RÊVE D'EMPEREUR

LE DESTIN ET L'ÂME DE NAPOLÉON III

 

CHAPITRE HUITIÈME. — L'AVÈNEMENT.

 

 

Six semaines seulement s'étaient écoulées, depuis son élection à la Présidence : il songeait au coup d'État.

Le 29 janvier 1819, il avait risqué, sur ce sujet périlleux, de premières ouvertures au plus populaire des généraux. Espérant trouver, auprès de Changarnier, des encouragements et un soutien, il l'avait tiré à part, ce jour là, et commença de lui lire un plan manuscrit du rôle qu'y jouerait l'armée. Mais, dès les premiers mots, ayant pu voir que Changarnier ne le suivrait point, il arrêta la lecture, replia son papier, le mit en poche et ne sortit plus de son silence que trois ans après, — pour agir, sans lui et à ses dépens.

Patient et persévérant, corrigeant le vague d'une imagination éprise d'utopie par la netteté d'une volonté longuement réfléchie, il ne s'ouvrait point de ses projets, pour n'avoir point à les défendre. Des généralités vagues, des phrases nébuleuses, à dessein, lui venaient aux lèvres et sous la plume ; il les abandonnait, — tels les oracles ambigus des anciens, — à l'interprétation libre du commentaire.

Se taire n'impliquait, de sa part, ni peine ni effort ; en outre, c'était la façon la plus commode d'orienter sa marche, à travers les partis, en laissant à chacun d'eux le droit de supposer qu'il leur était spécialement acquis. Les socialistes le jugeaient un des leurs, d'après des suppositions idéales, qu'ils s'étaient formées de ses anciennes brochures poussant aux réformes démocratiques. Et les conservateurs, retombant à son égard dans l'illusion grossière des royalistes sous le Consulat, attendaient qu'il fût prêt à leur repasser le jeu, avec espoir de récompense.

Un pur monarchiste, tel que le comte de Falloux, aurait levé la main, pour son désintéressement. Ne l'avait-il pas entendu lui faire à lui-même — et avec quel accent de sincérité ! — cette déclaration formelle :

Montrez-moi la maison de Bourbon réunie, vous me trouverez, alors, tout prêt à prendre ma canne et mon chapeau.

Lancien ministre constitutionnel s'était hâté d'en transmettre l'écho à ses princes en exil, sans y croire tout à fait, mais presque.

Conspirateur méthodique, Louis-Napoléon ne tenait point, ainsi que nous l'avons remarqué, précédemment, à se découvrir trop tôt ; autant qu'il le pouvait, il s'effaçait, biaisait, observait et prenait le vent. Il se hâtait vers son but avec une sage lenteur, habile expectative, dont il appliquait, après bien des années, l'enseignement, tel qu'il l'avait reçu de sa mère, parmi beaucoup d'autres leçons politiques. Dans un de ses memoranda ne lui avait-elle pas donné ces sages conseils pour qu'il s'en souvint :

Soyez un peu partout, soyez toujours prudent, toujours libre, et ne vous montrez ouvertement qu'à l'heure opportune.

Dans les dîners auxquels il était fréquemment prié, clans les réunions du soir dont il était l'un des hôtes marquants, il se gardait avec tant de circonspection, prenait une part si restreinte et, d'apparence, si détachée, aux propos s'échangeant autour de lui, que l'opinion d'alentour avait grand'peine à se fixer sur ce qu'il pensait et préméditait. Les dehors empreints de dignité, dont iï relevait une habituelle froideur, ou les manières déférentes, dont il savait les adoucir, lui conciliaient de l'estime et des sympathies. On n'en tirait que des inductions vagues, à l'égard de ses véritables desseins. Récemment, il dînait chez Odilon Barrot, en une coquette habitation de Bougival. Les convives étaient fort gais et faisaient honneur à la bonne chère, aux vins délicats, à l'esprit de la maison. Lui Napoléon mangeait peu, riait peu et n'échangeait que de simples politesses avec ses voisins et voisines de table. Le comte de Rémusat, qui était assis entre Louis-Napoléon et Victor Hugo, avait dit au poète, entre haut et bas, de manière, cependant, à ce que le prince l'entendit : Je donne ma voix à Louis-Napoléon et mon vote à Cavaignac. Le mot n'avait pas eu l'air de frapper celui qu'il visait. Il paraissait n'en rien savoir et continuait, d'un air absent, à faire manger des goujons frits à la levrette de Mme Odilon Barrot. Mais, on pourra relever, d'ici peu, cette suite de concordances : en 1852, l'indifférent Louis-Napoléon aura ligoté le Parlement et maîtrisé la République. Victor Hugo et Charles de Rémusat, l'un et l'autre, fouleront la terre étrangère, en exilés.

Vingt années auparavant, Louis-Philippe de Bourbon, duc d'Orléans, an moment de s'installer dans les appartements royaux de Charles X, protestait avec une véhémence singulière qu'on l'avait amené là, par force. et qu'il n'y était venu que. pour dégager la place et la restituer à son seul et légitime maitre[1]. À aucun prix, il ne consentirait à monter sur un trône volé. Ils peuvent me mettre en morceaux, s'écriait-il, devant le duc de Mortemart, qui n'oubliera point de rapporter des paroles aussi catégoriques, mais ils ne me feront jamais accepter la couronne.

Tel, le prince-président, avant de s'appeler Napoléon III, jurait et rejurait, coram populo : Je ne suis pas un ambitieux. Jamais il ne lèverait une main sacrilège contre la noble institution républicaine, objet de ce religieux amour, dont nous parlions tout à l'heure.

Mais il ne déguisait point à ses intimes que ce qu'il en disait n'avait pas d'autre importance ; que l'essentiel était d'arriver au but : qu'on verrait bien, ensuite, à se résoudre sur ce qu'on pourrait ou non garder, des avances faites aux doctrines libérales. Il se sentait puissamment encouragé dans son immense espoir par la prévention de la majeure partie des Français. Encore inexpérimentés à l'idée de république, la plupart ne pouvaient la concevoir qu'à travers le souvenir malheureux des excès de la première Révolution. Beaucoup de gens craintifs commençaient à se dire, songeant aux entreprises manquées de Strasbourg et de Boulogne :

Le prince aventureux, qui osa ces coups d'audace, saura nous délivrer du spectre rouge. Donnons-nous à lui, comme au sauveur de notre tranquillité.

Dans les campagnes, avant qu'il soit longtemps, les paysans iront voter, à bulletins ouverts, au nom de Napoléon, moins pour acclamer un homme, qu'ils ne connaissent point à ses actes, que pour s'associer à une condamnation par le nombre du système républicain.

Enfin le peuple, lui aussi, montrait qu'il en avait assez des rhéteurs grandiloquents, des mâcheurs de paroles à vicie, des Jaurès d'alors.

Par moments, des impatiences lui prenaient d'avancer l'heure. Il éprouvait de premiers étonnements à rencontrer des résistances et de ce qu'on voulût établir des distinctions entre sa personne et l'État même. Il en trahissait l'impression, à des détails accidentels, tout à fait secondaires, où l'on n'aurait pas supposé qu'elle pût se manifester. Le 17 avril 1850, ayant invité à déjeuner avec lui, à l'Élysée, lord Malmesbury, il l'avait conduit en voiture à Saint-Cloud, pour une visite d'inspection aux haras. Parmi les chevaux se remarquait un magnifique alezan, que le palefrenier fit sortir, afin qu'on pût l'admirer plus à l'aise, dans l'entière clarté du jour. Après l'avoir longuement considéré en silence, le président ordonna à l'homme de service d'emmener la bête dans ses écuries. Je ne peux pas, répondit le palefrenier, ce cheval est une propriété de l'État. Louis-Napoléon fronça le sourcil. Lorsqu'il fut remonté dans le phaéton où lui tenait compagnie le diplomate anglais, ses premiers mots furent pour dire à Malmesbury : Vous voyez ma position. Il est temps d'en finir. Tout le long de la route, il ne lui fit pas mystère de la ferme intention où il était de ne point se laisser distancer par ses adversaires et d'employer, pour cela, le bon moyen.

Ceux qu'il appelait ses adversaires et qui étaient, en réalité, les mandataires d'une constitution établie, ajoutaient, malheureusement, presque chaque jour, quelque maladresse nouvelle aux précédentes. Il n'était pas exposé à leur rendre la pareille, parce qu'il avait le geste rare et le discours peu compromettant. S'il faisait un mouvement, s'il lançait une parole étudiée ou de ces mots à fracas, qui, aujourd'hui, retentiraient dans le vide, mais produisaient, alors, leur grand effet, c'était, pour hausser la gamme de sa popularité. Il y réussissait, chaque fois. Ainsi, lorsqu'il posa devant l'Assemblée législative la question de la loi du 31 mai, restrictive du droit de suffrage, et qu'il s'y montra le champion du libéralisme contre les libéraux.

Depuis quelques mois, il avait revêtu des aspects d'initiative et de résolution, qu'on ne lui connaissait pas, auparavant. Des dissentiments éclatèrent entre l'Assemblée et le Président, qui n'allèrent qu'en s'aggravant, de jour en jour. Les paris étaient ouverts. Qui l'emporterait de celui-ci ou de celle-là, de la force personnelle ou de l'autorité collective ? Le dénouement de la comédie menaçait de ne pas tourner à l'avantage de ceux qui en avaient escompté la solution heureuse. Louis-Napoléon, ainsi guenons le disions, tout à l'heure, avait permis, d'abord, à chacun des partis en présence de le considérer comme le défenseur de leurs intérêts ; puis, il avait trouvé plus ingénieux de les tromper les uns par les autres, de sorte qu'avertis, un peu tard, de leur commune illusion, ils se liguaient, à présent, pour le renverser. Sur ce terrain, il se montrera le plus habile en ne les attendant pas. La Chambre avait la majorité. Elle eût pu disposer, en s'y prenant à temps, des forces administratives et militaires réunies. Elle avait le pays et, dans le pays, le souvenir des sanglantes journées de Juin pour faciliter sa tâche de réaction contre les tendances démagogiques. Aussi incapable que le sera celle de 1870, elle gâcha toutes ses chances, ne sachant ni se servir du Président pour en faire le chef du parti conservateur ni le combattre assez énergiquement et par un geste prompt, urgent, refermer sur lui les portes de la prison de Vincennes, pendant qu'elle en avait encore les clefs. Elle y pensa, trop tard.

Sûr d'avoir derrière soi des chefs militaires éprouvés, qui sauraient, au besoin, le soutenir, l'épée à la main, il entama la bataille par un grand coup.

On en était aux premiers jours de l'année 1851. L'Assemblée, dans un geste de mauvaise humeur, avait forcé le ministère à se retirer. Tout était hors des gonds en France[2] ; et les chefs de parti n'étaient pas moins désorientés que leurs troupes. Parmi les spectateurs intéressés au dénouement de la crise, les uns tremblaient, les autres se réjouissaient de voir s'écrouler ce qu'ils n'aimaient point à voir debout. Louis-Bonaparte était le plus calme de tous, parce qu'il était aussi le plus décidé. Sa résolution était bien prise et il en informa les principaux représentants de la majorité[3]. Leurs observations n'y changeraient rien : par un décret de sa plume il allait enlever le commandement de l'armée de Paris au général Changarnier. Et il le fit, comme il l'avait dit. Le soir, il y avait foule à l'Élysée. Louis Bonaparte accoste, entre les membres du groupe diplomatique, le comte de Hübner, ambassadeur d'Autriche, et l'entretient en allemand de la destitution du plus gênant de ses adversaires. Il avait trouvé, sur son chemin, l'embarrassant Changarnier. Le général avait l'appui de la majorité parlementaire : il devait donc le briser ou être brisé lui-même. Pour un aventurier, remarqua le diplomate à part soi, c'était simple comme bonjour.

L'excitation fut à son comble sur les bancs et dans les couloirs de la Chambre. Le flegmatique Napoléon ne s'était ému ni de la démission des ministres ni du blâme des personnages les plus remuants de la ruche parlementaire. Aujourd'hui qu'il pouvait parler clair. qu'il n'était plus, pour personne, l'homme effacé, pusillanime, qu'on avait cru voir en lui, dans les débuts de la présidence, il ne craignait point d'affirmer et de maintenir le droit dont il avait fait usage. ce droit d'un chef d'État de relever un officier de son commandement. L'Assemblée ferait ce qu'elle voudrait, pour ce qui regardait sa dotation[4] : il pourrait s'enfermer à l'Élysée, dans une seule chambre, restreindre l'office et renvoyer ses serviteurs, mais il ne souffrirait pas d'être dépouillé des privilèges de sa situation.

Il restait provisoirement le maître du terrain disputé. Changarnier avait échangé son quartier général, aux Tuileries, contre le modeste appartement qu'il occupait dans un petit hôtel garni de la rue Saint-Honoré[5]. Paris était indifférent. Et la Bourse avait monté.

La lutte continua, pendant tout le cours de l'année 1851, entre les deux pouvoirs ennemis.

De temps en temps, le gardien de la citadelle lançait des avertissements significatifs pour les oreilles intéressées à les ouïr, mais qui, bien à tort, s'obstinaient à rester sourdes. Le 25 novembre 1851, en distribuant des récompenses aux exposants français de Londres, il s'exprimait assez nettement pour que de bons entendeurs en fissent leur profit :

Comme elle pourrait être grande, la République française, s'il lui était permis de vaquer à ses véritables affaires et de réformer ses institutions, au lieu d'être sans cesse troublée, d'un côté, par les idées démagogiques et, de l'autre, par les hallucinations monarchiques !

Naturellement il ne comprenait pas au nombre de ces chimères les belles visées impérialistes, qui hantèrent son cerveau, depuis qu'il sut raisonner.

Le Président voyait grossir avec rapidité le nombre de ses amis ou des aspirants à l'are. Les gens prudents, de ceux qui hésitent à deux fois, avant de sauter le pas, traduisaient le fort et le faible de leur opinion par ces simples mots : Il faut attendre et voir venir. Baroche, le futur président du Conseil d'État, était des plus fermes à pratiquer la conduite expectante. Manœuvre agréable et facile, où l'on gagne du terrain sans bouger de place. Plusieurs pensaient à faire leur nid, dont l'hésitation ne tenait plus qu'au bon endroit à choisir. Quant aux adroits, aux clairvoyants de la première heure, méprisant une Assemblée, dont les éléments disparates se confondaient en un vain bruit de paroles, ils avaient prononcé, d'avance, leur Ave, Cæsar. Ce n'étaient encore que des adhésions partielles. Soucieux de fortifier des concours isolés par le mouvement large, expansif, des sympathies populaires, Louis-Napoléon se mit à parcourir la France en grand apparat officiel. On le vit planter, de tous côtés, les jalons de sa grandeur future et lui donner pour principe, l'exaltation du sentiment national.

Le champ d'opérations était tout indiqué, sinon tout prêt. Il ne lui restait plus qu'à choisir des hommes qui, par leur caractère et leur audace fussent capables d'y faire triompher sa cause. Il travaillait, depuis des années, à ce recrutement. Nous savons s'il eut la main heureuse. Il n'aura pas besoin de pousser à l'action ses instruments ; ce seront eux, plutôt, qui l'entraineront à réussir et plus hardiment et plus vite qu'il ne l'aurait osé lui-même.

Puis, à travers le vague des phrases à principes, où tiennent tant de place, à si peu de frais, les vocables salutaires : Dieu, la liberté, le bien public, le vox populi, se dénonçait la menace, presque sans déguisement, du coup de force opportun et prochain :

Ne redoutez pas l'avenir. La tranquillité sera maintenue, quoi qu'il arrive. Un gouvernement qui s'appuie sur la masse de la nation, qui n'a d'autre mobile que le bien public et qu'anime cette foi ardente, qui vous guide sûrement là où il n'y a pas de route tracée, ce gouvernement, dis-je, saura remplir sa mission ; car, il a en lui le droit, qui vient du peuple et la force qui vient de Dieu.

La force qui vient de Dieu... et des fusils. On avait réservé ces derniers mots.

Comme tous les ambitieux, dont les principes sont à la base du moi et pour qui tout auxiliaire est bon, pourvu qu'il soit utile, Louis-Napoléon était de composition accommodante. Il n'avait pas de parti pris, à : l'encontre des gens, autant que le jeu de ses combinaisons lui permettait de s'accorder avec eux. Les républicains, dont il avait si ouvertement recherché les bons offices, eussent été ses meilleurs amis, pour peu qu'ils s'y fussent prêtés. Il les attira au miel de ses discours, les assiégea de ses blandices et caresses, en un mot, fit tout pour les séduire. Il ne se décida aux actes de guerre que lorsque Morny, Persigny, Saint-Arnaud, lui eurent démontré qu'il ne pouvait plus temporiser, sous peine d'être envoyé par eux où il les envoya, lui, c'est-à-dire à Vincennes. Que les Tuileries lui parussent préférables, il n'y avait pas à s'en étonner.

Des esprits judicieux et fermes avaient été frappés du péril pressant de la situation. Mais, pour le conjurer, leurs ressources étaient si limitées, si faibles, après avoir tant tardé à en prévoir l'emploi !

C'était aux approches de la grande journée, comme on l'appellera, dans le style des vainqueurs.

Une réunion avait été convoquée, d'urgence, chez le général Le Flô, au Palais-Bourbon. Le questeur Baze lui demandait de quels moyens de défense il disposait pour la sauvegarde de l'Assemblée, en cas de péril.

Le bataillon de garde, répondit simplement le général.

Mais, j'ai vu de l'artillerie dans les cours.

Oui, j'ai une section d'artillerie. C'était tout.

Eh bien, s'écria le député plein d'émoi devant cette insuffisance de troupes, il faut faire tirer le canon d'alarme, de minute en minute, pour appeler les faubourgs, au secours de l'assemblée.

Quand j'entendis cette proposition, — nous disait à nous-même, trente ou quarante années plus tard, un député orléaniste, qui fut de la conversation, — et que je vis comment tous les projets des grands politiques conservateurs venaient échouer à cette détermination d'appeler, au son du canon d'alarme, les faubourgs, afin qu'ils fussent, eux les débris de l'insurrection de juin, le suprême secours de l'Assemblée, je n'eus pas ln curiosité d'en entendre davantage. ,je pris mon chapeau et allai me coucher, ne cloutant point de ce qui allait éclater, peu de jours après[6].

Tandis que l'Assemblée législative perdait le temps, en des conciliabules inutiles, et que ses orateurs le reperdaient en des discours dénues d'action sur la libre populaire, pendant que des théoriciens éblouis lançaient les métaphores d'une phraséologie creuse au pays plein d'angoisse, qui, derrière la statue de la Liberté, venait de voir apparaître les emblèmes menaçants de la révolution et de l'anarchie, il fallait appartenir, certes, à la catégorie des âmes crédules pour ne pas voir que la République de Louis-Napoléon serait infailliblement l'Empire[7].

La machine de guerre fut mise en mouvement, le 2 décembre 1851.

***

La journée historique a commencé par un grand mouvement de troupes.

Vers dix heures du matin, la cour d'honneur de l'Élysée, d'où Louis-Napoléon était sur le point de sortir afin de parcourir, à cheval, les rues de Paris, s'est remplie d'un grand tapage. Les chevaux du Président et les montures d'une quarantaine d'officiers généraux piaffent d'impatience. Mais, le prince a quitté ses appartements. A sa vue les cuirassiers de l'escorte ont tiré leur sabre en criant : Vive la République ! C'était un peu tôt. On leur a. donné l'ordre de modérer l'éclat trop retentissant de leur zèle. Toute la suite militaire du Président est en selle, éclatante de broderies d'or et de chapeaux à plumes. En tête, une avant-garde de cavaliers prend la marche, le pistolet au poing.

On s'éloigne du palais, à petits pas, pour tourner sur la droite et enfiler la direction conduisant à la rue Royale et à la place de la Concorde. Louis-Napoléon est placé seul, en avant des généraux, très découvert. Un peu en arrière, à sa droite, se tient le roi Jérôme, frère de l'Empereur, et, sur le même alignement, à gauche, le général et ministre de la Guerre Saint-Arnaud. Tout près, on reconnaît le ministre de la Justice, Charles Abbatucci, qui, dès les premières lueurs du jour, avait dit au prince-président, en italien : Monseigneur, ce n'est pas tout que de commencer, il faut finir. Le maréchal Exelmans, les généraux Magnan, Damas, l'Estang, d'autres encore frappent les regards, dans ce groupe chevauchant de grosses épaulettes, tandis qu'on voit les colonels Edgard Ney et Fleury, aller et venir, portant des ordres. Jusqu'à la place de la Concorde s'échelonne une brigade de troupes à pied formant la haie. Sur les trottoirs vague une foule surprise et ne comprenant pas. Des vivats traversent l'air, à l'adresse de celui qui passe, sur son cheval anglais, imperturbable et sans tourner la tête ; des cris de protestation, au nom de la République, s'élèvent aussi ; mais, il n'a entendu ni les uns ni les autres.

Il avance, comme suggestionné par une volonté supérieure, réprimant sur son visage et clans son être tout signe d'émotion décélateur de joie, d'orgueil ou de crainte. Dans le moment où il a débouché sur la place de la Concorde, le général de Cotte, emporté d'un élan subit, cric de toute la force de ses poumons : Vive la République ! Et, fidèle à la voix de son chef, la brigade entière a répondu par le même cri, de la première à la dernière file. Les excitations de l'enthousiasme en plein air sont promptes à se propager. Un bataillon de gendarmes mobiles, encouragé pal' son commandant, a rompu les rangs pour se précipiter au-devant du prince, entourer son cheval, multiplier les Vive la République ! et pousser, tout à coup, cette clameur : Aux Tuileries ! Cette fois, le calme qui n'avait pas. un seul instant, quitté Napoléon, va l'abandonner. Un éclair d'impatience traverse son imagination. Il a pensé qu'il pourrait en finir, d'une seule fois ; car, il a fait ouvrir les grilles du jardin et s'y jette, accélérant la course de son cheval. Mais quelqu'un l'a rejoint, son oncle Jérôme, qui le modère et lui glisse à l'oreille cette recommandation prudente : Louis, tu vas trop vite. Crois-moi, n'entre pas encore au château. Et il s'est arrêté, près du grand bassin, pour reprendre une allure tranquille, presque au pas, jusqu'à la place de la Concorde.

Un instant, on fait halte ; il décerne quelques félicitations au marquis de Löwenstine, commandant en chef des gardes nationales de la Seine. Puis, l'état-major passe devant le front des troupes de la brigade de Bourbon, traverse le Pont-Royal et gagne la place du Palais-Bourbon. Plusieurs compagnies sont massées sur les côtés et en face du palais Législatif. Des hommes de la gendarmerie mobile, qui, dès l'aube, arrêtèrent quarante représentants du peuple et sont encore tout chauds de cet exploit, ont poussé des acclamations de : Vive la République ! Des groupes populaires ont riposté par une clameur plus forte de Vive la République ! Louis-Napoléon a senti le danger d'une manifestation prématurée. Inspiré d'une adroite manœuvre, il a fait signe à l'un de ses aides de camp ; un ordre est donné : et les mêmes soldats de s'écrier aussitôt : Vive la République ! Leur poussée de voix formidable a réduit les opposants au silence[8].

Le Président avait achevé sa démonstration militaire et publique. Passant enfin devant la brigade de lanciers du général Rewbell rangée en bataille sur l'avenue, il rentra par le pont de la Concorde, à l'Élysée, qu'il avait quitté, depuis une heure et demie. L'action appartenait, maintenant, à son ministre de l'Intérieur Morny et à ses généraux.

On n'en était qu'aux préliminaires de ce drame politique. Il faillit reculer devant les responsabilités de ce qui lui restait à faire contre son serinent et la Constitution. Il eut le frisson de crainte et la pâleur anxieuse de Bonaparte, quand Lucien vint à son aide, le 18 Brumaire. On a su, plus tard, que, le soir du Deux-Décembre, après l'effort de la journée et dans l'incertitude tragique du lendemain, le Prince-Président se montra entièrement démoralisé. Morny et Persigny, inquiets de cette défaillance, lui conseillèrent de se mettre au lit, pour calmer la migraine qui lui tenaillait les tempes et pour détendre ses nerfs. Ils se chargeraient de la suite, pendant ce temps-là.

L'indécision était permise à sa pensée. Le geste qu'il allait risquer avait des conséquences graves. Il lui faudrait jouer, tout à l'heure, la suprême partie. Il s'était mis en révolte ouverte contre les institutions de son pays, des institutions libérales qu'il avait juré solennellement de défendre. Suivant que l'emporterait le droit républicain ou la force militaire, il serait traité en criminel d'État ou proclamé imperator. Car, telles sont les contradictions des jugements humains que le succès des événements en est la règle et la loi.

Il s'est enfermé dans un de ces salons de l'Élysée, on le premier Napoléon, frappé du coup fatal, s'était retiré pour signer son abdication. C'était là que le vaincu de Waterloo avait apposé, d'une main fébrile, sa signature au-dessous de cette phrase arrachée par la défaite à sa frénétique ambition : Je renonce au trône.

Et, maintenant, le troisième fils d'un de ses frères se voit, à la même place, porté par le flot populaire au sommet de la puissance et décrète des mesures d'énergie pour reconstituer son œuvre détruite. Celui-ci n'assumera pas, sans trouble, la responsabilité morale d'une résolution, dont le principe est un parjure. Son âme est encore vacillante que l'action est déjà commencée, que déjà le colonel de Rochefort, à la tête de ses lanciers, charge sur les boulevards.

Peut-on jamais être sûr des circonstances finales, d'où dépendra le sort d'une conspiration, d'un coup de main politique ? Il suffit d'une précaution omise, d'un contre-temps imprévu, de moins encore pour en déterminer la déroute. L'histoire en est remplie d'exemples célèbres. Tel, celui-ci : Charles Ier d'Angleterre eut la tête tranchée, pour n'avoir pas voulu prendre un autre cheval que la monture, qui lui était destinée. Qui de nous n'en a lu les détails aux conséquences si promptes et si funestes ? Le roi avait été ramené prisonnier, de l'île de Wight à Londres ; c'était encore un prisonnier royal, escorté d'égards, quoique gardé. Pendant qu'il déjeunait au château et que les hommes se rafraîchissaient aux cuisines, on avait, arrangé, pour le prince malheureux, un projet de fuite. Il devait, à une minute convenue, sortir par une porte dérobée et trouver, dehors, l'attendant un cheval connu par sa rapidité et qu'on appelait Ralph. Charles Ier, confiant dans la vélocité de l'animal, se sentait sûr d'échapper à la poursuite de ses ennemis. Au moment d'exécuter la première partie du plan arrêté, quelqu'un vint lui apprendre que Ralph, en sortant de l'écurie, avait eu l'une de ses jambes brisée par le coup de pied d'un cheval voisin, mais qu'un autre coursier, presque aussi bon, était prêt. Le roi refusa de tenter l'aventure et cette minute d'hésitation le perdit. Il fut conduit à Londres et décapité.

Toutes chances secondaient l'entreprise bonapartiste. Un hasard malencontreux, la défection d'un général, un revirement provoqué dans l'esprit des soldats, eût pu réduire à néant les mesures les mieux combinées. L'une de ces éventualités contraires faillit se produire. Elle est inconnue, d'ailleurs, et il nous est intéressant de la révéler.

Au matin du Deux-Décembre, un général de brigade, dont on veut taire le nom, occupait le Luxembourg. Il n'avait pas été mêlé directement au projet du coup d'état ; il était placé sous les ordres du ministre de la Guerre et ne savait rien de plus.

Le lendemain, l'un des rares hommes d'énergie du groupe monarchiste, le député Louis Estancelin, était allé le trouver et lui avait tenu ce langage :

Comment pouvez-vous souffrir que vos amis et vos anciens chefs d'Afrique : Changarnier, Lamoricière, Bedeau, soient enfermés à Mazas, dans une prison de droit commun, où ils ont été conduits ainsi que des voleurs et qu'on ait vu les représentants du pays, défenseurs de la Constitution, jetés et enlevés dans des voitures cellulaires ?

Sans doute, c'est déplorable, abominable, tout ce que vous voudrez ; mais je n'y puis rien.

Vous vous trompez ; il vous suffirait de le vouloir. Faites prendre les armes à votre brigade, allez droit à Mazas, en tête de vos régiments ; rouvrez-en les portes aux généraux, ramenez-les à la Chambre : la population entière de Paris vous suivra. Vous serez le maître de l'heure.

Le général interroge sa conscience, reste un temps perplexe ; enfin, il va se décider et répond : J'irai. Il commence à boutonner son uniforme, quand une ordonnance du ministre de la Guerre arrive, avec un pli contenant cet ordre :

Général,

Des barricades s'élèvent dans les rues Saint-Martin et Saint-Denis ; vous allez occuper les boulevards, en face de ces deux rues, et faire attaquer et détruire les barricades.

— Vous voyez, reprit le chef de troupes, — aussitôt ramené sous la loi hiérarchique, — dans une situation pareille mon devoir est tout tracé, je dois me rendre à mon poste.

 

Il s'y rendit, en effet, et, quelques heures après, sa brigade ouvrait le feu sur les boulevards. La toilette militaire, commencée pour aller à Mazas délivrer les généraux, fut terminée pour monter à cheval et tirer à mitraille dans les rues de Paris.

Ce coup de main militaire, dont nous avons, autre part[9], détaillé l'organisation savante et l'accomplissement rapide, aurait pu n'avoir d'autres et de plus funestes conséquences que le fait d'un certain nombre d'arrestations parlementaires, sans le hasard d'une erreur, aux effets sanglants : un coup de pistolet tiré par un nommé Lagrange sur le bataillon du 14e de ligne. D'où la riposte affolée des hommes, un coup de feu, puis doux, puis le feu de peloton et la panique de la foule, laissant sur la chaussée nombre de morts et de blessés.

Il y eut d'autres incidents regrettables s'ajoutant à celui-là pour grossir le martyrologe tant exploité par les historiens de parti des victimes du Deux-Décembre. En première ligne, la mort du représentant Baudin, se faisant tuer sur une barricade pour prouver aux gens, qui n'y croyaient pas, la sincérité de son républicanisme[10].

Il n'en était pas moins évident que l'opération n'avait pas eu toutes les suites violentes, qu'on aurait eu lieu de craindre d'une révolution menée, à grand renfort de bataillons, contre la représentation nationale et la liberté. Que dis-je ! Aux premières minutes de ce déploiement de forces, Morny, Saint-Arnaud, Persigny, s'étaient sentis presque embarrassés de ne trouver, pour ainsi dire, pas d'ennemis en face d'eux. Leur situation de combat risquait d'être compromise par le ridicule. Enfin, quelques pavés étaient sortis de terre. Et Morny avait pu répondre aux alarmistes de son camp : Vous vouliez, hier, des barricades ; on vous en fait et vous vous plaignez ![11]

Si les désordres des départements n'avaient pas provoqué des scènes affligeantes et des représailles sans pitié, les seuls événements parisiens — à part les tristes fusillades de la nuit du 4 ou du 5 décembre — se fussent passés comme une secousse un peu bien rude, mais de courte durée.

Les circonstances même les plus .regrettables et du caractère le plus funeste conspirèrent à l'absolution du coup d'état. Lorsque le ministre de la Guerre eut réalisé dans Paris, point par point, le plan des Cinq[12] et que, tout à coup, se déchaînèrent, dans la province, des scènes de Jacquerie effrayantes, on vit trop ce qui serait arrivé si le mouvement socialiste, au lieu d'éclater, à l'improviste, par suite des mesures extra-légales du Deux-Décembre, s'était manifesté, à une date ultérieure, préparée, calculée, si l'anarchie avait pu commencer, à son jour, à son heure prévue, la guerre sociale dont elle menaçait le pays. La France presque entière accueillit comme une délivrance l'acte énergique, parce qu'il répondait à ses vœux d'ordre et de calme bienfaisant.

§

Progressivement le prince-président s'entoure de tout l'appareil d'un souverain. Sa maison se monte. Les appétits financiers des dignitaires se développent avec autant de promptitude. La curée promet d'être bonne, disent déjà les ennemis ou les jaloux. La meute a soif, insinue Vieil-Castel.

Louis-Napoléon ne couche pas encore, aux Tuileries, par un peu d'hésitation calculée, et aussi parce que le rez-de-chaussée est en réparations ; mais, dès à présent, il reçoit et donne des fêtes dans les grands appartements du premier étage. Les fonctionnaires sont venus lui présenter leurs hommages déférents, le 1er janvier. Le même jour, un Te Deum est annoncé à Notre-Dame ; Louis-Napoléon n'omettra pas de s'y rendre, escorté jusqu'aux portes de la cathédrale par de nombreux escadrons de cavalerie. Le 7, il assistera à une représentation de gala, à l'Opéra, où l'orchestre saluera son entrée en entamant la marche du Prophète. C'est l'apothéose de la Chance couronnant l'adresse et la puissance du nom.

Le 14 janvier 1852, pourra sortir de son cabinet, tout armée, la nouvelle Constitution enlevant au Corps Législatif le droit d'initiative et le droit d'interpellation et mettant. entre les mains du président de la République, nommé pour dix ans, avec une liste civile de douze millions annuels : le commandement suprême des forces de terre et de mer, le pouvoir de conclure les traités de paix, d'alliance, de commerce, et les règlements nécessaires pour l'exécution des lois, dont il aura seul l'initiative, la sanction et. la promulgation. Seul encore, il aura le droit. de faire grâce. La justice se rendra en son nom. Les fonctionnaires lui prêteront serment. Enfin, il sera investi du privilège d'ouvrir, à son gré, des crédits extraordinaires, en dehors du budget voté par ministère. Quant au Sénat, placé en face du chef de l'État pour consacrer ses actes, il sera conservateur par essence et de fait nommé par lui.

Les triomphateurs n'eurent pas. à vrai dire, la main clémente. Napoléon, malgré sa réputation de bonté, avait approuvé le conseil de ses moniteurs politiques, pour que la répression fût, d'abord, terrifiante. Des milliers et des milliers d'emprisonnements[13] ; trente-deux départements mis en état de siège ; des commissions mixtes investies du pouvoir de statuer sommairement et arbitrairement sur le sort d'une foule de républicains arrêtés ; les tribunaux armés de pouvoirs discrétionnaires pour frapper sans miséricorde : la manière fut rude de travailler au maintien de la tranquillité générale.

En 1836, Louis Bonaparte, qui n'était, alors, qu'un prétendant plus riche d'espérances que de ressources, disait à sa mère :

Si nous allons à Paris et que je voie sabrer le peuple, devant moi, certainement je n'hésiterai pas à nie mettre de son côté.

Mais, c'était en 1836 : il ne s'agissait de rien de plus que de Louis-Philippe et des assauts livrés à son autorité paternelle. En 1851, les termes de la proposition s'étaient renversés. De sa place de témoin, intéressé au spectacle, Louis-Napoléon était passé au premier plan de l'action. Les soldats, qui sabraient et fusillaient, étaient les siens. Il n'avait plus cette tendresse et cette chaleur combative pour les héros de la rue. Il estimait juste et, salutaire qu'on châtiât exemplairement les émeutiers.

L'ensemble du pays réclamait un maître. Le plébiscite des 20 et 21 décembre le lui donna. Sept électeurs sur huit validèrent en sa personne le vieil adage établissant que possession vaut titre. La République n'existait plus que de nom.

Cette constitution l'avait fait empereur, avant qu'il eût senti le besoin d'en revêtir l'appareil et d'en porter le titre. Son pouvoir était immense. Il en usa, sur-le-champ. Chaque jour, on voyait paraître un décret nouveau de l'Élu du peuple. En effet, il n'avait pas été pris au dépourvu. Pour employer les expressions d'un diplomate étranger, il était arrivé au palais de l'Élysée avec un sac de voyage tout rempli de projets élaborés, pendant de longues années d'exil et de prison, par cet esprit inquiet, rêveur, fantasque : projets de loi de tout genre. les uns imbus de traditions impérialistes, les autres puisés dans les sectes secrètes dont il avait fait partie et dont il ne s'était pas encore entièrement détaché. Une confiance hardie inspirait ses desseins. A ses premiers actes il s'était fait juger en bien et en beau. Si les moyens, qu'il avait employés avec ses collaborateurs du Deux-Décembre pour se hausser à ce point culminant, avaient porté de graves atteintes aux pures règles du droit et de la conscience, on n'y pensait déjà plus. Mais ce n'étaient que louanges pour sa fermeté contre les agitateurs et les gens de désordre — car tous ceux qui ne pactisaient point avec le gouvernement dictatorial, par opposition de principes ou par rivalité d'intérêts, étaient inévitablement qualifiés de révolutionnaires et de factieux —. Enfin, il avait dégagé la France des ténèbres d'un parlementarisme sans unité de vues et sans direction. Tant qu'il tiendrait concentrés entre ses mains les pouvoirs nécessaires, on n'aurait plus à craindre les envahissements d'une barbarie nouvelle ; ce n'était pas encore l'enthousiasme que provoquera, tout à l'heure, son voyage triomphal dans le Midi, mais de la confiance propagée, de la soumission facile, un commencement de sympathie admirative, dont le succès était la justification.

A ce degré de faveur il faillit abuser trop tôt de son omnipotence. Un mouvement de sa part, qui ne fut pas très noble, un acte d'autorité, qu'il décida sans en fournir d'assez justes raisons : la confiscation des biens d'Orléans, en vertu des décrets du 2 janvier causèrent une certaine émotion dans les classes élevées. Cette mesure illégale et qui ne répondait pas généreusement à l'indulgence dont avaient, à plusieurs reprises, bénéficié Hortense de Beauharnais et les Bonaparte, sous le règne de Louis-Philippe, révolta la conscience de quelques gens. La protestation des princes avait amené la démission de Morny[14] et la retraite passagère de quelques diplomates. En réalité. le sentiment public n'en avait été touché qu'à la surface et légèrement. Aussi bien, la fortune des princes n'était pas considérée, dans le peuple, comme une partie de la fortune nationale : on y voyait, à bon escient, des privilèges de possession ou d'origine. qui cessaient de la rendre intéressante pour le grand nombre. De sorte que la mesure arbitraire de Napoléon III put confiner dans une opposition personnelle tous lez amis des princes, creuser un abime entre l'Empire et les chefs du parti orléaniste : elle n'exerça aucune influence sensible sur l'opinion de tous.

Les membres de cette grande famille royale, du reste, n'en sortirent pas appauvris, au point d'émouvoir la pitié générale. Une centaine de millions insaisissables et des ressources supplémentaires, qui n'étaient point à dédaigner, leur demeuraient aux mains pour affronter les disgrâces de l'avenir. L'existence très honorable cet très considérée qu'on menait à Claremont, resté, après la mort du roi jusqu'à celle de la reine, le centre de la vie des princes : Joinville, Nemours, Aulnaie, avait bien ses douceurs. La duchesse d'Orléans, presque toujours à Eisnach, y coulait des jours attristés mais supportables, au sein de l'abondance. De même, la princesse Clémentine, en Hongrie ; le duc et la duchesse de Montpensier, en Espagne. Le duc de Montpensier, particulièrement, avait trouvé sur la péninsule espagnole, gr ace à son mariage avec l'infante, les conditions intérieures et extérieures d'un état presque souverain. Des honneurs royaux, la garde à son palais, l'escorte quand il la demandait et les respects officiels des officiers généraux, qui se rendaient chez lui, en grand uniforme ; un palais admirable, à Séville, des appartements d'une somptuosité rare, et dont les fenêtres ouvraient sur des jardins de paradis, avec des fiels d'eau, de toutes parts jaillissant dans des bassins de marbre, pour tempérer la chaleur du soleil d'Andalousie : c'était, de quoi lui rendre légère, vraiment, à lui comme aux siens, les rigueurs distantes du parvenu.

La politique du moment de ce parvenu était de se montrer, en toute occasion, de paraître. On l'avait acclamé à Versailles, où il s'était fait conduire en pleine affluence populaire, un dimanche de grandes eaux. Par les revues et parades militaires, il reprenait contact, fréquemment, avec les sympathies de la foule. On le voyait, à la plupart des grandes premières de l'Opéra et de la Comédie-Française. Ainsi venait-on de constater sa présence, aux débuts des Filles de marbre, la pièce à thèse et à succès du Vaudeville. Les gazetiers d'alors s'étaient empressés d'en tenir état, comme, en 1913, les rédacteurs parisiens diront leur ineffable contentement d'avoir reconnu le nouveau président Poincaré aux Éclaireuses de Maurice Donnay.

Il soignait, chemin faisant, sa popularité. Tantôt, il se promenait, à Longchamp, sans escorte, en voiture découverte, pour qu'on s'accoutumât à voir l'homme nécessaire, l'élu des suffrages de la nation. Tantôt, il allait par les rues de la ville, en cabriolet ou, quelquefois, à pied, avec une quiétude parfaite témoignant de sa confiance et de son courage. Aucune menace, aucune protestation ne se levait sur son passage. Il façonnait à l'habitude de le contempler les regards de la population. Sous son calme, qui en imposait, il préparait les voies et les moyens logiques de son avènement.

En effet, l'empire s'annonce avec une évidence, qui perce tous les yeux, et qui fait tressaillir d'impatience la tribu des Bonaparte. Car. le plus pressé d'entrer en jouissance de l'héritage dynastique interrompu n'est pas celui que les oncles incriminent si fort d'y avoir prétendu, mais le turbulent fils de Jérôme, le cousin Napoléon.

Que tardait Louis-Napoléon Bonaparte ? Sans doute, les membres de l'illustre famille ont eu leur part, déjà, des douze millions de sa liste civile. Lorsque le président renonça, pour eux, aux répétitions qu'ils parlaient d'introduire contre l'État, il avait cru leur devoir une indemnité. Jérôme n'eut qu'à étendre la main pour toucher un capital de deux millions. Murat avait reçu la bonne nouvelle qu'il aurait son million, aussi bien que la princesse Camerata. Mais les princes de fortune sont les plus difficiles à rassasier. Ceux-ci aspirent à d'autres faveurs, titres, dotations ; chacun d'eux a grande hâte d'être qualifié Altesse Impériale. Quant aux familiers comme Edgard Ney, Fleury, les hautes charges honorifiques et lucratives, qui leur sont promises, ne seraient pas moins chères à leur désir immédiat. Le premier serait grand-veneur et le second grand-écuyer. Mais, il était un homme plus napoléonien que Napoléon, plus impérialiste que le futur empereur : nous avons nommé Fialin de Persigny. La République n'avait plus qu'un souffle à exhaler. Encore le nouveau promu au Ministère de l'Intérieur trouvait-il qu'elle durait trop. Les symptômes de son extinction vitale étaient, pourtant, assez nombreux et significatifs. Des officiers, aux revues, sur le passage du chef de l'État, recommandaient à leurs troupes de crier : Vive l'Empereur ! Les Élyséens chantaient leur joie par les fenêtres ouvertes du palais. La ville en répétait les échos et la France provinciale se mettait à l'unisson.

Nous sommes en juillet 1852. Le Président vient de faire une entrée triomphale, à Nancy, où il s'est rendu avec l'intention d'inaugurer le chemin de fer de Paris à Strasbourg. — Strasbourg... Quelles réminiscences et quels contrastes ! — Les aigles s'éploient, de toutes parts, dominant d'un essor superbe le fronton des édifices et les plis flottants des drapeaux. De magnifiques défilés de troupes ont provoqué, pendant le jour, l'enthousiasme populaire ; et les illuminations du soir, les prestiges de Ruggieri, ont inondé la ville de clartés et de joie. Des cris nombreux de Vive l'Empereur ! frappent les airs, — acclamations anticipées de trois ou quatre mois, seulement.

Que lui manque-t-il encore ? La couronne ? Il la sent prête à tomber sur son front. Une compagne digne de son rang ? Il y songe et l'espère. Une cour ? Le spectacle en fait défaut à ses yeux chercheurs d'élégance et de beauté.

A vrai dire, on avait bien pris quelques doux passe-temps, sous l'ancienne Présidence, pour se distraire des soucis politiques du jour et de ceux qui pourraient survenir. Dès les débuts de cette installation, quand il y avait encore une Assemblée, sans en faire éclat dans les journaux, sans en instruire l'opinion jaseuse, on s'y était amusé franchement, comme si l'on eût voulu gagner du temps sur le ton de cérémonie, qu'imposerait, assez tôt, le décorum des résidences officielles. Il fut même trouvé que les officiers d'ordonnance du Prince-président en prenaient trop à l'aise avec les strictes convenances, lorsque, allant chasser à Fontainebleau, ils y conduisaient, non leurs sœurs ou leurs femmes, mais, avec une affectation Régence, des habituées de Cythère, et qu'à l'ombre du château royal, ils organisaient, non pas en catimini, mais à la façon discrète d'un porte-voix, de petites orgies aussitôt connues de la ville entière.

Les soirées élyséennes, quoique le choix y fit moins abandonné, laissaient grandement à désirer, pour peu qu'on eût le goût difficile. Exception faite de la princesse Mathilde, déléguée aux honneurs du palais, avec l'aide Mme de Contades, les femmes de bon ton appartenaient presque exclusivement à la colonie étrangère ou au monde diplomatique... Un monde obligé par état à bien des concessions extérieures, qui ne lui rendaient pas plus indulgentes les réflexions d'entre soi.

A la suite du coup d'État, la vraie société déjà restreinte aux soirées de la Présidence, avait cessé d'y paraître. Tout épris qu'il fût de luxe et de gala, Louis-Napoléon ne s'était pas senti très encouragé à grossir la liste de ses invitations, l'élite féminine à laquelle il aurait voulu les étendre s'abstenant d'en user.

L'élément parisien, qui paradait à ces défilés de toilettes claires, avait de quoi charmer les yeux. Il ne satisfaisait les délicats ni par les titres ni par la qualité. La fleur de la distinction, dont on eût souhaité la présence, pour en être l'ornement principal, exigeait trop qu'on l'y cherchât.

Au dernier bal du mois de février, on avait critiqué fort la tenue générale des invités. Par comble, un très fâcheux esclandre avait éclaté, qui eût été mieux à sa place entre les murs d'une caserne. Deux officiers eurent une altercation suivie de voies de fait, à l'entrée de la seconde galerie. Le prince en avait ressenti une humiliation égale à son mécontentement. Étaient-ce là les commencements de sa cour, la cour superbe, impériale, qu'il aspirait rétablir ? Il se jura de tenir la main plus fermement à l'étiquette, aussitôt qu'il serait en situation d'y veiller.

Il pouvait patienter, jusque-là. Les compensations ne lui étaient pas ménagées. Sa situation personnelle progressait avec une célérité surprenante. Trente-trois mille francs par jour lui étaient alloués pour sa dépense, sans frais ni charges, avec la jouissance de tous les palais et domaines de l'État. Encore jugeait-on, parmi les siens, qu'il avait usé de modération à n'en point demander davantage.

Depuis le Deux Décembre, il a reçu le million mensuel par anticipation. Il a pu clarifier le passif des heures désargentées d'autrefois, régler les dettes qu'il avait contractées pour l'entretien de sa politique, assoupir les plaintes et les réclamations qui auraient pu se produire, de ce chef, mettre de l'ordre clans ses affaires et sa conduite[15], enfin donner l'impression, malgré ses largesses coutumières, d'un comptable aussi exact qu'avisé. Il s'était libéré complètement des gênes du passé : il n'aurait qu'à envisager, maintenant, d'un esprit tranquille le cours de ses prospérités croissantes.

La stabilité publique ne laissait poindre aucune inquiétude. Rien de sérieux ne pouvait être entrepris ni seulement envisagé contre le pouvoir, qui venait de se constituer dans la manière forte. Le peuple français, en général, sympathise aux manifestations d'énergie. Le président avait le pays derrière lui ; de puissantes raisons l'autorisaient à n'en pas douter. Aussi ne se pressait-il point d'arriver à la solution définitive. Il se sentait le maître de fixer l'heure ; et, pour le plaisir de se jouer, en quelque sorte. avec des combinaisons cauteleuses, dont les feintes l'amusaient, il ne marchait à l'empire que par de lents détours. Il affectait une attitude presque détachée sur le point qui l'intéressait le plus, au monde. Sa volonté n'était pas de contraindre les vœux de la nation ou de les tromper, peut-être, en les précipitant. Il faisait graver son effigie sur l'avers des monnaies républicaines ; il avait rétabli l'aigle sur les drapeaux mais, il exhortait les municipalités à ne pas le traiter en souverain, au cours de ses voyages présidentiels à travers la France ; il les engageait à restreindre leurs munificences trop coûteuses, en son honneur, et à consacrer, plutôt, l'excès de la dépense aux œuvres charitables.

Des pétitions secrètement encouragées circulaient, qui demandaient comme une grâce qu'on revint au régime absolu de Napoléon Ier. Des délégations étaient envoyées auprès de ce président-dictateur trop modeste, afin qu'il cédât au désir d'un peuple entier, avide de s'appeler son peuple. La Providence empruntait leur voix, pour le conjurer de ne plus reculer le terme de la mission, qu'elle lui avait confiée.

Il se laissait porter à ce but magnifique avec une aisance et une modération d'allures, dont le calme irritait presque les alliés, oncles et cousins, de la future dynastie. Que n'avait-il encore pris acte de la manifestation nationale proclamant l'hérédité du pouvoir dans sa famille ! Quel motif de lenteur le retenait sur le seuil de cette dernière formalité ? On l'en priait. Il y opposait des demi-résistances : ou plutôt, il n'y mettait pas une hâte, qu'il jugeait inutile dans les formes. Son oncle Jérôme, admis au franc-parler, lui en faisait de véritables reproches[16]. Tant de discrétion indisposait les Bonaparte. Quand se résoudrait-il à sortir du provisoire ?

Plein d'artifices en ses discours, Louis-Napoléon semble vouloir éloigner de lui, à mesure qu'il s'en rapproche, à pas prudents, l'image pleine de périls. Quelque jour, il se dévouera, s'il le faut absolument, à prendre la couronne ; ce ne sera que pour obéir à l'appel du pays. On devra l'y forcer, presque, tant est grande sa circonspection, tant est pur d'alliages égoïstes son désintéressement d'homme public, tant est vif son désir de s'effacer toujours devant le libre suffrage du peuple.

Résolu, aujourd'hui comme avant, de faire tout pour la France, rien pour moi, je n'accepterai de modifications à l'état de choses présent que si j'y étais contraint par une nécessité évidente.

Il l'avait dit, en mars 1852, il le répétait en septembre, deux mois avant le couronnement prémédité Si le titre modeste de Président pouvait faciliter la tâche, qui m'incombe, ce n'est pas moi qui, par intérêt personnel, désirerais changer ce titre contre celui d'Empereur.

Tout en berçant les âmes simples de ces fallacieux propos, il reconstituait, pièce à pièce, suivant la théorie plus ou moins élastique, qu'il s'en était formée, la synthèse gouvernementale du jacobin casqué et couronné, qui fit de la Révolution le marche-pied de son absolutisme.

Enfin, il se décida à frapper le coup décisif. A son retour de Bordeaux, et au lendemain de la réception d'enthousiasmé préparé, qu'il reçut dans la capitale, en cette journée fameuse où se mêlèrent aux démonstrations des corps constitués les accents des musiques militaires, où la voix puissante des canons alternait avec les sonneries joyeuses des cloches, il avait prononcé le grand mot. La France, il était obligé de le reconnaître, la France voulait l'Empire. Son devoir était de consulter le Sénat, dont la réponse lui était connue avant qu'elle se fût exprimée. La haute assemblée avait déjà déposé un projet d'absorption de la république dans le sein de la monarchie impériale[17]. Et le ministre d'État avait eu la bonne grâce de répondre que le gouvernement, sensible à sa démarche, ne s'opposait point à la prendre en considération.

Le plébiscite du novembre vint à propos confirmer les termes du sénatus-consulte, consacrant au triple point de vue politique, économique et financier, l'omnipotence de Louis-Napoléon Bonaparte. Peu de jours auparavant, une foule immense et tranquille avait assisté à son entrée pompeuse aux Tuileries. Le Deux-Décembre 1852 — Louis-Napoléon était superstitieux et il avait choisi l'anniversaire du Coup d'État — inaugura, dans la magnificence, les débuts de sa dignité suprême. Il allait, disait-il, inaugurer sous les auspices d'une vaste acclamation populaire, les prémisses d'un règne qui n'avait pas eu, comme tant d'autres, pour origine la violence et la ruse.

C'était le dénouement de la pièce artistement machinée, dont les actes s'étaient enchaînés avec une logique dans les faits, où presque pas un détail ne serait à reprendre. Depuis sa rentrée à Paris, en 1848, Louis-Napoléon avait conduit d'une manière supérieure sa marche ascendante jusqu'au trône. Il avait vu s'effectuer la complète réalisation du plus invraisemblable désir. Il était, maintenant, comme il l'avait voulu, le maître, exclusivement le maître.

 

 

 



[1] M. de M... dira à Votre Majesté comment l'on m'a amené, ici, par force ; j'ignore jusqu'à quel point ces gens-ii pourront user de violence à mon égard ; mais si, dans cet affreux désordre, il arrivait que l'on m'imposât un titre, auquel je n'ai jamais aspiré, que Votre Majesté soit bien persuadée que je n'exercerai toute espèce de pouvoir que temporairement et dans le seul intérêt de Votre Maison.

J'en prends ici l'engagement formel envers Votre Majesté. Ma famille partage mes sentiments, à cet égard.

Palais-Roval, juillet 31, 1830.

Fidèle Sujet.

[2] V. les Souvenirs du comte de Hübner.

[3] Thiers, Molé, Dupin, le duc de Broglie, Berryer, Montalembert, Daru et O. Barrot.

[4] Le 10 février, l'Assemblée nationale rejetait, à une majorité de cent deux voix, la dotation du président. À la suite de ce vote, Louis-Napoléon supprima les bals et les grandes soirées, mais continua de recevoir, le lundi, à l'Élysée, ceux dont il sentait avoir besoin, beaucoup de militaires surtout.

[5] Quelques jours plus tard :

Ce matin j'ai rencontré Changarnier dans le jardin des Tuileries. Il est dans un état de surexcitation indescriptible. Il me disait : Je me fais fort de faire échouer le coup d'État. (Souvenirs du comte de Hübner, t. Ier, p. 27.)

Des mots !

[6] Estancelin. Voyez notre ouvrage sur la Comtesse de Castiglione, 1912.

[7] Il y avait déjà plus de deux ans que Persigny prophétisait tout haut dans les salons de l'Élysée : l'Empire se fera, ou plutôt il est fait.

[8] Cf. Baron du Casse, les Dessous du Coup d'État.

[9] Voir : Frère d'Empereur, le duc de Morny, chap. IV : le Coup d'État. Émile Paul, édit.

[10] Baudin, dont le sacrifice out une récompense de célébrité légendaire, ne donnait pas il pressentir qu'il possédât une âme de héros. Beaucoup de gens, d'après l'impression qu'inspirait sa physionomie, l'une des plus laides figures du monde, disaient de lui : Il a une tête de policier ! Sa mort attesta le contraire et prouva, une fois de plus, qu'on risque toujours de juger mal ceux qu'on condamne sans les connaitre.

[11] C'était l'absence d'un ennemi, qui rendait la situation de l'Élysée plutôt awlacurd et j'ajouterai dangereuse. (Hübner, I, p. 38.)

[12] Louis-Napoléon, Morny, Persigny, Saint-Arnaud, Maupas.

[13] D'après le témoignage non suspect de Granier de Cassagnac, les arrestations, pour Paris seulement, dépassèrent 26.000.

[14] Il n'y eut pas que cette raison prétextée. Voir Frère d'empereur, le duc de Morny.

[15] Une vieille chaine anglaise gênait la liberté de ses mouvements dans l'intime de sa vie. Au commencement de juin, il congédia sa maitresse miss Howard, en lui donnant le titre de comtesse de Beauregard et après s'être acquitté, en généreux seigneur, de dettes anciennes contractées envers elle.

[16] C'est à cette occasion que furent échangées entre l'oncle et le neveu des mots bien connus. — Vous n'avez rien de l'Empereur, lui cria Jérôme, bien imprudent d'évoquer la comparaison. — Hélas ! avait répondu le Président, de cet air résigné qu'il savait prendre, j'ai quelque chose de commun avec lui. — Et quoi donc ?J'ai sa famille. Cette famille tumultueuse, qui devait lui peser lourdement, pendant ses dix-huit années de règne.

[17] La monarchie impériale a tous les avantages de la République sans en avoir les dangers. Les autres régimes monarchiques ont été accusés d'avoir placé le trône trop loin du peuple. Mais l'Empire, plus fort que la République sur le terrain démocratique, a été le gouvernement le plus énergiquement soutenu et le plus vivement regretté par le peuple. C'est le peuple surtout, qui l'a retrouvé dans sa mémoire pour l'opposer aux rêves idéologues et aux expériences de perturbateurs. (Troplong, Rapport au Sénat, 6 novembre 1852.)