LES GRANDS MARINS

JEAN BART

 

CHAPITRE IX. — UNE RUDE CAMPAGNE DANS LE NORD.

 

 

Les vitres tremblent ; quelques-unes se brisent : par trois fois, tous les canons de la ville ont tonné. Puis, par trois fois, c'est le tour des canons des forts. Leurs décharges saluent un roi en exil. Jacques II Stuart arrive de Saint-Germain-en-Laye, où Louis XIV lui offre une hospitalité royale. Sous la conduite de M. de Gabaret, lieutenant général des armées navales du roi, accompagné du maréchal de Boufflers et d'une suite où se détache la haute stature de Jean Bart, le roi Jacques inspecte rapidement les quais et les nouveaux aménagements du port.

Une expédition n'attend plus que le signal du départ pour replacer le roi déchu sur le trône de ses pères. Boufflers organisa le corps de débarquement ; cent cinquante bateaux pêcheurs et bâtiments de charge réquisitionnés pour le transporter traverseront la mer, sous la garde d'une escadre venue de Brest et rangée sous les ordres de Gabaret. Jean Bart dirigea l'armement de sept vaisseaux : le Portefaix, le Bienvenu, le Milford, le Jersey, le Prince-de-Frise, le Zerickzee, le Stadenland : cinq sur sept sont de récents trophées. Gabaret reçut l'autorisation de réquisitionner, le cas échéant, tous les navires corsaires, avec faculté de les faire commander par des officiers du roi.

L'inspection de ces forces par le roi Jacques a lieu le 12 mars 1696, le jour même de son arrivée. Le lieutenant général de Gabaret décide le départ pour le lendemain matin. On ferma le port pour éviter les fuites de l'année précédente. Le secret sera-t-il mieux gardé pour cela ? De part et d'autre, les espions pullulent. La preuve : à l'heure dite, vingt-cinq vaisseaux de guerre ennemis se présentent au rendez-vous devant la rade pour empêcher l'expédition de mettre à la voile. D'autres vaisseaux anglais se concentrent aux Dunes. Une forte escadre sort de la Tamise. Et les forces navales hollandaises croisent sur la mer du Nord.

Que faire ? Gabaret réunit un conseil de guerre. Le ministre lui a recommandé d'y faire entrer Jean Bart et les capitaines qui connaissent bien le port et ses parages. Jean Bart et le maréchal de Boufflers tombent d'accord ; une seule décision s'impose : remonter dans le port les vaisseaux mouillés en rade.

Le roi Jacques comprend que c'en est fait de ses vastes espoirs et de ses beaux projets. Il reprend tristement le chemin de Saint- Germain-en-Laye. Toujours exactement renseignés, les vaisseaux ennemis, sitôt son départ, regagnent la rade des Dunes.

Au tour de Jean Bart d'entrer en scène. Le roi fait armer pour lui sept vaisseaux et frégates d'une homogénéité parfaite et d'une rare finesse de voiles. Les constructeurs de Dunkerque sont passés maîtres en la matière. Tout ce que le commandant de la nouvelle escadre demande, on le lui accorde : d'abord son corsaire préféré, Joris van Crombrugghe, excellent marin et connaissant parfaitement la langue de Norvège ; il servira sur le vaisseau même de Jean Bart. Puis deux gentilshommes anglais, Selby et Trogmorton, dont on éprouva l'utilité pendant la précédente campagne. Et le beau-frère Vandermersch, autorisé à servir en qualité d'enseigne sur le Mignon.

En retour, le roi compte que Bart se distinguera. Je suis persuadé, lui écrit Pontchartrain, que vous répondrez à la bonne opinion que le roi a eue de vous quand Sa Majesté vous a donné le commandement de son escadre de Dunkerque, et que vous ferez un si bon usage de ce commandement que vous engagerez Sa Majesté à vous faire de nouvelles grâces.

D'autre part, on place auprès de lui un personnage pour lequel il éprouve une sympathie de plus en plus médiocre : le commissaire ordonnateur Vergier.

Avant tout un épicurien, ami de la bonne chère. Il passe la nuit à table. Le matin, on ne peut le tirer de son lit ; à onze heures, il y est encore. A-t-on besoin de lui ? Il faut se donner toutes les peines du monde pour le rencontrer. Voilà qui n'avance pas les affaires dont il est chargé et ne convient guère à Jean Bart, toujours actif, précis, consciencieux, et à cheval sur les règlements. Quand il travaille, Vergier travaille bien. Il approfondit les questions et les traite avec intelligence. Il possède l'anglais en perfection. Par ailleurs, de l'esprit, de l'érudition, un grand charme dans la conversation. Il dépense l'argent fastueusement. Dans le service, dur, impérieux, insultant ; il se plaît à semer la discorde autour de lui.

D'où sort-il ? Dans son entourage, on n'en sait rien au juste. En fait, fils d'un cordonnier de Lyon, bachelier en Sorbonne et petit collet, précepteur dans la famille d'Hervart, où il reste comme ami. Il y connaît La Fontaine, familier de la maison. Il modèle son épicurisme sur celui du fabuliste et compose, lui aussi, de petits vers, avec plus de facilité et le génie en moins. Par les d'Hervart, il entre dans les bonnes grâces de l'ambassadeur, M. de Bonrepos. Il l'accompagne dans sa mission à Londres. Au retour, Bonrepos obtient pour lui un poste d'écrivain principal dans l'administration de la Marine, en 1688.

Commissaire ordinaire en 1690 à Brest, puis à Rochefort, Vergier gagne la faveur du fils du ministre, Jérôme Phelypeaux, futur ministre lui-même, et qui faisait alors l'apprentissage de ses hautes fonctions. Vergier lui écrit de ce ton : On nous faisait espérer depuis longtemps, monseigneur, que nous aurions l'honneur de vous voir cet été dans ce port, et il y a bien de la cruauté à vous d'avoir trompé nos espérances. Toutes les dames de ce pays, tant vieilles que jeunes, tant laides que belles — car nous en avons de toutes les façons, mais beaucoup plus des premières que des secondes —, aiguisaient soigneusement leurs charmes pour vous plaire. Regards, grimaces de toutes sortes étaient tous les jours étudiés au miroir pour mieux vous toucher, et tout cela temps perdu pour elles : vous remettez la partie à une autre année.

Amabilité pour amabilité : l'apprenti ministre ne demeure pas en reste avec le poète. S'il m'était aussi facile de trouver le temps de vous écrire qu'il vous est aisé de faire de bons vers, vous auriez déjà reçu plusieurs de mes lettres pour vous marquer combien j'ai été charmé de tout ce que vous m'aviez envoyé ; nous n'avons assurément personne dans la marine qui puisse vous disputer le titre de prince de la Poésie maritime, et peut-être même que plusieurs messieurs de l'Académie française auraient peine à vous le disputer. Ce qu'il y a de plus beau en vous, c'est que vous regardez ce talent comme un amusement d'esprit, et pour faire voir que vous êtes capable de plusieurs choses ; mais faites quelquefois réflexion que la poésie et la folie ne sont pas beaucoup éloignées l'une de l'autre, et que peut-être toute votre sagesse ne serait pas assez forte pour vous servir de contre-poison ; jusqu'à présent, vous n'en avez pas besoin, mais prenez garde aux suites.

En avril 1695, Vergier monte en grade et passe commissaire ordonnateur à Dunkerque. Après le bombardement, le comte de Relingue éprouve des craintes pour le port de Calais et s'y transporte, emmenant les commissaires Lempereur et Vergier. Et le prince de la poésie maritime rime son expédition :

Deux héros affamés de gloire

Volent au secours de Calais :

L'un est armé d'une écritoire,

L'autre a taillé sa plume exprès.

Ce sont deux fameux commissaires,

Gens pleins de valeur et de soin :

Tous deux sont ici nécessaires

Pour supputer les coups de loin.

L'épicurien ne trouve pas à Dunkerque un logement à sa guise. Jérôme Phelypeaux s'occupe de le lui procurer. En attendant, lui dit-il, je vous conseille, lorsque vous voudrez prendre l'air et rêver à quelque pièce de poésie, de vous promener le long des jetées, surtout quand les vents d'ouest régneront dans la Manche.

En vue de l'expédition d'Angleterre, Pontchartrain jeta les yeux sur Vergier pour servir à la suite de l'escadre. Son unique occupation devait consister à s'informer exactement de la santé de Jacques II, à pénétrer les sentiments les plus secrets du roi et de lord Middleton, son ministre, à prendre connaissance de toutes les nouvelles d'Angleterre qui leur parviendraient, et à les expédier à Versailles par le courrier même de Jacques II.

L'expédition manque ; le ministre affecte Vergier en la même qualité à celle qu'entreprend Jean Bart. L'escadre fine de voiles fera sans doute des prises importantes : le commissaire se transportera sur chacune, posera ses scellés sur les écoutilles, coffres et armoires, et demandera au commandant les ordres nécessaires pour empêcher tout pillage. S'il s'en produit, le roi s'en prendra à lui. En cas qu'il ne puisse les empêcher, il en dressera procès-verbal. Aux instructions officielles, Jérôme Phelypeaux ajoute les siennes : que le poète utilise ses loisirs durant la campagne à s'égayer à faire quelquefois des ouvrages d'esprit, qu'il prie l'auteur de lui communiquer.

En vérité, l'escadre est la plus belle, la plus homogène, la plus rapide que Jean Bart ait encore commandée. Elle comprend le Maure, de cinquante-quatre canons, qu'il monte en personne ; le Jersey, de quarante canons, capitaine d'Oroigne ; l'Adroit, de quarante-quatre canons, capitaine Hurault de La Villeluisant ; le Mignon, de quarante-quatre canons, capitaine de Saint-Pol Hécourt ; l'Alcyon, de trente-huit canons, capitaine de Saint-Pierre ; le Comte, de quarante canons, capitaine de Salaberry de Benneville ; le Milford, de trente-six canons, capitaine de Court de La Bruyère : enfin un brûlot, le Tigre, capitaine de La Pomarède, revenu depuis six mois des prisons de Plymouth.

Le roi laisse ses coudées franches au commandant : Je vous fais cette lettre pour vous dire que prenant une entière confiance en votre fidélité, votre capacité et votre affection pour mon service, je vous laisse la liberté d'employer les vaisseaux qui composent l'escadre de la manière que vous le jugerez à propos pour interrompre le commerce de mes ennemis et faire une plus grande diversion de leurs forces de mer. Vous aurez dans la course que vous devez faire de grands objets dont le succès peut porter des coups très sensibles à mes ennemis. Après avoir énuméré les diverses flottes qu'il a chance de rencontrer et lui avoir donné la liberté de brûler les prises qu'il ne jugera pas à propos de ramener, le roi conclut : Je ne vous ferai pas cette lettre plus longue, me remettant à ce que vous jugerez à propos de faire pour l'emploi des vaisseaux que vous commandez, et ne doutant pas que vous ne répondiez à ma confiance et à la bonne opinion que j'ai eue de vous. Il ne me reste qu'à prier Dieu qu'il vous ait, monsieur Bart, en sa sainte garde.

Quoi de plus délicatement flatteur ? Quoi de plus excitant pour l'amour-propre de celui qui reçoit de Louis XIV une lettre conçue en de pareils termes ? Un trait s'y ajoute. Lors de son dernier séjour à Versailles, le roi dit à Bart :

— Monsieur Bart, vous n'avez pas été aussi heureux cette campagne que les précédentes.

Ce trait l'a piqué au vif. Il fera l'impossible pour prendre sa revanche et justifier la confiance qu'on lui témoigne. D'ailleurs, Pontchartrain déclare :

— Je suis persuadé qu'il réussira, car, outre qu'il est très capable, il est aussi fort heureux.

En tous cas, il fait le nécessaire pour aider à la fortune.

Il invente des prétextes pour retenir les neutres suspects de transmettre des renseignements aux vaisseaux du blocus. Il veille à ce que l'on réunisse en Norvège des vivres pour son escadre, dont le salut peut dépendre du ravitaillement qu'il s'y procurera lorsqu'il y relâchera. Pour que l'intendant Céberet, successeur de Patoulet, sache où lui adresser tous avis utiles, il lui remet un mémoire des croisières qu'il projette. On a récemment surpris le secret des signaux que se font entre eux les corsaires de Flessingue ; il reçoit une copie de ce code. De Dunkerque, de Boulogne et de Calais, partent chaque jour des bâtiments légers ; ils vont à la découverte ; on centralise leurs rapports aux mains de Jean Bart. Les vingt-deux vaisseaux anglais du contre-amiral Bembow et quinze vaisseaux hollandais détachés de l'escadre de l'amiral van Zyll sont mouillés hors des bancs et guettent sa sortie : il déclare ne pas s'en embarrasser. Tous les officiers de l'escadre ont une très grande confiance en leur commandant et s'assurent que s'il entreprend de passer, qu'il le fera. Enfin les autorités de terre et de mer prennent des mesures exceptionnelles pour assurer la rapidité de l'embarquement de ses équipages au grand complet, car c'est toujours une question, l'heure venue, que de décider les marins à rallier le bord.

La tradition est là : avant le départ, on fait foyus. Ainsi appelle-t-on la ripaille des matelots au moment de prendre la mer. Près de trois mille hommes dépensent d'un seul coup et jusqu'au dernier sou les avances qu'ils viennent de toucher. Ils parcourent les rues par bandes, bras dessus, bras dessous, équipés de neuf, riant et braillant, sonnant de la trompe, battant du tambour, brandissant des drapeaux, des banderoles, des flots de rubans. Ils encadrent les soldats de terre destinés uniquement à combattre à bord des vaisseaux, et qui butent en marchant, les jambes prises dans les lourdes bottes de mer qu'on leur a distribuées et dont ils n'ont pas l'habitude. Ils envahissent les tavernes et les mauvais lieux, qui regorgent de monde et retentissent de cris, de chants, de jurons. La bière coule à flots. Une rumeur énorme emplit la ville, court par les rues et les ruelles, tourbillonne sur la grand'place, grimpe à l'assaut des clochers et des tours, accompagne le vent qui fait virer les girouettes, glisse à la surface des canaux, dévale vers le port, et meurt au loin sur la vaste plaine flamande ou sur les flots de la mer du Nord.

Du haut de la Tour, le guetteur lance ses appels dans son porte-voix : nul ne l'écoute. Le clinqueur qui clinque avec un marteau d'ivoire sur un plat de cuivre à tous les carrefours pour sonner le ralliement n'a pas plus de succès. Nul ne se presse d'obtempérer. Quelques-uns, des malins, se cachent jusqu'au départ des vaisseaux, une fois leurs avances gaspillées, pour se faire embaucher par un autre capitaine et en toucher de nouvelles sans avoir pris la mer.

Ils n'ont pas beau jeu, cette fois. Car voici la nouveauté : la troupe perquisitionne dans les cabarets et dans toute maison suspecte de recéler des marins de l'escadre. Le comte Du Châtelet-Lomont, commandant militaire, frappe de vingt livres d'amende quiconque dissimulera chez soi un matelot français, c'est-à-dire soumis aux classes, car à Dunkerque il existe une écume venue de tous les ports du monde qui s'ajoute aux matelots flamands du cru, indisciplinés de nature, et que l'on désigne en bloc sous la dénomination d'étrangers. On ne les soumet pas à l'inscription maritime. Le ferait-on ? Ils s'envoleraient vers d'autres cieux. Or, on a un intérêt majeur à les garder pour l'équipement des corsaires armés par des particuliers. Pour garnir les vaisseaux du roi, Colbert implanta jadis dans le pays des gens de mer picards : ils ne suffisent pas ; il faut encore recruter des inscrits dans les autres ports du royaume. De là l'amende prescrite par le commandant militaire, qui se complète par l'ordre de condamner à servir sur les gardes-côtes avec une solde diminuée ceux qui n'auront pas rejoint le bord en temps utile.

Au début de mai, les vaisseaux de l'escadre descendent en rade. Un petit canot venu du large s'approche à un mille de distance ; l'amiral Bembow en personne le monte, pour être plus sûr de les reconnaître exactement. A la direction du vent, à la hauteur de la marée, il estime que l'escadre sortira par la passe du nord. Il y concentre tous les vaisseaux dont il dispose ; il ne lui en reste plus pour garder les passes de l'ouest et de l'est. Le temps, fort beau et clair ce jour-là, 16 mai 1696, se gâte le lendemain. Un brouillard s'élève. Par mesure de précaution, Bembow détache un navire qui surveillera la passe de l'ouest. Personne ne lui signale rien. Le 18, il envoie une découverte aux nouvelles : elle trouve le nid vide et la rade déserte. L'escadre du nord s'est envolée pendant la nuit.

A dix heures du soir, Jean Bart, bien content de commander une si belle escadre, mit à la voile, les hommes qui servent les pièces tenant le boutefeu allumé à la main. Le maréchal de Villeroi, le cœur serré, assiste au départ du bout de la jetée. Il voit la silhouette des vaisseaux se fondre dans la nuit.

Puisque la passe du nord est gardée et celle de l'ouest surveillée, Jean Bart n'hésite pas à filer le long du rivage pour sortir par la passe de l'est. Bembow est joué. Au jour, il peut courir s'il a des jambes : l'escadre française a pris une telle avance qu'il ne songe même pas à la rattraper. Comme de coutume, elle entraîne dans son sillage une volée de corsaires, Gaspart Bart, commandant la Revanche et Jacob Rogier, commandant la Fouine, donneront bientôt de ses nouvelles, et d'autres, qui auront pris part à l'action et débarqueront des blessés, les capitaines Charles Baeteman, Nicolas Kieken, Jean Saes et Pierre Glasson.

En haute mer, Jean Bart rencontre des danois et des suédois. Ils lui signalent deux grosses flottes hollandaises prêtes à partir ou déjà en route, l'une de la Baltique, l'autre du Vlie. En conséquence, il établit sa croisière tantôt entre le Vlie et le sud du Dogger-Bank, tantôt entre le nord du Dogger-Bank et le cap Derneus, qui forme l'extrémité méridionale de la Norvège. Puis, les deux flottes signalées devant nécessairement passer entre le Dogger-Bank et le Vlie, l'une à l'arrivée et l'autre au départ, il s'en tient définitivement à cette dernière croisière.

Le 12 juin, deux des corsaires qui l'accompagnent, Jean Saus et Pierre Glasson, commandant les barques-longues le Saint-Jean et les Deux-Frères, partent en reconnaissance. Le 17, vers sept heures du soir, on aperçoit à six lieues de l'escadre, qui est elle-même à six lieues à l'ouest du Vlie, un grand nombre de voiles. Serait-ce la flotte attendue de la Baltique ? Oui, déclarent quatre navires danois venant de Norvège et qui l'ont doublée. Elle compte, disent-ils, quatre-vingts bâtiments marchands escortés par trois vaisseaux anglais de cinquante à soixante canons, et deux hollandais de trente à quarante.

Vers minuit, Jean Saus et Pierre Glasson rallient l'escadre. Ils annoncent qu'après avoir découvert la flotte hollandaise de la Baltique, ils l'ont gardée de près depuis cinq jours, la harcelant dans l'espoir de lui enlever quelque prise, mais ils n'y réussirent pas, les navires menacés se réfugiant aussitôt auprès des vaisseaux de guerre. Ils rectifient les chiffres précédemment indiqués par les danois : la flotte compte cent douze navires marchands, l'escorte cinq vaisseaux hollandais de vingt-quatre à quarante-quatre canons. A cette heure, elle n'est plus qu'à trois lieues de l'escadre.

Jean Bart réunit son conseil de guerre. Ses capitaines adoptent d'enthousiasme le plan qu'il leur propose : au lieu de s'amuser à une canonnade qui donnerait aux marchands le temps de se sauver, on ira droit aux vaisseaux de guerre, et on les abordera vigoureusement. Le Milford, le Tigre et les corsaires profiteront du combat qui occupera les vaisseaux d'escorte pour entrer dans la flotte, rançonner et amariner le plus de navires qu'ils pourront, et couper leurs manœuvres pour les mettre dans l'impossibilité de s'enfuir.

A la pointe du jour, Jean Bart reconnaît la marche de la flotte hollandaise. Elle a commis l'erreur de prendre les vaisseaux français pour des anglais ou des hollandais, et porte droit dessus parce que sa route l'y oblige pour entrer dans la Meuse. Jean Bart court deux bordées pour lui gagner le vent, fait le signal d'abordage et arrive vent arrière. Le Jersey tient la tête, suivi de l'Alcyon, du Maure, du Mignon, de l'Adroit, du Comte et du Milford. Les ennemis se tiennent étroitement serrés dans l'ordre de bataille suivant : le Comte-de-Solms, trente-huit canons ; le Waldam, trente-huit canons ; la Maison-de-Ville-de-Harlem, quarante-quatre canons ; le Den-Arent, vingt-quatre canons ; le Sœstdyk, quarante-quatre canons. Le pavillon du chef d'escadre Rutgert Bucking flotte au mât de la Maison-de-Ville-de-Harlem.

Au passage, le Maure envoie la bordée de ses canons et la décharge d'une mousqueterie bien nourrie au Den-Arent, le plus faible des hollandais, et lui tue son capitaine, Halewyn ; le Milford n'aura plus ensuite que la peine d'amariner ce navire. Puis, se faisant précéder d'une autre bordée, le Maure vient à l'abordage de la Maison-de-Ville-de-Harlem. Le volontaire anglais Trogmorton y prend pied le premier. Le chef d'escadre Rutgert Bucking résiste avec opiniâtreté, mais il est tué, et à neuf heures son vaisseau se rend. L'attaque coûte la vie au capitaine en second du Maure, le chevalier de Kergrais.

Le Jersey s'empare vivement du Comte-de-Solms ; il perd à l'abordage le capitaine de frégate de Bouchard ; le capitaine ennemi, Anthony Manart, grièvement blessé, se rend. Blessé aussi le capitaine Sweers, du Waldam, pris par l'Alcyon, qui perd le sous-brigadier Fremet, des gardes de la marine. Quant au Mignon, il prolonge le Sœstdyk, mais reçoit une magistrale bordée qui coupe ses manœuvres et brise sa barre de gouvernail. Il s'ensuit pendant une heure, et vergue à vergue, une canonnade réciproque. Le premier, le hollandais réussit à ralinguer ses voiles. Il en profite pour gagner au vent, mais de si près que son beaupré s'engage dans l'arrière de son adversaire. Le Mignon saisit son avantage, et lui lâche une bordée si à propos que le Sœstdyk, complètement désemparé, comptant trente-quatre tués et dix-huit blessés, ne peut plus qu'amener son pavillon.

Pendant l'action, les corsaires donnent dans la flotte marchande. Charles Baeteman fait quatre prises ; Jean Saus, trois prises et trois rançons de douze à dix-neuf cents florins ; Pierre Glasson, trois prises et deux rançons de cinq à six mille livres de Hollande ; et Nicolas Kieken, une prise qui sera reprise et ne parviendra pas à Dunkerque.

A leur tour, les vaisseaux de l'escadre font amener les marchands à coups de canon. Ils mettent leurs chaloupes à la mer pour les amariner ainsi que les vaisseaux de guerre.

Or, au début du combat, on avait signalé à Jean Bart une flotte marchande beaucoup plus nombreuse que celle qu'il attaquait : la flotte du Vlie, qu'il guettait aussi bien que celle de la Baltique. Au bruit du canon, elle disparaît, mais à sa place surgit la puissante escorte dont l'Amirauté de Hollande la gratifia : treize vaisseaux de guerre et un brûlot, sous les ordres du commandeur Arnold Manart. Cette escadre toute fraîche, et trois fois plus forte que la française, arrive dessus vent arrière.

Dans cette situation critique, Jean Bart déploie le sang-froid le plus lucide et le plus courageux. Il donne l'ordre de mettre en panne. Il retire de ses prises les équipages qu'il vient d'y établir. L'incident permet à une soixantaine de navires hollandais de s'échapper, mais il incendie le reste. Il encloue les canons et mouille les poudres du Den-Arent, qu'il charge de douze cents prisonniers, lesquels lui promettent de renvoyer la frégate à Dunkerque quand elle les aura débarqués à Amsterdam. Pour s'assurer de leur parole, il garde tous les officiers-majors et deux cent trente blessés.

Au début du combat, le commandeur Arnold Manart était éloigné de trois lieues de l'escadre française. En ce moment, il n'en est plus qu'à une demi-lieue et commet la faute de mettre en panne pour tenir conseil. A la vue des flammes qui montent, il fait servir et recommence sa chasse.

Alors, Jean Bart exécute une manœuvre d'une audace et d'une précision admirables. L'histoire de la marine, écrira l'excellent historien d'Hamécourt, fournit peu d'exemples d'une manœuvre aussi fière et aussi hardie. Il attend froidement que les vaisseaux de guerre incendiés par son ordre soient consumés ; il attend que l'escadre qui le poursuit soit à deux portées de canon seulement de la sienne, pour se décider à faire servir à son tour et à s'éloigner, laissant la mer couverte de quarante bâtiments en feu. Mais tandis que les ennemis cinglent, toutes voiles dehors, il ose se retirer sur ses deux huniers seulement !

La chasse dure toute la nuit. A l'aube, sur les quatorze unités de l'escadre de Manart, on n'en aperçoit plus que trois à l'horizon. A six heures du matin, on n'en distingue plus une seule.

A cette occasion, l'intendant Céberet écrira justement à son ministre, en employant des termes dont la mesure accentue la force : Mondit sieur Bart me paraît fort sûr dans sa connaissance et entreprend plus hardiment qu'un autre dans ce qu'il sait. Pontchartrain et Colbert de Croissy communiquent au roi la nouvelle du combat le 25 juin ; Louis XIV témoigne une telle joie de cette affaire que Dangeau en note l'expression sur son journal.

En Hollande, la populace s'en prend à Guillaume d'Orange et réclame la paix à grands cris. L'épouvante règne sur la mer du Nord. Les pêcheurs ne s'y aventurent plus et abandonnent leur pêche, tant qu'ils savent l'escadre de Dunkerque tenant le large.

Elle recommence à croiser entre le cap Derneus et la pointe nord du Dogger-Bank. Quatre bâtiments danois en route pour l'Angleterre, arraisonnés par elle, la débarrassent de la plupart de ses prisonniers qu'ils embarquent. Malgré cet allégement, Jean Bart ne pourra plus garder bien longtemps ces parages ; l'eau va lui manquer, la fièvre et le scorbut lui couchent cent quatre-vingts hommes. Une relâche s'impose. L'escadre entre au port de Conkalf le 3 juillet.

On installe une partie des malades dans des maisons particulières ; on dresse des tentes pour abriter les autres. On débarque le reste des prisonniers ; quelques-uns, Dunkerquois ou Italiens retenus de force par les Hollandais, demandent à servir sous les ordres de Jean Bart. Les équipages s'activent aux réparations dont les vaisseaux ont grand besoin. On y charge les vivres qu'avant le départ de Dunkerque l'ordre fut donné de réunir et de préparer.

Après le combat du 18 juin, Jean Saus et Pierre Glasson conduisirent leurs prises à Dunkerque. Ils n'entrèrent pas en relâche et continuèrent leur course. Ils viennent de faire deux nouvelles prises, quand un violent coup de vent les oblige à fuir devant lui et à se réfugier à Conkalf. Les autorités du port, en manière de bienvenue, envoient des garnisaires occuper leurs prises. Quelque temps auparavant, un corsaire de Dunkerque, qui reçut le même traitement, s'éclipsa avec sa prise, les garnisaires compris. Les Danois usent de représailles et suscitent aux navires français toutes les difficultés imaginables. Saus et Glasson profitent de la présence de Jean Bart pour lui faire leur rapport. Il intervient énergiquement en leur faveur, et se démène si bien qu'il obtient la levée des garnisaires et l'autorisation pour les deux corsaires de s'en aller avec leurs prises. Il ne peut empêcher la malveillance d'un pilote danois d'en échouer une et prête les chaloupes de l'escadre pour procéder au renflouement. Il leur a confié, pour la rapporter en France, la relation de son combat.

A peine sont-ils partis qu'arrive la Railleuse, du capitaine Jamain. De gros vaisseaux de guerre anglais ont également relâché à Conkalf. Cette fois, c'est eux qui menacent la frégate française de mauvais traitements ; ils menacent même de s'en prendre à Jean Bart, qui défend son compatriote, et à son escadre. A vrai dire, ils trouvent à qui parler. Cependant, bien que le roi de Danemark ait donné des ordres pour le respect de la neutralité entre les belligérants dans les ports de sa domination, Louis XIV sait ce qu'en vaut l'aune lorsqu'il s'agit de ses sujets, et s'inquiète de la situation de l'escadre. Il faudra pour le rassurer la nouvelle que Jean Bart, attentif et prompt à profiter du premier vent propre pour sortir, a repris la mer.

Il s'établit entre les îles Shetland et le cap de Stade, à l'affût de la flotte des baleiniers revenant du Groenland, et de la flotte de Moscovie. De nouveau, les vents soufflent en tempête. Il dérive à la cape jusqu'au 64e degré de latitude nord. Il subit encore quatre coups de vent extrêmement violents ; le Maure, le Mignon, l'Alcyon et le Comte reçoivent des avaries graves. Pour comble de malheur, un navire suédois arraisonné par Jean Bart, qui lui laissa continuer sa route, signale à la flotte de Moscovie le danger qui la menace, et cette flotte règle sa marche de telle sorte que l'escadre la manque de quelques heures. Les vivres diminuent. Qu'un accident, des vents contraires ou la rencontre d'une force ennemie, retarde le retour, et l'on risquerait d'en manquer. La sagesse conseille de rendre le bord.

Le commissaire Vergier opine en ce sens. Pour un épicurien de sa trempe, la vie manque de charmes parmi ces combats et ces tempêtes. Il aime la bonne chère et en est réduit à de la viande mal cuite, à du biscuit où les vers ont fait leur apparition ; l'eau qu'on lui donne à boire se gâte et d'innombrables animalcules la polluent. Son caractère, habituellement rugueux dans le service, n'en reçoit aucun adoucissement. Il remarque que le suif destiné aux sondages fond avec une rapidité déconcertante. Il en présente l'observation à Jean Bart, qui lui explique la nécessité de sonder fréquemment en ces parages remplis d'écueils, et, pour lui permettre de s'en rendre compte de visu, promet de le faire avertir chaque fois qu'on jettera la sonde. Vergier s'éloigne sur cette assurance. Et Jean Bart donne l'ordre de répéter fréquemment l'opération la nuit suivante. Vergier, réveillé à tout bout de champ, finit par s'impatienter et s'écrie, furieux :

— Qu'on sonde tant qu'on voudra, et qu'on me laisse dormir !

Les officiers de mer, leur commandant tout le premier, s'ébaudissent fort de cette déconvenue de l'officier de plume.

Il se console avec sa muse, suit le conseil de Jérôme Phelypeaux, et chante ses déboires sur le même ton que jadis le poète Eustache Deschamps dans une circonstance semblable :

Quant au succès de notre longue course,

Longue en effet, puisque si près de l'Ourse

Avons couru, qu'avec frémissements

Nous entendions ses affreux hurlements,

Pas ne saurions en dire chose aucune

Sinon que vents sans cesse courroucés,

Flots en fureur jusqu'aux cieux élancés

Du sein profond du féroce Neptune

Ont rudement nos vaisseaux éprouvés.

Car, au surplus, depuis longtemps savez

Que cinq mois a qu'en la plaine liquide,

Contre la gent chez qui le Rhin rapide

Finit son cours, tant avons bataillé,

Par feu, par fer tant avons travaillé,

Que des deux parts plusieurs sont morts aux peines,

Et sont gisants aux ventres des baleines.

Puis, dans l'élan d'une méditation philosophique, il consigne cette réminiscence classique :

Raison avait le délicat Horace

Quand il disait qu'en guise de cuirasse

Devait avoir sur le cœur triple acier

Cil qui tenta de siller le premier

Le sein des mers sur un vaisseau fragile.

Hélas ! Les regrets sont superflus ! Ils s'aggravent des retards imprévus apportés au retour. Le 1er septembre, Jean Bart, crainte d'être affalé à la côte par la dérive, prend le parti de mouiller à seize lieues nord-ouest du Texel. Une voie d'eau inquiétante se déclare à bord du Tigre ; l'équipage ne suffit pas à la manœuvre des pompes ; on prélève quatre hommes sur chacun des autres vaisseaux pour le renforcer. Le lendemain, au petit jour, une flotte paraît à sept lieues au vent : treize vaisseaux de guerre s'en détachent et fondent sur Jean Bart vent arrière. Comment résister à une force pareille ? Il n'y faut même pas songer. Il donne l'ordre d'appareiller, et se retire. Repris dans une nouvelle tornade, rejeté au nord, nulle autre ressource que de se réfugier à Conkalf encore une fois.

Il raccommode ses vaisseaux, se rafraîchit et reprend la mer vingt jours plus tard, le 24 septembre. Et le problème se pose : comment traverser la mer du Nord couverte d'escadres lancées à ses trousses ? Le 28, huit vaisseaux hollandais de cinquante à soixante-dix canons manœuvrent pour lui couper la route du nord-est, et quatre vaisseaux anglais pour lui couper celle du nord-ouest. Il leur échappe. Le lendemain, le contre-amiral Bembow lui appuie une chasse terrible avec deux escadres de quatorze et de six gros vaisseaux ; il s'efforce de l'envelopper et, à un moment, le serre de si près que ses deux vaisseaux de tête ouvrent le feu sur le Comte et sur le Mignon. Par bonheur, Bembow ordonne une fausse manœuvre. Jean Bart en profite. La nuit tombante achève de le tirer d'affaire. Il fait le signal de revirer et exécute le mouvement : ses capitaines ne l'aperçoivent pas. Séparé des autres, le Maure, le 30 au matin, donne en plein dans sept vaisseaux anglais en croisière au nord de Dunkerque. Quatre le joignent d'assez près. Il leur glisse entre les mains. Trois persistent à le poursuivre, et ne l'abandonnent qu'en vue de terre.

A une heure, il mouille heureusement devant Dunkerque. Les autres vaisseaux de l'escadre rendent le bord le même jour : de sorte, écrit Céberet, que tout est, Dieu merci, revenu à bon port, malgré les fourmilières de vaisseaux ennemis au travers desquels il a fallu passer. Que d'adresse et de bonheur pour les éviter !

L'escadre débarque deux cents malades, preuve de la rudesse de la campagne.

Vergier pousse, en vers, un grand soupir de soulagement :

Puisqu'enfin nous voici de retour dans le port,

Et que je me vois, grâce au sort,

Sauvé des vents, des flots, champs féconds où moissonne

A pleines mains l'avide mort,

Et, qui plus est, de l'ennui qu'en personne,

J'ai tête à tête, au fond du nord,

Entretenu cinq mois sur un fragile bord,

Au dieu des vents et des tempêtes,

Au terrible Neptune, aux fougueux Aquilons,

Rendons grâce et leur immolons

Leur victime chérie et vouée à leurs fêtes.

Il se console à table des privations qu'il endura. Il conserve cependant quelque rancœur de ses rapports avec Jean Bart, sur qui son caractère et ses procédés ont produit une impression fâcheuse. Jean Bart lui-même ne brille pas par l'aménité de son caractère, et il apparaît certain dès maintenant qu'il ne manquera pas la première occasion de causer des désagréments au prince des poètes de la Marine.

Si l'on résume les résultats pratiques de la campagne, on constate qu'avec son escadre légère, Jean Bart a pris ou détruit cinq vaisseaux de guerre ennemis, brûlé quarante bâtiments marchands et fait douze cents prisonniers. Les pêcheurs de harengs ne se risquèrent à sortir qu'en nombre infime et sous l'escorte de vingt vaisseaux de guerre. Recevant la nouvelle qu'il tenait la mer, une grande flotte de Moscovie escortée de huit vaisseaux n'osa pas terminer son voyage et rebroussa chemin. La grande flotte de la Baltique n'accomplit qu'un seul voyage au lieu de trois ou quatre qu'elle fait habituellement, et encore elle ne s'y décida qu'avec le convoi d'une puissante escorte. La flotte des Indes, au lieu de suivre sa route normale, alla reconnaître les Orcades et les côtes d'Ecosse avant de rendre le bord aux Pays-Bas ; elle échappa de peu. Pendant cinq mois, les ennemis durent entretenir sur la mer du Nord cinquante-deux vaisseaux de guerre répartis en trois escadres. Jean Bart en traversa vingt-deux anglais pour sortir de Dunkerque et trente-trois hollandais pour y rentrer. Grâce à lui, qui détourna sur son escadre tout l'effort militaire des alliés, les corsaires de Dunkerque, suivant leur tactique traditionnelle, se groupèrent au hasard des rencontres en escadres volantes, jusqu'à quinze de compagnie, et ravagèrent impunément les Mers Etroites.

Les marins et les marchands de Hollande, consternés, s'en prennent à l'Amirauté d'Amsterdam qui, à son tour, s'en prend à Guillaume d'Orange et à Heinsius. Ils paient les denrées du Nord à des prix exorbitants. Plus haut que jamais, le peuple réclame la paix.

Son escadre désarmée, Jean Bart assure l'intérim du commandant de la Marine, le chef d'escadre comte de Relingue, absent.

Et le 1er avril 1697, Louis XIV appose sa haute signature au bas d'un parchemin sur lequel on lit :

Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous ceux qui verront ces présentes lettres, salut. Notre cher et bien aimé le sieur chevalier Bart, capitaine de vaisseau, nous a rendu pendant plusieurs années des services importants, et les prises qu'il a faites sur nos ennemis avec tant de valeur et de bonne conduite ont été si utiles au bien de l'Etat pendant la cherté des vivres, qu'après lui avoir donné plusieurs commandements d'escadres de nos vaisseaux dans les mers du Nord, dont il s'est acquitté avantageusement pour la gloire de nos armes, il est juste de joindre aux fonctions de chef d'escadre qu'il a si bien remplies la qualité et les avantages qui en dépendent. A ces causes et autres nous mouvant, nous avons icelui sieur chevalier Bart commis, ordonné et établi, et par ces présentes signées de notre main commettons, ordonnons et établissons, chef d'escadre de la Province de Flandres à la place du sieur marquis de Langeron que nous avons fait lieutenant général.

 

Le Magistrat de Dunkerque, grand bailli et échevins, ne manquent pas à la tradition que l'on observe en pareil cas depuis un temps immémorial : en grande cérémonie, dans la salle des fêtes de l'Hôtel de Ville, ces messieurs présentent à Jean Bart, enfant de la Cité, les vins d'honneur de la Ville.