LA SAINT-BARTHÉLEMY

 

LA PRÉMÉDITATION DE LA SAINT-BARTHÉLEMY

 

 

Les grands événements de ce globe sont comme ce globe même, dont une moitié est exposée au grand jour et l'autre plongée dans l'obscurité. Ce mot de Voltaire s'applique parfaitement à l'histoire de la Saint-Barthélemy : c'est un procès toujours débattu et que chaque génération se croit en droit de réviser. Il a été, dans ces trente dernières années, l'objet de découvertes et de travaux remarquables. Mais qu'ils sont rares, ceux qui l'ont envisagé d'un œil impartial, avec un esprit dégagé de toute idée préconçue, les écrivains assez maîtres d'eux-mêmes pour parler sans passion d'un tel événement, pour ne rien laisser percer, dans leurs jugements, des opinions philosophiques ou religieuses dont ils sont pénétrés !

A quelque camp qu'ils appartiennent, tous sont d'accord sur l'horreur que doit inspirer ce grand attentat, où la lâcheté le dispute à la cruauté. Ce qui reste en litige aujourd'hui, ce n'est pas le fait en lui-même : malgré les ténèbres qui planent encore sur certaines particularités accessoires, il est suffisamment éclairé dans ses grandes lignes ; c'est surtout la question de préméditation, qui seule peut conduire à en déterminer le véritable caractère. Cette odieuse et impolitique mesure avait-elle été préparée longtemps à l'avance, ou bien fut-elle tout à coup déterminée par une circonstance accidentelle, en sorte qu'il y faudrait voir plutôt une de ces catastrophes qu'amènent le choc des intérêts contraires et le cours fatal des événements, que l'exécution d'un plan longuement combiné ?

Ce grave problème devait nécessairement prêter à de sérieuses controverses : de sa solution en effet dépendent l'appréciation morale de l'attentat et le degré de culpabilité de ses auteurs. La croyance à un complot savamment ourdi par la cour a pour elle presque tous les historiens des trois derniers siècles ; elle a été embrassée dans le nôtre par MM. Sismondi, Andin, Haag, Dargaud, de Bouillé, sir James Mackintosh et plusieurs autres. M. de Félice, pasteur à Montauban, dans son Histoire des protestants de France, introduit une distinction : il admet la préméditation chez Catherine de Médicis, mais non chez son fils. Plus longue assurément serait la liste des historiens qui la repoussent pour l'un comme pour l'autre. Parmi ceux qui se prononcent dans ce sens, qu'il nous suffise de citer M. Léopold Ranke, pour lui elle est très-invraisemblable[1] ; M. Soldan, professeur à l'université de Giessen, qui la nie absolument[2] ; M. Henri Martin, qui n'y voit qu'un roman inventé par les panégyristes italiens de Catherine, et accepté par le ressentiment des huguenots ; M. Georges Gandy, qui la combat avec une chaleur passionnée, dans une savante étude, plus recommandable par l'érudition que par l'impartialité[3] ; M. Henri White, enfin, auteur d'une remarquable Histoire des guerres religieuses de France sous le règne de Charles IX, publiée à Londres en 1868. L'examen que M. Alfred Maury a consacré à ce dernier ouvrage dans le Journal des savants[4] est peut-être ce qui, chez nous et sur cette matière, a été écrit de plus dégagé de toute préoccupation théologique ou philosophique et, par suite, de plus approchant de la vérité. Il est, du reste, digne de remarque que cette thèse de la non-préméditation ait trouvé des défenseurs parmi des écrivains qui professent les doctrines les plus opposées, et aussi bien chez les protestants que chez les catholiques.

Des documents que les trois derniers siècles n'ont pas connus ont permis, de nos jours, à la critique historique, d'asseoir sur le grand forfait du 24 août 1572, sur ses causes et ses préliminaires, un jugement plus éclairé et plus indépendant. Sans parler des pièces officielles que MM. Ranke[5] et Mackintosh[6] ont mises au jour, soit complètes, soit par extraits, les dépêches publiées in extenso par le P. Theiner, dans sa continuation des Annales ecclésiastiques de Baronius, ont puissamment aidé l'esprit d'investigation. Et cependant, ainsi que l'a remarqué M. Armand Baschet[7], le gardien des archives secrètes du Vatican n'a pas ouvert une main bien large et s'est montré fort réservé dans les appendices qui contiennent ses pièces justificatives.

A ces incomplètes lumières parties de Rome se joignent celles qui nous étaient venues déjà de Simancas, de Bruxelles, de Venise surtout. C'est dans cette dernière ville que M. Eugenio Alberi dirige depuis tant d'années la vaste publication des relations des ambassadeurs vénitiens au seizième siècle.

La relation était un rapport général que chaque ambassadeur, après avoir rempli sa mission, était tenu de présenter au Sénat dans les quinze jours qui suivaient son retour à Venise. Celles de Giovanni Michieli et Sigismondi Cavalli, le premier ambassadeur, le second envoyé extraordinaire en France au moment du coup d'État du 24 août, ont été traduites dans notre langue par M. William Martin, et publiées en 1872, à l'occasion du trois centième anniversaire de la Saint-Barthélemy. Citons enfin, comme propres à éclairer certains côtés de cet événement, les pièces que MM. Canestrini et Abel Desjardins ont extraites des archives d'État de Florence[8], et celles que M. le docteur Ebeling a publiées à Leipzig[9]. Car c'est l'étranger presque exclusivement qui nous a fourni, dans ces derniers temps, des témoignages nouveaux sur ce sombre épisode de notre histoire.

 

I

Il y a deux actes dans cette tragédie : l'attentat contre Coligny et l'extermination générale de ses coreligionnaires. Le second crime fut-il la conséquence du premier ? Cela est tout à fait vraisemblable. Il ne s'ensuit pas pourtant que l'un et l'autre aient été également prémédités.

Que l'idée de mettre fin à l'agitation calviniste par le meurtre de Coligny, par le meurtre même de ses amis les plus influents, ait été conçue longtemps avant d'être exécutée, plusieurs témoignages donnent lieu de le croire.

Bien avant que les circonstances l'eussent fait considérer comme nécessaire, cette idée avait été suggérée aux chefs du gouvernement français, bien capables d'ailleurs de la concevoir par eux-mêmes. Ils l'avaient acceptée, caressée, repoussée, reprise encore. La sombre pensée semble avoir sommeillé longtemps au fond de leurs esprits, mais à l'état de projet éventuel, non de résolution arrêtée. Or, c'est la préparation et non la préméditation intellectuelle qui constitue la véritable culpabilité. Celui qui conçoit le dessein d'un crime, dit Merlin, n'est pas encore coupable s'il n'y a eu, de sa part, aucun fait pour en réaliser ou commencer l'exécution. Le crime, en effet, demeure dans sa pensée, et la pensée n'est justiciable que du tribunal intérieur de la conscience.

Nous examinerons tout à l'heure si l'exécution a été commencée par des actes préparatoires. Épions d'abord l'éclosion de la pensée, essayons d'en suivre le développement et les arrêts intermittents ; mais n'oublions pas que nous avons affaire à des esprits aussi irrésolus que mobiles, incapables de plans suivis, et qui se déterminent presque toujours spontanément au gré du vent qui souffle et sous l'empire des circonstances.

Un ambassadeur vénitien, Michel Suriano, affirme que, dès l'année 1560, François II eut un moment la velléité de s'emparer des principaux chefs protestants et de les mettre à mort. Le triste fils de Henri II et de Catherine de Médicis n'avait alors que dix-sept ans ; aussi l'ambassadeur a-t-il soin de noter que Ce projet lui fut suggéré par les véritables chefs du gouvernement. Parlant de certaines exigences des réformés : Ces insolences, écrit Suriano, irritèrent le jeune roi, naturellement rude et sévère. D'après même le conseil de ceux qui gouvernaient, il prit une résolution qui aurait bien purgé le royaume, s'il avait eu le temps de l'exécuter, et qui aurait laissé de son nom une mémoire éternelle. Il voulait fondre sur les chefs, les punir sans rémission et éteindre ainsi l'incendie. Mais il rencontra des obstacles : le premier, c'est que les chefs étaient des gens de renom et de grande importance, des princes du sang, des personnages principaux du royaume, entourés d'un grand nombre de partisans ; le second, c'est qu'il manquait de force pour les combattre et d'argent pour se procurer cette force, qu'il ne savait à qui se fier ; il soupçonnait ses favoris les plus intimes, plusieurs même de ses conseillers[10].

En juin 1565 ont lieu les célèbres conférences de Bayonne, auxquelles prennent part Catherine de Médicis et trois de ses enfants, Charles IX, Marguerite de Valois et cette malheureuse Élisabeth, épouse de Philippe II. Voici ce que le duc d'Albe, qui assistait à ces conférences, écrivait alors au roi d'Espagne ;

Quant aux moyens d'obvier au mal... un second expédient serait, dans le cas où l'on voudrait en finir une bonne fois avec les cinq ou six au plus qui sont à la tête de la faction et qui la dirigent, de se saisir de leurs personnes et de leur couper la tête, ou au moins de les confiner en quelque lieu où ils seraient dans l'impossibilité de renouveler leurs trames criminelles. Tout serait consommé dès le jour même où l'on aurait mis la main à l'œuvre[11].

Tout finir en un seul jour par la chute de cinq ou six têtes, tel était l'avis de ceux que le duc d'Albe appelle les bons, avis que lui-même partageait, comme le prouvent ces mots qu'il ajoute un peu plus loin : Après avoir ainsi concerté nos plans. Je ne crois pas que les lettres d'Alava et de Philippe II, récemment publiées par M. Combes[12], contrarient cette opinion. On a fait quelque bruit de ces lettres, écrites pendant et peu après les conférences de Bayonne ; on a dit qu'elles paraissaient trancher définitivement, dans le sens d'un concert ancien et d'une préméditation évidente, la question toujours brûlante de la Saint-Barthélemy. Je doute fort qu'elles aient une telle portée. M. Combes constate lui-même l'effrayante élasticité des termes employés par Alava : Je prévois qu'on frappera ces hérétiques à coups de marteau. S'il se fût agi d'une exécution en masse, Philippe II eût-il écrit : La reine, ma femme, se contente d'une pareille résolution ? Ces mots prouvent que cette reine demandait plus qu'elle n'obtint. Catherine, d'ailleurs, n'était pas femme à se lier : on n'était pas, on ne fut jamais sûr d'elle. Alava le sent bien : J'éprouve des craintes, dit-il, par le trouble, l'incertitude (par la confusion) que je sens qu'il y a parfois chez elle. Non, tout l'indique, la suggestion première du duc d'Albe, le plan de ce grand maitre en répression fut le seul qui s'enfonça dans l'esprit de Catherine, et c'est celui qu'elle avoua en quelque sorte quand, repoussant la responsabilité de l'immense massacre, elle s'écriait : Je ne prends sur ma conscience que le sang de six des morts.

Ces idées ne soulevaient point alors l'universelle réprobation qu'elles rencontreraient aujourd'hui. Comme le dit très-bien M. Boutaric, il régnait à cette époque, dans presque toutes les cours d'Europe, une doctrine de l'assassinat qui fait frémir et qui avait, pour ainsi dire, passé dans le droit des gens. Et en effet, pendant le siège de Poitiers, en 1569, le Parlement ayant promis une récompense de cinquante mille écus d'or à celui qui appréhenderait au corps Coligny, le roi manda d'ajouter que cette somme serait comptée à celui qui livrerait l'amiral mort ou vif. Maurevel, un misérable qui, chassé des antichambres du duc de Lorraine, avait pris du service en Espagne, s'offrit et fut accepté : à la place de l'amiral, qu'il ne put joindre, il assassina l'un de ses plus braves lieutenants. Ce fut son titre au mandat homicide qu'on lui confia trois ans après.

En 1569 du moins, lors de cette première tentative manquée comme le fut la seconde, on était en pleine guerre civile. Protestants et catholiques rivalisaient de violences et de perfidies. On pouvait tenir peu de compte du titre de belligérants réguliers auxquels les réformés avaient droit ; mais la prime offerte à l'assassin, les récompenses dont on le combla prouvent tout à la fois quelles étaient les doctrines courantes en matière d'assassinat politique, et qu'on n'avait point perdu de vue le procédé héroïque conseillé par le duc d'Albe.

Dans cette même année 1569, l'ambassadeur vénitien Jean Carrero, traçant le tableau des calamités engendrées par les luttes religieuses et des remèdes qu'on aurait pu y apporter, écrivait : C'est une opinion commune qu'il aurait suffi pour cela, dès le commencement, de se débarrasser de cinq ou six têtes et pas davantage. On aurait, par ce moyen, brisé l'organisation si compacte de la conspiration, intimidé la noblesse et découragé le peuple, qui croit ne pouvoir succomber tant qu'il suit le conseil et la fortune de quelque chef renommé. Privés de ces chefs, les nobles se seraient soumis d'eux-mêmes[13].

On le voit, c'est bien toujours le même conseil : réduire l'insurrection par l'extermination de ses chefs. Cette idée, Catherine est trop naturellement irrésolue, trop peu audacieuse, trop dépourvue d'initiative pour l'embrasser tout d'abord ; mais elle flotte dans l'air qui l'entoure ; la régente en est comme pénétrée ; elle lui arrive à la fois d'Espagne, d'Italie, de son entourage, de Philippe II, du duc de Ferrare et des Guise. Les partis brusques et violents ne sont pas son fait ; elle n'y répugne pas cependant d'une façon absolue, car elle a moins de scrupules encore que de hardiesse ; mais elle aimerait mieux qu'un autre en assumât les risques. Cette responsabilité qui l'effraye, son fils est trop jeune, trop timoré lui-même pour la prendre. Il fallait pour cela, écrit Carrero, un roi plein de résolution, qui fît le coup sans qu'on s'en doutât ; et il y avait, au contraire, un jeune prince timide et froid qui n'osait dire oui ou non sans le consentement de sa mère[14].

Nous verrons plus tard, par la relation de Michieli, que, le coup frappé, Catherine revendiqua l'horrible honneur de l'avoir longuement préparé, essayant ainsi de passer l'éponge sur ses anciennes irrésolutions, et de se donner le mérite d'une politique constante et invariable. Mais on va juger à quel point les faits protestent contre cet esprit de suite qu'elle eut le triste courage de s'attribuer.

 

II

Je l'ai dit déjà et j'y insiste : la préméditation n'est pas un crime : elle ne tombe sous la vindicte des lois ou de l'histoire que le jour où elle se traduit en actes préparatoires. Ceux qui soutiennent la thèse de la préméditation l'ont bien senti : ils allèguent comme actes préparatoires du forfait trois événements préliminaires : la paix signée à Saint-Germain en août 1570, les démarches faites pour appeler Coligny à la cour, et le mariage de Marguerite, sœur du Roi, avec le jeune Henri de Navarre, fils de Jeanne d'Albret. Ce mariage, qui couronna l'œuvre commencée par l'édit de Saint-Germain, et qui fut célébré six jours avant le massacre, aurait été la plus infernale des embûches, un moyen imaginé pour réunir à Paris les principaux chefs calvinistes et les prendre comme dans un panneau.

La paix de 1570 n'était-elle, comme celle de Longjumeau en 1568, qu'une de ces fausses paix dont Catherine était prodigue après des victoires[15] ? Elle témoigne d'un revirement dans la politique royale trop subit pour n'être pas suspect. C'est moins de deux ans après avoir interdit, sous peine de confiscation et de mort, l'exercice de toute autre religion que la catholique, c'est après les victoires de Jarnac et de Matit-contour qui ruinent les forces calvinistes, c'est quand il n'a plus qu'un effort à tenter pour exterminer ses ennemis par les armes, que Charles IX signe tout à coup un traité aussi avantageux pour eux que dangereux et humiliant pour sa propre cause. Quelles raisons assez graves ont pu subitement déterminer le Roi et sa mère à jeter un voile sur le passé, à substituer à l'ancien système de compression et de violence une politique de conciliation et d'apaisement ?

La question a paru embarrassante, même aux contemporains. Tavannes allègue la jalousie qu'inspiraient à Charles IX les succès militaires de son frère, le duc d'Anjou ; La Noue, la lassitude générale, l'affaiblissement des partis et le manque d'argent ; Capilupi, l'impuissance du Roi à continuer seul la guerre contre les huguenots soutenus par l'Angleterre et l'Allemagne protestante, dans un moment où les secours de Rome et de l'Espagne, occupées des préparatifs d'une guerre contre les Turcs, menaçaient de faire défaut[16]

Les historiens modernes ont pénétré plus avant dans les causes secrètes de ce brusque revirement. Les défaites des réformés grandissaient leur puissance morale, tout en diminuant leurs forces matérielles ; l'insubordination allait croissant ; les chefs de part et d'autre affectaient une dangereuse indépendance ; le peuple s'accoutumait à l'apparence d'une grande liberté et songeait à vivre isolément en cantons, à la manière des Suisses. A ces dangers intérieurs s'ajoutaient les craintes que faisait naître l'ambition démesurée de l'Espagne : elle seule devait profiter de nos divisions. Après la soumission des Pays-Bas, Philippe II rêva de délivrer Marie Stuart et de placer l'Écosse et l'Angleterre sous sa dépendance : il méditait en même temps d'unir sa sœur au roi de France. Si ces projets eussent réussi, le fils de Charles-Quint eût dominé la moitié de l'Europe. Cette ambitieuse politique heurtait de front celle de Catherine, qui disputait au monarque espagnol l'alliance anglaise, en essayant de marier son fils préféré, Henri d'Anjou, à la reine Élisabeth.

Tels sont les motifs allégués par M. Ranke pour expliquer la paix de Saint-Germain. A ces raisons qui plaident en laveur de la sincérité de la cour, M. Soldan, d'accord en cela avec MM. Coquerel et Gandy, en ajoute une autre plus concluante encore : c'est que ce traité fut l'œuvre de ceux qu'on appelait les politiques, de ce tiers parti représenté par Montmorency, Damville, Cossé, Biron et d'autres modérés, parti qui domina la cour, et qui penchait pour l'apaisement et la conciliation. Sous l'influence des politiques, Catherine et son fils auraient tenté d'établir entre les deux religions, sinon un impossible accord, au moins une trêve et un modus vivendi. Désarmer les réformés par de larges concessions et de bons procédés, fortifier l'union par des alliances de famille, assouplir ces rudes natures dans les douceurs de la paix, occuper dans les périls d'une guerre étrangère les turbulents que les longues luttes civiles avaient rendus incapables de repos, tel aurait été leur programme.

Tant de naïve bonne foi et d'illusions généreuses ne sont guère compatibles avec l'esprit cyniquement perfide et plein de duplicité des deux chefs du pouvoir. Si la paix de Saint-Germain fut appelée boiteuse et mal assise, ce n'était pas seulement par allusion au nom de celui qui l'avait négociée, le boiteux seigneur de Malassise, c'est que tout le monde en sentait la fragilité. Dix ans de traverses, d'anxiétés, de vie errante, tant de ruines, de profanations, de pillages, de sang versé, tous ces terribles souvenirs s'étaient-ils subitement effacés de l'esprit de l'ex-régente ? Les violences avaient été réciproques, dira-t-on. Mais qui donc, dans les luttes civiles, a jamais admis que les torts de son parti justifiassent ceux du parti adverse ? L'Italienne pouvait bien oublier les exécutions d'Amboise, mais non les massacres de Nîmes ; l'échauffourée de Passy, mais non la Michelade. Et ses injures, et ses humiliations personnelles, plus sensibles à son cœur que les maux publics, et cette fuite de Meaux où il s'en fallut de si peu qu'elle ne fût enlevée avec le petit roi Pouvait-elle mettre tout cela en oubli ?

Voilà ce qui stout de suite frappa tous les esprits. La paix supposait trop d'abnégations et de douloureux sacrifices pour sembler loyale et par conséquent durable. Dans le parti catholique, chacun comprenait qu'elle créait un État dans l'État. Désormais il y avait en France deux drapeaux et deux cultes ; les protestants étaient amnistiés, remis en possession de leurs biens., déclarés admissibles à tous les emplois ; leurs chefs recevaient des pensions et des terres ; ils mettaient pour deux ans garnison dans quatre places de sûreté. De leur forteresse de la Rochelle, devenue la citadelle du calvinisme, ils pouvaient lancer leurs vaisseaux sur les mers, donner la main à l'Angleterre et aux Pays-Bas, et porter au loin leur propagande. Comment croire que Charles IX, quelque jeune qu'il fût encore, que sa mère tout au moins, si cauteleuse et si avisée, aient franchement accepté un traité aussi menaçant pour leurs intérêts, qu'ils n'aient pas vu le périlleux avenir que de telles garanties, que cette coexistence de deux gouvernements hostiles par leurs principes créaient à l'autorité souveraine et à la religion de l'État, qui ne se séparait point alors du pouvoir civil ?

Assurément Catherine et son fils n'avaient à ce moment aucun plan &fini' et arrêté : leurs tergiversations postérieures le prouvent suffisamment ; mais, si minces diplomates qu'on les suppose, il est malaisé d'admettre qu'ils n'aient pas examiné l'hypothèse où leurs efforts de conciliation échoueraient devant les exigences des protestants. Ils durent se dire qu'après tout, cette paix ignominieuse avait du moins cet avantage qu'elle permettait d'attirer les réformés à la cour, de surveiller et de paralyser leurs menées ; s'ils devenaient trop dangereux, on tiendrait leur chefs sous la main, au milieu d'une population à laquelle il suffirait de lâcher la bride. Aller jusqu'au bout des concessions possibles, puis, au cas où tant d'avances resteraient infructueuses, profiter des circonstances pour étouffer l'ennemi dont on aurait endormi les méfiances : telles furent vraisemblablement les arrière-pensées du Roi et de sa mère.

Il se peut toutefois, comme le suppose M. Henri White, qu'il faille distinguer entre les sentiments de Charles IX et ceux de Catherine, croire à plus de sincérité chez l'un que chez l'autre. Le Roi semblait fier de l'édit de Saint-Germain, qu'il appelait son traité, sa paix. En le signant, il croyait donner une preuve publique de force et d'indépendance ; il bravait tout à la fois son frère qui le désapprouvait, l'Espagne qui le déconseillait, et les Guise, alliés secrets de cette puissance.

Certes, il n'est pas facile de voir clair dans cette âme trouble qui fut un mystère pour elle-même. Tout indique pourtant qu'après l'arrivée de Coligny à la cour, une révolution s'opéra dans l'esprit mobile de Charles IX, et qu'à partir de ce moment il devint sincère dans ses désirs de rapprochement et de conciliation. Le désintéressement, la franchise de son hôte illustre firent ce miracle : il subit la contagion de la loyauté.

Tenace, hautain, impérieux, passionné et ardent encore malgré ses cinquante-cinq ans (il venait de se remarier), Coligny, dont les mœurs austères étaient la critique vivante des scandales du Louvre, contrastait étrangement avec ce long et maigre jouvenceau, au dos légèrement voûté, au visage pâle, aux yeux jaunâtres et bilieux[17], à la fois sceptique et crédule, nonchalant et impétueux, dissimulé et, dans ses moments d'irritation, indiscret jusqu'à l'imprudence, impressionnable surtout et nerveux, accessible par ce côté à la séduction des grandes idées et des grands caractères. Il y avait deux hommes dans ce prince de vingt ans, deux natures souvent en lutte, l'une rêveuse, l'autre violente.

Tantôt mélancolique jusqu'au spleen, tantôt actif jusqu'à la furie, il aimait la poésie, la musique, et aussi les durs exercices qui brisent le corps, les immenses battues, les grandes tueries d'animaux, le tout par accès. Il s'était fait pratiquer une forge dans les caves du Louvre, où il se plaisait à fabriquer de belles armes, et l'on a écrit qu'après s'être laissé arracher l'ordre du massacre, il y courut pour étouffer ses remords et se mit à battre le fer furieusement. C'est là une fable que l'étude attentive de l'emploi de son temps pendant la néfaste soirée du 23 août fera tout à l'heure évanouir. Ce qui reste vrai, c'est l'étrangeté de ce tempérament où s'associaient tous les contraires. A certaines périodes d'affaissement succédaient des besoins subits d'activité désordonnée : le poète était doublé d'une bête fauve.

Aussi loin qu'il remontât dans ses souvenirs, il n'apercevait que tumultueuses agitations et scènes de carnage. Cette paix, qui était son œuvre, il voulut en profiter pour jouir de la vie, pour respirer, et comme il le dit lui-même, pour s'esbattre et s'égayer. C'est l'époque des beaux vers à Ronsard[18], des longues promenades avec Marie Touchet dans les bois du Hallier. On l'applaudit, on l'aime. Il est heureux ; comment serait-il méchant ?

 

III

Pour régler les mesures propres à assurer l'exécution du traité de paix, on avait envoyé à la Rochelle des commissaires, à la tête desquels était le maréchal de Cossé. Coligny, Jeanne d'Albret, le fils et le neveu de cette reine, Henri de Navarre et le prince de Condé, prirent part à ces conférences. C'est alors que furent jetées les premières bases du plan qui consistait à assurer la paix intérieure, en faisant, avec l'aide des protestants, la guerre à Philippe II. Par là on ouvrait un large dérivatif à l'esprit turbulent de la noblesse calviniste, et cela de l'avis de l'amiral lui-même : Nous ne pouvons plus tenir notre peuple, disait-il un peu plus tard.

Le gage de l'alliance politique et le prix de cet appui devaient être le mariage du fils de Jeanne d'Albret avec Marguerite, sœur du Roi, que sa mère voulait, au contraire, unir à un prince catholique, le roi de Portugal.

Le refus opposé par ce jeune prince à l'instigation de Philippe II, et la révolte de plus en plus imminente des Pays-Bas, donnèrent beaucoup à penser au roi Charles. Ces malheureuses provinces foulées par l'Espagne, accablées d'impôts, décimées par le duc d'Albe qui y fit tomber dix-huit mille têtes, abandonnées de l'Angleterre qui bénéficiait de leur ruine, n'attendaient pour s'armer qu'un signal de la France. Au mois de juillet 1571, le comte Louis de Nassau, frère du prince d'Orange, chef des révoltés, après s'être entendu à la Rochelle avec Coligny, se rendit déguisé à Fontenay en Brie, où était la cour ; il était accompagné de Téligny, gendre de l'amiral. Ce furent les Montmorency, chefs des Politiques, qui servirent d'intermédiaires entre lui et le Roi. Il fit luire aux yeux de ce prince les plus brillantes perspectives : l'annexion de l'Artois et de la Flandre à la France serait le prix du concours combiné des forces royales et calvinistes.

Le Roi fut séduit. Depuis la mort de sa sœur Élisabeth, femme de Philippe II, mort sur laquelle planaient les plus sinistres soupçons, il s'était progressivement éloigné de l'Espagne, moins encore dans des idées d'agrandissement et d'indépendance qu'en haine de son frère Henri, qui aspirait à prendre la direction des intérêts catholiques. Dans ce moment même, ce frère, l'enfant chéri de Catherine, essayait de faire échouer, en alléguant des scrupules religieux, les négociations entamées pour son mariage avec la reine d'Angleterre. Le cardinal de Lorraine, au dire de Walsingham, lui avait promis, pour prix de ce refus, quatre cent mille écus à prendre sur les fonds du clergé. Charles comprit qu'entre Coligny et le duc d'Anjou, qui tiendraient dans leurs mains, l'un les protestants, l'autre les catholiques, il se verrait réduit au rôle le plus effacé et menacé d'être brisé par le choc de ces deux forces. Il opta pour celle qui servait le mieux ses visées d'ambition, secrètement encouragé par l'empereur Maximilien II, prince favorable aux calvinistes, et dont il venait d'épouser la fille.

Peu sûr de sa mère, en hostilité ouverte avec son frère, surveillé de près par l'ambassadeur espagnol Alava, sentant gronder déjà les colères qu'une alliance avec les hérétiques devait déchaîner, Charles ne pouvait agir avec trop de circonspection et de secret. La présence de Coligny à la cour devenait indispensable. Une ordonnance royale l'autorisa à s'y faire accompagner de cinquante gentilshom.mes. On convint que sa réception aurait lieu, non à Paris, où l'influence des Guise l'aurait rendue dangereuse, mais à Blois. Toujours prudente, Jeanne d'Albret n'accompagna point l'amiral et resta à la Rochelle, attendant l'issue des négociations dont le mariage de son fils allait être l'objet.

Je glisse à dessein sur des faits bien connus ; il suffit de montrer qu'à cette date Charles IX avait tout intérêt à s'appuyer sur Coligny, comme Coligny sur Charles IX. Pour l'un, il y allait de son rôle de roi, qui ne pouvait plus être sauvé que par la guerre ; pour l'autre, du salut de la Réforme, qui s'effondrait si une guerre extérieure ne condensait ses éléments prêts à se dissoudre. Ce sont là deux vérités que M. Michelet a fait toucher du doigt.

L'amiral arriva à Blois le 12 septembre 1571. On a souvent commenté les mots à double sens par lesquels le Roi l'accueillit : Nous vous tenons enfin, mon père ; vous ne nous échapperez pas quand vous voudrez. Si ces paroles eussent contenu la sinistre équivoque qu'on a voulu y voir, Coligny et ses nombreux compagnons, dont la défiance était en éveil, n'auraient pas été assez simples pour s'y méprendre. L'ambassadeur d'Élisabeth, Walsingham, témoigne d'ailleurs de la sincérité des effusions et des bonnes intentions du monarque. Les actes, ici, sont d'accord avec les paroles. L'artiste est séduit par le diplomate. Charles rompt en visière à sa mère, qu'il appelle brouillonne ; à son frère, qu'il essaye d'abord d'exiler en Angleterre, puis bientôt après en Pologne. II comble son hôte de présents, l'indemnise du pillage de son château de Châtillon-sur-Loing, lui rend sa place au conseil, et prouve enfin aux moins clairvoyants qu'il entend se gouverner désormais par ses seuls avis.

Coligny apportait à la cour de Blois les plus vastes projets : il voulait à la fois arracher les Pays-Bas. à l'Espagne et attaquer dans les Indes la puissance de Philippe II. Par ses conseils, Schomberg est envoyé à Dresde et à Berlin ; il va offrir aux protestants allemands une alliance avec la France ; la liberté religieuse et la garantie de la paix de 1570 seront les bases de ce traité. L'amiral active enfin, au grand mécontentement des Guise, les négociations du mariage de Henri de Navarre.

Cette grande autorité du chef des huguenots, les concessions faites à son parti, émurent profondément les catholiques : dans les réunions populaires, dans les confréries, dans les chaires des églises, des menaces retentirent. Une sourde appréhension envahissait tous les esprits ; à Paris et dans les grandes villes, où les luttes religieuses avaient porté leurs ravages, on sentait passer ce souffle qui précède la tempête. En apprenant les nouvelles de la cour, écrit Montluc, je répétois chaque jour en moi-même que l'on faisoit trop de caresses aux huguenots.et qu'il y auroit du bruit. Qu'elle ait été ou non activée et favorisée par des mesures préliminaires, l'explosion du 24 août n'en était pas moins préparée depuis longtemps par la nécessité des choses et l'antipathie des éléments mis en présence.

 

IV

Sur ces entrefaites, la nouvelle de la victoire de Lépante arriva à la cour. Don Juan d'Autriche avait battu les Turcs à la tête des forces réunies de l'Espagne, de Venise et du Pape. Grand sujet d'exaltation pour le parti catholique et de réflexions pour la Reine mère ! Elle n'eut pas de peine à démontrer qu'en de telles circonstances, une rupture avec le monarque espagnol était intacte non-seulement téméraire, mais presque insensé, si préliminairement on ne s'assurait l'alliance de l'Angleterre.

Le mariage d'Élisabeth avec Henri d'Anjou ayant définitivement échoué par les exigences calculées de ce dernier, Catherine ne se découragea pas pour si peu. lui restait un troisième fils, Alençon ; elle le proposa intrépidement à la reine anglaise, plus âgée que lui de vingt et un ans : elle en avait trente-sept et le duc seize. Élisabeth trouva d'abord la disproportion choquante et le futur trop marqué de la petite vérole ; mais elle se familiarisa bientôt avec cette idée, et comme gage de cette union, que le massacre de la Saint-Barthélemy devait faire avorter, elle consentit à un traité de défense mutuelle qui fut signé le 29 avril 1572. On rédigeait en même temps le contrat de mariage de Marguerite avec Henri de Béarn, et Jeanne d'Albret s'était enfin décidée à paraître à la cour de Blois pour en discuter les conditions (4 mars).

C'est à partir de ce moment surtout que les intérêts mis en jeu par la guerre et le mariage qu'on prépare simultanément se compliquent, et qu'il devient difficile de démêler les intentions cachées sous les actes et de décider si c'est la perfidie ou la bonne foi qui les inspire.

Mais une question se pose ici d'elle-même. Catherine pouvait-elle tout à là fois négocier le mariage d'un de ses fils avec une puissante reine protestante et méditer le meurtre du chef du protestantisme français ? Ces deux visées semblent absolument contradictoires : dans tout esprit logique et bien ordonné, l'une eût nécessairement fait renoncer à l'autre. Chez Catherine, il en fut tout différemment, et il semble bien qu'elle poursuivit concurremment les deux buts, si opposés qu'ils fussent, prête à se rejeter vers le second, si elle manquant e premier. On la voit tout à la fois écrire lettre sur lettre, envoyer une solennelle ambassade en Angleterre pour offrir la main du duc d'Alençon à la Reine, se bercer même un instant de l'absurde espoir de lui faire adopter comme héritière Marie Stuart, qu'elle rêve de marier au duc d'Anjou, et, dans le même moment, insister pour que l'union de sa fille Marguerite avec Henri de Navarre soit célébrée à Paris. Elle se réserve évidemment d'opter, selon l'issue et l'exigence des événements, pour celui de ces deux plans qui aura le plus de chances de succès : ou régner par le calvinisme avec Coligny et Élisabeth pour appuis, ou le détruire avec l'aide de Philippe Il et des Guise.

C'est ici le triomphe de l'indifférence indécise, du scepticisme religieux et politique. Sans idées fixes, sans vues suivies, cette femme accepte toutes les éventualités, résolue à s'y accommoder et à en tirer le meilleur parti possible. Toute son habileté consiste à ne rien compromettre et à suivre à la fois deux pistes opposées. Elle ménagera Philippe et Élisabeth, elle fera bonne mine aux Guise et à Coligny ; mais elle aura toujours en main le fil des deux intrigues, prête à s'accrocher à celui qui lui paraîtra le plus solide.

Voilà pourquoi elle appuya les vaniteuses réclamations de Marguerite, qui n'admettait pas qu'une princesse royale pût se marier ailleurs qu'à Paris. Si Jeanne d'Albret et Coligny eussent résisté sur ce point, la Saint-Barthélemy n'aurait pas déshonoré notre histoire. En célébrant cette union à Blois, Catherine perdait toute possibilité d'entraver la guerre de Flandre, qui dès le lendemain devait commencer ; elle abandonnait le Roi à l'ascendant désormais sans contre-poids de l'amiral. C'était l'échec irrémédiable de son système d'atermoiement et de bascule, la fin d'une autorité qu'elle ne se résigna jamais à perdre. A Paris, au contraire, les chefs protestants étaient dans sa main ; toute liberté lui restait de se décider selon leurs agissements, selon la conduite qu'ils inspireraient au Roi. Si les noces vermeilles sont une preuve de préméditation, c'est uniquement à ce point de vue et dans cette mesure. Marier Marguerite dans là capitale, ce n'était point préparer le meurtre de l'amiral ; c'était seulement, en cas de 'nécessité ultérieure, s'en réserver la possibilité.

 

V

Ces nuances psychologiques, cette analyse des flottantes et contradictoires velléités d'une âme trouble qui se complaît dans le vague et souvent s'ignore elle-même, paraîtront subtiles peut-être. On y répondra par les témoignages du pape Clément VIII et du cardinal d'Ossat, qui déposent d'une préméditation bien autrement formelle et résolue. Abordons donc tout de suite ces témoignages.

A la nouvelle de l'union qu'on projetait entre la sœur du Roi Très-Chrétien et le fils d'une hérétique, Pie V s'était ému. Il avait chargé son neveu, le cardinal Alessandrino, envoyé comme légat aux cours de Madrid, de Lisbonne et de Paris pour préparer une ligue formidable contre le sultan Sélim, de témoigner de son opposition à ce mariage et de renouveler les propositions en faveur de Sébastien de Portugal. Alessandrino arriva à Blois au milieu de l'hiver : il était accompagné du général des Jésuites, François de Borgia : Charles IX, écrivait Soldan, le reçut avec déférence, mais lui déclara que le mariage de Navarre était indispensable à la pacification du pays ; il ajouta, en termes généraux, que cela ne l'empêchait pas d'être dévoué au Pape et à la religion catholique, et que celle-ci n'aurait à souffrir aucun dommage par l'union projetée[19].

Si Charles se borna en effet à ces vagues assurances de dévouement au Pape et à la religion, on ne saurait tirer de ses paroles aucune induction propre à faire suspecter l'esprit dans lequel il faisait le mariage. Mais c'est ici qu'intervient le témoignage dont nous parlions tout à l'heure : il prête un tout autre caractère au langage du Roi et tendrait à établir que l'hymen projeté couvrait la plus abominable embûche.

Lorsque, vingt-sept ans après la Saint-Barthélemy, le fils de Jeanne d'Albret, devenu roi sous le nom de Henri IV, entreprit de faire dissoudre par le Souverain Pontife ce malheureux mariage qui avait été le prélude du massacre, il chargea d'Ossat de cette délicate négociation. Hippolyte Aldobrandini occupait alors la chaire de Saint-Pierre sous le nom de Clément VIII : en qualité d'auditeur, il avait, en 1571, accompagné le légat Alessandrino dans son voyage à la cour de France, et voici ce qu'il raconta à d'Ossat, qui transmit son récit au ministre Villeroy, dans une lettre en date du 22 septembre 1599.

A la fin d'une audience donnée par Charles IX à Alessandrino, un jour que ce dernier s'était montré plus pressant qu'à l'ordinaire, le Roi le prit par la main et lui parla en ces termes : Monsieur le cardinal, tout ce que vous me dites est bon, et j'en remercie le Pape et vous. Si j'avais quelque autre moyen de me venger de mes ennemis, je ne ferais point ce mariage ; mais je n'ai pas d'autre moyen que celui-ci[20].

Après avoir raconté cette anecdote à d'Ossat, Clément VIII ajouta que lorsque la nouvelle de la Saint-Barthélemy vint à Rome, ledit cardinal Alessandrino s'écria : Loué soit Dieu ! le roi de France m'a tenu sa promesse.

Un tel récit, on le pense bien, a fortement embarrassé les historiens qui nient toute dissimulation chez Charles IX et ne pensent point que le mariage de sa sœur ait été un piège tendu aux calvinistes. M. Henri Martin, qui n'admet pas la préméditation, croit se tirer d'embarras en supposant que ces ennemis dont parlait le roi de France et que le légat prenait pour les huguenots, étaient les Espagnols[21].

Les Espagnols ! M. Henri Martin y a-t-il bien réfléchi ? La date exacte de l'audience où auraient été prononcées les fatales paroles est difficile à préciser : il semble sûr seulement qu'elle se place dans l'hiver de 1571, puisque le cardinal Alessandrino ne quitta la cour qu'a la fin de février 1572. On était donc soit à la veille, soit au lendemain de la bataille de Lépante, dont la cour reçut la nouvelle le 29 octobre, au château de Vaujour[22]. Et c'est dans un pareil moment, quand les vaisseaux du Pape combattaient à côté de ceux de l'Espagne, quand Philippe II adressait au roi de France une hautaine demande d'explications, quand tout faisait une loi de ne pas précipiter une rupture, c'est alors que Charles eût fait une telle confidence au représentant du meilleur allié du monarque espagnol ! Autant eût valu la lui faire à lui-même.

Du reste, Clément VIII ne se borna pas à raconter verbalement à d'Ossat ce qu'il avait appris du légat Alessandrino touchant le mariage de Navarre et les préparations de la Saint-Barthélemy. Il lui envoya, des mêmes faits, une relation dont il était l'auteur, et il y a des motifs de croire que c'est celle qui se trouve aujourd'hui parmi les manuscrits du marquis Capponi. Le langage que cette relation écrite met dans la bouche de Charles IX est plus clair encore que dans le texte de d'Ossat et ne laisse place à aucun doute :

Notifiez au Souverain Pontife et assurez-le que tout ce que j'ai fait et ferai pour ce mariage n'a pas d'autre but que de me venger des ennemis de Dieu et du royaume, et de punir de si perfides rebelles, comme l'événement le montrera, n'en pouvant dire davantage[23].

Point d'équivoque dans ce langage, point de doute possible sur le sens qu'il renferme.

A-t-il vraiment été tenu ? C'est une autre question, et celle-là seule est sujette à controverse.

Des deux versions que nous en avons, la première ; celle que d'Ossat tenait de la bouche de Clément VIII, est beaucoup moins précise que la seconde en date, rédigée ensuite et envoyée au cardinal français. Si nous avions celle d'Alessandrino lui-même, il est fort à croire qu'elle nous semblerait encore moins nette et moins affirmative. L'exclamation de ce légat, à la nouvelle de la Saint-Barthélemy, en est la preuve. Ainsi que l'a remarqué M. Alfred Maury, c'est par voie d'interprétation qu'Alessandrino reconnaissait dans ce coup d'État la confirmation de ce qui lui avait été dit à mots couverts. Il y a toute vraisemblance que les paroles échappées au Roi n'accusaient pas autre chose qu'un vague et lointain projet de ranger par un procédé quelconque les huguenots à l'obéissance, mais que, ni sur les moyens, ni sur l'époque, rien de positif ne fut formulé.

C'est ce que prouve une lettre de ce même Alessandrino à Rusticucci, datée de Lyon le 6 mars 1572 : elle fait partie de la bibliothèque Corsini, à Rome, et se termine par ces mots :

Bien que je n'aie obtenu de ces majestés ni quant à la ligue (contre les Turcs), ni quant au mariage, aucune résolution conforme aux vœux de Sa Sainteté, je puis dire pourtant qu'il cause de certaines particularités que je rapporterai oralement à notre Saint-Père, je ne pars pas comme quelqu'un qui n'aurait fait rien que de mauvaises affaires[24].

Quelles étaient ces particularités que le légat devait rapporter verbalement à son oncle ?

Il est clair d'abord qu'elles pouvaient avoir trait à la ligue contre Sélim II, qui était le principal objet de la mission confiée à l'ambassadeur romain et dans laquelle le gouvernement français ne crut pas devoir entrer. Gabuzio, auteur d'une Vie de Pie V, suppose qu'il s'agissait de la conversion du prince de Navarre, qu'on avait fait espérer au légat[25]. Une lettre fut en effet écrite dans ce sens par le Roi à M. de Ferrails, son ambassadeur à Rome ; mais loin de se bercer de l'espérance de voir Marguerite ramener son futur époux à la foi catholique, le Saint-Père répondit qu'il était à craindre plutôt qu'elle ne Rit elle-même pervertie par lui[26].

Dans tous les cas, les termes employés par Alessandrino ne permettent pas de croire que les particularités dont il s'agit eussent trait à un fait aussi considérable que l'extermination en masse des hérétiques.

Le légat ne pouvait faire allusion qu'à une promesse de médiocre intérêt ; autrement il n'eût pas écrit : Je ne pars pas comme un homme qui a tout à fait échoué ; il ne se fût pas représenté, pour employer un terme vulgaire, mais qui rend assez exactement le sens des mots male expedito, comme un chasseur qui ne revient pas absolument bredouille.

Cette lettre d'Alessandrino est donc en contradiction formelle avec les paroles que Clément VIII déclarait avoir recueillies de sa bouche. Elle ne l'est pas moins avec le langage que tint ce cardinal en prenant congé de Charles IX.

Le Roi ayant ôté de son doigt un anneau où brillait un diamant de six cents écus et pressant le légat de l'accepter comme un gage de son affectueuse soumission au Saint-Père, celui-ci refusa en disant d'un air piqué dont le monarque parut offensé : Le plus précieux des joyaux de Votre Majesté n'est que de la boue aux yeux des fidèles, puisque votre zèle pour la religion catholique s'est tellement refroidi. Telle est du moins l'histoire racontée par Capilupi, qui écrivait à Rome dans l'année même de la Saint-Barthélemy et qui, fort empressé à recueillir tout ce qui peut établir la préméditation du crime, n'eût point admis sans preuve une anecdote qui la contredit[27].

Après tant d'années écoulées, il n'est pas bien étonnant que la mémoire de Clément VIII ne fût pas très-sûre et qu'il ait prêté au récit jadis par lui recueilli de la bouche du légat un sens plus précis et plus approprié aux faits ultérieurs que celui que ce récit avait eu réellement. Qui ne Sait combien les événements, ceux surtout qui sont tragiques, se chargent de particularités accessoires, se métamorphosent et s'aggravent en passant de bouche en bouche ?

Autre hypothèse bien plus vraisemblable encore. Ce pape a dû mettre dans la bouche du roi de France des paroles que son interlocuteur avait attribuées à Catherine de Médicis. J'ai souligné à dessein les mots : ces majestés qui figurent dans une lettre d'Alessandrino à Rusticucci. Ils prouvent que le légat, dans ses efforts pour conclure une ligue et pour rompre le mariage, avait échoué aussi bien près de Catherine que près de son fils ; mais rien ne dit que ce ne soit pas d'elle seule qu'il ait reçu les confidences inconnues et très-certainement assez vagues qu'il se proposait de rapporter verbalement au Saint-Père.

Cette explication concilie tout ; elle est en harmonie avec la bonne foi du roi vis-à-vis des réformés, à partir de l'époque où l'influence de Coligny s'exerça sur lui sans partage, en même temps qu'elle s'accorde avec la politique expectante de Catherine, uniquement occupée à flatter toutes les factions et à n'en désespérer aucune.

 

VI

Il ne faudrait pas croire que le mariage de sa fille avec le jeune roi huguenot fût antipathique à cette femme, digne héritière du prince à qui Machiavel dédia son célèbre traité. Absolument étrangère à tout principe supérieur de politique, n'en connaissant pas d'autre que son intérêt et celui de sa race, n'ayant aucun système arrêté de gouvernement, elle se ménageait un point d'appui dans tous les partis, disposée d'avance à bénéficier de leur victoire ou de leur défaite.

Par son conseil, le duc d'Anjou, le second de ses fils encore vivants, avait fait cause commune avec les Guise, tandis que le troisième, le duc d'Alençon, s'était rapproché des Montmorency. Sa fille aînée étant mariée dans la maison de Lorraine, il était naturel qu'elle vtt avec plaisir la plus jeune entrer dans la maison de Bourbon : par là, catholiques et protestants devenaient ses alliés ; elle prenait pied dans chaque camp.

Elle voulait bien unir sa fille à un prince hérétique et son plus jeune fils à une reine excommuniée, mais non pas déclarer la guerre au plus puissant représentant de la tradition catholique. C'était là un parti trop tranché pour elle. Mais que les huguenots entamassent les hostilités, si la chance des armes tournait en leur faveur, tout de suite elle serait à eux. Cavalli raconte que le Roi et sa mère donnèrent leur parole à Coligny et firent même dire au prince d'Orange de commencer, en promettant de ne pas l'abandonner[28]. Cette rouerie eut de terribles conséquences. Soit que Charles IX ait cru que sa mère lui laissait la bride sur le cou, soit que, plus franc qu'elle et plus osé, il jugeât ses tergiversations indignes d'un souverain, toujours est-il qu'à l'insu de Catherine, il mit secrètement à la disposition de l'amiral des sommes considérables qui permirent de réunir quatre mille hommes.

Il s'agissait de secourir Mons, prise par Louis de Nassau et assiégée bientôt après par le duc d'Albe.

Si l'affaire eût réussi, écrit Cavalli, je ne sais ce que le Roi aurait fait après cela. Mais elle échoua : Genlis, qui commandait la petite armée, fut battu (11 juillet 1572), et le duc d'Albe saisit la preuve authentique de la participation de Charles IX à tous ces mouvements. J'ai entre les mains, écrit-il à Zayas, une lettre du roi de France, qui vous frapperait de stupeur si vous la voyiez[29]. Il usa de la torture pour faire confesser à Genlis et aux autres principaux prisonniers qu'ils étaient partis non-seulement au su, mais par ordre du Roi.

Au dire de Michieli, l'amiral exploita habilement cette conduite du duc et jeta le Roi dans une telle indignation qu'il ne pouvait se contenir quand il était avec ses confidents ; il éclatait en fureur et s'écriait avec les marques de la plus violente fureur : Savez-vous ? le duc d'Albe me fait mon procès. Ceci joint aux termes insolents et furieux employés quelque temps auparavant par le duc envers l'agent du Roi résidant auprès de lui, il ne fut pas difficile à l'amiral, en l'absence de la Reine, de pousser de nouveau le Roi à la guerre. Pendant cinq ou six jours de suite, elle fut considérée comme fermement résolue, et l'on en parla publiquement comme d'une chose arrêtée[30]. Sûr du Roi et disposant du trésor, Coligny faisait lever trois mille hommes, dont on confiait le commandement à Villars ; il faisait espérer au prince d'Orange douze mille arquebusiers et trois mille chevaux.

Pour ces graves préparatifs, on mettait à profit l'absence de Catherine qui était allée à la rencontre de la duchesse de Lorraine, sa fille, tombée malade au cours du voyage qu'elle faisait pour assister au mariage de sa sœur. Mais la Reine avait laissé à la cour deux espions dévoués à ses intérêts et qui l'avertirent. Irritée qu'une telle entreprise eût pu se décider sans elle, effrayée du danger qui menaçait son autorité, elle accourut près du Roi qui chassait à Montpipeau.

C'est alors qu'eut lieu cette scène que Tavannes nous a conservée et où l'habile comédienne fit parler tour à tour le désespoir, les larmes, la menace, s'adressant successivement à la vanité et à la peur, montrant le péril des projets inconsidérés qui s'attaquaient au vainqueur de Lépante, les huguenots ne recherchant cette guerre que pour asservir le Roi et la France. Elle ne sera pas témoin de cette humiliation. Puisque Coligny est désormais le deuxième roy, elle le laissera gouverner au milieu d'inévitables écueils : elle se retirera à Florence, et d'Anjou la suivra, afin d'éviter les coups des ennemis qu'il s'est faits, en exposant sa vie pour conserver celle de son frère. Cette harangue artificielle esmeut, étonne, épouvante le Roy, qui s'esmerveille de ses conseils révellez, les avoue, demande pardon, promet obéissance[31]. L'Italienne ne veut rien entendre ; elle se retire à Monceaux, où le Roi la suit, moins touché de ses larmes qu'effrayé des menaces qu'il sent gronder au fond de ce feint désespoir.

Cette scène dut être jouée un peu avant le 10 août, comme le prouve une lettre de Walsingham qui y fait allusion et qui porte cette date. Elle équivalait à une déclaration de guerre : Coligny et la Reine mère étaient désormais en lutte ouverte. N'osant avouer à l'amiral le revirement accompli dans son esprit sous la pression de l'autorité maternelle, Charles lui proposa de convoquer un conseil où la question brûlante du moment, l'intervention à main armée. en faveur des Néerlandais, serait examinée. Le conseil fut unanime à repousser les visées belliqueuses de l'amiral : Madame, dit-il alors en se tournant vers la Reine, le Roi se refuse à entreprendre cette guerre : Dieu veuille qu'il ne lui en survienne pas une autre dont il ne sera peut-être pas en son pouvoir de se retirer !

Telle est du moins la version de Michieli[32]. Celle de Tavannes n'en diffère que par les termes : Les huguenots ne peuvent oublier le mot qui leur coûta si cher le 24 août 1572 : Faites la guerre aux Espagnols, Sire, ou nous serons contraints de vous la faire ; nous ne pouvons plus tenir notre peuple. Certes la conscience moderne ne saurait admettre de justification pour un coup d'État tel que celui de la Saint-Barthélemy ; mais si l'on tenait à plaider les circonstances atténuantes, c'est dans cette audacieuse bravade de l'amiral qu'il faudrait les chercher.

On en pallia le sens trop clair : le vieux capitaine n'avait entendu parler que du prince d'Orange. Abandonné du Roi et repoussé par les Espagnols, il se retirerait en France, et il faudrait prendre les armes pour l'en chasser[33]. Charles se contenta peut-être de cette explication, mais Catherine ne s'y laissa pas prendre. On était bien en face d'une quatrième guerre civile dont Coligny serait le chef, qu'il le voulût ou non. Ceci examiné par la Reine avec la plus grande attention fut, avec les autres considérations, la raison principale qui fit hâter sa mort[34].

 

VII

Telle fut la raison politique de l'attentat contre Coligny : il y en eut une autre toute personnelle au duc d'Anjou et à sa mère, et celle-là fut de beaucoup la plus déterminante.

Si le jeune roi fût resté fidèle aux promesses que Catherine lui avait arrachées à Montpipeau et à Monceaux, cette terrible extrémité eût probablement été écartée. On aurait, une fois encore, couvert la France de sang et de ruines, mais on l'aurait fait comme précédemment, à ciel ouvert, épée contre épée.

Mais Charles avait à peine vingt-deux ans ; des fumées de gloire lui montaient au cerveau ; les projets mal dissimulés 'de son frère, l'orgueil de Philippe II, l'attitude altière des Guise lui étaient des tableaux insupportables. Il retomba sous la despotique influence de l'amiral, il appuya ses in-tances auprès d'Élisabeth pour obtenir un concours actif et faire suspendre l'ordre de rappel qu'elle venait d'adresser à ses sujets résidant aux Pays-Bas. Bien plus, il expédia à Biron, grand maître de l'artillerie, connu pour son dévouement à la. Réforme, l'ordre de faire un relevé des canons et des munitions dont on pouvait immédiatement disposer. Sa lettre, adressée à d'Humières, est datée de Blois le 13 août[35]. Il dut quitter cette ville le lendemain pour se rendre à Paris, où l'appelait le mariage de sa sœur.

Ce premier mariage mixte, sujet d'indignation et d'effroi pour les âmes catholiques, allait s'accomplir sous les plus sombres pronostics. Il avait été retardé par la mort de Jeanne d'Albret, que beaucoup attribuaient au poison. Un écrit protestant nomme même celui qui aurait fourni le toxique[36]. C'est là une accusation dont la critique a depuis longtemps fait justice. Le Roi ordonna l'autopsie, et les médecins impartiaux constatèrent que la mort de la reine de Navarre était le résultat d'une apostume au poumon droit.

Si Coligny eût conçu des soupçons sérieux, il ne fût pas venu à Paris. Les raisonnements de M. Michelet sur ce point sont plus éloquents que solides[37]. Élisabeth n'eût pas reculé ; les protestants du Nord n'eussent pas lâché pied, parce que les noces du petit prince béarnais auraient été célébrées à Blois au lieu de l'être dans la capitale. Assez de rumeurs menaçantes, assez de sinistres prédictions avertissaient l'amiral, assez de gens lui répétaient que ces noces auraient des livrées vermeilles. Il crut à la sincérité du Roi, et, bien que l'événement ait démenti sa confiance, il avait raison d'y croire. Charles fit tout ce qu'il put pour assurer la sécurité de ses hôtes. Lui aussi, il sentait venir l'orage. Il devinait bien qu'entre Coligny et les Guise le moindre prétexte suffirait pour allumer un conflit, et que sa mère prendrait parti dans le combat. Il obtint des deux partis le serment solennel de ne rien entreprendre qui pût troubler la paix publique ; il fit même défendre de porter des armes à quiconque n'en avait pas le droit. Sachant que les Guise se rendaient aux noces accompagnés de leur nombreuse clientèle de volontaires et de pauvres gentilshommes, il proposa à l'amiral de faire venir à Paris une partie de ses gardes pour veiller à l'ordre. Coligny y consentit, et l'on appela douze cents arquebusiers. Ce furent ces troupes qui se montrèrent les plus ardentes au massacre ; mais la mesure était si naturelle et si bien commandée par les circonstances qu'on ne saurait, sans parti pris, y chercher une arrière-pensée perfide.

Ce que Charles ne pouvait conjurer, c'était l'irritation de cette grande ville, en voyant défiler dans ses rues ces hommes à l'air austère et farouche, qui lui rappelaient dix ans de guerre et d'humiliations, tant d'incendies, de meurtres et de pillages ; c'était surtout la tempête qui grossissait dans le cœur de sa mère. Catherine, il le sentait bien, n'avait plus d'illusions : le Roi lui échappait, et avec le Roi, le pouvoir. Sa lutte avec Coligny entrait dans sa dernière phase. La situation était telle que la perte de l'un ou de l'autre en devenait le dénouement inévitable.

Une scène qui eut lieu, vers cette époque, entre Charles et son frère, jette un jour décisif sur cette situation et sur les périls qu'elle comportait. C'est d'Anjou lui-même qui nous en a transmis le récit.

Il entra un jour dans l'appartement du Roi, au moment où l'amiral venait d'en sortir. Sitôt que le Roy m'eut aperçu, sans me rien dire, il commença à se promener furieusement et à grands pas, me regardant souvent de travers et de fort mauvais œil, mettant la main sur sa dague et d'une façon si animeuse que je n'attendois d'autre chose sinon qu'il me vînt colleter pour me poignarder[38]. Profitant d'un moment où son frère lui tournait le dos, Henri s'esquiva et courut aussitôt chez sa mère, à qui il raconta le danger auquel il venait d'échapper. La solidarité était profonde entre eux : vouloir frapper l'un, c'était menacer l'autre. Ils connaissaient Charles IX, nature nerveuse, impressionnable, extrême en tout, subitement accessible aux plus furieux emportements. Persuadés que ses mauvais desseins étaient inspirés par l'amiral, sans plus tarder, ils résolurent définitivement de s'en défaire.

Avant de dire le moyen auquel ils s'arrêtèrent, il convient d'introduire ici une dépêche secrète inspirée par Philippe II, et qui n'est connue que depuis peu d'années, grâce à la publication qu'en a faite le P. Theiner[39] Elle dut exercer la plus grande influence sur leurs décisions, car elle contient le programme de la Saint-Barthélemy telle que l'entendait et la conseillait le monarque espagnol, telle que ses auteurs la comprirent d'abord. Écrite de Madrid le 5 août par l'archevêque de Rossano, nonce apostolique près du Roi Catholique, cette dépêche est adressée au cardinal de Côme, secrétaire d'État de Grégoire XIII. Comme elle passa par Rome avant d'arriver à Paris, elle ne put guère parvenir dans cette dernière ville avant le 15 août, peu après les ordres significatifs donnés par le Roi à Biron quelques jours avant le mariage de Marguerite, qui eut lieu le 18[40].

Madrid, 5 août 1572.

Le Roi me charge de dire que la défaite des huguenots en Flandre (à Mons) est d'une plus grande importance qu'on ne croyait, car les plus braves chefs des huguenots français y ont été tués ou faits prisonniers ; qu'à tout bien considérer, cet événement sera encore plus utile au roi de France qu'à lui-même.

Que si Sa Majesté Très-Chrétienne est dans l'intention de purger son royaume de ses ennemis, le moment est venu, et qu'en s'entendant avec lui (Philippe II), il pourrait détruire ce qui en reste. Surtout à présent que l'amiral est à Paris, dont le peuple est attaché à la religion catholique et à son roi, il lui serait facile (à lui Charles IX) de le faire disparaître pour toujours. Que lui, Philippe, emploiera toute sa puissance et toute son énergie à délivrer ce royaume (de France) et à le rétablir dans son ancienne sécurité et dans son ancienne splendeur. Du reste, il ne laissera pas, autant que je puis le comprendre, de faire des ouvertures dans ce sens au Roi Très-Chrétien et d'offrir ses services. Le duc d'Albe lui a écrit qu'après avoir détruit un si grand nombre d'ennemis de sa couronne, il mettait toutes ses forces à sa disposition pour le débarrasser de ceux qui restaient.

Ainsi que l'a remarqué M. Boutaric dans un judicieux article destiné à faire connaître les pièces relatives à la Saint-Barthélemy, qu'a publiées le P. Theiner, d'après les archives du Vatican[41], il n'est pas probable que l'ambassadeur espagnol ait osé transmettre ces conseils à Charles IX, dont il devait connaître les dispositions favorables à l'égard de l'amiral ; mais il s'aboucha sans doute avec Catherine et le duc d'Anjou. L'hypothèse est tout à fait vraisemblable, et l'idée ne pouvait manquer d'être bien accueillie, car c'est justement celle que l'ex-régente gardait depuis longtemps au plus profond de son âme, comme une ressource suprême, celle qui lui avait été suggérée en 1565 pendant les conférences de Bayonne, et que le duc de Ferrare avait depuis maintes fois reproduites. Seulement Philippe II ne se bornait pas à conseiller le meurtre de Coligny, et M. Georges Gandy paraît s'illusionner étrangement en affirmant qu'aux yeux du monarque espagnol cette mort suffisait. Le Roi Catholique offrait, en outre, de mettre, aussitôt après ce meurtre accompli, ses troupes aux ordres du roi de France pour purger son royaume du reste de ses ennemis. Mais, hâtons-nous de le reconnaître, malgré la joie sauvage que Philippe manifesta ensuite à la nouvelle de la Saint-Barthélemy, ce qu'il conseillait là, c'était l'extermination par la guerre. Si inégale qu'eût été la lutte, elle n'eût pas et : du moins le caractère d'un massacre.

 

VIII

On comprend de quel poids une telle lettre, tombant au milieu des terribles préoccupations de Catherine et de son fils chéri, dut être dans leur détermination. Sous l'émotion de cette scène où le Roi avait menacé son frère du poignard, ils tinrent conseil et firent appeler madame de Nemours. C'était la veuve du grand Guise, assassiné par Poltrot : elle portait une haine implacable à Coligny, qu'elle accusait d'avoir trempé dans le meurtre de son premier époux. Italienne comme la Reine, issue de la maison d'Este, cette femme avait souvent et sans succès demandé vengeance. Dans son discours de Cracovie, Henri III prétend qu'elle seule fut mise dans la confidence, et que, séance tenante, l'assassinat de l'amiral ayant été résolu, on envoya chercher un capitaine gascon qui fut jugé assez hasardeux pour l'entreprendre, mais non assez prudent pour l'exécuter. Mais le nonce Salviati témoigne de la participation du duc de Guise au complot[42]. Non moins vindicatif que sa mère, ce jeune homme proposa de tuer l'amiral d'un coup d'arquebuse, au milieu du cercle de la Reine[43]. Le texte italien donne même lieu de supposer que, dans sa pensée, c'était madame de Nemours elle-même qui devait tirer le coup ; telle est du moins l'interprétation littérale adoptée par M. Ranke[44] et que M. Boutaric a contestée.

Après réflexion, on convint de confier le guet-apens à Maurevel. C'était, on se le rappelle, cet homme de sac et de corde qui, pelant la dernière guerre, choisi déjà pour assassiner Coligny, avait frappé à sa place le brave de Mouy[45]. En récompense de ce haut fait, on lui avait conféré le collier de l'Ordre.

En appelant Henri de Guise et sa mère à prendre part au complot, Catherine avait une arrière-pensée aussi habile que perfide : elle espérait les rendre seuls responsables du sang versé. C'est ce que Tavannes donne à entendre quand il. dit que, croyant tout le parti huguenot consister en sa tête, et espérant par le mariage de sa fille rhabiller tout, elle résout l'exécution, et de se couvrir du prétexte de ceux de Guise dont l'amiral avait aidé à faire tuer le père. Ces mots jettent une certaine lumière sur la date du complot et sur l'époque choisie pour son exécution. Il est probable que l'assassinat devait précéder le mariage, qui eut lieu le 18 août ; mais Maurevel fut obligé d'épier plusieurs jours de suite sa victime.

Constatons ici, une fois de plus, à quel fil léger sont suspendus les plus grands événements. Si, dans la matinée du 22 août, Coligny n'avait pas eu l'idée d'aller voir le Roi en voisin avec des mules éculées, il fût mort ce jour-là, et la Saint-Barthélemy eût été évitée.

Il restait encore à faire divers tournois, écrit l'ambassadeur de Venise ; mais tandis que tout le monde ne songeait qu'à ses plaisirs, le vendredi matin, vers l'heure du dîner, pendant que l'amiral retournait à pied à son logis voisin du Louvre[46], et lisait une lettre tout en marchant, une arquebusade lui fut tirée d'une fenêtre qui commandait la rue un peu obliquement. Mais elle ne fit pas l'effet attendu, qui était de le frapper à la poitrine ; car l'amiral, ayant par hasard des pantoufles aux pieds et marchant un peu difficilement parce qu'elles étaient larges, voulut les ôter pour les donner à un page, et il vint à porter son corps un peu en arrière, de sorte que la balle, après avoir touché et emporté un doigt de sa main gauche, atteignit le bras droit jusqu'au poignet, le traversa de part en part et glissa jusqu'au coude. S'il avait continué sa marche et son mouvement, elle le frappait à la poitrine et l'expédiait.

Lorsqu'on apprit la chose, il y eut, comme on peut le penser, une très-grande émotion partout et surtout à la cour, et tout le monde croyait que c'était M. de Guise qui avait fait tirer pour venger son père, attendu que la fenêtre d'où partit le coup dépendait du logis de sa mère, et que ce logis avait été, dans ce but et à dessein, laissé vacant par madame de Nemours, qui s'était retirée dans un autre[47].

Sur ce dernier point, Michieli est contredit par Salviati, d'accord en cela avec Pierre Matthieu : la maison d'où partit le coup appartenait à Villemur, précepteur du duc de Guise. Au dire de Tavannes, c'était celle de Chailly, maître d'hôtel du duc d'Aumale, oncle de ce prince. Dans tous les cas, son propriétaire tenait de près à la famille de Lorraine. Il paraît, de plus, que le meurtrier s'enfuit sur un cheval tout préparé, sorti des écuries de Henri de Guise. Catherine, comme on voit, n'avait rien négligé pour que les soupçons portassent uniquement sur ses complices : faire égorger Coligny par les Guise, puis les Guise par les amis de Coligny, c'eût été le triomphe de l'art. Et, de fait, il s'en fallût de peu, au dire encore de Michieli, que le jour même, ceux de la religion n'allassent tous en armes au Louvre, où logeait M. de Guise, pour le tuer jusque dans sa chambre. Si on en était venu là, il y avait fort à craindre qu'il s'en fût suivi un furieux combat, et qu'on n'eût pas épargné les frères du Roi, ni le Roi lui-même.

C'eût été bien à tort, car Charles IX fut sincère dans la violente colère qu'il manifesta à la première nouvelle de l'attentat. On sait qu'il jouait à la paume avec le duc de Guise quand elle lui parvint, et qu'il brisa sa raquette en s'écriant : N'aurais-je donc jamais de repos ! Rien n'indique qu'il ait soupçonné sa mère : il mit tout sur le compte de la vieille inimitié des Châtillon et des princes lorrains. Sa lettre à la Mothe-Fénelon, son ambassadeur en Angleterre, témoigne à la fois de cette persuasion et de sa volonté de faire observer strictement l'édit de pacification. C'est dans ce sens encore qu'il écrivit, le jour même de l'attentat, à Dandelot et aux autres gouverneurs de province. Si Henri de Guise ne s'était caché, il l'eût fait prendre sur l'heure ; c'est Marguerite qui nous l'atteste. Une commission d'enquête fut nommée, et il y adjoignit quelques membres protestants ; par ses ordres, Téligny, le gendre de l'amiral, monta à cheval et courut après l'assassin ; un détachement de ses gardes veilla sur la rue où logeait le blessé ; cinquante d'entre eux furent répartis dans deux corps de garde placés près de son hôtel. Enfin il assigna, dans cette rue et dans celles qui l'avoisinaient, des quartiers à la noblesse protestante. Deux cents gentilshommes environ vinrent y chercher asile.

C'estoit une ruse nouvelle pour saccager plus à l'aise les gentilshommes de la religion[48]. Tel fut le cri qui s'éleva le lendemain du massacre.

Non ; toutes ces précautions n'étaient pas des leurres. Les Suisses du roi de Navarre étaient pour le moins aussi nombreux que les gardes royaux préposés à la sauvegarde de l'amiral. Si le Roi avait, à ce moment, médité le massacre des principaux gentilshommes réformés, il eût été beaucoup plus naturel de les tenir isolés que de les réunir et de leur permettre de se prêter main-forte. Certes Catherine joua l'indignation, mais le Roi fut sincère : ce qui le prouve, c'est le langage secret de ses dépêches, d'accord avec son langage public.

La Reine put espérer que le bandeau ne tomberait pas des yeux de son fils, qu'il ne soupçonnerait point sa participation au guet-apens. Elle respira en apprenant que Guise et d'Aumale montaient à cheval pour sortir de la ville, ce que du reste ils ne firent point. Lorsque Charles, après avoir dîné à la hâte, annonça qu'il allait faire visite à l'illustre blessé, qu'Ambroise Paré venait d'opérer dans des conditions très-douloureuses[49], elle voulut accompagner son fils, pensant que, elle présente, aucune accusation ne sortirait des lèvres de sa victime.

Que se passa-t-il alors au fond de l'esprit de l'amiral ? Quels étaient ses véritables sentiments ? Une relation italienne, connue depuis quelques années, jetterait là-dessus quelque lumière, si elle n'émanait pas d'un catholique passionné, intéressé à faire croire aux pensées de vengeance que nourrissait la victime. Aussitôt après l'attentat, le Roi ayant fait dire au blessé qu'il lui offrait un appartement au Louvre, où il serait en sûreté, celui-ci aurait répondu : Je rends très-humblement grâce au Roi, mon seigneur, de l'offre qu'il me fait ; mais qu'il se contente de ce que j'ai, et n'en demande pas davantage[50].

Si ces sinistres soupçons hantèrent, en effet, l'esprit du malade, il paraît prouvé qu'il n'en laissa rien paraître dans la conversation qu'il eut d'abord à haute voix avec sou royal visiteur. Il n'y fut question que de la déloyauté du duc d'Albe, de l'urgente nécessité de commencer la guerre. Mais bientôt, à la demande de l'amiral, le Roi fit un signe : Catherine et d'Anjou durent s'éloigner de quelques pas. Ce qui fut dit dans ce secret entretien est demeuré un mystère, car il est difficile d'accorder une foi entière au récit qu'en a fait Henri III. Encore faut-il dire que les aveux qu'il prête à Charles IX, et que lui et sa mère parvinrent à arracher de ce prince pendant leur retour au Louvre, n'indiquent nullement que l'amiral les ait accusés de participation au crime. Il se serait borné à prémunir le jeune Roi contre les empiétements de sa mère, dont la superintendance, disait-il, devait être grandement préjudiciable à lui et à son royaume, luy conseillant de la tenir pour suspecte et d'y prendre garde.

Eh bien ! mortDieu ! aurait ajouté l'irascible monarque, avec un geste de fureur, puisque vous l'avez voulu savoir, voilà ce que me disait l'amiral.

Il y avait longtemps que Catherine et d'Anjou devaient soupçonner leur vieil ennemi de donner secrètement au Roi de pareils conseils. Mais ce qu'il y eut de nouveau pour eux, ce fut la passion et l'espèce de fureur menaçante que ce dernier mit à les leur répéter. Ils demeurèrent, dit le discours de Cracovie, dépourvus de conseils et d'entendement, au point qu'ils remirent au lendemain à délibérer sur les moyens d'échapper aux périls de la situation.

 

IX

Si le récit attribué au duc d'Anjou mérite confiance, il est une preuve bien forte qu'à la date du 22 au soir, l'idée du massacre n'était point encore arrêtée dans la tête de ses auteurs. Sur ce point capital, les documents publiés depuis quelques années ne contredisent pas le témoignage de ce prince, corroboré par celui de sa sœur Marguerite.

Bien plus, cette tentative d'assassinat individuel est la preuve sans réplique qu'on n'était pas résolu à étendre le massacre aux coreligionnaires de la victime. C'est ce qu'a fort bien vu l'ambassadeur Cavalli : Si avant le coup d'arquebuse, écrit-il, on avait eu la pensée d'exterminer les huguenots, il était facile de le faire sans s'exposer follement à mettre en fuite ceux qu'à tout prix on voulait perdre[51]. Il n'y a rien à objecter contre cet argument. N'est-il pas clair en effet que frapper le chef des calvinistes deux jours avant l'heure fixée pour l'extermination générale, eût été la plus insensée des combinaisons ? C'est à peu près comme si l'on tirait un coup de fusil dans une compagnie de perdreaux, au moment où l'on médite de la prendre au filet.

Le 23 au matin encore, dans l'entrevue de Catherine avec le duc d'Anjou, il n'y eut d'autre plan arrêté que d'en finir avec l'amiral par quelque moyen que ce fût, et de convertir le Roi à cette résolution[52]. Et c'est ici que se dresse, dans cette ténébreuse machination, la question délicate entre toutes, celle que catholiques et protestants ont le plus vivement débattue. Les dangers que le coup qui venait de manquer faisait courir à la famille royale et à la paix publique étaient-ils tels qu'il fallût, pour y parer, recourir à une mesure d'extermination générale et soudaine ? Les protestants étaient-ils assez nombreux et assez puissants pour que ce danger fût imminent et sérieux ? Allait-on se trouver en présence d'un vaste soulèvement déjà combiné, et fallait-il le prévenir ? En un mot, la Saint-Barthélemy fut-elle, comme l'a écrit Famiano Strada, le supplice mérité d'une conjuration ourdie contre le Roi[53] ?

C'est bien là, en effet, le thème que Catherine développa dès le début de la conférence tenue dans l'après-dîner du 23, en présence du Roi, et à laquelle six autres personnes furent appelées : le duc d'Anjou, Angoulême, frère naturel de Charles IX ; le maréchal de Tavannes, et trois Italiens : le chancelier de Birague, Ludovic de Gonzague, duc de Nevers, et Albert de Gondi, duc de Retz. Catherine, au dire du duc d'Anjou, exposa que les huguenots prenaient les armes : des dépêches venaient d'être expédiées par leurs chefs pour lever dix mille reîtres et autant de Suisses ; les capitaines calvinistes partaient en ce moment même pour faire des levées dans le royaume ; les lieux de rendez-vous étaient déjà désignés. Les catholiques, ne comptant plus sur le Roi, étaient résolus à élire un capitaine général et à faire entre eux une ligue offensive et défensive. Le Roi demeurerait seul entre les deux partis, sans puissance ni autorité.

Les documents extraits des archives de Florence.et de Venise donnent des renseignements assez précis, bien que contradictoires en plusieurs points, sur ce prétendu complot des réformés ; mais il faut se souvenir que leurs auteurs aussi bien que leurs destinataires sont des agents de puissances intéressées à noircir les victimes, afin de blanchir les bourreaux.

Ils firent dire à leurs coreligionnaires de se tenir prêts, et, à un jour fixé, qui serait le premier mardi d'après, c'est-à-dire le 26, un certain nombre de cavaliers devaient arriver à Paris, qui, joints à ceux qui s'y trouvaient déjà, devaient compléter le nombre de quatre mille. Leur intention était de s'emparer du Louvre et de se laver les mains dans le sang des auteurs du crime, conseillers, complices et meurtriers : c'était pour eux comme un devoir. Piles, le spadassin, devait s'emparer de la porté ; Monino assassinait Guise ; Briquemaut égorgeait Nevers, sa femme et ses fils. Après s'être ainsi partagé la tâche, ils faisaient de nouvelles Vêpres siciliennes ; il y a lieu de croire qu'ils n'auraient pas même respecté le sang royal, puisque c'était Monseigneur (d'Anjou) et la Reine qu'ils redoutaient le plus.

Cette entreprise leur était facile, parce que quatre-vingts vaillants gentilshommes avaient leurs chambres à coucher en différentes parties du château, sous prétexte qu'ils étaient nécessaires au service du roi de Navarre, du prince de Condé et des autres seigneurs calvinistes. Ces gens-là auraient surpris les gardes, et tué à l'improviste la meilleure et la plus grande partie des victimes désignées[54].

Tel est le récit transmis à Florence par un ardent catholique, à la date du 27 août, le lendemain du jour où Charles IX porta devant le Parlement des accusations semblables à celles que contient cette lettre. Écoutons maintenant la relation vénitienne.

Selon Michieli, le complot aurait été dénoncé, dans la journée du 23, par un gentilhomme de Picardie, nommé Bouchavannes. Ce traître serait venu secrètement révéler au Roi et à la Reine l'ordre donné aux huguenots d'avoir à rassembler à Meaux, pour le 5 septembre, toutes leurs forces, tant d'infanterie que de cavalerie, pour se faire rendre raison par les armes, pendant que le Roi se trouvait désarmé, de l'outrage fait à l'amiral... Ceci, ajoute l'ambassadeur vénitien, est la conspiration dont le Roi a ensuite, au Parlement, affirmé la découverte, conspiration ourdie contre lui, sa mère et ses frères ; et pour rendre la chose encore plus odieuse, il y a ajouté son beau-frère, le roi de Navarre[55].

Ce Bouchavannes avait assisté, en effet, aux tumultueuses délibérations des amis de l'amiral dans la soirée qui suivit l'attentat, et lui seul était demeuré silencieux[56]. Il avait vu de près la consternation des uns, l'irritation des autres : ceux-ci voulaient qu'on transportât tout de suite le blessé à Châtillon ; ceux-là, qu'on quittât Paris en masse, voyant dans cet assassinat, comme le dit le vidame de Chartres, le premier acte d'une tragédie qui finirait par leur massacre à tous ; les plus jeunes parlaient de vengeance, mais leurs menaces s'adressaient surtout aux ducs de Guise et d'Aumale. Il se peut que de tous ces projets combinés et amplifiés, le traître ait composé sa dénonciation, qui parait certaine, à en juger par l'exécration à laquelle les réformés vouèrent sa mémoire. Ce qu'il passa sous silence sans doute, c'est l'assurance donnée par Téligny que le souverain allait faire justice du duc de Guise ; c'est la confiance dans cette promesse manifestée par Coligny et ses plus sages capitaines, et dont témoignent les lettres écrites à leurs amis des provinces, pour qu'ils restassent calmes.

Admettons pourtant qu'il eût dit vrai, et qu'en effet une prise d'armes ait été secrètement ordonnée pour le 5 septembre. La cour avait alors douze jours devant elle pour préparer la résistance. Elle pouvait armer rapidement Paris et les provinces, faire arrêter et traduire en jugement les chefs réunis dans la capitale. Elle n'était pas sous l'imminence d'un de ces coups de main qu'il faut déjouer, coûte que coûte, par un coup d'audace pareil. C'est ce qu'Élisabeth sut très-bien répondre aux misérables excuses que La Mothe-Fénelon lui balbutiait au nom de son maître : S'il y avait complot, il fallait livrer les coupables à la justice.

Le maréchal de Tavannes, dont le fils nous a transmis les souvenirs, dit bien que la guerre fut considérée comme infaillible, et qu'il valait mieux gagner une bataille dans Paris, où tous les chefs étaient, que de la mettre en doute dans une dangereuse et incertaine guerre[57]. Mais il ne parle point d'un complot déjà combiné et organisé, d'accord en cela avec le nonce Salviati, mieux informé vraisemblablement que les autres ambassadeurs italiens, et qui n'attribue la fatale décision qu'aux agissements arrogants des calvinistes, aux propos insolents que quelques-uns d'entre eux tinrent à la Reine[58]. Ce que Tavannes appelle la résolution de nécessité naquit, selon lui, de l'imprudence des huguenots, des folles menaces auxquelles se livraient les plus exaspérés, et surtout des terreurs de Catherine.

 

X

La peur ! Telle est la véritable explication de la Saint-Barthélemy. D'un moment à l'autre, tout pouvait s'éclaircir, Qu'on mît la main sur Maurevel, qu'on arrêtât Guise, ils parleraient, ils nommeraient la Reine et d'Anjou. Qu'arriverait-il alors ? Tout le jour, les plus exaltés parmi les huguenots, les enfants terribles du parti, avaient parcouru les environs de l'hôtel de Guise, brandissant leurs' épées et poussant des cris farouches. On a vu déjà, par la relation de Michieli, qu'ils délibérèrent un moment d'aller jusque dans le logis du Roi chercher le jeune duc qu'ils croyaient au Louvre. Ce fut Briquemaut qui les en dissuada. Voilà, selon toute apparence, à quoi se réduisait le complot. Ce n'était pas là cette vaste conspiration, sorte de paratonnerre inventé après coup ; mais c'était une collision, sinon certaine, au moins vraisemblable.

Ces provocations, écrit M. Alfred Maury, ont certainement poussé Catherine, le duc d'Anjou et leurs familiers à frapper les chefs du parti huguenot ; ils voulurent prévenir dans Paris un mouvement des protestants qui n'aurait pu être arrêté, sans mesures répressives et du sang versé, que par la punition exemplaire de l'attentat dirigé contre Coligny, châtiment auquel la part qu'ils avaient prise dans le crime les rendait fort opposés[59].

La situation était pressante et pleine d'embarras. Cette collision, dont la peur grossissait encore les périls, il fallait en faire mesurer au Roi la portée et l'imminence, et, pour cela, lui dévoiler toute la vérité, avouer que sa mère et son frère avaient trempé dans l'attentat.

C'est ce qu'on n'osa point tout d'abord : Tavannes et Marguerite sont d'accord sur ce point. Selon Marguerite, l'ex-Régente essaya de justifier auprès du Roi la tentative d'assassinat commise par M. de Guise, en représailles du meurtre de son père. Mais Charles ne voulut rien entendre, tant il était pleinement acquis à l'amiral. Tavannes ajoute qu'il jura, protesta de son mécontentement, envoya de nouveau prendre des nouvelles du blessé, lui promettant justice exemplaire : il fait même remarquer que cette colère n'était pas feinte. Nul conseil de longue haleine ne se cèle à la cour... la résolution de tuer l'amiral et tous les chefs du parti ne se fût pas exécutée sans être découverte, si elle eût été préméditée.

Le soir, au souper de la Reine, Pardaillan la regarda de travers et dit tout haut que justice serait faite si le Roi ne la faisait. D'autres, parmi lesquels le capitaine Piles, le hardi défenseur de Saint-Jean-d'Angély, se livrèrent à des bravades non moins imprudentes, concluant d'un air superbe que si l'amiral perdait un bras, il en restait une infinité d'autres qui feraient perdre la vie à tant de gens que les rivières du royaume rouleraient des flots de sang[60]. Ainsi menacée en face, la Reine prit son parti. Elle se décida à faire ouvertement entendre au Roi la vérité de tout et le danger où il était, par M. le maréchal de Retz, lequel le vint trouver en son cabinet, le soir, sur les neuf ou dix heures[61].

Voilà, selon toute apparence, l'ordre et l'enchaînement des faits préliminaires. Il en résulte qu'à ce moment, qui ne précéda le massacre que de quelques heures, Charles IX était encore ignorant de la terrible responsabilité qui pesait sur sa mère, et que l'opinion publique allait nécessairement étendre jusqu'à lui. Sans doute il était maître encore de la situation, mais cette situation n'en était pas moins la plus épineuse qui se puisse imaginer. Sévir contre les princes lorrains, au milieu de cette ville si prompte à s'enflammer, c'était soulever des colères dans les chaires, des tempêtes dans les masses, alors profondément catholiques ; c'était, de plus, dévoiler aux yeux de tous le crime de sa mère, que Guise n'eût pas manqué de révéler. Frapper, comme on le lui proposait, Coligny et ses principaux adhérents, ce n'était pas seulement manquer à sa foi jurée : ce n'eût été là qu'un jeu pour cet esprit perfide qui érigeait en maxime d'État la mauvaise foi des princes ; c'était renoncer à ses visées d'ambition et de guerre étrangère ; c'était assurer la prédominance du duc d'Anjou et des Guise ; c'était surtout fournir un légitime prétexte aux violences des réformés. Si l'on prenait le premier parti, on avait affaire à une émeute catholique ; si le second, à un soulèvement calviniste. Charles opta à la fin pour ce dernier, qui offrait en effet moins de dangers immédiats. Mais comment, dans quelle mesure l'y décida-t-on ?

Il s'en faut de beaucoup que la critique moderne, je parle de la plus récente, soit parvenue à dissiper les ténèbres qui couvrent cette fatale journée du 23 août et la nuit plus fatale encore qui la suivit. Tout ici est plein d'obscurités et de contradictions. Les relations que nous ont laissées trois des personnages mêlés ou initiés aux délibérations ne s'accordent ni sur l'heure, ni sur le nombre des sinistres conciliabules où se débattaient l'honneur et les destinées du pays, ni même sur le langage de ceux qui y prirent part.

Il importe assez peu que l'entretien du matin ait eu lieu, comme le raconte le duc d'Anjou dans son discours de Cracovie, entre lui et sa mère seulement, ou qu'ils y aient ensuite appelé leurs conseillers italiens ; qu'il ait eu pour théâtre l'appartement de la Reine ou le jardin des Tuileries. Ce qui est plus grave, parce que cela influe sur la question de la préméditation, c'est de savoir s'il n'y eut qu'une seule conférence tenue en présence du Roi, ou si les conspirateurs, ayant échoué dans cette première tentative, revinrent à la charge dans la soirée, en sorte que la résistance n'aurait été vaincue et le fatal consentement obtenu que vers les dix heures.

M. Henri Martin, qui combine dans un récit très-habile-ment mouvementé les principales relations, opte pour le premier système : il suit la version du duc d'Anjou, peu empressé naturellement à enregistrer la lutte désespérée, pleine de honte pour sa mère et lui, qu'il dut livrer au Roi. M. Michelet ne s'y est pas trompé : il a même été jusqu'à préciser les heures des deux entrevues[62]. Cette opinion, outre qu'elle s'appuie sur l'autorité de Tavannes et de Marguerite de Valois, a ce mérite qu'elle est, bien mieux que celle qu'a embrassée M. Henri Martin, en harmonie avec le réel attachement que le Roi portait alors à Coligny, avec l'irritation nullement jouée qu'il avait témoignée du crime de Maurevel, avec les précautions qu'il prit encore dans cette journée du samedi pour la sécurité du blessé, avec les visites qu'il lui fit faire par plusieurs gentilshommes[63], avec les lettres enfin qu'il avait expédiées la veille dans les provinces.

Le texte de Tavannes indique clairement qu'il y eut deux conférences tenues en présence du Roi. Le fils du maréchal, collecteur attentif de ses souvenirs, nous apprend qu'après les tentatives infructueuses pour vaincre les répugnances de Charles IX, le conseil fut de nouveau rassemblé. Marguerite est plus précise encore. Elle nous montre Catherine échouant dans tous ses efforts pour persuader le Roi, remettant en vain sous ses yeux le meurtre de Charry dont elle accuse l'amiral, celui du grand Guise qui rendoit son fils excusable ; la détestable conseillère ne triomphe point de l'obstination du malheureux adolescent : il persiste à dire qu'on cherche M. de Guise, et qu'il ne vouloit pas qu'un tel acte demeurât impuny[64]. C'est seulement entre neuf et dix heures du soir qu'on se résigne à lui avouer toute la vérité.

 

XI

Nous ne sommes pas au bout des contradictions. Dans le récit de Cracovie, le maréchal de Retz, ce malfaisant précepteur qui avait perverti la jeunesse du Roi, Retz trompe l'attente générale. Il montre, en nobles paroles, tous les dangers du plan projeté, la confiance qu'on doit avoir en la foy publique et à celle de son Roy à jamais perdue, la guerre civile imminente, l'intervention étrangère à la suite, et des calamités, dit-il, dont nos enfants ne verront jamais la fin[65]. Chez Tavannes, au contraire, c'est Retz qui ouvre l'avis le plus violent — Brantôme, qui trace de cet Italien un assez vilain portrait, affirme, en effet, que ce fut lui qui fit décider l'œuvre de sang —. C'est Tavannes qui range le conseil à des vues plus modérées et qui obtient la vie du roi de Navarre et du prince de Condé[66].

Dans la relation du duc d'Anjou, le Roi se décide brusquement ; il s'opère en lui une soudaine mutation, une merveilleuse et étrange métamorphose. Il est pris d'une sorte de vertige furieux. Par la mortDieu ! puisque vous trouvez bon qu'on tue l'amiral, je le veux, mais aussi tous les huguenots de France, afin qu'il n'en demeure pas un qui puisse me le reprocher après. Donnez-y ordre promptement ! Là-dessus, il sort de son cabinet où, dit le narrateur, nous avisâmes le reste du jour, le soir et une bonne partie de la nuit, ce qui sembla à propos pour l'exécution d'une telle entreprise.

Comment tant d'historiens qui s'attachent obstinément à cette version, ne voient-ils pas qu'elle est combinée de façon à décharger le plus possible le narrateur et à faire retomber sur le Roi seul, qu'il détestait, tout le poids de la terrible détermination ? Sans croire, avec M. Ranke, que le discours du roi Henri III, publié pour la première fois sous Louis XIII, soit une pièce apocryphe et dérivée d'une autre source, il faut admettre au moins qu'elle est controuvée dans plusieurs de ses parties.

De ce subit accès de fureur dont Charles IX aurait été saisi, on ne trouve trace ni dans le récit de Tavannes, ni dans celui de Marguerite, ni dans la relation récemment publiée de l'ambassadeur Cavalli.

Ce dernier, qui place lui aussi la conférence dans la soirée, nous apprend que le Roi résista pendant une heure et demie. Il fallut, pour emporter son assentiment, que sa mère lui déclarât que, s'il ne l'accordait, elle allait sortir de France[67]. C'était la menace qui avait déjà si bien réussi à Montpipeau. Elle partie, les catholiques éliraient un capitaine général. Le nommer était inutile : Charles comprit bien que ce serait son frère. Terrible alternative que Matthieu résume en un mot énergique : Soyez du jeu, ou il se fera sans vous ![68] Marguerite se borne à dire que le Roi prit soudain la résolution de se joindre à la Reine sa mère et de se conformer à sa volonté. Dans sa narration, d'accord en ce point avec celle de Tavannes, mais en contradiction avec le duc d'Anjou, le Roi ne sort pas de son cabinet ; il ne va pas, pendant plusieurs heures, forger dans une cave[69] ; il ne reste pas étranger à la fin des délibérations. Loin de là, il envoie chercher Henri de Guise et tous les autres princes et capitaines catholiques[70] ; tous sont d'avis d'agir à l'heure même.

Faut-il croire qu'à ce moment suprême, en face de tout ce sang qui allait couler, Catherine ait été prise d'une subite appréhension ? Comme femme craintive, elle se fût volontiers dédite, sans le courage qui lui fut redonné des capitaines[71]. D'après les Mémoires de l'État de France[72] et le Réveille-Matin des Français[73], il était alors minuit. Une autre version veut que ce soit le Roi qui, à cette heure, soit subitement revenu sur son consentement. Il éclatait en imprécations contre son frère ; il parlait d'appeler auprès de lui les huguenots pour défendre sa vie, qu'il jugeait menacée. Il est trop tard, aurait répondu sévèrement la Reine mère ; revenir sur ce que vous avez ordonné, c'est perdre la plus belle occasion que Dieu ait donné à l'homme de se délivrer de ses ennemis. Le mot de lâcheté fut même articulé. Ce mot lui alla au cœur ; il prit feu tout à coup[74].

Ainsi, jusqu'au dernier moment, il fallut faire violence à cette âme où l'amitié et la haine, la peur et le sentiment du juste se livraient de terribles combats. Il résista, il se débattit contre la contrainte morale qu'on lui imposait ; il ne céda que sous le fouet de l'insulte, sous le coup de la blessure faite son orgueil. Que cette longue lutte lui soit comptée, et qu'elle atténue un peu l'éternelle réprobation qui pèse sur sa mémoire !

Il paraît certain cependant que les ordres au prévôt des marchands sortirent de sa bouche. Les registres du bureau de la ville de Paris en font foi. Ils attestent tout ensemble que le prévôt Le Charron fut mandé au Louvre, au soir, bien tard, et que ce fut Charles lui-même qui prescrivit les mesures à prendre. Le Roi lui déclara, en présence de sa mère, de son frère et d'autres princes et seigneurs, qu'il venait d'être averti d'une conspiration des huguenots contre sa personne et son royaume, et voulait pourvoir à sa sûreté et à celle de la ville. En conséquence, le prévôt reçut injonction de fermer les portes, de faire attacher à la rive droite de la Seine tous les bateaux de la rive gauche, d'appeler sous les armes les capitaines et bourgeois des quartiers, lesquels se tiendraient prêts, dans les cantons et carrefours, à recevoir et exécuter les ordres de Sa Majesté. L'artillerie urbaine serait disposée sur la place de Grève pour être prête à défendre l'Hôtel de ville et à marcher où le Roi l'enverrait. Les mandements aux capitaines et quarteniers, délivrés par le prévôt en conséquence de ces ordres, sont datés du 24 : c'est qu'il était minuit passé quand ils furent expédiés. L'aurore du jour néfaste allait se lever.

En présence d'un procès-verbal si formel, comment admettre, avec M. Georges Gandy, que le Roi ne se soit mêlé qu'indirectement aux préparatifs de la Saint-Barthélemy[75] ? M. Gandy fait remarquer que les ordres donnés par Le Charron et attestés par les registres municipaux sont en contradiction avec ceux qui, suivant Michieli, furent donnés à l'ancien prévôt Marcel, auquel on commanda, non pas de rassembler les chefs de quartier et les bourgeois dans les carrefours, mais de faire prescrire par des chefs que, cette nuit même, un homme par maison se tint prêt avec ses armes et des torches.

La contradiction est formelle, en effet, et vaut la peine qu'on s'y arrête.

Selon toute vraisemblance, Catherine et d'Anjou n'attendirent point l'assentiment définitif du Roi pour mettre la main à l'œuvre ; autrement, le temps leur aurait manqué, puisque ce consentement ne fut arraché qu'entre onze heures et minuit. A ce moment, ils s'étaient déjà assuré le précieux concours de Marcel.

Bien plus influent que son successeur Le Charron, l'ancien prévôt des marchands remuait à volonté les basses couches du peuple ; il dominait aux halles et dans certains métiers et certaines confréries. C'est l'éternelle histoire des grands agitateurs populaires. Ainsi que d'Anjou l'avoue lui-même, Marcel répondit de ceux qu'on pensait les plus factieux. Le récit de Michieli ne suppose point absolument la présence du Roi à l'espèce d'interrogatoire qu'on lui fit subir ; il dit seulement qu'au moment où Marcel comparut devant Catherine et son second fils, le Roi était déjà gagné à leur plan ; mais il peut y avoir erreur sur ce détail secondaire, de même qu'il y a erreur certaine sur la fonction attribuée à Marcel.

Le Roi gagné par la Reine et par son frère, on fit venir sans retard le prévôt des marchands de Paris, Marcel (il aurait fallu dire l'ancien prévôt), homme d'exécution dans lequel il avait une très-grande confiance. On lui demanda sur combien d'hommes il pouvait compter, s'il arrivait que le Roi eût besoin des hommes de Paris pour un certain service. Il répondit que cela dépendait du temps plus ou moins long qu'on aurait pour se préparer.

On lui dit :Dans un mois ?

Plus de cent mille, dit-il, et même autant que le Roi en voudrait.

Et dans une semaine ?

A proportion de ce nombre.

Et dans une journée ?

Vingt mille et plus, dit- il[76].

 

XII

Les hommes de Paris dont parlait Marcel, ce sont les volontaires du désordre, les soldats habituels de l'émeute. Les ordres donnés à Le Charron s'adressaient aux bourgeois régulièrement enrégimentés, aux capitaines, lieutenants, enseignes et bourgeois des quartiers, comme en témoignent les registres de l'Hôtel de ville. Ceux-là, on savait leur nombre par les contrôles ; on n'avait pas à s'informer de la quantité plus ou moins grande qu'on en pourrait réunir en un mois, une semaine ou un jour. Que les ordres dictés par cette milice régulière n'aient été que préventifs, comme le dit M. Gandy, c'est là un fait exact ; mais on se réservait de lui en donner d'autres, puisqu'on lui commanda de se tenir prête à exécuter ces nouveaux ordres. Il parait d'ailleurs que, vers minuit, Guise arriva sur la place de Grève, aux acclamations des bourgeois qui commençaient à s'y réunir, et les harangua : La volonté du Roi, leur aurait-il dit, est qu'on extermine les rebelles huguenots qui sont comme en prison dans notre ville : le signal sera quand l'horloge du palais sonnera la grande cloche, au point du jour.

Si l'on met ce fait en suspicion, comme étant de source protestante, nous ferons remarquer que le procès-verbal de l'Hôtel de ville ne mentionne pas tous les ordres directement émanés du Roi. Le Charron y parle de plusieurs autres commandements par luy faits (par le Roi) tant au dict sieur Prévost des marchands particulliairement que à luy et ausdicts sieurs eschevins[77]. Selon Brantôme, narrateur suspect, il est vrai, et qui ne rapporte d'ailleurs le fait que sur ouï-dire, Le Charron recula d'horreur à l'audition de ces ordres secrets et se récusa. Sur quoi Tavannes l'aurait menacé de mort[78].

Mais admettons que les ordres à Le Charron, aussi bien ceux qui demeuraient secrets que ceux qui sont consignés au registre, n'eussent pas d'autre but que de parer à une sédition très-problématique des réformés, ceux que reçut Marcel avaient-ils le même caractère ? Pourquoi faire appel aux corps francs du pillage et du meurtre ? N'est-ce pas que Catherine et d'Anjou se défiaient de la bourgeoisie ? La résistance de Le Charron, les retards apportés dans l'expédition des mandements aux capitaines et quarteniers prouvent assez que cette méfiance n'était pas sans fondement. Quand ces mandements parvinrent à leur destination, le sang coulait déjà depuis plusieurs heures. Le premier acte de la Saint-Barthélemy n'a donc rien à faire, ni avec les passions de l'Hôtel de ville, ni avec l'effervescence des masses catholiques[79].

M. Soldan, à qui ces paroles sont empruntées, ajoute ailleurs : Ce ne sont pas les ordres partis de l'Hôtel de ville, c'est uniquement l'exemple des troupes royales qui entraîna la populace au pillage et au meurtre[80]. Ce dernier point seul est sujet à contestation, car la populace ne se décida pas uniquement par l'exemple, puisqu'on avait pris soin de la faire prévenir et diriger par Marcel.

On se défiait tellement des bourgeois, qu'on n'en appela qu'un petit nombre sous les armes ; encore Tavannes remarque-t-il que, du peu de Parisiens avertis, il en manqua la moitié[81]. Guise en fut étonné quand il arriva sur la place de l'Hôtel-de-Ville. Je doute fort que ces troupes régulières aient reçu de Marcel l'ordre d'arborer le mouchoir blanc au bras gauche et la croix blanche au chapeau : elles n'avaient pas besoin de ce signe de reconnaissance, d'autant que le jour se levait quand elles se trouvèrent réunies en nombre un peu respectable. C'est seulement à ses pillards que Marcel dut faire prendre cet emblème.

Les capitaines, en petit nombre, qui se rendirent à l'appel, n'étaient pas tous des fanatiques sanguinaires, comme le libraire Kœrver, l'orfèvre Crucé et ce pédagogue envieux qui tua Ramus. La milice bourgeoise a toujours aimé à discuter les ordres qu'elle reçoit. Beaucoup pouvaient alléguer les termes de leur mandat qui consistait à prendre les armes pour le repos et sûreté de la ville, et s'en tenir là. Ils pouvaient prévoir, ce qui arriva en effet, qu'une fois la multitude déchaînée, elle ne se bornerait pas au pillage des maisons calvinistes. Avant de préserver le Roi, il fallait se préserver soi-même. Ajoutons que les bourgeois n'étaient pas au mieux avec les troupes royales. Un arrêt du conseil, en date du 30 août, prouve qu'au sujet des pillages il survint des différends entre les officiers du Roi et ceux de la Maison de ville[82]. Toutes ces raisons expliquent pourquoi Catherine et d'Anjou songèrent d'abord aux hommes de Marcel. Ceux-là n'avaient pas grand'chose à risquer ni à perdre. Ils n'en remplirent pas mieux leur mandat. Chargés par leur chef d'exterminer les protestants du faubourg Saint-Germain, ils s'attardèrent au pillage et laissèrent échapper une partie de leur proie, en particulier deux hommes à la mort desquels la cour attachait le plus grand prix, le vidame de Chartres et Montgommery, celui qui avait tué Henri II dans un tournoi.

Dans le doute où l'on était sur la conduite que tiendraient les échevins et la milice urbaine, l'adjonction des sacripants de Marcel aux troupes royales, spécialement chargées de la tuerie des gentilshommes, dut donc s'imposer comme une nécessité. Sans cet appel aux basses classes, les réformés auraient été en mesure de lutter contre leurs bourreaux. En dehors de la milice urbaine, de quelles forces régulières disposait-on ? On avait sous la main les 1,200 arquebusiers entrés à Paris deux jours avant le mariage de Marguerite, les archers de la garde, les Suisses royaux originaires des petits cantons, lesquels, à la différence de ceux du roi de Navarre, étaient tous catholiques, et les gens d'armes appartenant aux Guise et venus à leur suite. Tout cela ne faisait pas quatre mille hommes. Les Mémoires de l'État de France sous Charles IX prétendent qu'il y avait en outre quelques compagnies nouvellement introduites dans Paris, fait qui n'est pas certain.

Mais huit cents gentilshommes huguenots avaient suivi leur chef dans la grande cité[83] ; ils comptaient de nombreux serviteurs ; Coligny et les deux princes avaient un grand train de maison, des gardes, des gentilshommes ; ils pouvaient appeler à leur aide les bourgeois et les artisans qui professaient leur religion et qui étaient revenus habiter Paris depuis l'édit de pacification ; leur nombre, selon Pierre Matthieu, s'élevait à huit mille. On avait à craindre, de plus, que tout le parti modéré, que les politiques qui inclinaient au calvinisme, ne prissent fait et cause pour leurs amis. Si, comme le bruit en courut, Montmorency, qui, le lendemain du mariage, alla prudemment chasser à Chantilly, était rentré dans Paris le 24 août à la tête d'une forte troupe, les choses auraient bien changé de face[84]. C'est même cette crainte habilement exploitée qui surexcita les métiers et les confréries.

Même sans cette intervention armée qui n'est guère dans l'habitude des modérés d'aucun temps, les réformés, s'ils avaient été prévenus à temps, eussent été assez forts pour organiser la résistance et vendre chèrement leur vie. Par toutes ces considérations, le mystère des préparatifs, la soudaineté du coup et l'appel à la multitude étaient les conditions indispensables du succès. Que les bourgeois restassent en armes devant l'Hôtel de ville, pour qu'on pût recourir à eux en cas d'absolue nécessité, voilà tout ce qu'on leur demandait. Quant aux hommes de Marcel, il fallait les tenir consignés dans leurs maisons, tout prêts à en sortir à un signal convenu. Et l'on voit par là comment les ordres donnés à l'agitateur Marcel et ceux dictés au pacifique Charron ne sont point aussi contradictoires qu'ils le paraissent.

On a souvent imprimé que les maisons habitées par les calvinistes furent notées d'avance, et que les magistrats municipaux avaient, en vertu du commandement de la cour, fourni l'état de ces maisons[85]. Ce fait semble démenti par les registres de l'Hôtel de ville. On trouve sur ces registres, mais à la date du 25, c'est-à-dire après les représentations faites au Roi par les échevins, un ordre à ces derniers de faire le relevé des huguenots logés dans les maisons de la ville et des faubourgs, avec injonction au maitre de ces maisons de veiller, sous peine de la vie, à la sûreté de ceux qui les habitaient. C'était donc là une mesure protectrice et non pas comminatoire. Si ce recensement avait été fait la veille du massacre, il n'eût pas été nécessaire de l'ordonner le lendemain[86].

 

XIII

Si ce coupable déchaînement des aveugles fureurs populaires ne prouve rien en faveur de la longue préméditation de l'attentat, du moins donne-t-il lieu de penser qu'au dernier moment on ne le restreignit point au sacrifice de cinq ou six têtes principales, et qu'on envisagea sans reculer la perspective d'un massacre général. Certes, si l'on s'en rapporte au témoignage de Tavannes, les chefs seuls devaient être frappés. On avait même fait un département des quartiers de la ville, distribué les rôles entre les égorgeurs et désigné nominativement à quelques-uns d'eux les victimes qu'ils devraient frapper ; le jeune Guise s'était réservé Coligny[87]. Catherine répéta souvent qu'elle ne prenait sur sa conscience que le sang dé six des morts.

Mais la Reine et Tavannes avaient trop intérêt à se disculper pour être crus sur parole. Comme le dit très-justement M. Soldan, était-on sûr de frapper les six têtes désignées au meurtre sans passer par-dessus des monceaux de cadavres ? Savait-on si l'on pourrait arrêter à temps les passions déchaînées des soldats et des masses ? Il n'est pas possible que Catherine, cette femme si perspicace, ne se soit pas posé ces redoutables questions.

Sans doute l'œuvre sanguinaire dépassa en étendue et en violence celle qu'elle avait rêvée. Pour l'unique but auquel elle tendit, la conservation de sa prépotence, elle n'avait pas besoin d'un massacre général ; les inextricables embarras qu'il allait lui créer devaient lui sauter aux yeux. Si Maurevel n'avait pas manqué son coup, et si ce coup eût assez épouvanté les réformés pour qu'ils se tinssent tranquilles, elle n'eût pas demandé d'autres têtes. Si l'amiral fût mort de ses blessures, écrit Pierre Matthieu, le malheur de son parti se fût en allé avec lui[88]. C'est ce qu'attestait le nonce Salviati le jour même du massacre ; c'est ce qu'il répéta encore, et en termes plus précis, dans une dépêche chiffrée en date du 22 septembre[89]. Même après l'attentat manqué, Catherine n'alla pas tout d'abord au delà de ses premières intentions : la lettre de Philippe II resta sa règle de conduite. Ce n'est que dans la soirée, et sans doute en observant les violentes démonstrations des capitaines appelés au conseil, qu'elle entrevit l'impossibilité de limiter ainsi le carnage. Dans le récit fait par son fils à Cracovie, elle ne réclame de prime abord que le sacrifice de deux ou trois hommes. Mais quand le Roi, abondant avec fureur dans le sens des sinistres conseillers, a ordonné la grande tuerie, elle travaille aussitôt à la préparer. Si le langage mis dans la bouche du Roi est de pure invention, les préparatifs n'en restent pas moins très-réels et conformes à ce langage.

Ce n'était pas apparemment pour qu'elles veillassent sur la paix publique, qu'on prescrivait aux bandes de Marcel de se munir d'armes et de torches. Tavannes aura beau dire que la résolution de tuer les chefs seulement fut enfreinte, le Roy ni ses conseillers, ne pouvant retenir les armes qu'ils avaient débridées ; si cette résolution eût été sérieuse, on eût égorgé sans doute les personnages influents qui habitaient le Louvre ; on comprendrait le meurtre de Beauvais, de Piles, de Pardaillan, mais non pas celui d'obscurs gentilshommes, tels que ce malheureux qui, tout sanglant, vint se jeter sur le lit de Marguerite et se faire un rempart de son corps ; tels que ce vieillard, nommé Briou, qui n'avait jamais quitté le jeune prince de Conti, frère de Condé, lequel, ayant passé les quatre-vingts ans et blanc comme neige, fut poignardé ayant à son col cet enfant qui mettoit ses petites mains en avant des coups. Ceux qui déshonoraient ainsi l'hospitalité royale, ce n'étaient pas des envahisseurs venus du dehors et semant la mort avec l'aveugle fureur d'un torrent déchaîné ; c'étaient des soldats habitués à la discipline, des Allemands à tête carrée, froidement impitoyables. Quel que fût l'emportement de ces troupes régulières, elles se seraient arrêtées devant un ordre du duc d'Anjou, leur lieutenant général.

Qu'on lise avec soin la fin de ce récit fait en Pologne, dans une nuit (l'insomnie et de remords : il y a là un aveu significatif. Comme le jour se levait, la Reine et ses deux fils, qui n'ont pris que deux heures de repos, veulent voir le commencement de l'exécution. Ils se rendent dans une chambre qui regardait la place de la basse-cour. Un coup de pistolet se fait entendre. Au milieu du silence solennel de la nuit, ce bruit qui roule au loin dans les longs corridors du Louvre, les fait tressaillir d'anxiété et de terreur. En un instant, ct pour la première fois, ils mesurent toutes les conséquences de l'horrible entreprise à laquelle, dit d'Anjou, nous n'avions encore guère bien pensé : mot trop naïf pour n'être pas vrai. Ils envoient en toute hâte un gentilhomme au duc de Guise pour lui commander qu'il se retirât en son logis et se gardât bien de rien entreprendre sur l'amiral, ce seul commandement faisant cesser tout le reste, parce qu'il avait été arrêté qu'en aucun lieu de la ville il ne s'entreprendroit rien qu'au préalable l'amiral n'eût été tué. Il était trop tard ; le gentilhomme reparaît bientôt, annonçant que Coligny vient d'être jeté par la fenêtre de sa chambre à coucher, et qu'on commençait l'exécution par toute la ville. Ainsi retournasmes à nostre première délibération, et peu après nous laissâmes suivre le fil et le cours de l'entreprise.

Que ce récit soit ou non imaginé comme circonstance atténuante du forfait, l'aveu qui le termine n'en reste pas moins entier. La première délibération à laquelle les trois complices retournent, c'est celle dont l'exécution se poursuit à cette heure même, c'est cette boucherie générale dont le Roi s'est laissé arracher l'ordre. Aucune habileté de dialectique ne saurait prévaloir contre un pareil texte.

Le massacre ne fut donc point une catastrophe inattendue née des passions furieuses des masses. Ces passions, on les avait volontairement mises en mouvement. Quand on remue de la dynamite, on sait bien qu'elle fera explosion. Et c'est pourquoi Catherine et d'Anjou, les premiers auteurs de ce grand forfaits, dont l'imprudence égale l'atrocité, doivent demeurer aux yeux de l'histoire responsables, non pas de la mort de six hommes, mais de tout le sang versé.

 

XIV

Dans les premiers moments, le Roi fut tout entier à la peur ; il s'entoura de gardes, il prit des précautions au Louvre contre les dangereux auxiliaires qu'il s'était donnés. S'il fut en proie à une sorte de délire sauvage, comme tant d'écrivains le disent, ce ne pourrait être qu'assez tard après le lever du jour, quand il fit venir ses deux cousins et qu'il les somma d'abjurer leur religion. Encore la lettre des ambassadeurs vénitiens, écrite le 25 août, témoigne-t-elle plutôt chez Charles IX d'une froide résolution que d'un emportement sauvage.

Dès qu'ils furent arrivés, le Roi leur dit :

Mon frère et mon cousin, n'ayez pas peur et ne vous affligez pas de ce que vous apprendrez ; je vous ai fait venir ici pour votre sûreté.

Se tournant vers son capitaine des gardes, il dit :

Faites sortir d'ici tous ces coquins.

C'est-à-dire ceux qui accompagnaient Navarre et Condé. Arrivés en bas, ils furent massacrés[90].

Ce langage assurément n'est pas celui d'un homme à qui la fureur fait perdre la tête. Le fameux mot : Messe, mort ou Bastille, n'est pas de cette date ; c'est au mois de septembre seulement qu'il fut proféré.

Faut-il croire après cela que le Roi ait lui-même pris part au carnage ? Ce monstrueux acte de férocité est plus que problématique.

La chose, écrit M. Soldan, n'est ni prouvée, ni suffisamment réfutée. Le premier écrit où elle soit mentionnée est un pamphlet protestant qui ne la rapporte que comme un bruit[91]. Un autre écrit de même nuance, le Tocsin contre les massacreurs, la dément formellement et atteste que le Roi ne mit pas les mains au massacre[92]. Le fameux balcon d'où la tradition veut que Charles IX ait tiré n'existait pas encore en 1572.

Brantôme, qui a recueilli cet ana, n'était point à Paris pendant la Saint-Barthélemy ; il ne parle pas d'ailleurs d'un balcon et suppose que le Roi tira des fenêtres de sa chambre à coucher ; mais, en dépit des nombreuses publications en sens contraire imprimées sur la question, on ne sait point encore avec certitude si ces fenêtres ouvraient sur le Louvre, dans la partie des bâtiments de Pierre Lescot qui donnait sur la rivière, bâtiments qui furent masqués par les constructions de Perrault. Aux yeux de la critique impartiale, l'origine de l'anecdote suffit d'ailleurs à la faire tenir en grave suspicion.

Dès avant midi, le sang-froid était revenu aux organisateurs du massacre, et avec lui le sentiment des immenses difficultés où l'on s'était jeté et des tempêtes qu'on avait soulevées. Le sang coulait à flots dans les rues ; on égorgeait des femmes et des enfants ; on saccageait les riches maisons sans se préoccuper des opinions religieuses de leurs propriétaires. C'était être huguenot, dit énergiquement Mézeray, que d'avoir de l'argent, ou des charges enviées, ou des héritiers affamés. Dans ce terrible débordement de passions mauvaises, Le Charron resta fidèle au caractère d'humanité et de modération relative qu'il avait montré la veille. A onze heures du matin, il vint avec les échevins faire au Roi des remontrances ; il signala les saccagements et meurtres que commettaient tant les gentilshommes, archers et soldats de la garde, que toute sorte de gens et peuples mêlés parmi et sous leur ombre. Un édit fut aussitôt rendu défendant de continuer les tueries et pillages ; mais on eut beau le proclamer à son de trompe, le réitérer avec accompagnement de menaces, charger la milice urbaine du soin de protéger les demeures des réformés ; on ne fut point obéi. Le massacre se prolongea plusieurs jours ; il s'étendit dès le 24 aux campagnes voisines : dans Paris on tuait encore par-ci par-là à la fin de septembre[93].

Le nombre des victimes immolées dans la capitale est inconnu. La seule pièce sur laquelle on puisse appuyer un calcul approximatif est un extrait d'un livre de comptes de l'Hôtel de ville cité par l'abbé de Caveirac[94], extrait d'après lequel trente-cinq livres furent payées aux fossoyeurs du cimetière des Innocents pour avoir inhumé onze cents cadavres aux environs de Saint-Cloud, d'Auteuil et de Challuau. Presque tous les cadavres furent jetés à la Seine ; mais il se peut que plusieurs aient été repêchés en des lieux plus éloignés ou enterrés en d'autres endroits. L'évaluation de MM. Ranke et Henri Martin, qui portent le nombre des morts à deux mille environ, semble assez rapprochée de la vérité.

Voilà pour ce qui concerne Paris ; quant au nombre total des victimes en France, l'obscurité est plus profonde encore. L'écart est énorme entre les divers calculs ; c'est entre deux limites aussi éloignées que 2.000 et 100.000 que le chiffre oscille. Le Martyrologe des huguenots, publié en 1581, le porte à 15.138 ; mais il ne désigne par leurs noms que 786 morts. L'un des derniers historiens des guerres religieuses de la France, M. Henri White, s'arrête au chiffre de 20.000 admis par de Thou, La Popelinière et Montfaucon. Ce n'est là, bien entendu, qu'un calcul approximatif, et M. Alfred Maury remarque avec raison que dans des évaluations de ce genre, on est toujours porté à l'exagération. Et en effet, malgré les pertes sensibles qu'ils subirent, et bien qu'un grand nombre d'entre eux eussent émigré à Genève et dans les pays étrangers, les réformés se trouvèrent presque aussitôt en mesure d'organiser la défense et de préparer une quatrième guerre civile. Un massacre ne tue ni un parti ni une opinion : jamais inspiration plus atroce ne reçut des événements plus prompte et plus éclatante condamnation.

La meurtrière propagande ne gagna pas les provinces subitement, comme une traînée de poudre ; elle s'étendit au contraire successivement, par intervalles et avec intermittences. Dès le 25, on égorgeait à Meaux et à Orléans ; à Toulouse, le sang ne coula que le 23 septembre, et à Bordeaux plus tard encore, le 3 octobre.

C'est un fait grave que cette absence de simultanéité. Le dernier historien qui ait examiné ce sombre épisode de nos annales a tiré de là un fort argument contre la préméditation de l'attentat. A moins qu'on ne suppose, écrit M. White, que Catherine et ses conseillers italiens fussent les plus maladroits des conspirateurs, on doit admettre que, s'ils avaient décidé l'extermination en masse des huguenots, ils auraient pris les mesures nécessaires pour que l'exécution se fit partout le même jour. C'est ainsi, en effet, que Philippe le Bel en avait agi à l'égard des Templiers.

 

XV

Les massacres en province furent-ils l'œuvre spontanée du fanatisme populaire, ou bien la Cour les avait-elle ordonnés ? C'est là une question fort sujette à controverse.

Dès le premier jour, dans l'incertitude où l'on était encore de la tournure que prendraient les événements, on était convenu de tout expliquer par une querelle des maisons de Guise et de Châtillon. C'est dans ce sens que fut rédigée la lettre du Roi à M. d'Éguilly, gouverneur de Chartres, écrite le jour même du massacre. Mais Guise rentre à Paris le lendemain revenant de sa poursuite infructueuse contre Montgommery : on réfléchit qu'il ne consentira point à porter seul le poids du forfait. Aussitôt on en revient à l'idée d'un complot. Dès lors, c'est cette excuse qui domine, aussi bien dans les explications fournies aux puissances que dans les instructions envoyées aux gouverneurs des provinces.

La déclaration au peuple, en date du 28 août, porte que le châtiment de l'amiral et de ses partisans n'a pas eu pour cause leur religion, mais leur conspiration contre la cour. Le même jour on écrit dans ce sens aux gouverneurs : il leur est recommandé d'assurer le repos public et de réprimer les factieux. Le 30, une lettre aux gens de Bourges ordonne de dissiper par la force les assemblées des huguenots, mais révoque en même temps tout commandement que le Roi aurait pu faire à ceux qu'il avait envoyés tant à Bourges qu'en autres endroits du royaume, lorsqu'il avait juste cause de craindre quelque sinistre événement.

Il y avait donc eu des ordres verbaux portés par courrier. Que prescrivaient-ils ? Un document tout récemment publié jette un supplément de lumière sur ce problème. C'est une relation du massacre accompli à Orléans, écrite par un étudiant qui faisait alors son droit à l'Université de cette ville[95].

On y lit que, le soir du 24 août, un messager arriva, qui demanda à voir tout de suite le prévôt d'Orléans, auquel il remit un paquet de lettres revêtues du seing royal. Ces lettres contenaient le récit de ce qui était advenu à l'amiral et aux autres huguenots de Paris, et en outre l'ordre de traiter de même tous les huguenots et de les exterminer, en ayant soin de ne laisser rien transpirer et de les surprendre tous par une habile dissimulation. Pour que ces ordres parvinssent à Orléans dans la soirée du 24, il fallait qu'ils eussent été expédiés de Paris au cours de la nuit précédente, nouvelle preuve que Catherine se hâta de profiter du consentement de son fils, si même elle ne le devança.

La nuit précédente, écrivent de leur côté les ambassadeurs vénitiens, en parlant de la nuit qui vit commencer le massacre, le Roi avait expédié des courriers à Orléans et dans d'autres endroits pour qu'on en fit autant[96].

Ces ordres furent sans doute successivement révoqués et réitérés. Aujourd'hui pacifiques, sanguinaires le lendemain, tantôt audacieux, tantôt retenus par la peur, les auteurs de ces commandements contradictoires n'av aient ni résolution ni esprit de suite : ils ne surent pas profiter de leur crime. Leurs inconséquences et leurs oscillations déconcertent l'histoire. Le plus sage, dans ce dédale de contradictions, est de se ranger à l'avis de M. Trognon, qui répartit la responsabilité des massacres entre la Cour et les exaltés des provinces, les attribuant, ici aux instructions secrètes adressées aux gouverneurs, là aux passions populaires non contenues[97].

Tel est aussi au fond le sentiment de M. Alfred Maury, qui fait toutefois à la Cour une part un peu plus large dans l'œuvre de sang. Ces massacres, écrit-il, qui furent en quelques villes l'œuvre spontanée du fanatisme populaire ont été la conséquence du premier crime. Une fois les scènes accomplies dans Paris, il fallait aller jusqu'au bout, sinon les protestants se levaient dans tout le royaume, comme ils l'avaient fait après l'affaire de Vassy. Mais les instructions inhumaines envoyées par Charles IX à ses lieutenants ne sont pas la preuve d'une préméditation antérieure au 24 août. Il se passa alors un fait fort analogue à ce qui arriva en septembre 1792. Les massacres des prisons ne furent pas, à Paris, le résultat d'une longue préméditation. La Commune s'y décida en quelques heures. Mais, une fois le forfait accompli, des émissaires se rendirent en différentes villes pour organiser de semblables égorgements ; çà et là le sang fut versé, à la nouvelle des fureurs dont la capitale venait d'être le théâtre[98].

L'éminent érudit n'est pas, comme on le voit, de ceux qui croient à la longue préméditation de la Saint-Barthélemy. Son autorité ne rangera pas tout le monde à cet avis : Chez nous, écrit le traducteur de M. Soldan, en parlant de ses coreligionnaires protestants, c'est une tâche un peu ingrate de soutenir cette opinion ; c'est presque commettre une hérésie ; c'est amoindrir considérablement l'énormité du crime[99]. Aujourd'hui que les dépêches des ambassadeurs vénitiens et celles du nonce ont reçu une vaste publicité, les coreligionnaires du hardi professeur de Giessen invoqueront surtout contre sa façon de voir deux textes de Michieli et de Salviati, qu'il convient en effet de mettre sous les yeux du lecteur, car on ne saurait, dans un sujet si délicat, faire preuve de trop de bonne foi et d'exacte impartialité.

 

XVI

Au lendemain du massacre, Michieli écrit donc au doge Luigi Mocenigo, qui l'avait envoyé en France trois semaines auparavant :

Il y a longtemps que la Reine avait eu cette pensée, puisqu'elle demanda elle-même dernièrement à Mgr Salviati, son parent, qui est nonce en France, de se souvenir et de témoigner de ce qu'elle l'avait secrètement chargé de dire au Pape défunt[100], à savoir qu'il verrait bientôt la vengeance qu'elle et le Roi tireraient de ceux de la religion.

Avant que la relation complète de Michieli eût été mise au jour par M. Alberi, cette première phrase avait déjà été publiée par M. Ranke, et M. Soldan, en l'imprimant à son tour, ajoutait : Comme ce passage est détaché d'un contexte qui n'est pas encore publié, il est impossible d'en apprécier la véritable portée.

Ce contexte, nous le connaissons aujourd'hui : Michieli ajoute ce qui suit :

Ce n'est pas dans un autre but qu'elle avait travaillé avec tant d'ardeur à l'alliance de sa fille avec Navarre, sans se soucier ni du roi de Portugal ni des autres grands partis qu'on lui offrait, et cela afin de faire le mariage à Paris, avec l'intervention de l'amiral et des autres chefs de ce parti, comme elle s'imaginait que la chose arriverait, et parce qu'il n'y avait pas d'autre moyen ni de meilleure occasion de les y attirer[101].

Michieli représente une puissance alliée du Pape, et c'est évidemment de la bouche de Salviati qu'il a dû. recevoir les confidences qu'il transmet à son gouvernement. Remontons donc à la source première et voyons ce que Salviati lui-même va nous apprendre de cette attestation de féroce duplicité à lui demandée par la Reine mère. Le P. Theiner a publié en entier la dépêche où le fait est mentionné, et qui est du 27 août ; j'emprunte ici la traduction de M. Boutaric[102] :

La Reine ajoutait que le dessein du Roi était de retirer peu à peu l'édit (le traité de paix de 1570) et de rétablir légalement la religion catholique ; qu'on ne devait pas douter que la mort de l'amiral et de tant d'autres personnages d'importance ne fût conforme aux entretiens que lui, Salviati, avait eus naguère à Blois avec la Reine, en traitant du mariage de Navarre et d'autres affaires dont on s'occupait alors ; ce qui était vrai et ce dont il pouvait rendre témoignage à Sa Sainteté et à tout le monde[103].

Remarquons-le bien ici, puisque cette observation parait avoir échappé aux écrivains qui ont discuté cet étrange témoignage, il n'est pas question dans la phrase qu'on vient de lire, d'un massacre général, mais seulement de la mort de l'amiral et de tant d'autres personnages d'importance. Elle n'est donc pas, autant qu'on l'a dit, en contradiction avec celle du 22 septembre, où Salviati écrivait, en parlant de la tentative d'assassinat dirigée le 22 août contre l'amiral. S'il était mort subitement, on n'en tuait pas d'autres, pas plus qu'elle ne contredit ces autres lignes d'une missive du 24 août, où le nonce, après avoir exprimé la même opinion, ajoutait : Lorsque j'écrivais ces jours passés en chiffre à Votre Seigneurie que l'amiral s'avançait trop et qu'on lui donnerait sur les ongles, j'étais convaincu déjà qu'on ne voulait plus le supporter : j'étais confirmé dans cette opinion quand j'écrivis, dans une dépêche suivante, que j'espérais donner bientôt à Sa Sainteté quelque bonne nouvelle ; mais je ne croyais pas à la dixième partie de ce que je vois présentement de mes propres yeux.

Sans doute, ces deux dernières citations prouvent, avec la clarté de l'évidence, que Salviati n'a pas su qu'on prépara un massacre général ; il ne le savait i ;oint, puisqu'il ne croyait pas à la dixième partie de ce qu'il vit le 24 août, puisque dans sa pensée l'assassinat de l'amiral, s'il eût réussi, eût suffi pour empêcher tous les autres. Mais il ne dit point qu'on lui eût confié à Blois un plan si vaste : il atteste seulement qu'on lui avait fait connaître l'intention de se défaire du chef des réformés et de ses principaux adhérents.

Or, nous avons vu que cette pensée était ancienne et qu'elle ne sortit jamais entièrement de l'esprit de la Reine mère. Mais il est clair qu'elle y était à l'état de velléité, et non de plan arrêté ; autrement Catherine n'eût pas été obligée de rappeler au nonce des entretiens qui, s'ils eussent accusé un projet formel, seraient restés bien présents à sa mémoire, ni de faire ressortir la signification que l'événement ultérieur donnait à ces entretiens.

Si, plusieurs mois avant la Saint-Barthélemy, le nonce avait reçu à Blois des confidences claires et positives, si on lui eût annoncé, pour une époque prochaine, soit l'extermination générale, soit seulement le meurtre des principaux chefs, comment croire qu'il ne se fût pas empressé d'en instruire son souverain ? Il eût manqué, en ne le faisant pas, à tous ses devoirs d'ambassadeur. Or, son silence est incontestable, puisqu'il est réduit à attester la vérité de cet entretien que la Reine le prie de se rappeler et à en rendre témoignage à Sa Sainteté et à tout le monde. Il avait mandat spécial d'empêcher à tout prix le mariage de Navarre. Si un seul mot précis lui avait fait concevoir la pensée que le mariage n'était qu'un piège, nul doute qu'il en eût aussitôt informé le Pape. Bien loin de rien indiquer de tel, il met à nu dans ses dépêches de cette époque les apostasies de la cour, qui, suivant lui, se laisse conduire à sa perte et se livre à ses ennemis.

Ainsi, d'une part, Salviati n'atteste point qu'il ait connu le plan du massacre ; d'une autre, il y a preuve que le meurtre de l'amiral et des autres chefs influents n'était encore, à Blois, dans l'esprit de Catherine qu'à l'état de dessein lointain et conditionnel. C'est Michieli seul qui donne aux confidences de son confrère, le nonce romain, une portée qu'elles n'avaient point ; c'est lui qui, pour flatter la passion haineuse du doge, son souverain, les amplifie et y ajoute des circonstances aggravantes. Salviati n'a pu dire que le projet d'une extermination générale lui avait été confié depuis plusieurs mois, parce qu'alors il se fût mis, à trois jours d'intervalle, en contradiction avec lui-même, parce que surtout il se fût exposé, de gaieté de cœur, au reproche très-grave de n'avoir pas, en temps opportun, instruit le Pape d'un tel projet. Les assurances de dévouement aux intérêts de la religion, les nébuleuses menaces contre le chef des réformés, qu'il avait pu recueillir à Blois de la bouche même de Catherine, étaient de ces paroles vagues et élastiques auxquelles on peut ensuite prêter le sens qu'on veut. Et Catherine profita de ce vague même pour leur donner plus tard une précision qu'elles n'avaient point et s'attribuer, aux yeux du Souverain Pontife, l'horrible mérite d'avoir longuement préparé, non pas un massacre général, ainsi que le dit Michieli, mais la mort des principaux capitaines protestants, comme le porte le texte de Salviati.

Même réduites à ces conditions plus modestes, les indécises et flottantes intentions de la Reine mère restèrent inconnues aussi bien de la cour de Rome que de celle de Madrid. Ni Grégoire XIII ni Philippe II n'avaient rien pénétré des terribles événements qui allaient s'accomplir. Le roi d'Espagne, écrit M. Soldan, n'a pas été dans le secret du massacre. A Rome, on reçut les premières nouvelles du fait tant par le nonce Salviati que par la cour elle-même. Des deux parts, les documents prouvent que les événements se sont accomplis en dehors de l'influence romaine ; les relations de Salviati surtout s'accordent d'une manière remarquable avec les aveux du duc d'Anjou ; elles excluent par conséquent l'hypothèse de la préméditation, ainsi que celle d'une entente préalable avec Rome[104]. M. Henri Martin a complètement embrassé cette opinion[105], à l'appui de laquelle M. Gachard, d'après les archives de Simancas, a fourni des preuves décisives[106].

Et en effet, à ceux qui soutiennent cette entente préalable, on peut répondre avec M. Audin : Si Rome eût pensé que le mariage de Marguerite était le prélude nécessaire de la destruction du calvinisme, pourquoi aurait-elle refusé avec tant de persistance des dispenses pour ce mariage ?[107]

 

XVII

Dans le mémoire justificatif qui fut envoyé aux principales cours de l'Europe, on eut grand soin de pallier le crime, en l'expliquant par une conspiration calviniste. Le Roi, pour se garantir du danger, avait été contraint de lâcher la main à MM. de Guise qui, avec quelque petit nombre de soldats, avaient tué l'amiral et quelques autres gentilshommes de sa faction. C'était le peuple seul qui, prenant parti dans cette querelle, avait fait tout le reste, au grand regret de Sa Majesté[108]. On repoussait ainsi formellement toute immixtion dans le carnage, et, par conséquent, toute préméditation.

Vis-à-vis des cours de Rome et de Madrid, on ajouta à ce langage officiel des commentaires qui en modifiaient le caractère et la portée. On laissa entendre que le Roi nourrissait depuis longtemps l'intention d'exterminer les rebelles dans l'intérêt de la foi catholique, et qu'il avait profité, pour le faire, de l'occasion que lui offrait le complot. On présentait ainsi le massacre comme un acte de religion[109]. De là, ce certificat de préméditation réclamé du nonce Salviati, et accompagné de cette assurance que le Roi tirerait parti de l'événement pour rétablir légalement l'unité de la foi catholique. De là aussi cette lettre du duc de Montpensier au Pape, écrite le 26 août. Après le récit de l'imaginaire conspiration de Coligny et de la punition que Dieu inflige à lui et aux siens, Montpensier ajoute : Ce que j'en loue le plus est la résolution que Sa Majesté a prise d'anéantir du tout cette vermine, et de remettre l'Église catholique entre ses bons sujets, au repos et splendeur qu'ils la désirent[110].

Ici, comme on voit, le prétexte du massacre est toujours le complot ; mais ce n'est plus le peuple, c'est le Roi lui-même qui a pris le parti d'anéantir les rebelles et de rendre à l'Église son antique et tranquille splendeur.

Sur ce dernier point encore, on fut bientôt obligé de se rétracter, et l'on ne tarda pas à mesurer les dangers du double jeu qu'on essayait de jouer. Un long cri de colère et d'indignation s'élevait en Angleterre. Élisabeth avait écouté, dans un morne silence, et en habits de deuil, la fable du complot de Coligny[111]. Dans les pays catholiques, à Venise, à Rome et à Madrid, la nouvelle avait excité des sentiments bien différents. Le Sénat de Venise adressa au Roi des félicitations officielles pour cette grâce de Dieu. A Madrid, on s'en réjouit comme d'une autre victoire de Lépante. L'étonnement de Philippe fut égal à sa joie. Au lieu de cette levée de boucliers qu'il attendait, de cette inexplicable alliance du Roi Très-Chrétien avec les hérétiques, il recevait de la cour de France la preuve la plus inattendue d'une complète communauté d'idées religieuses et politiques. Ses ambassadeurs à Rome et à Madrid ne tardèrent pas à redresser ses jugements ; mais, dans les premiers moments, il n'eut pas assez d'éloges pour l'habileté et la prudence de son royal beau-frère : il crut avoir trouvé son maître et proposa au duc d'Albe une mesure semblable contre ses sujets de par deçà[112].

Quant à Grégoire XIII, ses véritables sentiments sont plus difficiles à percer. Qui ne sait l'ardente polémique que soulèvent, depuis trois siècles, les témoignages de satisfaction qu'il donna ; la messe d'action de grâces, le tableau de Vasari, la médaille qui porte l'ange exterminateur et dont nul ne conteste plus l'existence depuis qu'on peut la voir, non pas seulement en gravure dans l'ouvrage de Bonanni, mais en original, au cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale ?

A combien de controverses ces démonstrations n'ont-elles pas donné lieu ! Les protestants ont voulu y voir une éclatante approbation de la perfidie de Charles IX ; les catholiques, une simple preuve de la joie qu'inspirait au Souverain Pontife l'échec d'une conspiration menaçant les jours du roi de France et dont il avait légitimement frappé le chef. Entre autres preuves de leur opinion, les premiers ont cité le placard du cardinal de Lorraine, lequel habitait Rome en ce moment, et où ce prince de la maison de Guise se réjouit d'un succès incroyable, qui répond aux prières, aux larmes, aux soupirs, aux conseils de douze années. Ils ont allégué encore cette lettre que le prince François de Toscane écrivait à Vasari, le 20 novembre 1572 : Nous sommes charmé d'avoir appris non-seulement votre arrivée à Rome, mais encore les caresses et les faveurs que vous a faites Sa Béatitude ; elle agit sagement en voulant qu'un succès aussi saint et aussi notable que l'exécution contre les huguenots de France figure dans la salle des rois[113].

Les écrivains catholiques ont répondu par le témoignage de Brantôme, d'après lequel le Pape versa des larmes, en disant : Je pleure sur tant d'innocents qui n'auront pas manqué d'être confondus avec les coupables ; par le témoignage bien plus grave de Maffei, auteur des Annales de Grégoire XIII, qui sont, de l'aveu de M. Ranke lui-même, la principale source pour l'histoire de ce pape. Grégoire, au dire de cet historien contemporain, fut informé par le cardinal de Lorraine que le roi Charles IX, pour la sûreté de sa personne et de son royaume, avait fait ôter la vie à l'amiral Coligny, chef et fauteur principal des huguenots. Quoique délivré par là d'une très-grande inquiétude (celle de voir se renouveler les prises d'armes calvinistes), le pontife n'en fit paraître néanmoins qu'une joie tempérée, comme celle qu'on éprouve pour une guérison qui n'est obtenue qu'en retranchant quelques membres du corps par une opération douloureuse[114].

Des affirmations si opposées, appuyées de témoignages contradictoires, rendent très-difficile le rôle de la critique impartiale, et l'on risque fort, en cherchant la vérité pour elle-même, de ne satisfaire aucun des deux partis. Cette vérité simple et nue, il est d'autant plus malaisé d'arriver jusqu'à elle, qu'il s'agit ici d'un fait de sens intime, et qu'il faudrait, pour le saisir avec certitude, pouvoir descendre au fond de l'âme du Souverain Pontife et deviner quels sentiments l'inspirèrent.

Grégoire XIII n'était point ami des violences. Il ne se montra jamais trop rigide, dit M. Ranke, et il témoignait plutôt sa désapprobation pour un certain genre outré de sévérité. Distingué comme jurisconsulte, il partait toujours du point de vue d'une idée absolue du droit[115]. Ce jugement d'un éminent historien protestant doit être pris en grande considération quand il s'agit de pénétrer les sentiments qu'un pape tel que Grégoire XIII, docteur en droit et ancien professeur de jurisprudence, dut éprouver à la première nouvelle de la Saint-Barthélemy. Peut-être la distinction assez neuve qui va suivre servira-t-elle à nous faire entrevoir la vérité sur ses impressions et à désintéresser, dans une certaine mesure, les deux opinions en présence.

Autour de lui, dès que le bruit du massacre se répandit, deux courants se dessinèrent. A Rome comme à Paris, il y avait alors des exaltés et des modérés. Les panégyristes italiens de Catherine, les Capilupi, les des Ursins, les Français dévoués aux Guise et qui entouraient le cardinal de Lorraine, accueillirent cette nouvelle par des transports de joie et ne chicanèrent point Charles IX sur les moyens employés. Bien plus, ils lui firent un mérite de sa longue et imaginaire dissimulation, de ce qu'ils appelèrent son stratagème : c'est le titre même de l'ouvrage apologétique publié par Capilupi. Pour eux, le massacre était le dernier acte d'un drame savamment conduit ; ils auraient cru diminuer l'honneur du Roi en supposant qu'il s'y était déterminé sous le coup d'un danger personnel et soudain. C'est à ce clan d'esprits aveugles et passionnés qu'appartenait le légat Orsini, qui fut envoyé pour complimenter Charles IX et qui reçut l'accueil inattendu qu'on lira tout à l'heure.

D'autres, plus perspicaces ou mieux informés, virent plus clair dans l'événement. Ils ne crurent point à sa longue préparation ; ils l'expliquèrent, à la manière de Tavannes, par la nécessité des circonstances, par un danger subit auquel il avait fallu parer à tout prix, au moyen de mesures aussi outrageantes pour l'humanité que pour la légalité. Et c'est un fait piquant par son étrangeté et qui sera neuf pour bien des lecteurs, qu'à la tête de ces hommes clairvoyants se soit trouvé le propre ambassadeur de Philippe II près du Saint-Siège. C'est pourtant ce qui résulte d'une lettre de cet ambassadeur à son souverain, écrite le 8 septembre, le jour même où le Pape rendait à Dieu ces actions de grâces, objets de tant de controverses. Cette lettre est comme la contrepartie du placard du cardinal de Lorraine.

Bien que les Français, écrit don Juan, veuillent donner à entendre que leur roi méditait ce coup depuis qu'il fit la paix avec les huguenots et lui prêtent des stratagèmes qui ne paraissent pas permis, même envers des hérétiques et des rebelles, je tiens pour certain que, si l'arquebusade donnée à l'amiral fut chose projetée quelques jours auparavant et autorisée par le Roi[116], tout le reste fut inspiré par les circonstances[117]. Les circonstances dont il s'agit ici, ce sont évidemment les menaces des huguenots, que la cour grossissait jusqu'à leur donner les proportions d'une sédition.

Ni préméditation, ni trame perfidement élaborée, nécessité de recourir à des rigueurs anormales et illicites pour échapper à un péril imminent, telle était, cette lettre le prouve, l'opinion prédominante dans l'entourage éclairé de Grégoire XIII, l'opinion qui dut faire le plus d'impression sur son esprit, puisque c'était celle de l'ambassadeur de Philippe II.

Que savait-il ? Sur quels renseignements pouvait-il asseoir son appréciation de l'événement ? Salviati lui écrivait. La perte de l'amiral était depuis longtemps dans les secrets desseins de la cour de France. En ce point seulement, ce légat s'éloignait du sentiment de don Juan, qui ne donnait pas une date aussi lointaine à ce projet meurtrier ; mais, sur le fait principal, tous les deux étaient d'accord, car Salviati ajoutait : S'il fût mort du premier coup qu'on lui porta, à n'y eût pas eu d'autres victimes ; le massacre a été motivé par les menaces des huguenots ; on l'a ordonné pour détourner de plus grands périls[118]. Voilà les renseignements que Grégoire XIII recevait de son légat, cousin de Catherine de Médicis. Le duc de Montpensier, un prince de la maison de Guise, lui certifiait la conspiration dans les termes les plus explicites ; Beauvilliers, envoyé extraordinaire et spécial du Roi, l'attestait non moins formellement ; le gouvernement français s'engageait à en prouver la réalité ; bien plus, le Parlement, accueillant les dénonciations du Roi, ordonnait des poursuites contre les conspirateurs. Des attestations si concordantes, appuyées de l'autorité de la première magistrature du royaume, n'étaient-elles pas de nature à porter la conviction dans l'esprit d'un souverain étranger, éloigné du théâtre des événements ?

Pourquoi Grégoire XIII n'aurait-il pas cru au complot, quand il est prouvé qu'en France les protestants y ajoutèrent foi[119] ? Chef de la catholicité, il avait pour mission de maintenir l'unité religieuse ; par position il était l'ennemi de l'hérésie, et c'est une propension naturelle de croire aisément ses ennemis capables des actions les plus noires. Pour quiconque voudra pénétrer à fond dans cette situation, sa satisfaction s'expliquera donc aisément ; cette joie, à ses yeux, n'était point inconciliable avec le respect de la légalité dont il faisait profession. On avait exterminé l'hérésie, et on l'avait fait en vertu du droit de légitime défense. Ce sont bien là les deux idées qui éclatent dans cette apologie de la Saint-Barthélemy qui fut prononcée à Rome le 28 décembre, par le célèbre humaniste Muret. Si l'on veut découvrir les sentiments de Grégoire XIII sur ce coup d'État, quel meilleur témoignage en trouver que ce discours quasi officiel et sanctionné par sa présence ? La joie déborde : nulle réserve, nul scrupule à l'égard des atroces procédés employés. Les étoiles, dans cette nuit mémorable, ont da briller d'un éclat plus vif, la Seine grossir ses ondes pour entraîner plus rapidement à la mer les cadavres de tant d'hommes impurs. Mais ce sauvage enthousiasme, l'orateur a grand soin d'y préparer ses auditeurs par cette affirmation que le massacre a été précédé d'une conjuration, d'une criminelle machination que la Providence a retournée contre ses auteurs[120].

Si telle n'eût pas été, au moins dans les premiers mois qui suivirent l'attentat, la conviction de Grégoire XIII, comment comprendre qu'il ait envoyé un légat à Charles IX pour le féliciter d'avoir prévenu les desseins de ses ennemis et échappé par là à la mort qu'ils lui préparaient ? Ces félicitations n'eussent été qu'une blessante ironie.

Répétons-le toutefois : il s'agit ici de pénétrer dans les replis intimes d'une pensée qui ne s'est pas manifestée autrement que par des actes dont l'interprétation est controversée. Il serait téméraire de prétendre établir la vérité de façon à faire taire toutes les objections : il faut s'en tenir aux vraisemblances. Elles plaident en faveur de cette hypothèse : Grégoire XIII crut au complot, que tant de témoignages concordants lui dénonçaient. Et telle est, en effet, l'opinion que se sont formée de ses impressions des écrivains à l'abri de toute suspicion de partialité et d'entrainement dogmatique. Qu'on lise ces lignes d'un éminent érudit :

Le Pape, qui prenait au sérieux, d'après le rapport que lui faisait la cour des Valois, la prétendue conspiration huguenote, envoya son nonce complimenter Charles IX d'avoir échappé par miracle aux ennemis de la foi, en prévenant leurs desseins. En note, M. Alfred Maury ajoute : Le Pape put croire à une conspiration huguenote qu'on aurait prévenue par le massacre, mais il se montra assurément peu scrupuleux en approuvant les moyens employés, car il n'ignorait pas qu'il y avait eu un affreux carnage, et, d'après un témoignage que rappelle M. Gandy, il pleura sur les innocents qui pouvaient avoir alors péri ; les innocents, à ses yeux, semblent avoir été les catholiques qui reçurent par méprise la mort, comme il y en eut effectivement quelques-uns[121].

Vouloir que Grégoire XIII ait versé des larmes sur les protestants qu'il croyait coupables, en même temps que sur les catholiques massacrés par erreur, ce serait exiger un effort d'abnégation et de pitié désintéressée pareille à celle qu'un Dieu seul pourrait éprouver pour les malheurs des hommes quels qu'ils soient, et dont bien peu d'âmes ici-bas sont capables. Pouvait-il prendre des habits de deuil comme Élisabeth, qui pleurait des coreligionnaires ? Il ne faut demander à la nature humaine que ce qu'elle peut donner ; il ne faut condamner qu'en cas d'infraction à la règle étroite du devoir. A ce point de vue, si l'on tenait à creuser le reproche contenu dans la citation qui précède et à lui donner une entière précision, il faudrait dire : Le Pape savait par son légat Salviati que l'attentat de Maurevel contre Coligny avait été ordonné par la Reine mère.

C'est cet attentat, il le savait encore, qui avait motivé la prétendue sédition, prétexte elle- même du massacre. Comment donc n'eut-il pas une parole de blême pour la cour, cause première de la catastrophe ? Comment la légitimité de la répression ne fut-elle pas entachée à ses yeux par le crime qui avait suscité cette rébellion qu'on se prétendait le droit de punir si impitoyablement ? N'est-ce pas qu'il fut plus sensible aux résultats généraux qu'à la sauvage illégalité de la mesure ? L'unité de la foi, la publication du concile de Trente, suspendue en France depuis neuf ans et qu'il crut facilitée par l'extermination de l'hérésie, ces raisons, qui primèrent tout dans son esprit, firent taire ses scrupules. Il vit la faute prêtée aux protestants, et non celle de la Reine qui leur servait d'excuse. La joie du défenseur de la tradition catholique imposa silence aux réserves qu'aurait dû susciter l'équité naturelle du jurisconsulte.

L'embarras fut sérieux à la cour des Valois quand on le sut dupe du grand mensonge, et l'on délibéra un moment si l'on n'interdirait pas l'entrée du royaume au porteur de ces félicitations qui allaient surexciter la colère des puissances protestantes. Mais prendre ce parti, c'était mécontenter à la fois la cour de Rome, dont on avait tant besoin, et la famille des Ursins, très-dévouée à la France et à laquelle appartenait le légat. Le Roi et sa mère s'absentèrent du moins de Paris le jour où ce légat y fit son entrée, et quand enfin on lui accorda audience, il lui fut répondu : que le jeune roi désavouait le massacre, affirmait qu'il ne l'avait pas ordonné en haine du protestantisme, mais pour sa propre défense, et se montrait très-fâché que les autres villes du royaume eussent suivi l'exemple de Paris. On ne pouvait plus délibérément effacer ce vernis de préméditation et de zèle religieux qu'on avait un moment tenté de donner au crime : nouvel exemple des revirements et de l'irrésolution des lâches auteurs de cette œuvre de sang, qui ne surent ni la combiner fortement ni en tirer parti.

 

XVIII

Les sentiments les plus étroits, l'égoïsme, le soin du pouvoir à retenir, la peur des représailles, tels furent les vrais mobiles de la Saint-Barthélemy. C'est un crime politique, dans le sens le moins noble du mot, et plus privé encore que politique. Ceux qui le commandèrent n'eurent pas même l'excuse de l'exaltation religieuse : ils allumèrent froidement des passions qu'ils ne partageaient pas. Exclusivement préoccupés de leur sécurité et de leurs intérêts les plus immédiats, ils laissèrent tout à fait sur l'arrière-plan ceux de leur pays et de leur foi, et ne songèrent qu'après coup à les invoquer, sauf à renoncer presque immédiatement à cette excuse.

Ce coup d'État ne fut point préparé longtemps à l'avance c'est bien, comme le dit Tavannes, une résolution de nécessité, un conseil né de l'occasion. Il n'y eut de prémédité que la mort de Coligny et de cinq ou six de ses capitaines. D'accord sur la question principale avec M. Soldan et ceux qui, dans ces dernières années, ont brillamment repris sa thèse, je m'écarte en ce point de leur opinion. Celte idée de précipiter la chute du parti calviniste en frappant sa tête, on a pu en suivre, dans cette étude, l'origine et la longue incubation, le développement intermittent, mais progressif.

La mort de Jeanne d'Albret fut naturelle ; mais le traité de 1570, le mariage de Navarre et surtout l'insistance pour que ce mariage fût célébré à Paris cachaient une arrière-pensée. Complètement abandonné par le Roi après l'arrivée de Coligny à la cour, mais toujours secrètement caressé par Catherine, ce projet éventuel n'allait pas au delà du meurtre de l'amiral et de ses amis les plus influents, et c'était là un parti extrême, entièrement subordonné à leurs agissements ultérieurs et qu'on n'adopterait qu'en cas d'absolue nécessité. La Reine se réservait d'opter, selon les circonstances, pour l'alliance ou la lutte avec l'amiral, et elle arrangeait les choses de façon que rien n'entravât cette option. Si ce n'est pas là cette formelle intention qui est l'essence de la préméditation, c'en est au moins le prélude. C'est une préméditation sous condition suspensive.

La préméditation véritable, et pour employer les termes mêmes de notre Code pénal, le dessein formé d'attenter à la personne ne se précisa qu'à la suite de la scène de Montpipeau. C'est après que Charles IX eut violé les promesses faites dans ce château, c'est sous l'imminence du coup qui allait la précipiter du pouvoir, que Catherine regarda enfin bien en face la pensée qui l'obsédait depuis longtemps. Jusque-là elle avait éventuellement creusé la Mine et veillé seulement à ce que rien, au cas où il faudrait la faire jouer, n'en contrariât l'explosion. Elle la charge à ce moment et se résout à sacrifier l'amiral. Si ce meurtre eût réussi, elle n'en eût pas voulu d'autres. Les conseils de Philippe II, tels qu'ils résultent de sa lettre du 5 août, furent alors sa règle de conduite. Le témoignage de Salviati, l'étude attentive et plus précise peut-être qu'aucune de celles qui existaient en France jusqu'a ce jour, des conseils tenus dans la journée du 23 août ne laissent aucun doute sur ce point. Cela ne veut pas dire que Catherine ne soit pas responsable de tout le sang versé, car elle dut mesurer et accepta toutes les suites possibles de son attentat ; mais enfin, s'il eût pu réussir sans que sa participation fût découverte, elle ne fut pas allée plus loin.

S'il en était autrement, le meurtre commandé à Maurevel serait la plus lourde des fautes, la plus inexplicable des inconséquences. Ainsi que le disait l'évêque de Valence, Montluc, lorsqu'il essayait de disculper le duc d'Anjou aux yeux des Polonais, il eût été bien plus simple et bien plus sûr d'envelopper Coligny dans l'extermination générale. C'est au fond la même idée qu'avait déjà exprimée Cavalli. Pourquoi s'exposer à mettre en fuite ceux qu'on voulait perdre ? Pourquoi surexciter leur méfiance quand on devait au contraire l'endormir ?

Si subite qu'ait été la détermination née de la tentative avortée de Maurevel et du danger immédiat qu'elle créa, on n'y arriva cependant que par gradations. Catherine n'avait pas besoin d'une extermination générale dont, mieux que personne, elle apercevait les périls ; il lui suffisait de se débarrasser de l'homme quelle avait manqué et de ceux qui eussent été assez influents pour prendre sa place ou pour venger sa mort. Mais, en pareil cas, il est difficile de s'arrêter à moitié chemin. Plus logique qu'elle, ses détestables conseillers lui représentèrent qu'il ne fallait point offenser à demi, et que, si l'on rompait les lois, il fallait les violer entièrement, sa sécurité future étant à ce prix. Le fatal consentement fut donc donné ; il le fut par la Reine d'abord, qui se mit tout de suite à l'œuvre, puis par son fils, après une heure et demie de résistance. De ce moment, l'un et l'autre furent solidaires du grand forfait et condamnés à en porter le poids aussi longtemps que dureront chez les hommes le sentiment du juste et l'horreur des noires perfidies.

Le 6 septembre 1572, don Diego de Çuniga écrivait à Philippe II : La mort de l'amiral fut préméditée ; celle des autres fut subite[122]. Voilà, en deux lignes, la vérité sur cette question tant agitée de la préméditation.

Si cette thèse est en harmonie avec le caractère des principaux auteurs de cette lugubre tragédie, à la fois violents et timorés, irrésolus et faciles à entraîner, non pas inutilement cruels, mais indifférents à la moralité des moyens et prêts, pour leur utilité, à accepter les plus grands crimes, elle ne l'est pas moins avec la nature humaine, qui ne va pas d'un bond aux partis les plus extrêmes et n'y arrive que progressivement.

Ajoutons qu'elle concilie des faits nombreux, en apparence contradictoires et non moins embarrassants pour ceux qui rejettent d'une façon absolue le système de la préméditation que pour ceux qui le soutiennent, sans distinguer entre des velléités intermittentes et des actes suivis. Elle n'agréera sans doute ni aux uns ni aux autres, ni à ceux qui voudraient grossir encore l'énormité du forfait, ni à ceux qui le diminuent le plus possible. L'important est qu'elle satisfasse les esprits modérés et impartiaux, dégagés de toute préoccupation dogmatique et qui cherchent, dans une thèse d'histoire, la vérité, quelle qu'elle soit, et non un aliment à leurs passions.

 

 

 



[1] Hist. de France, principalement pendant le seizième et le dix-septième siècle, t. Ier, p. 307.

[2] La France et la Saint-Barthélemy, traduit de l'allemand par Charles SCHMIDT.

[3] Revue des questions historiques, t. Ier.

[4] N° des mois de mars, avril, mai, juin, juillet, août et septembre 1871.

[5] Historisch politische zeitschrift, Berlin, 1835.

[6] History of England.

[7] La Diplomatie vénitienne, note de la page 550.

[8] Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, t. III 1865.

[9] Archivalische beitræge zur geschicte Frankreihs unter Carl IX, Leipzig, 1872.

[10] Relations des ambassadeurs vénitiens, publiées par M. TOMASEO, dans la Coll. de doc. inéd., t. Ier, p. 523.

[11] Papiers d'État du cardinal de Granvelle, t. IX, p. 298.

[12] L'Entrevue de Bayonne de 1565 et la question de la Saint-Barthélemy, d'après les archives de Simancas. Fischbacher, 1882.

[13] Relations des ambassadeurs vénitiens, publ. par TOMASEO, t. II, p. 117.

[14] Relations des ambassadeurs vénitiens, t. II, p. 449.

[15] M. G. GANDY, Revue des questions historiques, t. Ier, p. 46.

[16] Le Stratagème de Charles IX, ap. Archives curieuses, t. VII, p. 412.

[17] C'est le portrait qu'en trace Papyre Masson, Arch. cur., VIII, p. 351.

[18] Il faut dire que ces vers à Ronsard, les meilleurs que l'on connaisse publiés sous le nom d'un roi et peut-être les plus beaux de ce siècle, ont vraisemblablement été remaniés par le sieur de Prades, qui le premier les publia en 1651.

[19] La France et la Saint-Barthélemy, p. 45.

[20] Lettres du cardinal d'Ossat, liv. V, 26.

[21] Histoire de France, t. IX, p. 290.

[22] Itinéraire des rois de France, dans le Recueil de pièces fugitives du marquis D'AUBAIS. D'après cet itinéraire, la cour était à Blois le 5 septembre 1571, à Vaujour le 29 octobre, à Blois entre le 5 novembre et dans la première quinzaine de décembre.

[23] Et puniendi tam infidos rebelles, ut eventus ipse docebit ; nec aliud vobis amplius significare possum. — Le texte latin a été publié dans un article du North British Review d'octobre 1869, n° 101, et reproduit par M. Alfred MAURY, dans le Journal des savants de septembre 1871, note de la p. 423.

[24] Posso dire di non patirmi affato male expedito. — Voyez le texte dans Soldan, p. 45 et 128, et dans Ranke, t. p. 309, note.

[25] De vita et rebus gestis Pii V, Rome, 1605, p. 150.

[26] Lettres de S. Pie V, p. 423.

[27] Le Stratagème de Charles IX, ap. Arch. cur., 1re série, t. VII, p. 417. Dans le même sens, on peut lire LA POPELINIÈRE, Histoire de France, 1581, t. II, f° 22. Voyez toutefois, dans un sens tout différent, CATENA (Vita del papa Pio V, Rome, 1586 ; in-4°, p. 197), d'après lequel la bague devait servir, en quelque sorte, de gage que le Roi tiendrait parole. M. Soldan a réfuté cette fable : La France et la Saint-Barthélemy, p. 428.

[28] La Saint-Barthélemy devant le sénat de Venise. — Relations des ambassadeurs Michieli et Cavalli, p. 70

[29] Lettre du duc d'Albe, en date du 19 juillet 1572, dans la Correspondance de Philippe II, publiée par M. GACHARD, t. II, p. 969.

[30] Relation de Michieli, p. 9.

[31] Mém. de Gaspard de Saulx-Tavannes, coll. Petitot, 1re série, t. XXV, p. 416. — Tocsin des massacreurs, p. 77.

[32] Relation, p. 14.

[33] Relation, p. 14.

[34] Relation, p. 75.

[35] Bibl. nation., ms., n° 8692, f° 36. Charles IX était revenu à Blois après la scène de Montpipeau. Ce château n'était pas en Brie, comme le dit M. Henri Martin, t. IX, p. 343, mais sur la lisière de la forêt d'Orléans, à trois lieues de cette ville, à dix environ de celle de Blois.

[36] V. DINOTHUS, De bello civili Gallico, Bâle, 1582, p. 338, et les Mémoires de l'État de France sous Charles IX.

[37] Guerres de religion, p. 403.

[38] Discours du roy Henri III à un personnage d'honneur et de qualite estant près de Sa Majesté, à Cracovie, des causes et motifs de la Sainct-Barthélemy, ap. coll. Petitot, 1re série, t. XLIV, p. 499. On croit que le personnage à qui ce récit s'adresse est Miron, médecin de Henri III.

[39] Annales ecclesiastici, etc. Rome, 1856, t. Ier, p. 327, 328.

[40] Ce mariage avait été précédé de celui du prince de Condé avec Marie de Clèves, célébré au château de Blandy, près Melun, non pas le 10 août 1572, comme le dit M. de Bouillé (Hist. des Guise, t. II, p. 396), mais en juillet, ainsi que l'atteste le P. Anselme. M. le duc d'Aumale, dans son Histoire des princes de Condé, t. II, p. 98, a adopté cette dernière date. Si ce mariage avait été célébré le 10 août, le Roi aurait pu difficilement être à Blois le 13.

[41] Bibliothèque de l'École des chartes, 5e série, t. III, p. 42.

[42] THENIER, Annales, etc., Mantissa documentorum, t. Ier, p. 330.

[43] Hist. de France, etc., t. Ier, p. 306.

[44] Art. cité, note de la page 21. Voici la phrase dont le sens est en litige : Mma de Nemours fut da M. de Guise suo figlio stimulata a tirare l'archibusata mentre l'Amiraglio fusse con la Regente. M. Ranke fait remarquer qu'à cette époque les dames de la cour apprenaient à la chasse l'usage des armes à feu.

[45] Mémoires de Tavannes, p. 293. En 1583, Maurevel fut tué par Claude de Mouy, fils de celui qu'il avait assassiné quatorze ans auparavant. Il était riche alors, Philippe II lui ayant donné 6.000 écus, en récompense du guet-apens du 22 août 1572.

[46] Où était ce logis ? Presque tous les historiens le placent dans la rue de Béthisy ; M. Édouard Fournier opine pour l'hôtel de Ponthieu, rue des Fossés-Saint-Germain-l'Auxerrois, et ses raisons paraissent solides. — Paris démoli, Aubry, 1855.

[47] Relation, p. 28 et 24. Le chevalier Cavriana, dans une lettre adressée au secrétaire d'État, Concini, à Florence, donne des détails à peu prés semblables : Le bonheur de l'amiral voulut qu'il eût aux pieds des mules qui l'empêchaient de marcher à son aise. Pendant qu'il battait la terre du pied droit pour les mieux enfoncer et qu'il se disposait à faire de marne du pied gauche, il s'en vint à reculer un peu, et comme il retira tout son corps en arrière, il arriva que les bras reçurent et relevèrent le coup qui, sans la pose nouvelle qu'il avait prise, arrivait droit au milieu du corps. — Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, publiées par M. DESJARDINS, t. III, p. 812.

[48] Mém. de l'État de France sous Charles IX, Arch.cur., t. VII, p. 111.

[49] Il avait des ciseaux mal aiguisés, et dut s'y reprendre à trois fois. DE THOU, t. VI, p. 385.

[50] Lettre de Marmara à Concini, citée dans les Négociations de la France avec la Toscane, t. III, p. 844. Ce volume a été publié en 1865, sans traduction du texte italien.

[51] CAVALLI, Relatione di 1574. Voyez dans RANKE, Histoire de France, t. Ier, p. 307, le texte italien de cette phrase importante dont M. William Martin, à sa p. 84, nous semble avoir donné une traduction inexacte. Mais qu'il soit ou non de Cavalli, l'argument reste solide, et Caveyrac l'a formulé en termes très-clairs.

[52] Discours du roi Henri III, coll. Petitot, t. XLIV, p. 505.

[53] De Bello Belgico, decade II.

[54] Négoc. dipl. de la France avec la Toscane, t. III, p. 814.

[55] Rel. de Michieli, trad W. MARTIN, p. 40. On voit que Micheli ne s'accorde point avec le récit transmis à Florence sur la date où le prétendu complot devait éclater. D'après Claude Haton, cette date était le 31 août. — Mémoires publiés par M. Bourquelot, t. II, p. 670.

[56] Mémoires de l'État de France, ap. Archives cur., t. VII, p. 112.

[57] Mémoires de Tavannes, p. 204.

[58] Lettre de Salviati au cardinal de Como, du 24 août 1572, dans THEINER, t. Ier, p. 329.

[59] Journal des savants, septembre 1871, p. 432.

[60] Lettres d'un anonyme à François de Médicis, 26 août 1572. (Négoc. dipl. de la France avec la Toscane, t. III, p. 823.) C'est le récit d'un catholico appasionato, et l'on n'y peut ajouter qu'une foi médiocre ; mais les menaces de Pardaillan sont attestées par Marguerite et d'autres écrivains contemporains.

[61] Mémoires de Marguerite de Valois, coll. Petitot, t. XXXVII, p. 51.

[62] La première vers sept on huit heures, la seconde à dix heures du soir. (Guerres de religion, p. 446.) M. Michelet place le premier conseil, celui du matin, dans le jardin des Tuileries ; il suit, en cela, les Mémoires de l'État de France sous Charles IX (Arch. cur., VII, 109) ; mais, selon ces mémoires, ce conseil fut tenu dans l'après-dînée, c'est-à-dire vers deux heures, et non dans la soirée, comme le dit M. Michelet p. 421. Le duc d'Anjou, qui ne relate qu'une seule délibération, la place aussi dans l'après-dînée (Discours, p. 505), mais il dit qu'elle eut lieu dans le cabinet du Roi. Il est probable qu'avant d'aller trouver ce prince, Catherine et d'Anjou s'entendirent, dans le jardin des Tuileries, avec leurs conseillers italiens Mais ce point est tout à fait secondaire ; la question utile est de savoir s'il y a eu deux discussions en présence du Roi, et s'il ne céda qu'à la fin de la seconde.

[63] Le Réveille-Matin des Français, Arch. cur., VII, 179. Marguerite, ce jour-là, visita aussi l'amiral.

[64] Mémoires de Marguerite de Valois, p. 51.

[65] Discours du roi Henri III, p. 507.

[66] Mémoires de Tavannes, p. 296.

[67] Relation de Cavalli, p. 85.

[68] Histoire de France, t. p. 344.

[69] Cette fable a dû être imaginée par ceux qui, adoptant la version du duc d'Anjou, et persuadés que Charles IX donna son consentement au massacre à un moment où il faisait encore jour, ne savaient comment expliquer l'emploi de son temps depuis ce moment jusqu'à deux heures du matin, heure où, selon d'Anjou, il se coucha. M. Th. Lavallée a cependant reproduit cette historiette, t. I, p. 695.

[70] Mémoires de Marguerite de Valois, p. 53, et Mémoires de Tavannes, p. 297.

[71] Mémoires de Tavannes, p. 297.

[72] Archives curieuses, t. VII, p. 446.

[73] Archives curieuses, t. VII, p. 484.

[74] DE THOU, édit. de Londres, liv. LII, t. VI, p. 397. Voyez aussi l'article de M. A. MAURY, Journal des savants de septembre 1874, p. 434.

[75] Revue des questions historiques, t. Ier, p. 94.

[76] Relations de Michieli et Cavalli, trad. W. MARTIN, p. 40, 41.

[77] Archives curieuses, t. VII, p. 214.

[78] Vies des grands capitaines français, article TAVANNES.

[79] La France et la Saint-Barthélemy, p. 79.

[80] La France et la Saint-Barthélemy, p. 57.

[81] Mémoires, p. 294.

[82] Archives cur. de l'hist. de France, t. VII, p. 227.

[83] M. Michelet dit 600 gentilshommes (Guerres de religion, p. 404) ; M. Henri Martin, 1.200 (Hist. de France, IX, p. 327, note). J'adopte le chiffre de 800 donné par P. Matthieu, qui écrivait moins de vingt ans après l'événement. (Hist. de France, t. Ier, p. 344, édit in-f° de 1631.) Avec la nombreuse domesticité, c'étaient environ 3.000 épées qui entouraient Coligny.

[84] Réveille-Matin des Français, ap. Arch. cur., t. VII, p. 180, 192.

[85] Parmi les derniers historiens qui enregistrent ce fait comme certain, bornons-nous à citer M. Henri MARTIN, Hist. de France, IX, 345 ; M. Th. LAVALLÉE, Hist. des Français, I, 391 ; M. BOUTARIC, art. cité, p. 46. Les ordres du 21 prescrivent seulement d'empêcher les bourgeois de sortir en armes et de fermer leurs boutiques.

[86] Archives curieuses, t. VII, p. 213.

[87] Discours du roi Henri III, coll. Petitot, XLIV, p. 509.

[88] Histoire de France, etc., t. Ier, p. 335.

[89] THEINER, t. Ier, p. 329 et 332. On lit dans la dépêche du 22 septembre : Madame la régente, venue en défiance de l'amiral et se résolvant peu de jours à l'avance, lui fit tirer un coup d'arquebuse, à l'insu du Roi, mais avec la participation de Mgr d'Anjou, de madame de Nemours et de Mgr de Guise, son fils ; et s'il fût mort du coup, il ne s'en tuait pas d'autres (et se motiva subito, non si ammazava altri).

[90] Appendice aux relations de Michieli et Cavalli, p. 90.

[91] Le Réveille-Matin du Français, Arch. cur., t. VII, p. 187.

[92] Le Réveille-Matin du Français, Arch. cur., t. VII, p. 62.

[93] M. G. GANDY, article cité, p. 330.

[94] Apologie de Louis XIV, 1758.

[95] Elle a été publiée par le docteur Friedrich W. EBELING dans son livre intitulé : Archivalische beitrage zur yeschichte Frankreichs unter Carl IX, Leipzig, 1872, p. 430. Cette relation est en latin ; j'emprunte ici la traduction qu'en a donnée M. Charles Read, dans le Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français, numéro du 15 août 1872.

[96] Lettre du 25 août 1872, déjà citée.

[97] Histoire de France, t. III, p. 322.

[98] Journal des Savants, Septembre 1871, p. 436.

[99] La France et la Saint-Barthélemy, Préface, p. VI.

[100] Pie V, mort le 1er mai 1572.

[101] Relation, p. 34-35.

[102] Bibl. de l'École des Chartes, 5e série, t. III, p. 15.

[103] Cette traduction de M. Boutaric est exacte, mais diffère de celle que M. Soldan a donnée de cette phrase. Ce dernier, qui écrivait avant la publication du P. Theiner, place une virgule avant le mot adresso, ce qui change la signification de la phrase. Le sens réel, tel qu'il résulte du texte publié à Rome, est du reste bien plus accablant pour Catherine que celui qu'a adopté M. Soldan. Ce dernier n'a connu la correspondance de Salviati que par les courts extraits que Chateaubriand en avait faits à Rome, et qu'il communiqua à Makintosh en 1832.

[104] La France et la Saint-Barthélemy, p. 101, 102.

[105] Hist. de France, t. IX, p. 343, 344.

[106] Particularités inédites sur la Saint-Barthélemy.

[107] Histoire de la Saint-Barthélemy, p. 435. M. Audin, qui fournit cet argument, est cependant partisan de la thèse de la préméditation.

[108] TEULET, Correspond. diplomat. de Lamothe-Fénelon, t. VII, p. 342 ; M. BOUTARIC, art. cité, p. 46.

[109] M. BOUTARIC, id., ibid.

[110] THEINER, t. Ier, p. 336.

[111] Corresp. diplom. de Lamothe-Fénelon, t. V, p. 422.

[112] GACHARD, Particularités inédites sur la Saint-Barthélemy.

[113] GAYE, Carteggio inedito d'Artisti dei seccoli XIV, XV et XVI, Firenze, 1839, II, CCCXI.

[114] MAFFEI, Annales de Grégoire XIII, t. I, p. 34.

[115] Hist. de la papauté pendant les XVIe et XVIIe siècles, t. II, p. 38 et 45.

[116] Don Juan fait erreur sur ce point.

[117] GACHARD, Particularités inédites, etc., p. 45 et 46.

[118] Dépêches des 24 août, 2 et 22 septembre ; dans Theiner, t. I.

[119] SISMONDI, Hist. des Français, t. XIX, p. 186.

[120] Mureti orationes, Leipzig, 4672, p. 493.

[121] Journal des Savants, septembre 1871, p. 438.

[122] CAPEFIGUE, Hist. de la Réforme, etc., d'après les Archives de Simancas, B, 34. — Subite en ce sens qu'elle ne fut préméditée que la veille de l'exécution.