FOUCHÉ (1759-1820)

DEUXIÈME PARTIE. — LE MINISTRE FOUCHÉ (1799-1810)

 

CHAPITRE XI. — CONTRE LA RÉACTION.

 

 

Dangers qu'offre la pacification de l'Ouest. Les royalistes vont chercher d'autres voies. Inconvénients de la rentrée des émigrés. Fouché rassure à ce sujet les acquéreurs de biens nationaux. Il prend une attitude beaucoup plus hostile aux émigrés et aux royalistes. — L'agence anglaise de Paris. Surveillance étroite des relations entre Paris et Londres. Fouché se rapproche des Jacobins par crainte de la réaction. Le parti réacteur très hostile à Fouché. La découverte du complot le met à l'abri des récriminations. — Faveur marquée de Fouché près de Bonaparte. Fausse nouvelle à Paris d'une défaite du Premier Consul à Marengo : agitation générale : rôle incertain de Fouché. Bonaparte reste défiant. — Premières relations de Fouché avec le clergé : Fouché pratique sévèrement la politique de la neutralité. Il protège le clergé constitutionnel. L'évêque Périer. Ses relations avec Fouché. Lutte contre les premiers projets de Concordat. — Le parti réacteur redouble dès lors ses attaques. L'affaire Clément de Ris. Fouché échappe aux conséquences de cette affaire. On veut le compromettre grâce au complot Arena. — Fouché protège les républicains, mais en sacrifie quelques-uns à sa fortune. Fouché, d'autre part, ménage une partie des éléments de droite en reprenant dans la question des émigrés une attitude pacificatrice. Ses idées à ce sujet. Le rapport de Fouché. — La lutte s'engage entre Fouché et Lucien Bonaparte : tout le parti tente contre Fouché une nouvelle attaque. L'incident du Parallèle. Fouché bat Lucien et le fait disgracier. — Le parti hostile continue la lutte. La machine infernale. Déchainement contre Fouché et ses amis. Fouché brave l'orage et sort victorieux de cette épreuve. Heureuses conséquences de cette affaire pour le ministre. — Il continue à lutter contre la politique d'union avec l'Église romaine. Le Concordat conclu, il se montre extrêmement rigoureux envers le nouveau clergé. — Sur un autre terrain, il pratique une politique conciliatrice : il provoque l'amnistie des émigrés. Efforts persévérants pour que la mesure tourne à son avantage. — Il veille aussi à ce que l'esprit de la Révolution n'en pâtisse point. — Il reste en bonnes relations avec le parti aristocratique. Les royalistes commencent à songer à Fouché.

 

Le danger que présentait la pacification, maintenant consommée, des provinces de l'Ouest, ne pouvait échapper au vigilant homme d'État. Il était clair que, privés de tout espoir de restauration pacifique et légale avec l'appui de Bonaparte, et d'autre part de toute espérance d'insurrections provinciales, les royalistes allaient se tourner vers d'autres solutions : le ministre en entrevoyait deux : la reconquête de la France par la rentrée en masse de l'aristocratie terrienne, et la reconquête du pouvoir par la conspiration installée en plein Paris. Fouché voit, dès 1800, se dessiner ces deux mouvements : ils lui imposent une nouvelle politique et un revirement peu favorable aux éléments de droite. Il est visible, dès nivôse an VIII, que Fouché vient, jusqu'à nouvel ordre, de changer une fois de plus son fusil d'épaule. C'est surtout dans la question des émigrés que la volte-face est manifeste.

C'est que le ministre ne voyait pas sans crainte les émigrés se faire recéder par les particuliers ou restituer par l'État les biens dont la possession pouvait faire de ces proscrits de la veille les maîtres du lendemain[1]. C'est donc un légitime sentiment de crainte qui inspira, dès nivôse an VIII, les déclarations très nettes qu'il adressait au pays par-dessus la tête de ses fonctionnaires. Dans une circulaire aux commissaires du gouvernement près les administrations centrales, en date du 17 nivôse, Fouché déclarait que si le gouvernement avait brisé les tables de proscriptions, il n'avait voulu ouvrir les portes de la République qu'aux hommes qui n'eussent jamais dei perdre les droits de citoyens, mais qu'elles restaient irrévocablement fermées pour les traîtres et les parricides. — Leur présence au sein de la patrie, ajoutait le ministre, enfanterait de nouveaux malheurs, de nouveaux bouleversements. Il prescrivait donc de veiller à ce que, seuls, rentrassent ceux qui en avaient obtenu l'autorisation expresse, et il concluait : La clémence est une vertu, mais la faiblesse est un vice qui compromet la garantie sociale : elle est un crime quand elle s'exerce aux dépens de la sécurité publique[2].

Quelques jours après, le 22 nivôse, dans une circulaire adressée aux administrations centrales, il s'exprimait plus énergiquement encore sur les intentions du gouvernement, qui, en faisant cesser les proscriptions, n'a pas voulu donner de nouveaux dangers à la patrie. — Il a séché les larmes des familles en y rappelant des hommes qui, dans le lieu de leur exil, n'ont pas cessé de l'aimer et d'en parler avec orgueil, mais il en ferme plus rigoureusement l'entrée à ceux qui voulurent ramener parmi nous les vengeances et les servitudes de la royauté. Ceux-là ne reviendront pas non plus souiller le sol de la République, qui, à une certaine époque de la Révolution, voulurent faire du retour à l'ordre une réaction sanglante...[3] Enfin, le 7 germinal, il protestait contre le bruit qu'on faisait courir que les émigrés rentraient sans obstacle sur le territoire français et s'y rétablissaient sans inquiétudes, et il affirmait qu'il n'y avait point d'amnistie pour les émigrés. — Rien, déclarait encore Fouché, rien ne sera fait contre les intérêts de la République : rien ne sera fait pour les émigrés[4]. Quelques jours après il passait aux actes, se faisant accorder le 19 germinal l'autorisation d'expulser individuellement les émigrés qui, restés sur le sol de la République, ne s'étaient pas fait rayer des listes[5] : et il prescrivait, le 24, aux préfets, l'exécution de cette mesure[6]. Quant aux émigrés autorisés à rentrer, il se faisait décerner en messidor la surveillance de leur conduite, se basant sur ce que ces revenants tentaient contre les acquéreurs de leurs biens confisqués des revendications qui semaient le trouble et l'inquiétude dans une classe de gens foncièrement dévoués à la Révolution et à la République[7]. C'était pour réprimer ces abus que Fouché exigeait des mesures que le Premier Consul trouvait encore insuffisantes, puisque, dans sa lettre du 26 messidor an VIII, celui-ci demandait purement et simplement à son ministre un projet d'arrêté maintenant définitivement, sur les listes de l'émigration, tous les émigrés qui n'avaient point réclamé avant le 4 nivôse[8].

Aussi bien, à cette époque, la rigueur que le Premier Consul et son ministre de la Police semblaient d'accord pour pratiquer envers les émigrés était justifiée par la découverte d'une conspiration royaliste, menée à Paris même par un groupe de partisans, qualifié plus tard par Fouché d'agence anglaise. Elle ne fut découverte qu'en pluviôse an VIII, mais depuis quelques semaines le ministre en avait saisi plus d'un fil. Un aventurier politique, Duperou, deux prêtres, Ratel et Godard, le comte de Chenolle, un prétendu chevalier Joubert, l'ex-député fructidorisé Larue et son beau-frère, le fougueux royaliste Hyde de Neuville, avaient établi à Paris une agence royaliste dont le chevalier de Coigny, représentant le roi, était le chef nominal. Duperou, ancien ami de Danton, ensuite employé par les polices de la République, était devenu le chef d'une contre-police fort active, bien renseignée : lié avec tous les partis et ayant des intelligences au quai Voltaire, il tenait l'agence au courant des projets du gouvernement, et il était ainsi loisible aux conspirateurs de choisir le jour et l'heure où ils pouvaient agir. L'abbé Ratel, un dangereux intrigant, transmettait à l'agence les dépêches de l'Angleterre, tandis que l'abbé Godard faisait une propagande royaliste active et incessante. L'homme d'action du comité était cependant le chevalier Joubert ; son projet était, à un moment donné, d'enlever Bonaparte et probablement de l'assassiner.

C'est ce qu'on appelait, dans la correspondance à mots couverts, le coup essentiel. La petite armée, commandée par Joubert et composée de douze hommes payés trois livres par jour, devait exécuter le coup essentiel sur la route de la Malmaison. Le grand agent enfin de la contre-révolution était Hyde de Neuville, qui, le coup fait, devait essayer de s'emparer du pouvoir au profit du roi. Il était en Angleterre au printemps de 1800 ; Fouché n'attendit pas son retour pour frapper. Il connaissait l'existence de l'agence dès pluviôse an VIII[9], savait le rôle destiné à Joubert, n'ignorait pas que l'agence correspondait avec le comte d'Artois et le gouvernement anglais, que Georges Cadoudal, de Londres, excitait celui-ci à agir, et que la conspiration avait ses fils en Europe, puisque le marquis de Rivière courait alors de Londres à Vienne, pour avertir les agents royalistes du coup qui se préparait. Fouché attendit : d'une part il espérait faire une rafle plus complète, d'autre part l'affaire compromettait le chevalier de Coigny, un vieil ami de Joséphine qu'il voulait ménager. Enfin Bour. mont, qui jouait à Paris un rôle double et encore obscur, avait, en échange de quelques renseignements, obtenu du ministre la promesse que Joubert, son ami, serait épargné. Il n'en fut rien. En floréal, Fouché, disposé à frapper les royalistes, dévoila tout, adressa aux Consuls un rapport qui fut imprimé au Moniteur le 15 floréal an VIII, et fit arrêter le chevalier de Coigny et le chevalier Joubert, qui fut peu après fusillé. Le dépouillement des papiers de l'agence montra tout un plan de contre-révolution : les princes devaient débarquer sur les côtes : on comptait leur livrer Brest ; Bonaparte aurait été enlevé le jour même, et des courriers envoyés à toute la France pour lui apprendre la proclamation de Louis XVIII ; plus pratiquement, l'agence avait organisé le pillage des diligences et de maisons possédées par les acquéreurs de biens nationaux[10].

Le chevalier Joubert ne fut pas la seule victime : Fouché parut de plus en plus disposé à enrayer la politique de bienveillance envers les royalistes. Outre les mesures rigoureuses qu'il prenait ou inspirait contre les émigrés rentrés indûment, il établissait précisément à cette époque à Boulogne cette surveillance étroite qu'il confiait au terrible Mengaud, bientôt l'effroi des royalistes[11]. Et le ministre avait raison de veiller, car à cette époque Georges Cadoudal, exaspéré par l'échec de l'agence anglaise, rêvait de jeter dans Paris ses plus audacieux chouans pour y renouveler le coup essentiel, et allait y réussir.

Ce n'était pas seulement par une sévérité toute nouvelle envers les éléments de droite que se traduisait le mécontentement et l'inquiétude de Fouché[12]. Il semblait dès lors assez disposé à reprendre son rôle de représentant au pouvoir du parti républicain et révolutionnaire[13]. C'était encore à cette époque qu'il faisait signer au Premier Consul la mise en liberté des derniers débris de ce malheureux parti babouviste qui pourrissaient dans les cachots depuis quatre ans[14]. Il se montrait d'autre part fort hostile à toute mesure contre les anciens terroristes, les anarchistes, comme les appelait Bonaparte, et avait à ce sujet d'assez âpres discussions avec le Premier Consul[15].

Cette faveur ostensiblement accordée aux Jacobins et dont les causes secrètes échappaient au monde politique — on était au printemps 1800, et l'affaire de l'agence anglaise restait connue du seul Fouché —, exaspérait le parti de la réaction, qui, depuis quelques semaines, trouvait décidément aussi gênante qu'odieuse la personnalité du régicide. Ce parti s'était, faute de mieux, groupé derrière Lucien Bonaparte, alors ministre de l'Intérieur, qui poussait à cette époque son frère à la dictature à vie, seule garantie, disait-il volontiers, de la stabilité et par conséquent de l'efficacité des institutions consulaires. Dans la pensée que l'organisation d'un consulat à vie acheminerait le vainqueur de Rivoli vers une restauration plus complète de l'ordre et peut-être vers une réaction plus prononcée, la coterie avait emboîté le pas derrière Lucien, qui, subissant bientôt son influence, entra en hostilité ouverte avec le ministre de la Police, adversaire dès cette époque d'une dictature à vie et de tout changement dans les institutions. C'était ce parti qu'il avait visé dans sa circulaire du 7 nivôse, et on ne le lui pardonnait pas. On espérait que Bonaparte, qui se préparait à partir pour l'Italie, où l'attendaient les Autrichiens, se débarrasserait auparavant d'un compromettant conseiller, qui semblait du reste, à certains indices, ne plus jouir de toute sa confiance. C'est pourquoi Fouché avait cru devoir, quelques jours avant le départ du chef du gouvernement, découvrir officiellement la conspiration qu'il tenait en réserve depuis quelques semaines. Il avait eu soin, dans son rapport, de faire ressortir l'importance du complot étouffé et du service qu'il avait rendu à l'État, à la République et au Premier Consul personnellement menacé[16].

Le rapport arrivait à point. Les adversaires de Fouché crurent prudent de remettre à plus tard leurs accusations et leurs démarches. L'homme paraissait encore utile. On le garda. Bonaparte au fond tenait peu à s'en débarrasser. Il estimait ses travaux et ses talents, tout en se défiant, sans s'en cacher, de ses intrigues.

Cette défiance même sembla s'évanouir devant la découverte du complot royaliste ; la confiance de Bonaparte parut à cette époque singulièrement grandir dans l'homme qu'en partant, le 6 mai 1800, il laissait à la tête de la police générale. On en a une preuve suffisante dans les lettres que, de son quartier général, le Premier Consul expédiait à son ministre. Le 14 floréal il le félicitait chaudement des mesures qu'il prenait pour maintenir la tranquillité dans la grande ville : Ma reconnaissance pour tous les services que vous avez rendus à la République, a été encore augmentée par la découverte du comité anglais, écrivait le chef du gouvernement[17]. Et quelques jours après, informé de la campagne que le parti réacteur menait contre le ministre : La réponse à toutes les intrigues, à toutes les cabales, à toutes les dénonciations, disait-il le 4 prairial (24 mai), sera toujours celle-ci : c'est que, pendant le mois que j'aurai été absent, Paris aura été parfaitement tranquille. Après de tels services, on est au-dessus de la calomnie, et auprès de moi cette épreuve n'était pas nécessaire et ne peut rien ajouter à la confiance entière que j'ai en vous. Il déclarait que, dans l'établissement d'une bonne police, il voyait avec plaisir Fouché faire toujours des pas de géant. — Deux ou trois découvertes comme le comité anglais, ajoutait-il, et vous aurez dans l'histoire du temps un rôle honorable et beau[18].

Que faire contre un ministre qui recevait et certainement ne gardait pas dans son portefeuille d'aussi éclatants satisfécits ? Les adversaires parurent découragés : Talleyrand se rapprocha du favori. En réalité, Bonaparte tenait à rassurer le ministre sur le sort qu'on lui réservait après la campagne. Il importait en effet que Fouché crût à la confiance de Bonaparte et s'attachât par conséquent à sa fortune. De fait, les précautions de Bonaparte se comprenaient assez. Fouché était alors fort puissant, ayant un pied dans tous les camps. La découverte du complot d'Hyde de Neuville lui avait concilié beaucoup de partisans du régime existant et lui avait valu, à défaut de leur sympathie, leur réelle admiration. Mais là n'était pas sa force : elle résidait dans ses relations cordiales parfois, toujours bonnes avec les partis d'opposition : on voyait chez lui Tallien, Barère, Mahée, jacobins irréductibles qui lui servaient au besoin d'intermédiaires avec un parti, qu'à tort, le Premier Consul croyait très redoutable ; et, par un contraste piquant, on y rencontrait aussi des femmes de l'aristocratie mal ralliée, comme Mmes de Vaudémont et de Custine, des chouans comme Bourmont et Suzannet, des royalistes comme Malouet et Cazalès. En dehors de ces représentants des partis extrêmes dont s'entourait celui qu'on avait chargé de les réprimer au besoin, on voyait avec étonnement tous les éléments d'opposition sourde se grouper derrière le ministre. Mme de Staël, déjà fort mal avec les Tuileries, recevait Fouché, en était reçue, débitrice de plus d'une grace ; par elle le ministre tenait Benjamin Constant, le leader au Tribunat de l'opposition libérale au despotisme naissant. Celui qui, à côté de Constant, menait avec une certaine véhémence la lutte au Tribunat, Daunou, alors en fort mauvais termes avec le Premier Consul, était pour Fouché un vieil ami. Au Sénat, Sieyès, qui s'était enfermé dans une opposition boudeuse à Bonaparte, semblait par contre avoir oublié ses griefs contre le ministre qu'il voyait familièrement, tandis que l'Église constitutionnelle déjà menacée par les projets de Concordat se trouvait, par Grégoire et Perier, en relations assez étroites avec l'ancien ami de Chaumette[19]. De rudes soldats, assez hostiles en général aux politiciens, comme Lefebvre, vantaient sa fermeté, son adresse[20]. Les hommes d'État du régime prisaient ces précieuses qualités. Carnot, sans être intimement lié avec son ancien collègue de la Convention, Carnot, devenu ministre de la Guerre, était d'accord avec lui pour la conservation de l'esprit républicain au gouvernement[21]. Talleyrand lui-même ménageait son collègue[22], et Cambacérès, homme d'État sans initiative, que l'absence du Premier Consul faisait chef d u pouvoir exécutif, avait volontiers recours à ses lumières. Telle était la situation de cet homme, naguère compromis aux yeux de tous les partis par d'odieux souvenirs ou de récentes trahisons qu'il apparaissait maintenant aux uns comme le seul garant de l'esprit républicain, aux autres comme le plus précieux soutien du gouvernement consulaire, à tous, en cas où quelque événement se produirait, comme l'arbitre nécessaire de tous les partis. II ne dupait. personne en réalité. Cet attachement au Premier Consul était réel, mais subordonné aux circonstances : les derniers événements lui avaient donné une idée assez juste de l'audace du parti royaliste, sinon de sa force : il pensait que le régime ne valait que par l'homme, et l'homme lui-même par les succès dont il était auréolé. Atteint d'une balle ou d'un obus, comme Desaix l'allait être en plein champ de bataille, Bonaparte n'avait pas de successeur ; vivant mais vaincu (les meilleurs généraux de la République s'étaient fait battre en Italie), Bonaparte amoindri n'avait plus ni le prestige nécessaire, ni la force de jouer le rôle auquel on le destinait. Sa succession était donc éventuellement ouverte. Dès l'an VIII, Fouché envisageait ces deux hypothèses comme il le fit plus tard à la veille de chaque campagne, à la veille d'Austerlitz, d'Iéna, d'Eylau, de Somo-Sierra, de Wagram et de Moscou. Ajoutons qu'il n'était pas le seul à juger de la sorte la situation. Plus d'un homme d'État pensait de même, et chaque parti attendait avec impatience les nouvelles d'Italie où la bataille était imminente, et s'apprêtait, si elle était perdue, à installer les siens aux Tuileries.

Les choses en étaient là, quand le 20 juin deux courriers arrivaient avec les nouvelles de l'armée, apprenant que le 14 juin le Premier Consul avait été battu dans les plaines de Marengo, et que Bonaparte était en retraite ; la partie était perdue.

Quels étaient réellement les projets de Fouché, et quel fut son rôle dans ces circonstances, rien n'est moins éclairci. Pas de chapitre de la vie de Fouché qui soit plus complètement obscur. On a dit que, pendant que Joseph Bonaparte lui-même s'associait La Fayette et Carnot, Fouché avait alors préparé la formation d'un triumvirat avec Talleyrand et le sénateur Clément de Ris, qui eût joué dans cette étrange association les Crassus et les Lépide. La duchesse d'Abrantès et Hyde de Neuville l'ont dit, Balzac et M. Frédéric Masson après eux ; les papiers de Lucien semblent autoriser l'hypothèse[23].

Le bruit en courut, mais seulement à la suite de mystérieux incidents arrivés postérieurement et sur lesquels nous aurons à revenir. Pas un mémoire contemporain, à part ceux que nous venons de citer, ne nous éclaire sur ce point ; pas un document, pas une pièce. On a tout détruit, fait l'obscurité ; Clément de Ris aurait eu des papiers, on les lui aurait repris, sans doute dans la farce tragi-comique que nous verrons se jouer quelques mois après. Dans les Mémoires de Fouché, pas un mot de cette conspiration, et la chose a lieu de nous étonner, si jamais il y eut réellement conspiration ou tentative. Le confident de Fouché qui a fourni les matériaux de ses Mémoires ne reculerait certainement pas devant la révélation d'un complot ourdi par le ministre contre Bonaparte. Il raconte avec tranquillité bien d'autres trahisons et surtout celles qui défendent Fouché (le tout attachement réel à Napoléon. Or ce confident bien informé attribue au contraire à Fouché un loyalisme d'autant plus méritoire qu'il parait avoir été sollicité par tous en cette journée du 20 juin. Il aurait, au milieu de la démoralisation générale et des intrigues de tous, relevé le courage abattu des deux consuls, repoussé les requêtes factieuses de ceux qui voulaient pousser Carnot au pouvoir, soutenu qu'il y avait à coup sûr exagération dans les nouvelles et dit à tous : Attendez ; surtout point de légèreté, point d'imprudence, point de propos envenimés et rien d'ostensible ni d'hostile[24].

Le lendemain on apprit que, perdue jusqu'à cinq heures, la bataille avait été gagnée après, et que Bonaparte vainqueur se trouvait maitre de la Lombardie. On le revit deux semaines après. Il parut sombre et irrité, et, quoiqu'il prit Carnot comme bouc émissaire, sembla fort soupçonneux au sujet de la conduite de Fouché. Celui-ci se disculpa, mais sans obtenir le retour complet à cette absolue confiance dont quelques semaines avant Bonaparte lui prodiguait les témoignages[25].

***

Dès lors les adversaires du ministre relevèrent la tête, et la lutte s'engagea entre l'homme des jacobins et la faction réactrice groupée derrière Lucien. La querelle devenait d'autant plus aigre qu'elle se compliquait à cette heure de discussions sur la politique religieuse où Fouché avait pris assez nettement position.

Il se trouvait de fait en relations assez cordiales avec le clergé constitutionnel, jadis si âprement persécuté par lui à Nevers et à Moulins. Fouché, peu favorable au rétablissement de l'Église romaine, qu'il prévoyait hostile à la Révolution, se trouvait ainsi rapproché des amis de Grégoire. Le concordat avec Rome était un des articles du programme de réaction, et il jugeait utile de s'assurer l'appui des adversaires naturels du catholicisme romain, les membres du clergé constitutionnel. C'était dans un style fort conciliant, qu'au lendemain de brumaire, l'ex-oratorien avait adressé aux évêques de l'Église constitutionnelle de France une circulaire qui fit grande sensation. L'ancien ami de Chaumette déplorait les persécutions inutiles de 1794, mais ajoutait, non sans onction, que, dans leurs malheurs personnels, les évêques, s'ils avaient la foi qu'ils prêchaient, avaient une grande consolation, celle de voir leur culte ramené à ce qui a toujours relevé les puissances qui déclinent, aux principes de son institution. Puis, excitant les prêtres à l'obéissance, il déclarait que s'il était un culte qui dût recevoir une protection particulière, ce serait celui qui servirait le mieux la République. Le gouvernement, ajoutait-il, ne veut pas accorder de privilèges, mais il veut reconnaître des services. Il faisait entendre des paroles sévères pour quiconque abuserait du pouvoir spirituel pour faire pièce au gouvernement. Songez-y, ajoutait le ministre. C'est en vain qu'on tiendrait un langage différent dans les prédications qui sont entendues et dans les confessions qui sont secrètes : le secret de vos inspirations dans ce tribunal où vous disposez des âmes sera révélé par les dispositions des âmes que vous dirigez et que vous formez[26]. C'était joindre une fermeté quelque peu autoritaire à l'onction du début. Du reste, toujours désireux d'une universelle autorité, il avait recommandé par une circulaire aux préfets la modération et la tolérance pour tous les cultes. Que les temples de toutes les religions soient ouverts, que toutes les consciences soient libres, que tous les cultes soient également respectés ; mais que leurs autels s'élèvent paisiblement à côté de ceux de la patrie, et que la première des vertus publiques, l'amour de l'ordre, préside à toutes les cérémonies, inspire tous les discours et dirige tous les esprits[27].

Au fond, toute sa bienveillance allait aux amis de Grégoire qu'il n'hésitait pas à protéger toujours très efficacement contre leurs concurrents insermentés, donnant, dès prairial an VIII, aux préfets l'ordre formel de maintenir les premiers dans l'exercice de leurs droits de curé contre les revendications de leurs rivaux, essayant même de faire attribuer aux constitutionnels de préférence aux réfractaires les cures vacantes[28], et, suivant l'expression de l'évêque d'Ille-et-Vilaine Le Coz, tt enhardissant ainsi le clergé constitutionnel à son déclin[29]. Il était en relations constantes avec l'évêque de Clermont, Périer, son ancien professeur de l'Oratoire, et en avait fait son agent actif près du clergé constitutionnel dont, dès 1800, il dirigeait, par l'intermédiaire de cet ancien oratorien, la résistance aux projets de concordat avec Rome[30]. Grâce à ces circonstances, l'ancien séide de la Raison apparaissait, dès la fin de l'an VIII, comme le protecteur de l'Église de la Révolution contre les partisans du retour à l'Église romaine[31].

Cette attitude surexcitait vivement la haine du parti réacteur contre le ministre : certains publicistes catholiques comme l'abbé de Boulogne, devenu dès lors le constant adversaire de Fouché, unissaient leurs efforts à ceux de Lucien et de Rœderer, pour pousser le Premier Consul à se débarrasser de ce jacobin impénitent.

Un événement vint servir d'aliment à ces attaques, mais tourna néanmoins une fois de plus au profit du ministre : ce fut l'affaire de Clément de Ris. Cette mystérieuse affaire, qui a fourni à Balzac le thème d'un de ses plus célèbres romans, reste fort obscure : elle a été, dans tous ses détails, racontée et commentée ailleurs[32]. Qu'il suffise de rappeler pour l'intelligence du récit que, le 2 vendémiaire an IX (23 septembre 1800), le sénateur Clément de Ris fut, dans son château de Beauvais, en pleine Touraine, au beau milieu du jour, enlevé par six brigands, déguisés en hussards, qui entraînèrent ce personnage important dans une cache longtemps ignorée. Le tollé contre la police fut général : l'opinion accusa les chouans, et Fouché, gêné, disait-il, par la crainte de compromettre à jamais la liberté et la vie du sénateur, dut agir avec des précautions qu'on prit pour des ménagements suspects. Les uns accusaient hardiment le ministre d'avoir purement et simplement fait enlever Clément de Ris, dont le seul tort était, disait-on, d'avoir été le confident de Fouché en juin 1800. D'autres s'exclamaient simplement sur la singulière façon dont cette fameuse police savait protéger, au cœur de la France, les hommes les plus en vue. On ne voulut même pas lui laisser le temps, les uns disaient de consommer sa comédie, les autres de réparer sa négligence. L'aide de camp du Premier Consul, Savary, qui, dès cette époque, était contre Fouché l'homme à tout faire de la coterie adverse, reçut l'ordre de se rendre en Touraine pour y faire une enquête clandestine. Elle établit que Clément de fis avait été enlevé pour être rançonné, et qu'on se trouvait en présence d'un acte, audacieux et rare, de simple brigandage. Savary rentra à Paris sans avoir rien surpris des étranges intrigues que l'imagination des adversaires de Fouché forgeait de toutes pièces[33]. Quant au ministre, désireux de ne pas user de violence, il avait eu recours aux anciens chouans de la bande de Bourmont, transformés en agents intermittents de la police. Quatre de ces anciens chouans parurent le 10 octobre à Loches porteurs d'une lettre de Fouché, et, la nuit suivante, Clément de Ris était aussi mystérieusement délivré qu'il avait été mystérieusement enlevé. Quelque temps après, à la suite d'une instruction dont la sincérité laissa des doutes dans plus d'un esprit, une poignée de malheureux furent arrêtés, traduits devant les tribunaux, condamnés et exécutés. Ce jugement très discuté et que, même à l'heure présente, rien n'est venu formellement justifier, achève de faire de cet enlèvement une ténébreuse affaire et exposa Fouché à un nouveau déchaînement[34].

Il répondit à cette attaque par la voie du Moniteur. Le 30 vendémiaire an IX, le journal officiel publiait une apologie sans restriction de la conduite du ministre dans ces circonstances difficiles. Dans cette affaire, disait l'organe du gouvernement, le ministre de la Police a montré autant de sagacité que de zèle. C'est un bel emploi du talent de la part d'un magistrat que celui qui a pour but de déjouer les brigands et de sauver les jours d'un citoyen aussi précieux à la patrie que le sénateur Clément de Ris. A certaines gens la note partit le comble de la mystification[35].

Il était clair cependant que cette apologie n'avait pas été insérée sans l'autorisation du chef du gouvernement. Elle imposait, en ce qui concerne l'affaire Clément de Bis, silence aux accusations. Mais celles-ci se portaient maintenant sur un autre objet.

On avait dénoncé dans les premiers jours d'octobre aux Tuileries un complot républicain. Le complot était-il réel ? Fouché le nia toujours. Quelques vagues menaces habilement exploitées, quelques rancunes peut-être exaspérées par des agents provocateurs de la police particulière de Bonaparte, voilà ce qui constitua cette conspiration Arena-Ceracchi dont l'exaspération de Bonaparte fit un événement. Celui-ci fut perfidement averti : il crut prendre son ministre en flagrant délit de négligence[36]. Fouché en haussait les épaules : il connaissait depuis longtemps ce complot ; mais puisqu'on en voulait un, on en eut un. La police fit tomber dans un piège les malheureux qui, le 19 vendémiaire (10 octobre), furent saisis à l'Opéra porteurs de poignards. C'étaient des républicains besogneux et aigris, le peintre Topino Lebrun, Arena, Ceracchi, Demerville, ancien commis du Comité de salut public. On fit grand bruit de ce complot[37]. I3onaparte s'emporta, sincèrement ou non, contre ces revenants de septembre, voulut qu'ils fussent un parti dangereux. A entendre certains réacteurs, on eût dit qu'on avait failli voir ressusciter Marat, Santerre ou le Père Duchesne.

Fouché, résigné, n'ayant pu empêcher tout ce tapage, s'attribua tranquillement, dans un rapport au Moniteur, le mérite d'une découverte au fond dirigée contre lui (4 brumaire, 24 octobre), stupéfiant et désarçonnant ses adversaires par son cynisme, et rappelant habilement, à propos de ce complot républicain, les menées récentes et la plus méritoire répression de l'agence anglo-royaliste[38]. C'était néanmoins une circonstance désagréable pour le représentant des idées jacobines que cette agitation, exagérée par l'opinion, mais réellement existante, du parti anarchiste. Quelques semaines après l'échec du complot Arena, Fouché en découvrit un plus sérieux, attribué par lui-même aux républicains : le jacobin Chevalier fut, le 18 brumaire an IX (8 novembre), arrêté au moment où il fabriquait une machine infernale. Cette fois, tout le mérite de la découverte revenait à Fouché, qui crut devoir donner ainsi une preuve non seulement de sa vigilance, mais aussi de son indépendance vis-à-vis du parti jacobin[39].

Au surplus il continuait à protester que tout cela n'était rien, que jamais la République n'avait été plus tranquille, faisant vanter notamment pendant tout vendémiaire et tout brumaire an IX, par des notes au Moniteur, la parfaite tranquillité de la Bretagne, de la Vendée, de Bordeaux et du Midi[40]. Et de fait, jusqu'à nouvel ordre, le parti royaliste paraissait décidément annihilé ou apaisé. Le ministre, toujours attentif, du reste, à suivre de loin ou de près les mouvements de l'opinion, alors plus favorable aux éléments de droite, parut revenir à la politique de ses premiers mois de ministère. Il venait, le 5 brumaire an VIII, de créer les commissaires généraux de police, et, cette institution complétant l'organisation de la police générale, il pouvait décidément admettre la rentrée des émigrés, satisfaction désormais sans danger à l'humanité et à la politique. Les demandes de radiation continuaient à affluer : le ministre de la Police avait été vainement déchargé de la lourde prérogative de les accueillir ou de les rejeter ; c'était toujours à Fouché et à ses employés qu'on s'adressait. D'autre part, la rentrée des émigrés, mal organisée, mal surveillée, donnait lieu à des abus monstrueux ; certains employés délivraient moyennant finance de faux actes de radiation[41]. Le 16 brumaire, le ministre signalera cette immense manufacture de certificats d'attestation, de pièces justificatives dont l'imposture faisait un si honteux trafic et sur lesquels la police était obligée de rendre des décisions[42]. Un autre abus était :que, plus que jamais, les autorisations régulières de rentrée s'obtenaient grâce à des protections puissantes, d'où de criantes inégalités aux dépens d'humbles émigrés, souvent plus méritants que les amis de tel général ou de tel sénateur. Enfin, sans autorisation ni régulière ni irrégulière, la masse des émigrés débordait sur la France : comment surveiller le mouvement de plus de cent mille personnes[43] ? La police impuissante laissait violer la loi, quitte à l'appliquer à certains individus trop compromis ou trop compromettants, arbitraire fâcheux dont personne ne pouvait se féliciter. Il fallait en finir, diminuer d'une façon considérable cette liste fantastique, en réparer les erreurs, en corriger les injustices, et créer enfin des catégories qui permissent de faire rentrer légalement ceux qui y seraient compris et de fermer régulièrement aux autres les portes du pays... jusqu'à une nouvelle amnistie partielle.

Si le rapport du ministre ne parut que le 29 vendémiaire an IX au Moniteur, il est clair que fort étudié, fort long et fort documenté, il était le fruit de longues méditations et d'un travail qui avait commencé au lendemain de Brumaire an VIII. Le ministre affirmait, du reste, que depuis longtemps il pensait qu'il était temps que le gouvernement d'une nation magnanime modifiât après la victoire les lois faites pendant la guerre, plus cruelles que la guerre même, disait le ministre, puisqu'elles confondaient ceux qui avaient déserté nos lois et ceux qui les avaient combattues, ceux qui avaient fui la liberté et ceux qui avaient fui la terreur, ceux enfin qui n'avaient été les ennemis que d'une faction et ceux qui avaient été les ennemis de la République. C'était indiquer en quelques mots les nuances qui existaient en effet dans les cent cinquante mille émigrés.

Fouché examinait et exposait la situation avec une extrême netteté. La liste des émigrés, telle qu'elle était imprimée, présentait une nomenclature de 145.000 individus et la répétition d'une multitude de noms : elle avait été formée de listes partielles, dressées par les autorités locales, que la Convention avait chargées de cette opération depuis le commencement de la Révolution. 11.200 émigrés avaient été rayés, dont 1.200 depuis le 10 brumaire. Le ministre estimait qu'il fallait tenir la main à ce qu'ils jouissent sans être inquiétés de leurs droits civils. Puis il signalait les catégories de citoyens dont le simple bon sens et l'équité exigeaient la radiation : les représentants, héritiers et enfants des émigrés compris d'une façon absurde dans la loi de proscription, les artisans et cultivateurs, gens trompés, égarés, mais ne pouvant être considérés comme de véritables émigrés, les femmes en puissance de mari au moment de l'émigration, les émigrés compris dans la capitulation de Malte, les gens rayés par les administrations locales et par la commission instituée à cet effet, enfin deux autres catégories de personnes inscrites par une anomalie monstrueuse : les prêtres déportés par l'effet des lois révolutionnaires et les malheureuses victimes des tribunaux révolutionnaires dont on réhabiliterait la mémoire et dont les biens seraient restitués aux héritiers[44].

Rien de plus lumineux, de plus pondéré, de plus humain que le long rapport dont nous donnons ici un résumé assez sec. Il parut tel aux consuls qui adoptèrent un arrêté dans le même sens[45]. Fouché, pendant tout cet an IX, fit remanier la liste officielle, dont 3.373 noms furent effacés[46]. Ces circonstances semblaient lui rendre l'appui de certains groupes dont il avait grand besoin ; car la lutte s'engageait décidément entre lui et Lucien.

Dès Brumaire, Lucien et Fouché s'étaient trouvés en présence. Les frères de Bonaparte le poussaient au divorce : Fouché en avait détourné le général, la stérilité de Joséphine lui paraissant une des meilleures garanties de la République. Très naturellement, il s'était rangé contre les frères du Premier Consul, dans le parti de sa femme[47]. Et la lutte avait commencé, si vive dès le début qu'en janvier 1800, on disait la scission entre le ministre de l'Intérieur et celui de la Police arrivée à son dernier degré de force[48]. L'agent auquel nous empruntons ce détail ajoutait, le 30 janvier : Lucien fait humainement tout ce qui dépend de lui pour ruiner dans l'esprit de son frère l'ascendant que Fouché a su se concilier. Lucien, dévoré par l'ambition la plus impérieuse, cherche, autant qu'il est en lui, à attacher au ministère de l'Intérieur la police départementale. D'après les données existantes, on pourrait, avec assez d'assurance, présumer que le résultat de cette lutte sera en faveur du ministre de la Police[49]. Fouché, en effet, avait un avantage, que signale l'agent de la contre-police. La porte du Premier Consul lui était ouverte à tout instant du jour et de la nuit, et ses bulletins de police s'imposaient avec une grande autorité à l'attention de Bonaparte[50]. On pense si le ministre de la Police se faisait faute de signaler dans ses rapports le luxe scandaleux, la dissolution des mœurs, les maladresses politiques de son collègue de l'Intérieur[51]. Il était arrivé, s'il faut l'en croire, à semer dans l'esprit du Premier Consul des méfiances qui allaient assez loin. Le ministre de la Police n'hésitait pas à parler même des conspirations auxquelles Lucien se serait trouvé mêlé (9 avril 1800)[52]. A l'affût de cette querelle, tous les adversaires de Fouché s'étaient alors groupés derrière le frère du Premier Consul, Élisa et Joseph Bonaparte, naturellement partisans, comme Lucien, de l'hérédité et adversaires de Joséphine, Fontanes, Fiévée, Portalis, Rœderer, Cretet, Chaptal, suppôts d'une coterie à laquelle, à tous les égards, le ministre jacobin était odieux. On avait gagné le préfet de police Dubois, jadis créature de Fouché, qui accusait, dans ses bulletins, le ministre de la Police d'entretenir les troubles de l'Ouest pour conserver son ministère et se rendre nécessaire, et de trahir sous main les républicains eux-mêmes et le gouvernement[53]. Talleyrand enfin, ministre des Relations extérieures, criblait de ses lazzi le ministre de la Police, contre lequel on lui connaissait une rivalité, pour ne pas dire une haine violente, s'il faut en croire un témoignage contemporain[54]. C'est cette camarilla toujours prête à attaquer le ministre de la police à tout propos, que Fouché cherchait depuis quelques mois à frapper dans son chef, quand l'occasion s'en présenta à la fin de l'année 1800[55].

A cette époque, la dernière conspiration jacobine d'Arena et Ceracchi avait donné lieu à une très vive agitation en faveur du Premier Consul, dont la vie, disait-on, avait été en danger. Et cette agitation avait paru une occasion excellente à la coterie césarienne pour enlever ce qui était depuis un an le but de tous les efforts, le titre et les attributions de consul à vie en faveur de Bonaparte. Celui-ci hésitant à s'engager dans l'aventure, on voulut lui forcer la main. C'est alors (novembre 1800) que parut le fameux Parallèle entre César, Cromwell, Monk et Bonaparte. Cette brochure avait été rédigée par Fontanes, l'écrivain de la coterie réactionnaire, mais directement inspirée par Lucien Bonaparte. Le Premier Consul y était adulé de la façon la plus plate, et comparé au seul César. Le ministre de l'Intérieur, inspirateur de ce que Fouché devait appeler un dangereux pamphlet, en fit par surcroit expédier des paquets à chaque préfet. La tentative était prématurée ; l'impression fut mauvaise. D'un coup d'œil le ministre en avait mesuré la portée, les conséquences possibles. Quoiqu'il sût que la brochure avait été soumise au Premier Consul, il n'hésita pas, fit saisir les ballots qui restaient à Paris, et se rendit aux Tuileries. Fontanes et Lucien y attendaient le réveil du Premier Consul ; le ministre de la Police, usant de la prérogative qui lui était accordée, pénétra avant eux chez le chef du gouvernement et lui peignit en termes énergiques le mal qu'allait faire le pamphlet et la réaction démagogique qu'il déchaînerait s'il n'était à temps désavoué ; après avoir obtenu du Premier Consul ce désaveu, il se retirait, lorsque, croisant Lucien dans l'antichambre, il crut pouvoir l'informer de sa démarche. Il y eut devant le Premier Consul une scène violente entre les deux ministres[56]. Lucien fut décidément jugé compromettant. Sa disgrâce n'était plus dès lors qu'une question de jours. Le soir même, profitant de sa victoire, le ministre de la police adressait aux préfets une courte et méprisante circulaire : Je vous charge, préfets, d'arrêter la distribution d'un pamphlet qui a pour titre : Parallèle entre Bonaparte, César, Cromwell et Monk. Je sais qu'il vous a été envoyé en très grande quantité, et que les auteurs de cette production ont prétendu, en vous l'adressant, vous en faire les distributeurs. Jugez-la comme elle mérite de l'être, comme le fruit d'une intrigue[57]. Adressée aux propres subordonnés du ministre de l'Intérieur, cette lettre le frappait d'un irrémédiable discrédit. Lucien devenait impossible. Joséphine, Moreau, furent employés à achever dans l'esprit du Premier Consul le malencontreux auteur du Parallèle qui, le lendemain, quitta le ministère et la France pour l'ambassade de Madrid. Fouché sortait victorieux de la lutte[58].

***

Carnot avait abandonné le portefeuille de la Guerre après la conspiration d'Arena ; Lucien forcé de quitter l'Intérieur, Talleyrand restait le seul rival de Fouché. Une lutte sourde s'engageait entre eux, le ministre de la Police tendant à son adversaire des pièges que l'ex-évêque d'Autun, plus habile que Lucien, évitait avec soin[59]. Aussi bien il avait d'autres adversaires : tous ses collègues du ministère le haïssaient[60].

L'organe du parti réacteur était Fiévée, qui, attaquant avec passion le ministre de la Police, était, au su de tous, le protégé et le conseiller de Rœderer, l'un des amis personnels du Premier Consul et des plus ardents partisans du césarisme[61].

C'était donc une coalition déjà redoutable que le secrétaire Bourrienne poussait perfidement, aux heures voulues, à l'assaut. La coterie était à craindre, flattant les instincts despotiques du Maitre, le poussant à la dictature et à la réaction, et attaquant près de lui les jacobins qu'il détestait. Elle avait un allié, Bourmont. Ce dernier, qui depuis un an trahissait les royalistes au profit de Fouché et celui-ci au profit de ses coreligionnaires, avait, par surcroît, entrepris de démolir près du Premier Consul le ministre, qu'un instant il s'était même vanté, comme Rœderer, de remplacer.

La disgrâce de Lucien, si elle avait débarrassé le ministre de la Police d'un dangereux adversaire, n'avait donc fait qu'exciter la coterie à préparer une revanche dont la situation toujours difficile d'un ministre de la Police devait lui fournir à coup sûr l'occasion. Celle-ci se produisit plus tôt qu'on ne s'y attendait.

Lucien avait quitté le ministère à la fin de brumaire an IX. Or, le 3 nivôse, cinq semaines après, le Premier Consul fut l'objet d'un des plus formidables attentats qui aient jamais été perpétrés contre un souverain : la célèbre machine infernale de la rue Saint-Nicaise. On sait les événements : tous les historiens de Napoléon se sont étendus sur des faits au sujet desquels ne plane, du reste, aucun mystère[62]. Il suffit donc de les résumer pour l'intelligence de ce qui suit. Le 3 nivôse (24 décembre 1800), au moment où le chef du gouvernement, se rendant à l'Opéra, passait dans la rue Saint-Nicaise, une épouvantable explosion se produisit. C'était une formidable machine infernale qui venait d'éclater, quelques secondes trop tard pour atteindre le but qu'on s'était proposé, car tandis que la voiture du Premier Consul se trouvait à moitié brisée, que des personnes de sa suite ou de simples passants tombaient morts ou mourants, le chef de l'État se trouvait sain et sauf. Il parut à l'Opéra et se retira presque aussitôt aux Tuileries, où il trouva Fouché en très mauvaise posture.

Celui-ci s'était rendu sur les lieux, puis s'était transporté au château, où il avait été plus que froidement accueilli : il s'élevait contre lui un tollé général que renforçaient à qui mieux mieux ses adversaires de la veille et ses ennemis personnels. L'attentat était l'œuvre des jacobins, on n'en pouvait douter. On y reconnaissait assez leur main, puisque, si peu de semaines avant, le jacobin Chevalier avait été surpris fabriquant une machine analogue. A cela, du reste, rien d'étonnant ; ces gens étaient protégés, soutenus, peu s'en fallait qu'on ne dit, poussés, par leur coreligionnaire politique, le ministre de la Police. Il fallait sévir contre ces misérables, mais on devait, avant tout, se débarrasser du dangereux ministre qui, chargé de les surveiller, les protégeait et les excitait[63]. Bonaparte arriva exalté par le calme même qu'il s'était imposé à l'Opéra. Alors eut lieu une scène terrible : le Premier Consul accusa en termes formels, violents, exaspérés, les jacobins de l'attentat, se répandit en menaces insensées, et comme quelques amis de Fouché — car lui restait silencieux et froid — essayaient d'insinuer, au milieu de la réprobation générale, qu'il s'agissait peut-être d'un coup de chouans, Bonaparte s'écria : On ne me fera pas prendre le change, il n'y a ici ni chouans ni émigrés, ni ci-devant nobles ni ci-devant prêtres. Je connais les auteurs, je saurai bien les atteindre et leur infliger un châtiment exemplaire[64]. Toute la nuit on donna comme certaine la destitution de Fouché.

Le lendemain en présence des corps de l'État accourus pour féliciter le Consul, le surlendemain au Conseil d'État auquel on demandait une loi de déportation contre les anciens terroristes, le Premier Consul s'emporta de nouveau en violentes sorties contre les revenants de septembre et de mai, et devant les hésitations des juristes du conseil, qui pourtant partageaient en grande partie son opinion, devant la courageuse résistance de l'amiral Truguet, s'écria une fais encore qu'on voulait lui donner le change, lui faire frapper des royalistes inoffensifs, qu'il n'y avait de menaçants que les septembriseurs[65] !

La situation de Fouché paraissait sans issue. Il était attaqué avec passion ; Bonaparte, qui ne disait mot de lui en public, se départait en petit comité de cette réserve, le rendant responsable des forfaits des jacobins. N'a-t-il pas été un de leurs chefs ? Ne sais-je pas ce qu'il a fait à Lyon et à la Loire (sic) ? Et bien, c'est la Loire et Lyon qui m'expliquent la conduite de Fouché[66]. Aux Tuileries, au conseil d'État, courtisans, ministres, hauts fonctionnaires accusaient violemment Fouché. Ses ennemis jetaient le masque : Rœderer s'écriait : Je me déclare officiellement l'ennemi de Fouché. Ce sont ses liaisons avec les terroristes, les ménagements qu'il a toujours pour eux et les places qu'il leur a données qui les ont encouragés à commettre cet attentat ! Et le 6, dans la deuxième séance du conseil d'État délibérant sur la loi des suspects qu'on exigeait de lui, on vit Rœderer essayer de faire signer à ses collègues une déclaration dans laquelle, attribuant à la politique de Fouché l'attentat du 3, ils eussent demandé au Premier Consul la destitution du ministre[67].

Le déchaînement de l'opinion n'était pas moindre. Les préfets des départements chargeaient les jacobins[68]. Partisans du Premier Consul et royalistes se coalisaient pour les accabler. Bourmont vint au quai Voltaire offrir d'armer contre eux ses vieux chouans. Fouché refusa avec un sourire, car il méditait précisément de faire arrêter l'ancien chef vendéen lui-même[69].

Au milieu de l'émoi général, cet homme flegmatique restait d'un calme qui exaspérait et étonnait ses adversaires. Sa situation était horriblement fausse : on ne le consultait plus, c'est à peine si on le prévenait des réunions du conseil ; on parlait devant lui de sa responsabilité, de ses torts, de sa chute imminente. Lui, parfois, souriait, narquois, ou dédaigneux[70]. Il laissait à quelques amis le soin de le défendre ; Joséphine le faisait avec ardeur, presque seule, du reste[71]. D'autres l'excitaient â se disculper, à renier les jacobins[72]. Il pensait à bien autre chose : Laissez dire... je ne veux pas compromettre la sûreté de l'État... je parlerai quand il sera temps... rira bien qui rira le dernier[73].

De fait, s'il était une chose certaine pour lui, c'est que ces fameux jacobins, objet de tant de colères, n'étaient pour rien dans l'attentat. Les royalistes seuls avaient fait le coup.

A la suite de l'échec complet du comité anglais, en octobre 1800, Georges avait jeté en France ses plus audacieux sicaires ; tandis qu'en Bretagne, certains d'entre eux se distinguaient par l'assassinat de l'évêque constitutionnel de Quimper, ancien conventionnel régicide, Audrein[74], d'autres avaient gagné Paris ; c'étaient Limoëlan et Saint-Régent. Fouché n'avait pas été négligent : à peine débarqués, ces deux chouans avaient été filés, surveillés, puis soudain perdus de vue par la maladresse de deux agents et la perspicacité même de Saint-Régent qui s'était débarrassé d'un espion en le faisant tuer. Ils avaient alors préparé, exécuté le coup de la rue Saint-Nicaise et se cachaient dans Paris. Fouché était si sûr de leur présence que, le 13 nivôse, il les signalait à Dubois. Pour le ministre il n'y avait pas l'ombre d'un doute : Saint-Régent préparait son coup dès novembre, c'était lui qui l'avait fait. Mais comment contredire ses adversaires et les convaincre d'erreur sans donner des noms, et comment les livrer sans donner l'éveil aux coupables ? C'est ce sentiment qui explique ce langage mystérieux que faisait entendre Fouché lorsqu'il se décidait à parler. Pour lui tout se confirmait. Pendant qu'aux Tuileries et au conseil d'État, on fabriquait des lois de circonstance contre les terroristes et qu'on épiloguait à perte de vue sur la disgrâce du ministre, pendant que le préfet de police Dubois, dans son rapport officiel — le ministre semblait s'être effacé —, attribuait très hautement l'attentat aux anarchistes, Fouché et son état-major du quai Voltaire se convainquaient tous les jours davantage que, seuls, les agents de Georges avaient fait le coup.

Dès le 6 nivôse, le marchand grainetier Lambel, qui avait reconnu dans la charrette signalée au Moniteur celle qu'il avait vendue peu avant à un marchand forain, donna de celui-ci un signalement qui était précisément celui de Carbon, l'un des agents royalistes jadis filés. Puis d'autres témoignages s'ajoutèrent, habilement provoqués, ingénieusement rapprochés par Fouché lui-même, qui n'en dormait plus. Carbon a une sœur à Paris : on découvre chez elle des objets qui ont été vendus au faux marchand forain ; on cerne la maison, et quand, le 18 nivôse, Carbon se présente chez sa sœur où il vient tranquillement prendre le café, on s'en saisit. Saint-Régent retrouvé, filé, traqué, ne devait être pris que le 7 pluviôse. Du reste, Fouché avait tenté d'autres voies : il avait fait appeler Bourmont, lui avait déclaré que Limoëlan était à Paris, que sa perte était certaine et qu'il n'avait qu'un moyen de se tirer d'affaire, c'était d'avouer qu'il était, avec Saint-Régent et Carbon, l'auteur de l'attentat. C'était là évidemment la meilleure solution pour Fouché, tous les jours menacé d'être arrêté dans sa laborieuse recherche par une disgrâce brusque. Bourmont se prêta mal à cette démarche, trahit Fouché, le dénonçant au Premier Consul comme ne songeant qu'à réprimer les royalistes[75]. Bonaparte continuait à traiter de fable l'intervention de ceux-ci en cette affaire. N'ayant pu obtenir de son conseil d'État la loi de proscription, il la faisait lui-même, préparait une liste considérable où l'on avait inscrit pêle-mêle des revenants de la Convention et de la Commune, du 10 août et du 31 mai, des anciens amis de Robespierre et de Babeuf dont aucun, du reste, n'avait trempé dans un seul attentat depuis un an. Cent trente individus appartenant à l'opinion dite terroriste furent, par une loi de circonstance, pour des faits vieux de six et de dix ans, condamnés sans jugement à la déportation. Le 4 janvier (14 nivôse), la liste fut rédigée ; le 5 janvier le Sénat déclara que la mesure prise était conservatrice de la Constitution[76]. On avait naturellement exigé la signature de Fouché. II savait que la refuser, c'était donner sa démission, et, avant quelques heures — s'il restait — c'était le triomphe, car le 14 nivôse il cernait Carbon, allait le prendre, le convaincre. Fouché n'hésita pas : il signa. Fouché de Nantes contresignait la proscription de 130 malheureux accusés de terrorisme de 1792 à 1795 ! Fouché de Nantes, de Nevers et de Lyon ! Il signa, il resta[77]. Quatre jours après, il triomphait.

Dès le surlendemain de cet acte inique dont Fouché, dans la suite, chercha à atténuer les conséquences en n'expédiant au bagne que le quart à peine des proscrits, le ministre tenait ses gens.

Le 18 nivôse, Carbon, enfin arrêté, avouait que les royalistes seuls avaient monté le coup de la rue Saint-Nicaise, et le gouvernement convaincu autorisait le ministre de la police à faire arrêter tous les chefs royalistes de Paris. Il y eut, dans les derniers jours de nivôse, une rafle de quatre-vingts royalistes et chouans qui allèrent rejoindre au Temple Bourmont, dont l'arrestation avait permis au ministre de saisir des papiers sans doute compromettants. Dès lors, Fouché n'avait plus besoin de la prise de Saint-Régent, saisi le 7 pluviôse, pour triompher. Il avait vaincu[78].

Plus les attaques avaient été violentes, passionnées, ouvertes, plus les déclamations contre le ministre mordantes, plus sa politique flétrie ou persiflée, plus ses talents mis en doute et raillés, sa perspicacité contestée, plus aussi son triomphe se trouvait éclatant. Il avait, d'un seul coup, rétabli, et, par le fait même, singulièrement rehaussé sa réputation. Il avait prouvé tout à la fois, malgré les plaintes et les accusations, sa clairvoyance, sa sagacité, son sang-froid et ton bon sens. Lui seul avait su voir clair, réfléchir, résister aux emportements et aux préventions. Son attitude passée, sa conduite présente, toute sa politique se justifiaient, d'une façon éclatante. Bonaparte en fut réellement subjugué. Ces événements de nivôse, où Fouché avait eu raison contre lui, restèrent pour Napoléon un ineffaçable souvenir : le ministre ne craignait pas dans la suite, aux heures où il était menacé, d'invoquer ce souvenir, et il avait raison. Bonaparte n'était pas un esprit étroit : il aimait la supériorité, même lorsqu'elle existait hors de lui, contre lui. S'estimant très fort, très sagace, très capable, il ne songea qu'à priser l'homme d'État qui, en cette circonstance mémorable, avait été plus fort, plus sagace et plus capable que lui[79]. C'est pourquoi il fallait quelque peu insister sur un incident qui fit date dans la vie de Fouché.

***

Celui-ci, pour le moment, sut triompher modestement, mais voulut profiter de la victoire pour engager la lutte à fond contre une bande de chouans qu'il avait cru attachés à sa fortune et qui avaient tenté de le trahir. Il avait fait arrêter le comte de Vezins, le chevalier de Péronne, le comte de Brus-lard et avant tous l'artificieux Bourmont ; d'Andigné et Suzannet suivirent de près leurs anciens compagnons dans les prisons de la République. En même temps il mettait à prix la tête de Georges, et la poursuite commença contre les débris de la chouannerie et les royalistes impénitents. Personne maintenant ne le plaisantait ni ne le blâmait de frapper les coreligionnaires de Saint-Régent[80].

N'avant pu, d'autre part, empêcher la proscription des terroristes, il montra la plus grande acrimonie envers les agents de hi police qui les avaient dénoncés, et notamment contre le préfet de police Dubois[81]. Il sauvait, d'autre part, quelques chefs, notamment Barère qu'il avait défendu contre certaines revendications[82].

Sur un autre terrain, le ministre paraissait disposé à rester le défenseur des traditions, des principes et des hommes de la Révolution, c'était le terrain religieux. Nous avons vu qu'il s'était, dès ses premiers mois de ministère, montré assez modéré et fort tolérant dans son attitude envers le clergé, mais qu'il avait réservé ses faveurs et sa protection au clergé constitutionnel. À la veille du concordat qui se négociait avec la cour de Rome, il crut devoir prendre une attitude plus accusée encore, espérant peser suffisamment, sinon pour faire échouer les négociations, du moins pour conserver au clergé de la Révolution une part importante dans la nouvelle Église qui allait s'organiser. Il entretenait, on s'en souvient, avec l'évêque Périer des relations qui, dans ces circonstances, lui permettaient de faire parvenir, par le canal de l'évêque de Clermont, ses conseils et ses directions à l'Église constitutionnelle[83].

Instruit comme ministre des phases que traversaient les négociations du Concordat, il en instruisait fidèlement Grégoire, et ce fut encouragé par le ministre, que se réunit, en juillet 1801, le Concile de l'Église gallicane. Les prêtres qui le composaient affichaient la plus grande confiance dans l'ancien séide de la Raison. Et il justifiait cette confiance, car des gazettes ayant mal parlé du Concile, il leur imposa silence, supprimant les Annales religieuses hostiles au Concile, et essayant d'en faire arrêter le rédacteur, l'abbé de Boulogne[84]. Dans le Concile, en grande majorité peu favorable au futur Concordat, et où cependant un groupe parait disposé à transiger, ce sont les intransigeants qu'il soutient : ce sont ses amis, les Grégoire et les Périer, qui, jusqu'au bout, combattront le bon combat gallican. Ce sont eux qu'il se charge lui-même, en dépit des difficultés, d'introduire près de Bonaparte pour plaider une dernière fois la cause du clergé révolutionnaire[85]. En attendant le Concordat, il pèse encore sur les nominations épiscopales, fait par exemple échouer à Paris la candidature de M. de Juigné, candidat agréable aux ultramontains, pour y faire installer le saint et pâle abbé de Belloy[86], qui, lui devant sa nomination, reste avec lui en relations fort cordiales durant tout son pontificat[87].

Le Concordat conclu, le ministre, qui sait se plier aux circonstances, ne désarmera pas cependant. Il pèsera sur le choix des évêques, aura soin de faire rentrer dans le nouvel épiscopat son agent Périer, ses amis Le Coz, de Pansemont et bien d'autres[88], et posera comme principe que l'organisation des cultes est dans l'Église ce que le 18 brumaire a été dans l'État, que ce n'est le triomphe d'aucun parti, mais la réunion de tous dans l'esprit de la République et de l'Église. C'est de ce principe qu'il s'inspirera dans les circulaires que, sous prétexte de police des cultes, il adressera le 18 prairial an X (7 juin 1802) aux nouveaux évêques et aux préfets. Aux uns et aux autres il recommandera de veiller attentivement à ce qu'on n'exige des prêtres aucune déclaration contraire aux principes de la liberté de l'Église gallicane (ce qui, après tout, est peut-être encore un vieux souvenir de l'Oratoire), mais aussi en ce qui concerne les prêtres constitutionnels, qu'on ne leur réclame aucune rétractation autre qu'un acte d'adhésion au Concordat[89]. Rome, au surplus, ne lui tiendra pas rigueur, et Pie VII accueillera paternellement en 1804 l'homme qui a été en 1801 l'âme de la résistance au Concordat, l'allié de l'évêque Grégoire[90].

Qui donc pouvait, du reste, tenir rancune à ce souple et accommodant personnage ? A l'heure où il frappait les chefs d'un parti, il souriait aux soldats : si ses préférences s'affichaient, inspiraient sa politique, elles n'étaient jamais exclusives. Il savait A point étouffer les rancunes de parti par des services personnels et compenser une mesure rigoureuse par une mesure gracieuse. Pour garder ou reconquérir l'amitié des partis de droite, il avait toujours sous la main le même instrument, le même levier : les radiations d'émigrés[91]. Pendant l'an IX (1800-1801) il a continué, sinon à décerner, du moins à obtenir des grâces individuelles. En outre, il travaille à ses fameuses catégories. C'était un furieux casse-tête : chaque jour des cas nouveaux se présentaient. On annulait sur la liste les noms inutiles, on effaçait ceux des habitants des pays conquis et réunis à la France depuis 1792, et, chose qui prêtait à un arbitraire commode, parce que gracieux, on supprimait, suivant les termes mêmes du ministre, les inscriptions qui paraissaient avoir été déterminées par les soupçons les plus hasardés, tandis que des témoignages remarquables déposaient en faveur des individus qu'elles concernaient[92]. C'était en cette catégorie que le ministre inscrivait ceux que sa seule faveur affranchissait du joug, tous les jours plus pesant, de l'émigration, et l'arrêté consulaire de vendémiaire an IX devenait ainsi, entre les mains de l'adroit ministre, un nouveau moyen de popularité personnelle, d'influence et de pouvoir. La catégorie fut si largement conçue, ajoutée à tant d'autres, que la liste soudain descendait de 145.000 noms à 3.373. C'était réellement l'amnistie, mais une amnistie ministérielle, établissant, par le système des mises en surveillance, le pouvoir arbitraire du chef de la police sur 140.000 nouveaux citoyens, et non des moindres. En effet, clans un fort remarquable rapport du 14 vendémiaire an X (5 octobre 1802), adressé aux trois consuls, il admettait et voulait faire admettre la nécessité qu'il y aurait, à son sens, de soumettre les rentrées au contrôle permanent de la police. Il demandait aussi que la nouvelle liste, réduite à 3.373 noms, ne fût pas considérée comme un arrêt définitif, car il fallait laisser aux personnes qui y étaient inscrites le droit de réclamation. En ce qui concernait, au contraire, les omissions, elles pouvaient être réparées en soumettant tous les individus portés sur l'ancienne liste et non inscrits sur la nouvelle à demander des certificats de non-inscription sur la nouvelle. Cette formalité ne pouvait s'exécuter sans une sorte d'examen scrupuleux et fréquemment répété — naturellement confié au ministre de la Police —, auquel n'échapperaient pas les noms des hommes qui, s'étant rendus coupables envers la patrie, ne devaient plus y paraître[93].

Si l'humanité avait sa part dans la proposition de large amnistie dont ce rapport faisait valoir les avantages, si cette mesure s'inspirait d'une politique généreuse, cette opération parut, grâce aux précautions que prenait le ministre de faire maintenir la haute main à son ministère, une manœuvre personnelle de Fouché. C'est sans doute pour cette raison que le Premier Consul fit rejeter proposition par ses collègues[94].

Fouché affecta d'en être marri pour l'humanité et la politique. Il représenta volontiers à ses amis et par ricochet sans doute aux intéressés que lui seul, en cette question, représentait le libéralisme, le bon sens et... les intérêts du faubourg Saint-Germain ; que le Premier Consul seul faisait obstacle à ce que, franchement, on pouvait appeler l'amnistie. Pour forcer le chef du gouvernement dans ses derniers retranchements, il lui adressait, cette fois à lui seul, un nouveau rapport le 2 brumaire suivant, dix-huit jours après l'autre ; dans ce rapport, le ministre représentait une fois de plus au Premier Consul l'impossibilité morale et matérielle d'ajourner l'amnistie. Il faisait valoir que cette amnistie entrait dans le plan primitif du gouvernement de Brumaire modéré et réparateur, que les radiations individuelles, justifiées ou non, continuaient, qu'elles donnaient lieu à des réclamations, à des sollicitations qui encombraient d'une façon excessive les bureaux et les antichambres du gouvernement, à des abus de protection qui rendaient arbitraire, et partant inique, l'inégalité des traitements. Cette situation, à son sens, ne pouvait se prolonger : la liste des émigrés ne serait bientôt plus qu'un recueil où les noms des individus trop importants pour demander leur radiation figureraient sans intermédiaire à côté des noms des émigrés trop obscurs pour l'avoir obtenue. Ils concluaient en demandant l'application des mesures proposées dans son rapport du 14 vendémiaire[95].

Le désappointement du ministre et son inquiétude furent extrêmes, quand, sur ces entrefaites, il eut avis que les consuls s'apprêtaient, à adopter un projet fort différent du sien. L'arrêté projeté, au lieu de rayer des catégories considérables d'émigrés au nom de la clémence et de la politique, devait établir une nouvelle commission qui serait chargée d'examiner les titres que chacun avait à se faire rayer au nom de la justice. Le ministre se hâta de protester. Dans un rapport du 16 brumaire an X — le troisième depuis un mois —, il attaquait véhémentement le projet d'arrêté : cette mesure irait, disait-il non sans bon sens, contre le but qu'on se proposait : tout d'abord elle allait laisser subsister et faire prospérer l'immense manufacture de certificats et d'attestations fausses ; elle impliquait pour la plupart des émigrés une nécessité nouvelle d'avoir recours à la pitié ou à la corruption, au mensonge et à la protection, et pour la police elle-même, celle d'être injuste par méthode et arbitraire par système. D'autre part, le ministre faisait observer que la constitution en véritable tribunal, de la commission chargée de statuer, avait ce double inconvénient de dénaturer la mesure prise et d'éterniser l'affaire. Au lieu d'un pardon, c'était une sorte d'acquittement que prononcerait le tribunal, et ce qui eût été une mesure de clémence paraitrait une mesure de justice, dispensant les intéressés de toute reconnaissance et enlevant au gouvernement le bénéfice de son bienfait ; qui sait même si, acquittés au lieu d'être graciés, les émigrés n'allaient pas se croire autorisés à réclamer leurs biens dont les avait privés cette injustice reconnue ? Comment, du reste, une commission allait-elle pouvoir statuer sérieusement avant des années sur plus de 100.000 émigrés ? Le ministre proposait un nouveau projet dont les bases étaient : 1° la formation d'une liste définitive de prévenus d'émigration ; 2° une amnistie pure et simple pour les individus qui ne se trouveraient pas sur cette liste ; 3° la faculté laissée au ministre de la Police de refuser les certificats d'amnistie, lorsque l'individu réclamant serait signalé comme dangereux. L'amnistie, disait le rapport, a un triple avantage : elle termine rapidement l'affaire de l'émigration ; elle conserve au gouvernement le mérite de la clémence et de la générosité ; elle donne à la République une garantie de plus des dispositions ultérieures des émigrés. Il ajoutait : ti Il est impossible qu'un gouvernement honoré par tant de gloires et par tant de bienfaits, et qui met tant d'élévation à toutes ses mesures, laisse subsister plus longtemps par rapport aux émigrés un état de choses où l'intrigue et la corruption obtiennent nécessairement davantage que le bon droit et le malheur[96].

Jamais le bon sens n'avait parlé un langage plus net et, eu certains passages, plus éloquent. L'homme d'État s'y révélait prévoyant dans la clémence, avisé et froid dans la générosité, estimant que ce grand acte d'humanité devait être surtout une magnifique opération gouvernementale dont le pouvoir consulaire devait se fortifier, alors qu'il pouvait s'en affaiblir et s'en embarrasser. Bonaparte parut se rendre : le projet d'arrêté fut abandonné.

A ce moment, du reste, le chef du gouvernement songeait à une amnistie pleine et entière sous le bénéfice d'un simple serment de fidélité à exiger des émigrés rentrants. Ce fut l'objet du sénatus-consulte du 10 floréal an X. Plus que personne, Fouché avait travaillé à préparer, faciliter, hâter le grand acte réparateur. Au surplus, soucieux de ne pas laisser se créer un malentendu, le ministre ne perdait pas une occasion de rassurer les acquéreurs des biens nationaux, cette classe de citoyens qui les premiers avaient osé se confier au génie de la République alors que tant d'orages l'environnaient de toutes parts, et qui dévouèrent leurs fortunes à ses destinées encore incertaines[97]. Non content de cet hommage, le ministre de la République donnait à ses subordonnés des ordres incessants pour empêcher tout abus de la part des émigrés rentrés ; toute tentative d'insubordination ou d'usurpation devait être réprimée avec une inflexible sévérité[98].

Il restait, du reste, l'homme de la Révolution, veillait jalousement à ce qu'elle fût respectée dans ses souvenirs, faisant saisir impitoyablement les ouvrages d'allures et de doctrines contre-révolutionnaires : le Livre de l'émigration, la Loi de l'humanité pour les victimes égorgées sous Robespierre, la Lettre d'un Français sur le rétablissement de la religion catholique, et le livre de Joseph de Maistre, Considérations sur la France[99]. Enfin il continuait à poursuivre avec une impitoyable énergie les derniers chouans en armes[100].

Tout cela n'empêchait pas les relations de continuer excellentes entre le ministre jacobin, l'aristocratie royaliste et jusqu'à certains chouans presque séduits[101]. Une réelle amitié unissait maintenant le ministre de la République avec Mme de Vaudémont, avec Mme de Custine ; de simples relations d'obligées à protecteur étaient très vite devenues des rapports d'amitié presque familière, et les salons de ces deux grandes dames, toutes deux fort en vogue dans le monde aristocratique, avaient puissamment servi Fouché dans sa politique. Chez elles comme, du reste, chez Mme Récamier et chez Mme de Rémusat, il rencontrait la société rentrée tout entière et s'y taillait une popularité vraiment paradoxale[102]. Personne déjà, sauf parmi les royalistes de Londres, ne semblait s'étonner de rencontrer souriant, courtois, presque familier, l'ancien conventionnel chez des femmes dont les pères avaient été les serviteurs de Louis XVI. Des ducs, des pairs briguent les honneurs d'être, au whist de Mme la duchesse de Luynes, des partenaires de Fouché et de duper avec lui leurs adversaires, écrit amèrement Peltier. Mais Fouché, à la même époque, n'a-t-il pas fait rayer deux anciens ministres de Louis XVI auxquels il a fait grand accueil, l'aimable comte de Narbonne et l'intrigant de Calonne, qu'il rêve même d'imposer comme ministre à Bonaparte[103]. L'engouement était tel que les royalistes militants s'y laissèrent prendre ; la duchesse de Guiche n'avait échoué, disait-on, que parce qu'on n'avait pas pris soin de mettre M. Fouché franchement dans la confidence[104]. M. de Pradt, alors fort hostile au régime, entreprit à cette époque d'offrir à Fouché le rôle que Bonaparte n'avait pas voulu prendre. A entendre l'agent royaliste, l'ex-jacobin sembla d'abord repousser l'idée d'une restauration, mais il y aurait pleinement accédé lors de leur troisième entrevue. Il s'était exprimé sur Bonaparte avec une extrême amertume, qui s'expliquait, du reste, par la disgrâce qui se préparait et avait parlé avec une pitié larmoyante du malheureux Louis XVI[105]. En réalité, si Fouché avait cru ne pas devoir rebuter complètement son interlocuteur royaliste, il ne songeait pas à trahir le régime. Au contraire il le défendait envers et contre tous, même contre son propre chef et si vivement qu'il allait payer de son portefeuille cette tenace résistance, dernier hommage du citoyen Fouché de Nantes à la République qui sombre.

 

 

 



[1] Ses craintes se trouvèrent justifiées et au delà. En l'an IX on trouva sur le Chouan Mercier une lettre de Georges, où il prescrivait de permettre aux chefs Vendéens tous dévoués, pas encore extrêmement compromis, de s'arranger avec l'usurpateur, d'en obtenir des sûretés qui leur permettent de vivre trafiqua-lament dans leurs foyers et de communiquer librement avec leurs officiers dévoués. (Gazette de France, 24 pluviôse an IX.) (Note de la deuxième édition.)

[2] Le ministre eux commissaires du gouvernement, 17 nivôse an VIII, Moniteur du 18 nivôse an VIII.

[3] Le ministre aux administrations centrales, 22 nivôse an VIII ; Moniteur du 23 nivôse an VIII.

[4] Le ministre aux préfets, 6 germinal an VIII ; Moniteur du 7 germinal an VIII.

[5] Fouché aux Consuls, rapport suivi d'une note du Premier Consul en réponse ; A. N., A FIV, 1314.

[6] Le ministre de la Police générale aux préfets, 24 germinal ; Moniteur du 30 germinal an VIII. Les royalistes hostiles à Fouché signalaient à cette époque l'attitude souvent fort rogue que prenait le ministre vis-à-vis des émigrés. Une circulaire du 5 floréal se terminait par ces mots : Une justice inflexible envers les émigrés peut seule consolider la République, et une autre en thermidor an VIII affirmait qu'il ne suffisait pas que les émigrés ne pussent faire aucun mal, mais qu'il fallait encore qu'ils ne pussent donner la plus légère inquiétude.

[7] Fouché aux Consuls, messidor an VIII ; A. N., A FIV, 1043.

[8] Bonaparte à Fouché, 26 messidor an VIII ; Corr., VI, 4984.

[9] Dès cette époque, Fouché signalait au bureau central de Paris les proclamations partout semées dans Paris, où l'agence de Paris engageait la population à imiter les braves insurgés de l'Ouest et du Midi, à secouer le joug honteux sous lequel gémissait la malheureuse France. Fouché aux administrateurs du bureau central. Vente  Laverdet du 6 juin 1849.

[10] Sur les détails de cette affaire de l'agence anglaise, nous nous sommes inspirés des renseignements contenus dans les volumineux dossiers de cinq carcans, F7, 6247-6231, du rapport des conseillers d'État Émery, Chaptal et Champagny, de celui de Fouché (Moniteur du 15 floréal au VIII), des Mém. d'Hyde de Neuville et de la curieuse étude du comte DE MARTEL, La machine infernale du 3 nivôse, 253-305.

[11] A. N., carton F7, 6247.

[12] Dès le 3 janvier 1800 (14 nivôse an VIII), l'agent de la contre-politique royaliste signalait un redoublement de sévérité de Fouché vis-à-vis des royalistes. A. N., F7, 6347.

[13] BARÈRE, III, 93, 94 et 113.

[14] Moniteur du 24 ventôse an VIII.

[15] Une lettre de Rœderer à Joseph Bonaparte postérieure (du 5 nivôse an IX) nous révèle qu'en germinal an VII le Premier Consul avait fait supprimer le Journal des hommes libres, organe du jacobin Méhée et gazette officieuse du ministre de la Police ; Bonaparte avait fait à cette occasion une sortie violente contre les Septembriseurs, qu'il voulait chasser. Fouché s'y opposa, ajoutant : Général, je réponds d'eux.... Trois jours après, ajoute Rœderer, le Journal des hommes libres reparut plus audacieux que jamais. RŒDERER, Œuvres, III.

[16] Fouché aux Consuls, 14 floral an VIII ; Moniteur du 15 floréal an VIII.

[17] Bonaparte à Fouché, 14 floréal an VIII ; Corr., VI, 4791.

[18] Bonaparte à Fouché, 4 prairial an VIII ; Corr., VI, 4837.

[19] Cf. plus bas, ch. XI, l'alliance de Fouché avec les prêtres et les évêques constitutionnels à la veille du Concordat.

[20] Le général Lefebvre à Bonaparte, 29 floréal an VIII, publiée par le Carnet Historique du 15 septembre 1899.

[21] BARÈRE, III, 112.

[22] L'agent de la contre-police, 1800, F7, 6247.

[23] Duchesse D'ABBRANTÈS, IV, 349, 353 ; HYDE DE NEUVILLE, I, 331 : BALZAC, Une ténébreuse affaire, p. 275, 280 ; Fréd. MASSON, Napoléon et sa famille, I, 342. Mém. de Lucien, par Jung, p. 411. (Note de la 2e édition.)

[24] Mém. de Fouché, I, 180-182.

[25] Mém. de Fouché, I, 183-184.

[26] Le ministre aux évêques, 26 frimaire an VIII ; Notice sur Fouché dans ZEITGENOSSEN.

[27] Le ministre aux préfets, 26 prairial an VIII, ibid.

[28] Lettre du prêtre constitutionnel Detorcy.

[29] L'évêque d'Ille-et-Vilaine Le Coz à Fouché, thermidor an IX ; A N. F6, 7901 ; SÉCHÉ, Origines du Concordat.

[30] Cf. plus bas, ch. IX.

[31] Nous verrons tout à l'heure l'opposition tenace faite par Fouché au Concordat ; cf. BOULAY (de la Meurthe), Avant-propos, et SÉCHÉ, les Origines du Concordat, p 162. Fouché se montrait d'antre part fort hostile à toute manifestation cléricale : le directeur du collège de Navarre ayant, dans un prospectus-affiche, attribué à l'absence de religion la démoralisation générale et annoncé que la principale chaire du collège serait consacrée à l'instruction religieuse, Fouché donnait au préfet de police, le 30 messidor an IX, l'ordre de faire arracher ces placards en des termes extrêmement vifs pour le fanatisme.

[32] Cf. Ernest DAUDET, La police et les chouans ; L'enlèvement d'un sénateur, p. 91-128. On trouve également d'intéressants détails sur cette affaire dans MARTEL, La machine infernale, 362-370, et CARRÉ DE BUSSEROLLE, L'enlèvement de Cl. de Ris, 1872. Cf. également dossiers Cl. de Ris, A. N., F 7, 6265 et dossier Bourmont, F7, 6332.

[33] SAVARY, I, 336, 340.

[34] En somme, l'affaire reste, malgré tout, ténébreuse. M. E. DAUDET n'a pu donner à son récit qu'une conclusion hypothétique, et les dossiers de Clément de Ris et Bourmont ne nous ont pas permis d'en formuler une autre. D'après M. de Martel, qui se fait ici l'écho de Crétineau-Joly, ami intime de Bourmont, l'intrigue serait plus compliquée peut-être : Fouché, en forgeant cette affaire ou en la conduisant à sa guise, n'aurait eu d'autre but que de prendre Bourmont dans un piège et de le compromettre aux yeux du Premier Consul, alors assez disposé, dit Crétineau-Joly, à donner à Fouché Bourmont comme successeur. Fouché, du moins, le croyait. A la suite de la publication de la première édition de cet ouvrage, M. Victorien Sardou a bien voulu me faire savoir son avis sur l'enlèvement de Clément de Bis dans une lettre des plus intéressantes. Il se rallie entièrement à la thèse de Carré de Busserole, c'est-à-dire à la théorie d'après laquelle Fouché aurait tout machiné, puis aurait fait condamner sciemment des innocents. Il a fait sciemment exécuter trois innocents, m'écrit M. Sardou, pour se tirer d'un mauvais pas, et a pour cela usé d'une adresse infernale avec la liche complicité de Clément de Ris, dont le fils, que j'ai connu, n'aimait pas à être interrogé sur cette ténébreuse affaire. Ayant, je l'ai déjà dit, la plus grande admiration non seulement pour le magnifique talent, mais aussi pour le flair historique de l'auteur de Madame Sans-Gêne, j'ai relu Carré de Busserole, repris l'étude des dossiers et discuté avec quelques historiens du Consulat à ce sujet, et il m'a été impossible d'arriver à une conclusion nette et indubitable. Je maintiens mon point d'interrogation qui, après tout, donne satisfaction à la thèse de M. V. Sardou. Toute affaire ténébreuse reste louche, surtout quand Fouché y est mêlé. (Note de la 2e édition.)

[35] Note au Moniteur du 30 vendémiaire an IX.

[36] DESMAREST, Témoignages, ch. II. Nouv. édit., p. 39. Mém. de Fouché, I, 197.

[37] BARÈRE, III, 115, accuse formellement Bourrienne et Talleyrand d'avoir fabriqué de toutes pièces la conspiration pour faire exclure Fouché du ministère. BOURRIENNE dit que Bonaparte s'empara avec joie de ce complot, vrai ou faux, pour prouver à Fouché qu'il savait mieux faire la police que lui.

[38] Rapport du ministre aux consuls, 2 brumaire an IX, Moniteur du 3 brumaire.

[39] Mém. de Fouché, I, 207-207 ; THIERS, Hist. du Consulat, et A. N., A FIV, 1302, n° 41.

[40] Moniteur de vendémiaire et brumaire an IX.

[41] Moniteur du 28 brumaire an IX.

[42] Rapport de Fouché aux consuls, 16 brumaire an IX.

[43] Ibid.

[44] Rapport aux consuls du 28 vendémiaire an IX ; la minute, corrigée de la main de Fouché, se trouve dans les papiers confiés à Gaillard, et l'original du rapport à la secrétairerie d'État. A. N., F AIV, 1314.

[45] Arrêté des consuls du 28 vendémiaire, Moniteur du 29.

[46] Le Moniteur du 3 brumaire au IX annonçait la constitution par le ministre d'une commission instance au quai Voltaire et chargée de faire l'application de l'arrêté du 28 vendémiaire aux prévenus d'émigration. La note au Moniteur du 23 brumaire déjà citée renvoyait les intéressés à cette commission, dans laquelle, naturellement, s'exerçait presque exclusivement l'influence de Fouché. Dans son second rapport aux consuls du 16 vendémiaire an X, Fouché constatait que la liste avait été dans un an réduite à 3.373 noms. Au commencement de l'an IV. Fouché avait d'autre part adressé aux préfets du Nord-Est une lettre relative aux émigrés belges conçue dans un esprit très large. (A. A. E. 1772.) Ces mesures ne désarmaient pas, du reste, les ultras de Londres, qui n'y voyaient qu'une occasion nouvelle d'accabler Fouché le leur mépris ; Peltier ne se contente pas d'écrire : Un archevêque, un primat de France, un membre de l'Académie sera sous la surveillance d'un moine, d'un pédant de collège, d'un apostat., il se livre à cette occasion à une diatribe violente contre l'ancien conventionnel et réédite les lettres de Lyon... Cf. plus haut ch. X. PELTIER, 30 octobre 1800, 9 brumaire an IX, XXVIII, 601, 622.

[47] Le fait est qu'il est au mieux avec lui (Mme DE CHÂTENAY, I, 436, 437), le soutenant à tout prix contre Talleyrand, écrit l'amie de d'Antraigues à cette époque. (PINGAUD, 257.)

[48] Rapport de la contre-police royaliste, 30 janvier 1800 (11 pluviôse an VIII), A. N., F7, 6247.

[49] Même rapport.

[50] Ibid. Ces documents empruntent une grande autorité à un mot de Fouché ; dans une Note de frimaire an IX, le ministre, après avoir examiné ces rapports confisqués par sa police, déclarait qu'ils étaient généralement d'une grande exactitude. A. N., F7, 6248.

[51] Mémoires secrets sur la vie de Lucien Bonaparte, 1818.

[52] RŒDERER, Rel. avec le Premier Consul. Œuvres, III, 347.

[53] Rapport secret au préfet de police, 27 Frimaire an IX. (Rév. rétrospective, 2e série, II, p 195.) Sur la rivalité de Fouché et Dubois, cf. plus bas ch. XVII.

[54] Rapport de la contre-police royaliste. A. N., F7, 6247, et Mém. d'Hyde de Neuville, I, 330, 334. Sur Fouché et Talleyrand, cf. ch. XVIII.

[55] Fouché était décidé à la lutte. On a voulu lui ôter sa place, disait Dubois à Rœderer ; il est naturel qu'il se défende. RŒDERER, Œuvres, III, 347.

[56] Sur cette disgrâce de Lucien : BOURRIENNE, IV, 216, 218 ; Mém. secrets de Lucien Bonaparte ; PELTIER, n° du 15 décembre 1800 ; GAILLARD, Mém. inéd. ; MASSON, Napoléon et sa famille, I, 354 ; Mém. de Fouché, I, 201-204 ; IUNG, Lucien Bonaparte et ses mémoires, 432-5.

[57] Le ministre aux préfets (Papiers Gaillard).

[58] Il eut soin de souligner sa victoire, affirmant partout que ce départ était le résultat d'une disgrâce éclatante. Il l'accablait si bien qu'on constatait, dit Rœderer lui-même, contre Lucien un déchainement affreux dans l'opinion. RŒDERER, Œuvres, t. III, 347. De fait, partout, à l'étranger comme à Paris, l'événement fut considéré comme une victoire personnelle de Fouché, qui dès lors a la grande main sur le Premier Consul, écrit PELTIER le 15 décembre 1800.

[59] La lecture des rapports de la contre-police royaliste est fort édifiante pour la rivalité de Fouché et de Talleyrand dès l'an VIII (F7, 6247), ainsi que les racontars de l'amie de d'Antraignes. PINGAUD, 267.

[60] Le nouveau ministre de l'Intérieur Chaptal, dont plus tard Fouché se vengeait cruellement, était hostile aussi. (RŒDERER, III, 347.) Il en résultait que Fouché avait contre lui les ministres Talleyrand, Chaptal, Gaudin, Berthier, qui, au dire de l'ambassadeur prussien, formaient un parti directement opposé à celui du ministre de la Police... Les constitutionnels tiennent au premier, ajoutait Lucchesini, les conventionnels au second... Lucchesini à sa cour, 25 mai 1801 ; BAILLEU, I, 44.

[61] La violente opposition de Rœderer à Fouché en fait dans les premiers mois de 1801 le chef de la coterie qui lui est opposée. FIÉVÉE l'affirme (Corresp., I, 49), et cette haine violente éclate dans toute la correspondance de RŒDERER en 1800 et 1801 (Œuvres, III, 372 et suivantes). Fouché faisait attaquer avec violence sou ennemi par le Journal des hommes libres, ce qui provoquait des lettres acrimonieuses du conseiller d'État au ministre et au chef du gouvernement (Lettres de Rœderer, III, 372.)

[62] Sur toute cette affaire du 3 nivôse, cf. DEMAREST, ch. III, anc. édit., 34, 35 ; nouv. édit., 43, 46 ; MUSNIER-DESCLOZEAUX (Écho de Réal), I, 47 et suivantes. DESTREM, p. 10, 12. Procès instruit par le tribunal criminel du département de la Seine contre Saint-Réjant, Carbon et seize autres, Paris, an X ; DE MARTEL, Étude sur l'affaire du 3 nivôse an IX, 1 vol., 1870 ; Les historiens  fantaisistes, II ; FESCOURT, Histoire de la double conspiration de 1800..., Paris, 1819 ; THIERS, Histoire du Consulat ; MASSON, Napoléon et sa famille, I, 378-90 et les divers mémoires cités dans les pages qui vont suivre ; série de pièces relatives aux complots du Consulat. A. N., A FIV, 1302, n° 41.

[63] Sources citées plus haut.

[64] MIOT DE MELITO, I, 354, rapporte une sortie de Bonaparte à Fouché : Ne me faites pas de tout ceci une carmagnole. Ce sont vos terroristes qui ont fait le coup. Cf. aussi Mém. de Fouché, I, 219, 221, et sources citées plus haut.

[65] RŒDERER, Œuvres, t. III. R I. avec le Premier Consul.

[66] BOURRIENNE, IV, 198-201.

[67] THIBAUDEAU, Mém., p. 28. Il est très vrai que Rœderer menait une campagne violente contre Fouché, écrivant lettres sur lettres à Bonaparte, à ses frères, attaquant le ministre près de Joséphine. RŒDERER, Relations, t. III.

[68] Sources citées.

[69] MUSNIER-DESCLOZEAUX, Indiscrétions, I, 47, 48.

[70] Le soir même de l'attentat, il avait parlé à Talleyrand d'une façon assez leste de la fâcheuse aventure due à l'or de l'Angleterre. RŒDERER, III.

[71] THIBAUDEAU, Mém., p. 25, et RŒDERER, t. III.

[72] BARÈRE, quoique hostile à Fouché, lui gardait une grande reconnaissance de sa courageuse attitude. BARÈRE, III, 118.

[73] THIBAUDEAU, 25.

[74] Le 17 novembre 1800. Cf. E. DAUDET, La police et les chouans, le Meurtre d'Audrein, 129-141.

[75] Sources citées plus haut.

[76] Les infortunes de plusieurs victimes de la tyrannie de Bonaparte, ou Tableau des 71 Français déportés sans jugement à l'occasion de l'affaire de la machine infernale du 3 nivôse..., et sources citées.

[77] Rapport du ministre aux consuls du 11 nivôse, publié seulement le 19 au Moniteur comme à regret. C'est dans cette pièce qu'on trouve cette phrase stupéfiante : Parmi les hommes que la police vient de signaler, tous n'ont pas été pris le poignard à la main, mais tous sont universellement connus pour être capables de l'aiguiser et de le prendre. Il ne s'agit pas aujourd'hui de punir le passé, mais de garantir l'ordre social.

[78] Sources citées

[79] Peltier, toujours hostile, attribuait à cette époque un mobile plus bas aux sentiments du Premier Consul pour Fouché. (PELTIER, 15 juillet 1801.) Il est certain que, défiant et soupçonneux, Bonaparte, sans avoir peur, comptait sur Touché pour prévenir tout nouvel attentat.

[80] Il pourchassait activement les royalistes de la Bretagne à la Belgique et à l'Allemagne, frappait et dispersait une agence à Bayreuth, formée par hasard de ses vieux adversaires les royalistes lyonnais, en recherchait une à Bruxelles. Cf. Ms. Bibl. nat., N. a. fr., 3572.

[81] Mém. de Fouché, I, 222.

[82] BARÈRE, III. 118 ; Mme DE CHÂTENAY, I, 434, dit que Bonaparte ayant fait déporter les jacobins à Oléron, Fouché les en tira peu à peu par faveur.

[83] Cf. la curieuse correspondance du curé constitutionnel Detorcy publiée par L. Jovy, Vitry-le-François, 1898. En même temps qu'il favorisait les efforts de l'Église constitutionnelle pour faire échouer le Concordat, il continuait à pratiquer vis-à-vis de tout le clergé une politique nettement conforme aux principes révolutionnaires : Il ministro della polizia mi fa tremare, écrivait le 20 octobre 1800 le nonce Spina : il avait raison. Le 13 floréal an IX, Fouché avait adressé aux préfets une circulaire extrêmement rigoureuse sur les manifestations extérieures des cultes, les cloches, les processions qui sont moins s le signe de la ferveur que de la désobéissance aux lois n. Il ordonnait aux préfets l'application rigoureuse des lois de vendémiaire et du 22 germinal an IV. Le ministre aux préfets, 13 floréal an IX ; La clef du cabinet, 5 prairial. Le ministre était alors considéré réellement comme anticlérical.. Ennemi des prêtres, écrit l'ambassadeur de Prusse, il profite du zèle immodéré de quelques-uns d'entre eux pour justifier de nouvelles déportations (?) qui réveillent les anciennes haines. n Lucchesini à sa cour (BAILLEU, 1801). De fait, il allait très loin puisque, le 9 fructidor an IX, il faisait interdire par le préfet de police aux journalistes d'annoncer dans leurs feuilles avec une affectation aussi dangereuse que coupable la célébration des services religieux... Fouché au préfet de police, 9 fructidor an IX ; vente Laverdet, 23 nov. 1848.

[84] DETORCY, 15 juillet et août 1801, p. 207-299.

[85] DETORCY, 21 juillet 1801. Cf. aussi sur cette attitude de Fouché : MÉRIC, Vie de l'abbé Émery.

[86] DETORCY, août 1801, p. 299.

[87] Mme DE CHÂTENAY, Mém.

[88] Il se montrait en outre très rigoureux pour les anciens évêques rentrés en France. Il y a aux archives nationales, F7, 7932, une lettre du ministre de la Police au ministre des cultes très caractéristique (24 pluviôse an X).

[89] Fouché aux préfets, 18 prairial an X (Papiers confiés à Gaillard, et CHARAVAY, vente du 5 juin 1891). Encore cette lettre semblait-elle modérée à côté d'une autre de style violent qu'il avait le 1er thermidor, cinq jours après la conclusion du Concordat, adressée aux préfets et à laquelle le Publiciste et le Journal des Débats du 18 avaient donné une publicité radieuse. Le nonce Spina en était resté suffoqué, s'inquiétant le 8 août 1801 de ne voir refrénée en aucune façon la marche contraire du ministre de la Police. Spina à Consalvi. BOULAY, III, 343. Spontanément ou sur une démarche de Rome, le Premier Consul avait dans une lettre au ministre du 21 thermidor (9 août) blâmé cette lettre écrite dans un style de haine et de passion tout à fait contraire à la marche et à la dignité du gouvernement. (Corr., n° 5681.) Fouché restait redoutable. Il s'est juré, écrivait Peltier, le 31 octobre 1801, de ne pas laisser exécuter le Concordat. (PELTIER, 31 octobre 1801.) Le parti concordataire essaya de le fléchir : l'abbé Émery lui adressa, le 15 octobre 1801, une lettre pour le conquérir à l'application loyale de la convention du 15 juillet (MÉRIC, Vie de l'abbé Émery). C'est tout ce que voulait Fouché, il aspirait à ce que l'on ne se passât pas de lui : il se radoucit, d'où sa circulaire d'un ton beaucoup plus doux, quoique ferme, du 18 prairial.

[90] Dès septembre 1801, il avait reconquis par un accueil obligeant et gracieux le nonce Spina, qui le peignait dès lors sous d'autres couleurs : Spina à Consalvi, 11 septembre 1801 ; BOULAY, III, 528. Chose curieuse, certains révolutionnaires lui gardèrent une rancune injuste de son attitude, lui attribuant faussement une part à la restauration du culte. (Robert Lindet à Mesnil, 15 fructidor an X ; MONTIER, Lindet.)

[91] Dans le Compte rendu de l'an VIII, il lavait les émigrés du reproche fort grave d'intrigues dans le but de se faire restituer par la crainte les biens nationaux.

[92] Rapport du ministre aux consuls, 14 vendémiaire an X ; Papiers Gaillard.

[93] Rapport du 14 vendémiaire an X, déjà cité.

[94] Mém. inéd. de Gaillard et note annexée au Rapport du 14.

[95] Troisième rapport au Premier Consul, 2 brumaire an X ; Papiers confiés à Gaillard et A. N., A FIV, 1043.

[96] Rapport du ministre au Premier Consul, 16 brumaire an X, minute, Papiers Gaillard ; original, A. N. A FIV, 1043.

[97] Compte rendu de l'an VIII.

[98] Fouché aux préfets et commissaires généraux...

[99] Il n'admettait pas la moindre indulgence pour quiconque prônait le retour à l'ancien régime ou flétrissait publiquement les souvenirs de la République, faisant, par exemple, arrêter sans hésiter le 29 mai 1801 une des notabilités de l'Église de France, l'éloquent et célèbre abbé Fournier, qui, le 24, avait en chaire comparé, d'une façon du reste assez inconvenante, la mort de Louis XVI à celle du Christ. L'affaire fit grand bruit. (La clef du cabinet, 14 prairial an IX.)

[100] C'est à surveiller et à déjouer les manœuvres de ce parti (les chouans) que le ministre Fouché emploie sa principale attention et de grandes sommes d'argent, écrit l'ambassadeur prussien. On le soupçonne même d'en augmenter et d'en multiplier les dangers pour se rendre plus intéressant auprès du Premier Consul, l'irriter de plus en plus contre la noblesse émigrée et affaiblir ses préventions contre les jacobins. Lucchesini à sa cour, 23 mai 1801 ; BAILLEU, II, 44. Le fait est qu'à lire la correspondance du ministre de février à septembre 1801 avec le général Quentin, commandant de Belle-Isle, on reste convaincu que la répression du d'onanisme expirant restait le grand souci de Fouché. (Fouché au général Quentin, 11 lettres du 5 février au 20 septembre 1881 ; Revue des autographes, décembre 1898.)

[101] Les mémoires de d'Andigné sont sur ce point bien probants.

[102] Mme RÉCAMIER, Souv. et Corresp., et BARDOUX, Madame de Custine.

[103] Lord HOLLAND, Mém., 1851, p. 32, et Relations des agents de Louis XVIII, 4 juillet 1802, p. 53, 59.

[104] Voyage de la duchesse de Guiche. Joséphine disait à celle-ci que Fouché avait dit une foie qu'il donnerait la moitié de ce qui lui restait à vivre pour effacer six mois de sa vis. — Il était arrivé d'autre part à supprimer des souvenirs de Lyon : l'arrestation de Guillon de Montléon portait ses fruits ; en 1802, Maurille, de Lyon, publia les Crimes des jacobins de Lyon, et, par un tour de force, Fouché n'y est pas nommé ; sa signature est supprimée en bas des lettres de l'an II où reste celle de Collot d'Herbois.

[105] VITROLLES (I, 188) dit tenir le fait de de Pradt, qui l'en instruisit en 1802.