonnant qu'ung si meschant homme comme Jehan Baptiste Corse eut eu puissance de luy faire peur ou doubte. Avant tout elle avait à cœur de certifier la fidélité de Pierre. Elle priait le Connétable de faire que le Roy ayt tousjours le seigneur Pietre pour recommandé, car bien que son frère ayt failli, je suis, affirmait-elle, certaine de luy qu'il mourra à son service[78] (26 septembre 1551).

Dans une lettre à Henri II, tout en déclarant que son plus grand désir serait de savoir le coupable noyé, elle ne laissait pas d'indiquer les circonstances atténuantes. Quant à Pierre, elle se portait garante qu'il mourrait plutôt de sen (cent) myle mort que de vous faire jeamès faulte ny oublyer l'aublygazyon quy (qu'il) vous ha. Elle le suppliait de lui pardonner cette longue lettre, pansant le deplésyr que je hay dont rien ne la pourra ôter que l'assurance de n'être pas éloignée, par la faute de ce malheureux, de votre bonne grace an laquele, disait-elle, très humblement me recommande. Et elle signait : Vostre tres humble et tres hobéysante famme[79].

Elle n'obtint pas pour Laurent un sauf-conduit pour venir se justifier, mais le seigneur Pietre, les affaires d'Italie aidant, fut plus en faveur que jamais.

Les fuorusciti s'étaient jetés avec passion dans la guerre de Parme, espérant y entraîner toute la péninsule. Ceux de Florence projetaient d'attaquer Côme. Catherine favorisait leurs menées et partageait leurs espérances. Quand elle apprit que le pape Jules III, las de sa politique belliqueuse, négociait avec Henri II une alliance de famille entre les Farnèse, clients de la France, et Côme, vassal de l'Empereur, elle se plaignit à son mari de n'avoir pas été consultée. En cette circonstance, mandait à Côme son secrétaire d'ambassade en France, B. Giusti, la Reine a fait la folle ; elle a pleuré devant le Roi, disant qu'on n'avait nul égard pour elle[80].

Mais Henri II, comme on le vit bientôt, jouait double jeu. Quand les Siennois eurent chassé (26 juillet 1552) la garnison espagnole qui, depuis douze ans, occupait la citadelle, il leur envoya des secours. Sienne, à deux ou trois journées de Florence, pouvait servir de point d'appui aux ennemis de Côme. Après quelques hésitations, il nomma Pierre Strozzi, leur chef, son lieutenant général à Sienne (29 octobre 1553). Catherine crut que le moment était venu de faire valoir ses droits sur Florence. Elle obtint de son mari l'autorisation d'engager ses domaines d'Auvergne pour aider Strozzi à délivrer Florence de l'esclavage, et elle en vendit, paraît-il, pour cent mille écus[81]. Elle déclara aux ambassadeurs de Sienne, qui sollicitaient sa protection, qu'elle voulait être la procuratrice de la Cité. Il est impossible, écrivait le 4 mai le Siennois Claudio Tolomei, de peindre l'ardeur et l'amour avec lesquels la Reine se dévoue aux affaires de Sienne et le courage qu'elle montre, non seulement en paroles, mais par ses actes[82]. Le cardinal de Tournon déclarait à l'ambassadeur vénitien, Giovanni Capello (10 juillet 1554), que si la liberté de Florence était rétablie, la Reine en aurait tout le mérite[83]. Henri II avait rappelé Léon Strozzi à son service (janvier 1554) ; il nomma Pierre maréchal de France pour accroître son prestige (20 juillet 1554).

Mais Strozzi fut vaincu à Marciano (2 août 1554) par les troupes espagnoles, renforcées de celles de Côme, et ces grands espoirs furent détruits. On cacha quelques jours la mauvaise nouvelle à Catherine, qui était enceinte de deux mois. Quand elle l'apprit, elle pleura beaucoup ; mais avec cette maîtrise, dont elle donna plus tard tant de preuves, elle se ressaisit vite. Elle envoya un de ses valets de chambre visiter Pierre, qui avait été grièvement blessé. Elle écrivit aux Siennois, pour relever leur courage, une lettre curieuse où un mot fait impression : Davantage (de plus) de notre côté, pour la dévotion que nous avons (non moindre que la vôtre) à la Patrie, nous vous prions d'être assurés que nous nous emploierons et procurerons continuellement envers le Roi, mon dit Seigneur, de sorte et manière que sa puissance ne vous manquera en compte aucun pour l'entretènement et conservation de votre État et liberté en son entier[84].

La patrie dont elle parle, ce n'est ni Sienne, ni Florence, ni même la Toscane, mais l'Italie. Le souvenir de Rome maintenait vivante parmi les divisions territoriales de la péninsule l'idée d'une patrie commune. Et puis le mot sonnait si bien.

Catherine put croire encore quelque temps que ses revendications sur Florence et sur le duché d'Urbin resteraient le principal objet de la politique française ; mais Henri II avait bien d'autres affaires. Il se dégoûtait d'une lutte stérile en Italie et ne pensait qu'à sauvegarder ses conquêtes en Lorraine. Quand Sienne, que les Espagnols assiégeaient, eut capitulé, après une défense héroïque (17 avril 1555)[85], il conclut une alliance avec le pape et négocia la paix avec Charles-Quint. Catherine fut mécontente de cette volte-face[86], mais on se passa de son approbation. Une trêve glorieuse conclue à Vaucelles (5 février 1556) laissa les Trois-Évêchés et le Piémont à la France.

L'année suivante, Henri II, à la sollicitation du pape Paul IV Carafa et du cardinal-neveu, un condottiere revêtu de la pourpre, recommença la lutte contre la maison d'Autriche, malgré le Connétable, grand ennemi des aventures italiennes. Une armée française, commandée par le duc de Guise, passa les Alpes. Mais, contrairement aux désirs de la Reine, c'était pour conquérir le royaume de Naples et non la Toscane. Côme avait négocié avec tout le monde pour éviter une attaque. Peut-être Catherine espérait-elle qu'après Naples le tour de Florence viendrait. En attendant elle réclamait du Pape, pour ses clients et ses parents, le prix de l'intervention française. Elle rappelait avec quelque humeur, en mars 1557, au cardinal Carafa que, lors de sa légation en France (juin-août 1556) il lui avait promis que Monsieur de Saint-Papoul (Bernard Salviati, évêque de Saint-Papoul, son cousin) serouyt (serait) le premyer cardynal s, que le Pape ferait. Et cependant une promotion de cardinaux avait eu lieu (15 mars 1557), où il n'était pas compris. Elle s'en déclarait e heun peu aufansaye (offensée), veu, disait-elle, que je l'aves ynsin (ainsi) dist à tout le monde, m'aseurant que vous ne m'eussiès veolu porter heune parole pour vous moquer de moy. Elle réclamait pour Salviati une promotion aur (hors) de l'aurdinayre. Que le Pape panse au lyeu que je tyens et que j'é moyen de reconestre le plesyr que vous me fayrés[87].

Elle se vantait. Depuis la chute de Sienne et l'abandon des projets sur la Toscane, elle ne comptait guère. Mais elle ne se résignait pas à se désintéresser des affaires d'Italie. Elle multipliait les lettres, répétait les nouvelles, les assurances, les promesses et s'agitait dans le vide, ne pouvant employer autrement son besoin d'activité. Elle annonce au cardinal Carafa (avril 1557), comme s'il ne le savait pas, que le Roi a décidé de secourir le Pape et que y (il) ne changera plulx de aupynyon. Elle lui conseille d'écrire quelque auneste lestre à Monsyeur le Conestable, reconnaissant par là même qu'elle ne peut rien[88]. Elle avait avec lui une correspondance qu'elle tenait, semble-t-il, à cacher. Le secrétaire français du Cardinal s'étant enfui, il s'empressa de lui faire dire, pour la rassurer, que ce serviteur infidèle n'avait lu aucune de ses lettres (1er mai 1557)[89]. Son secret d'Italie, c'est la revanche de son effacement en France. Elle intervient, mais à des fins très personnelles, dans la politique étrangère.

Quand les Carafa, effrayés par la marche sur Rome du duc d'Albe, vice-roi de Naples, se hâtèrent de traiter avec Philippe II, elle écrivit doucement au duc de Palliano, l'aîné des neveux de Paul IV, que le Roi son mari, a esté bien ayse de ce que Sa Saincteté s'est accommodée en ses affaires par l'accord qu'il a faict avec le Roy d'Espeigne, ayant (Henri II) mieulx aymé se mectre en poyne pour la (Sa Sainteté) mectre en repoz et tranquillité que d'en avoir usé aultrement[90]. Elle glissait sans dignité sur la défection, mais elle n'oubliait pas ses intérêts. Elle recommandait au Duc les procès qu'elle avait engagés en Cour de Rome contre sa belle-sœur, Marguerite d'Autriche, à qui elle disputait l'héritage de son frère bâtard, Alexandre, le duc de Florence assassiné, et de son cousin, le cardinal Hippolyte, mort lui aussi. Elle remerciait le Pape, ce pape qui venait de trahir la cause française, d'avoir ordonné aux juges de passer outre aux artifices de procédure et elle le suppliait de leur commander derechef qu'ayant son bon droit en bonne recommandation ils missent fin au procès[91]. La plaideuse paraît oublier qu'elle est Reine de France[92].

Pourtant elle venait d'avoir occasion d'en faire figure. Ce fut quand les Espagnols eurent mis en déroute, devant Saint-Quentin (août 1557), l'armée du Connétable et menacèrent Paris. Henri II, qui rassemblait de toutes parts des troupes pour faire tête à l'ennemi, envoya sa femme demander aux bourgeois de sa capitale un secours immédiat d'argent. Catherine se rendit à l'Assemblée Générale, qui avait été réunie à l'Hôtel de Ville (13 août), accompagnée de Marguerite de France, sa belle-sœur, et de plusieurs autres darnes. Et estoit, la dite dame et sa compaignée, dit le procès-verbal du greffier, vestues d'abillemens noirs, comme en deul. La Reine exposa la grandeur du désastre, le danger du royaume et la nécessité de lever gens pour empescher l'ennemy de venir plus avant. Brantôme dit qu'elle parla très bien. Elle excita et esmeut messieurs de Paris.... Le procès-verbal en sa sécheresse n'y contredit pas. Elle demanda humblement à l'Assemblée de ayder au Roy d'argent pour lever en diligence dix mille hommes de pied. On la pria de vouloir bien se retirer dans une petite salle pendant la délibération, mais on la rappela aussitôt. Les bourgeois avaient voté sans débat les dix mille hommes de pied, pour lesquels seroit levé sur tous les habitants de lad. ville et faulxbourgs, sans en excepter ni exempter aucun, la somme de trois cent mil livres tournois. La Reine remercia bien fort et humblement. Ce mot humblement, qui revient pour la seconde fois, a été ensuite effacé, évidemment comme peu convenable à la dignité royale, mais le greffier ne l'a pas inventé, et d'ailleurs il s'accorde trop bien avec les façons modestes de Catherine pour n'être point vrai[93].

Après cette apparition en pleine lumière, elle s'effaça. Toutes ses pensées ne tendent qu'à complaire au Roi son mari. Elle le suit partout. Par déférence et par tendresse, elle se contraint d'honorer et caresser la favorite[94]. Elle n'a aucune autorité dans l'État, mais elle tient superbement sa Cour, à l'imitation de celle de François Ier. Elle dépense beaucoup pour elle et son entourage, en frais de table, en vêtements. Libérale et généreuse, elle donne à pleines mains et sollicite infatigablement pour ses parents, ses amis et les clients de ses amis. Elle a une réputation bien établie de douceur et de bénignité.

Exclue du pouvoir, elle entend se réserver le gouvernement de sa famille. Elle était une mère tendre, mais autoritaire, comme on le voit par les Mémoires de sa fille Marguerite. L'ambassadeur vénitien, Giovanni Soranzo, dans sa Relation de 1558, dit qu'elle a élevé le Dauphin, plus tard François II, dans de telles habitudes de respect à son égard qu'on voit bien qu'il dépend en tout de sa volonté[95].

Mais l'action de la mère était contrecarrée par celle de la fiancée du Dauphin, Marie Stuart, reine d'Écosse, qui avait été envoyée en France, en 1548, à l'âge de cinq ans, pour être élevée à la Cour. Marie Stuart était la fille de Jacques V d'Écosse, mort de chagrin (16 décembre 1542) après la défaite de ses troupes par les Anglais, et de sa seconde femme, Marie de Lorraine, sœur du duc de Guise et du cardinal de Lorraine. Elle était naturellement attachée à ses oncles germains, prenait leurs conseils, entrait dans fours intérêts et consolidait leur crédit, que leurs services à l'armée et dans le gouvernement et une alliance de famille avec Diane de Poitiers égalaient presque à celui du Connétable. Cette reinette intelligente, vive et gracieuse, faisait les délices d'Henri II ; mais elle déplaisait à sa future belle-mère, qui ne la trouvait pas docile et qui craignait pour son fils, faible et maladif, les risques d'une union précoce. Mais après la prise de Calais et de Thionville par le duc de Guise, il ne fut plus possible d'ajourner les épousailles (24 avril 1558). Le mari avait quatorze ans, et la femme quinze. Elle accaparait ce pâle adolescent, blême et bouffi, s'isolait avec lui, et même le caressait trop. La mère était inquiète et jalouse. La Dauphine, infatuée de la grandeur de la maison de Lorraine et de sa couronne d'Écosse, se serait un jour oubliée jusqu'à traiter sa belle-mère, cette Médicis, de fille de marchand[96]. Catherine dissimula en public sa rancune, mais elle ne pardonna pas, comme elle le montra plus tard.

L'année 1559 est la date décisive de sa vie. Elle avait alors quarante ans. Ses traits commençaient à s'empâter ; les yeux saillaient à fleur de tête, embrumés de myopie. Ses dix maternités lui avaient donné l'ampleur des formes, ou, comme dit Brantôme, ung embonpoint très riche. Mais, avec ses belles épaules, une gorge blanche et pleine, la peau fine, la plus belle main qui fust jamais veue, une jambe bien faite que dessinait un bas bien tiré[97], elle était en somme une Junon appétissante en sa maturité et qui paraissait telle, sauf à Jupiter.

La guerre entre la France et l'Espagne, alliée de l'Angleterre, fut close par le traité du Cateau-Cambrésis. Henri gardait Calais que le duc de Guise avait conquis sur les Anglais, mais il restituait au duc de Savoie tous ses États, sauf quelques villes qu'il retenait en gage[98], et il renonçait à toutes ses prétentions sur l'Italie. Les sacrifices lui paraissaient compensés par la cessation de la guerre et les bienfaits de la paix, par le mariage, de sa sœur, Marguerite de France, avec le duc de Savoie, Emmanuel-Philibert, et de sa fille Élisabeth avec le roi d'Espagne, Philippe II, veuf de Marie Tudor, reine d'Angleterre, et par le plaisir de revoir son ami de cœur, le Connétable, qui, prisonnier aux Pays-Bas, depuis la bataille de Saint-Quentin, avait été le médiateur et le négociateur de cet accord. Mais Catherine n'avait pas autant de raisons de se réjouir. Il est possible que clans son chagrin de perdre à jamais Florence et Urbin elle soit allée, dès qu'elle sut les préliminaires de la paix, se jeter aux pieds du Roi, accusant le Connétable de n'avoir jamais fait que mal. Mais Henri aurait répliqué que le Connétable avait toujours bien fait et que ceux-là seuls avaient mal fait qui lui avaient conseillé de rompre la trêve de Vaucelles[99]. En tout cas, elle ne s'attarda pas aux récriminations, et, moins d'un mois après la signature de la paix (2-3 avril 1559), elle écrivit au duc de Savoie : ... J'aye souhaitté pour vous ce que je voye, me resentant de l'alliance que autrefois vostre maison et la mienne ont eue ensemble... si jusques à ceste heure j'aye eu envye de m'employer en ce qui vous touche, je vous prie croire que d'icy en avant je m'y employrai de toute telle affection que pour mes enfans propres....[100] Elle se consolait probablement de ses déceptions en pensant au grand mariage de sa fille et au bonheur de sa chère belle-sœur Marguerite, cette vieille fille de lettres qu'agitait — en ses trente-six ans[101] — le démon de midi.

A l'occasion des noces, de grandes fêtes furent données à Paris, parmi lesquelles un tournoi. Henri II y porta les couleurs blanches et noires de Diane. Sous les yeux des deux reines, la légitime et l'autre, il fournit plusieurs courses, rompit des lances, montra sa vigueur et son adresse. Il voulut finir par un coup d'éclat et donna l'ordre à Mongomery, son capitaine des gardes, de courir contre lui. Catherine qui, dit-on, la nuit précédente, l'avait vu en rêve, la tête sanglante, le fit prier, superstition d'Italienne et d'amoureuse, de se dédire, mais il persista. Les deux adversaires prirent du champ, lancèrent leurs chevaux à toute vitesse, et, en se croisant, s'entre-frappèrent de leurs lances. L'arme de Mongomery se brisa et le tronçon qu'il avait en main, soulevant la visière du casque royal, blessa Henri au sourcil droit et à l'œil gauche[102]. On l'emporta évanoui au palais des Tournelles où il expira le 10 juillet.

La Reine assista, priant et pleurant, à la fin de ce mari tendrement aimé, Elle porta dorénavant le deuil, et ne se para jamais de mondaines soies, sauf aux noces de ses fils, Charles IX et Henri III, afin de solemniser, disait-elle, la feste par ce signal par dessus les autres[103]. Elle prit pour armes parlantes une lance brisée, avec ces mots en banderole : Hinc dolor, hinc lacrymae (de là ma douleur, de là mes larmes) ; et aussi une montagne de chaux vive, avec cette devise : Ardorem extincta testantur vivere flamma, voulant dire que, comme la chaux vive arousée d'eau brusle estrangement... encor qu'elle ne face point apparoir de flamme, ainsi l'ardeur de son amour survivait à la perte de l'être aimé.

 

 

 



[1] 7 décembre 1560. Lettres, L, p. 568. En sa vieillesse, elle écrivait qu'elle n'aurait pas souffert, comme elle l'avait fait, la présence à la Cour des maîtresses du roi son mari, si elle avait été fille de roi, Lettres, VIII, 181, 25 avril 1584.

[2] Pastor, Histoire des papes depuis la fin du moyen âge, trad. Alfred Poizat, t. VIII, 1909, p. 8, p. 60 sqq., p. 75.

[3] Pastor, Histoire des papes depuis la fin du moyen âge, t. IX, 2e éd., 1913, p. 191 et note 1 ; t. X, p. 242.

[4] Pastor, Histoire des papes depuis la fin du moyen âge, t. X, P. 245 sqq.

[5] Brantôme, VII, p. 314-315.

[6] Lettres de Catherine de Médicis, t. X, p. 1 et 2.

[7] Sur la duchesse d'Étampes, voir Paulin Paris, Etudes sur François Ier, 1885, t. II, p. 209 sqq.

[8] Lettres de Catherine de Médicis, t. VIII, p. 180.

[9] Brantôme, éd. Lalanne, t. VII, p. 344-345.

[10] Rodocanachi, Rome sous Jules II et Léon X, 1912, p. 66.

[11] Œuvres de Ronsard, éd. Blanchemain, t. II, p. 182.

[12] Cependant Brantôme rapporte que Catherine avait appris à monter en amazone de la duchesse douairière de Lorraine, Christine de Danemark, c'est-à-dire après sa venue en France. Ed. Lalanne, t. IX, p. 621.

[13] En 1545, dans une chasse au cerf, la haquenée qu'elle montait s'emballa et se précipita dans une cabane dont le toit était très bas. Elle fut désarçonnée et se blessa au côté droit. En 1563, elle tomba de cheval au sortir du château de Gaillon et se fit à la tête une blessure, si profonde qu'il fallut la trépaner. Bernardino de Médicis, ambassadeur florentin, à Côme Ier 29 avril 1545, Desjardins, Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, t. III, p. 158. — Lettre de Charles IX du 19 septembre 1563 et du cardinal de Lorraine du 2 octobre, dans Additions aux Mémoires de Castelnau, éd. Le Laboureur, 1734, t. II, p. 288-289.

[14] Une seule fois, elle aurait cité une phrase latine, mais c'est un verset de l'Évangile.

[15] Elle le comprenait assurément. Voir lettre de Bèze dans les Calvini Opera omnis, XVIII, col. 63-633.

[16] L'ambassadeur ne nomme pas Danès. Il dit simplement que des dix hommes très lettrés qui vont se réunir pour arrêter les articles à présenter au Concile de Trente, l'un est le maître de la Dauphine (Desjardins, III, p. 140, déc. 1544). Or nous savons d'autre part que Danès fut envoyé à ce Concile par François Ier et qu'il s'y distingua comme orateur. Voir Abel Lefranc, Hist. du Collège de France, Paris, 1893, p. 172. L'identification parait donc légitime.

[17] L'Heptaméron des nouvelles de Marguerite d'Angoulême reine de Navarre, éd. Benjamin Pifteau, t. I, p. 28-29.

[18] Sous le titre : Les Poésies inédites de Catherine de Médicis, Paris, 1885, M. Édouard Frémy a publié, dans une biographie d'ailleurs intéressante, des poésies qui ne sont pas de Catherine. Il suffit pour s'en convaincre de les lire sans parti pris. Les idées, les sentiments, la langue ne répondent pas à sa façon de sentir et de penser et l'indication des lieux est en désaccord avec ses itinéraires bien connus. C'est aussi l'avis de M. le Comte Baguenault de Puchesse. Je renvoie à sa solide démonstration, Revue des Questions historiques, t. XXXIV, 1883, p. 275-279. Ces vers rappellent la manière de Marguerite de Navarre, et ils en sont probablement un pastiche.

[19] Augé-Chiquet, La vie, les idées et l'œuvre de Jean-Antoine de Bail, Paris et Toulouse, 1909, P. 303.304.

[20] Le 141e de la Vulgate est le 142e du Psautier hébreu et huguenot, la Vulgate ayant réuni en un seul les psaumes IX et X du texte hébraïque original (O. Douen, Clément Marot et le Psautier huguenot, t. I, 1878, p. 284, note 5, et p. 285).

[21] Joannis Calvini Opera quae supersunt omnia, éd. Baum, Cunitz, Reuss, t. XVII, col. 614, 615.

[22] Etait-ce la traduction ou des imitations du poète latin faites par des poètes de la Renaissance, ou les Odes même d'Horace, que l'on trouve déjà dans un livre publié à Francfort, en 1532, mises en musique à quatre voix, sur des airs populaires de l'époque : Melodiae in Odas Horatii, Et quaedam alia carminum genera... Francofordiae, 1532. (Catalogue de la Bibliothèque de feu M. Ernest Strœhlin, professeur honoraire à l'Université de Genève, publié par la librairie Ensile Paul et Guillemin, Paris, 1912). Consulter P.-M. Masson, Les Odes d'Horace en musique au XVIe siècle, Revue musicale, 1906 (t. VI), p. 355 sq.

[23] Alberi, Relazioni degli ambasciatori veneti al Senato, serie Ia, Francia, t. IV, p. 47.

[24] Brantôme, éd. Lalanne, VII, p. 341.

[25] Alberi, Relazioni degli ambasciatori veneti al Senato, serie Ia, t. IV, p. 73.

[26] Abel Lefranc, le Platonisme et la littérature en France à l'époque de la Renaissance, Revue d'histoire littéraire, 15 janvier 1896. Bourciez, Les mœurs polies et la littérature de Cour sous Henri II, ch. III et ch. IV.

[27] Dixième nouvelle, t. I, p. 148, éd. Pifteau. Cf. p. 157 et 158, et comme allusion plus directe à la doctrine platonicienne, p. 83 (huitième nouvelle).

[28] Sur l'influence de Pétrarque, Vianey, Le Pétrarquisme en France, Montpellier et Paris, 1909, ch. II : à l'École de Bembo et des Bembistes.

[29] Albert, Relazioni, serie Ia, t. I, p. 243, ou Tommaseo, Relations des ambassadeurs vénitiens, trad. française, (Coll. Doc. inédits), I, p. 287.

[30] Alberi, Relazioni, serie Ia, t. IV, p. 77-78.

[31] Alberi, Relazioni, serie Ia, t. II, p. 437.

[32] Johanna ou Jonet Stewart, fille naturelle de Jacques IV d'Ecosse et veuve du lord Haut-Chambellan Fleming, avait accompagné en France, à titre de gouvernante, la petite reine Marie Stuart, fiancée au fils aîné d'Henri II.

[33] Cependant l'abbé Pierfitte dit que Nicole de Savigny eut cet enfant d'Henri II avant d'épouser son cousin Jean II de Ville, baron de Saint-Rémy. Mais alors pourquoi Henri II n'a-t-il pas légitimé le fils de cette maîtresse, une dame noble, et pourquoi celui-ci s'appelle-t-il Henri de Saint-Rémy, un titre qui appartenait au mari de sa mère ? Abbé Pierfitte, Journal de la Société d'archéologie de Lorraine, 1904, p. 101 et note 1 de la page 102. — C'est de cet Henri de Saint-Rémy, qui fut gentilhomme ordinaire d'Henri III, que descendait la fameuse comtesse de Lamotte-Valois, l'aventurière de l'affaire du Collier.

[34] Voir quelques lettres et des vers d'Henri II à Diane de Poitiers dans les Lettres inédites de Dianne de Poytiers, p. p. Georges Guiffrey, Paris, 1866, p. 220, 223, 226, 228.

[35] Lettre de Saint-Mauris à sa Cour, Revue Historique, t. V, 1877, p. 112. — Contre la thèse ingénieuse reprise récemment des amours platoniques d'Henri II avec Diane, voir d'autres références dans le livre de M. Lucien Romier, Les Origines politiques des guerres de religion, t. I, 1913 : Henri II et l'Italie (1547-1555), p. 26, note 1.

[36] Lettres de Catherine, t. VIII, p. 181.

[37] 7 déc. 1560. Lettres, I, p. 568.

[38] Saint-Mauris, Revue Historique, t. V, p. 115.

[39] Théodore Godefroy, Le Cérémonial françois, t. I, p. 837. Cf. p. 851.

[40] Rabelais, La Sciomachie, œuvres complètes, éd. Moland, p. 596.

[41] On sait que les reines étaient sacrées, quelquefois longtemps après les rois, et non à Reims, mais à Saint-Denis. Le récit du sacre par Simon Renard, ambassadeur de Charles est en appendice, p. 245, dans le livre de M. de Magnienville, Claude de France, duchesse de Lorraine, Paris, 1885.

[42] Toutefois, il me paraît invraisemblable, malgré l'affirmation de l'agent ferrarais Alvarotti (Romier, t. I, p. 85 et note), que Diane, ayant guetté Henri II, qui se rendait de nuit chez Lady Fleming, lui ait reproché de déshonorer la reine d'Ecosse, Marie Stuart, sa future belle-fille, en lui donnant une p... pour gouvernante.

[43] Lemonnier, Histoire de France de Lavisse, t. V, 2, p. 545 sq.

[44] Metz fut pris le 10 avril, Toul le 13, et Verdun le 2 juin. L'armée royale poussa jusqu'au Rhin, et parut le 3 mai devant Strasbourg, dont les portes restèrent fermées. En juillet, la campagne était finie.

[45] Guiffrey, Lettres de Dianne, p. 96.

[46] Romier, qui rapporte cette lettre d'Alvarotti, I, p. 19, note 2, en conclut qu'Henri II entourait sa femme de soins et de respects, mais si les attentions du Roi causaient tant de surprise, un stupore, c'est qu'elles n'étaient pas habituelles.

[47] Alberi, Relazioni, serie Ia, t. II, p. 280, ou Tommaseo, I, p. 358.

[48] Duféy, Œuvres complétes de Michel de l'Hospital, chancelier de France, 4 vol., dont un de planches, Paris, 1824-1825, t. III, p. 193.

[49] Sur cette crainte assez inattendue du poison, voir l'explication de G. Guiffrey, Lettres de Dianne de Poytiers, p. 101, note 2.

[50] Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 78.

[51] Fin août 1553, Lettres, I, p. 80.

[52] Fin juillet 1553, Lettres, I, p. 77.

[53] Lettre écrite entre le 18 et le 25 juin 1552, Lettres, I, p. 66.

[54] Lettres, I, p. 66. Voici cette lettre en orthographe moderne :

Mon compère, je vis hier soir ce que [vous] me mandez touchant ma maladie, mais il faut que je vous die (dise), que ce n'est pas l'eau (l'humidité du soir), qui m'a faite malade, tant comme [de] n'avoir point des nouvelles du Roi, car je pensais que lui et vous et tout le reste, [il] ne vous souvint plus que j'étais encore en vie : assurez-vous qu'il n'y a serein qui me sût faire tant de mal que de penser être hors de sa bonne grâce et souvenance ; par quoi, mon compère, si [vous] désirez que je vive et sois saine (bien portante), entretenez-m'y (en la bonne grâce du Roi), le plus que [vous] pourrez et me faites savoir souvent de ses nouvelles ; et voilà le meilleur régime que je saurais tenir.

[55] Lettres, I, p. 75-76, 6 mai 1553.

[56] En 1548, elle n'avait pas protesté quand Henri II, passant en Piémont, laissa à Mâcon le cardinal de Lorraine, le duc de Guise, le chancelier (Olivier), le seigneur de Saint-André et l'évêque de Coutances (Philippe de Cossé-Brissac), pour entendre avec elle à ses affaires de deçà (lettre du 27 juillet 1548). Il est possible, contrairement à ce que pense M. Romier (Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, t. LXX, P. 431-432), qu'il ne s'agisse pas ici d'un véritable Conseil de régence, mais simplement d'un Conseil d'expédition des affaires courantes pendant l'absence du Roi. En tout cas, Catherine n'y avait que sa place sans spécification de pouvoirs, et cependant elle ne s'était pas plainte.

[57] Ribier, Lettres et mémoires d'Estat des roys, princes, ambassadeurs et autres ministres sous les règnes de François premier, Henry II et Françoys II, Paris, 1666, t. II, p. 389.

[58] Il mourut le 11 novembre 1552. Lettres au Roi dans Ribier, ibid., t. II, p. 387-388, Joinville, 11 avril 1552.

[59] Sur cette affaire, voir Ribier, Lettres et Mémoires d'Estat... sous les règnes de Françoys premier, Henry II, Françoys II, 1666, t. II, lettre du sieur du Mortier au Connétable, p. 388.

[60] Fin avril 1552, Lettres, I, 52.

[61] Autre lettre de fin avril, I, p. 52.

[62] 20 mai 1552, Lettres, I, p. 56.

[63] Citée par De Crue, Anne de Montmorency, p. 115, sans indication de date. — Une lettre très ironique du Roi dans Lemonnier, Hist. de France, t. V, 2, p. 132.

[64] Che ella se ne passava tanto bene, che piu non si poteva imaginare. Ferrai, Lorenzino de' Medici e la Societa Cortigiana del Cinquecento, Milan, 1891, p. 282.

[65] Eletto Palandri, Les négociations politiques et religieuses entre la Toscane et la France à l'époque de Cosme Ier et de Catherine de Médicis (Recueil de travaux publiés par les membres des Conférences d'histoire et de philologie de l'Université de Louvain), Paris, Picard, 1908, p. 41 sqq.

[66] A Reims, le jour du sacre, l'ambassadeur du duc de Mantoue prit le pas sur celui de Florence. Eletto Palandri, Les négociations etc., p. 34-33.

[67] Averardo Serristori à Côme, 27 mai 1554 dans Eletto Palandri, Les négociations etc., p. 73. Cf. p. 67.

[68] Desjardins, Négociation diplomatiques de la France avec la Toscane, III, p. 17.

[69] Lettres, t. I, p. 12, fin juillet 1545. Il faut entendre : et les choses se seraient passées autrement si j'avais été plus puissante.

[70] Desjardins, Négociations diplomatiques, III, p. 191.

[71] Ramier, I, p. 146 et 147. Cf. Hauvette, Un exilé florentin à la Cour de France : Luigs Alamanni, 1903, p. 137.

[72] François Ier avait dressé son camp à Marolles pour secourir Landrecies que Charles Quint assiégeait. Brantôme, t. II, p. 269.

[73] Brantôme, Œuvres, éd. Lalanne, II, 269-270. Cf. VI, 163.

[74] Correspondance de Saint-Mauris, ambassadeur de Charles-Quint, Revue historique, t. V (septembre-décembre 1877), p. 107.

[75] Romier, I, p. 230 sqq.

[76] Brantôme, t. IV, p. 393.

[77] 26 septembre 1551, Lettres, I, 44.

[78] Lettres, I, 44. Cf. I, 46.

[79] Lettres, p. 45 et aussi p. 47.

[80] Desjardins, Négoc., t. III, p. 278.

[81] Par une procuration du 28 novembre 1553, Henri II, à la sollicitation de se femme, l'autorise à vendre, aliéner, engager tout ce qu'elle tient et possède... par succession de ses feu pere et mere en nostre pays d'Auvergne... afin de nous bailler les deniers qu'elle en pourra tirer et recouvrer. Correspondance politique de Dominique du Gabre (évêque de Lodève), trésorier des armées à Ferrare (1552-1557), publiée par Alexandre Vitalis, Paris, 1903, Append., p. 291-292. — Romier, p. 418.

[82] Romier, t. I, p. 418 et notes.

[83] Romier, t. I, p. 428.

[84] Lettres, X, p. 13, Villers-Cotterêts, 29 septembre 1554. C'est visiblement une lettre écrite en français et traduite en italien.

[85] Courteault, Blaise de Monluc historien, ch. VI : la défense de Sienne, p. 229-298.

[86] Romier, I, 522.

[87] Mars 1557, Lettres, X, 17-18. Salviati ne fut fait cardinal que quatre ans après.

[88] Lettres, X, p. 10.

[89] Georges Duruy, Le cardinal Carafa, Paris, 1882, App., p. 387.

[90] Lettres, t. I, p. 111, 27 octobre 1557.

[91] Lettres, t. I, p. 112 (décembre).

[92] Toutefois il n'est pas croyable qu'elle ait écrit en ce même mois de décembre 1557 à Carafa la lettre publiée au tome X de ses Lettres, p. 20, et où elle proteste de sa reconnaissance et de son dévouement. C'eût été se compromettre que d'écrire en ces termes au Cardinal-neveu, qui avait rejoint Philippe II à Bruxelles, comme légat du Pape, et qui négociait le prix de la défection des siens. Les faits dont il est question dans cette lettre sans date prouvent d'ailleurs qu'elle a été mal datée par les éditeurs. Catherine remercie le Cardinal de son zèle pour la grandeur de ses fils et du bon accueil fait à Rome an maréchal Strozzi. Or Strozzi arriva à Rome fin janvier ou commencement février 1556 (Duruy, Le cardinal Carlo Carafa, 1882, p. 100-101). L'allusion aux fils de France ne peut s'entendre que du traité d'alliance entre Henri II et Paul IV (13 octobre 1555), dont l'article XXII donnait le royaume de Naples et le duché de Milan à deux des fils cadets d'Henri II (Duruy, ibid., p. 80-81). La lettre est donc probablement de février ou mars 1556.

[93] Brantôme, t. VII, 348. — Registres des délibérations du Bureau de la Ville de Paris (Publications de la Ville de Paris), t. IV (1552-1558), éd. et annoté par Bonnardot, p. 496-497 et la note.

[94] En décembre 1557, écrivant au roi de Navarre, Antoine de Bourbon, pour le prier de favoriser le mariage de son neveu germain, Jacques de Clèves, comte d'Orval, avec Diane de La Mark, petite-fille de Diane de Poitiers, elle déclarait avec assurance qu'elle s'intéressait à cette union pour l'amour que j'é tout jour portaye à Madame de Valantynois et à sa fille. Lettres, t. X, 540.

[95] Alberi, Relationi, série Ia, vol. II, p. 400.

[96] Che non sarete mai altro che figlia di un mercante, d'après le nonce Prosper de Sainte-Croix, cité par Chéruel, Catherine de Médicis et Marie Stuart, ch. II, p. 17.

[97] Brantôme, Œuvres, éd. Lalanne, t. VII, P. 342.

[98] Turin, Quiers, Pignerol, Chivas et Villeneuve d'Ast, Du Mont, Corps diplomatique, t. V, 5, p. 39.

[99] Dépêche de l'agent ferrarais, Alvarotti, du 18 novembre 1558, citée par Romier, t. II, p. 314, note 1. Mais il n'est pas vraisemblable que Diane de Poitiers, qui avait poussé à la paix, la trouvant ensuite un livre à la main et lui ayant demandé ce qu'elle lisait de beau, elle ait répondu : Les histoires de ce royaume où elle trouvait que toujours de temps en temps les donne putane, pour parler comme elle fit, ont été cause de la politique des rois. Ces bravades ne sont pas de sa façon.

[100] Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 120, 25 août 1559.

[101] Romier, t. II, p. 374 sqq.

[102] Notice du Dr Lannelongue, dans les Grandes scènes historiques du XVIe siècle. Reproduction fac-simile du Recueil de J. Tortorela et J. Perissin, publiée par Alfred Franklin, Paris, 1886.

[103] Brantôme, Œuvres, t. VII, p. 398. Cf. le F. Hilarion de Costa, Les Éloges et vies des Reynes, princesses, Dames et demoiselles illustres en pitié, courage et doctrine... Paris, 1630, p. 169 : Par là elle declaroit que les flammes du vrai et sincère amour qu'elle portait au Roy son époux jettoient encore des étincelles après que la vie de ce bon prince qui les allumoit estoit eteinte.