VERDUN

 

IX. — LE DUEL DE VAUX-DOUAUMONT.

 

 

1er mai-12 juin.

 

C'était un autre grand chef que Robert Nivelle et, à cette heure du 1er mai, un astre qui, depuis un mois surtout, se levait à notre horizon. Ne perdant que dans une certaine mesure le général Pétain, puisqu'il restait haut directeur de la bataille, nous vîmes arriver le général Nivelle avec de grandes espérances qu'il devait pleinement justifier. Nous le connaissions par ses ordres du jour pleins de feu suivis d'opérations heureuses. De l'audace dans l'exécution ; jamais trop d'audace, avait-il dit. Mais avait-il ajouté : J'aimerais mieux ne rien faire que d'engager une opération qui serait mal préparée. Je l'avais aperçu à son quartier général de Revaux, la figure un peu pâle, le profil régulier, sculptural, l'œil légèrement voilé, la carrure solide : physiquement, il paraissait un réfléchi plus qu'un audacieux ; il parlait peu, d'une voix un peu basse avec une grande sobriété de gestes. Depuis qu'en août 1914, les canons du colonel Nivelle avaient été portés à découvert sur Mulhouse, on savait qu'il était l'homme des grandes résolutions : de l'Alsace, à l'Ourcq, de l'Ourcq à l'Aisne, de l'Aisne à la Meuse, il avait gardé sa trempe, l'avait encore fortifiée et affinée. Une âme généreuse — qui devait un jour se révéler-impétueuse — animait ce soldat de marque. Sous des dehors réservés, c'était un agressif. Des les premiers rapparia qu'il présida à Souilly, je vis que l'œil avait des éclairs et, au frémissement du bras, je devinai que la main, enfoncée dans la poche de la vareuse, s'y devait parfois crisper de dépit quand les nouvelles n'étaient point bonnes.

Elles ne pouvaient être immédiatement bonnes. Ce 2 mai où Pétain passe les rênes à Nivelle, la bataille qui à certains semble mûre, ainsi qu'eût dit Napoléon, l'était moins qu'ils se l'imaginaient — j'entends mûre par les grandes reprises que, d'août à décembre, Nivelle exécutera de si magistrale façon.

Les Allemands s'étaient bien — ils s'en rendaient compte — engagés en une aventure. Verdun n'était pas pris après soixante-dix jours de combats, sa défense extérieure à peine entamée, un seul de ses forts occupé ; cependant les pertes étaient énormes, qui commençaient à compromettre sérieusement la force allemande sur le front occidental. Or l'Etat-major impérial était trop bien renseigné pour ignorer que si Verdun n'était pas pris, le général en chef français continuait, en outre, ses préparatifs en vue de l'offensive, tout au plus ajournée de quelques semaines : il pouvait encore moins ignorer que les armées britanniques se préparaient — avec lenteur, mais résolution — à la grande bataille d'été, les Russes, entre les mains d'Alexeief, se refaisaient de leurs défaites et pouvaient fort bien s'associer, avant peu, de loin, à l'offensive alliée d'Occident. Et c'était grosse affaire car si l'armée allemande, saignée d'une façon tout à fait imprévue et en tout cas funeste, devant Verdun, était battue sur les rives de la Somme, ce ne serait pas seulement la Russie qui se déclencherait, mais l'Italie qui reprendrait courage, mais ta Roumanie qui entrerait en jeu, mais les Etats-Unis qui, plus vivement, s'insurgeraient contre la guerre sous-marine, mais le Monde entier qui se dresserait par demander des comptes. Ce Monde suivait avec une incroyable passion le drame qui se déroulait sur les rives de la Meuse ; j'ai vu alors des lettres venues de tous les coins de l'horizon, il n'y était parlé que de Verdun. Le prestige de la France était maintenant au pinacle ; celui de l'Allemagne en pâlissait. Or on avait cru Verdun perdu après cinq jours de combats et, du fait même des grands cris de triomphe de l'Allemagne abusée, on avait attaché à telle mésaventure éventuelle — bien à tort, stratégiquement parlant — une importance immense. Il semblait que Verdun Mt, comme l'avait écrit le Kronprinz, le cœur de la France et que Verdun pris, la France n'eût plus qu'à rendre les armes : et cette victoire allemande, étant donnés les premiers résultats et les sauvages assauts qui avaient suivi, avait paru événement inéluctable. Et maintenant puisqu'après deux mois et demi de combats, Verdun n'était même pas approché, la situation s'était retournée. Une admiration sans bornes encore mêlée d'une angoisse passionnée entourait — exprimée dans toute les langues de la terre — les soldats français de Verdun. Les neutres jusque-là les plus malveillants pour nous se laissaient aller à des doutes sur la puissance d'un Empire qui, en y jetant toutes ses forces. ne parue_ nait pas à forcer une barrière, à occuper une ville. — à peine à l'approcher.

Mais précisément parce que l'honneur de l'Allemagne était engagé et déjà compromis, elle se devait de poursuivre l'entreprise et, à brève échéance, de la mener enfin à bien. La seule façon de conjurer les périls que son échec accumulait sur sa tête, ou tout au moins d'en atténuer les conséquences, était d'emporter coûte que coûte cette victoire devenue tons les jours davantage victoire essentielle : la victoire de Verdun. Verdun pris, ou tout au moins — car les prétentions avaient diminué avec les espérances — la rive droite de la Meuse occupée, cela suffirait, sinon à empêcher l'offensive victorieuse de la Somme, du moins à en diminuer d'avance l'éclat et à en limiter les effets. Ce serait en tout cas sauver l'honneur de l'Allemagne et rétablir son prestige. Mais le temps pressait : le 1er mai, il était douteux qu'on dût attendre plus de deux mois l'attaque des forces alliées sur la Somme; par ailleurs, ne tournerait-elle pas en désastre si, pour arriver à Verdun, il fallait sacrifier de nouveau en ces deux mois 200.000 hommes comme dans les deux mois précédents ? Maintenant on pratiquait pour approcher Verdun une nouvelle tactique. Le général Pétain, exposant la situation au Grand Quartier le 7 mai, démontrait en ces ternies la manœuvre allemande : Au lieu de disperser leur tir sur de grands fronts, ils canalisent maintenant leurs projectiles sur des fronts restreints qu'ils battent en profondeur : ils taillent ainsi des couloirs q ne leur infanterie peut suivre sans rencontrer ni un obstacle ni un homme... Le nouveau procédé des Allemands qui consiste essentiellement à attaquer avec beaucoup d'artillerie et peu d'infanterie leur coûte, il est vrai, des projectiles, mais permet à l'attaque de durer très longtemps et impose A la défense une usure considérable. En effet, ignorant les points menacés d'une attaque, la défense est obligée d'être forte partout et de mettre en ligne des effectifs élevés qu'il faut renouveler souvent. Telle est la situation. Nous nous y usons lentement, mais sûrement. Le général en concluait non à la probabilité d'une victoire allemande, mais à la nécessité pour la France de presser vivement l'heure de l'offensive et consacrant toutes nos forces à Verdun, de laisser nos alliés attaquer seuls.

Joffre qui, de Chantilly, embrassait de son œil froid l'ensemble du front, concevait certes les mêmes inquiétudes : mais il estimait — sa réponse qui est admirable de pondération en fait foi — qu'à attaquer trop vite sur la Somme, on risquait un échec, qu'à y laisser attaquer les seules troupes britanniques on risquait pire : il était du plus haut intérêt que les forces françaises y participassent (à l'offensive) à leur heure, dans toute la mesure compatible avec la nécessité primordiale de rompre la poussée entreprise par l'ennemi contre Verdun...

Il se tranquillisait — c'était son mot favori — de ce que le champ du bataille fût organisé, le Commandement en mains sûres — il comptait beaucoup sur le mariage de ces deux cerveaux et de ces deux âmes, Pétain et Nivelle —, et faisait fond sur la valeur du soldat qui, vraiment semblait inlassable. On continuerait à nourrir, le plus qu'on pourrait, la bataille —21 divisions seront expédiées du 1er mai au 1er juillet à Verdun — ; on comptait sur l'esprit d'organisation de Pétain pour que les forces envoyées fussent sagement administrées, sur l'esprit d'offensive de Nivelle pour qu'elles fussent heureusement employées. Il fallait ces renforts : les Allemands s'usaient, eux aussi. plus que ne le pensaient les sceptiques ; mais ils allaient, de leur côté, pour l'effort suprême jeter à la bataille, en ces premières semaines de mai, deux nouveaux corps (VIIe et 1er Bavarois), six divisions et demie retirées des secteurs calmes et deux divisions venues de Serbie — en tout douze divisions et demie. L'Allemand compte, avec cette nouvelle armée, enlever l'affaire. Le Kaiser déclare qu'il faut qu'avant le 15 juin, le drapeau allemand flotte sur Verdun.

***

Nivelle avait pensé prévenir l'ennemi. Il avait demandé et reçu la mission de reconquérir le massif de Douaumont avec le fort, ce qui était encore le meilleur moyen de paralyser toute nouvelle tentative ennemie sur le massif et le fort de Vaux.

Tandis que Nivelle préparait la reprise de Douaumont, l'ennemi qui. en cette région de la rive droite, avait perdu du terrain, se rejetait de nouveau sur la rive gauche. Ayant renoncé à attaquer de front le Mort-Homme, il portait tout son effort sur la cote 304 dont l'occupation livrerait le trop fameux massif. L'artillerie allemande concentra ses feux sur le point visé ; et, le sommet bouleversé et comme nivelé, l'ennemi lança, le 4 mai, l'infanterie. Elle n'a qu'il occuper les défenseurs ont été anéantis ; mais à peine maitres de la crête, les assaillants se trouvent à leur tour canonnés, attaqués : le colonel Odent entraine nos troupes à l'assaut, il y laisse la vie, mais reconquiert la position. C'est, ce 5 mai, une effroyable mêlée autour de cette crête ; elle se termine à notre avantage et le 6 nous pouvons reconquérir les pentes nord... Un assaut en forces massives est tenté derechef, le 7, par les Allemands : il emporte les positions : nos contre-attaques nous les rendent. Et si l'ennemi continue ses assauts les 9 et 10 mai, c'est avec une évidente lassitude.

Obéissant à l'esprit de son chef d'armée et à sa propre mentalité, Berthelot, qui tient le secteur du Mort-Homme, passe à l'attaque : le 10 mai, il avance nos positions. L'ennemi revient à la charge, attaque sur la cote 304, attaque sur le réduit d'Avocourt. Du 17 au 22 mai une âpre bataille se livre à l'ouest du Mort-Homme: on se dispute, se prend, se reprend tranchées, bosquets, ouvrages : le bois Camard et le ravin de la Hayette sont littéralement encombrés par les cadavres. Alors l'ennemi se rejette sur le Mort-Homme lui-même, ses pentes est, le village de Cumières, qui est par lui enlevé. La bataille a duré deux jours. C'est nous qui, le 20, la réveillerons par une attaque sur Cumières en partie repris, puis reperdu, puis repris encore en plus petite partie : finalement c'est aux lisières que nous nous cramponnons. Et après vingt-deux jours de lutte, il faut bien que l'Allemand renonce à sa manœuvre enveloppante de droite connue de gauche. Le Mort-Homme étend toujours entre Verdun et lui son infrangible barrière.

Si, sur la rive gauche, on se devait contenter de tenir opiniâtrement, Nivelle, sur la rive droite, passait à l'offensive. Depuis le milieu d'avril. on se le rappelle, on essayait de progresser parfois avec succès autour des pentes de Douaumont. Depuis le d mai, le commandant de l'armée de Verdun est résolu à reprendre le célèbre fort. Le 10, notre artillerie prend à partie tout le massif ; le 20, un de nos gros obus, éclatant dans le fort même, force les Allemands à une évacuation partielle ; plus de 1.000 ennemis, dit-on, sont restés dans cette explosion, à la vérité, formidable. Restait à donner l'assaut. De cet assaut le général Mangin, commandant la division, était chargé. On sait ce qu'est l'homme : depuis, il a donné de telles preuves et à ce point sur de grands exploits bâti sa renommée, que l'historien est dispensé de le présenter. Ses troupes le valaient et c'est tout dire. Le 2 mai, à 11 h. 50, elles se lancèrent à l'assaut.

Cet assaut ne pouvait être exclusivement dirigé sur le fort. Des attaques d'ailes devaient en dégager les abords, l'une à droite sur le ravin de Fausse Côte et celui de la Caillette, l'autre à gauche sur l'ouvrage du Bonnet d'Évêque entre Thiaumont et Douaumont. Or l'attaque frontale seule réussit : les troupes, se jetant sur la gorge du fort, pénétrèrent sur la superstructure : de vifs combats s'y engagèrent qui nous en rendirent maitres ; mais l'ennemi restait enfermé dans les casemates où il se défendait et le combat continua. Il eût assurément tourné à notre avantage, si par ailleurs, les attaques d'ailes, ayant à peu près échoué, le fort occupé ne fut ainsi reste quelque peu en l'air. Dès le lendemain, une contre-attaque allemande très violente se déclenche sur le fort où les barrages ennemis isolaient nos troupes : celles-ci parviennent cependant à défendre notre conquête; mais, à droite et à gauche, en dépit de nos efforts, la situation reste la même. Une relève de troupes apporte plus de confusion que de renforcement. L'ennemi en profite, parvient à réoccuper par une nouvelle attaque la tranchée d'Udine qui commande la gorge du fort. Celui-ci est, partant, enveloppé, pris entre les feux de droite, de gauche, du centre et ceux même des casemates. Il faut l'abandonner, se contenter de conserver les tranchées au sud de Douaumont que, les 25, 26 et 27 mai, nous parvenons à défendre. enserrant ainsi étroitement, à notre tour, le fort reperdu.

La nouvelle — un peu prématurée — de la reprise du fort avait produit une immense impression. L'échec final eut sur l'opinion moins d'effet que n'en avait eu le succès initial. Que l'armée de Verdun à qui le pays, nos alliés, le Monde entier tenaient compte d'une défense héroïque, eût pu passer, fut-ce une heure, à une offensive aussi éclatante, c'est ce qui restait de l'aventure; et à déplorer que le succès n'eût pas jusqu'au bout couronné un si audacieux essai de réaction, on n'en louait pas moins — en s étonnant — la vigueur qu'avaient mise à le tenter des troupes proclamées à bout par l'Allemagne. Quant aux Allemands, ils en gardaient une forte émotion, mais ils n'y voyaient qu'une raison de plus de presser sur la rive droite leurs opérations. S'ils avaient été, de si puissante façon, menacés de perdre le fort, si le massif lui-même restait instable entre leurs mains, c'est qu'ils n'étaient point arrivés à emporter le fort de Vaux. Leurs conquêtes même de février et mars 1916 restaient toutes précaires. si nous restions en possession de l'un et de l'autre. Il fallait en finir avec cet éternel obstacle i tout progrès. forcer le défilé de Vaux. enlever le fort, fortifier ainsi la situation autour de Douaumont, prendre pied alors, entre Froideterre et Souville, sur le plateau ; ainsi pourrait-on enfin, en poussant vivement ces avantages. essayer d'enlever Verdun.

Le 31 mai, une forte préparation d'artillerie vint remplir d'obus tous les ravins aboutissant à l'étang de Vaux, devant lequel — à la sortie même du village — l'ennemi était, depuis le 19 mars, arrêté. Le 1er juin, il s'emparait du saillant d'Hardaumont ce qui tout à la fois assurait sa position sur le massif de Douaumont et lui donnait des vues sur le fort de Vaux. Puis, par les pentes du massif de Douaumont, il parvient à atteindre le ravin du Bazil, tournant ainsi l'étang de Vaux. Il remonte alors par le ravin des Fontaines. Dans le bois Fumin, à l'est du ravin, il se jette sur nos retranchements et les submerge. Le 2 juin, il y est solidement installé. Le fort de Vaux est maintenant menacé de tous côtés : Woëvre, village de Vaux et bois Fumin. L'ennemi, entendant exploiter ce succès, pousse en forces : le 2 juin, des éléments arrivent jusqu'au fort. Damloup que nous tenions encore à l'est a été emporté par surprise dans la nuit du au 2 juin : le fort est donc encerclé. C'est un îlot battu par les flots.

Un grand écrivain a, dans un volume aujourd'hui célèbre, raconté heure par heure et presque chanté son agonie. Je renvoie au livre de Henry Bordeaux ; il est de ceux qui ne se résument pas[1]. Tout le monde sait, grâce à lui, avec quel héroïsme, privé d'eau, encombré d'hommes. à peu près isolé de l'armée, bientôt submergé par l'ennemi, — car celui-ci envahit la superstructure — le fort tint six jours contre toute espérance. La garnison résolue à tenir jusqu'au bout sous les ordres du commandant Raynal, élève des barricades et bien que bombardée à coups de grenades par les ouvertures, à demi asphyxiée par la fumée et brûlée par les flammenwerfer, défend pied à pied les gaines et le couloir. Ce dramatique combat allait durer presqu'une semaine. Les attaques restaient vaines de notre côté, destinées à débloquer le fort. L'ennemi tenait sa proie et ne la lâchait pas. L'étreinte se resserre le 4 juin. Des forces considérables achèvent d'isoler le fort. Celui-ci résiste toujours. Ce 4 juin, le dernier pigeon est parti du fort. Restent les signaux optiques. Le 7, au petit jour, à 3h. du matin, voici que Vaux réveillé fait des appels. Les postes signaleurs saisissent ces trois mots : — Ne quittez pas Ne quittez pas : geste du mourant qui retient la main aimée. Et puis plus rien. Le fort ne parlera plus. Une suprême tentative avait été vainement faite, dans la nuit même, pour délivrer les malheureux : nos hommes étaient arrivés jusqu'à la gorge du fort. Les restes de l'intrépide garnison, suivant les termes d'un rapport ennemi, étaient contraints — il n'existait plus une goutte d'eau — de se rendre au milieu de l'admiration de leurs assaillants.

Cependant, la bataille s'était étendue vers le Nord : elle devenait bien derechef la bataille pour Verdun. Maitres du massif de Vaux. les Allemands maintenant s'engagent vers le plateau : Froideterre, Souville, Fleury deviennent leurs objectifs. Si cette ligne est par eux enlevée, Verdun est gravement menacé. Auparavant, il leur faut encore conquérir entre Douaumont et cette ligne, la hutte de Thiaumont : la ferme fut enlevée le ter, reprise par nous le 9, attaquée de nouveau le 8, réoccupée le 9 : alors l'attaque s'étend à l'ouvrage : les 9, 10, 49, ce sont combats acharnés autour des ruines bientôt nivelées par les deux artilleries, de ce petit fortin : les combats s'étendent au bois Nawé, à l'ouest : Verdun est approché. Le ravin de la Dame est envahi. Thiaumont a succombé. Et l'ennemi ne s'arrête sur cette conquête que pour préparer le grand assaut du 21 dont elle est le prologue.

Il le prépare également sur la rive gauche. Du 28 mai au 9 juin, ce sont des combats violents, des assauts répétés, autour du Mort-Homme, à l'est, à l'ouest, dans la région des Cumières comme sur les pentes de 304. Maudhuy tient maintenant le secteur avec le 15e corps dont les troupes se montrent admirables de vaillance Et ces combats se répètent les 10, 17, 22, 23, 24 juin sans que la cote 304 soit enlevée. En revanche, le 15 juin, c'est nous qui, partant du Mort-Homme, élargissons notre position, enlevant et gardant plus d'un kilomètre de tranchées ennemies. La rive gauche tient bon et l'ennemi découragé semble maintenant y renoncer. Le dessein est loin d'ailleurs, qui jadis le jetait à l'assaut du Mort-Homme maître en apparence inattaquable non seulement de Douaumont et de Vaux, mais de Thiaumont et d'une partie du Bois de Vaux, il reporte son ambition sur la seule rive droite et ramasse toutes ses forces pour le grand assaut contre la seconde ligne de défense — à la vérité — serrée de près et qui, tombant de Froideterre à Souville, peut découvrir enfin Verdun, dès lors presque livré.

 

 

 



[1] Capitaine Henry Bordeaux, Les derniers jours du fort de Vaux, Plon, 1917.