LES FEMMES DU SECOND EMPIRE

 

QUELQUES-UNES.

 

 

Simples croquis. — Anna Murat, duchesse de Mouchy. — Mme de Montebello. — Vicomtesse Aguado, marquise de Las Marismas. — A propos des filles du maréchal Magnan : une ingénuité. — Dans le salon bleu de l'Impératrice. — Duchesse de Morny. — Sophia de la Paniéga et le roman matrimonial du maréchal Pélissier, duc de Malakoff. — Une âme supérieure : Marcello, la statuaire mondaine. — En feuilletant les confidences manuscrites de la duchesse de Colonna. — La comtesse de Mercy-Argenteau. — Une légende de beauté ; splendeur et chute profonde. — Des noms encore, des souvenirs. — Suite entrevue.

 

Tout occupé à mettre en place et à développer tant de personnels souvenirs, qui nous échurent par bonne fortune épistolaire ou par chance de conversation, nous avons noirci des pages nombreuses, entassé les uns sur les autres bien des feuillets ; et, sans nous en apercevoir, nous sommes parvenu presque au terme d'un raisonnable volume. Cependant, autour de nous, maints et maints cadres sont restés vides ; nous n'avons rien dit ni de celle-ci ni de celle-là, et des figures pleines de séduction ou d'originalité manquent à l'ensemble du tableau.

Sur ce grand théâtre d'ambitions, de plaisirs et d'intrigues, que fut le monde impérialiste, parurent et disparurent d'autres silhouettes féminines, auxquelles s'attache pareillement l'intérêt d'une histoire courte ou longue, et qui nous engageraient à de curieuses réminiscences.

La place est restreinte... Le temps se dérobe... Et c'est dommage.

De légers croquis, pris par la porte ouverte à deux battants des salons, ou seulement entrebâillée des pièces intimes, nous eussent rendu le nom, la ressemblance et la vie de plus d'une charmante oubliée.

Les touches légères et caressantes du pastel nous auraient été nécessaires pour réveiller la blondeur éblouissante de la princesse Anna Murat, duchesse de. Mouchy, la seule amitié déclarée, et de tous les moments, de l'impératrice, et la finesse de ses traits, ses yeux scintillants, sa chevelure d'or, piquée de marguerites de diamant, moins brillantes que la fraîcheur de son teint.

Il eût fallu, pour le moins, indiquer la touchante physionomie de la maréchale Canrobert, ou réserver un texte plein de témoignages, qui pût servir de légende à l'une des peintures de Cabanel, celle qui dédia, superbe, à la jeunesse de Mme Carotte, la lectrice et l'historiographe de Son Andalouse Majesté.

Les yeux spirituels de Mme de Montebello ne nous eussent retenu qu'un moment. Avec la vicomtesse Aguado, marquise de Las Marismas, la causerie eût pu se prolonger davantage. Elle était de celles qui ont besoin d'entendre parler leurs souvenirs. Son hôtel de la rue de l'Elysée avait été, pendant de longues années, le rendez-vous choisi de l'aristocratie étrangère et des habitués de la Cour. Depuis la guerre, elle s'était confinée dans la retraite, une retraite assombrie par des deuils successifs et surtout par la mort de sa fille, la jeune duchesse de Montmorency. Mais si elle n'avait pu se résoudre, isolée, vieillie, à prendre sa part des plaisirs nouveaux, elle ne s'était point résignée au silence. Il lui restait tant à dire sur ce qu'elle avait vu, et entendu, aux heures flambantes d'autrefois !

***

On n'aurait que légèrement effleuré du regard l'aimable profil de Valentine Haussmann, ou la troublante image de Mme de Pomeyrac, ou encore le triple portrait des filles du maréchal Magnan, en y appuyant un peu, juste le temps de cueillir une historiette au passage. Mais, pourquoi s'en priver ? L'une de celles-ci la plus jolie, avec sa grâce de porcelaine de Saxe, était de précieuse ressource pour les mondaines imaginations des tableaux vivants et dans les charades de Compiègne. Vivement on la priait, une fois, de symboliser, avec l'arc et les flèches, la figure d'Eros, le dieutelet malin, aux traits duquel nul n'échappe, sur l'Olympe ni sur la terre. Elle accepta, quoique un peu embarrassée dans le choix des attributs. Et c'est alors que, tout ingénument, elle écrivait à l'auteur de ses jours :

Mon cher père, je fais l'amour, ce soir. Envoyez-moi, je vous prie, tout ce qu'il faut pour cela.

Je crois entendre, à cette distance des années, l'exclamation goguenarde du serviteur de Mars !

***

Le plaisir eût duré plus longtemps à se transporter ,en imagination dans le salon bleu des Tuileries, stationnant, admirant et se remémorant, en face des médaillons exquis, où l'impératrice s'était plu à réunir les portraits de quelques rayonnantes de son entourage, chacune personnifiant, en son costume, l'une des grandes nations de l'Europe. C'était, entre autres, la duchesse de Morny, dont le nom seul rappelle tant de détails piquants sur son mariage avec l'ambassadeur extraordinaire' de France à Saint-Pétersbourg, sur sa nature originale, son amour profond pour l'époux inconstant, sa belle confiance abandonnée, puis, à la mort du duc, son immense désespoir, lorsque, à grands cris, elle réclamait d'être couchée vivante dans la même tombe, et le sacrifice de la tresse blonde, le renoncement à tout, mais ensuite, fâcheusement, les révélations de la cassette aux souvenirs, les indiscrètes confidences des amies au bec de colombe lui apprenant combien d'amours pouvaient tenir place dans un même cœur, et le revirement subit, la consolation prompte, les flambeaux de l'hyménée se rallumant presque aussitôt. C'était encore, au-dessus des portes du fameux salon bleu, les captivantes physionomies de Mme Walewska, de la duchesse Marie de Cadore, de Sophie de la Paniéga, duchesse de Malakoff. De cette dernière, représentant un des types très purs de la beauté andalouse, sous la traditionnelle mantille, et portant à sa chevelure la fleur de pourpre des femmes de Grenade, nous aurions à donner autre chose et plus que ce signalement hâtif, quoique la piété filiale excessive de Mme Louise de Malakoff, hier princesse Zamoïski, nous ait presque intimé ce désir comme un ordre : N'y touchez pas !

Nièce de la comtesse de Montijo, elle fut la seule, parmi les amies de jeunesse d'Eugénie, que les conditions d'un haut mariage rattachèrent à la France. Cette union, à laquelle la raison eut plus de part que le cœur, fut l'œuvre de l'impératrice. Car, ayant elle-même vécu son conte de fée, et comprenant bien que les aventures sentimentales étaient défendues à son rang, Eugénie se plaisait à susciter autour d'elle des occasions d'amour et à façonner des liens d'hyménée.

Une taille flexible, des prunelles veloutées, des yeux sombres et brillants comme des diamants noirs : Sophia de Paniéga n'avait en dot que ces charmes périssables. Elle avait caressé, dans le mystère de son âme, les douceurs d'un rêve, qui ne devait point se réaliser pour elle. Un chagrin secret voilait de tristesse et de découragement ses plus beaux soirs. Les futiles compliments, les vains hommages, qui l'assaillaient dans le monde, n'avaient point dissipé cette impression de désenchantement, dont elle ne découvrait point l'objet, mais dont on avait bientôt deviné la cause :

A quoi me sert-il d'être jolie ? disait-elle à l'une de ses amies, et du ton de voix le plus pénétrant. Je suis si triste que je voudrais mourir !

Pendant qu'elle s'alanguissait en ces mélancoliques songeries, l'impératrice se préoccupait de l'établir. Elle s'était confiée de son dessein à la comtesse Walewska, la priant de l'y aider.

Les peines de cœur de la brune Espagnole s'envolèrent sur les ailes du temps ; elles ne devaient pas être guéries par l'amour, qui les avait fait naître. Mais elle épouserait un maréchal de France, elle serait duchesse de Malakoff. Un beau titre, remarquait malicieusement la comtesse de la Pagerie, s'il n'eût fallu, pour le porter, devenir la femme du maréchal Pélissier. Il fut ambassadeur en Angleterre et gouverneur général de l'Algérie. Il exerça le plus haut commandement militaire. Seulement, les formes manquaient à cette illustration de champs de bataille. On ne donnait pas en exemple l'urbanité de ses manières et les grâces de sa conversation. L'enveloppe était rude. Enfin, sa jeunesse était loin.

Tandis que l'hiver jetait ses frimas sur la tète du vainqueur de Sébastopol, des âmes tendres s'employaient à ramener le printemps dans son cœur. Les préliminaires de cette heureuse transformation se passèrent de la sorte.

En août 1855, les souverains s'étaient rendus à Cherbourg pour recevoir la reine d'Angleterre. Pélissier, depuis peu ministre k Londres, se trouvait aux côtés de l'empereur. Dans la suite de l'impératrice, auprès de la comtesse de Montijo, qu'elle accompagnait toujours, on remarquait Mlle de la Paniéga. Il y avait Te Deum, à la cathédrale. Mlle de la Paniéga s'était mise à genoux, sur les dalles de l'église, à la manière espagnole ; et l'inflexion élégante de sa taille, plus que son altitude recueillie, avait impressionné le vieux soldat. Il s'informa du, nom de cette belle et pieuse jeune fille. Mme Walewska mit toute son obligeance à l'en instruire, ajoutant : Maréchal, voilà celle que vous devriez épouser, et, sur ce trait final, l'avait abandonné à ses réflexions, non sans l'avoir prévenu que le moment serait très favorable à la présentation, le soir, au bal de la Préfecture.

Il y vint en grand uniforme, la poitrine chargée de croix et d'ordres étincelants. Au premier regard jeté dans la salle, il avait reconnu Mlle de la Paniéga, tout en blanc, et n'ayant de bijou plus précieux qu'un collier de corail rose. Sans être au bal aussi à son aise qu'à cheval, Pélissier na boudait pas plus à la danse qu'au feu. Il lui demande de vouloir bien l'inscrire sur son carnet pour un tour de valse ; elle accueille son offre avec moins d'entraînement que de déférence. Dès le lendemain, le maréchal s'est déclaré à l'impératrice. Sophia en est informée aussitôt. Elle s'interroge avec hésitation. L'âge du maréchal... il a soixante-cinq ans ; elle en a vingt-cinq... Son physique : il est court, gros, sans taille ; elle est grande et svelte... Son humeur : on la dit sauvageonne et brusque : elle-même est douce et sensible. Il en eût fallu moins pour justifier une réponse indécise. Pourtant, être duchesse ! être maréchale I... C'était là aussi de bonnes raisons pour prendre parti. Elle y inclina donc. Les fiançailles furent annoncées.

Le maréchal prodiguait ses prévenances et ses visites. Il en narrait le détail, au jour le jour, à la comtesse Walewska, chez laquelle nous vîmes, longtemps après, les épistoles de ce maréchal de France racontant par le menu les phases de son roman conjugal. Les débuts furent laborieux, à en juger par la phrase suivante, tirée d'une lettre du 13 août 1858 :

La belle Sophie était douce et gentille, un peu attristée, mais fort digne.

Il entrait là, comme on voit, une certaine dose de résignation. Peu à peu se réchauffèrent les sentiments. Pélissier remplissait en conscience son rôle de prétendant, offrant des cadeaux, des fleurs, sans montrer trop d'impatience, néanmoins, pour arriver au fait simple et désiré du mariage. Estimant qu'un nulle affaire il n'est bon de se lancer éperdument — restait à savoir s'il eût agi et pensé de même, trente années auparavant —, que la sagesse est d'aller avec mesure, il atténue, modère plus qu'il n'excite le zèle des personnes s'intéressant à sa félicité ; la chère impératrice l'inquiète presque à vouloir mener ainsi leur hymen à la vapeur.

On a fixé la date de la cérémonie :

Je saurai attendre six semaines, écrit-il, qu'une couronne de fleurs se mêle à quelques lauriers.

Et il souligne de cette observation légèrement prudhomesque le satisfecit qu'il s'accorde à lui-même pour la sérénité de son attitude expectante :

Vous voyez, dit-il, que je me possède bien. Ce m'est une constante faveur du Ciel de voir toujours la sérénité croître en raison de l'importance des circonstances.

Là-dessus, il ferme sa lettre, en y glissant un compliment, qui fleure la poudre à la maréchale :

Adieu, je vous baise les mains et ne vous demande qu'un de ces sourires, que vous angélisez sans effort.

Cependant, avec la douceur affectueuse de sa nature, Mlle de la Paniéga s'est attachée à son futur époux, d'une manière assez apparente pour qu'il se croie vraiment aimé d'elle, et nécessaire à sa vie :

Si je n'avais pas eu, dit-il, un bienveillant vampire, qui compte mes heures, qui considère comme un larcin celles qui ne sont point passées à portée d'Elle ou à son intention, je courrais à Vichy vous baiser les mains.

La suite de cette correspondance est toute consacrée aux bagatelles ruineuses de la corbeille. Mme Walewska, qui s'est chargée du trousseau, travaille à la remplir avec une générosité de soins, que le maréchal, s'il osait tout nettement l'exprimer, désirerait bien tempérer d'économie. Il peut constater, en effet, au total de la facture, qu'elle n'a rien omis : somptueuses fourrures, cachemire soyeux, velours épais, robes du lendemain succédant aux mousselines et dentelles nuptiales. Lui, il devra visiter les joailliers. Il a eu peu de bijoux à donner, au cours de sa vie guerrière. On s'en aperçoit, à certains effarements qu'il éprouve sur le prix des choses. Deux rivières de diamants ! Ce serait assez d'une pour s'y noyer. En outre, il faut une couronne de duchesse : est-ce que l'empereur, qui l'a fait duc, lui Pélissier, ne devrait pas bien offrir le diadème, après le parchemin ? Il couvre de bénédictions l'aimable comtesse, qui déploie cette infime sollicitude pour son bonheur futur et pour la satisfaction présente de la promise, comme il l'appelle militairement. Mais on sent de reste qu'il ne serait pas fâché d'apprendre qu'il n'y a plus ombre de place dans la corbeille, et qu'il ne reste enfin qu'a signer le contrat et, à passer par l'église.

7 octobre 1858.

Nous jouons aux ombres chinoises. Nous nous voyons sans nous parler, sans nous attendre, et toujours plus pressés les uns que les autres. Vous disparaissez. Le chiffre seul de la corbeille prend de l'aplomb, de la solidité ; mais plaie d'argent ne tue pas, dit-on, et j'aime trop ma femme pour aller concevoir chagrin d'un chiffre incessamment croissant.

C'est qu'en réalité, soucieuse à son endroit de faire largement les choses, la comtesse avait dû, comme tous les ministres, recourir aux crédits supplémentaires.

Le mariage fut béni, dans la chapelle de Saint-Cloud, le soir. Toute la Cour était présente. Bientôt ensuite, les chevaux emportaient aussi rapidement que possible le duc et la duchesse vers leur installation de Blackwall, en Angleterre. On voyageait par étapes, courant, disait-il, faisant des bisettes, et s'arrêtant enfin dans l'espoir d'une longue félicité.

3 novembre.

Cette compagne de l'homme qui est l'ornement de notre existence, ne pouvait être plus à mon goût, et j'y trouve tous les éléments de bonheur. Si elle ne se mutine pas, ce sera une épouse parfaite ; et il en sera ainsi, car elle a la bonté, une aimable intelligence et une sainte admiration pour son mari.

Tout le caractère du soldat est dans ces dernières lignes ; elles le montrent comme il était, au naturel, impérieux en diable, intransigeant sur la discipline, même en ménage, et, pour le reste, assez content de ses mérites.

Une fille naquit à son foyer. Le maréchal, si ferme au commandement, fut, à son tour, subjugué par cette enfant, qui réjouissait le déclin de sa vie. Elle n'avait pas trois années, lorsque, commandant en chef les troupes et régnant sur l'administration de la plus belle des colonies françaises, il disait d'elle :

Louise de Malakoff gouverne l'Algérie, puisqu'elle gouverne son père.

Elle avait l'intelligence prompte et déjà l'humeur peu commode... Il se retrouvait en elle.

Toute simple et tout unie fut l'existence d'épouse et de mère de la cousine d'Eugénie de Montijo ; elle n'eût été qu'une jolie femme, perdue parmi beaucoup d'autres, sans le concours des circonstances, qui firent d'elle la maréchale Pélissier.

***

Il reviendrait à la duchesse Colonna, à la statuaire mondaine Marcello, mieux qu'une page anecdotique, comme celle où s'est amusée notre plume à propos d'un illustre mariage. Ce ne serait pas trop que de lui dédier une longue et pénétrante étude, une analyse d'âme très personnelle, parce qu'elle fut une intelligence artistique, une force, un caractère.

Vers 1865, il était rare d'entrer dans un 'salon très en vue sans y rencontrer Marcello. Il n'était pas de réception ministérielle, dit un témoin d'alors, pas de bal aux quatre coins du Paris aristocratique, pas de raout chez l'ancien président du Conseil de l'ex-roi citoyen, chez Thiers, en un mot, où ne passât la silhouette de la duchesse italienne. Ce n'est point qu'elle dût produire, au premier aspect, une impression fulgurante de beauté. On pouvait discuter en elle une physionomie sans relief, un regard que n'avivait pas toujours la flamme de la vie intérieure, des traits dont la finesse n'était pas irréprochable. On appréciait davantage, relevés sur le sommet de sa tête par un ruban, des cheveux admirables, d'une coloration châtain clair, et son port de reine, sa taille longue et svelte, la souplesse et la grâce de ses mouvements. Ses toilettes étaient généralement simples ; son bijou préféré se composait d'une chaîne d'or, présent de l'impératrice Elisabeth. Pour aller aux Tuileries, elle portait une robe de satin noir ou de soie violette, rehaussée de riches guipures ; une gorge très belle et ses épaules éblouissantes s'exaltaient dans la lumière blanche des dentelles. Ceux qui la voyaient traverser les galeries, avec sa démarche harmonieuse et rythmée, se fussent imaginés quelque déesse antique revenue des bords de l'Ionie. Mais elle avait en soi mieux que des attraits passagers. C'était une âme, et nous l'allons connaître, en parcourant les pages intimes, qui sont restées d'elle, jalousement gardées par la sollicitude familiale[1].

Adèle d'Affrey, duchesse Colonna de Castiglione, tirait ses origines de la terre helvétique. L'Alpe fribourgeoise et les molles ondulations méridionales furent, tour à tour, les décors de joie où s'épanouirent ses premiers rêves. D'une éducation affinée, son père et sa mère voyageaient beaucoup, et avec le souci de comprendre, d'interpréter ce qu'ils voyaient. Entre les allées et retours de Suisse et d'Italie, entre les étés apaisés et les hivers bleus, elle s'imaginait posséder deux patries. Mon cœur bat en revoyant un olivier comme en retrouvant nos bois de sapins, écrivait-elle, au début de ses Confidences, restées inédites. Les collines de Florence, les marbres de Rome et les palais de Venise éveillèrent ses enthousiasmes, comme ils devaient provoquer en elle le sentiment de sa vocation artistique. De même, les escarpements du Nord influèrent sur le côté sauvage et fier de sa nature.

N'étant qu'une enfant, le désir d'agir brûlait son cœur. Elle aurait voulu vivre des songes vastes comme le monde et toucher des gloires hautes et pures comme le ciel, sans retard, aussitôt, avant d'avoir terminé son éducation. Aux yeux de sa quinzième année que tout paraissait noble et beau ! Il lui semblait que disposer de son être, au profit d'une grande idée, si obscur et si peu récompensé que fût le dévouement, devait être la suprême satisfaction. Un jour, sous les chênes du parc de Grivisiez, elle s'agenouilla pour prononcer cette prière :

Seigneur, confiez-moi une tâche d'élite, une mission périlleuse couronnée par la victoire ou la mort, donnez-moi la force et le courage pour l'entreprendre, et prenez en échange la part de bonheur, qui m'est peut-être destinée en ce monde.

Hélas ! la vie cruelle se chargera d'exaucer ce vœu palpitant d'un juvénile orgueil, et la femme aura souvent à se rappeler la prière de l'enfant.

Déjà se décelait en elle cet esprit d'indépendance un peu altière, dont elle ne se départit jamais. Le joug de ses institutrices lui était une contrainte insupportable. Etre libre, libre et personnelle avant tout : elle n'avait pas de plus chère aspiration. Eprise fervemment de l'antiquité, le désir de connaître la possédait comme une véritable fièvre intellectuelle. Des lectures impatientes, un don naturel d'observation, les intuitions rapides, qui lui découvraient le sens de la beauté, suffirent à préparer son esprit.

Savoir. Je voulais savoir. Cela me paraissait un devoir, autant qu'un instinct ou un besoin de l'intelligence.

Après avoir poussé avec une telle ardeur le développement des forces vives de son âme, le besoin d'extérioriser son moi pour le bien des autres, devait s'emparer naturellement d'elle. La crise d'altruisme se révéla. L'enthousiaste jeune fille rêva d'être un pur esprit religieux, ne pensant et ne s'efforçant que pour se dévouer. Une force cachée la retint sur cette pente ; elle avait en elle trop de personnalité, trop de chaleureuse vie pour accepter la demi-mort du sacrifice.

Les idées philanthropiques cédèrent la place à des impressions d'ordre plus sentimental. C'était en 1856. Séduite par le prestige d'un grand nom italien et conseillée par sa mère, Adèle d'Affrey agréa l'alliance de don Carlo Colonna, duc de Castiglione. Leur union fut courte. Après quelques mois de mariage, elle le voyait mourir. Ses notes intimes nous la révèlent une amoureuse désespérée, vivant de larmes et ne voulant pas être consolée. Il y avait une part d'imagination dans cette grande douleur. Le moment allait venir où la vocation de Marcello éclaterait et l'absorberait tout entière.

Elle languissait, à Rome dans la solitude et le deuil. La vue d'une collection de statues, à la Villa de Médicis, lui fut l'occasion et le point de départ d'une autre vie. Ces statues, destinées à un musée du roi de Bavière, furent les compagnes, les amies consolatrices de la duchesse, pendant ces heures de réclusion. Chaque jour, elle se donnait pour but d'aller les contempler par-dessus la haie vive, à travers les larges baies ouvertes, qui laissaient entrevoir leurs éclatantes nudités. Elle se jura d'atteindre par le travail et l'effort aux souveraines jouissances de l'art. Ses études, commencées à Rome, s'achevèrent à Paris, sous la direction de Regnault et de Carpeaux. De cette époque date son existence véritable et complète, sous le nom de Marcello qu'elle avait adopté, l'élevant bien au-dessus de son titre de duchesse, parce qu'elle prisait avant les distinctions conventionnelles.

L'auréole du nom qu'on se fait soi-même.

Elle se fixa l'hiver, à Paris, et s'installa, rue Bayard, au Cours la Reine, où elle habitait la même maison qu'Eugène Delacroix. De longues et patientes études remplirent ses jours. Souvent, pour compléter expérimentalement ses connaissances d'anatomie, elle se rendait au musée Dupuytren, déguisée en homme, de manière à ne pas attirer l'attention sur des curiosités de femme, qu'on eût jugées singulières et spéciales. Admise comme étudiant, elle se mêlait à la foule des jeunes médecins, sans qu'aucun d'eux connût le mystère de son déguisement. Elle s'habituait aux spectacles effrayants de la mort. Pendant les cours d'anatomie, elle prenait sur les sujets des empreintes de cire reproduisant la forme de position d'un membre, ou permettant de reconnaître les points d'intersection des muscles, l'action liée des faisceaux, forçant ainsi ses mains magnifiques au répugnant contact des chairs froides. Son talent se développa rapidement ; il se manifesta par des œuvres où s'étaient incrustés tous les traits de son caractère : l'élan, l'indépendance et l'orgueil. Quelques-uns de ces marbres, tels que la figure tragique et le geste angoissé de sa Pythie, produisirent une grande impression.

La célébrité lui était venue ; elle s'accorda plus de loisir pour visiter, étudier le monde, où l'appelaient son rang, ses relations. Les notes, malheureusement trop brèves, gardées au Breitfeld, parmi les papiers de la duchesse Colonna, nous ont fait connaître ses sentiments, à l'égard d'une société, qu'elle fréquentait sans l'estimer, et qu'elle qualifiait de vermoulue. Sa franchise d'âme s'étonnait et se blessait de voir tant de rivalités mesquines s'agitant en des cercles bornés et les plus hautes intelligences victimes de l'esprit de parti. Chaque jour augmentait son éloignement aussi bien contre les salons officiels de l'Empire que contre les salons opposants du faubourg, parce que pas plus dans les uns que dans les autres, sous ce masque trompeur, qu'on appelle le respect des convenances, elle ne découvrait la sincérité, la spontanéité, la jeunesse. L'élite morale, celle des femmes pures, des hommes droits, intelligents, possédés de l'amour du bien, en était absente. Quand Marcello, séduite par les avances gracieuses de l'impératrice, fut aux Tuileries, sa déception eut peine à ne point se trahir.

Je me croyais, disait-elle en revenant, plus au théâtre que dans la vie réelle. Chacun récitait un rôle et n'en changeait guère... Les miens, les miens, où étaient-ils ? Je les ai trouvés, depuis ; c'étaient ces hommes de valeur et de force, qui joignaient à l'ardeur de l'imagination l'infatigabilité du labeur.

Les hommes, dont elle parlait, ses habitués, ses amis, avaient noms Thiers, Barthélemy Saint-Hilaire, Mignet, Gratry, et ses maîtres Regnault et Carpeaux. Souvent elle se rendait, pour deux ou trois jours, dans la famille de Thiers, et s'y rencontrait avec Cousin et Barthélemy Saint-Hilaire. Ces minutes reposantes comptèrent parmi les meilleures de sa vie. Elle aimait à rappeler, en causant, avec quelle flamme et quelle verve Thiers et Cousin l'un contre l'autre espadonnaient, bataillaient, à propos du XVIIe siècle, et comment, chaque dimanche, recommençait leur éternelle discussion sur les hommes et les choses de ces temps éloignés. Dans la semaine, presque chaque jour, quelqu'un d'eux se portait chez Marcello pour la conduire à l'Observatoire, ou dans un musée, dans une bibliothèque, où l'on feuilletait ensemble les précieux livres et ranimait l'âme des manuscrits.

Malgré ses préférences pour les douceurs de l'intimité, la duchesse Colonna cédait à l'obligation de paraître en quelques grandes maisons parisiennes. Elle suivait régulièrement les lundis de la duchesse de Galliéra. On la voyait aux réceptions de la duchesse Pozzo di Borgo. Le salon de la comtesse de Circourt, où elle se fit présenter Humboldt, Cavour et Bismarck, l'intéressa vivement par sa diversité cosmopolite ; les hommes les plus différents se rencontraient dans ce milieu hétérogène, que Thiers avait baptisé, non sans esprit, un salon d'acclimatation. Elle se maintenait avec beau coup de tact et d'adresse, sur la lisière des opinions extrêmes, demeurant conciliante à chacun, ne se déclarant ni pour ni contre l'opposition, quoiqu'elle eût attendu longtemps avant de se montrer à la Cour. Quelques-uns lui reprochaient, sous le manteau, cette sorte d'éclectisme indifférent. Suivant eux, elle recherchait avec une assiduité trop égale des personnages absolument opposés de caractères, de situations, d'opinions ; elle fréquentait trop de camps ennemis pour qu'on pût compter sur sa fidélité. Vouloir plaire à tous, n'était-ce pas être infidèle à chacun ? demandaient-ils. Mais elle voyait par d'autres yeux.

Il fût entré dans les vues de son ami Thiers d'organiser chez elle un petit groupe hostile à l'Empire. La duchesse Colonna, en sa qualité d'étrangère, avait refusé formellement de prendre aucune attitude politique. Elle s'y sentait d'autant moins portée que le rôle de vocifératrice ou de thuriféraire d'un grand homme, le seul possible alors pour une femme, lui semblait trop étroit et bien insuffisant pour elle.

Je voulais acquérir une valeur véritable, écrivait-elle. Mes goûts n'étaient rien moins que des goûts politiques ; puis, j'éprouvais, faut-il le dire ? un sentiment un peu hautain ne désirant d'autrui quoi que ce fût et voulant seulement obtenir les biens cachés après lesquels ne courent guère les humains... Il est certain que si j'avais voulu acquérir de l'importance, j'aurais pu y parvenir alors et me créer aussi un salon... Mais n'était-ce point une cage, une volière dorée qu'un salon du grand monde ? Les vastes problèmes, les sérieuses questions, qui préoccupent l'humanité, se traitaient ailleurs.

Ces hautes questions, on ne craignait pas de les aborder chez elle, quand elle recevait dans son atelier. On s'y rendait, nombreux et divers. Elle était parfaite en ces réunions libres. Avec une parole aimable, un sourire pour ses moindres hôtes, elle circulait parmi les groupes, orientant d'un mot la conversation, excellant à faire paraître les plus effacés et se prodiguant à tous.

Et, le reste du temps, elle sculptait dans le marbre ses idées, ses inspirations. Le travail épuisa cette organisation délicate ; l'âme ardente, qui avait voulu tout à la fois trop vivre, trop donner, trop sentir, rompit sa prison de chair. Marcello mourut, en 1879, à Castellamare, le ciseau dans les mains, debout jusqu'au dernier instant, dépensant ce qui lui restait de force à consoler les siens de l'inévitable. Quand elle eut fermé ses yeux clairs, où tant de rêves avaient passé, et que les beautés de l'art divin se furent éteintes pour elle, sa mère ramena son corps à Givrisiez, pour y dormir l'éternel sommeil.

***

Combien plus cahotés furent les destins de la souverainement belle comtesse de Mercy-Argenteau, née Louise de Caraman-Chimay[2] ! Elle était du sang de Mme Tallien. Elle appartenait à cette famille des Chimay, où les femmes et leur esprit d'aventure causèrent d'étranges ravages[3].

L'imagination la revoit, au plein de sa triomphante jeunesse, telle que l'a représentée le pinceau de Cabanel, debout, dans une robe de velours sombre relevant la blancheur de ses bras, de ses épaules, avec ses yeux fascinateurs, ses lèvres de volupté, son sourire plein d'enchantement et ce mélange inexprimable d'abandon et de fierté, qui lui assurait un empire irrésistible. Elle dominait les hommes avec une puissance qu'on ne discutait pas. Très musicienne, sa virtuosité d'interprète de Liszt et de Chopin était comme une parure supplémentaire, dont elle se servait pour orner d'art ses succès de femme. Aussitôt que commençaient à s'égarer ses doigts sur les touches d'ivoire, c'était, autour d'elle, un essaim d'adorateurs, qui ne la quittaient plus du regard.

Il y a des femmes, qui sont jolies sans le savoir ; et c'était le charme de la marquise de La Bédoyère. Il en est d'autres, comme les Castiglione et les Mercy-d'Argenteau, si comblées par la nature, qu'elles en contractent le sentiment superbe du beau, incarné dans leur être. Son port de tête, sa démarche, l'air de sa personne, tout en exprimait la sereine conviction. Il suffisait de la voir entrer dans un salon pour juger, à. l'instant, quelle était la force de son opinion sur elle-même. Se sachant belle, fort belle et fort désirable, elle se posait en idole, mais en idole qui sent son prix. Peu romanesque, d'ailleurs, et faisant fi du gaspillage sentimental, elle ne baissait un regard complaisant que sur les hommes très en vue. Lorsque Emile Ollivier fut devenu chef de cabinet, elle joua de coquetterie presque avec ce ministre, pour des raisons où l'attrait du physique avait la moindre part. Aussi, par la suite, Emile Ollivier fit-il grand éloge de l'intelligence de Mme de Mercy-Argenteau.

En ses exigences de conquête, elle brisait les résistances ou les hésitations de ceux qui ne voulaient pas être à ses pieds. Le comte de Stackelberg en avait été des plus épris. On prétendit qu'il mourut de chagrin à cause d'elle. Sur son opulente façon de vivre et sur les origines de son luxe, des médisances couraient. Toutes les opinions se donnaient cours à ce propos. On racontait qu'elle avait à sa disposition un blanc-seing toujours valable sur la banque d'Oppenheim, dont l'amour s'épuisa plus vite que la caisse. On mêlait encore les noms de Mme de Mercy-Argenteau et du prince Obreskow, premier secrétaire de l'ambassade de Russie et, disait-on, fils naturel de l'empereur Nicolas. Sa mère, qui fut mariée, dotée avec éclat et largesse, était une des plus parfaites beautés de la Cour pétersbourgeoise. Ce prince faisait carrière dans la diplomatie ; par aventure, il manquait des qualités de l'emploi, qui sont d'être discret et d'avoir l'oreille fine. Il était sourd et ne s'exprimait qu'avec plus de bruit. Il criait un peu ce qu'il fallait taire, quand il s'agissait de femmes, par exemple, de femmes en général et de Mme de Mercy-Argenteau, en particulier, dont il ébruitait les dispositions sympathiques. H parlait haut, parce qu'il ne s'entendait point, et qu'il croyait parler bas. Obreskow finit assez pauvrement en Italie, où l'une de ses sœurs avait épousé, à Naples, le comte Castellani-Aragona et l'autre le prince Fonti.

Une fête donnée par le baron Oppenheim, dans l'été de 1869, en l'honneur du vice-roi d'Egypte, venu en France pour inviter l'impératrice à l'inauguration du canal de Suez, fut l'ultime circonstance où l'on put voir Mme de Mercy-Argenteau briller dans une grande réception parisienne.

Elle avait été la dernière admiration de l'empereur. On lui attribua, sur le déclin du règne, un semblant de rôle politique. Pendant la captivité de Napoléon III elle entretint une correspondance avec l'empereur, malade et accablé, et se montra plusieurs fois à Wilhelmshöhe. N'espéra-t-elle pas séduire le vainqueur et fléchir le sort en faveur des vaincus 7 Par un acte spontané, que le succès ne couronna point, elle avait tenté une démarche suprême auprès du roi de Prusse, afin d'obtenir quelques adoucissements pour l'armée française prisonnière en Allemagne, et d'améliorer les conditions cruelles imposées par la guerre. Mais les temps n'étaient plus où le sourire d'une femme avait le pouvoir de changer le cours des événements. Elle ne put approcher Guillaume ; et ni sa beauté, ni son émotion éloquente, ni ses cheveux à demi répandus, ni ses yeux en pleurs n'amollirent l'âme du chancelier de fer. Elle n'emporta de Versailles qu'une amère déception.

L'Empire tombé, la comtesse de Mercy-Argenteau ne reparut point à Paris, sauf en de rares occasions. Elle séjournait, tour à tour, en Belgique, dans le domaine d'Argenteau[4], en Autriche, en Russie, où elle fut la dernière amie du général et compositeur Cui, ici et là s'attachant comme toujours à rallier, chez elle, un cercle choisi d'hommes du monde et d'artistes.

Tout à coup s'abattit sur cette existence désheurée une série noire d'embarras de fortune et de tristesses familiales. Celle qui naguère, à Paris, en son délicieux hôtel de la rue de l'Elysée[5], connut tant d'élégances et de splendeurs, avait dû se retirer, à Saint-Pétersbourg, dans un logement des plus médiocres. La chambre de cette femme, qui avait goûté tous les raffinements du luxe, ressemblait maintenant à une cellule de recluse, tandis que son seul vêtement était une robe de laine noire, comme si, pour employer l'expression de Mme Carette, elle eût voulu s'ensevelir vivante dans le deuil des illusions détruites. Elle termina ses jours tristement, pareille à la plupart des triomphantes d'alors. Elles avaient eu leur ardente saison, illuminée de clartés éblouissantes. Il ne fallut qu'une heure pour dépeupler leur ciel ; et puis, étaient venues les nuits froides et désenchantées.

***

A mesure que s'allonge la liste des belles absentes, revendiquant leur place dans le mémorial féminin du Second Empire, les souvenirs affluent... Les interrogations se posent. Aurait-on oublié l'extraordinaire marquise de Païva et son étourdissante aventure ?... Thérèse Lachmann, marquise de Pailla, comtesse de Haenkel... nous la retrouverons, en effet, au moment de pousser une pointe plus hardie dans les hauts bas-fonds de la société parisienne.

Et la charmante comtesse de Canisy, de par sa grâce attractive diminutivement appelée Canisette, une nébuleuse du grand monde, évanouie sans qu'il soit resté d'elle rien de plus qu'une trace de parfum ? Et la blonde marquise de Galliffet ? Et son amie la princesse de Sagan, et le cercle même de la princesse et du prince de Sagan, un cercle brûlant celui-là, où l'on aurait la sensation de marcher sur un brasier ? Et toutes celles que nous ne pouvons nommer aujourd'hui ?

Mais il faut à l'avenir laisser quelques réserves. La galerie des Femmes du Second Empire est ouverte. Nous n'avons point dit qu'elle fût close.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Nous devons à des lettres personnelles, débordantes d'émotion sympathique et d'éloquence, de Mlle Yvonne de Romain et aux communications gracieuses de la sœur de Marcello, la baronne d'Ottenfels, un poète sentimental et délicat, ces lueurs jetées sur la nature morale de la duchesse Colonna.

[2] Seules les filles aînées des fils aînés, dans la famille de Chimay, portent le titre de princesses, les autres ont toutes le titre de comtesses de Caraman-Chimay. La sœur de Mme de Mercy-Argenteau fut la princesse Constantin Czartoryska.

[3] Sans remonter plus haut... Alphonse de Chimay, son frère, et la richissime héritière bruxelloise Mlle Lejeune, devenue princesse du même nom ; les causes de séparation morale intervenues entre ceux-ci, et, tout à coup, le rapt audacieux accompli sous le toit conjugal ; le bruit fait par Mn. Lejeune, princesse de Chimay, pour obtenir en Cour de Rame l'annulation de son mariage, et procurer en même temps à celui qu'elle aimait un titre de noblesse leur permettant d'être ensemble comte et comtesse de Rigo ; enfin cette singulière rencontre d'homonymies, adjugeant à une princesse de Chimay divorcée un nom tout pareil à celui de l'amant de Clara Ward, le fameux tzigane Rigo, pour l'amour duquel cette Américaine aux goûts singulièrement tapageurs, avait quitté son mari, le prince de Caraman Chimay... Combien il y aurait à dire pour des anecdotiers !

Une autre princesse de Chimay, très intelligente, et d'une vraie distinction, eut un procès retentissant. Lorsqu'elle plaida contre son mari le général prince de Bauffremont, sur instance en divorce, ce procès avait amené des révélations d'ordre intime et des réclamations financières, que les journaux ébruitèrent.

[4] En 1886, elle y fut victime d'un accident de voiture. Conduisant elle-même, elle se promenait en charrette anglaise, dans le vaste parc du château. Le cheval s'emporta. Elle fui projetée, hors de la voiture contre des- rochers. Sa santé en demeura terriblement ébranlée.

Malgré les rigueurs du sort, elle avait pu conserver le château d'Argenteau historiquement célèbre et riche de tableaux anciens, de souvenirs précieux. Il échappa aux mains de sa fille, la marquise d'Avaray, qui, relevant après divorce et à la suite de circonstances diverses, que nous n'avons pas à raconter, un titre de la famille illustre des Mercy-Argenteau, s'est appelée princesse de Monglion... Ce beau domaine héréditaire était devenu la propriété d'un limonadier de Liège !

[5] C'était au numéro 8, où elle occupait l'ancien hôtel du duc de Persigny, qui communiquait avec le palais de l'Elysée par un souterrain. Elle le quitta définitivement en 1885 (quatre années avant sa mort) et l'immeuble fut vendu.