LES FEMMES DU SECOND EMPIRE

 

PRÉFACE.

 

 

Le flot de littérature napoléonienne, qui bouillonnait depuis quelques années autour de nous, décroît d'abondance et d'activité.

Ou plutôt il a modifié la direction de son cours.

On l'aura vu se détourner peu à peu de sa source pour incliner de préférence vers cette annexe de son domaine, qui s'appelle la période du Second Empire. — une époque moins héroïque et moins flambante, mais que n'absorbe pas une seule image, un seul nom, un seul homme, et qu'anime sur un fond de tableau moins grandiose une diversité de scènes et de personnages plus captivante.

Les destins et les flots sont changeants.

La mode est passagère, en histoire comme dans les mœurs. Elle tourne à d'autres vents ; elle se fait, aujourd'hui, plus voisine de nos souvenirs ; elle est acquise, maintenant, au spectacle du cortège un peu confus, qui prit la suite, dans un jour de surprise, du grand défilé impérialiste.

On y revient sans passion politique, par adoption de sujet, par curiosité libre, 'ou pour le seul plaisir de suivre en pensée les acteurs et les actes de cette brillante comédie si tragiquement dénouée.

Les femmes y occupaient une grande place, et la première aux réceptions de la Cour, c'est-à-dire dans ces réunions fort mêlées quant à la valeur morale des consciences se cachant derrière les titres fastueux et sous les chamarrures des costumes, mais d'un tel éclat d'apparence d'une illusion si joyeuse d'une couleur si séduisante qu'auprès de celle-là les cours modernes, baptisées du même nom par l'étiquette européenne, à Berlin, à Vienne, à Saint-Pétersbourg, comme à Londres, ne semblent plus, à présent, que des façons de ministères, où passent, où s'écoulent les défilés officiels, chargés de pompe et d'ennui.

Il faut de jolies femmes à une Cour pour qu'on y attache la signification et l'attirance bien superficielles, sans doute, inutiles au bonheur des peuples évidemment, mais dont l'esprit ne peut se défendre de subir le charme, lorsque les noms de Versailles ou des Tuileries en évoquent les images pimpantes.

Il y eut là des amalgames, qui n'étaient point la pureté même, et des intrusions de bohème dorée et un envahissement subit, disparate et tapageur de la colonie étrangère, polonaise, espagnole, italienne, anglaise, américaine, qui déconcertaient l'opinion qu'on pouvait se faire d'une Cour dite impériale et française.

Les regards, au moins, n'avaient pas à se plaindre de la monotonie du spectacle. On avait vu se lever, de tous les points de l'horizon, comme une pléiade éblouissante d'étoiles. Les belles et les spirituelles voisinaient à rangs serrés. Armées pour conquérir de joliesse et d'attraits, elles apportaient en elles cette chaleur d'impressions, que cause le plaisir dans sa nouveauté, et cet entrain, cet élan, qu'inspire une juvénile confiance. Comment la fête n'aurait-elle pas été ce qu'elle fut : éblouissante et magique ?

Les femmes du Second Empire : quel sujet de chronique à dérouler pour les amoureux de l'histoire frivolement curieuse, qui note, détaille, enjolive à plaisir les aventures de mœurs d'une à poque, les marques secrètes de l'éternel ascendant féminin, les grâces fuyantes, les succès d'un jour de l'esprit et de la beauté, et les enfièvrements des limes et les frissons des sens ! Comme une trace parfumée de leur passage, elles auront laissé derrière elles une légende inoubliable et singulière de tendresse conquérante, d'indépendance osée, de fantaisie hautaine ou de dissipation étourdie, qu'on imaginerait être le prolongement lointain des heures enivrées du XVIIIe siècle.

Cette légende, avec tout ce qu'elle comporte de réel, c'est-à-dire de pages arrachées au livre de la vie, on ne pourra la développer complète, sans détours de mots et sans omissions de détails, que lorsqu'un espace de temps assez large aura marqué l'intervalle nécessaire entre les scrupules d'un passé trop proche et l'indépendance parfaite de l'avenir.

Et, néanmoins, il est bon, il est pressant même de commencer à s'entretenir de cela, quand les témoignages émanent d'impressions encore personnelles et directes. Nous sommes arrivés justement à ce point, où commence la postérité, lorsque ceux qui parlent et racontent ont eu la vision et le contact des physionomies prêtes à s'effacer clans la nuit.

En dépit de tout ce que l'on a colporté là-dessus d'erreurs et de jugements précipités, il ne reste guère à apprendre de neuf, d'essentiel, sur les figures centrales du tableau : l'empereur, l'impératrice, le prince Napoléon. Mais on n'a tracé que de vagues esquisses et de pilles crayons des grandes mondaines des charmeuses, qui, derrière le rideau de la politique, dans leurs salons ou à la Cour, imprimaient le mouvement, donnaient le ton. Il nous a paru d'un intérêt vif de dépeindre surtout celles-ci et de rendre leur image à l'histoire de la société.

J'avouerai qu'il n'a pas été d'une commodité parfaite de leur emprunter à elles-mêmes, ou à leurs proches, les touches nécessaires à la fidélité de leurs portraits.

Il fut de tout temps fort malaisé de décrire les vivants. Mais combien la tâche se fait-elle plus ardue, quand il s'agit de personnalités féminines rendues inquiètes, ombrageuses et vétilleuses par le caractère, ou par l'âge, ou par le souci des convenances, des terribles convenances de situation, de famille, de monde ! A leur gain la louange la plus poussée semble fade ; pour une ombre de critique se cabre leur susceptibilité ; leurs sens délicats se crispent aussitôt que perce l'un de ces heureux sous-entendus, grâce auxquels il est permis de compléter par la pensée ce qu'on ne dit pas tout haut... Parlez de nous, embellissez-nous, parez dévotieusement notre autel, nous y consentons ; niais, par grâce, ne dites rien de ceci, ni de cela non plus. Soyez intéressant, comme vous le pourrez, mais ne parlez pas de cette aventure ; ne prononcez ce nom, surtout... Gardez-vous bien de rappeler telle rencontre : les yeux étrangers n'ont rien à voir dans cette chambre, ni dans ce coin de maison... Que la vérité, l'entière vérité a de peine à venir au public !

Et puis, la consigne est formelle, dans le monde impérialiste, qui survit, aujourd'hui, à son rêve déchu : se verrouiller chez soi, enfouir ses documents, cacher ses souvenirs ; n'entr'ouvrir ni porte ni fenêtre par où ces choses pourraient prendre des ailes et s'envoler. Des partis pris de silence ont rendu fort embarrassant, jusqu'à l'heure présente, de donner une version fidèle, exacte, des dix-huit' années du règne de Napoléon III, cherchée hors des événements, dans l'intime des caractères.

Par bonheur, la curiosité persévérante de l'historien a des feintes, qui permettent de tourner les obstacles qu'on ne peut emporter de face.

Auprès des femmes les moins portées à se confesser elles-mêmes, on a la ressource précieuse de les entendre parler des autres. Bien des difficultés nous furent aplanies par cette naturelle complaisance. Tantôt, c'était un récit net et piquant, dont le profit n'était pas perdu. Tantôt une anecdote, un trait, qui s'échappait de la conversation, sans qu'on y songeât, et qu'il eût été regrettable de ne pas ramasser. Ou c'était une correspondance, qu'on n'abandonnait pas tout entière, mais qu'on laissait feuilleter du doigt et parcourir de l'œil. Des cartons s'entrebâillaient. De petits papiers épinglés avec sollicitude, depuis une trentaine d'années et davantage, s'échappaient des tiroirs obstinément clos. Peu à peu, grain par grain, se faisait notre moisson.

Et de ces propos entendus, de ces conversations écoutées et clarifiées, mises au point, des documents écrits qu'il fallait connaître et rapprocher des paroles dites. de ces témoignages contrôlés sur le vif, avec les nuances et les correctifs qu'exigeait une optique trop rapprochée, nous avons composé les pages d'un livre de vérité personnelle et directe sur les FEMMES DU SECOND EMPIRE.

 

Frédéric LOLIÉE.