LA ROME DE NAPOLÉON

LIVRE PREMIER. — L'ÉTAT ROMAIN EN 1809

 

CHAPITRE IV. — FRANÇAIS ET ROMAINS.

 

 

Antipathie foncière des deux peuples. — Impopularité séculaire des Français en Italie et particulièrement à Rome : Rome et la Révolution ; la République Romaine de 1798 ; elle achève de rendre les Français odieux et ridicules et leur vaut le mépris des Romains. — Le Français, de son côté, garde de l'aventure un souvenir très fâcheux pour Rome. Le Français de 1809 : le missionnaire de la liberté et l'enfant de la victoire ; double orgueil du Français qui blesse et irrite l'Europe ; l'Italie particulièrement tenue en mépris ; sentiments particuliers des Français à l'égard de Rome ; engoués des vieux Romains, ils les croient endormis et entendent les réveiller ; pour guider les premiers pas du Romain réveillé, ils veulent le tenir en tutelle étroite. — Le système français.

 

I

Tel qu'il s'est présenté à nous, le Romain de 1809 réalise assurément le type le moins sympathique, dans l'acception exacte et primitive du mot, au Français son contemporain. Rien de plus différent que leur mentalité ; leurs façons de sentir et d'entendre, leurs défauts et leurs vertus les rendent aussi étrangers l'un à l'autre qu'un citoyen des États-Unis le serait à un sujet de Louis XIV.

Les Français à cette antipathie ne mêlent point de haine ils en sont, nous le verrons, à un mépris tranquille que tempère une sorte de bienveillance apitoyée ; car ils tiennent le caractère romain pour momentanément perverti : aussi bien, ils ignorent ou à peu près le Romain, s'en étant, avant 1789, moins préoccupé que d'aucun peuple au monde.

Il n'en est point ainsi à Rome en ce qui concerne la France. Le Français n'y a jamais été aimé ; il y a été trop souvent abhorré. On a pu admirer parfois et aduler le brillant vainqueur ou l'hôte fastueux ; mais le Français traditionnel, le Français type y est odieux.

Depuis que Charles d'Anjou a fait peser son joug sur le royaume des Deux-Siciles et qu'on a voulu imposer comme tyran à Florence Charles de Valois, la voix de Dante retentit des Alpes au détroit signalant l'arbre funeste dont l'ombre couvre la chrétienté. Machiavel, organe de son temps, a flétri les Français naturellement avides du bien d'autrui, et bien d'autres après lui. Les Vêpres Siciliennes du treizième siècle, les Pâques Véronaises du dix-huitième sont fêtes sœurs et, dans le secret des cœurs, fêtes nationales avant qu'il y ait nation.

Sur les bords du Tibre, plus spécialement, le Français est l'ennemi héréditaire : les démêlés de la Curie romaine avec ces fils aînés qu'on ne nomme point ainsi sans une ironie parfois amère, sont venus ajouter un chapitre parfois dur à ce long martyrologe de l'Italie par la France qu'on promène dans la Péninsule. Certes les basses classes ignorent que, deux fois seulement depuis cinq siècles, Rome a été violée et que les violateurs sont deux Français ; Charles VIII de Valois, le seul des souverains chrétiens qui soit entré armé de toutes pièces sur son cheval de bataille par la porte du Peuple, et Charles, connétable de Bourbon, qui lança à l'assaut des murs de la cité ses soldats ivres de pillage. Les Transtévérins ne savent point toutes les humiliations subies par la Curie depuis Boniface VIII outragé dans Anagni jusqu'à Pie VI arraché de Rome, les menaces des Valois, les hauteurs des Bourbons, les insolences des Lavardin et des Créqui à Rome. Mais ils savent en somme que les Français sont des fils insubordonnés de l'Eglise et des ennemis insolents de Rome ; ils les chargent de traits légendaires de brutalité, de mauvaise foi et d'impiété. Avant 1789, le peuple n'aime point les Français, sans trop savoir pourquoi, traditionnellement, instinctivement[1].

Les classes élevées, nobles et prêtres, savent, eux, pourquoi elles haïssent ; elles sentent l'antipathie qui creuse un abîme entre les caractères et elles savent tous les conflits qui les ont mis aux prises. Qu'on rapproche ce que disent, dans leurs Diarii, les maîtres des cérémonies du Vatican, Burchard sous Alexandre VI, Paris de Grassis sous Léon X, dès qu'ils ont à parler de la fatuité, de l'insanité des Français, de ce que, sous l'empereur Bonaparte, écrira tel prélat ou tel patricien : on trouvera, dans un style analogue, les mêmes allégations. Foux gouvernés par des foux, a écrit de nous un diplomate italien du quinzième siècle[2] ; fous dangereux, dit-on à Rome.

Il nous serait loisible de montrer les effets d'un pareil sentiment et ses manifestations. Depuis quatre siècles, à Rome, l'ambassadeur de France a toujours donné à danser, mais sur un volcan : quatre siècles durant, il n'est pas un revers de la France, réel ou supposé, qui n'ait fait éclater, dans le Corso romain, une joie qui en dit long, de Marignan qu'on a cru bataille perdue, jusqu'à Essling où, disait-on, sombrait la fortune de la France[3]. Au dix-huitième siècle, cette antipathie, justifiée peut-être, s'était si souvent fait jour, qu'elle frappait les visiteurs de Rome. C'est à Rome qu'Archenholtz, constatant la faveur constante des Anglais et la flagrante impopularité des Français, s'écriait : N'est-il pas étrange que les Français... soient généralement haïs ?[4] Princes français en voyage, prélats français en visite ad limina connaissent d'étranges accueils. La moindre gaminerie des pensionnaires de notre Académie prend facilement les proportions d'un scandale. La France a, malheureusement en la circonstance, dans Rome, quantité d'enclaves : l'ambassade, l'Académie, les pieux établissements de Saint-Louis, dix-huit institutions religieuses et hospitalières, ce sont autant de sujets à contestations : infecté de la peste gallicane, Saint-Louis est une terre ennemie pour Saint-Pierre. La jactance de certains administrateurs, marquis à talons rouges ou prélats gallicans, nous ont fait des ennemis d'autant plus haineux, qu'il a fallu parfois tout supporter en silence de cette fille aînée qui tient toujours Avignon sous le coup d'une saisie, car le roi très chrétien est redouté.

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Mais quelle explosion, lorsqu'à tant d'insolence la nation française joint un jour l'impiété la plus atroce. Dès les premiers jours, j'y ai insisté ailleurs, la Révolution française devient à Rome la monstrueuse fille de l'Enfer ; mais derrière elle, c'est le Français qu'on ne cesse de détester[5]. Emigrés laies et ecclésiastiques sont reçus à Rome d'assez mauvaise grâce : on craint leur morgue en dépit de leur infortune, car ils portent dans Rome le sourire persifleur du Français qui du monde n'a connu que Versailles[6]. Quant aux jeunes jacobins de l'Académie, tout maintenant leur est imputé à crime ; quelques-uns sont de bons artistes : Girodet, Topino-Lebrun ; d'autres sont de médiocre talent, mais tous sont des révolutionnaires ardents, se plaisant à exagérer à Rome la tenue d'un bon patriote conscient des droits de l'homme et du Français à ne se point gêner : il est bien vrai que, dans tous les temps, le peintre Péquignot eût bu plus que de raison, mais son ivresse devient factieuse, aussi bien que les mystifications du sculpteur Chinard, les frasques du peintre Mérimée. Au fond, les Romains confondent dans une même horreur émigrés des salons de Bernis et artistes jacobins de l'Académie de France[7].

Le débordement d'outrages qui, de la tribune des clubs comme de celle des assemblées, s'est déversé sur le pape, l'hydre de Rome, les satellites de l'inquisition, la monstrueuse puissance assise aux bords du Tibre y a trouvé un écho. Pie VI y a répondu en flétrissant la peste contagieuse répandue par des impies furieux[8]. Lorsqu'en 1797, un écrit, qui courut à Rome, dénonçait à l'Italie entière la fureur de ces Français, qui dépassent en inhumanité les Huns, Tartares, Arabes, Marcomans, Scythes et Sarrasins[9], ce pamphlet ne faisait que formuler en termes outrés l'impression qui, dès 1794, se manifestait sur les bords du Tibre. Basseville, qui d'ailleurs avait tout fait pour provoquer l'explosion, en fut la victime pitoyable. Depuis, le massacre de l'insolent Français était tenu à Rome pour un épisode glorieux ; la police de Napoléon après 1809 retrouverait dans bien des bibliothèques de Rome la triomphale Basseviliana où Menti piétina le cadavre et, au Corso, non loin du théâtre du meurtre, l'inscription qui en remercie la Madone[10].

Le traité de Tolentino avait, à la vérité, réconcilié officiellement Rome et la France, mais elle n'avait guère rapproché les peuples. Et, aussi bien, quel réveil avait été la brusque incursion des Français à Rome, un an après, et la tragi-comédie de la République franco-romaine !

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Certes, cette épreuve de la République romaine avait été la plus heureuse qui se pût rêver pour relever, si tant est qu'il en fût besoin, le prestige du gouvernement pontifical aux yeux de ses sujets, la plus lamentable, par contre, pour le bon renom des Français, fauteurs et complices d'un pouvoir sans honneur, sans prestige, sans foi. Là est le secret de bien des difficultés rencontrées par nos fonctionnaires après 1809, ce préjugé dès lors parfaitement justifié contre le Français, ce cauchemar dont le souvenir, depuis 1798, hantait les sujets du pape, des chaumières d'Ombrie aux palais de Rome[11].

Berthier avait occupé Rome le 11 février 1798 à la suite du massacre de Duphot, et organisé, suivant les termes du général, un mouvement populaire, dans le but de se faire demander la liberté, un seul patriote s'étant, d'ailleurs, durant les premières heures, présenté au futur prince de Wagram. Une démarche aussi unanime et aussi spontanée méritant d'être couronnée, Berthier avait accordé la République à Rome.

Pie VI expulsé, déporté, la curée avait commencé, curée des places, des traitements, des trésors de sacristie, des coffres-forts de la noblesse et des épargnes plus modestes, curée par perquisitions, par institution d'impôts fastuaires, par pillages directs. Puis la mascarade : des consuls[12], des tribuns, des sénateurs à toges, gouvernants qui volent, s'enrichissent, s'amusent, boivent, intriguent, se querellent, leurs femmes qui s'installent au Quirinal, au Vatican, s'y disputant les chambres avec d'effroyables injures, les nouveaux consuls se vautrant dans la luxure, bons repas, frairies, fêtes, débauches de vin et de femmes ; ils ne gouvernent pas longtemps, car consuls, tribuns, sénateurs ont le loisir, en quelques mois, de diriger les uns contre les autres des coups d'État à l'instar de ceux du Directoire ; ils ne gèrent en réalité jamais les affaires, car les clubs les mènent, les dominent ; clubs romains où pérorent des Français — un Bassal, ex-curé de Paris — des Lombards, des Napolitains, de rares Romains ; clubs et gouvernement à la vérité sont dans la main des généraux et commissaires français, qui, eux-mêmes divisés, en constantes querelles, se succèdent en s'injuriant : Berthier, Masséna, Macdonald, Championnet, armés du sabre, Daunou, Monge, le moine défroqué Bertolio, véritable dictateur et cet autre déserteur du froc Duport, tous brandissant les ordres du Directoire. L'anarchie règne avec la dictature collective : il y a eu cinq généraux en chef, deux commissions civiles françaises, plusieurs promotions de consuls, trois ou quatre titulaires dans chaque ministère, des assemblées renouvelées, épurées, à la mode de Fructidor ; on ne sait qui gouverne. — A cette anarchie répond une constante insoumission ; si Rome, sauf deux petites émeutes, ne manifeste sa haine que par de sombres regards, le pays a toujours présenté, de Terracine à Ancône, un, deux, trois foyers d'insurrection : Velletri où Murat, sentant un pays exaspéré, n'ose, après répression, venger le récent massacre des Français, puis Orvieto et toute une partie du Trasimène, car à Città di Castello on égorge 130 Français, et les Français y font cette fois cruellement expier cet exploit ; puis les marais Pontins, la vallée du Sacco, tout le pays Volsque, nouvelle Vendée qui n'est pas comprimée, quand le sauvage Subiaco se soulève, et dans laquelle on doit laisser les troupes exaspérées commettre des horreurs qu'une plume se refuse à écrire, avoue le général. Il faut donner partout une horrible leçon : un complot étouffé à Pérouse et à Foligno, l'insurrection recommence presque générale, les Français battus en Europe menaçant de quitter Rome : Civita Vecchia soulevée, bombardée, ne se soumet qu'après trois mois ; la Tolfa, près de là, ne se rend pas : il faut, comme plus tard Saragosse, prendre la petite ville maison par maison. La Montagne entière soulevée obéit à un prêtre bandit, l'archiprêtre Tiburzi dont la légendaire physionomie fait songer à celle de ces moines guérilleros que nos soldats connaîtront pour leur infortune en Espagne : toute une guerre civile qui dure jusqu'à la fin de la première domination française, réciproques embuscades, sanglants massacres, exécutions en masse, horribles représailles. Lorsque les Français, battus dans le nord de l'Italie, abandonnent Rome à cette terrible réaction napolitaine que les aventures de la Tosca ont rendue célèbre, la République romaine, qui sombre avec eux, n'est jamais parvenue à organiser ni un État ni une armée.

En revanche, Français et amis des Français avaient organisé des fêtes de la Liberté et garni leurs coffres-forts. Les Romains avaient connu les arlequinades de la Liberté[13], les successeurs des Gracques, de Cicéron et de Caton pontifiant au milieu des fleurs, prêtres défroqués et agents véreux drapés dans la toge laticlave ou couverts de galons avec des épaulettes énormes, officiant, pérorant, s'attendrissant, usant de tout le bric-à-brac défraîchi des fêtes civiques de l'an II expédié de France, avec arbres de la Liberté, autels de la patrie, rubans tricolores, montagne symbolique, épis de blé, bambins en amorini arrachant des mains d'un vieillard le livre d'or de la cité et le jetant au feu, le bon patriote se débaptisant en se versant, au milieu des cris de joie, sur la tête, l'eau qui le régénère, les armoiries jetées dans la flamme de l'Egalité, le tout accompagné de l'éternel refrain qui prostitue à ces pantalonnades le souvenir des ancêtres, Caton, Scipion, Camille, Scævola et surtout Brutus dont le buste enguirlandé préside, sombre et têtu, aux processions républicaines et aux fêtes de la Liberté. Ainsi les Français, que les grands massacres de la province rendaient exécrables, se faisaient d'autre part à plaisir ridicules et moquables.

Ils se rendaient — qui pis est — méprisables par la façon dont ils volaient. Le trait est à signaler, car il faudra toute l'austère et indiscutable probité des agenti de l'empereur pour effacer d'odieux souvenirs. Les Romains avaient vu le fameux Haller mener de front le pillage méthodique des églises et la pressura-fion des riches, tirer, dès les premiers jours, 600.000 livres du patriciat, liquider les biens de l'Eglise, le mobilier du Vatican et les arazzi de Raphaël, Haller, agioteur de génie pour lequel — tel Rapinat en Suisse — la baïonnette du soldat républicain est depuis longtemps la pierre philosophale ; les Romains avaient connu leur ville pillée, un brigandage qui, de l'aveu des soldats français ; déshonorait le nom français, les millions arrachés à Rome et envoyés à Milan et à Paris, les manuscrits des bibliothèques, les toiles des musées enlevés, l'argenterie des églises drainée sur l'ordre de Berthier et, tandis que Masséna s'enrichissait, les officiers subalternes enlevant des caisses d'objets précieux, calices, reliquaires, ostensoirs, ciboires, diamants et gemmes ; les Romains avaient vu des statues vénérées entraînées dans ce tourbillon pour avoir été, pendant des siècles, serties de trop de pierres et couronnées de trop de perles ; ils avaient vu les juifs vendre ostensiblement sur le marché les dépouilles des tabernacles, les sociétés financières s'emparer des biens de l'Eglise et même de l'État[14], et le banquier Cohn de Ferrare devenu le vrai roi de cette république ; ils citeraient tel modeste citoyen qui a payé en un an 6.000 livres d'impôt, Buoncompagni et Borghèse taxés à 700.000 livres et Braschi à moitié ruiné, et ils raconteraient l'histoire édifiante de l'ostensoir du Doria ; ils se rappelaient encore en 1809 ces gueux d'hier devenus, sous couleur d'avoir ressuscité Brutus et Scævola, des millionnaires aux folles prodigalités, ce pendard de Chérubini, misérable employé qui s'est mis à rouler carrosse, ce rouffian de Panazzi qui montrait à tout venant les diamants arrachés au Bambino de l'Ara Cœli, ces femmes de consuls faisant briller aux lustres des palais usurpés le feu des brillants arrachés aux madones séculaires, et cependant que la famine se déchaîne, que les légumes s'achètent au poids de l'or et que la faim tord les entrailles pour la première fois à Rome, ces nouveaux riches se gavant et jouissant avec leur escorte de courtisans, de filles, de juifs, et d'agents à tout faire, écume accourue de toute l'Italie pour assurer par la liberté le bonheur du peuple. Sur le siège de Cicéron si bruyamment relevé, ils n'ont aperçu que de misérables Verrès.

En 1809, ces Romains qui se rappellent avec horreur les répressions sanglantes, avec des ricanements les mascarades civiques et avec mépris le pillage républicain, ont gardé une dernière impression qui emporte presque les autres : la religion persécutée les blasphèmes tombés de toutes les tribunes, les temples profanés, les religieuses jetées hors de leurs couvents, les moines chassés, les prêtres, cardinaux, évêques, curés successivement humiliés[15] — car on les a forcés à bénir en des mandements le régime détesté — et proscrits, la religion bafouée dans ses plus légitimes manifestations comme dans ses traditions les plus respectables ; et tant de griefs accumulés contre cette République odieuse, ridicule et méprisable, contre ce gouvernement de débauchés sans mesure, de tyrans sans prestige, de voleurs sans vergogne, de profanateurs et de blasphémateurs, retombent lourdement sur la France organisatrice et protectrice du régime.

De ce régime les Français ont été aux yeux des Romains les complices avérés. La République s'est appelée le régime français. Les Haller, les Cohn, les Bertolio n'étaient pas des Romains, et ils volaient ; dès le début, des officiers ont accusé leurs chefs de piller, et quels chefs ! l'excellent soldat qu'est Berthier, l'héroïque Masséna ; et lorsque Bertolio a fait arrêter pour vol le général Dufresse, c'est un concurrent dans la rapine, dit-on, dont il s'est débarrassé. Sans doute des chefs comme Championnet ont tenté de réagir, on a traduit devant les conseils de guerre quelques pillards — très peu, — on a eu quelques administrateurs intègres[16], mais réduits à s'arracher les cheveux devant le pillage organisé. Ayant eu leur part au vol, ces Français l'ont eue plus large encore à la répression : les horribles leçons voulues par Macdonald ont été données par les baïonnettes françaises, et, sur les ruines fumantes de la Tolfa, c'est le drapeau français qui a été arboré — dès lors abhorré[17].

Comme toutes les classes ont pâti du régime et même, dans ces classes, ceux qui, par timidité ou entraînement, lui ont donné des gages, prélats trop facilement contraints aux bénédictions, tel le prélat Passari, patriciens entraînés aux pires sentiments, tels Santa Croce, Spada, Borghèse et Bonelli, ou aux plus humiliantes soumissions, tels Doria et Chigi, comme le peuple de Rome proprement dit a comprimé, par peur des sabres, des fusils, des canons, sa fureur et sa haine, l'explosion qui a suivi la défaite des Français, le massacre des traînards, la réaction violente instituée par les Napolitains n'ont point même donné satisfaction à cette terrible rancune qui dure ; elle est même partagée par les anciens révolutionnaires qui font aux Français un grief de les avoir abandonnés, après les avoir tenus en laisse et pris la part du lion aux profits de la Révolution.

Le Français tenu — légitimement après cette terrible expérience — pour un soldat brutal dans la répression, un administrateur sans probité et un tyran sacrilège, est encore en 1809 sous le coup de cette triple flétrissure, et ce sera un des mérites du gouvernement de 1809 que de l'en laver.

 

II

De cette expérience lamentable, le Français — par disgrâce a tiré lui aussi un enseignement qui n'est guère favorable au peuple romain ; il en a emporté un surcroit de mépris pour les sujets du pape. Les Romains au pouvoir avaient paru à ces Français des fantoches ridicules ; ceux qui, n'exerçant pas le pouvoir, l'avaient supporté, semblaient l'avoir trop humblement subi ; trop de prêtres s'étaient prêtés aux Te Deum au moment même où on les dépouillait, trop de nobles s'étaient avilis à la mode du Borghèse jetant ses armoiries au feu, trop de gens du peuple ne s'étaient révoltés que lorsqu'on touchait à leurs idoles : les paysans étaient des brigands, les citadins des paresseux, le peuple aveuli n'avait pu s'organiser une armée en dix-huit mois ; c'était un peuple sans esprit et sans cœur ; les gouvernants avaient été des voleurs, les gouvernés des lâches. Et ainsi s'était, dès 1798, formé le préjugé qui, même en 1808, devait contribuer à jeter Napoléon dans l'aventure romaine ; le peuple romain abaissé par la longue tyrannie des prêtres avait donné sa mesure aux vaillants Français et cette mesure était petite. Il lui fallait, pour le régénérer, des généraux, des préfets et des magistrats français[18].

Aussi bien, l'aventure n'avait fait que renforcer un mépris qui déjà s'était donné carrière. Ce mépris est de nature bizarre, car il est en partie fait de l'admiration sans bornes qu'inspire aux Français de l'Empire le vieux Romain, qu'il connaît par Corneille. Il est ainsi le fruit tout à la fois d'une opinion erronée sur le présent et d'une admiration mal fondée pour le passé. Aussi bien ce mépris résulte de plus générale façon des sentiments qui font l'âme orgueilleuse du Français de 1809. Il faut, pour mesurer la hauteur de cet orgueil, se pénétrer de la mentalité de tout un peuple à cette heure de superbe démesurée et cependant justifiée, qui précisément marque cette année 1809 dans les fastes de notre histoire.

Il y a dans le Français de 1809 du missionnaire et du triomphateur. Depuis 1791, il est apôtre, et quelque paradoxale que paraisse cette prétention, il continue à s'estimer sous Napoléon le grand apôtre de la liberté. Du missionnaire, il a la foi dans l'excellence du dogme qu'il propage et le mépris apitoyé pour le Gentil qui l'a si longtemps ignoré, le souci d'imposer ce dogme et la superbe assurance que le sauvage ainsi converti à son culte en appréciera un jour tous les bienfaits.

Ce dogme : la Liberté. Quelle liberté ? Précisément ce que le dix-huitième siècle a appelé la Liberté romaine et que les Romains du dix-huitième siècle connaissent moins que personne ; la liberté civile, l'égalité devant la loi. De cette liberté civile, la liberté politique n'a été, on l'a dit, que la garantie ; liberté de parler et d'écrire, les Français l'ont conquise ; ils l'ont perdue, mais elle était, aux yeux des Français de 1809, secondaire ; la liberté civile est acquise, assurée ; du jour où précisément elle trouvait un obstacle dans ces libertés, libertés de la presse et de la tribune, elle les devait supprimer. Cette liberté romaine est devenue, depuis 1792, la liberté française. Bonaparte qui, depuis dix ans, a supprimé en France les libertés publiques, n'en est pas moins en Europe le champion, l'incarnation de la liberté. Il libère les peuples et, en les libérant, il les régénère[19].

Chaque soldat entend lui aussi régénérer l'Europe au souffle de la liberté, et chaque fonctionnaire français derrière chaque soldat. L'un apporte dans son sac, l'autre dans son portefeuille, la liberté aux citoyens de l'Europe, la lumière aux cerveaux atrophiés par l'obscurantisme, la superstition des prêtres et le despotisme des tyrans. Le Français, a-t-on écrit excellemment, champion des droits de l'humanité, interprète de la raison universelle, est appelé par sa Révolution à régénérer l'univers. Il ne faut point que l'univers s'y refuse : qui résiste est rebelle.

La nation qui a assumé et en partie mené à bien une pareille tâche, est la grande nation. C'est un grand honneur d'être, ainsi que les Espagnols et les Napolitains, les féaux de la grande nation, les bénéficiaires de son Code et les sujets de ses princes, mais quel plus grand honneur au monde que de faire, ainsi que les Belges, les Rhénans, les Lombards et les Illyriens, partie de la grande nation ? Tout général dans ses proclamations, tout préfet dans ses circulaires, l'affirme très haut ; et, en toute bonne foi, je dirai, en toute naïveté, il le croit.

Comme à cette liberté française, seule admissible, seule véritable, la grande nation n'a conquis dix pays qu'au prix d'une suite d'incroyables victoires, comme ils se sont habitués à dicter la loi dans le sens le plus étroit du mot, généraux et proconsuls de César joignent à l'orgueil du missionnaire la superbe du conquérant, et, n'admettant point de comparaison entre les systèmes que, d'Amsterdam à Naples, ils ont remplacés, et celui qu'ils ont établi, ils se tiennent pour les maîtres nés de l'univers. Voyant, suivant l'expression du préfet français de Rome, tous les fronts s'incliner devant le nom français[20], ils entendent entretenir les peuples dans le sentiment de leur infériorité morale et intellectuelle autant que matérielle et faire voir, ainsi que l'écrit un très humble troupier de la garnison de Rome, que les Français sont maîtres partout[21]. Ils ont la même foi dans l'infaillibilité de leur système que dans l'invincibilité de leur force.

Une si orgueilleuse confiance dans sa puissance comporte, chez le Français, vis-à-vis des pauvres gens qu'il a contraints par les armes à la liberté et dont il a ouvert, à coups de canon, les yeux à la lumière, un mépris tempéré d'une condescendance presque amicale. Que d'innombrables excès, que des actes de violence aient été, au cours de vingt-deux ans de guerre, de Madrid à Moscou, commis par nos armées, qui le nierait ? Mais, à consulter non pas seulement la mémoire des vainqueurs, mais, ce qui est plus probant, le témoignage des vaincus, on constate, jusqu'en 1809, entre vaincus et vainqueurs, des relations dont la cordialité nous déroute et qui, chez les soldats français, ne dénotent guère que cette condescendance apitoyée, fruit d'une naïve foi en l'incommensurable supériorité de leur pays et de leur race. Les excès viennent la plupart du temps des alliés, le Bavarois chez les Prussiens, le Napolitain à Rome[22], parce que Bavarois à Berlin et Napolitain à Rome, satisfont, sous le drapeau français, des haines de voisins. Nos soldats ne satisfont point de haines : il faudra l'horrible guerre d'Espagne, la douloureuse campagne de Russie, l'effroyable mêlée de 1813 en Allemagne pour en faire naître. Une discipline exacte 'eût suffi à prévenir les excès ; Pacca, si hostile aux Français, s'étonnera de n'avoir eu, au cours d'une occupation militaire de dix-huit mois, à relever de la part des soldats logés chez le Romain aucun motif d'inquiétude et de déplaisir[23].

Mais s'ils se font scrupule de faire peser trop fort le joug sur ces têtes humiliées, ils ne se font point faute, précisément. de les humilier très bas par une affirmation constante et bien vite outrageante de leur supériorité. Ce qui me vexait le plus, avoue une bonne bourgeoise de Berlin qui, par ailleurs, se montre touchée de leurs procédés, c'était de leur entendre dire que leur empereur, s'il voulait, prendrait l'univers puisqu'il commandait à des Français[24]. Le dépit qu'avoue la bonne Mme Unger, de Berlin, le bourgmestre de la plus petite commune allemande annexée, le commerçant hollandais, le pêcheur de Naples, le caballero espagnol, le patricien de Rome le pensent, car chaque nation a son orgueil et souffre de le voir tous les jours mortifié. Or, il l'est par l'affirmation très hautement proclamée que tous ces gens ont grand besoin d'être civilisés, libérés, régénérés et, partant, qu'ils doivent être plaints. D'autant qu'il se mêle à cette condescendance du vainqueur la pointe de raillerie française, l'incorrigible envie de rire qui saisit le Français devant les usages qui, n'étant ceux de Paris, de Lyon ni de Bordeaux, lui paraissent, par ce fait même, irrésistiblement comiques[25]. Ces dispositions rendent insupportables ces vainqueurs par ailleurs fort humains. Les Français sont toujours ces Gaulois qui, ayant trouvé, dans Rome conquise par leur Brennus, les sénateurs romains assis sur leurs chaises curules, ne leur firent point de mal, mais leur tirèrent la barbe qu'ils trouvaient ridiculement longue parce qu'ils ne portaient point la leur. Les peuples de l'Europe sont fort tentés de faire comme le sénateur outragé qui, de son bâton, frappa l'insolent ; mais ils savent aussi ce qu'il lui en coûta.

Une autre conséquence de cet orgueil français — et fort grave — est la prétention que possèdent la plupart des administrateurs français et qu'ils affirment, de substituer leurs lois, leurs institutions et jusqu'à leurs règlements à ceux des pays annexés, et jusqu'à leur" esprit, leurs mœurs et leurs coutumes. Si parfois un préfet intelligent, constatant l'erreur d'une pareille conduite, essaye de concilier avec les usages locaux et parfois de leur sacrifier les instructions qu'il a reçues, il est promptement rappelé à l'ordre, et à la conception napoléonienne, à la tradition française, à la doctrine centralisatrice. A deux reprises, en 1798 et en 1809, les fonctionnaires français s'indignèrent de voir l'horloge du Quirinal marquer l'heure à la romaine et non à la française. Ce petit trait dévoile ou confirme un état d'âme. L'Université impériale, avec ses programmes et ses heures de classe, le clergé sous l'uniforme règle concordataire, l'administration relevant des ministères sis rue de Rivoli ou quai Voltaire, avec ses bureaux immuables, sa paperasserie sacrée et ses procédés centralisateurs, les préfets faisant, aux mêmes dates, autour d'Amsterdam, de Hambourg, de Laybach, de Rome la tournée de révision qu'à la même heure accomplit le préfet de Seine-et-Oise ou celui des Bouches-du-Rhône, les tribunaux appliquant de Harlem à Naples, sous les auspices du Grand Juge de la place Vendôme, les articles du code Napoléon, voilà le rêve et, durant cinq ans, voilà la réalité, réalité cruelle parce qu'elle froisse et écrase les mœurs locales, malfaisante parce qu'elle tend à détruire la désirable et charmante diversité des peuples, insensée parce qu'elle va contre la nature des choses, le tempérament des hommes, les nécessités du climat, et parfois burlesque quand — et le reste est à l'avenant — le préfet français fait à de jeunes élèves de Laybach, de La Haye ou de Rome, au cours d'une distribution des prix, le discours qu'un an avant, au 15 août, il aurait pu prononcer devant les collégiens d'Arras ou de Besançon.

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Si un pays a connu, avec tous ses bons et mauvais côtés, le régime imposé par la grande nation, c'est l'Italie. C'est à elle qu'il a été le plus tôt parlé de la liberté ; c'est d'elle qu'on s'est défié le plus lorsqu'il s'est agi d'y organiser cette liberté. Le fait est si patent, que, dix fois, l'historien de l'Europe et la Révolution française y est ramené. Le peuple italien, appelé en termes si pompeux et si cordiaux à la liberté par le général Bonaparte, inspire aux agents, chargés de la lui distribuer, un mépris qui ne change pas d'expression ; Garat affirmant, de Naples, en 1798 qu'avec de la force et du pouvoir, en prenant l'espèce humaine telle qu'elle est, on pourrait en créer une autre, mais que l'Italien, en tous points méprisable, ne saurait intervenir en cette noble entreprise et que la seule chose à faire serait de donner en Italie à la France une influence prépondérante, Garat a fait école, dans l'entourage de l'empereur, dans son état-major, dans les ministères ; du cabinet de Talleyrand dont sur ce point les idées ne changeront point de 1796 à 1815, à celui de Fouché, à celui de Gaudin, aucun peuple n'a un pire renom que l'Italien[26]. On le tient pour léger et cruel, licencieux et astucieux ; on l'a trouvé rampant aux heures de victoire, révolté jusqu'au massacre aux heures de crise, peuple de bandits et de sigisbées, de prêtres et de courtisanes, de lazzaroni paresseux et de bravi dangereux ; c'est la patrie, cette Italie, de Fra Diavolo et de Polichinelle ; on hésite entre le mépris et la méfiance. Quand un fonctionnaire français semble — quoi de plus naturel ? — s'éprendre plus que de raison des charmes, des grâces, des beautés de l'âme italienne, les bureaux de Paris mettent bien vite le holà. Quand un plus long séjour à Rome vous aura fait connaître combien l'Italien est cauteleux et dissimulé, vous serez bien convaincu qu'il sait donner à la haine la plus inextinguible les apparences de la cordialité franche, vous regretterez peut-être d'avoir été si confiant. Qui écrit ces lignes sévères jusqu'à l'injustice ? Anglès chargé de la police du gouvernement d'au-delà les Alpes au ministère du quai Voltaire ? Et c'est bien dans le même sens que l'empereur lui-même écrit à Murat, conquis au charme de l'Italie, lorsqu'il l'engage à se défier des petits-fils de Masaniello[27].

L'Italien, qui est fin, pénètre ce sentiment ; les classes intelligentes adhèrent au régime — sincèrement — parce qu'elles y voient un acheminement vers la reconstitution d'une Italie qui, unifiée par ses vainqueurs, saura se dérober un jour à leur domination. Mais, de 1797 à 1814, le petit peuple se terrera méfiant, haineux, et, à chaque échec des Français, se réveillera prêt aux pires vengeances contre ces étrangers athées et sacrilèges, pillards d'église et violateurs de monastères. Le massacre futur se trame pendant vingt ans sur le quai de Santa Lucia comme dans les faubourgs de Milan, dans le moindre bourg des Abruzzes comme de la Riviera.

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Vis-à-vis des Romains, le Français mêle au mépris, que, plus généralement, lui inspirent les Italiens, un élément tout à fait particulier. Il le tient pour le plus noble des hommes dégradé par le pire des régimes et que, partant, il faut rappeler, avec une sollicitude plus condescendante encore et plus apitoyée, à la vie, à l'honneur et à la gloire.

Rome ! Le nom évocateur de tant d'éminents souvenirs, est sur toutes les lèvres en France depuis vingt ans et, pourquoi ne pas dire, depuis deux cents ans. Il y a deux cents ans que les Français vont à la comédie applaudir à la rude vaillance d'Horace et à la majestueuse clémence d'Auguste, à la vertu de Britannicus et à la magnanimité de Titus : la Mort de César évoquée par Voltaire les a passionnés. Que d'admirables tirades ont retenti devant dix générations de Français, où sans cesse s'évoquait l'image de l'héroïque Rome, la Rome des premiers âges, dure et laborieuse, les Horace, Brutus l'ancien, Cincinnatus, Horatius Codés, Mucius Scævola, Coriolan, la Rome républicaine avec ses tribuns, ses consuls, ses luttes civiles, ses guerres, la conquête du monde, les Metellus et les Cornelius, Scipion, les Gracques, Marius, Scylla, Caton et le dernier Brutus, la Rome impériale magnifique et prestigieuse, César, Auguste, Tite, Marc-Aurèle ; car de cette Rome antique, de Romulus à Constantin, on veut tout admirer tant on la prise haut, on ne veut rien en savoir de criminel, de bas et presque d'humain. Les héros de Rome font les frais des métaphores classiques, des discours de rhétorique, de la pédagogie officielle. Pas un écolier qui ne soit mis en mesure, en connaissant Decius et Brutus, Caton et César, d'imiter leurs vertus et de faire revivre leurs exploits.

Au dix-huitième siècle, ce qui était admiration au dix-septième devient vogue, mode, manie. La science paraît justifier les tirades de la tragédie[28]. L'érudit Montfaucon, en représentant en figures et en expliquant la Rome antique, a séduit tout à la fois les yeux et l'esprit ; Rollin a exalté, en vingt tomes compacts, les Camille, les Fabrice, les Curius, citoyens austères, guerriers invincibles, hommes d'État infaillibles. Lévesque de Pouilly et de Brosses ont aidé à l'initiation, avec quel enthousiasme ! et soudain les Considérations de Montesquieu sont venus jeter sur toute cette grandeur le manteau magnifique d'une éloquence exaltante, contribuant à créer cette image idéale... de Rome qui va s'imposer à l'esprit de ses contemporains jusqu'à l'hallucination, à organiser la religion de la vertu antique. Mably avait suivi avec son Parallèle, Thomas, ce médiocre qui connut la popularité pour son Eloge de Marc Aurèle, où triomphe l'antiquité conventionnelle et ridicule des discours de classe : Scipion mourant dans l'exil, Sénèque, Thraséas, Brutus, Regulus, l'éternel Caton ! Mais Rousseau surtout, sans cesse occupé de Rome et d'Athènes, vivant pour ainsi dire avec leurs grands hommes..., se croit lui-même grec et romain. Point n'était besoin que les traductions, faites par toute l'Académie, de Lucain, Lucrèce, Térence, Sénèque, Quinte-Curce, avec préfaces et notes, se ressemblant par l'inintelligence de la vie antique et par l'enthousiasme qu'elle parait susciter, comme les fouilles de Pompéï révélées à la France par le marquis de l'Hopital, ajoutassent à la vogue de l'objet romain ; déjà les Marie-Joseph Chénier, les David, les Talma, les Bonaparte étaient nés dans l'empire.

La haine qui se manifestait contre le christianisme, trait à retenir, ajoutait une force de plus à ce déchaînement d'enthousiasme[29]. Chamfort entendait qu'on se défrancisât et se déchristianisât pour redevenir grec et romain. Et dans un certain monde, ce sont moins Brutus et Regulus qu'on admire que Sénèque, Lucrèce, Marc-Aurèle et Julien, philosophes opposés aux moralistes chrétiens et dont l'image grandie eût sans doute égayé leurs contemporains. Nos Boissier et nos Mommsen n'avaient encore dégonflé ces ballons.

La Révolution fut toute romaine ; de ce jour de 1788, où Mirabeau évoqua les Gracques et Marius, à cette journée de 1799, où Bonaparte réalisa César, Rome régna dans Paris, dans les salons de Mme Roland, dans les clubs, dans les assemblées. La littérature, à l'unisson, s'enrichit des Caius Gracchus et des Tibère de M.-J. Chénier, des Coriolan de La Harpe, des Fabius, des Epicharis et Néron de Legouvé, des Marius, des Cincinnatus, des Lucrèce d'Arnault, des Manlius de Lafosse, tandis qu'on reprend sans cesse Corneille et Voltaire, qu'on ressasse la Mort de César et qu'on va déterrer Sertorius de Corneille. Sous l'Empire, Cinna tient la scène. Car l'Empire est plus romain encore que la Révolution. Monuments romains dont Soufflot a jadis fait revivre la formule avec le Panthéon et Peyre avec l'Odéon, Arc de Triomphe du Carrousel et de l'Etoile, temple de la Victoire (Madeleine), tableaux romains : les Horace, les Tatius de Girodet, dépassés depuis que David, exerçant dans l'art une dictature toute romaine, entend évidemment mieux faire sentir par la rigidité des lignes celle du caractère antique, Sabines académiques et Romains de carton ; meubles où l'acajou singe le marbre et où le bronze s'accumule ; théâtre où la toge de Talma flotte comme le drapeau d'une renaissance romaine ; costumes antiques lancés par les élèves de David et, pour la plus grande joie des hommes, exagérés encore par les femmes aux tuniques de gaze ; cheveux à la Titus, courses de chars au nouveau Champ de Mars[30] ; noms romains donnés à profusion aux nouveau-nés ; titres romains distribués aux gouvernants de l'an VIII, consuls, préfets, sénateurs, tribuns, fêtes romaines, vertus romaines, religion romaine :

Rome n'est plus dans Rome

Elle est toute à Paris

a-t-on chanté en thermidor an VI[31].

Religion de Rome en effet, car cette religion déchaine en ces âmes des sentiments de dévots. L'amour d'une Rome en grande partie illusoire et fabuleuse avait pénétré ces cœurs d'un souffle sacré. Aussi, lorsqu'après 1797, des Français s'acheminent vers la Ville, avec quelle émotion ils y pénètrent ! Enfin, je vois Rome ! s'était déjà écrié Dupaty, et tout de suite se sont évoqués Cicéron, les Césars, Horace, Virgile ; quand on lui a voulu montrer de jolies villas princières au pied de Tusculum Menez-moi à la villa de Marcus Tullius Cicéro ! De cette bonne jacobine qu'est la citoyenne Cavaignac si émue en approchant du Capitole, à Berthier si fier d'y jouer les Brutus, du peintre Girodet qui l'a ressuscité dans ses rêves et le voit renaître de ses cendres, jusqu'au préfet Tournon qui, exalté jusqu'aux larmes, éprouve à la fois orgueil et contusion à commander en ce lieu, tous et bien d'autres éprouvent une émotion auprès de laquelle parait peu de chose l'attendrissement de Gœthe arrivant à Rome en 1788[32].

Pour le Français qui, de 1799 à 1809, vient contempler Rome, la cité apparait comme, sept cents ans avant, apparaissait aux croisés la Jérusalem promise à leur impatience. Il leur semble qu'ils ont, eux aussi, à délivrer d'entre les mains des infidèles un saint sépulcre, celui où s'entassent sans honneur les ossements blanchis de ces héros que Corneille, Montesquieu, David, Talma leur ont rendus familiers et chers, reliques d'un âge d'héroïsme pur, de moralité austère et d'incomparable gloire.

***

Ce tombeau est profané ; que disent en effet de cette Rome, jadis surhumaine, les visiteurs et agents français ?

Ils disent une aristocratie qui se pare sans le mériter[33] du nom de patriciat romain, qui promène dans des carrosses qui, seuls, sont antiques, une oisiveté honteuse, et qui, sur ces lieux où gouvernèrent et triomphèrent les Metellus et les Scipion, ignore tout à la fois la science du gouvernement et celle de la guerre.

Ils disent un gouvernement de cardinaux imbéciles oies pourprées du Capitole, gouvernement de prêtres âgés aux allures de vieilles femmes, qui — scandale immense — gère le bien de César[34].

Ils disent que le temple d'Antonin est devenu un bureau de douane ainsi que celui de Neptune, et, ce qui est pire à ces yeux voltairiens, que l'amphithéâtre Flavien est un lieu de pèlerinage où s'exalte le fanatisme des prêtres, que les débris de la Rome antique gisent sans honneur à moitié enfouis, que le Panthéon n'est plus que Sainte-Marie de la Rotonde, que le Capitole est déshonoré par la présence d'un sénateur asservi aux volontés du Vatican, que des bestiaux paissent sur le Forum enterré, devenu — horreur sans nom ! — le champ des vaches et qu'horreur plus grande, de misérables papes ont encore osé mettre leurs armes au fronton des temples des Dieux et à la base des obélisques antiques[35].

Ils disent, au lieu des citoyens qui, sous les Volero et les Gracchus, conquéraient leurs droits et la liberté, un peuple misérable, avili, — courant aux églises artistement illuminées comme aux marionnettes, un peuple enfant qui a remplacé les jeux du cirque par de très modestes courses de chevaux et les triomphes de la voie sacrée par des processions où ils défilent dévotement — ces fils de Romulus ! — de gros cierges dans la main ! la pire turpitude ![36]

Ils disent, en dehors de Rome, un peuple de sauvages, les descendants des Volsques, des Sabins, des Albains, des Etrusques devenus des mendiants sans vergogne ou des bandits sans loi, respectueux seulement de la Madone et des Capucins[37].

Ils disent aussi que le pays des Douze Tables ignore le droit romain, que la patrie de César n'a qu'une poignée de soldats d'opéra-comique, que les lieux où écrivirent Cicéron, Horace, Tite-Live, Tacite ne connaissent qu'une littérature sans grandeur, que ce peuple a la honte de s'estimer heureux et qu'il n'y a point à Rome — ce qui est un grand mal — d'esprit public[38].

Comment s'expliquer pareille déchéance ? Le Français ne cherche pas loin. Que des siècles de cosmopolitisme aient, dès la fin de l'empire, mêlé les sangs à Rome au point que les empereurs eux-mêmes ont été Espagnols, Gaulois, Grecs et Syriens, que, pendant trois cents ans, Huns, Goths, Hérules, Lombards, Grecs, Francs, Normands, Allemands aient violé la Rome antique et lui aient fait plus de bâtards qu'elle n'a jamais compté de fils, que les treize cents ans durant lesquels Rome a été le carrefour de la Chrétienté aient achevé d'adultérer le sang des Cornélius et des Metellus chers à Rollin, voilà ce qu'on ne se dit point à Paris.

Non ! Il est impossible que ce grand peuple, qui s'exprimait encore hier en termes si nobles par l'organe de Corneille, ait entièrement disparu ! De même que, sous les églises chrétiennes, on découvrirait facilement, assure-t-on, la Rome antique enfouie, de même, en arrachant le peuple romain à ses honteux gouvernants, on verra se réveiller le héros, administrateur, législateur, laboureur et soldat : Ils finiront, écrit-on, par être ce qu'étaient les Fabius et les Scipion[39].

Car c'est ce gouvernement de prêtres qui a ravalé le héros au rang d'un mendiant. Le prêtre romain, personnage presque aussi conventionnel et fabuleux pour Paris que l'ancien Romain, est tenu pour seul responsable de l'abaissement de ce peuple héroïque.

***

Paris n'a jamais aimé les prêtres de Rome. Le conseiller de François Ier, le vieux Robertet qui, à la veille de l'entrevue de Bologne, déclare qu'il se faut défier de ces prêtres[40] s'appelle Légion, du Nogaret de Philippe le Bel au Vergennes de Louis XVI. La Révolution tient Rome pour une monstrueuse puissance[41]. Les fonctionnaires de Napoléon ont été élevés dans la défiance du prêtre de Rome. Ils ne sont pas anticléricaux : beaucoup sont très respectueux de l'Eglise et de ses fidèles, mais le clergé ultramontain leur parait fort haïssable : à lire les rapports des fonctionnaires impériaux, on croit se trouver parfois en face de diatribes de journalistes très prêtrophobes. Le clergé italien est l'objet des pires commentaires. Le cardinal Zondadari n'est pas le seul à être traité de tigre ennemi de la France et de l'humanité qu'une police sévère doit museler[42]. Que le correspondant de Napoléon et de ses ministres soit un Miollis, frère d'évêque français, un Norvins, un Tournon, un Gerando, un Pastoret, toutes gens modérés, on ne relève pas moins à chaque ligne une méfiance invétérée pour le clergé fanatique de Rome. Le prince Borghèse lui-même est si francisé sur ce point, qu'il signale, après tant d'autres, ces prêtres qui, en Italie, maîtrisent les familles qu'ils servent d'abord et gouvernent ensuite.

Ce sont ces prêtres qui, s'étant emparés de Rome par la trahison de Constantin l'apostat et la faiblesse de Charlemagne, l'ont asservie et avilie[43].

Dès lors une tâche s'impose : il faut débarrasser Rome tout à la fois de son gouvernement et de son clergé : abattre le Pontife, disperser le Sacré-Collège, chasser les moines, réduire les prêtres, abolir l'odieuse Inquisition, détruire le Saint-Office, appeler peu à peu les neveux de Cicéron à connaître la Loi, jeter de gré ou de force les descendants de César sous les drapeaux de Napoléon ; comme on les tient encore pour incapables, pendant de longues années, de gérer leur bien, on leur donnera des tuteurs très fermes, gouverneur, directeur de police, préfets, agent des finances et procureur général français. Sous l'action régénératrice de ces agents, on verra renaître la Rome antique : ses temples ne surgiront pas seuls du sol enfin fouillé avec les statues, colonnades, amphithéâtres et arcs de triomphe ; au signal donné de Paris, le héros ressuscitera, et Rome, telle l'héroïne des contes bleus, se réveillera, à la vue du prince Charmant, jeune et vigoureuse, d'un sommeil millénaire[44].

Ce sera le secret de la politique suivie aux bords du Tibre : en détruisant le gouvernement des prêtres, agents de démoralisation nationale, délivrer le Romain et le forcer à réaliser Corneille ; en restaurant Rome et son Forum, donner à ce personnage de Corneille le décor que lui rêve David. Entendant que les Romains se pénètrent de ce dessein, on leur ressassera Cicéron et Caton, César et Scipion : ce sera une intolérable habitude que d'accabler ces misérables sous le passé glorieux de gens dont ils ne descendent point, et de les vouloir rendre solidaires de siècles de gloire qu'ils n'aspirent nullement à voir renaître. Ce sera le côté presque plaisant de l'entreprise que cet acharnement à prôner César devant des conscrits en larmes, la loi romaine devant des justiciables atterrés, et les Gracques devant des électeurs ahuris[45].

Qu'en établissant un régime tout à fait contraire aux habitudes[46], on blesse et on heurte tout un peuple, peu importe. Que ces gens aveugles, qui ne comprennent rien aux avantages qu'on leur prône, se montrent fort sensibles aux maux que déchaîne l'annexion ; que ces fils de héros ne veuillent point être des héros ; que ce peuple de bigots ne veuille point vivre sans ses prêtres ; que ces bandits n'entendent rien à l'utilité de l'article 245 du Code criminel, et voilà le conflit en germe dans les termes mêmes où les Français ont posé le problème. Ils se sont fait des Romains antiques un type idéal et surfait : de ces Romains antiques déjà faux, ils croient à tort que les Romains modernes descendent par une lignée qui les oblige ; de ce peuple, ils affirment, sur des témoignages passionnés, qu'il ne doit son avilissement qu'aux prêtres romains dont ils exagèrent le type au point de le fausser. Par surcroît ils croient ce peuple très malléable parce qu'il parait indifférent, ils croient les prêtres romains très lâches, prêts à abandonner par terreur leur influence morale après leur pouvoir politique. Et de ce tissu d'hypothèses mal vérifiées et de traditionnelles méconnaissances, d'illusions généreuses et d'erreurs fatales, ils tirent une règle de gouvernement qui ne peut être bonne et ils érigent un régime qui ne peut être accepté, parce que, plus particulièrement là qu'ailleurs, il va contre la nature, l'histoire, la conscience et la vérité des choses.

 

 

 



[1] SOREL, Hoche et Bonaparte, p. 26-27.

[2] Otto de Caretto, juin 1464, dans COMBET, Louis XI et le Saint-Siège.

[3] La joie à la nouvelle fausse d'une défaite de François Ier à Marignan. Le cardinal di Bibbiena fait illuminer Rome et Léon X se réjouit (Marino Senuto, Diario, t. XXXI, col. 115). Cf. Louis MADELIN, De Conventu Pononiensi, p. 31. Au moment des défaites de Louis XIV, même explosion de joie à Rome (Lettre de D'Antin au directeur de l'Académie ; BERTRAND, Revue des Deux Mondes, 15 janvier 1804). Même joie à la nouvelle d'Essling, considérée comme une défaite de Napoléon.

[4] ARHENHOLTZ, t. I, p. 150 ; MASSON, Bernis, p. 376.

[5] Louis MADELIN, Pie VI et la première coalition (Revue historique, t. LXXXI, année 1903).

[6] MASSON, Bernis, p. 469.

[7] MASSON, Les diplomates de la Révolution, Hugon de Basseville ; VICCHI, Les Français à Rome pendant la Convention, 1892.

[8] Pie VI à Victor Amédée, 6 octobre et 10 novembre 1792 (Archives du Vatican, Brevi ài Principi, Pie VI epistolae, anno XVIII, f. 171 et 192).

[9] DUFOURCQ, Le régime jacobin, p. 47.

[10] MASSON, Basseville, appendice, p. 264.

[11] DUFOURCQ, Le régime jacobin, passim, les sources citées par lui (le précieux Diario de Sala, Rome, 1882-1888 ; l'autobiographie de Leopardi ; les manuscrits inédits de Galimberti à la Bibliothèque nationale de Rome, mss. V. E. 44-45 ; la collection Falzacappa à la Vallicellana). Cf. aussi le Diario de Benedetti publié in extenso pour cette époque par Silvagni ; les lettres de Masséna (Revue Napoléonienne, t. III, p. 18-20) ; CANTU, t. XI, p. 105-107, et les Corrispondenze dei diplomatici italiani, par CANTU, p. 261-274 ; THIÉBAULT, Mémoires, p. 167, etc.

[12] Benedetti, Diario, 17 mars 1798. Le personnel (SILVAGNY, t. I).

[13] Benedetti, 26 et 27 septembre 1798, SILVAGNI, t. I.

[14] Janet, que nous verrons gérer, de 1809 à 1814, les finances romaines, se plaint de l'effroyable désordre qui a favorisé toute cette débauche de vols du petit au grand (Janet, 6 avril 1810, papiers Janet, reg. I, aux Archives des affaires étrangères). Cf. aussi le jugement de Cacault dans ARTAUD, Pie VII, t. I, p. 104, et la lettre à Daru au sujet des objets enlevés aux Bibliothèques (O2 1069).

[15] Outre les sources citées, cf. CONSALVI, p. 486-487.

[16] CONSALVI rend hommage à l'humanité de certains officiers ; Mémoires, t. I, p. 86. Cf. aussi, sur l'intégrité de Cacault, ARTAUD, t. I, p.104.

[17] Voir la collection des sonnets, épigrammes et imprécations rimées qui saluèrent le départ des Français. (Bibliothèque nationale de Rome. Fonds V. E., mss. 27-28. Liste des sonnets sur la chute du gouvernement de la France et de la secte diabolique des francs-maçons). Cf. aussi : CANTU, Monti e l'eta die fu sua (1879) et Achille MONTI. V. Monti (1875). La haine séculaire s'était exaspérée après 1799 en dépit des efforts de Cacault et de ses attachés d'ambassade, de Pie VII et de Consalvi pour la calmer et la désarmer. Fesch la constate à tout instant et la signale dans sa correspondance. Artaud en témoigne. C'est lui qui conte l'aventure arrivée au bon ministre Cacault, dont il était à Rome le subordonné. Il est attaqué par un Transtévérin le soir : il croit se défendre en criant : Je suis Français, l'autre redouble ses coups. — Je suis le ministre de France. — Meglio ! meglio, per Cristo. Tant mieux, par le Christ ! et il le blesse avec fureur. (ARTAUD, t. II, p. 39.) Artaud dit qu'il recevait dès 1800 des lettres anonymes de menaces d'une violence inouïe (t. II, p. 36).

[18] Napoléon avouait que c'étaient surtout ses conversations avec Berthier qui lui avaient fait connaître les misères du caractère romain avili par les prêtres.

[19] SOREL, t. VI, p. 16, 21, 515.

[20] TOURNON, Mémoires inédits.

[21] Lettre d'un soldat français du 7 juillet 1809 (dans la Revue rétrospective, 1891, t. XIV, p 361).

[22] Arthur LÉVY, Napoléon et la paix, 647 témoignages curieux à ce sujet. En ce qui concerne les Napolitains, cf. plus loin, chapitre suivant.

[23] PACCA, t. I, p. 95.

[24] Die Françozen im Berlin, cité par LÉVY, p. 640. Cf. entre mille autres traits caractéristiques, ce que Bigarré dit (Mémoires, p. 208) du système napolitain et de la nécessité qu'il y avait à substituer le système français.

[25] Toujours le rire gaulois. Kant, qui ne riait pas, s'en montrait horripilé (Observations sur le sentiment du beau).

[26] SOREL, t. V, p. 79, 109, 195-197, t. VI, p. 436-437. Rapprocher l'opinion de Garat en 1798, de celle de Caulaincourt exprimée le 31 décembre 1813 dans un rapport où il engage l'empereur à ne point donner l'indépendance à l'Italie.

[27] Anglès à Norvins, 1811, F7 6531. Cf. sentiments de Napoléon sur les lâches Italiens, MARBOT, t. II, p. 53. Cf. les sentiments incroyablement méprisants de Miot de Mélito, t. I, p. 127.

[28] BERTRAND, La fin du classicisme et le retour à l'antique, Paris, 1898, Passim ; JULLIAN, Introduction aux Considérations de Montesquieu, Hachette, 1896 ; DELÉCLUZE, L'atelier de David ; DELABORDE, Ingres ; GUGLIA, Franzosen im Rom. Cosmopolis, août 1898 ; MERLET, Tableau de la littérature française, 1800-1815, 1884 ; PEYRE, Napoléon et son temps ; PLON, Thorwaldsen ; ROCHEBLAVE, Le comte de Caylus ; GIEQDET, Œuvres, I ; GONCOURT, Histoire de la Société française, etc. (édition de 1865).

[29] Kotzebue appelle Constantin, l'Apostat (240).

[30] NORVINS, Mémoires, t. II, p. 255.

[31] Journal des Débats, 16 juillet 1904.

[32] DUPATY, t. I, p. 206-209 ; ses extases au Capitole, p. 230 ; ses indignations au Forum, p. 237-239 ; KOTZEBUE, p. 250-266 ; Mémoires d'une inconnue (Mme Cavaignac), p. 318 ; BIGARRÉ, p. 196 : Je crus apercevoir l'ombre du sage Numa et entendre la voix de Caton... Ce ne fut qu'en tremblant que je m'approchai du Capitole... etc. ; Girodet à Trioson, 9 janvier 1793, Œuvres, t. II, p. 422 ; TOURNON, Mémoires inédits et lettres à sa famille.

[33] Un rédacteur français du Journal du Capitole, ayant laissé échapper cette expression en 1809, dut se rétracter le lendemain.

[34] Hugon de Basseville, cité dans MASSON.

[35] DUPATY, t. I, p. 237-239 ; KOTZEBUE, t. I, p. 232 : Entretiens de Canova avec Napoléon. Cf. plus bas.

[36] Joseph à Talleyrand, 1798, Archives affaires étrangères, Rome, 9 ; THIÊBAULT, t. II, p. 194-195 ; DUPATY, t. II, p. 157-159.

[37] Cf. plus bas, la première note du prochain chapitre, l'apostrophe de Bonaparte, dès 1787, à ce peuple romain qui, s'il ne chasse prêtres et moines, restera un peuple abruti, un peuple de tartufes.

[38] Rapports de Pastoret, Pellenc, Gerando, Miollis, Ortoli, Norvins, Hédouville aux Archives nationales et aux Archives des affaires étrangères que j'aurai souvent l'occasion de citer.

[39] Tournon à sa mère, 18 janvier 1813 (Papiers inédits) ; Alquier, 20 juillet 1807, Archives des affaires étrangères, Rome, 940, fol. 93. Cette lettre est très importante : elle est bourrée d'illusions, un feu d'artifice de prévisions éblouissantes sur le réveil des Romains ; Napoléon la lut. Tout le monde ne pensait pas de même. Miot entendant parler de la régénération des Romains, écrit dédaigneusement : Je ne croyais pas aux miracles, t. I, p. 191. Il constituait une exception.

[40] LOUIS MADELIN, Médicis et Valois, Minerva, 1er avril 1903.

[41] LOUIS MADELIN, Pie VI et la première coalition, Revue historique, LXXI, 1902.

[42] Note de 1808, AF IV 1716. C'est, en 1808, le style de 1793.

[43] Dupaty contemple avec tristesse une obélisque antique où se lit : S. P. Q. R. et immédiatement : Urbanus Pontifex maximus... Monstrueux rapprochement. Combien de siècles il étouffe ! t. I, p. 293.

[44] Tournon n'a de doutes qu'après un an de gouvernement. Il déterre le Forum. Mais nous ne lui rendons pas ses Camille, ses Cicéron, ses Gracques. (A ses parents, 17 novembre 1810.)

[45] D'ailleurs on n'évoque les glorieuses ombres que pour les humilier devant Napoléon.

Et qu'à l'espect d'un plus grand homme, Trajan abaisse ses lauriers, écrit Fontanes, Ode sur les embellissements de Paris.

[46] Etablir un régime tout tait contraire aux habitudes, fondé sur l'exactitude et l'activité, Tournon à sa famille, 11 février 1810 (papiers inédits).