FOUCHÉ (1759-1820)

TOME PREMIER

 

AVANT-PROPOS DE LA DEUXIÈME ÉDITION.

 

 

L'accueil beaucoup trop flatteur fait à l'œuvre d'un débutant, m'encourage et presque me contraint à présenter aujourd'hui au public une seconde édition de mon ouvrage sur Fouché.

Je n'ai pas voulu le faire sans acquitter ma dette envers ceux qui, à un titre ou à un autre, ont critiqué, apprécié et loué l'œuvre, parfois avec quelques réserves, mais toujours avec une extrême bienveillance.

J'ai donc revu avec soin les nombreux articles dans lesquels les critiques les plus divers, mais tous autorisés, ont étudié mes modestes volumes ; j'ai examiné les observations souvent fort judicieuses qui ont été formulées à la Sorbonne et à l'Institut comme dans la presse, et j'ai, en ce qui concerne les difficultés soulevées, repris et derechef étudié les notes sur lesquelles le livre avait été écrit.

Presque toujours j'ai constaté que, lorsque quelque critique m'avait été adressée, c'est que j'avais été mal compris, et c'est évidemment ma faute. J'avais songé à répondre ici aux quelques objections de détail. Je préfère le faire, lorsqu'il y aura lieu, en des notes succinctes, ou modifier légèrement mou texte, qui, dès lors, ne saurait plus prêter, nie semble-t-il, à aucun malentendu.

L'histoire de la Révolution et de l'Empire inspirant sans repos depuis deux ans livres, articles, publications de documents de tout ordre, j'ai dû mettre à profit ces nouveaux travaux, ceux de MM. Aulard, Biré, Caudrillier, le comte Fleury, Henry Houssaye, La Bedoyère, Lenôtre, Arthur Lévy, Lumbroso, Frédéric Masson, Albert Sorel, Albert Vandal, Weill, etc., etc., les nouveaux Mémoires publiés, ceux d'Auguste de la Ferronnays, de d'Andigné, d'Aimée de Coigny, le Portefeuille de la comtesse d'Albany, et vingt articles dont la nomenclature chargerait inutilement cette préface.

Enfin quelques ouvrages dont la lecture ne m'avait pas été possible, quelques documents qui m'avaient échappé et m'ont été indiqués — quelques-uns très précieux — m'ont permis de compléter sur plus d'un point mon opinion d'historien.

Je dis : compléter. Avec toute la bonne foi du monde, articles critiques sur mon livre, nouveaux ouvrages publiés sur l'époque qui nous intéresse, documents récemment mis au jour, recherches nouvelles dans les bibliothèques et les archives n'ont pas eu pour résultat de modifier sensiblement les faits étudiés et les appréciations émises. J'ai eu la bonne fortune que tout ce qu'ont publié, depuis deux ans, les historiens parfois les plus éminents de l'époque impériale, est venu confirmer ce que j'avais écrit de l'importance et du caractère du rôle de Fouché.

Je sais bien que les articles consacrés à mon œuvre ont d'une façon générale affirmé que mon indulgence avait été trop grande pour ce terrible politicien. Et j'ai sur la conscience d'avoir démoralisé notre éminent et charmant maitre, M. Émile Faguet, un peu scandalisé le plus aimable des critiques, M. Gaston Boissier, et valu à Fouché, dans la bouche de notre éloquent professeur, M. Lavisse, une des plus magnifiques exécutions que le rusé compère ait connues ; et qu'ainsi, je n'ai procuré à l'infortuné que j'étais allé réveiller dans sa tombe, qu'un petit supplément de martyrologe posthume.

Peut-être une seconde lecture plus attentive de l'œuvre, et notamment de dix ou douze passages particulièrement vifs, m'eussent-ils épargné ce reproche de tendresse excessive. Mais ce qu'il y a d'assez singulier, c'est qu'aux témoignages que j'ai abondamment cités, pour prouver que l'homme si mauvais qu'il fut et si sévèrement qu'il dût être jugé n'avait pas paru si noir aux contemporains, sont venus s'ajouter d'autres témoignages, tels — par exemple — que ceux de Suzannet et de d'Andigné, bien peu suspects de sympathie pour les politiciens en général et pour les jacobins en particulier.

Sans jouer l'homme au sonnet, je n'ai donc trouvé dans les articles — d'ailleurs très flatteurs — écrits sur ce livre qu'un encouragement à n'en modifier que certains passages et certains termes. Les maîtres qui se sont prononcés sur l'œuvre avec autorité et compétence ne m'ont guère fait qu'un procès de tendance, et je répète que, vraiment, j'ai vainement cherché le passage où j'aurais loué Fouché sans réserves et que j'en ai trouvé beaucoup où je l'ai blâmé sans restrictions.

Dans ces conditions, il ne me reste plus qu'à remercier ceux qui, en couvrant l'œuvre de l'autorité de leur bienveillant témoignage, ont fait beaucoup plus pour son succès que le très modeste talent d'un apprenti historien.

Ce sont surtout mes juges en Sorbonne, MM. Aulard, Denis et Lavisse, qui, avec les réserves d'usage, ont bien voulu couronner les premiers la thèse de doctorat ; ce sont les membres de l'Académie française, qui, par l'organe toujours charmant de M. Gaston Boissier, ont accordé à ce livre le prix triennal fondé par l'illustre historien du Consulat et de l'Empire ; et puis il faudrait remercier les auteurs d'articles si indulgents : M. Albert Vandal, qui a si parfaitement su dégager en quelques lignes la pensée de ces gros volumes ; M. Emile Faguet, M. le vicomte Melchior de Vogüé, qui les ont spirituellement commentés ; M. de Grandmaison, M. Hire, M. Léonce Pingaud, M. Lumbroso, M. le professeur Wertheimer, M. Welschinger, M. Victor Pierre, M. Frantz Franck-Brentano, M. Séché, le R. Père Dudon, M. de Lanzac de Laborie, M. Danmet, M. Ledrain, M. Édouard Drumont, M. Pariset, etc., mais ils sont trop, et c'est à tous que j'adresse ici l'expression de tua bien vive reconnaissance. le l'adresse également aux critiques étrangers qui n'ont pas apprécié avec moins de finesse cette page de l'histoire intérieure de la France. Enfin, en ce qui concerne le remaniement même de l'ouvrage, MM. H. Houssaye, Victorien Sardou, Aulard, Albert Vandal, de Grandmaison et Pariset m'ont communiqué, avec nue rare obligeance, d'intéressantes observations faites parfois ligne par ligne sur ma première édition et m'ont ainsi gracieusement aidé à préparer celle-ci.

M. H. Houssaye y a, de plus, ajouté une page particulièrement curieuse, la première : ce portrait de Fouché, probablement dû à David, m'a paru original, caractéristique et était assurément peu connu. — Il satisfera une curiosité légitime, qui m'a été, depuis deux ans, cent fois exprimée, notamment de la façon la plus spirituelle du monde par M. Gebhard au cours de la discussion en Sorbonne. J'hésite à croire que ce portrait doive reconquérir à Fouché la confiance du public, mais il vaudra assurément à M. H. Houssaye la reconnaissance de mes lecteurs.

 

Paris, 15 mars 1903.