TALLEYRAND ET LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE

Tome premier : Depuis la fin du règne de Louis XV jusqu'aux approches du Second Empire

 

CHAPITRE SEPTIÈME. — L'AUBE IMPÉRIALE.

 

 

En 1802. — La disgrâce de Fouché, et le plaisir sincère qu'en éprouva Talleyrand. — L'ascendant dont jouissait, à cette date, le ministre des Relations extérieures. — L'homme politique et l'homme de cour. — Talleyrand se faisant l'intermédiaire par excellence entre la noblesse et le nouveau maure des Tuileries. — Les commencements de la Cour consulaire. — Renaissance de la vie de société. — Les salons d'alors. — M. de Talleyrand chez la princesse de Vaudemont. — Ses réceptions, à l'hôtel Galliffet. — Son rôle pendant la belle période du Consulat, et ses premières craintes sur les rapports de Bonaparte avec l'Europe, dans un prochain avenir. — Changement d'orientation dans la politique étrangère ; les justes appréhensions qu'elle lui inspire. — Rupture de la paix d'Amiens. — Pendant la dernière année du Consulat. — L'affaire du duc d'Enghien. — Imputations portées contre Talleyrand ; à quelles justes proportions doit les réduire la vérité historique.

 

L'intervalle compris entre les années 1801 et 180 ? fut un espace très rempli dans les comptes d'existence de Talleyrand. La conclusion de la paix d'Amiens, l'achèvement de l'œuvre du Concordat, l'obtention comme par surprise du bref, qui le rendit définitivement à la communauté laïque, et le lien définitif du mariage, le vinculum matrimonii, auquel il voulut bien s'assujettir : ce furent là beaucoup d'événements et d'affaires en peu de mois. Ajoutez-y la disgrâce de Fouché, qui lui fit un plaisir sensible, et la série sera complète.

Il avait vu l'encombrant ministre de la Police céder aux ressentiments ameutés contre lui, malgré l'habileté de sa défense et la protection soutenue de Joséphine. Ce même Fouché, qui bientôt mènera la campagne la plus chaude pour la proclamation de l'Empire, s'était opposé de toute son influence à la restauration du pouvoir personnel, sous la forme du consulat à vie. Les prétendues raisons de prudence politique, sur lesquelles s'était fondée sa résistance, avaient déplu. Il avait encouru d'autres blâmes. Les conseillers de Bonaparte l'enveloppaient dans la conspiration de Bernadotte, sur laquelle il convint au gouvernement de fermer les yeux, et lui en rejetaient toutes les responsabilités à la tête. Rœderer, Lucien, Joseph, Talleyrand, qui n'étaient rien moins que ses amis, rivalisaient à grossir ce qu'avaient de doublement étrange : la licence avec laquelle il laissait circuler les libelles républicains et ses complaisances presque affichées pour les milieux aristocratiques, au point de s'être attiré les sympathies ostensibles des familles notoirement réputées comme les plus intransigeantes[1]. Adroitement, il avait tenu tête aux imputations de ses adversaires, et de son mieux calmé les mécontentements personnels, qu'inspiraient, au Premier Consul : son attitude frondeuse, la direction turbulente qu'il avait imprimée à son ministère et cette mauvaise habitude qu'il avait prise de s'immiscer dans son intérieur, dans ses affaires de famille, comme pour se poser, sans qu'on le lui demandât, en surveillant nécessaire. Joséphine, si prompte à entrer dans les désirs et les intérêts des autres, s'était portée garante de sa fidélité. Il était sur le point de reprendre position ; il se flattait presque d'acquérir une sorte d'autorité indépendante, en son ministère, et grandissait en l'opinion. Mais Talleyrand et son groupe étaient revenus à la charge, dépeignant le citoyen Fouché comme un optimiste dangereux, qui compromettait la solidité du régime par des condescendances funestes et par trop de laisser-aller. Bonaparte goûtait peu les transactions opérées hors de sa sphère et des intérêts exclusifs de sa personne. Était-ce à la suite d'une conversation avec Talleyrand ou sous l'impression de lecture d'un rapport de contre-police, il s'était écrié devant Regnault, qui ne laissa pas ces paroles se perdre :

Oui, pour le citoyen Fouché, il n'y a pas de milieu : il faut qu'il nage dans le sang ou qu'il s'endorme sous les roses ; je ne veux pas plus l'un que l'autre, il faut en finir avec lui.

Il tarda de plusieurs jours, essaya, par des allusions significatives, de l'inciter à comprendre, de lui-même, l'opportunité d'une retraite volontaire et, ne voyant pas venir sa démission, recourut à des formes plus catégoriques. Le 27 fructidor, Fouché recevait la visite du deuxième consul Cambacérès, lui apportant cette nouvelle qu'on avait résolu, au conseil du matin, la suppression du ministère de la police[2]. Qui s'en frotta les mains d'aise ? Ce fut certainement, pour en parler au figuré, M. de Talleyrand, que son rival, tout, récemment, avait voulu déloger de l'hôtel et du poste des Relations extérieures pour y introduire. Louis de Narbonne.

Entre eux l'opposition était flagrante, depuis le 18 brumaire. Nul ne l'ignorait : ils se faisaient une guerre sourdement active. Non pas qu'ils fussent animés l'un contre l'autre d'une véritable animosité ; leurs natures sceptiques ne s'embarrassaient de ces faiblesses-là. Mais leurs ambitions, en se côtoyant, s'entre-gênaient ; et chacun des deux n'aurait pas eu trop de toute la place. A la vérité, le cas présent n'était qu'une demi-disgrâce, ou plutôt une disgrâce dorée. Bonaparte avait cédé aux récriminations de ses frères en leur accordant le renvoi de Fouché. Cependant, il avait mis dans l'opération des ménagements si particuliers qu'ils ressemblaient à des faveurs nouvelles. Il l'avait pourvu de la grasse sénatorerie d'Aix et gratifié d'un don en espèces d'une valeur considérable. En outre, non seulement il s'était réservé de recourir, en cas de besoin, à ses services secrets, mais il lui avait ouvert, en le quittant, des perspectives de retour. Talleyrand avait trop de finesse en réserve pour ne pas prévoir qu'un homme souple et remuant de sa sorte trouverait bien le moyen de se remettre en selle. Lui, Fouché, n'en cloutait point : Ils rient de mon départ, glissait-il à l'oreille d'un de ses affidés : ils auront une belle frayeur, le jour de ma rentrée. En attendant, le jacobin royaliste était hors de la place. Talleyrand respira plus à son aise.

***

Il était véritablement, à cette époque ; le personnage le plus en vue de la République après le Premier Consul. Son esprit délié et insinuant primait dans la diplomatie. L'aisance merveilleuse avec laquelle il savait traduire en langage de chancellerie des précisions d'idées et de rails, qui demandaient à s'imposer, leur assuraient des ressources de conviction, que ne possédaient pas toujours les formes impératives de Bonaparte. L'étendue de ses relations cosmopolites comme la multiplicité de ses accointances découvertes ou cachées avec les gens de presse, de finances ou d'affaires, mettaient entre ses mains mille moyens d'influence ou d'action discrète. Homme de cour autant qu'homme politique, ce dualisme lui était d'une force singulière auprès de Bonaparte élaborant, d'ores et déjà, l'armature de sa souveraineté prochaine. Il avait pu dévier de la grande tradition aristocratique par les chemins de traverse de la Révolution : il n'avait pas rompu, quant aux formes, avec le grand monde, dont il aima et ne cessa pas de pratiquer les manières ou les tournures d'esprit, lors même qu'il n'en partageait point les passions. Partisan du ralliement de l'aristocratie, qui couvrait le sien et le remettait en bonne compagnie, il était l'intermédiaire par excellence pour aider la noblesse à se rapprocher des Tuileries. C'était un point auquel Bonaparte attachait infiniment de prix[3]. Il s'y intéressait jusqu'à lui demander la liste des personnes reçues chez lui, les noms détaillés de ceux et de celles qui fréquentaient ses salons, assistaient à ses fêtes dit soir, pour qu'elles fussent invitées à prendre aussi le chemin de la maison consulaire[4]. Trop voisine encore des simplicités républicaines, cette maison d'un chef d'État, mais on saurait bientôt lui donner le ton.

L'une des premières préoccupations de Bonaparte, aussitôt qu'il eut pris logement au palais du Luxembourg, puis dès qu'il se fut installé plus au large dans l'ancienne demeure des rois, avait été d'épurer le cercle qui l'environnait, d'en affiner les éléments, et d'en élaguer des fréquentations de jadis devenues gênantes pour la qualité des personnes. Telle, Mme Tallien, toute la première, s'était vu rayer de la liste des invitations. Joséphine, dont le cœur tendre avait de la mémoire, s'était échauffée d'un beau zèle pour qu'il revint sur cette décision. Elle avait rappelé les services rendus, au lendemain de la Terreur et des dettes de gratitude, qui auraient dû laisser une marque profonde, si jamais de tels arrérages pesaient de quelque poids dans Faine des puissants. Il fut répondu que la Notre-Dame de Thermidor avait une réputation trop compromise et qu'il faudrait s'accoutumer à ne plus la voir.

Cette exclusion avait été fort sensible à celle qui en était l'objet. Sous la défense de se présenter chez son ancienne compagne de fêtes et de plaisirs, elle avait obtenu de la femme de César que celle-ci se rendrait à une réunion d'après-midi, afin d'adoucir sa peine. Ensemble elles évoquèrent bien des souvenirs, dont la date était encore fraîche. En ces années-là, le général Bonaparte ne dédaignait pas la citoyenne Tallien ; il la comblait de remerciements et d'hommages. Ne se rappelait-il point que la première démarche de Tallien, après le 10 thermidor, avait été d'ouvrir les portes du cachot où Mme de Beauharnais attendait la mort, d'heure en heure ? N'était-ce pas Tallien aussi, qui avait nourri les enfants de Joséphine, pendant le temps de sa captivité ? Bonaparte n'était pas consul, alors : en aurait-il perdu toute souvenance ? Joséphine écoutait ces plaintes sans pouvoir y porter remède. Le matin, elle avait tenté un dernier effort : mais Bonaparte l'avait arrêté net, quand à peine avait-elle ouvert la bouche. Mme Tallien avait le double tort de sa conduite passée et de sa conduite présente : on ne lui pardonnait pas son intimité avec le grand faiseur d'affaires Ouvrard, qui avait eu le malheur de déplaire, étant trop riche et trop puissant dans l'État par la force de ses millions[5]. Il n'y avait pas à revenir là-dessus : elle ne devrait plus se montrer dans le cercle de Joséphine.

Il y avait eu d'autres bannissements féminins, prononcés au nom de la morale et des convenances, s'ils n'étaient pas le jeu du caprice ou de l'arbitraire. Estimant qu'il avait à faire renaître un certain décorum dans les plaisirs officiels, il avait écarté des listes d'invitations de belles solliciteuses, que les salons hospitaliers (lu Directoire avaient mieux accueillies, mais qu'il ne jugeait plus recevables, quand même elles auraient eu sur lui des droits secrets à la reconnaissance. Telle personne un peu légère, femme d'un banquier de la Chaussée d'Antin, était parvenue à se faire accepter, un soir, chez Joséphine. Et celle-ci pleine d'indulgence pour des péchés qu'elle avait commis souvent, avait répondu d'un doux sourire à sa révérence. La jeune femme rayonnait d'aise sous son élégante et riche parure. Mielleusement pour elle, le regard scrutateur du Premier Consul l'avait découverte ; et, avec sa brusquerie, il s'était porté droit contre elle, lui disant à haute voix : Madame, vos gens vous attendent, et plus bas : Sortez ! A la fois saisie de peur, sous la violence du choc, et remplie de confusion, elle ne put aller jusqu'à la porte et s'évanouit. Ce fut un émoi extraordinaire dans les salons. Après la soirée, Bonaparte morigéna Joséphine sur sa facilité à recevoir. Il fut décidé qu'à l'avenir on lui soumettrait la liste des personnes aspirant à être reçues chez lui ou chez la consulesse.

De s'être permis à soi autant que lui en passa la fantaisie toute privauté, toute licence, c'était affaire à sa conscience spéciale d'homme hors de pair et surhumain ; cela ne justifiait ni n'excusait à ses yeux les irrégularités d'autrui. Nul ne se montrerait plus rigoureux sur la considération et le respect des principes. Il en avait averti tout le monde. Un ton nouveau s'est introduit dans ses réceptions. Chez Barras, l'accès était facile aux femmes d'élégance et de beauté, sans qu'elles fussent nécessairement des épouses. Le maître du jour affiche des mœurs. Il exige de la tenue, de la correction. Tout à l'heure, il a sommé Talleyrand d'épouser sa maîtresse, en attendant qu'il l'oblige à garder sa femme à la maison. Et cette double contrainte n'aura pas eu les suites voulues sans élever, entre eux, de premiers ferments de rancune, quoique Talleyrand n'en ait rien marqué d'abord.

Hors des grandes affaires de la paix et de la guerre, une somme de temps, d'attention, a été réservée, pour l'employer à rétablir, peu à peu, l'esprit et la lettre du cérémonial d'antan. Les idées républicaines sont encore en possession des usages de la société ; on doit y procéder avec mesure. Il y aura de premières hésitations à rhabiller les costumes et la pompe extérieure de la défunte monarchie. La femme du Premier Consul est restée, jusqu'à nouvel ordre, la citoyenne Bonaparte. Ses sœurs, tout impatientes qu'elles soient de trancher en princesses n'ont pas de situation bien définie dans le système consulaire. On y pourvoira, sans doute, et bientôt. Auparavant, elles auront une éducation à recevoir, des attitudes à essayer, des habitudes à contracter. On croit savoir que leur terrible frère les querelle, presque chaque jour, sur des restes de familiarité et de laisser-aller, qu'il n'estime plus supportables. ll leur reproche avec une véhémence tout italienne d'avoir bien de la peine à prendre l'air de leur fortune. En ces commencements difficiles, comme on est plus à l'aise, à la Malmaison, comme on y gagne en plaisir franc ce que l'orgueil parait y perdre ! ici les formes ont gardé la liberté d'être simples, ainsi que l'habitation el les meubles. Les invités y circulent à l'aise, sous les grands arbres, s'ils ne varient pas les douceurs de la promenade par des jeux vifs et des distractions écolières. Les rangs s'y mêlent à plaisir : un Talleyrand est reçu là comme un simple particulier. Le genre d'existence qu'on mène, en ces lieux, a conservé un aimable caractère d'intimité. Il en ira très différemment, à Saint-Cloud, la résidence royale devenue le palais d'été du premier magistrat de la République. Dès à présent, on n'y est plus admis en visite. Le maitre du château a séparé sa table de celle de ses officiers et tracé un large intervalle entre sa grandeur et les degrés hiérarchiques de ses hôtes. Avant qu'il soit longtemps, les soirées de Saint-Cloud auront pris les apparences raidies des anciens cercles de Versailles.

Aux Tuileries, les entours de Mme Bonaparte se revêtent de solennité. On a consigné, à sa porte, les visites du matin. La future impératrice se rend moins visible, par ordre ; on sollicite ses audiences. Elle a ses dames en titre, ayant charge de l'accompagner et de la quitter le moins possible. Des femmes de qualité prennent goût à prendre la suite des sœurs el de la mère de Bonaparte[6]. L'étiquette renaît. Des commencements de cour s'organisent.

***

La vie de société, en général, reprend ses allures, son mouvement d'autrefois.

Depuis que la France a rouvert ses portes aux émigrés, le plus grand nombre est rentré de ceux qui avaient sollicité du Directoire, sans l'obtenir, la douceur de retrouver leurs proches et leur foyer. Beaucoup d'entre eux, au terme de leurs ressources, se lassaient d'attendre de l'étranger le soutien de leur existence. L'espoir de rassembler les débris de leur fortune leur faisait oublier les mauvais jours.

Ils n'avaient pas annoncé leur retour, à grand tapage, mais plutôt avec circonspection et mystère. Aussi que de surprises ressenties, tandis qu'ils recherchaient les vestiges de leur ancienne existence, de leurs habitudes passées ! Si complète avait été la transformation de toutes choses. depuis 1792, qu'à peine reconnaissaient-ils, dans le Paris républicain, leurs rues, leurs maisons. Les noms de ces rues, les aspects de ces maisons, les formes du langage et jusqu'aux façons de s'aborder, n'étaient plus, en rien, tels qu'ils les avaient connus. Force leur serait-il de s'accoutumer à maintes façons égalitaires, qu'ils n'avaient pas apprises de la tradition morte. Cependant, sous des lois différentes, se recomposaient, en partie, les cadres de la grande société.

Cela s'était fait doucement, d'abord, et dans des conditions bien modestes, tranquilles, éloignées de toute forme d'ostentation ; l'existence journalière des familles nobles y avait gagné un cachet d'aimable et digne simplicité. Par comparaison d'époque et pour la particularité du cas, il n'était pas sans intérêt de savoir qu'une baronne de Montmorency, femme de l'aîné et chef de l'antique maison lavait et repassait elle-même sa robe de mousseline, qu'elle avait perdu l'usage d'un nombreux domestique et d'un carrosse armorié, mais se contentait de partager la disposition d'un simple cabriolet avec son beau-frère Thibault de Montmorency. Après minuit, la voiture cessait de lui appartenir, elle mettait son capuchon et des galoches pour regagner pédestrement son logis. Le marquis de Vérac, dont on tenait ces détails, ne menait pas lui-même un plus grand train, depuis qu'il logeait chez la duchesse de Charost dans une chambre de domestique et n'avait pour tout mobilier qu'une chaise et un lit à tiroirs.

L'aristocratie parlait à voix contenue, attendait aussi patiemment que possible les réparations du temps, et, de son mieux, rejoignait les lambeaux de ses biens dispersés, en attendant qu'on lui rendît ses patrimoines en échange de sa soumission à l'Empire.

De proche en proche se reformaient les groupes. et les salons se rouvraient.

On continuait de causer et de bien causer, chez Mme de Staël, la femme de Paris la plus comblée de gloire et d'hommages, mais qu'une autorité jalouse forcera bientôt à quitter le cher théâtre de ses succès mondains pour aller se renfermer dans une campagne, ai milieu des neiges de l'hiver. Talleyrand n'était plus des familiers de la maison. Il s'était détaché par la force des circonstances de relations anciennes, qui se fussent rendues absorbantes et périlleuses[7]. Sans approuver en son for intérieur, mais non plus sans prendre parti, il verra se déchaîner les colères de Napoléon contre la femme de génie, dont chaque nouvel ouvrage, malgré les gènes de la censure et les outrages du pilon, apportera à un public dispersé et lointain des impressions profondes.

L'élite de tous les mondes allait aux soirs de Mme Récamier, en son hôtel de la Chaussée d'Antin, le seul endroit de Paris, ou presque, au commencement du Consulat, où se pussent rencontrer les hommes de l'ancien régime et ceux de la société nouvelle. La jeunesse dansante et joyeuse se pressait chez Mme de Lévis. Les irréductibles de l'aristocratie se rendaient aux tables de jeu de Mme de Luynes. De grands seigneurs — Talleyrand fut du nombre —, mais aussi des savants, des philosophes et des financiers, apportaient leurs hommages à Mme de Pastoret, tandis que Mme Suard et Mme de Genlis se disputaient, auprès de leurs hôtes, une sorte de prépondérance académique. Les esprits les plus distingués briguaient l'honneur de fréquenter chez Mme de Beaumont, en son appartement du Luxembourg : et des femmes, telles que Mmes de Staël et de Saussure, des hommes comme Fontanes, Joubert, Chênedollé, Molé, Chateaubriand surtout, dont la place fut si grande dans le cœur de la dame du logis s'étonnaient de s'y voir réunis, après les terribles orages qui les avaient séparés.

Il y avait affluence, en l'hôtel de Mme de Montesson, qui avait été la première à remettre en mouvement la belle société d'autrefois. Elle avait connu la cour de Louis XV et la cour de Louis XVI. Les anciennes élégances refleurissaient sous ses hauts lambris. Talleyrand, qui, dans sa jeunesse, jugeait si singulièrement attirante la maison de Mme de Montesson, se plaisait à y rafraichir d'agréables souvenances. Ses préférences du moment le conduisaient chez la princesse de Vaudemont, née Montmorency-Nivelle, mariée à un prince de Lorraine, alliée aux familles régnantes de l'Europe et s'estimant d'assez lier parage pour s'accorder licence d'accueillir des personnages de tous bords. Avec les survivants du patriciat monarchique s'y côtoyaient des familiers de Bonaparte et personne ne s'étonnait, l'habitude en étant prise, d'y voir M. de Calonne, l'ancien favori de la reine Marie-Antoinette frôler, au passage, Joseph Fouché, le proscripteur de Nantes, devenu le conciliateur et l'ami. sous une étiquette républicaine, de l'aristocratie royaliste. On se poussait à l'envi chez la princesse de Vaudemont, ne fût-ce que pour assister aux tournois de conversation de causeurs tels que Narbonne et Talleyrand. Les suffrages penchaient de préférence à l'avantage de celui-ci. Narbonne — c'était l'avis commun — inculquait à ceux qui l'écoutaient, une impression plus recherchée, depuis qu'il avait pris de rage, de culture intellectuelle. Talles rand y dépensait plus de finesse caressante et, quand il lui convenait de laisser tomber son masque flegmatique, nul ne menait avec plus de choix et de justesse une conversation aisée, abondante même, instructive sous des airs d'agréable nonchalance.

Les gens d'esprit et de goût aiment à recevoir. Talleyrand eut toujours les grandes façons hospitalières. Isolément, il se faisait accessible aux entrevues, mais avec choix et réserve, dans ses fonctions ministérielles. Ses bals, ses soirées étaient d'autant plus recherchés qu'on n'y admettait point une société aussi composite qu'elle paraissait l'être, par exemple, aux fêtes superbes de Lucien Bonaparte.

Talleyrand n'avait pas à craindre le péril de la monotonie, soit dans l'isolement des pensées graves, soit dans la prolongation excessive du seul à seul avec Mme Grand. La diversité de ses occupations et le nombre de gens, qui l'entouraient quotidiennement, ne permettaient point qu'il y fût exposé. Bien des personnes intéressées à le voir se portaient à ses audiences, venant solliciter, sinon quelque faveur, du moins un avis, une indication, une impulsion discrète. On l'a finement représenté dans ce genre d'entretiens du matin ou de l'après-midi, indolent et courtois, écoutant avec patience le visiteur, puis le reconduisant au travers de ses vastes salons, s'arrêtant à causer, s'agenouillant même de sa mauvaise jambe sur un canapé, et glissant à la dernière minute, la réponse ou le conseil attendu, l'insinuation décisive, le demi-mot qui porte loin. Chaque semaine, à jour fixe, s'ouvraient les salons du ministre des Relations extérieures, pour les personnages de marque, les étrangers illustres, les hauts fonctionnaires et, dans la quantité, pour des amis. Ses réceptions d'apparat faisaient événement. Ces soirs-là, les carrosses emplissaient une grande partie de la rue du Bac, n'avançant qu'avec lenteur. Le flot des invités n'arrêtait pas de monter l'escalier spacieux, tout inondé de lumière, de fleurs, de parfums. Sur le seuil du premier salon se tenait, prêt à les recevoir, M. de Talleyrand en son costume de velours rouge brodé d'or[8]. Tous les ambassadeurs résidant à Paris, a dit, pour y avoir assisté, Mme de Cazenove d'Ariens, tous les princes, toutes les princesses, les femmes qui tenaient à se montrer dans le régime nouveau sortaient et entraient et venaient courber leur front : les hommes en habits brodés avec leurs ordres — cordons, plaques, étoiles —, les femmes en robe de velours, beaucoup de satin blanc et des robes de crêpe blanc, d'autres, en robes de dentelles noires ; et beaucoup de diamants ; car, les diamants, devenus rares, réapparaissaient comme animés d'un plus grand éclat.

Mme de Talleyrand n'ayant pas à parler, mais à recevoir, recevait bien ; et le maitre de céans avait grand air. Du simulé, du factice habilement recouvert d'un naturel acquis, il en était bien quelque chose dans ce maintien grave, dans cette politesse protectrice dont il se jouait avec les gens, dans ces silences dont l'énigme était le dédain ou le mystère et jusque dans les formes détachées dont il lui plaisait, en causant, de traiter les graves questions. Des regards de femmes, à défaut de la clairvoyance des hommes, ne s'y étaient pas trompés ; il avait eu l'art de se composer d'une suite d'habitudes prises à dessein son caractère et sa contenance de personnage en vue ; et, depuis qu'il en avait constaté les effets utiles d'ascendant, de prestige calme et fort autant que la puissance d'une vraie nature, il ne s'en était plus séparé, ni dans la politique ni dans le monde.

***

C'était dans la pleine prospérité du Consulat. Le spectacle des affaires renaissantes donnait, une fois de plus, raison à' ce principe si souvent invoqué par les dominateurs que l'ordre nait des révolutions. La rapidité de ces transformations heureuses étonnait et réjouissait les âmes. Les esprits les moins enclins à porter leurs vœux à la dictature se sentaient forcés de rendre justice, parce que les preuves en éclataient, de toutes parts, à la puissance d'organisation soudainement révélée du dictateur. Sans doute, des craintes perçaient dans rame et les paroles des amis éclairés de la liberté. Benjamin Constant dénonçait, tout à l'heure, au Tribunat, les indices d'une domination autoritaire et jalouse ; mais elle ne s'imposait encore que par degrés. L'exercice déréglé du pouvoir n'avait pas encore rendu l'homme haïssable et son gouvernement tyrannique.

Talleyrand, dont l'opinion foncière était que le gouvernement monarchique convenait le mieux à la France, soit qu'il en fût persuadé par principe, ce qui n'était pas très sûr, soit qu'il vit dans les avantages ou dans les abus ressortissant d'une cour, des chances d'autorité on de crédit plus faciles A saisir que dans un gouvernement libéral, Talleyrand poussait le Consul à rétablir les formes souveraines du pouvoir réel exercé par lui. Il entrait dans ses vues, dans ses intérêts, dans ses ambitions presque sans réserve et l'incitait à ne négliger aucune des mesures capables de fonder sa puissance sur des bases réparatrices. En retour, Bonaparte, si jaloux de l'exercice entier de cette puissance, lui concédait une initiative étendue dans le règlement des affaires extérieures. Ainsi lui reviendra-t-il, à lui ministre, de déterminer les nouvelles constitutions d'États, qu'on voudra faire accepter à l'Allemagne. Son ascendant diplomatique en sera fort augmenté et non seulement cet ascendant, mais bien aussi sa fortune particulière, grâce aux largesses des princes, qui le remercieront en secret de certaines complaisances dans les détails.

On n'avait point dépassé la belle période de la grandeur de Bonaparte, quand cette grandeur n'accablait pas tous ceux qui se mouvaient au-dessous d'elle, sous les gènes sans cesse plus encombrantes d'un cérémonial rigide et les servitudes d'une obéissance aveugle, quand le maitre de la France se sentait encore nouveau dans l'usage de la souveraineté. On l'admirait, on l'aimait ainsi calme, serein, abordable.

A la traverse se dénonçaient et s'aggravaient des poussées brusques d'autoritarisme, un dédain marqué des formes légales, des impatiences contre les juges chargés de faire aboutir des intentions de rigueur et qui délibéraient[9], et qui voulaient s'instruire avant de condamner. De jour en jour, montaient les exigences de celte volonté. Et, parmi les rares serviteurs qu'elle n'avait pas subjugués en entier, Talleyrand, tout en prodiguant d'adroites flatteries au Premier Consul pour lui faire accroire qu'il aimait en lui moins sa fortune et ses succès que sa personne, Talleyrand observait la progression rapide de ses actes vers l'absolutisme. Sa clairvoyance envisageait avec appréhension les développements du caractère prodigieux, qu'il étudiait en silence. Put-il, à aucun moment, supposer que Bonaparte poserait de lui-même à l'autorité dont il était investi une juste et prudente limite ? Il ne dut pas en conserver longtemps l'illusion, à supposer qu'il l'eut jamais. Si l'on accueille les étrangers, si l'on favorise le retour de l'émigration, il est deux espèces de gens : les députés et les journalistes, dont on se débarrasse lestement ; des ordres d'exil ont atteint des femmes et des hommes d'âge, dont. le seul crime est d'entretenir des correspondances considérées comme suspectes et de dénigrer le régime nouveau.

Du côté de la politique extérieure se prononce un changement d'orientation, dont s'inquiète, pour le présent et surtout pour l'avenir, la lucidité du diplomate. Comme il l'exprime avec tant de précision, en ses Mémoires, la paix d'Amiens était à peine conclue que la modération commençait d'abandonner Bonaparte. Elle n'avait pas encore reçu sa pleine exécution qu'il jetait les semences des nouvelles guerres, qui devaient, après avoir accablé l'Europe et la France, le conduire lui-même à la ruine. Frayait engagé sa parole dans la promesse de restituer le Piémont au roi de Sardaigne, immédiatement après la paix de Lunéville ; mais, ayant, chemin faisant, considéré qu'il n'avait accompli d'autre œuvre par ses victoires que de confirmer les conquêtes de la Révolution ; qu'il n'y avait pas ajouté de territoire nouveau, et qu'il lui fallait de ces titres d'agrandissement et d'annexion pour donner plus de force à son âpre désir de régner, il avait jugé bon de passer outre et de garder le dépôt, qui avait été mis entre les mains de la France. Le fait arbitraire de la réunion du Piémont une fois accompli, puis ratifié par l'approbation complaisante du Sénat, on avait pensé que celte violation du droit des gens, déguisée sous le nom de conquête, n'aurait pas d'autre conséquence qu'une protestation muette et impuissante. Il ne plut pas au gouvernement anglais d'en entretenir l'illusion chez Bonaparte. Maintenant que des embarras extérieurs ne troublaient plus la liberté de son action, il saisit le prétexte de cette dépossession du roi de Sardaigne pour garder Malte et reprendre les armes contre la France.

Des espérances indéfinies semblaient permises. Des flatteurs ou des admirateurs candides se croyaient autorisés à faire entendre, du haut d'une tribune, des paroles telles que celles-ci, toutes parfumées d'encens et fleuries d'optimisme :

Quel chef de nation montra jamais un plus grand amour pour la paix ? S'il était possible de séparer l'histoire des négociations du Premier Consul de celle de ses exploits. on croirait lire la vie d'un magistrat paisible, qui n'est occupé que des moyens d'affermir la paix.

M. de Vaublanc avait à peine achevé son allocution, aux applaudissements de tout le Corps législatif, que la nouvelle éclatait, désastreuse, de la rupture entre l'Angleterre et la France. Nul ne déplora plus que Talleyrand cette déclaration de guerre, qui ouvrait la digue à des complications sans fin.

***

La période consulaire approchait de son terme, présentant dans son œuvre accomplie un ensemble d'une véritable grandeur, mais ayant eu aussi, sous tant de gloire, ses taches, ses misères, ses mensonges, ses cruautés. Elle se ferma sur un épisode tragique : l'exécution du duc d'Enghien. Les responsabilités de ce crime d'État furent étendues des principaux acteurs à des témoins de première ligne, principalement à Talleyrand. Qu'y eut-il en cela de vrai ? La question nous oblige, en dépit de tant de pages amoncelées déjà sur ce sujet, à y prolonger notre attention.

Le hardi Breton Cadoudal, au cours des interrogatoires qu'il soutint d'une contenance si fière et si assurée, avait déclaré que la conspiration dont il était le chef devait être appuyée par un prince de la famille royale. Sur cette parole imprudente, la police avait été mise en mouvement pour rechercher en quels lieux se trouvaient, réunis ou isolés, tous les princes de la maison de Bourbon. Le duc d'Enghien était le plus près de la France ; il fut choisi comme victime exemplaire et pour servir de leçon aux prétendants. Il habitait, depuis peu de temps, à Etteinheim, dans le pays de Bade, non loin de celle qui possédait le secret de son cœur, la douce princesse, Charlotte de Rohan-Rochefort. Pétri d'honneur, ardent et chevaleresque, éloigné de toute idée de basse manœuvre, il attendait, dans le silence, une occasion possible de combattre pour son drapeau, mais dans les rangs d'une armée. Je ne sais pas servir mon roi en frac, écrivait-il, à moins que ce ne soit l'uniforme de la Vendée[10].

Quelle voix révéla le lieu de sa retraite ? On prétendit et Napoléon l'affirma que cette voix fut celle de Talleyrand. Une telle délation n'aurait pas été nécessaire, s'il est croyable qu'elle se produisit. La police, avec ses mille ramifications et la source inépuisable de renseignements, que lui fournissait le décachetage organisé des lettres, le cabinet noir comme on l'appelait, avait tous les moyens d'en être instruite ; on savait bien où le trouver. Sans doute, Talleyrand tint la plume, qui traça la note adressée au baron d'Edelsheim, ministre des Affaires étrangères du Grand-Duché de Bade et qui lui fut remise par le général Caulaincourt[11] ; il signa de sa main cette pièce officielle, dont on a fait l'argument irréfutable de sa participation au meurtre du duc d'Enghien. Mais la lettre en question, que fut-elle, sinon une dictée de Bonaparte ? Le secrétaire du portefeuille de Napoléon, sous le Consulat et l'Empire, le baron de Méneval n'a-t-il pas expressément posé l'affirmation suivante, en soulignant les mots, comme pour leur attacher plus d'importance et plus d'authenticité : Berthier, Talleyrand et tant d'autres n'ont pas donné un ordre, n'ont pas écrit une dépêche, qui n'aient été dictés par Napoléon ? Talleyrand, en sa qualité de ministre, n'avait été que l'intermédiaire officiel[12], l'agent de transmission, désigné par le poste même qu'il occupait, à prévenir le grand-duc de Bade du fait qu'un détachement français allait se porter secrètement sur son territoire et en violer la neutralité, pour des raisons de haute police.

Préalablement un émissaire avait été envoyé sur les confins d'Etteinheim, afin d'y exercer une surveillance attentive des agissements du prince. A considérer de près et sans passion ses habitudes journalières, on eût constaté qu'il avait suspendu ses correspondances avec l'étranger, qu'il tenait la promesse faite au duc de Bourbon son père de ne plus passer la frontière, qu'il se livrait à son amour des fleurs passionnément pour les offrir à l'adorable Charlotte de Rohan, l'amante fidèle et tendre, la femme accomplie, à laquelle venaient de l'unir les liens d'un mariage conclu dans le mystère[13]. On aurait appris, en outre, qu'il s adonnait aux plaisirs de la chasse, qu'il avait la main facilement ouverte pour secourir les malheureux, que s'il était, en son âme, désolé de cette inaction, il menait en fait une existence uniforme et paisible. Mais l'argus utilitaire au service du Premier Consul, un officier de gendarmerie, n'avait pas vu les choses sous cet angle inoffensif. Il revint persuadé, au contraire, que le duc d'Enghien était en correspondance active avec les émigrés du clan irréductible, qu'il leur prodiguait des excitations à la vengeance et que, s'il s'absentait des semaines entières, c'était pour resserrer la trame des complots, dont il était n'une, contre la vie du Premier Consul.

Ce furent les impressions qu'il rapporta, en y ajoutant des révélations plus ou moins notoires sur les allées et venues de certains agents de l'Angleterre et des Bourbons, tels que le remuant Fauche-Borel et deux femmes allemandes très exaltées pour la même cause, Mmes de Reische et d'Etteigheim. La lecture du susdit rapport, dont l'esprit de soupçon et d'inquiétude était fort exagéré, avait ému Bonaparte. Le 10 mars 1804, il réunit en conseil : les deux autres consuls, Régnier, grand-juge et ministre de la Justice, Fouché, Talleyrand et lui-même, prenant d'abord la parole, exposa le point essentiel, qui avait provoqué cette réunion. Des machinations criminelles étaient mises en jeu contre lui, chef élu de la France. Les conjurés attendaient la venue prochaine d'un membre de la famille des Bourbons, et, qui n'était pas le duc de Berry, comme on l'avait avancé, mais bien le dernier des Condé, le duc d'Enghien. Ce personnage princier en voulait à sa vie ; on avait des indices certains qu'il userait de tous les moyens en son pouvoir pour la lui ravir. De tels faits se trouvant éclairés d'une entière évidence, n'était-il pas en droit, lui, Bonaparte, d'user de représailles anticipées, et de gagner de promptitude sur les plans homicides qu'on formait contre lui, en faisant arrêter le prince, n'importe comment et en n'importe quel lieu ? La question était, nettement établie. Il attendait de connaître l'opinion successive des membres de son conseil.

Le trouble fut grand dans la réunion. On ne se décida pas tout de suite à rependre. Néanmoins, l'un des membres du groupe, acquis d'avance et complètement aux desseins du Premier Consul, prit, le premier la parole. D'une manière insidieuse, Fouché mit bout à bout des semblants de preuves pour justifier un coup de main aussi hardi, qui mettrait fin aux hydres sans cesse renaissantes des conspirations. Il voulait, bien ajouter — quoique étant à peu près sûr du caractère illusoire d'une telle promesse — que, d'ailleurs, si, après l'instruction du procès du prince, on ne le reconnaissait pas coupable, on serait à même de réparer une erreur, et de le rendre à la liberté.

Cambacérès tint un langage différent. Il ne croyait point aux faits rapportés contre le descendant d'une des plus illustres familles de France. Au contraire, il avait la certitude que le duc avait renoncé à toute idée d'agression ; et le trait était parvenu à sa connaissance qu'il avait chassé méprisamment un homme qui était venu lui proposer de tuer le Premier Consul.

Talleyrand, après qu'on eut entendu la lecture d'un mémoire du grand-juge sur l'état de la conspiration de Pichegru dans l'intérieur de la France, exposa avec son habituelle précision les menées avouées ou cachées des agents anglo-royalistes. Le sujet l'amenait à dire où se trouvait chacun des membres de la famille royale, y compris le duc d'Enghien, mais il l'avait fait, à titre d'information pure et sans mettre en avant, comme l'a prétendu Rovigo, la nécessité de se saisir de sa personne. Par un détour adroit, en appuyant sur les mots significatifs, il avait simplement conclu qu'il importait de prendre les précautions, toutes les précautions qu'exigeait la prudence pour la conservation des jours du Premier Consul et la tranquillité de l'Empire. — Cambacérès rapportait, le lendemain, à son amie Mme du Cayla, qu'il prononça le dernier mot Empire avec une affectation si marquée que Bonaparte en avait souri. — Talleyrand s'était placé, comme il convenait à son rôle, sur le terrain diplomatique. Après avoir fait observer qu'on pouvait comploter autour du chic d'Enghien, sans que lui-même en eût connaissance, et qu'en général ceux de sa classe étaient mal informés de ce qu'on tentait en leur nom, il résuma la situation. Le mettre en état d'arrestation sur un terrain neutre serait une violation ouverte du droit des gens. Les puissances européennes jetteraient les hauts cris. Il ne fallait pas s'exposer au reproche d'une telle incorrection. Mieux vaudrait-il attendre que le duc commit l'imprudence de se risquer, une nouvelle fois, sur le territoire français dont il était banni, parce qu'alors on serait armé contre lui d'un motif de légitime défense et qu'il aurait été, de lui-même et par sa faute, au-devant des rigueurs de la loi.

En suggérant celte dernière alternative, Talleyrand espérait que le Premier Consul ajournerait. son dessein jusqu'à ce que la témérité du jeune prince lui fournit l'occasion de l'exécuter de plein droit. Son conseil était û double fin ; en le donnant, il s'était bien promis que cette occasion ne se présenterait pas, et qu'il tiendrait avertie la princesse Charlotte de Rohan d'avoir à préserver de sa témérité celui qu'elle aimait. Le troisième consul se rangea à l'avis de Cambacérès. Fouché seul était entré à fond dans les vues secrètes de Bonaparte, étonné de la résistance des autres : Vous êtes devenu bien avare du sang des Bourbons ! s'était écrié le chef du triumvirat, en jetant un mauvais regard à son collègue, qui faillit donner sa démission.

Mais il n'avait consulté ces dignitaires que pour la forme. L'opinion du sénateur-ministre Fouché était l'unique dont il eût à faire cas, parce qu'elle était conforme à ses résolutions d'avance arrêtées. Il donna des ordres pour qu'elle se transformât en acte.

Un détachement de troupes commandé par le général Ordener devait passer nuitamment le Rhin, se rendre à Etteinheim et s'emparer de vive force du duc d'Enghien. Il en fut ainsi qu'on l'avait prescrit. Malgré lus avertissements, qui lui avaient été donnés de différents côtés, par le comte de Launans et le général Frion, entre autres, malgré les supplications de la princesse Charlotte, le prince s'était obstiné à ne pas s'éloigner d'un voisinage aussi dangereux. Le h ; mars 1801, trois cents hommes, dragons et gendarmes, ayant à leur tête, pour un tel exploit, cieux généraux et deux colonels, cernèrent sa demeure. Les portes furent enfoncées, la maison envahie, le duc violemment arraché à son repos. Du château on le mena dans un moulin sis à peu de distance ; puis, il fut embarqué pour Rheinau, débarqué, conduit à pied jusqu'à Pforsheim, jeté dans une voiture et vivement conduit jusqu'à Strasbourg, pour y arriver, à 5 heures du soir, et se voir presque aussitôt transféré à la citadelle. Le dimanche 18, on l'enleva de nouveau, dans le plein de son sommeil — il était 1 heure du matin —, afin de le diriger sur Vincennes. Le 20, à

heures du soir, il était enfermé là, brisé de fatigue, exténué de besoin, surpris de tant de violence, mais ne se cloutant guère qu'il lui restait à peine un répit de sept à huit heures à vivre.

On n'a plus à rappeler le parti pris impitoyable où s'était retranché Bonaparte, malgré les pleurs de Joséphine et tant d'invocations pressantes à sa pitié. Ce fut la même raison d'État sans entrailles, qui motiva la condamnation voulue, fixée d'avance, de Louis XVI. Il est coupable, parce qu'il fut roi, proclamait comme seul argument, à la Convention, Manuel qui, du moins, n'en avait pas conclu par un verdict de mort. Nous ne voulons pas juger le roi, articulait nettement Danton, nous voulons le tuer. Et, dans le même esprit d'iniquité cruelle. Saint-Just avait déclaré que le roi devait être jugé en ennemi. Impatient de saisir la couronne, voulant à la fois déconcerter par la force les conspirations royalistes et s'étayer, dans son entreprise, de l'approbation complice des anciens chefs de la Révolution qui l'entouraient, et qui reconnaitraient l'un des leurs, à ses actes[14], il s'était prononcé sans hésitation d'âme sur la nécessité de sacrifier un prince de la maison de Bourbon, pour l'exemple.

Les juges de sa chambre ardente eurent vite accompli leur besogne. Ou plutôt, il n'y eut pas de juges. Celui qui devait en tenir lieu, Réal, s'était arrangé de manière à oublier l'heure où son devoir l'appellerait à Vincennes ; il avait laissé le conseil de guerre, présidé par le général Hulin, agir seul, en vertu d'une consigne. Réal avait oublié, Réal avait dormi, pendant cette terrible nuit du 20 au 21 mars. Savary n'y mit pas tant de façons : la fosse du duc était préparée avant la sentence. Le prince, à la suite de sa comparution devant le conseil, causait tranquillement avec le lieutenant de gendarmerie Noirot sur des détails de son service, sur les conditions où il était entré dans l'armée, sur leur amour du drapeau. Tout à coup, était entré le commandant du château, Haret, une lanterne à la main et suivi d'un brigadier ; il invita le duc d'Enghien à le suivre. Où le conduisait-on ?... Il a franchi la dernière porte, et, près de la tour du Gouverneur, près du pavillon de la Reine, dans les fossés humides du donjon, il se trouve face à face avec le peloton d'exécution. L'adjudant général Pelé tient en main une lanterne à demi-ouverte dont la lumière est dirigée vers lui. On a lu l'arrêt de mort. On lui accorde le délai d'une prière silencieuse. Il se relève. Les gendarmes font feu. Il tombe. Savary, qui s'était opposé tout à l'heure à la lettre de recours en grâce, que la commission militaire voulait rédiger, a présidé lui-même à l'exécution, du haut des remparts.

A la première nouvelle de ce meurtre politique, deux des chefs de service de Talleyrand, Blanc-d'Hauterive et Brisson, qui pensaient l'en instruire, étaient entrés dans son cabinet en s'écriant d'indignation : On ne peut plus continuer à le servir !... A cette apostrophe, le ministre, froidement, avait répondu, gardant pour lui-même le surplus de son impression : Eh bien ! quoi ? ce sont ses affaires. Ils sortirent, et le premier dit au second, ne parlant plus de Bonaparte, mais de Talleyrand : Cet événement fait penser aux Bourbons : un jour il servira leur cause.

Talleyrand fût-il des conseilleurs et des approbateurs de cette violence ? Avait-il, lui aussi, par une Vielle complaisance opiné pour la suppression du prince ? Bien des plumes l'en ont accusé. Le chancelier Pasquier l'affirme. De sa déposition nette et de la version de Savary il résulterait que Bonaparte voulut aller jusqu'au bout de son dessein, que Talleyrand l'approuva[15], que c'est bien Caulaincourt qui fit enlever, comme à son insu, le duc d'Enghien : Murat qui le fit juger, et le futur duc de Rovigo exécuter ! Enfin, Napoléon, pour s'en décharger en partie, — quoiqu'il n'ait jamais exprimé le regret de son acte, — en a rendu Talleyrand solidaire devant l'histoire. Celui-ci s'en est défendu, à l'instar de Fouché, et avec des raisons plus probantes, que l'ancien conventionnel, ne dût-on les tirer que de la comparaison de leurs caractères.

Plusieurs fois, il s'en était entretenu avec Mme de Rémusat, qui en a témoigné dans ses Souvenirs. Le Premier Consul, lui disait-il, l'avait instruit, en des termes brefs, de l'arrestation du duc d'Enghien et de la détermination inébranlable qu'il avait prise contre lui. Le tigre avait senti l'odeur du sang. Lui Talleyrand s'était tu, par la conviction que ses paroles eussent été vaines pour le ramener à d'autres sentiments. Mais s'il désapprouva dans l'intime de son âme une action sans excuse, n'aurait-il pas dû traduire ce blâme moral par une ferme protestation ? Il en raisonna différemment, au point de vue de sa situation personnelle. Selon des juges sévères de sa conduite, il eût été de son devoir de démissionner, à la suite d'une mesure cruelle, qu'il réprouvait[16]. A ceux-là froidement il avait retourné cette réponse :

— Si, comme vous le dites, Bonaparte s'est rendu coupable d'un crime, ce n'est pas une raison pour que je me rende coupable d'une sottise.

C'eût été sottise, dans le moment, parce qu'il se fût privé, sans autre compensation que l'éloge de sa conscience, de plusieurs années de puissance, d'honneur, d'éclat répandu sur son nom et sur sa personne. Il préféra garder le silence. Il ferma les yeux et les lèvres, tint muette son opinion pour la développer un jour, complète et sans ménagements, et, comme si rien d'anormal ne se fia, passé autour de lui, il donna un grand bal[17], le surlendemain de cet assassinat politique — ce qui était aussi trop politique et parut peu généreux.

Peu de jours après, était constitué l'Empire. L'attaque dirigée sur la Bretagne par une poignée d'émigrés, débarqués d'un navire anglais, les circonstances dans lesquelles le Premier Consul put mêler à ce complot vendéen Dumouriez, Pichegru et Moreau, ses trois rivaux de gloire militaire, la série des conjurations, où Talleyrand eut à intervenir, pour sauver la vie de Polignac, et que termina, dans une pluie de sang, le terrible holocauste de Cadoudal et de ses complices[18], avaient décidé Bonaparte à se faire un bouclier de la monarchie héréditaire.

 

 

 



[1] Des ducs, des pairs briguent l'honneur d'être, au whist de Mme la duchesse de Luynes, les partenaires de Fouché et de duper avec lui leurs adversaires. (Peltier, Londres, 4 février 1802.) Sur la singulière faveur d'opinion dont jouissait, à ce moment-là, l'ex-conventionnel auprès du monde bien pensant, voir : Mme de Chastenay, I, 436, 437 ; la duchesse de Guiche, Voyage de la duchesse de Guiche ; Mme Récamier, Souvenirs et Correspondance ; Bardoux, Mme de Custine ; Louis Madelin, Fouché, t. Ier.

[2] Le grand-juge Régnier, depuis duc de Massa, fut mis à la tête des deux ministères de la justice et de la police, qui ne formèrent plus qu'un seul département. Cf. Thibaudeau, Histoire du Consulat, t. III, 47.

[3] On lui entendra dire : Je voudrais que la noblesse habitât seule ma cour ; car, elle la rendrait agréable. Des sabreurs ne sont bons que sur un champ de bataille. Et il ajoutait, ce qui était moins flatteur pour les grandes familles : La servilité dans les anciennes familles est un effet de l'habitude ; on est courtisan, de père en fils, et le métier s'apprend en suçant le lait de la nourrice.

[4] 8 ventôse, an IX (27 février 1801).

Citoyen Consul,

J'ai l'honneur de vous adresser la liste des femmes non dansantes, qui se sont trouvées, chez le ministre des Relations extérieures, à la soirée du 6 ventôse :

Mmes d'Aiguillon, Bezenech, Bourgoing, Bruix, Canteleu, Castellane (née Chabot), Crillon (famille de), Custine, de Dreux, du Clusel, Flahaut, de Fleurieu, de Jaucourt, de Jumilhac, de Lameth, de La Rochefoucauld (née Rohan-Chabot), de Noailles, Reichstein, de Ségur, de Vaisnes, de Vergennes, de Witt (née Pelletier Saint-Fargeau).

Ch.-Maurice DE TALLEYRAND.

[5] Ouvrard affirme en ses Mémoires (t. Ier), que Bonaparte ne lui pardonnait pas d'avoir répondu par un refus à sa demande d'une avance de 12 millions, et que ce fut la véritable cause des persécutions qu'il eut à souffrir de son gouvernement, tant que durèrent le Consulat et l'Empire.

[6] Telles, Mme de Fontanges, attachée à la personne de Mme Laetitia (bientôt Madame-Mère), Mme de Champagny, à celle de la princesse Borghèse et Mme de La Grange auprès de Caroline Murat.

[7] L'animosité persécutrice de Napoléon enveloppera dans une commune disgrâce, Mme de Staël et ses amis. Le vicomte de Montmorency sera exilé pour l'avoir reçue sous son toit. Mme Récamier y perdra ses biens et sa tranquillité.

[8] A partir de l'époque impériale, quand il eût été nommé grand chambellan.

[9] En 1804, pendant le procès du général Moreau, à sa première audience publique du dimanche, à Saint-Cloud, il avait accueilli furieusement le juge Lecourbe, frère du général, pour avoir parlé avec chaleur, au Tribunal, en faveur de l'innocence du vainqueur de Hohenlinden. On a raconté qu'il le chassa de sa présence en l'appelant juge prévaricateur, sans se rendre compte, en sa colère, de la vraie signification de l'épithète employée ; el, peu après, il le destitua. Le grand-juge Regnier s'était trop avancé en lui promettant la condamnation à mort de son ancien frère d'armes ; il n'eut pas cette sentence capitale attendue contre Moreau.

[10] Lettre du 24 novembre 1801. Être soldat, agir, combattre, fût-ce contre la France et dans les rangs anglais, pour le roi, c'était, en vérité, son ardent désir, Le 26 août 1803, il écrivait à son père, le duc de Bourbon : Ne doutez pas que Bonaparte n'oubliera pas ce qu'il appelle notre folle insolence et, s'il arrivait malheur aux Anglais, ce ne serait pas en Europe que nous trouverions le repos et la liberté.

Le fatal nom que nous portons nous condamne donc à une nullité honteuse !, s'écriait-il dans une lettre du 2 septembre 1803. Le gouvernement anglais venait de répondre par une fin de non-recevoir aux offres de service que le duc d'Enghien avait fait tenir à son ministre de la guerre, lord Hubart.

[11] Monsieur le baron,

Je vous ai envoyé une note, dont le contenu tendait à requérir l'arrestation du comité d'émigrés siégeant à Offenbourg, lorsque le Premier Consul, par l'arrestation successive des brigands envoyés en France par le Gouvernement anglais, comme par la marche et le résultat des procès qui sont instruits ici, eut connaissance de toute la part que les agents d'Offenbonrg : avaient aux terribles complots tramés contre sa personne et contre la sûreté de la France. Il a appris de même que le due d'Enghien et le général Dumouriez se trouvaient à Etteinheim et, comme il est impossible qu'ils se trouvent dans cette ville sans la permission de Son Altesse Électorale, e Premier Consul n'a pu voir sans la plus profonde douleur qu'un prince auquel il lui avait plu de faire éprouver les effets les plus signalés de son amitié pour la France, pût donner un asile à ses ennemis les plus cruels et laissât ourdir tranquillement des conspirations aussi évidentes. En cette occasion si extraordinaire, le Premier Consul a cru devoir donner l'ordre à deux petits détachements de se rendre à Offenbourg, et à Etteinheim, pour y saisir les instigateurs d'un crime qui, par sa nature, mettent hors du droit des gens tous ceux qui manifestement y ont pris part. C'est le général Caulaincourt qui, à cet égard. est chargé des ordres du Premier Consul. Vous ne pouvez pas douter qu'en les exécutant, il n'observe tous les égards que Son Altesse peut désirer. Il aura l'honneur de remettre à Votre Excellence la lettre que je suis chargé de lui écrire.

Signé : Ch.-Maurice DE TALLEYRAND.

[12] Nous relevons encore, dans les Mémoires de Méneval, une déclaration formelle, qui dissipe toute espèce de doute, à cet égard : Le Premier Consul me dicta une lettre adressée au ministre Talleyrand pour lui prescrire les mesures diplomatiques à prendre. Aux termes de cet ordre, le ministre des relations extérieures devait remettre au général Caulaincourt une lettre adressée au baron d'Edelsheim, ministre de l'électeur de Bade, lettre que cet officier porterait à destination, dès qu'il aurait appris l'arrestation du duc d'Enghien. (Méneval, loc. cit., I, p. 256.)

[13] Leurs secrètes épousailles furent bénies, à la fin de l'année 1503, par l'ancien grand-vicaire général de Strasbourg, l'abbé Weinborn. Des notes, restées inédites en partie, du baron de Rœsch, l'un de ceux qui vécurent dans l'intimité la plus étroite du duc d'Enghien, ne permettent aucun doute sur celle conclusion de leur roman d'exil.

[14] L'un de ceux-là lui avait dit : Prouvez-nous qu'en aspirant à la royauté, vous n'avez de vouloir que celui de la conserver, et, vos premiers sujets, nous tombons à vos pieds. (Cf. Lombard de Langres, Souvenirs.)

[15] Autre close est de commettre un crime, autre chose de défendre un criminel et jamais, dans la pire même des causes, on n'a confondu l'avocat avec le coupable. (Duc de Broglie : le Procès et l'Exécution du duc d'Enghien, 1880, p. 30.)

[16] La mort violente et inexpliquée de Pichegru, les moyens employés pour obtenir la condamnation de Moreau pouvaient être mis sur le compte de la politique ; mais l'assassinat du duc d'Enghien, commis uniquement pour rassurer, en se plaçant dans leurs rangs, ceux à qui la mort de Louis XVI faisait craindre toute espèce de pouvoir ne venant pas d'eux ; cet assassinat, dis-je, ne pouvait être ni excusé, ni pardonné, et il ne l'a jamais été ; aussi Bonaparte a-t-il été réduit à s'en vanter. (Talleyrand, Mémoires, t. I.)

[17] Voyez Miot de Mélito, Mémoires, II, 159.

[18] Depuis la Terreur, jamais on n'avait vu, en un seul jour répandre tant de sang sur un échafaud.