LES FEMMES DU SECOND EMPIRE

 

L'AMBASSADRICE AUX CHEVEUX D'OR : La Comtesse Le Hon.

 

 

Un grand mariage et ses suites. — Étrange histoire et simple dénouement. — M. de Morny. — La comtesse Le Hon. — Retour en arrière : ses origines ; son arrivée à la Cour de France, comme ambassadrice. — Son portrait. — Quand elle entrait dans sa loge, à l'Opéra. — Toute une correspondance du duc Philippe d'Orléans. — Dans le monde et dans l'intimité. — Caractère de son salon. — Une lettre de Vatout. — Les belles années de la comtesse Le Hon, en son hôtel des Champs-Élysées.

 

C'était aux environs de septembre 1856. En de certains milieux, voués à l'indiscrétion professionnelle, — politiques, diplomatiques ou policiers, — circulaient de singuliers racontars, au sujet d'un événement d'ordre privé rendu public par la qualité des personnes.

On y mettait en cause un homme d'Etat du plus brillant relief, qu'un miraculeux concours de circonstances avait poussé à édifier, de ses propres mains, une fortune non moins extraordinaire. Et l'on y mêlait le nom d'une femme du monde, célèbre par sa beauté, par l'éclat de ses réceptions, par ses qualités rares d'esprit et de cœur, et que la chronique quotidienne n'oubliait jamais de porter en première ligne, parmi celles qui gouvernaient l'esprit de Paris. Un incident de lettres échangées, grossi de toutes les circonstances qu'il plaisait aux imaginations d'y ajouter, avait donné le vol à ces propos et commentaires.

Il s'agissait, quant au fond de l'histoire, du mariage bruyamment annoncé, de M. de Morny, lors ambassadeur extraordinaire de France près la Cour de Russie, et qui s'y était rendu avec une suite pompeuse, à l'occasion du couronnement du tsar Alexandre II... Des difficultés s'étaient produites, issues de causes tout intimes. Des réclamations avaient été formulées. Il avait fallu, disait-on, par ordre supérieur, prendre des mesures, intervenir.

On savait bien, en parlant d'épousailles, qu'avec ses goûts voyageurs le duc de Morny entama plus d'une fois de telles négociations, sans les conclure. Il faillit serrer les liens d'hyménée à Florence. Avant son départ, il était fortement parlé de son union avec une Américaine, plus tard devenue l'une des comtesses de Moltke ; puis encore avec une charmante jeune fille du faubourg Saint-Germain, Mlle de Bondeville. On le crut, un moment, engagé du côté de l'Angleterre. Les bans allaient même être publiés, à Londres, lorsqu'en apprit qu'il venait de se fiancer avec une beauté russe.

Mais, cette fois, la chose était formelle.

Lui-même, haussant le ton au langage d'un chef d'Etat, qui croit indispensable au bonheur de ses peuples la réalisation de ses personnelles joies, lui-même l'avait annoncé d'une façon presque solennelle ; dans ces premières lignes d'une lettre adressée à la comtesse Le Hon :

Saint-Pétersbourg, 1856.

Je me marie... L'empereur le veut et la France le désire. Pendant que j'étais au pouvoir, les rapports de police me disaient toujours : Mariez-vous... Mariez-vous. J'espère, et le désire, que ma femme n'aura pas de meilleure amie que vous, et, que vous ne perdrez pas l'habitude du chemin de Bade....

MORNY.

 

M. de Morny se maria donc, pour le bonheur de la France, comme il le croyait, et pour le sien. Il épousa une jeune et blonde princesse moscovite, aux yeux noirs, aux traits fins, à la tournure élégante, Sophie Troubetzkoï, demoiselle d'honneur de la tsarine, qu'il avait fascinée dans un bal d'ambassade, avec son charme habituel, bien qu'il eût le double de son âge[1].

La nouvelle, aussitôt que connue, avait fait naître, dans l'âme de quelques grandes dames parisiennes, comme une vague impression de délaissement. Elle avait provoqué des revendications plus fondées, de la part de celle qui fut la providence des ambitions de Morny, à ses débuts, de celle qui put dire :

Je le pris sous-lieutenant, je le laisse ambassadeur.

En l'associant à de larges combinaisons industrielles et financières, dont les siens et son mari assurèrent le développement et le succès, la comtesse Le Hon avait mis entre ses mains les éléments de puissance et d'autorité, qui furent les premiers facteurs de sa haute fortune politique. Elle y avait engagé, dis-je, plus que sa confiance, — ses biens aussi. Quelques millions étaient restés en route. Une mise au point s'imposait,

La protestation, que n'avait pu retenir la comtesse Le Hon, était revenue de Saint-Pétersbourg à Paris, par voies extra-diplomatiques. M. de Morny avait fait par- tir un de ses courriers pour en remettre le texte directement à l'empereur.

De suite on en exagéra, outre mesure, le sens et la portée. Des serviteurs trop zélés prirent l'alarme. A les entendre, de graves révélations allaient surgir de cet incident. Des divulgations fâcheuses, à l'encontre des fauteurs du coup d'Etat, étaient imminentes, si l'on ne se mettait en garde aussitôt. Déjà, prétendait-on, des papiers dangereux étaient entre les mains des princes d'Orléans ; et d'autres allaient partir, qui menaçaient d'avoir un retentissement déplorable. Toutes ces suppositions bizarres avaient trouvé créance, aux Tuileries. L'empereur avait jeté ces paroles à l'un de ses agents secrets :

Allez, agissez vite, et énergiquement.

Francesco Pietri, qui régentait alors le domaine où gouverne, en 1906, M. Lépine, était entré dans une violente agitation, comme si l'on eût eu vent d'un complot contre la sûreté de l'Etat. Des imaginations ridicules-avaient inspiré- des décisions non moins extravagantes. Quelques hommes de police avaient fait irruption dans l'hôtel et pénétré dans les appartements de la comtesse Le Hon. D'une voix sombre, l'un d'eux, le spadassin corse Griscelli, avait exigé qu'on lui livrât, sans attendre, la, mystérieuse cassette renfermant les pièces secrètes et redoutées. Elle avait remis à ces gens la fameuse belle, qui ne contenait que des lettres et qu'on alla déposer, comme un précieux butins dans le cabinet de Napoléon III. Griscelli, qui avait conduit cette merveilleuse expédition, reçut six mille francs de récompense. Tout rentrait dans le calme. Tant de bruit s'était fait uniquement autour d'une question de comptabilité délicate et embrouillée, — où le ministre Rouher devait ramener l'ordre et la lumière, à la légitime satisfaction de la comtesse Le Hon[2].

L'empressement, le zèle qu'y déploya Rouher furent même si prononcés qu'il en résulta une rupture complète de l'ancien avocat de Riom et futur vice-empereur avec Morny ; et l'on sait quel grave préjudice causèrent les conséquences de cette brouille à la stabilité de l'Empire[3].

Il en fut encore parlé quelque temps, en vertu de ce privilège qu'avait le duc de Morny de passionner l'opinion sur tout ce qui concernait sa personne ou ses actes.

Mais que fut, elle-même, la comtesse Le Hon ? Quel avait été son rôle défini, quelle sa part de prestige dans l'espace de temps si bref, que 'représente la durée d'une existence humaine ?

Elle n'avait pas écrit et n'était point sortie des limites de la vie privée. Un moment, elle y pensa ; elle avait commencé à rédiger des notes, rappelant ce qu'elle avait observé ou ressenti, au plus haut étage de la fortune et de la considération mondaines ; puis, elle s'était interrompue, par un sentiment de modestie et de crainte en soi, qui lui dormait à douter de l'étendue de son esprit. A défaut de confidences intimes, contresignées de sa main, vont nous répondre, pour elle, des documents précis et rares.

Fille d'un riche banquier de Bruxelles, Mosselman, elle avait épousé, très jeune, le comte Charles-Aimé-Joseph Le Hon, l'un des fondateurs de la monarchie belge, et qui fut, pendant onze années, le représentant du rai Léopold Ier auprès du gouvernement français[4]. Les circonstances étaient critiques. Dans cette période mémorable, où tous les intérêts de l'Europe se trouvaient en lutte, la Belgique était au premier plan, comme arbitre de la paix ou de la guerre. Récemment, son ambassade, à Paris, avait apporté, avec elle, un présent royal. Cette couronne, offerte à un prince de la famille de France, le duc de Nemours l'avait refusée. A la possession de ce royaume il avait préféré l'assurance patriotique de ne point troubler, en l'acceptant, la paix de ses concitoyens.

La jeune comtesse Le Hon n'eut pas à reprendre, avec son mari, le chemin de Bruxelles. Un autre prétendant, agréé des puissances, le prince de Saxe-Cobourg, avait ceint le diadème, dont n'avait pas voulu le duc de Nemours et confirmé le comte Le Hon dans son poste de ministre plénipotentiaire. Elle avait son sort fixé, pour longtemps, dans la capitale française.

Que nous importe cette couronne étrangère, lui dit un prince, si vous nous restez !

Elle était arrivée fort à propos. Un roi sans prestige, une Cour sans courtisans, des salons sans éclat, sauf un ou deux, dans tout Paris... On cherchait, quand elle vint, si, de quelque part, ne se lèverait pas bientôt un astre nouveau, pour éclairer l'horizon maussade. La comtesse Le Hon fut cette étoile. Il ne lui fallut, exprime Arsène Houssaye, qu'un regard et un sourire pour entraîner les cœurs, et il ajoute, en son langage de poète :

Elle enchaîna, dans ses cheveux blonds, les dieux et les hommes du jour.

Elle était, en effet, très blonde et fort jolie, la séduisante femme, que l'une de ses chères amies, Mme Janvier de la Motte, et l'académicien Vatout appelaient, à tour de rôle et sans s'être concertés, en leurs lettres : Mon Iris aux yeux bleus.

Il m'a été permis de l'entrevoir, mieux que d'imagination pure, en contemplant longuement, chez la princesse Poniatowska, sa fille, un tableau superbe de Dubufe aîné, qui la représente en pied. C'est une rencontre assez rare qu'un portrait de femme, avec la fixité de son expression, avec ce sourire infatigable, qui ne s'adresse à personne, ces yeux toujours ouverts, qui vous suivent partout sans vous voir ; il est assez rare, dis-je, qu'une telle et passagère figure, immobilisée sur la toile, contente pleinement la pensée. Mais, quand le fluide lumineux s'y est répandu, pour en illuminer tous les traits, que l'impression est autre ! En l'admirant là si vraie, si rapprochée de nous, cette reine des soirées et des bals d'autrefois, je rendais grâce à l'art divin, qui peut ainsi maintenir dans la vie les êtres de beauté, que nous a ravis la mort. Son image traduit adorablement, l'idéal féminin du jour, lorsque Dubufe préludait aux grâces un peu convenues de Winterhalter ; et, cependant, rien ne date : ni le costume, ni la pose, ni l'air du visage. Elle est debout, cambrée avec une grâce attirante. Ses cheveux, tordus sur sa tête, laissent échapper des boucles légères ondulant sur les épaules. Toute la physionomie est animée d'une expression juvénile et caressante. Le sourire se joue dans ses prunelles, comme sur sa bouche, avivant les fossettes creusées dans la blancheur rose de ses joues et de son menton. C'est le charme, en un mot, dans la perfection du naturel.

 

Etant ainsi, on la regarda beaucoup. Lorsque Mme Le Hon entrait à l'Opéra, c'était, dans la salle, un grand remuement de têtes vers cette loge de face, qu'elle avait arrêtée, dès 1832, puis vers cette baignoire légendaire, où se pressèrent, autour d'elle, tant de personnages illustres. Au foyer, ceux qui paradaient dans le cortège du duc d'Orléans : le comte de Morny, le duc Decazes, le marquis de la Valette, le baron Thiers, — car il était baron, — Camille et Nestor Roqueplan, Saint-Marc Girardin et les jeunes doctrinaires en appétit d'avantages sociaux moins spéculatifs, erraient, empressés et flatteurs, sur sa trace.

Dès son apparition, elle avait arrêté le regard et touché le cœur du duc d'Orléans, le plus aimable et le plus aimé des princes de la maison régnante. C'était un rare esprit, une âme d'élite. S'il avait su conquérir une influence énorme sur l'armée, s'il jouissait, dans le pays, d'une extrême popularité, s'il était le Mécène et l'ami des artistes, il était bien aussi le favori des reines de salons. Des autographes, adressés de sa main à la belle ambassadrice, et qu'une heureuse fortune a portés sous nos yeux, vont nous permettre de suivre, en même temps que l'affection grandissante du prince, l'état d'estime où l'on tenait, en ces milieux aristocratiques, la comtesse Le Hon et l'attraction qu'elle exerçait.

Aussitôt qu'il se fut porté à sa rencontre, le duc d'Orléans, avec une courtoisie extrême et des égards parfaits, mit sa sollicitude à rechercher les suffrages de la gracieuse étrangère. Il ne manquait aucune occasion de lui marquer le prix qu'il attachait à son jugement, le désir qu'il avait de connaître, préférablement à celle des autres, son opinion en toutes choses. Chacun et chacune, dans l'entourage familial du roi, qui, lui-même, s'était avisé de littérature et composa un opéra, cultivait une inclination, un goût artistique. D'Aumale devait mêler la plume à l'épée. Joinville et Nemours dessinaient. La princesse Marie sculptait dans le marbre des œuvres dignes de durée. L'héritier présomptif Mgr d'Orléans, s'adonnait à la peinture. Sans prétendre à aucune supériorité, dans ce genre, il ne lui était pas indifférent de recueillir, de bonne part, une approbation aimable, une louange spirituelle, un à-propos flatteur sur le point de ses tentatives d'art, de ses ébauches. Il ne s'en faisait pas accroire, quant au degré du talent ; il lui était sensible, toutefois, qu'on ne l'en jugeât pas dénué. Avec une modestie non feinte, mais qui ne demandait qu'à être encouragée, et avec une délicatesse respectueuse dans les termes, dont il ne se départit jamais, il incitait doucement la comtesse Le Hon à lui en donner l'assurance, certain jour qu'il lui envoyait une œuvrette de sa composition, enguirlandée de ce madrigal :

Je m'empresse de profiter, madame, de votre gracieuse permission pour vous prier d'accepter ce croquis à l'aquarelle. Je réclame, en faveur de ma palette, toute l'indulgence dont nous avons, elle et moi, grand besoin ; néanmoins, je me consolerai même de la critique d'un juge aussi sûr que vous, madame, si j'ai pu vous occuper, un instant, de celui qui saisit cette occasion de vous renouveler ses hommages.

Ferdinand-Philippe D'ORLÉANS.

 

D'autres lettres du duc d'Orléans avaient pris le même chemin, avant celle-ci, qu'inspirèrent des circonstances moins frivoles. C'était au lendemain de l'attentat de Fieschi :

Je suis très reconnaissant à votre cœur, madame, des sentiments qu'il nous a témoignés, lorsque vous avez appris l'horrible évènement du boulevard du Temple. J'ai reconnu ce cœur, bon et généreux, dans les accents d'indignation, et, de sympathie, qu'il a su rendre si bien. J'y réponds, comme toujours, par un attachement trop sincère pour que vous n'y comptiez pas entièrement et trop respectueux pour qu'il ne soit pas toujours agréé par vous.

Philippe d'ORLÉANS.

 

L'attachement, dont parle le prince, n'en resta pas toujours à ce ton de cérémonie révérencieuse, à ce pur zèle un peu froid ; mais, en s'approfondissant davantage, il se nuança d'une expression plus directe, plus personnelle et je dirai phis tendre, comme dans ces lignes charmantes, qui ont, pour nous, l'intérêt de compléter Fe portrait de celle à qui elles furent adressées :

Tuileries, dimanche matin.

On a beaucoup parlé de vous, hier soir, au salon, et d'une manière qui a été bien douce à mon cœur ; car, parmi les nombreux interlocuteurs, il ne s'en est pas trouvé un seul ni une seule qui ait laissé échapper un blâme ni une parole amère envers vous. Je ne puis vous dire combien je jouissais de ce triomphe, que vous remportiez sur la médisance et sur l'esprit de critique de notre salon ; j'ai été vraiment heureux de voir que l'on vous ait rendu justice et que tout ce qu'if y a de bon, de noble, d'élevé en vous ne reste pas inaperçu. Les sensations les plus vives sont en ceux que l'on aime ; ce sont leurs peines qu'on ressent encore plus profondément que les siennes propres ; ce sont aussi leurs plaisirs auxquels on prend une part plus grande qu'elles-mêmes. Aussi vous ne sauriez croire combien j'ai d'amour-propre pour vous.

Ferdinand-Philippe d'ORLÉANS.

 

Toute critique rendait les armes à la douceur des attraits, qui tempéraient de grâce ses airs de reine. Les femmes, sans trop de jalousie, lui résignaient l'empire de la beauté, parce qu'elle était souverainement .bonne et qu'il 'semblait naturel qu'une âme si tendre eût un charmant visage pour l'exprimer. Elle avait une grande raison d'être aimée et le secret le plus sûr pour endormir les passions envieuses : c'était son ardeur à seconder les désirs de ses amis. J'en vois les signés dans une foule de lettres la remerciant d'un service rendu ou la priant d'un service à rendre.

Elle joignait à tout ce qui plant tout ce qui attire et tout ce qui touche. Dans l'intime, elle séduisait par la mutinerie du geste, la jolie inflexion de la voix, l'espièglerie de ses yeux rieurs. Car, visiblement, le rire de ses' lèvres se reflétait dans le bleu de son regard 'caressant et animé. On ne résistait point à ce rayonnement sympathique ; et c'était un besoin, en sa présence, de le lui dire, sans qu'elle pût s'en défendre. Devisait-elle à table, voulait-elle conter quelque histoire ? On l'interrompait, à chaque minute, pour revenir sur une attention dont elle était l'objet, pour insinuer à son adresse un compliment. Elle devait répéter plus d'une fois, avec une expression d'aimable impatience, ce : Laissez-moi donc parler, qu'on connaissait si bien autour d'elle. Témoin ce passage 'd'une lettre débordante d'affection, que lui écrivait, sous une impression de souvenance heureuse et de regret, l'une de ses amies retirée, pendant les vacances d'été, dans une modeste campagne de Maine-et-Loire :

Chère comtesse,

Si j'étais là, près de vous, si je v.ous écoutais, un soir, comme je me sentirais réveillée ! On ne sait ce que vaut un plaisir et son vrai prix que lorsqu'on en est privé. Je vois votre sourire, vos yeux de gaieté, et j'entends vos : Mais, laissez-moi donc parler ! Je voudrais bien vous interrompre et vous embrasser. Vous êtes trop aimable : le savez-vous ? On ne vous le dit pas assez. C'est avoir le charme suprême que de posséder, réunis, comme vous, l'esprit, le goût, le naturel.

Adèle PERROT (Mme JANVIER DE LA MOTTE).

 

S'il est vrai que la beauté d'une femme s'épanouit sous les compliments des autres femmes, il est visible aussi qu'on ne lui en ménageait point les effets doux et rares.

Il fallait qu'on lui reconnut, en outre, du jugement, de la sagacité, puisque des hommes du plus sérieux mérite se complaisaient à lui faire part, soit en causant, soit en écrivant, de leurs idées, de leurs préoccupations. J'ai, sous les yeux, une liasse de missives développées, que lui envoyèrent des ministres de la Belgique, Van Praët, entre autres, et où ils ne craignaient point d'aborder, avec elle, ambassadrice, les questions épineuses du moment. Plus tard, de 1855 à 1856, c'est un diplomate, un futur ministre des Affaires étrangères, Thouvenel, qui, de Constantinople, la tient au courant des négociations engagées sur les affaires d'Orient. Et j'en laisse.

Je ne dirais point qu'elle ne préférât, en soi, des conversations mains austères, par exemple des lettres de femmes, comme celles de son amie, Mme Janvier, où l'esprit se joue avec le cœur : Encore s'intéressait-elle ces choses avec assez d'intelligence. et de raison pour en soutenir l'entretien.

De nature, elle avait le caractère facile, l'humeur enjouée. Et l'impression s'en rendait communicative, aux alentours. La gravité de Guizot daignait sourire chez elle. Thiers, au sortir des Assemblées, retrouvait, en sa compagnie, sa vivacité méridionale. Armand Bertin, le puissant directeur des Débats, qui forçait la volonté royale et faisait plier les ministères, se rendait, à sa voix, le plus amène des causeurs. Il ne dépendit pas d'elle qu'elle ne fit danser Victor de Broglie, sur le tard de la carrière du ministre, pair de France et membre de l'Académie. Ne lui écrivait-il pas, pour en décliner l'invitation, ces lignes où passe une légère inquiétude :

Vous êtes trop bonne de n'avoir pas tout à fait oublié un pauvre solitaire, étranger, désormais, au monde, à ses plaisirs, et je voudrais qu'il me fût permis d'ajouter de ses affaires. Je serais, dans un bal, un meuble déplacé et ridicule ; mais, si vous le permettez, j'irai vous remercier, dans un moment plus opportun, de votre obligeant souvenir.

V. DE BROGLIE.

 

Si elle invitait un peu beaucoup d'hommes politiques, elle avait su réserver, dans son salon, le coin des artistes, et aussi le coin des femmes, où M0 Duchâtel, de Liadières, toutes les Laffitte, se repassaient le dé de la causerie assez joliment pour attirer, par là, les pas d'un Walewski ou d'un Morny. On y pouvait deviser aimablement, galamment. Elle s'y prêtait toute la première. N'avait-elle pas ses beaux esprits ? L'académicien Vatout, l'inévitable Vatout, quand il ne madrigalisait pas chez Mme Dosne, courtisanait avec succès sur le tabouret de la comtesse Le Hon. Ses mots, sinon sa personne, qui n'avait rien de séduisant, l'avaient mis en situation de faveur dans la maison ; il y tranchait en amicale liberté, comme on peut en juger par ce bout de conversation épistolaire. La comtesse prenait les eaux à Vichy, dans la belle saison, et Vatout devait lui faire tenir des nouvelles :

Paris, ce jeudi 3 août 1843, à bord de mon lit de douleur.

Aimable et chère,

Que vous êtes bonne d'avoir songé à moi, que vous êtes gentille de m'avoir écrit quatre jolies pages ! En vraie sœur de la charité, ou plutôt en ange que vous êtes, vous avez pitié du pauvre malade. Le ciel vous bénira !

Je vais mieux, beaucoup mieux... Mais mon docteur n'est pas assez imprudent pour m'envoyer à Vichy. Il sait qu'il y a là certaine Naïade aux blonds cheveux, dont les yeux bleus, par leur douce flamme, détruiraient toute espèce de vertu et même la vertu des eaux. Je fais donc de la sagesse dans mon alcôve et le ciel m'est témoin (le ciel de mon lit) si je pense à autre chose qu'à mériter ma liberté. Qu'en ferai-je ? Je devais faire un voyage en Egypte ; mais j'y renonce et, si Dieu et le roi le permettent, j'irai achever ma convalescence au château d'Eu[5]. Le départ est fixé, je crois, à lundi. Je n'ai pas été à Neuilly depuis quinze jours, et je ne sais rien que par des on-dit.

On dit que la princesse de Joinville est très jolie et que, pour les traits, elle rappelle, à la fois, la princesse Marie, et aussi un peu la marquise de Loulé. On dit qu'il est question d'une haute proposition de mariage... Mais... et puis mais... On dit que la duchesse de Nemours et sa beauté ont grand air en voyage... Vous voyez que je suis bien maigre en nouvelles. C'est l'imprévu qui m'engraisse sous ce rapport, et je suis cloué dans mon tonneau, où je n'ai ni la philosophie de Diogène, ni le courage de Regulus. Cependant, j'ai quelque chose de romain, c'est de manger couché, c'est de lire couché, c'est d'écrire couché. En vérité, le peuple-roi avait de singulières manies ; comme si le lit était fait pour autre chose que pour... dormir !... Vatry m'a raconté vos succès. Où n'en auriez-vous pas ? Un flatteur lisait, hier, à côté de moi, un volume de Cellamare, et j'ai souri au portrait de Mme d'Avernes, l'ange de la volupté...

Adieu, charmante buveuse. Quand sortirez-vous des eaux, comme Vénus ?

V. VATOUT.

 

Le ton de la lettre est badin. Mais Vatout, ne l'oublions pas, était un peu le Voiture du salon de Mme Le Hon.

Ses compliments et ses pointes la changeaient des conversations empesées des diplomates.

J'aurais idée que M. de Montrond, dont les beaux jours en étaient à leur dernier quartier, dut faire acte de présence, lui aussi, chez la comtesse Le Hon. Depuis le temps qu'il promenait de par le inonde son humeur caustique et jouait au Chamfort, ayant prêté de l'esprit à Talleyrand lui-même, on recherchait en lui le diseur de bons mots, le conteur d'anecdotes, le voltairien acerbe, qui amusait les présents aux frais des absents. C'est lui qui, voyant des gens de la meilleure compagnie se quereller au point de se jeter des flambeaux à la tête, leur détachait gaiement : Comme j'avais raison de dire que vous étiez bien ensemble ! Ce M. de Montrond, dont la quiétude égoïste eût rendu jaloux un Fontenelle, attendait à dîner l'un de ses amis, M. de Sun-paye, et celui-ci ne venait point, parce qu'il avait eu la malchance de mourir en chemin. On annonce à, Montrond la fatale nouvelle. Il découpait un perdreau truffé. Aussitôt, il se lève de table, comme pour se livrer à un violent accès de désespoir, puis, se rassied : il mange à lui seul le délicat volatile. C'est étrange, remarque-t-il, je croyais que cela m'aurait coupé l'appétit ! Et l'on racontait, du personnage, bien des traits de la sorte, qui faisaient plus d'honneur à, son esprit qu'à sa bonté d'âme.

Mme Le Hon eut autour d'elle des gens d'aussi belle humeur, et d'un cœur moins sec.

 

Dans les réunions à petit nombre excellent les qualités d'une maîtresse de maison. Mais la comtesse se fût sentie trop privée de s'en tenir aux lumières discrètes de la demi-intimité. C'était une grande metteuse en scène, ayant l'amour ingénieux, du faste et du décor. En 1846, s'éleva, au rond-point des Champs-Elysées, le majestueux hôtel où s'écoulèrent ses années les plus radieuses. Artiste par goût — car elle peignait, sculptait, ou gravait des eaux-fortes — curieuse et inventive, pour son plaisir, autant que portée, pour l'intérêt d'autrui, à produire des talents[6] ; elle en avait elle-même réglé chaque détail, suggéré les motifs de décoration et disposé tout l'aménagement intérieur. Rien dans son ameublement n'était en place, qu'elle ne l'eût dessiné, modelé ou remanié. Je veux, disait-elle, que ce soit de telle façon, et elle précisait la chose eu fournissait le dessin. Cet art féminin, ce don qu'elle possédait de soumettre et de transformer, à son gré, les hasards de la richesse, d'animer d'une vision de grâce personnelle la froideur des marbres et la lumière inerte de l'or, l'un de ses hôtes, Arsène Houssaye, les célébra, en ces vers inconnus :

Votre palais, madame, est un riche poème,

Paradis idéal, que le Tasse lui-même

Eût choisi pour Armide en ses rêves de feu.

Ainsi qu'une autre grande dame de beaucoup d'esprit, la comtesse de Castellane, elle transformait, quand il lui plaisait, ses salons en théâtre. On y donnait la comédie devant un public, dont chaque unité représentait une aristocratie de race, de talent ou de beauté.

Les diners qu'elle donnait, à jour fixe, le samedi, jouissaient d'une réputation notoire : Ils étaient fameux beaucoup plus par le luxe et l'élégance, qui présidaient à leur distribution que par le nombre de convives ; car il se limitait à quatorze et l'on n'excéda presque jamais ce chiffre d'invités[7]. Mais chacun en parlait, au dehors. Il n'était guère de demeure aussi en vue que celle-là et où l'on désirât davantage d'être introduit. Tout homme un peu marquant s'interrogeait avec une espèce d'anxiété sur le néant de sa gloire s'il n'avait pas acquis droit d'entrée dans l'hôtel du rond-point. Tout ce que Paris comptait de poitrines décorées voulait y paraître, y jeter sa lueur ou son reflet.

Elle était vraiment alors dans l'apogée de cette faveur mondaine, dont les retours sont inévitables.

 

II

Orléanisme et bonapartisme. — Après l'échauffourée de Strasbourg. — Une correspondance mystérieuse de la reine Hortense avec la jeune comtesse Le Hon. — Des détails inédits sur la princesse Mathilde. — Piquantes révélations. — Comment, sous le couvert et la feinte d'une sœur inconnue de Mme Le Hon, la reine Hortense trahissait ses inquiétudes au sujet de son fils inavoué : Morny. — Celui-ci chez la belle ambassadrice, avant le 2 Décembre. — Etrange confiance. — Un mot de Mme Dosne. — Sous l'empire. Déclin de la fortune de la comtesse Le Hon. — Ses dernières années.

 

Le salon de la comtesse Le Hon était nettement orléaniste. Il avait le caractère officieux, qui répondait à la situation officielle du mari et aux personnelles sympathies royalistes de tous deux. Les princes et les gouvernants de la monarchie de Juillet en avaient consacré la couleur par l'habitude, qu'ils avaient prise, d'y fréquenter assidûment. Néanmoins, la comtesse étant femme et faisant prévaloir, en cette qualité, les raisons du sentiment sur celles de la politique, elle entretint des relations et serra des attaches, qui eussent pu rendre suspect un esprit moins sûr que le sien. Elle ne lés affichait pas ; elle s'enveloppait, en les cultivant, des voiles de la prudence et de la discrétion, mais ne s'en laissait point détourner. Dès les premiers temps où son affection s'éveilla sur l'avenir du jeune Morny, elle était en correspondance suivie avec la reine Hortense.

Les originaux de ces lettres de la reine Hortense, nous les avons en main. Ce n'est pas sans un émoi d'imagination facile à concevoir que je palpe ces feuillets jaunis où se laissa parler, sentir, vivre, une fille d'impératrice, mêlée, très jeune, à des splendeurs incomparables, puis rejetée dans les tristesses de l'exil et les soucis d'une existence presque précaire, interrogeant, d'un œil anxieux, des levers d'aube qu'elle ne verra pas luire, pressentant peut-être, à travers les brouillards opaques murant l'horizon, des retours de fortune inouïs, de merveilleux lendemains ensoleillés. Sur le fond du tableau, qu'évoquent ses confidences plaintives ou inquiètes, se découvre la figure tragique de l'homme, qui connaîtra les plus brillantes et les plus sombres extrémités de la destinée humaine. Dans le secret des phrases alambiquées, par les détours des allusions vagues et, cependant, pressantes, une autre physionomie s'annonce, non moins étonnante, celle de Morny, fils caché d'une reine et frère inavoué d'un empereur, qu'une suite de circonstances extraordinaires poussera à reprendre sa place au premier rang, ainsi que par un droit héréditaire :

 

A première vue, les lettres d'Hortense à Mme Le Hon n'ont rien qui frappe et se distingue de l'ordinaire. Les caractères graphiques ont un aspect de banalité. Le papier sur lequel a couru cette écriture abondante et négligée est mince, sans élégance, dénué die tout signe capable d'en trahir l'origine. Mais c'est au fond des choses qu'on s'attache, c'est par là qu'on est retenu, car on y recuit l'impression directe des événements, tracée d'une main que taisaient trembler, tour à tour, les émotions de la tendresse, de l'anxiété ou de la colère.

Pour la plupart, elles se rapportent aux années, qui s'écoulèrent entre 1835 et 1838. C'était la période trouble, aventureuse, de la carrière de prétendant de Louis-Napoléon ; le temps, en particulier, de la bizarre échauffourée de Strasbourg.

Peu de temps avant, accomplissant un voyage en Suisse, la blonde comtesse avait rendu visite à la reine Hortense et fait la connaissance de Louis-Napoléon : Qui sait si nous nous reverrons ? s'était-on dit en se quittant. Quelques jours plus tard, elle se trouvait à Berne, avec sa dame de compagnie. Dans où elle avait pris appartement, on eut le désagrément de s'apercevoir, au milieu de la nuit, que des voisins bruyants s'étaient installés, en la chambre voisine, allant, marchant, discutant, parlant fort. S'étaient-ils annoncés sous leurs véritables noms ? On pouvait en concevoir le doute. Elle n'en eut la certitude que plusieurs années ensuite. Fialin de Persigny, causant avec Mme Le Hon, l'amenait sur le chemin des souvenirs. Vous rappelez-vous, lui disait-il, ces voisins incommodes, à Berne, qui, certaine nuit, troublèrent votre sommeil ? Eh bien, c'était le prince Louis et moi-même. Nous nous rendions à Strasbourg.

De cette dernière équipée nous n'avons pas à refaire le récit. Tandis qu'elle allait à ses fins provisoires : la prison, l'exil, avant le trône, pour le fataliste agissant qui s'y était lancé, sa mère écrivait d'abondance à la comtesse Le Hon. Outre qu'elle lui portait une confiance sans bornes et un sincère attachement, elle n'ignorait point sa situation influente à la cour ; elle attendait beaucoup de son intervention auprès des ministres et du roi. Elle lui livrait toutes ses impressions du moment, comme elles se produisaient et se succédaient, de jour en jour : soucis personnels de sa propre vie, inquiétudes sur sa santé chancelante, anxiétés vives sur les agissements de son fils.

Cette correspondance, en ses façons extérieures, était enveloppée de beaucoup de précautions et de mystères. On l'adressait poste restante, sous des noms supposés, très bourgeois : une Mme Adèle Michaut ou une Mme Catherine Loiset. Encore avait-on trouvé quelque péril à la première forme de suscription ; car je vois, sur l'une de ces' pages, en post-scriptum, une recommandation différente :

Donnez-moi votre adresse à Paris, où je vous écrirai toujours comme pour une dame Catherine ; mais ce ne serait plus poste restante, ce qui parait toujours louche...

On y chercherait vainement le cachet de la châtelaine d'Arenenberg, et elle avait recommandé à la comtesse d'imiter son abstention.

— Votre petit cachet, lui dit-elle, est très bien ainsi, puisque rien n'est gravé dessus.

Elle signe d'une manière quelconque : Adèle R..., ou d'un parafe illisible, ou d'un point, et c'est tout. Les personnes y sont désignées, de manière à ne pas s'y méprendre, par des détails qui parlent clair ; toutefois, on se garde de les qualifier nommément. Il est bon de se sentir instruit d'avance ou de posséder la clé de ces allusions, pour comprendre entièrement de qui et de quoi il retourne. Les titres d'alliance et de parenté répondent à des arrangements particuliers, convenus, entre la reine Hortense et l'ambassadrice, qu'elle n'appelle jamais : ma chère comtesse ni ma chère amie, mais bien : ma chère nièce, à la mode de Bretagne ou de Belgique. Expressément lui recommande-t-elle d'user de retour :

Certainement, je suis votre amie sincère ; appelez-moi donc de ce nom. Cependant, je pense qu'il serait préférable, dans vos lettres, de mettre ma tante et de prévenir votre sortir[8] qu'elle ait à en écrire de même. C'est afin d'être à même de les conserver, les unes et les autres, et que, si jamais les vôtres passent sous des yeux étrangers, elles semblent bien émaner d'une nièce que j'aime tendrement.

Sa préoccupation est si vive de ne point nuire à la tranquillité morale d'une si généreuse et si dévouée jeune amie !

31 décembre 1836.

Pendant ces trois jours d'angoisse, j'ai pensé à vous, ma chère enfant, je me suis dit :

Elle a senti comme moi ; pu le cachez ? N'aura-t-elle pas montré trop d'intérêt en laissant voir son inquiétude ?

Tant de circonspection, dans les formes, ne l'empêche pas de s'exprimer fort librement sur le compte de ceux et de celles qu'elle dénonce sans les nommer ; elle ne se sent que plus à son aise de dire, sous le voile, ce qu'elle a sur le cœur, au sujet des oncles de Louis-Napoléon, par exemple, voire même de son mari à elle, le rai détrôné de Hollande :

Croiriez-vous que les oncles, de peur, ont été indignes ? Aussi le mariage[9] est-il rompu. Des imbéciles, pour lesquels on aurait en la sottise de se sacrifier ! Voilà quelle récompense on en recueille ; car c'étaient eux, en somme, qui auraient profité de la réussite de celui qu'ils blâment aujourd'hui.

 

De temps en temps, la royale épistolière laisse tomber quelques réflexions attristées star l'ingratitude du monde, sur ses illusions cruellement déçues par l'expérience :

Je sens le besoin de fuir, aussi loin qu'il me serait possible, ce monde où je n'ai trouvé que des douleurs, tandis que je n'avais éprouvé que de doux sentiments pour lui. Car j'ai eu la faiblesse d'aimer jusqu'à mes ennemis, et ceux-là m'en ont bien punie.

Là où je trouverai du calme et l'absence de calomnie, là, seulement, je nie dirai contente.

 

Mais le fond de sa correspondance est toujours la question irritante de la famille napoléonienne : les affections ne furent jamais très chaudes entre les Beauharnais et les Bonaparte. Tiraillements financiers, difficultés de règlements, arrérages tardifs, elle se plaint aussi de ces choses, et pour en faire retomber sur qui de droit, sur son mari suffixal, le pauvre roi de Hollande, les responsabilités :

4 février 1837.

Je ne sais encore l'arrivée (de Louis-Napoléon) que par les journaux, et je crains que ce soit un faux bruit. Son père ne donne signe de vie, mais c'est presque agir bien que de ne pas faire de mal. Comme on n'avait pas voulu me prévenir d'avance, on avait pris l'argent nécessaire chez le banquier, c'est-à-dire une somme sur laquelle on avait réellement des droits, puisqu'elle était le produit d'un bien vendu. Or, la première déclaration du père a été qu'il n'acquitterait jamais cette dette, et vous devinez qui a dû la payer à sa place. Ah ! les enfants qui n'ont pas de famille doivent, parfois, se féliciter. Je deviendrais saint-simonienne !

 

Entraînée par le besoin de répandre son âme, elle ne déguise aucune des préoccupations qui la traversent : personnels soucis, divisions de famille, jalousies, rivalités intestines entre les Bonaparte, perplexités profondes sur le sort réservé à celui de ses fils, qui s'est imposé d'être le continuateur et le seul dépositaire de la tradition napoléonienne, retours involontaires de sa pensée vers un autre fils, qu'on ne nomme point, parce qu'il fut désavoué dès sa naissance, mais qui réclame, pourtant, une place dans les fibres de son cœur. De celui qui s'appela tout simplement, d'abord, Demorny, puis, grâce à la séparation des syllabes, et avec l'aide propice de la particule : de Morny, en attendant l'adjonction, quand il aura richesse et puissance, des titres de comte, de duc, de celui-là elle ne parle pas en propres termes ; mais elle ne cesse d'y songer, et des allusions se répètent, dans ces pages, qui le visent d'une manière transparente.

Il y a un terrible papier, renfermant le secret, qui lui tient à cœur et dont la- divulgation possible est l'objet continuel de sa crainte. Ce papier intéresse fort une autre personne, la sœur encore, la sœur inconnue, dont an parle toujours à mots couverts et qui n'est pas une parente, qui n'est pas une femme, mais un ami de la comtesse Le Hon, Morny lui-même :

J'étais bien sûre que le papier n'avait pas été divulgué ; mais il n'en a pas moins été trouvé dans un portefeuille. Je ne l'avais donné que pour le cas où il y aurait eu danger ici, et on m'avait garanti la promesse de ne s'en servir que dans cette conjoncture. J'ai la certitude, comme on est loyal, qu'on ne m'aurait pas trompée. Je sais, en outre, qu'on a cherché toutes les lettres de moi à votre sœur. Les lui a-t-on rendues ? Il me semble qu'on a dû voir la vérité... Si l'on avait été près du succès, on n'aurait pas eu à s'en plaindre.

Sa sollicitude, sur ce sujet n'est pas en repos. On a besoin de la rassurer à tout moment :

Je vous ai écrit, il y a deux jours. Vous aurez mon opinion pour votre sœur. Je veux qu'elle se sente heureuse et, si son amour-propre a été souvent froissé, qu'elle s'élève au-dessus des opinions et en impose par là Je sais bien qu'il faut, pour cela, de la fortune, parce qu'elle assure l'indépendance[10] : c'est à quoi il faut travailler... Je vous dirai, ma chère nièce, qu'une lettre reçue ici affirme que le père de votre cousin (Louis-Napoléon) tient à ce qu'on termine mes affaires à ma satisfaction ; mais je n'ose pas y croire...

Et encore :

Je ne veux pas que votre sœur dérange sa vie... Qu'elle se soigne, voilà tout... Que je la sache heureuse, autant qu'il est possible, voilà ce qu'il me faut.

Puis, en post-scriptum :

Cette lettre est pour vous deux.

Est-ce assez d'en écrire ? Les sentiments qu'elle est obligée de comprimer dans les termes d'une correspondance indirecte n'auront pas à se contraindre, quand ils pourront s'exprimer de vive voix :

6 décembre 1836.

Je compte aller en Angleterre, au printemps, je vous écrirai de là Et, là seulement, je pourrai voir votre sœur Augustine[11] et lui dire adieu.

On a prétendu que Louis-Napoléon et Morny ne se rencontrèrent, pour la première fois, qu'après la proclamation de la République, lorsque le futur empereur vint peser sa candidature électorale à Paris. En réalité, depuis Strasbourg et Boulogne, l'homme qui était appelé à devenir l'esprit dirigeant du second, Empire, Morny, n'avait pas perdu de vue Napoléon, son frère. Il se trouva avec lui en Ecosse. Et, sans se le dire peut-être, mais ne l'ignorant point, taus deux ne furent pas loin de se voir en même temps chez leur mère, dans ta dernière année de la vie de la reine Hortense.

Les portions de correspondance concernant Morny ne s'arrêtent pas aux détails que nous venons de lire. On y effleure d'autres points infiniment délicats de légitimation, sur lesquels nous préférons glisser, mais qui prendraient une singulière clarté, si l'on en rapprochait les termes ambigus d'une déclaration autrement précise qu'on trouva dans les papiers de l'ancien ministre d'Etat[12]. Emile Ollivier affirme que Morny n'avait jamais eu le dessein de revendiquer un rang dans la famille impériale, en le dévoilant. Il n'usa pas de son droit ; il en est l'idée, cependant, et des allusions, qui ne nous ont pas échappé, dans une des lettres de la reine Hortense à la comtesse Le Hon, indiquaient assez qu'il y fut encouragé par elle-même, d'une manière secrète et prudente.

Tel est, en effet, l'intérêt des lettres que nous venons de révéler ; elles jettent des lueurs inattendues sur des côtés de la vie, restés dans le vague, de ces personnages historiques.

Tant que Louis Bonaparte était demeuré silencieux à Arenenberg et au secret dans la prison de Ham, Morny n'avait pas laissé soupçonner qu'il pût être, quelque jour, un restaurateur d'empire. Il était au mieux avec les princes d'Orléans, et l'influence de la comtesse Le Hon en était, pour ainsi dire, le trait d'union. Car il sut toujours, dans le jeu de ses ambitions comme dans la recherche de ses intérêts, de ses plaisirs, habilement mettre les femmes de son côté. Tout en restant attaché d'âme et de cœur à la famille d'Orléans, qu'elle ne cessa, jamais d'affectionner, dans l'exil comme sur le trime, la comtesse Le Hon, poussée par une inclination plus forte, suivait, d'un regard complaisant, les vues, les desseins de Morny, l'encourageait à les remplir et l'y aidait des moyens que procure la fortune. Ou, plutôt, ses sympathies s'entremêlaient, comme à son insu, dans la même et unique intention d'être utile. De même qu'elle avait voulu atténuer, sous la monarchie de Juillet, les rigueurs du pouvoir contre le prétendant bonapartiste, de même, sous la présidence et dans les premières années de l'Empire, devait-elle user de son ascendant pour suspendre des mesures de réaction contre les princes dépossédés.

Tout contre le somptueux hôtel de Mme Le Hon, aux Champs-Elysées[13], se blottissait un pavillon non moins célèbre et qu'on avait surnommé, par comparaison de ses proportions plus modestes avec celles du palais voisin, et par une intention facile à comprendre, de ce sobriquet trop connu : la Niche à Fidèle. C'est là que demeurait Morny. Il ne reste plus rien à connaître du coup d'Etat, tel qu'il l'avait prémédité, de concert avec Saint-Arnaud, Maupas et Fleury. On sait moins que le projet avait pris corps et s'était développé dans le salon de la comtesse Le Hon, lorsque Morny n'était encore qu'un demi-personnage politique, incertain de la route à prendre, ayant un pied dans l'orléanisme, et l'autre pied dans le bonapartisme. Là, son ambition et ses appétits s'étaient senti grandir. Là, s'étaient agités en son cerveau des espoirs audacieux et téméraires.

Qui s'en doutait, dans ce beau cercle orléaniste ?

Un épais bandeau recouvrait les yeux des politiques, réputés les plus sagaces. La dictature ! qui songeait à cela, vraiment ? Si, par hasard, quelque augure importun en pronostiquait le noir présage, on se récriait, puis on riait de cette vaine menace.

C'est dans ce milieu, précisément, me racontait le général Estancelin — à un demi-siècle de distance —, qu'ayant porté là-dessus la conversation et laissant voir ma crainte d'un terrible réveil pour le lendemain, je m'entendis répondre par Mme Dosne, la belle-mère de Thiers :

Monsieur Estancelin, il ne faut pas dire de ces choses : personne ne veut de dictature, pas même de celle de mon gendre !

L'un des soirs qui précédèrent la fameuse journée, Morny était resté, jusqu'à deux heures du matin, dans le petit salon au premier étage, songeant, ironique, au moment de faire jeter par les fenêtres des gens qui étaient entrés par les portes ouvertes à deux battants.

La reine Hortense..., Morny..., Fleury..., Persigny, ces noms, ces influences, ces sympathies, ne pouvaient qu'imprimer une sensible évolution aux sentiments politiques de la comtesse Le Hon. Son salon se teinta d'impérialisme, c'est-à-dire qu'il prit la couleur d'une préférence individuelle. L'aspect fondamental n'en changea pas beaucoup, toutefois, tant qu'il continua d'occuper une place dans les cercles de la haute société. On continua d'y recevoir les amis politiques d'un autre bord. Des affections anciennes, restées au cœur de la comtesse Le Hon, ne s'en laissèrent pas arracher par les alternatives du succès. Durant les dix-huit années de la restauration bonapartiste, et longtemps après la disparition de ce régime, elle se fit un devoir d'entretenir des rapports fidèles avec la famille royale, dont le souverain se ralliait de façon si étroite à ceux de ses débuts triomphants dans le grand monde parisien.

 

Cependant, à travers ces vicissitudes de temps et de gouvernements, une grande brèche avait été faite dans sa fortune. On ne l'avait pas reconstituée sans brisures, après le relevé de comptes sensationnel dont nous parlions fout à l'heure. Les mines de la Vieille-Montagne avaient vu tarir leurs veines prodigues. Entre les doigta de la belle comtesse les brillants dividendes s'étaient écoulés comme une onde.

Il fallut, d'accord avec le comte Le Hon, — qui ne se sépara jamais d'elle, contrairement à ce qu'on a prétendu, en alléguant des intervalles d'absence plus ou moins prolongés du diplomate à Bruxelles[14], — il fallut vendre le palais qui avait été l'Olympe de sa souveraineté mondaine. Elle adopta de vivre les trois quarts de l'année en son château de Condé[15]. Par échappées, elle reprenait possession de ce Paria dont les fascinations, si vaines qu'on le dise, sont toujours prêtes à ressaisir ceux et celles qui les goûtèrent. Il lui était resté, au fond de l'âme, quelque amère souvenance de l'autrefois. Des regrets passaient au travers de ses lettres ; elle s'y montrait, par instants, triste et désemparée, et, bien qu'elle se flattât d'avoir mis son cœur à la raison, elle ne pouvait s'empêcher d'en exprimer la plainte. C'est à l'une de celles-ci que répondait, sans doute, une jolie page épistolaire de Mine Janvier de La Motte — Adèle Perrot —, trop sincère, trop réellement féminine, pour n'être pas tirée de l'ombre où nous l'avons découverte :

Quand je pense que vous bénissez Dieu de votre indifférence ! Ne maudissez pas l'amour, mais les amoureux ! Je me figure, parfois, être jeune, et seule comme je suis dans cette vilaine chaumière. Croyez-vous que je connaîtrais l'ennui, si j'avais l'espérance d'y voir arriver le Préféré ? Combien je me moquerais que tout fût laid autour de moi ! J'aurais un cher visage qui réjouirait mes yeux. Et le charme serait là ! Il vaut mieux avoir aimé, alors même que c'est fini, qu'ignorer l'unique vrai bonheur de ce monde. L'isolement fait seul la vieillesse. Je m'y résigne, mais sans renier le dieu que j'ai adoré !

Adèle PERROT (Mme JANVIER DE LA MOTTE).

 

Entre deux déplacements, elle retrouvait des visages connus. Elle se reprenait à savourer les hommages qu'on lui avait tant prodigués. Puis, on lui promettait d'aller saluer le soleil couchant sur ses terres.

Je connais ces promesses-là, répondait-elle, un soir ; ce ne sont que des cartes de visite ; on ne vient jamais. Mais je suis très heureuse dans ma solitude ; car ce n'est que là, vraiment, que je me suis trouvée en face d'une femme que j'aime, et que je ne connaissais pas.

Oui, repartait son interlocuteur, homme d'esprit et poète ; et cette femme charmante, c'est vous !

Je n'avais jamais eu le temps, je ne dirai pas de regarder ma figure, mais de descendre en moi-même.

Le temps des grandes réceptions dans le cadre somptueux des Champs-Elysées était bien fini. Peu après le mariage de sa fille, devenue la princesse Louise Poniatowska, et qui s'était acquis, par ses qualités de personne et d'esprit, une brillante place à la Cour impériale, elle cessa d'aller dans le monde.

Le crépuscule avait continué de s'assombrir au-dessus de sa tête. Elle avait da vendre aussi le château, où elle s'était fait une seconde existence plus calme, plus intime, et revenir, à Paris, pour s'y confiner dans l'amour des siens. En 1879, elle perdait son fils très chéri, le comte Léopold Le Hon. Ce lui fut, à elle-même, le coup de mort. L'année suivante, sa douleur cessait avec sa vie. Beaucoup de ceux, qu'avaient séparés les désaccords de la politique ou le simple émiettement des destinées humaines, se retrouvèrent, fidèles, à ses obsèques. On l'avait ensevelie dans les violettes, en cette saison voilée de brumes, où de premières éclaircies font croire au réveil prochain de là nature. Et, en effet, le soleil, perçant à travers les nues, vint jeter un rayon consolateur sur ce cercueil, qui renfermait, dit un témoin, tant de lumière évanouie.

Un Post-scriptum.

Tout à l'heure parlaient à notre mémoire les révélations les plus précises — tirées des entrailles maternelles en quelque sorte, sur la naissance du duc de Morny, qui n'avait point, sans de bonnes raisons, adopté pour son écusson une fleur d'hortensia barrée.

Un autre fait et d'une terrible signification, celui-là, concernant les origines également troubles de son frère couronné : Louis-Napoléon. Je le reçus d'Alfred Mézières, qui l'entendit conter à la duchesse de Plaisance, en la ville d'Athènes, lorsque, fraîchement sorti de l'Ecole normale, il accomplissait le pèlerinage classique dans ces lieux privilégiés.

Belle-fille de l'ancien deuxième Consul, elle était de celui-ci grandement appréciée pour son intelligence vive, dont les affinités étaient plus rares avec le caractère abrupt de son mari, le général Lebrun, un soldat, rien qu'un soldat. Il lui disait finement : Vous et moi, nous nous rejoignons... à travers Charles ! Or, dans une de leurs fréquentes causeries, il lui confiait ce souvenir d'un voyage en Hollande.

Un après midi, Lebrun, dut de Plaisance et la duchesse se rendaient ensemble au château du roi Louis-Bonaparte. En arrivant au palais, ils considérèrent somas le péristyle une jeune femme pressant contre son sein un baby enveloppé de langes précieux. C'était le prince Louis, dans les bras de sa nourrice. Les visiteurs s'approchent, donnent à l'enfantelet une caresse, puis montent l'escalier. Au premier étage ils se séparent, le duc allant chez le souverain, la duchesse allant présenter ses devoirs à la souveraine.

Les premiers mois de Lebrun aussitôt qu'admis en la présence du roi sont pour le féliciter du gentil enfant qu'il venait de voir, et pour flatter aimablement l'amour-propre paternel : Que dites-vous là ? répondit Louis d'un ton brusque. Mais ce n'est pas le mien. Il n'a jamais été à moi. Je sais très bien qu'il n'a pas une goutte du sang des Bonaparte dans les veines, mais comme il est le troisième, comme il n'a aucune chance de me succéder et parce qu'il ne régnera nulle part, je n'ai pas voulu faire de bruit, de scandale. Soyez seulement certain que celui-là n'est pas mon fils.

Quel étrange imbroglio dans les origines de la restauration impérialiste ! Louis-Napoléon arrivant au faîte de la puissance humaine, par la grâce d'une naissance plus que douteuse, Morny, son frère inavoué, l'aidant à gravir les marches du trône et le suivant de près, tandis que bientôt, dans l'orbe de leur étonnante fortune, graviteront d'autres destinées exceptionnelles, celles du comte Walewski, — le véritable fils du grand homme, par droit de nature.

 

 

 



[1] Il le faut dire aussi : elle n'avait aucune fortune. Cette descendante d'un des compagnons de Rurik, le héros national et fondateur de la monarchie russe, était toute prête, quand survint Morny, à épouser le premier grand seigneur, qui lui demanderait sa main. Tout alla, d'ailleurs, au mieux des intérêts comme du bonheur de Morny. L'empereur de Russie attribua une dotation importante, en faveur de son mariage avec l'ambassadeur de France, à la princesse Sophie Troubetzkoï.

[2] Cette satisfaction fut-elle complète ? La douce ambassadrice prétendait le contraire. On lui avait enlevé le produit de ses capitaux : On m'accorde trois millions, quand on m'en devrait six, disait-elle à Estancelin, qui m'a répété le mot.

[3] Remarquons-le en passant, Rouher fut redevable de sa fortune politique au frère de Napoléon III, qui l'avait distingué, lorsqu'il n'était qu'un jeune avocat de province et l'avait poussé auprès du prince président.

Des médisants avançaient que cette chaleur manifestée dans la défense des intérêts de la comtesse Le Hon avait éveillé un vague sentiment de dépit dans l'âme de Mme Rouher, une femme très agréable, mais, par hasard, d'humeur jalouse.

[4] Le Hon était le premier ambassadeur de Belgique, accrédité au près d'une cour étrangère, à la suite de la formation du royaume.

[5] Vatout avait ses grandes entrées aux Tuileries et au château d'Eu sous le gouvernement de Juillet. N'était-il pas de la famille ? Un détail qui n'est pas connu de tout le monde : Vatout était un fils de Philippe-Egalité et, par conséquent, un frère de Louis-Philippe.

[6] Elle protégea beaucoup Tennyre, le prédécesseur de Barbedianne. — Elle eut une belle galerie de tableaux. Une vente en fut faite, en 1859, dont quelques morceaux de choix, comme la Sortie de l'école, de Decamps, ou des peintures de Meissonier, qu'elle seconda beaucoup à ses débuts.

[7] On y voyait, d'habitude, Morny, l'ambassadeur russe Kisselef, Estancelin, M. de Montguyon, d'Hobersart, Armand Bertin, Thiers, John Lemoinne, Vatout et le comte Léon de Laborde — le père de toute une lignée de femmes charmantes.

Je trouve, par hasard, de ce dernier personnage de l'Empire, membre de l'Institut, directeur du Musée des antiques au Louvre, plus tard directeur général des Archives, ce court billet, où il s'efforce de répondre spirituellement à une invitation de la comtesse :

Du pain sec, et vous me comblerez de bonheur. Jugez un peu avec du melon et du dessert. Quant au cuisinier futur, je ne me permets aucune observation ; j'ai trop d'intérêt à être bien avec cette haute puissance.

A demain chère madame.

Votre dévoué serviteur,

DE LADORDE.

[8] Nous verrons plus loin, quelle était cette sœur prétendue.

[9] L'union projetée de la princesse Mathilde avec son cousin le prince Louis-Napoléon. V. les lettres de la reine Hortense sur ce sujet, dans l'étude concernant Mathilde Napoléon.

[10] Ce détail, seul, suffirait à éclairer tout le mystère de la situation. Comment eût-il pu être question d'une Mosselman, — la famille de Mme Le Hon étant une des plus fortunées de la Belgique ?

[11] Morny était prénommé Auguste.

[12] Il y traça nettement, de sa main, ces lignes définitives : Je suis le dernier fils de la reine, pendant le mariage du roi Louis de Hollande, par conséquent, suivant la loi, très régulièrement prince Bonaparte, frère légitime de l'empereur actuel, et victime d'un crime, c'est-à-dire d'une suppression d'État. J'ai, pour établir mes droits — si j'étais homme à le faire — plus de preuves qu'il n'en faudrait : la notoriété, la ressemblance, des lettres de ma mère ; enfin, une lettre de mon frère, qui le recousait. Bien que je sois, par principe, très peu disposé à m'en prévaloir, ce n'est pas use raison... Et la plume s'était arrêtée sur ces points de suspension.

Mais voici une autre pièce capitale, relevée avec la plus scrupuleuse exactitude sur l'original (Registres de l'état civil de Paris, 3e arrondissement) : l'extrait de naissance du futur grand personnage d'Etat, duc de Morny :

L'an mil huit cent onze, le vingt-deux octobre, à midi sonné, par devant nous, maire du IIIe arrondissement de Paris soussigné faisant fonction d'officier de l'état civil :

Est comparu le sieur Claude Martin Gardien, docteur en médecine et accoucheur, demeurera à Paris, rue Montmartre, n° 137, division du Mail, lequel nous a déclaré que le jour d'hier, à deux heures du matin, il est né chez lui un enfant du sexe masculin, qu'il nous présente et auquel if donne les prénoms. Charles-Auguste-Louis-Joseph, lequel enfant est né de Louise-Émilie-Coralie Fleury, épouse du sieur Auguste-Jean-Hyacinthe Demoray, propriétaire à Saint-Domingue, demeurant à Villetaneuse, département de la Seize. Les dites présentations et déclarations laites en présence des sieurs Alexis-Charlemagne Lamy, cordonnier, âgé de 42 ans, demeurant à Paris, rue Buffaut, n° 25, ami, et de Joseph Manch, tailleur d'habits, âgé de 90 ans, demeurant à Paris, rue des Deux-Écus, n° 3, ami.

Lequel déclarant, et les témoins ont signé avec nous, après lecture faite.

(Signé) : Gardien, Lamy, Manch.

Cretté, adjoint.

[13] Il devint la propriété de Mme Sabatier d'Espeyran. Le député Archdeacon occupait, encore, en 1906, le pavillon voisin.

[14] Lorsque mourut le comte Le Hon, des témoignages de considération sympathique affluèrent chez elle. L'un des ministres de Belgique, Van Praët, écrivait à la comtesse, le 3 mai 1868 : Bien souvent, en passant en revue les temps que nous avons connus, le roi disait : Mon père m'a toujours répété que M. le comte Le Hon lui avait rendu les plus grands services, à l'époque la plus difficile de son règne. Et il ajoutait : Vous avez mille fois raison de le dire : C'était le bon et beau temps.

[15] Devenu la propriété du comte de Jarnac.