QUESTIONS HISTORIQUES DU XVIIe SIÈCLE

 

LA MORT DE GABRIELLE D'ESTRÉES

 

 

La mort de Gabrielle d'Estrées fut-elle le résultat d'un crime ? Si oui, quels furent les instigateurs et les agents de cet attentat ? Les partis politiques et religieux, des inimitiés publiques ou privées en sont-ils responsables ? Jamais peut-être accident plus inattendu ne fournit à l'imagination populaire plus large carrière, ne vint dénouer avec une opportunité plus intelligente une situation compliquée et que bien des gens jugeaient grosse de périls. Pour certains esprits prompts à s'alarmer, l'avenir de la France, les destinées de la dynastie, celles mêmes des deux grands partis religieux qui depuis si longtemps mesuraient leurs forces, semblèrent un moment attachés à ce dilemme du mariage ou de la mort de la duchesse de Beaufort.

Quinze jours au plus séparaient la maîtresse de Henri IV du but splendide auquel elle tendait depuis tant d'années : elle avait, c'est bien littéralement qu'on peut le dire, le pied sur les premières marches du trône. Ses robes de noces étaient achevées ; l'anneau nuptial, celui-là même avec lequel le roi avait épousé la France à son sacre, était déjà passé à son doigt. Quand ses hautes visées furent entravées par la mort, quand une foudroyante catastrophe apporta une solution inattendue aux difficultés qu'oh prévoyait, presque tous les contemporains y virent la main de la Providence. Comme il arrive presque toujours en pareil cas, les soupçons s'égarèrent et flottèrent des têtes les plus obscures aux plus illustres ; mais peu de gens cherchèrent à l'événement une cause simple et naturelle : on n'admit pas que le hasard pût avoir de telles habiletés. L'histoire a recueilli ces soupçons, et lentement les a presque transformés en certitudes. Sans parler des chroniqueurs, il n'est guère, depuis Mézeray, d'historien jouissant de quelque renommée qui ne les ait enregistrés avec complaisance, tant l'explication des événements mystérieux, quand elle est extraordinaire et dramatique, a plus de chances d'être bien accueillie que celle qui se fonde sur l'étude impartiale des faits et qui substitue au merveilleux et à l'horrible, la simple, froide et prosaïque réalité.

Les véritables causes dit la mort de Gabrielle d'Estrées ne sont pas de celles qu'un document direct puisse jamais éclairer d'une lumière décisive. L'empoisonnement est, de sa nature, le plus mystérieux, le plus malaisé à saisir des attentats contre la vie humaine, et ceux qui le méditent et l'accomplissent ont toujours chance de demeurer inconnus. Il est rare qu'un pareil crime ait des complices, plus rare encore que son auteur confie son projet au papier. C'est donc seulement par voie d'enquête, par une sorte d'instruction judiciaire qu'on peut arriver à percer la vérité. Qu'il me soit permis de rappeler que cette enquête, j'ai essayé déjà de l'établir dans une étude publiée par une Revue[1], et qui a trouvé place ensuite dans un livre consacré à l'élucidation de diverses questions historiques[2].

Après avoir exposé, dans ce travail, tous les témoignages alors connus sur ce sinistre événement, j'ai essayé de montrer en quoi ils s'accordent et en quoi ils se contrarient. Ces rapprochements ont eu pour effet de préciser un certain nombre de circonstances et de détails livrés à la discussion, et sur lesquels la critique et l'esprit d'analyse peuvent seuls prononcer. La publicité donnée à cette étude m'a valu récemment la communication d'un document inédit des plus graves, et qui apporte un singulier appui à mes conclusions : c'est ce document qui m'a déterminé à revenir sur un sujet qui n'était point aussi épuisé qu'on pourrait le penser, et à l'élucider, d'une façon que j'ose croire définitive, par les nouveaux renseignements que cette pièce fournit.

Il s'agit d'une lettre écrite le 16 avril 1599, six jours après la mort de Gabrielle d'Estrées, et où toutes les particularités de cet événement sont racontées avec la dernière précision. L'auteur est Jehan de Vernhyes (prononcez Vergnes), président de la Cour des Aides de Montferrand et membre du Conseil de Navarre, l'un des plus fidèles amis de Henri IV et de Du Plessis-Mornay. Chef du parti royaliste en Auvergne pendant la Ligue, Jehan de Vernhyes a laissé, sur cette province, d'intéressants Mémoires qui ont été publiés par l'Académie de Clermont. Sa lettre est adressée au duc de Ventadour, pair de France, lieutenant général pour le roi au haut et bas-pays de Languedoc[3]. Elle est tout entière de sa main et porte l'empreinte de son cachet sur lequel sont gravées ses armes parlantes : un vergne, nom de l'aune dans certaines provinces[4], avec deux étoiles en chef, dont une au-dessus d'un croissant.

Le caractère essentiellement confidentiel de cette missive est suffisamment établi par ses énonciations et par les graves révélations qu'elle renferme. M. de Vernhyes l'avait remise à un gentilhomme sûr, et il recommandait expressément au duc de Ventadour de la conserver pour la lui rendre à leur prochaine entrevue. Ce désir a été accompli, puisque l'original de cette lettre s'est retrouvé parmi les papiers de son auteur[5]. Elle est chiffrée dans ses parties les plus compromettantes : il est à présumer que M. de Vernhyes n'était pas très-familier avec le chiffre dont il se servait et qui probablement lui avait été transmis par son noble correspondant, car la manière dont il en use témoigne d'hésitations et de tâtonnements : il commet des omissions et même des erreurs qui rendent parfois l'interprétation du sens assez difficile. Comme presque toutes les missives écrites en chiffres, celle-là est d'ailleurs conçue dans un style elliptique, analogue à celui que tout le monde emploie aujourd'hui pour les communications télégraphiques. Elle sera du reste reproduite ici in extenso ; j'y joindrai la clef des chiffres. telle que je suis parvenu à l'établir, et je reproduirai de plus en note les chiffres afférents aux passages traduits. Cette double précaution permettra à tout lecteur attentif de me contrôler et de me rectifier au besoin.

 

I

Lorsque Henri IV se résolut à solliciter de la Cour de Rome la dissolution du lien qui l'attachait à Marguerite de Valois et à déclarer son intention de poser la couronne sur le front de Gabrielle, il y avait longtemps déjà qu'il s'efforçait de gagner les esprits à cette idée et de calmer toutes les appréhensions. En cela les données générales de sa politique étaient d'accord avec les secrets penchants de son cœur : il servait tout à la fois ses intimes aspirations et les intérêts beaucoup plus respectables du pays. Ne faisons point injure à un si grand esprit en admettant que les habiles concessions par lesquelles le souverain désarma les partis n'eussent d'autre but que de favoriser les faiblesses de l'amant ; elles dominaient en même temps une heureuse satisfaction à ce besoin d'apaisement que les peuples éprouvent toujours après de longues et stériles agitations.

Il s'en faut de beaucoup que l'élévation de la duchesse de Beaufort au trône pût avoir les graves conséquences qu'a entrevues après coup l'imagination des faiseurs de Mémoires et des historiens. Dans son union avec le roi, ni les réformés, ni les catholiques, ni le Pape, ni les jésuites ne pouvaient voir une menace contre les grandes causes qu'ils avaient à cœur de défendre. C'est là un, point que je crois avoir trop fortement établi ailleurs pour qu'il soit nécessaire d'y revenir ici.

Qu'il me suffise de dire que les protestants avaient plus à espérer qu'à craindre de ce mariage : l'intimité de Gabrielle avec les princesses de Bar et d'Orange, l'appui qu'elle avait prêté aux exigences des réformés dans la grande affaire de l'édit de Nantes, leur étaient de sûrs garants, sinon de son dévouement à leurs intérêts, au moins de sa modération. Quant aux catholiques, Henri IV leur avait accordé, sur les graves questions qui les préoccupaient, celle de l'édit de Nantes, de la réception du Concile de Trente et du rappel des jésuites, toutes les concessions propres à les rassurer sur les conséquences politiques de l'union projetée. Dès la fin de l'année 1598, les jésuites avaient obtenu tout ce qu'ils souhaitaient pour le moment ; ils n'étaient plus inquiétés, mais tolérés dans les provinces dont, moins de trois mois auparavant, on parlait encore de les bannir, et ils comprenaient à merveille qu'avant de demander davantage, ils devaient laisser au roi le temps d'user la résistance du Parlement et de l'Université. Leurs intérêts n'étant point compromis par la question du mariage, à défaut de leurs sympathies, on pouvait au moins compter sur leur neutralité.

Seuls les modérés, ceux qu'on appelait les Politiques et qui formaient la fraction la plus saine, la plus intelligente, la plus influente du parti orthodoxe, la mieux initiée aux exigences comme aux difficultés du moment, envisageaient avec une appréhension mêlée de tristesse les conséquences possibles du choix auquel le roi s'était arrêté. Toutefois, leur opposition toute respectueuse n'était pas de nature à se traduire en résistance ouverte, encore moins en complots meurtriers. Dans ce parti sage, vertueux, éclairé, dont le Parlement, les Cours souveraines, le Barreau, la haute bourgeoisie formaient le noyau, tout le monde professait le respect des lois fondamentales qui séparent la monarchie du despotisme.

On réclamait le concours, dans les affaires publiques, des Assemblées nationales et des grands Corps de l'État ; mais on voulait, en même temps, une royauté forte, fondée sur une succession légitime, établie d'après des lois invariables, et, aux yeux de ces hommes expérimentés, la légitimation des enfants du roi et de Gabrielle d'Estrées 'était un gros point noir à l'horizon de l'avenir, une menace pour la stabilité politique. A la mort de Henri IV, les bâtards légitimés verraient-ils leurs prétendus droits reconnus sans difficulté ? Ces droits ne se-raient-ils pas contestés par les princes de sang et surtout par les enfants qui pouvaient naître du mariage et qui auraient sur leurs aînés l'avantage de leur indiscutable légitimité ? Ces éventualités menaçantes rendaient le parti politique très-réservé à l'égard du mariage projeté.

C'est aux perplexités nées de cette embarrassante situation que M. de Vernhyes fait allusion dans sa lettre, lorsque, parlant de Villeroy, il dit que ce ministre, enfin d'accord avec Rosny pour céder aux vifs désirs du roi, demeurait seulement irrésolu de faire héritiers les enfants nés avant le mariage ou ceux qui viendraient après sa consommation. La question se compliquait de ce fait que César et Alexandre de Vendôme, les deux enfants mâles issus de la duchesse de Beaufort et du roi, étaient nés avant la dissolution du mariage de Gabrielle avec M. de Liancourt, et se trouvaient ainsi, non pas seulement bâtards, mais doublement adultérins, puisque leur père était lui-même engagé dans les liens d'une union non encore rompue. L'Église, il est vrai, seul juge alors compétent, avait solennellement reconnu la nullité du mariage de M. et Mme de Liancourt : elle l'avait déclaré frappé d'empêchements dirimants, et, comme tel, sans validité ; mais qui pouvait répondre que, dans l'avenir, les prétendants ne s'insurgeraient pas contre cette sentence ecclésiastique ?

Voilà ce qui explique le parti auquel, selon la lettre de M. de Vernhyes, M. de Villeroy s'était arrêté. Il se demandait, comme on vient de le voir, s'il convenait de déclarer héritiers les enfants nés avant le mariage qui allait s'accomplir ou ceux qui viendraient après sa consommation ; laquelle résolution, ajoute M. de Vernhyes, se debvoit prendre sur les premières lettres de M. de Silery (c'était l'ambassadeur que le roi avait envoyé près de Clément VIII, pour lui soumettre sa demande en séparation d'avec la reine Marguerite) ; et, au premier cas (celui où on se résoudrait à reconnaître aux bâtards légitimés le droit d'hériter de la couronne), passer le contract ; au second, attendre naissance d'un fils. Il est bien clair que si l'on attendait, pour passer le contrat, la naissance d'un fils, cet enfant ne serait pas plus légitime que ses aînés ; mais il ne serait pas adultérin, et, dès lors, il pourrait être légitimé sans conteste. Ce délai attrait le double avantage de permettre au roi de réfléchir, et surtout d'éprouver si son union avec Gabrielle, dont l'état pléthorique était dès lors très-apparent, n'était pas condamnée à rester stérile et par conséquent inutile pour la sécurité du pays ; car l'on ignorait, et l'événement prouva combien les doutes sur ce point étaient fondés, si l'enfant qu'elle portait alors dans son sein naîtrait viable.

On comprend maintenant quelle était la nature des périls que le parti politique entrevoyait dans l'union du roi avec Mme de Liancourt. Mais ses perplexités, nées de la connaissance du droit et presque exclusivement propres aux hommes éclairés qui faisaient de cette science leur étude habituelle, étaient bien éloignées de cette passion aveugle qui met le poison ou le poignard aux mains d'un fanatique. Des fanatiques d'ailleurs, il n'y en avait pas dans ce parti éminemment parlementaire et modéré qui s'honorait d'obéir à des hommes tels que Achille de Harlay, Édouard Molé, Pasquier, de Thou, Servin, du Vair, l'Estoile, les deux Pithou.

 

II

Tous les partis politiques et religieux étaient donc sinon désintéressés dans la grande question du choix de la reine future, au moins trop peu menacés par ses problématiques conséquences pour vouloir l'entraver au moyen d'un crime.

Mais, à défaut des partis, des inimitiés privées, des espérances froissées par l'union projetée étaient peut-être disposées à se mettre en travers des prétentions de la duchesse de Beaufort. Sur cette question encore je crois la lumière faite. Les accusations lancées contre le grand-duc Ferdinand de Médicis et contre Zamet, son ancien agent, dans la maison duquel Gabrielle aurait mangé le fruit ou les mets empoisonnés auxquels on attribue sa mort, ces accusations ne résistent pas au minutieux examen des faits, à l'analyse attentive de la conduite des personnages incriminés, de leurs véritables intérêts, des passions mêmes qui devaient les animer.

Deux historiens se sont faits, de nos jours, les échos de ces accusations. Déjà, dit M. de Sismondi, l'on négociait le mariage de Henri IV avec Marie de Médicis ; la vie de Gabrielle était le grand obstacle à sa réussite, elle périt dans une maison italienne et Ferdinand n'en était pas à son premier empoisonnement. M. Michelet n'est pas moins précis dans ses allégations contre le grand-duc de Toscane : Nul doute que le grand-duc n'ait été le mieux informé. Il y avait intérêt. C'était l'homme de Gabrielle (Sully) qui avait écarté les Italiens de nos finances ; c'était elle qui fermait le trône à sa nièce. Ce prince n'en était pas à son premier assassinat. Encore moins l'empoisonnement, plus discret, lui répugnait-il[6].

Gabrielle ne périt point dans une maison italienne : on pourra s'en assurer en lisant le récit si précis de M. de Vernhyes. Le seul empoisonnement qui ait jamais été mis à la charge de Ferdinand de Médicis, celui de sa belle-sœur, Bianna Capello, est loin d'être acquis à l'histoire, et Trajano Bocalini, écrivain contemporain, prétend qu'il fut le juste châtiment de l'attentat, qu'elle-même avait commis contre les jours son mari. Sur cette grave accusation, Muratori ne se prononce point et se contente de dire : Laissons la curiosité s'égarer dans de tels labyrinthes[7]. Enfin, loin qu'au moment où mourut Gabrielle, on négociât déjà le mariage de Henri IV avec la nièce du grand-duc, ces négociations étaient alors interrompues depuis sept ans. Ni dans la conduite du roi, ni dans ses conversations, que les chroniqueurs nous ont conservées. rien ne donne lieu de, croire qu'on songeât à les renouer. Ces premières négociations sont même assez problématiques : on n'en trouve aucune trace dans la correspondance de Henri IV, et nous n'avons, pour y croire, que l'affirmation de l'historien Galuzzi.

En attentant aux jours de la favorite, Ferdinand de Médicis eût donc commis un crime gratuit, car rien ne l'assurait que, cet obstacle disparu, le choix du roi s'arrêterait sur sa nièce. Et, de fait, ce choix fut une grosse affaire dont Sully nous a transmis toutes les péripéties. Beaucoup plus enclin aux amours faciles qu'au mariage, avec lequel les souvenirs de sa première union n'étaient pas faits pour le réconcilier, le Béarnais flotta longtemps indécis entre plusieurs alliances, et il fallut à son ministre beaucoup de diplomatie pour obtenir, disons mieux, pour surprendre son consentement.

L'accusation portée contre le grand-duc étant écartée, l'accusation subsidiaire contre son agent s'évanouit par cela même. L'étude attentive des réformes introduites par Sully dans le mode de perception des impôts et dans l'administration des fermes prouve d'ailleurs que Ferdinand de Médicis ne perdit rien à cette révolution financière et que la fortune de Zamet n'eut pas davantage à en souffrir. Cet habile partisan se maintint malgré la mauvaise volonté du surintendant à son égard ; il trouva moyen de profiter des nouvelles combinaisons que ce dernier avait imaginées, et, de par la bienveillance toute particulière dont le roi l'honorait, il resta, comme auparavant, l'un des principaux traitants. Loin de lui nuire dans la bienveillance du maître, la mort de la duchesse de Beaufort donna même un nouvel essor à sa fortune : car M. de Vernhyes nous apprend que, dès le lendemain de cet événement, Henri disposa en sa faveur de la lieutenance de la capitainerie de Fontainebleau, charge dont dépouilla un des protégés de la duchesse.

Si Gabrielle périt empoisonnée, ce n'est donc ni sur le grand-duc de Toscane, ni sur Zamet que les soupçons pourraient s'élever : ce serait tout au plus contre un homme que sa juste réputation d'honneur et de rigoureuse intégrité semblerait devoir en garantir. Si monstrueuse que paraisse, à première vue, une pareille suspicion, il faut bien en dire un mot puisqu'elle a été formulée par un historien considérable. Sully, il est vrai, car c'est de lui qu'il s'agit, Sully n'est point accusé de participation directe au crime, mais seulement de complicité morale. Instruit de l'attentat prémédité, il l'aurait laissé s'accomplir. Il savait évidemment ce qui allait se passer, écrit M. Michelet. La preuve en est dans deux mots qui lui échappèrent à trois jours d'intervalle et qui, rapprochés, constituent, en effet, une hase apparente d'incrimination. Le mercredi 7 avril, comme sa femme sortait de l'audience de Gabrielle, furieuse des airs de reine que cette dernière venait de prendre en l'autorisant à venir désormais à son lever et à son coucher, Sully calma son irascible et orgueilleuse moitié en lui disant qu'elle verrait beau jeu et bien joué si la corde ne rompait ; mais que, selon son opinion, celle (l'opinion) des autres ne succéderait pas comme ils s'étaient imaginé. Trois jours après, le samedi, recevant à Rosny, dès le point du jour, la nouvelle de la mort de Gabrielle, arrivée moins de deux heures auparavant, il se précipita dans la chambre de sa femme et lui dit en l'embrassant : Ma fille, il y a bien des nouvelles ; vous n'irez point au lever ni au coucher de la duchesse, car la corde a rompu ; mais, puisqu'elle est véritablement morte, Dieu lui donne bonne vie et longue ![8]

Que Sully fût brouillé avec la duchesse de Beaufort, qu'il se fût souvent mis en travers à ses exigences, que nettement hostile à son mariage, il eût fait jouer bien des ressorts pour en détourner son royal ami, ce sont là des faits hors de doute. Qu'il se soit même réjoui d'une catastrophe qui servait si bien ses vues politiques, qu'à l'exemple du médecin La Rivière, il y ait vu la main de Dieu, que, sous l'empire de certaines rancunes, il ait conçu quelques doutes sur la cause de cet accident si opportun, et laissé percer des soupçons dont j'essayerai en terminant de saisir les traces, tout cela est dans l'ordre des faits possibles et, disons mieux, vraisemblables. Mais de là à se faire, non pas auteur sans doute, mais complice tacite d'un empoisonnement, il y a un abîme. Ces deux propos sortis de sa bouche qu'on rapproche pour l'en accabler, c'est de lui-même que l'histoire les a recueillis, ce qui est déjà une forte présomption qu'à ses yeux ils n'avaient point la portée qu'on leur prête. Si dédaigneux de l'opinion publique que pût être un grand baron féodal tel que Sully, il ne se charge pas volontiers d'un crime aux yeux de la postérité. J'ai donné ailleurs une explication toute naturelle des deux phrases incriminées : il est inutile d'y revenir ici, et l'on peut se borner à dire qu'avant de chercher un complice, on devrait prouver d'abord qu'il y a eu un coupable. Le caractère, l'austérité, la vie tout entière du grand ministre protestent surabondamment contre des imputations si hasardées, et il ne suffit pas de deux mots ambigus pour ternir l'une des plus grandes figures de l'histoire.

Les vraisemblances, comme on le voit, protestent contre le système très-répandu qui attribue la mort de Gabrielle d'Estrées à un crime, et en faveur de celui qui l'explique par des causes naturelles. Reconnaissons-le, toutefois : si graves qu'elles soient, elles ne sauraient imposer silence à toute objection, car, au milieu de tant d'intérêts privés froissés par la subite élévation de la maîtresse de Henri IV, qui peut dire avec certitude s'il ne s'en rencontra pas quelques-uns qui échappent à l'examen par leur obscurité même ?

C'est donc surtout clans les détails de cet événement, dans l'étude attentive de ses préliminaires et de ses particularités les plus intimes, que la lumière doit être cherchée. Et, par malheur, sur les circonstances les plus importantes, les récits contemporains sont loin d'être d'accord. Le jour où Gabrielle quitta Fontainebleau pour venir faire ses Pâques à Paris, la date exacte de son arrivée dans cette dernière ville, le lieu où elle se logea et qui aurait été le théâtre du crime, la durée du séjour qu'elle fit chez Zamet, le moment précis où elle ressentit les premières atteintes de la maladie, la date même de son décès, ce sont là autant de points sur lesquels les écrivains contemporains sont divisés. Joignons-y une question capitale, celle de savoir si elle fut accouchée avant ou après sa mort. Sur toutes ces circonstances, qui sont la base même de toute instruction judiciaire, la lettre de M. de Vernhyes apporte un précieux supplément de preuves et de minutieuses informations : elle permet de serrer de près la vérité, de décider, entre tant de versions contraires, quelles sont celles qui s'en rapprochent le plus.

Ce document contient, en outre, un renseignement des plus graves, et qu'on chercherait vainement ailleurs : le résultat de l'autopsie pratiquée surie cadavre de la duchesse de Beaufort parles médecins du roi, et la nature des lésions et des affections organiques qu'ils constatèrent. Il supplée ainsi au procès-verbal de cette autopsie, dont la perte constituait une lacune des plus regrettables dans l'enquête historique ouverte sur cette obscure catastrophe. Nous allons le donner textuellement, puis nous discuterons toutes les questions qu'il soulève.

MONSEIGNEUR[9],

Je doibs tant à votre service, qu'ores que j'eusse pu l'accroistre avec autant d'effect comme j'en ai eu la volonté, je ne pourrois mériter la lettre de laquelle il vous a plu m'honorer ; d'aultant que le debvoir n'est digne ny de remerciemens, ny de louanges. J'ay seulement une juste obligation à Messieurs Bornier et d'Auteville, pour m'avoir tesmoigné à vostre Grandeur ce que je suis et serai tant que je vive.

J'attends response à une des miennes que j'ay commise aud. sieur Bornier, pour estre capable de vos volontés et, les observer pour lois inviolables et sacrées de tout mon pouvoir, à laquelle j'adjouteray seulement que M. de Communia président au grand Conseil, doibt demain partir de ceste ville, pour aller résider en la ville de Riom en Auvergne, distante du Port-Dieu[10] de douze lieues seulement, par lequel l'on peut commodément faire exécuter l'arrest du grand Conseil à peu de frais, selon l'ordre qu'il vous plaira y establir. Et je pense aussy qu'il seroit plus à propos n'occuper pas la procuration, qu'au préalable led. arrest n'eust esté exécuté au nom de M. Prévost, titulaire ; voire qu'il semble estre intéressant pour vostre seureté à l'advenir de faire renouveller la procuration aussy tost après l'exécution dud. arrest, d'autant qu'il n'y a plus que deux moys dont le temps peut couler, pour l'exécution de vos promesses ; à quoy est besoing pourvoir. Je vous supplie. Monseigneur, y pourvoir comme vous adviserez pour le mieux.

Je désirois trouver commodité asseurée de vous donner non le premier advis de la mort de feue Madame la duchesse de Beaufort, mais vous représenter par cet accident la merveille des merveilles, le miracle des miracles par lequel Dieu a parlé (sans parler) au Roy et à ce Royaume, le plus clairement, intelligiblement et miséricordieusement. par un effet certain de sa divine Providence, qu'il n'a encore faict, encore que cest Estat et celuy qu'il y a estably pour régner aient reçu recors des bénédictions du Ciel sur tous les roys et royaumes de la terre ; et, comme je n'osois commettre mes lettres à la poste, M. Bournier, très-diligent et dévolieux serviteur de Vostre Grandeur, m'a donné moyen de satisfaire également à mon désir et debvoir, et à ce que vous pourriez en recevoir de contentement pour les bruicts divers qui peuvent estre venus jusqu'à vous.

Le Roy s'estant résolu au mariage[11] despuis le jour du Murdy gras, et obligé sa promesse, avoit chargé les mémoires de M. Sileri[12] asseurer le Pape[13], iceluy estre conse[14]. La Roine[15] avoit promis, révoquant sont premier dire, consentir en faveur. Erard[16], serviteur de la maison de Navarre, alloit quérir la déclaration. On s'asseuroit d'aliances étrangères. Mariages[17] : Fille de M. de Savoie avec M. de Vendosme, celluy de Mercure (Mercœur) avec M. le Prince, en apparence seulement et pour le contenter, alioquin destiné à l'Esglise. On s'asseuroit d'ailleurs du consentement et approbation de tous les princes de Loraine. Mademoiselle de Guise, femme future du marquis de Cevre (Cœuvre) ; M. de Biron, mandé pour luy faire rendre et trouver bon la sœur utérine de la roue (royne) future, fille de M. de Belenaut. Comtés Bigort et Prigort avec réserve de l'office de l'spée (l'espée, sans doute la fonction de connétable) et grandes commodités en argent pour estre l'appui de tous, d'autant qu'on ne s'asseuroit du cousin sinon durant la vie du chef. Mesdames princesse de Conti et Ingolesme (Angoulême), mandées avec lettres d'affection, de promesse, affin de l'approuver et faire trouver bon aux leurs. M. Villeroy prest en oue (en outre) au serment d'y servir de vie et honneur, réconcilié pour ce avec M. Roni (Rosny)[18] et juré amistié inséparable, demeuroit seulement irrésolu de faire héritiers les aisnés avnt (avant) le mariage, ou ceux qui endroient (viendraient) après la consomariage[19] (la consommation du mariage)[20]. Laquelle résolution se debvoit prendre sur la première lettre de M. de Sileri[21] et, au premier cas, aussy tost après, passer le contract, au second attendre naissance[22] d'un fils.

En ce contentement, l'amer commença à s'y mesler par une appréhension qu'elle eust de la mort, dont elle affligea souvent le Roy, lui recommandant ses enfants, laquelle recommandation elle luy réitéra le jour qu'elle partit de Fontainebleau pour se rendre en ceste ville, ceste semaine saincte, avec beaucoup de larmes dont Sa Majeste s'estonna grandement, et l'accompagna jusques à Melun, le jour de Pasques Fleuries, d'où elle serendist en ceste ville. le mardy sur les trois heures, ayant fait sa couchée à Savigny. Elle souppa le mardy chez le seigneur Zamet, et se venist loger au Doyenné de Sainct-Germain, d'où elle despescha à Madame de Sourdis, laquelle estoit à Chartres, pour la venir trouver.

Le mercredy elle entendist ténèbres au Petit Sainct-Antoine et ne peust aller prendre un second soupper qui luy estoit préparé, mais se retira audit Doyenné où, sur le retour de son laquay de Chartres, lequel avoit fait une extrême diligence de nuit, elle redespécha un autre laquay à sa tante, la conjurant la venir trouver, si elle désiroit la voir vive. Elle estoit demeurée à Chartres pour pacifier une émeute de peuple avec M. le chancelier, pour un soufflet que M. de Sourdis avoit baillé à un recepveur des tailles.

Le mercredy, elle reposa sans douleurs. Le jeudy, elle s'habilla et alla à la messe à Sainct-Germain, et se recoucha sur les deux heures. Sur les quatre, elle commença à endurer les douleurs de son fruict qui luy appaisèrent sur les huit. Le vendredy, sur les deux heures après midy, elles parvindrent à leur période par une grande évacuation de sang. L'on luy tira, puis après, un enfant mort-né, à pièces et loppins ; fust saignée trois fois, receut trois chrystères, quatre suppositoires, lesquels ne luy servirent seulement, mais n'eurent aucun effet pour attirer le second flux d'après le fruict. Elle demeura jusques aux six heures avec des douleurs et convulsions (s'affligeant elle-mesmes au visaige et aultres parties de son corps), non jamais veues par médecins, apothicaires et chirurgiens, comme ils me l'ont dit. A la dite heure de six, elle perdit le parler,- rouie, la vue et le mouvement, et demeura en test estat jusques à cinq heures du matin du sabmedy, qu'elle rendist l'esprit, après des mouvemens dans l'agonie effroyables.

Tout Paris, le vendredy et le sabmedy, fust au devant de sa porte, pour savoir au vray la mort, ou la voir morte, qu'on la montra la plus changée qu'aultre qui jamais se soit vue. Trois heures après avoir expiré, elle fut mise en pompe. Le corps a été emporté et mis en la chapelle de M. le Chancelier, en l'église de Sainct-Germain, et aujourd'hui on la voit en bosse dans son lict de parade. Madame de Sourdis arriva deux heures après sa mort, laquelle s'esvanouist, comme lit Mademoiselle de Guyse, l'ayant toujours assistée. L'après-midy du sabmedy, luy estant allée don-née de l'eau bénoiste, je la vis encore esvanouie, et Madame de Guyse, sa mère, aux grands pleurs et heurlemens. A ce dernier voyage, ladite daine avoit esté à reculons dans la litière et Mademoiselle sa fille lui avoit donné à boire. Elle (Gabrielle) avoit deux archers derrière elle lorsqu'elle mangeoit et portoit-on sa chemise, pour la luy bailler, à la plus proche de ses parentes qui se trouvoit à son lever, combien que, avant ce dernier voyage, elle ne l'eue jamais permis.

Ça esté doncques un grand jouet de la condition humaine que sa tin. Telle l'eust une aimée de l'empereur Charlemaigne, de laquelle le poète Pétrarche faict sa troi-sième épistre du livre de ses Epistres familiaires, laquelle, certes, mérite d'être louée, d'aultant que l'indignation et courroux qu'on avoit conçeu contre elle (Gabrielle) reffère par de faux bruicts et monstres, comme je croy, à sa vie et à sa mort. Diabolo ! pour ce que on la difame, étiam injuste, d'avoir eu des anneaux[23] qui se sont trouvés perdus avant son décès. La condition seule du Roy semble avoir esté diverse de celle de Charlemaigne, d'aultant qu'en ceste séparation, il a rendu les debvoirs d'un homme plein d'amytié, mais de vertu aussy et constance royale, comme vous saurez par ce qui s'ensuyt.

Le jeudy, sur les quatre heures, La Varenne fut despéché vers Sa Majesté estant à Fontainebleau, pour luy donner advis de l'estat auquel la défuncte se retrouvoit. Sur lequel Béringan (Beringhem ; fust despéché vers elle et se rendit sur les cinq heures du matin. Et, à la même heure, M. le Mareschal d'Ornano courut aussy pour empescher que le Roy ne venist pas, d'aultant que Béringan avoit asseuré que le Roy estoit en chemin. Led. sieur Mareschal, estant à Villeneufve, voit M. de Belli èvre, lequel estoit à une sienne maison qu'il a audit lieu, ou le Roy les trouva tous deux parlant, et lesquels, sur le rapport dud. sieur Mareschal, conseillèrent à Sa Majesté de retourner à Fontainebleau, à quoy elle se résolut sur le retour de Béringan, lequel asseura le Roy comme elle avoit perdu l'ouïe, la veue et tout mouvement, et qu'elle estoit à l'agonie. Ayant lors le Roy tesmoigné que ;amais accident ne lui avoit tant percé le cœur et apporté tant d'affliction, recogneust, regardant le Ciel, que Dieu aimoit cest Estat, et ne le vouloit perdre, et protesta qu'il n'abuseroit pas de ses miséricordes et se garderoit de renchoir à de si grandes fautes. Il commanda après à Béringan de luy aller voir rendre les derniers soupirs[24] et retourna aussytost après à Fontainebleau, où le Roy estant arrivé sur le soir, il alla descendre fort triste au jardin des Pins.

La veue de M. de Vendosme lui fist renouveler ses regrets, sur lesqu els ce j e une prince crya a ussytost que sa mère étoit morte, et, jà sembloit que Sa Majesté avoit oublié les promesses qu'il avoit faites à Dieu, lorsque M. de Villeroy. faisant oster ce jeune prince, osa, avec liberté, fidélité, tendresse et religion, consoler Sa Majesté avec tant de force d'esprit, qu'elle revint à soy tout à coup et promit de se ranger à la volonté de Dieu et ne plus murmurer, anis le supplier avec ardeur de luy vouloir assister de la mesme constance dont il l'avoit armé en ses nécessités et adversités.

Le dimanche matin, Béringan apporta la nouvelle de la mort et l'inventaire des bagues et joyaux que M. de Bellièvre avoit fait par commandement de Sa Majesté. Le jour de Pasques, Loménie arriva à Paris, sur les cinq heures du soir, pour parler à ceux que Sa Majesté luy avoit commandé : premièrement, à MM. les président et secrétaire Forget, à MM. Puget et Blassin, thrésoriers de la défuncte, pour l'aller trouver à l'instant, luy rendre compte des affaires qu'elle avoit laissées, commander particulièrement à M. le président Forget de traicter avec trois que nous sommes nommés du Conseil de Navarre et avec les créanciers, affin, par cet accord, savoir ce qu'il avoit donné de son domaine héréditaire, et deschartrer de toute hypothèque.

Le Roy a retenu à son service domestique et deffrayé le sieur de Valois, secrétaire de la deffuncte, confirmé Vuallon en l'estat de mareschal des logis et porte-rnanteau, retenu Barbe, et ung aultre auprès de Mademoiselle ; con-gé à la Mainville et à son mary, et à tous les aultres officiers de la maison, pages et lacquays, sauf à leur pourvoir de quelqu'argent. A eux ordonna aussy charge de parler à aulcunes parentes. Mais, sur les neuf heures du soir, arriva M. de Montbazon, qui alla consoler seulement M. le marquis de Cœuvres, tombé malade de la violence de sa douleur, l'asseurant que la mort de sa sœur ne l'amoindriroit de rien, et qu'il ne luy manqueroit honneurs et moyens, comme si elle vivoit. M. d'Estrées père ne faict paroistre aulcun signe de tristesse ; il s'est consolé avec les meubles (hors les parures et habits) qu'il envoya aussytost enlever que sa fille fust morte, publiquement, à beaux charriots. Frère Ange[25] alla consoler lad. marquis de Cœuvres, et non le père, n'en ayant de besoing. Le mesme jour de Pasques, Monseigneur le Connestable, sans s'arrêter, passa en ceste ville, trouver le Roy qu'il trouva le lendemain à la chasse. Le mardy, Monseigneur le Chancelier[26] arriva à Fontainebleau, maigrement receu[27]. Hier, Madame de Sourdis partist d'ici pour tascher d'avoir la nourriture des enfans et se tenir aux bouches[28]. On doute qu'elle l'obtienne ; l'aisné sera toujours près du Roy. les deux aultres nourris à Monceaux.

Ainsy, en une heure, Dieu a dissipé tant de conseils, retenu le Roy de courir à sa perte à laquelle il se précipitoit, à sa ruyne et de l'Estat. Dieu veuille, comme nous l'espérons, qu'il en fasse prouffict. Je vous diray, Monseigneur, qu'ores qu'à ceste mort plusieurs personnes aient perdu, et que la deffuncte, en particulier, ne feust de mœurs difficiles et tendantes au mal, sinon aux choses qui luy apportassent crainte ou perte de ses grandeurs, faveurs et espérances, que ses serviteurs et parens plus proches recognoissent sa mort un coup du ciel. Mais, comme semper est gravior fama adversis exitus dominantium, comme disoit Tacite, elle est soupçonnée de poison, principalement des siens. Ains les mesehans (quia adeo opportuna mors) ennemis du Roy la luy rejettent par communs bruicts[29].

Elle feust ouverte le sabmedy, trouvée avoir le poulmon et le foie gestes, une pierre en poincte dans le roignon et le cerveau. offensé. Les médecins disent qu'un citron qu'elle mangea chez Zamet luy ficst mal. Dieu luy ait pardonné ses faultes et sa vie, puisque sa mort a esté si heureuse au public.

M. de Sanxi est maintenant près du Roy, et pense-t-on que ceste mort le remettra mieux qu'il n'estoit. M. de la Grange-le-Roy est tout defferré, le Roy lui ayant osté le contrôle des bastimens et lieutenance de la capitainerie de Fontainebleau, pour la donner à Zamet, et, depuis, Sa Majesté a voulu que M. de Vitry prinst récompense de six mil[30] de la Capitainerie, pour le dit Zamet.

Madame la marquise de Mirabeau, vostre parente, niepce du comte de Salm, est dame d'honneur de Madame, sœur du Roy ; les dames anciennes ont congé. On est fort après à instruire Son Altesse. Le ministre Cornelio de Nismes a faict icy son abjuration ; il se doibt remettre aux Augustins, dont on faict icy grand cas.

Une fille du lieu de Valansay, en Berry, a esté tenue longtemps pour démoniacle, conduite en ceste ville ; on ne croyoit pas aux chrestiens qui en doubtoit. Toutesfois, sur quelques plainctes faictes au Roy, elle a esté visitée par sept médecins et, par leur advis d'informer, ayant esté par eux ordonné : tradatur Lugolio et recipiat sanitatem, la seconde consultation l'a trouvée démoniacle. Une troisième ayant adhéré à la première, (elle) fust prinsse ès mains de Lugoly, et serrée au Petit-Chastelet. Sur ceste prison, les Prescheurs, ceste semaine saincte, ont tant crié, principalement les Capucins, que le premier Président fust contraint les envoyer quérir et menasser, qui les échauffa encore plus, et M. de Paris s'en alla faire plaincie au Roy que le bras séculier entreprenoit contre les tradictions de l'Eglise. Toutesfoys, Lugoly l'ayant menacée faire brûler les diables en son corps, luy a faict confesser beaucoup de mauvaises besoignes : Qu'on s'en vouloit servir pour faire an miracle et sur icelluy accommoder les Huguenots ; qu'elle a esté instruicle. M. le Capucin y debvoit faire le miracle sans scavoir. Et, (faict d'aulcune malice) quelques grands ont esté nommés[31]. Je vous donneray advis de ce qui suyvra ; mais je vous supplie humblement me faire garder mes lettres et rendre lorsque j'auray l'honneur de vous voir.

M. le Mareschal de Bottillon est à Sedan et partist de Fontainebleau il y a près de trois semaines. A son retour, son accord se passera avec le duc de Bouillon. Les Estats[32] ont envoyé guerre M. le Comte de Nansau (Nassau) avec cinq vaisseaux armés. Madame la Princesse, sa mère, l'est allée accompaigner à Dieppe. Le Roy lui donna en argent sept mille escus et deux chevaux, et en a envoyé trois au prince Maurice.

Monseigneur, j'escrirois encore quelques aultres particularités, si ma goutte ne m'empeschoit et contraignoit finir, comme le haste du porteur, laquelle ne me permet point de relire la présente lettre, laquelle finira par un...[33], à dire le vray.

Monseigneur, qu'il vous espargne à estre rongé de tels maux.

Vostre très obéissant, très humble et très fidèle serviteur.

J. n. V. (Jehan de Vernhyes).

(De Paris, le 16 apvril 1599.)

 

III

On sait que Gabrielle, quelques jours avant l'époque fixée pour son mariage, quitta Fontainebleau, où elle résidait près de son royal amant, pour venir faire ses Pâques à Paris, en public, et montrer ainsi qu'elle était bonne catholique, et que sa liaison avec Mmes de Bar et d'Orange avait été sans influence sur ses sentiments religieux.

Selon M. de Vernhyes, Gabrielle arrive à Paris le mardi avril 1599, sur les trois heures de l'après-midi[34] ; elle soupe chez Zamet, qui demeurait aux environs de l'Arsenal, près de l'endroit où elle avait mis pied à terre, et, dès le soir même, va se loger au doyenné de Saint-Germain-l'Auxerrois. chez sa tante, Mme de Sourdis. Cette dame était alors à Chartres, où elle avait accompagné son vieil ami, le chancelier de Cheverny, et Gabrielle se hâte de la mander auprès d'elle. Le lendemain mercredi, elle se rend au petit Saint-Antoine, église située près de l'hôtel Zamet, afin d'y entendre les Ténèbres. C'est là qu'elle éprouve une crise subite et violente qui la détermine à rentrer de suite au doyenné, au lieu d'aller, comme elle avait fait la veille, souper au logis de Zamet. Il paraît toutefois qu'elle s'y reposa un instant, ainsi que l'attestent d'autres témoignages, puisque M. de Vernhyes constate qu'au dire des médecins, un citron, qu'elle mangea chez Zamet, lui fil mal, fait qui, dans le récit que j'analyse en ce moment, ne peut trouver place qu'après l'office entendu au petit Saint-Antoine.

Quoi qu'il en soit, de retour au doyenné, et fort alarmée de son état, elle expédie à sa tante un second courrier, chargé de l'inviter à faire diligence, si elle tient à la voir encore vivante. Elle se couche ensuite, et la nuit du mercredi au jeudi se passe mieux qu'elle ne l'espérait.

M. de Vernhyes nous donne l'emploi de la journée du jeudi, révélation neuve et qui a son intérêt, car on va voir que c'est surtout sur cette journée que roule le désaccord entre les témoins. Le jeudi donc, la duchesse de I3eaufort s'habille et va entendre la messe à Saint-Germain-l'Auxerrois. On savait, en effet, par Cheverny, que, lorsqu'elle fut à l'article de la mort, les horribles convulsions auxquelles elle était en proie ne permirent pas de lui administrer le saint viatique : il fallut se contenter de ce qu'elle avait fait ses Pâques quelque temps auparavant. C'est donc vraisemblablement pendant la messe entendue le jeudi à Saint-Germain qu'elle s'approcha de la sainte table. Tel est, en effet, le sentiment de M. Michelet, lequel s'éloigne en ce point de la version de La Varenne, qu'il adopte aveuglément pour tout le reste, sans se préoccuper de ce qu'elle a d'inconciliable avec les autres relations.

Revenue, de Saint-Germain et se trouvant de nouveau souffrante, Gabrielle prend le lit. A quatre heures, les premières douleurs de l'enfantement se manifestent, mais elles s'apaisent vers huit heures. Voilà des détails tellement précis et circonstanciés qu'on y reconnaît de suite le cachet de la vérité. Les souffrances recommencent le vendredi et arrivent à leur paroxysme à deux heures de l'après-midi, par une grande évacuation de sang : peu après, les médecins se décident à pratiquer l'accouchement et l'enfant est trouvé mort ; on le tire à pièces et loppins. Livrée à l'impitoyable thérapeutique du temps, la malheureuse femme est saignée trois fois coup sur coup ; on lui applique infructueusement quatre suppositoires, dans le but d'attirer le second flux d'après le fruict, détail très-grave et sur lequel je reviendrai, car tous les phénomènes symptomatiques de la maladie à laquelle Gabrielle succomba sont en corrélation intime avec ce prodrome qui, à lui seul, suffirait pour en expliquer la fatale issue. L'accouchée est alors en proie aux convulsions les mieux accusées ; elle se meurtrit elle-même au visage et à d'autres parties du corps. Et tous ces faits précis et significatifs, M. de Vernhyes déclare qu'il les tient des médecins, apothicaires et chirurgiens présents. A six heures du soir, la malade perd tous les sens ; elle demeure en cet état jusqu'au lendemain, samedi, cinq heures du matin, moment où l'agonie se termine dans des convulsions effroyables. C'est seulement le dimanche matin que le roi apprend de la bouche de Beringhem que tout est fini.

Telle est, dans les points essentiels, la communication de M. de Vernhyes : il touche ensuite un mot du scandale dont cette maison, sur laquelle planait la mort, fut le théâtre quand tout Paris vint, dès le vendredi, chercher des nouvelles à la porte de la malade, quand les domestiques éperdus, ahuris, laissèrent tout ce monde, (plus de vingt mille personnes, au dire de Cheverny) défiler dans la chambre mortuaire et se repaître du spectacle de ce beau visage, devenu tout hideux et effroyable[35]. Sa version se résume dans les points suivants : l'arrivée à Paris a lieu le mardi soir ; ce jour-là, Gabrielle soupe au logis de Zamet, mais n'y couche point ; elle entend les Ténèbres le mercredi et ressent, pendant l'office, les premiers avertissements de sa prochaine délivrance ; les douleurs la reprennent le jeudi soir ; elle est accouchée le vendredi après-midi, dans les conditions les plus défavorables, et meurt le lendemain matin.

A ce récit si complet, si naturellement enchaîné, marqué au coin de la vraisemblance, comparons ceux qu'on connaissait jusqu'à ce jour, et dans les.- quels les historiens modernes ont cherché, en les accordant tant bien que mal, et souvent sans y réussir, l'explication de cette mystérieuse catastrophe. Nous éliminerons tout d'abord les rédacteurs de chroniques et de journaux historiques, tels que l'Estoile, Matthieu, Palma Cayet et d'Aubigné ; nous n'aurons égard qu'aux témoins oculaires, ou qui du moins étaient, par leur position, en mesure de puiser leurs renseignements à des sources immédiates tout à fait sûres. Ces témoins sont au nombre de cinq : Mlle de Guise d'abord, qui, placée à côté de Gabrielle, dans la chapelle où cette dernière entendait les Ténèbres, la reconduisit ensuite à son logis et l'assista dans ses derniers moments ; puis le chancelier de Cheverny, intimement lié avec Mme de Sourdis, tante de la favorite, et qui tenait de cette dame les principaux détails de l'événement ; Bassompierre ensuite, que le roi avait chargé de distraire sa maîtresse par ses saillies et sa belle humeur, pendant le voyage de Melun à Paris ; enfin Sully, qui la visita dès qu'elle fut arrivée dans cette dernière ville, et La Varenne, qui partageait avec M. de Montbazon, capitaine des gardes, le soin de veiller sur elle.

Mlle de Guise nous a transmis son témoignage dans un livre célèbre, véritable récit historique sous la forme d'un roman. Maîtresse de Bassompierre, tout naturellement portée à excuser la position incorrecte de Gabrielle, elle faisait montre de l'affection qui les unissait, et poussait la familiarité obséquieuse jusqu'à s'habiller toujours de la même façon que son amie ; elle s'en séparait le moins possible[36] ; et, de fait, elle lui fit visite dès qu'elle apprit son arrivée, et ne la quitta presque plus jusqu'à la mort. Dans son récit, il n'est pas question du souper chez Zamet ; la duchesse ne loge point chez lui, mais dans le cloître des chanoines de la paroisse du Palais-Royal. C'est bien le mercredi qu'elle se rend aux Ténèbres, en une église qui était au bout de la ville. On l'y conduit en litière, détail significatif qui montre qu'elle ne partait pas, pour s'y transporter, de l'hôtel de Zamet, voisin du Petit-Saint-Antoine. Un capitaine des gardes du roi marche à ses côtés ; toutes les princesses la suivent en carrosse. C'est la reine, et on la traite déjà comme telle. Dans la chapelle qu'on lui a réservée, Mlle de Guise la distrait de son mieux, et reçoit d'elle communication de deux lettres du roi, arrivées le matin même, lettres passionnées et pleines de l'impatience de la voir reine. La cérémonie religieuse terminée, elle dit à la princesse qu'elle allait se mettre au lit et l'invite à l'accompagner. A peine de retour à son logis du Doyenné, des convulsions la prennent et cèdent aux remèdes énergiques qu'on lui administre. Elle entreprend alors de répondre à son royal correspondant ; mais une autre convulsion l'en empêcha, et recevant une lettre du Roy, (c'était, comme on voit, la troisième de la journée) comme elle fut revenue de cette seconde (convulsion), la voulant lire, il lui en prit une autre qui, augmentant toujours, lui dura jusqu'à la mort. Ce mal la prit le mercredy au soir ; elle accoucha le vendredy, par la force des remèdes qu'on lui lit, et mourut le samedy matin, 10 avril 1599, veille de l'asques, sans avoir eu aucune connaissance, au moins à ce qu'on en pouvoit juger.

Cette relation, comme on voit, ne diffère pas sensiblement de celle de M. de Vernhyes. Sur le moment où apparaissent les prodromes de la maladie, comme sur le fait et le jour de l'accouchement, comme sur le moment de la mort, les deux versions sont en parfaite harmonie. Il n'y a désaccord que sur le calme qui, selon M. de Vernhyes, régna chez la malade dans la nuit du mercredi au jeudi et la matinée de ce dernier jour, calme dont la princesse qui, sans doute, ne passa pas la nuit chez Gabrielle, a pu n'être pas frappée. Les vraisemblances sont d'ailleurs en faveur des informations transmises par M. de Vernhyes, car nous allons voir que, selon toute probabilité et contrairement au sentiment de la princesse, il y eut un moment où Gabrielle recouvra assez de force et de connaissance pour écrire au roi une lettre qui lui parvint. Quant au séjour chez Zamet, il n'est même pas mentionné par Mlle de Guise, ce qui porte à croire qu'il fut tellement court qu'aucun souvenir n'en était resté dans son esprit quand elle écrivait son roman historique.

Nous glisserons rapidement sur les récits de Cheverny et de Bassompierre, qui n'ont point l'autorité des deux précédents. Cheverny, qui ne survécut que de trois mois à Gabrielle, était fort avancé en âge quand il écrivit ce qui, dans ses Mémoires, a rapport à la mort de cette dernière. Il n'en fut point témoin oculaire et ne connut les faits que par Mme de Sourdis, qui, elle-même, et malgré toute la diligence qu'elle fit pour répondre à l'appel de sa nièce, n'arriva point à temps pour la revoir vivante. Cheverny s'accorde, du reste, avec M. de Vernhyes et Mlle de Guise, en ce qui concerne la date des principales circonstances de l'événement, mais il s'en éloigne sur un point capital. Arrivée au logis de Zamet, le mardi soir, Gabrielle y aurait passé toute la journée du mercredi, jour où elle assista à l'office du Petit-Saint-Antoine, et ce serait seulement le jeudi matin qu'elle voulut opiniâtrement être portée au logis de Mme de Sourdis, proche Saint-Germain.

Quant à Bassompierre, il écrivait à la Bastille, plus de trente ans après l'événement, sans notes. sans aucun moyen de rappeler ses souvenirs. Dans sa narration, conforme en cela à celle de La Varenne, qui sera discutée tout à l'heure, Gabrielle ne met pied à terre à Paris que le mercredi ; elle aborde près de l'Arsenal où demeurait la maréchale de Balagny, sa sœur. Le narrateur veut-il faire entendre par là qu'elle entra d'abord chez cette sœur ? C'est assez probable, puisqu'il ne dit pas un mot du séjour ni du souper chez Zamet. De là, dit-il (c'est-à-dire dans la maison de Mme de Balagny), la vinrent trouver Mme et Mlle de Guise, Mme de Retz et ses filles, et quelques autres dames qui l'accompagnèrent aux Ténèbres du Petit-Saint-Antoine, où la musique des Ténèbres était excellente, puis la conduisirent à son logis du Doyenné. Elle pria Mlle de Guise de demeurer auprès d'elle ; mais, une heure après, une grande convulsion l'ayant prise, dont elle revint, comme elle voulut commencer une lettre qu'elle écrivoit au Roy, la seconde convulsion lui prit, si violente qu'elle ne revint depuis plus à elle.

Si l'on élimine la date de l'arrivée, sur laquelle Bassompierre semble se tromper d'un jour, son récit ne diffère pas essentiellement dés précédents. Il commet une erreur certaine en ce qui concerne la date du décès, qu'il place au matin du vendredi saint, contrairement à tous les autres témoignages qui le fixent au samedi ; mais ce qu'il importe surtout de remarquer, c'est le silence absolu gardé sur le séjour chez Zamet.

 

IV

Les deux dépositions qui nous restent à entendre sont, avec les deux premières, en opposition bien autrement accusée que celles de Cheverny et de Bassompierre. Mais, au fond, ces deux dépositions n'en font qu'une, les renseignements fournis par La Varenne étant contenus dans une lettre qu'il aurait adressée à Sully, alors marquis de Rosny, dans la nuit du vendredi au samedi, lorsque Gabrielle respirait encore ; en sorte que, dans la pensée de l'auteur des Royales Économies, ce document semble destiné à servir de complément à sa propre narration.

Sully, en effet, quitta Paris le jeudi, se rendant à son château de Rosny, où il allait faire la Cène. La veille de ce jour, sa femme avait fait visite à Gabrielle, et Sully ne nous dit point en quel lieu se passa cette entrevue. Il nous apprend seulement qu'antérieurement lui-même était allé rendre ses devoirs à la duchesse, laquelle était logée chez le sieur Zamet quand elle le reçut. L'heure avancée à laquelle, d'après tous les témoignages, Gabrielle débarqua à Paris, donnerait lieu de croire que les visites successives du mari et de la femme n'ont pu avoir lieu le même jour, et qu'ainsi Sully admet la présence de la favorite à Paris dès le mardi soir ; mais il serait alors en opposition avec La Varenne, dont, immédiatement après tes détails préliminaires, il reproduit la lettre, sans y rien objecter. Et comme il est invraisemblable qu'aucun des nombreux secrétaires qu'il employait à la rédaction de ses Mémoires ne lui ait signalé cette contradiction, on est conduit à admettre que, dans ses souvenirs, sa visite et celle de la marquise de Rosny avaient été faites le même jour, c'est-à-dire le mercredi.

La veille de Pâques, au lever du jour, un courrier sonne à la porte du château de Rosny, en criant : De la part du Roi. Sully descend en hâte, fait baisser le pont-levis, et apprend de la bouche du messager la mort de Gabrielle, laquelle, remarquons-le en passant, respirait encore fi cette heure où déjà l'on annonçait au loin son décès. C'est alors que Sully prononce, en embrassant sa vaniteuse moitié, ce mot plein d'une joie cruelle et qui a fourni prétexte aux plus graves accusations : La corde a rompu ! Vous n'irez pas au lever de la duchesse. Le porteur de cette heureuse nouvelle a été dépêché par le roi pour mander le surintendant à Fontainebleau. Il a quitté le prince à mi-chemin entre Paris et Fontainebleau, au moment où Henri, qui accourait à toutes brides, s'est décidé à retourner sur ses pas en recevant un message de La Varenne, qui le conjurait de n'aller pas plus loin, la duchesse étant déjà morte ; mensonge officieux destiné à épargner au monarque un spectacle cruel, et qui a donné lieu à beaucoup de commentaires. En passant par Paris, le courrier a pris soin d'entrer au logis de la mourante, où La Varenne lui a remis pour Rosny une lettre qui contient tous les détails de l'événement, et c'est cette lettre que l'auteur des Économies encadre dans son récit.

La Varenne y dit en substance que, chargé par le roi d'accompagner la duchesse de Beaufort à Paris, il l'avait, selon l'ordre de son maître, logée chez le sieur Zamet, où elle ne serait arrivée que le mercredi. On voit que, dès ses premières lignes, ce document contredit tous les témoignages précédemment analysés, celui de Bassompierre excepté. L'arrivée à Paris étant ainsi reportée au mercredi, c'est naturellement dans la journée du lendemain que La Varenne place l'office auquel la duchesse assista au Petit-Saint-Antoine, après avoir bien dîné et de fort bon appétit. Car, ajoute-t-il, son hôte l'avait traitée des viandes les plus friandes et délicates, et qu'il savait être le plus selon son goût, ce que vous remarquerez avec votre prudence, car la mienne n'est pas assez excellente pour présumer des choses dont il ne m'est pas apparu.

Ces derniers mots contiennent une insinuation des plus transparentes, et l'on peut dire qu'ils sont la base de toutes les accusations dirigées depuis contre Zamet.

A son retour de l'église, toujours selon la lettre de La Varenne, la duchesse fit quelques tours dans le jardin de l'hôtel Zamet, et c'est pendant cette promenade qu'elle fut surprise d'une grande apoplexie qui, sur l'heure même, pensa la suffoquer. Dès qu'elle reprit ses sens, elle n'eut d'autre parole, sinon qu'on l'ôtât promptement du logis du sieur Zamet, et qu'on la portât au Cloître-Saint-Germain en celui de sa tante, ce qu'on fut contraint de faire de suite (le jeudi soir), à cause de la passion extrême qu'elle témoignait de quitter le logis du sieur Zamet.

Comme on le voit, les insinuations continuent, et la duchesse elle-même nous est peinte comme concevant des soupçons contre cet hôte qu'elle a tant de hâte de quitter.

Arrivée chez sa tante, les crises auxquelles elle est en proie prennent une telle intensité, que La Varenne se résout d'en avertir le Roy et de lui mander que tous les médecins doutoient fort de sa vie, surtout à cause qu'étant fort grosse, on ne pouvoit user de remèdes proportionnés à la violence du mal.

Ces derniers mots excluent l'idée d'un accouchement opéré dans la journée du vendredi. La Varenne ne fait aucune mention d'un. événement si grave et qui, accompli dans les terribles conditions qu'a décrites M. de Vernhyes, devait prendre beaucoup de temps et devenir le fait saillant de la journée. Il ne parle pas davantage des trois lettres que, selon Cheverny, Gabrielle aurait adressées au roi. Il semble certain pourtant qu'il y en eut au moins une qui fut écrite par elle et transmise au monarque, puisque Marbault nous a conservé le nom du 'messager qui la porta et qui s'appelait Puipeyroux, en même temps que tous les détails de son entrevue avec le prince et des ordres qu'il en reçut. Si l'on prend à la lettre le texte de La Varenne, il paraît même impossible qu'aucune missive ait pu être écrite le vendredi par la malade. Suivant lui, en effet, les *crises, à partir du jeudi soir, allèrent toujours en redoublant ; si bien que, le lendemain, vers le milieu du jour, l'officieux serviteur la voyant, dit-il, tellement empirée et changée, jugea qu'il n'était pas à propos que le roi la vit ainsi défigurée, de crainte que cela ne l'en dégoûtât pour jamais, si tant étoit qu'elle pût revenir à convalescence, attention assurément bien étrange dans un pareil moment.

Il prit donc le parti de tromper son maître, et lui écrivit une seconde fois pour lui dire que la duchesse était morte, bien qu'à ce moment elle eût encore près de quinze heures à vivre. Selon Sully, le porteur de cette mensongère missive rencontra le roi à mi-chemin entre Paris et Fontainebleau. D'après Bassompierre, ce serait le maréchal d'Ornano qui aurait été chargé de porter au roi la fatale nouvelle et de l'arrêter dans sa route, fait que confirme M. de Vernhyes. On ne s'explique pas comment La Varenne et Sully ont pu omettre, en cette circonstance, le nom d'un personnage si considérable, et l'assimiler à un vulgaire courrier. Sully se borne à dire que MM. d'Ornano, de Roquelaure et de Frontenac persuadèrent au roi de s'en retourner. Ce sont eux qui le firent monter dans un carrosse qui se trouva là tout à point, détail que M. Michelet a relevé, et où il a vu l'indice d'un complot ourdi pour empêcher le prince de recevoir, de la bouche de sa maîtresse, les preuves du crime dont elle était victime.

Tel est l'ensemble des faits révélés par la lettre de La Varenne. Certes, si jamais document parut mériter confiance et fut propre à lever tous les doutes, c'est bien celui-là. Il est écrit sur le théâtre même des événements, et par celui qui y prend la part la. plus active. Ce personnage est l'intime confident à qui le roi a confié la mission de veiller sur sa maîtresse. Depuis qu'elle a quitté son amant, cet homme ne l'a pas perdue de vue un instant ; il écrit près du lit où elle agonise. Et moi, dit-il dans sa lettre, je suis ici, tenant cette pauvre femme entre mes bras, et doutant qu'elle vive encore une heure, vu les effroyables accidents dont elle est travaillée. N'est-ce pas là l'accent de la vérité ? Comment douter de la sincérité, de l'authenticité d'une pareille pièce ? Tous les historiens l'ont suivie presque aveuglément ; c'est d'après elle que M. Michelet a rédigé son exposé si dramatique de l'intrigue tramée pour mettre fin aux jours de l'ambitieuse maîtresse de Henri IV. Et moi-même, s'il m'est permis de me citer ici, tout en critiquant certains détails suspects, tout en réduisant à un temps beaucoup plus court qu'elle ne semble le permettre la durée du séjour chez Zamet, j'ai admis pourtant, sur la foi de ce document, que l'audition des Ténèbres et les premières atteintes de la maladie devaient être fixées non au mercredi, mais au jeudi, et que l'accouchement, malgré le dire si positif de Mile de Guise, n'avait pas eu lieu pendant que Gabrielle vivait encore, puisque La Varenne n'en dit rien, mais seulement après la mort, comme le prétend Cheverny[37].

Eh bien ! cette pièce est fausse. Le récit si clair et si précis de M. de Vernhyes m'a poussé à l'examiner de près, et à en peser tous les termes, à en relever toutes les invraisemblances, et je crois être en mesure de prouver qu'elle n'a jamais existé, au moins dans la forme prolixe où elle nous est parvenue, que dans l'imagination de l'auteur des Économies.

Le secrétaire de Du Plessis-Mornay, Marbault, très-hostile, il est vrai, à Sully, avait émis déjà quelques doutes sur l'authenticité de cette prétendue missive autographe. Il avait remarqué qu'à l'époque où elle est censée écrite, La Varenne, très-pointilleux sur les questions d'étiquette, n'aurait pas donné du Monseigneur au marquis de Rosny, qui n'était pas encore duc et pair, mais seulement surintendant des finances. Il avait relevé de plus le fait de la missive au Roi, confiée à Puipeyroux par Gabrielle, et l'omission étrange de ce fait important qui n'a pas de place possible dans la relation de La Varenne.

Étudiée de près et avec l'attention scrupuleuse qu'éveille toujours le soupçon, cette lettre nous livre bien d'autres symptômes de son caractère apocryphe. Le style d'abord, qui ressemble si fort à celui des Royales Économies, style pénible, enchevêtré, s'épanchant lourdement en interminables phrases que coupent de continuelles incises. Puis sa prolixité, intempestive et l'inutilité de certains détails. Quoi ! La Varenne est au lit de la moribonde, en proie aux plus horribles convulsions ; il la tient dans ses bras ; il lutte avec les fureurs inconscientes du délire, et c'est dans un pareil moment qu'il trouve le loisir d'aligner de longues phrases et d'entretenir son correspondant de toutes sortes de circonstances oiseuses ! Qu'a-t-il besoin de lui rappeler comment la duchesse a quitté le roi, ses adieux à son amant, ses appréhensions, son arrivée chez Zamet, l'excellent dîner que son hôte lui a servi ! Rosny sait tout cela aussi bien que lui, puisqu'il a vu Gabrielle chez Zamet, puisque sa femme a visité aussi la future reine quelque temps après. Et ces deux visites, La Varenne, qui ne quittait pas sa maîtresse, n'a pu les ignorer.

Les médecins, s'il faut en croire cette lettre suspecte, n'osèrent point appliquer des remèdes proportionnés à la violence du mal. Or, M. de Vernhyes nous donne la liste des remèdes, aussi nombreux qu'énergiques, qui furent employés, et cette énumération est trop technique pour qu'un homme du monde ait pu l'inventer : il est clair que le narrateur, comme il le déclare du reste, la tenait de la bouche même des médecins.

Faut-il ensuite relever ce détail si peu vraisemblable de viandes délicates servies à la duchesse le jeudi saint, le jour même où elle vient de communier ? Et cela à une pareille époque, sans l'excuse de la maladie, qui ne survint que plus tard, presque en public, en présence des dames de la Cour, qui entourent la future souveraine, et quand nous savons, par Mlle de Guise, qu'elle avait voulu faire ses dévotions à Paris, afin de se faire voir bonne catholique au peuple qui ne la jugeait pas telle.

Remarquons enfin que, parmi tous les témoignages contemporains de première main, celui-là est le seul où perce le soupçon d'empoisonnement. N'est-il pas clair que Sully place sous la plume de La Varenne ce dont il ne veut pas prendre la responsabilité pour lui-même ? Je tiens pour certain que si ce familier du roi a écrit (et cela n'a rien d'impossible), son billet dut être très-laconique. Tout ce qui est préliminaires, réflexions, détails superflus, est de l'invention de Sully. En y regardant de près, on croit même découvrir que le récit placé dans la lettre dut avoir d'abord la forme d'une narration personnelle à l'auteur des Économies, faisant corps avec ce qui précède et ce qui suit : ce n'est qu'après coup qu'il a dû prendre la forme d'une lettre[38].

Si la missive attribuée à La Varenne a été inventée à plaisir, elle a plus d'un analogue dans les Mémoires de Sully. Marbault en cite plusieurs autres qui n'ont pu être écrites par les personnages auxquels ce ministre les prête. J'ai fourni moi-même un exemple frappant de ces audacieuses falsifications[39]. Il s'agit de la lettre que Sully donne comme lui ayant été écrite par Marguerite de Valois, et dans laquelle cette reine parle de Gabrielle d'Estrées dans les termes les plus méprisants et refuse de céder sa place à une telle décriée bagasse ; et cela à la date du 29 juillet 1599, quand déjà son consentement au divorce était donné depuis plus de six mois A propos d'une autre lettre attribuée à la même reine, Marbault remarque que Sully, parlant de la mort de la duchesse de Beaufort et de la connétable de Montmorency, les diffame tant qu'il peut. Toutefois, pour le respect qu'il porte aux Maisons de l'une et l'autre, il ne dira pas tout. Mais la royne Marguerite en dira une partie[40].

Voilà le procédé familier à l'auteur des Économies mis à nu et dans tout son jour. Et ce ne sont point là de simples artifices de rédaction. Il est clair qu'il traitait l'histoire comme les gens de son entourage, en homme habitué à la plier à ses ordres, et plus soucieux de la mettre au service de ses rancunes que de la vérité[41]. Il n'aimait pas Gabrielle ; il n'était pas non plus au mieux avec Zamet : souvent il avait eu maille à partir avec ces deux favoris que la protection du Roi maintenait seule contre sa volonté despotique, d'accord cette fois, il faut le dire, avec l'intérêt public. Lorsque, près de quarante ans après la mort de la duchesse de Beaufort, il écrivit ses Mémoires, avec l'aide de quatre secrétaires, dans sa sombre et hautaine solitude de Sully-sur-Loire, où l'abandon et l'oubli du nouveau régime doublaient l'amertume de ses souvenirs, il se donna la maligne consolation de déverser sur les morts qui jadis avaient entravé ses desseins, un peu du fiel qu'il accumulait contre les vivants.

Depuis longtemps déjà, La Varenne et Zamet avaient quitté la scène du monde : le premier était mort en 1616, le second deux années auparavant. Ils n'étaient plus là pour protester, celui-là contre les fausses révélations qu'on lui prêtait, celui-ci contre les insinuations dont il était l'objet. Et si ces insinuations se renfermèrent dans des termes assez vagues, si elles ne prirent pas un caractère plus précis, c'est sans doute que Zamet avait laissé un fils, d'abord aumônier. de Marie de Médicis, puis évêque de Langres en 1615, ce qui, pour Sully, hostile à presque tous les serviteurs du nouveau règne, en faisait à la fois un ennemi et un homme à ménager.

Que si, pénétrant plus avant dans la question, l'on se demande d'où proviennent certaines erreurs de détail qu'on remarque dans le récit attribué à La Varenne, et que Sully n'avait point intérêt à y introduire, parce qu'elles ne corroborent que médiocrement les soupçons élevés contre Zamet, voici comment on peut s'en rendre compte. Lorsqu'il écrivait et publiait lui-même ses Mémoires, qu'il fit imprimer sous ses yeux, dans son château de Sully, en l'année 1638[42], quatre auteurs considérables avaient déjà donné au public des relations détaillées des principaux événements du règne de Henri IV, et, comme il arrive presque toujours, les trois derniers avaient copié le premier en date.

Palma Cayet avait publié dès 1605 son Septennaire, où il écrivait les lignes suivantes : La duchesse de Beaufort partit de Fontainebleau le lundy de la semaine saincte, et, estant logée chez le sieur Zamet, elle s'en alla ouïr les Ténèbres le jeudy dedans le petit Sainct-Anthoine : au retour de là, comme elle se promenait dans le jardin, soudainement il lui prit une grande apoplexie. Trois autres historiens reproduisirent bientôt cette version : Legrain, dans sa Décade, publiée en 1614 ; d'Aubigné, dans son Histoire universelle, qui parut de 1616 à 1620 et où se lit cette phrase souvent citée : Les nécessités de l'État furent ses ennemis ; L'Estoile enfin, dont le Journal fut imprimé en 1621. Ce dernier, il est vrai, est censé avoir consigné les événements à mesure de leur arrivée, et l'on a dit que la vérité historique devait être dans ces notes quotidiennes, parce que l'auteur, étranger à toute fonction publique, n'avait aucun intérêt à tromper. Point d'intérêt, soit, disent les derniers éditeurs de son Journal, mais n'a-t-il pas pu, n'a-t-il pas dû être trompé lui-même ? Quels moyens avait-il d'éviter l'erreur ? Où a-t-il puisé ses renseignements ? Dans la rumeur publique[43]. Il est vraisemblable d'ailleurs que les Notes de l'Estoile ont été revues et amplifiées avant d'être livrées à l'impression.

Voilà les livres que Sully connaissait certainement et devait avoir entre les mains quand il fabriqua la lettre attribuée à La Varenne ; voilà les autorités qui lui ont servi à préciser ses souvenirs, naturellement bien confus après tant d'années écoulées. Ainsi s'expliquent les erreurs de fait et de dates qu'on remarque dans cette lettre et qui sont l'exacte reproduction de celles que ces livres avaient d'abord mises en circulation, sur la foi trompeuse des rumeurs populaires dont on retrouve aussi l'écho dans la Ménippée[44].

C'est sur cette lettre pourtant, jusqu'à ce jour admise comme témoignage incontestable, que reposent tous les jugements portés sur la mort de Gabrielle d'Estrées dans les histoires de France les plus estimées. On voit qu'il faut la rayer du nombre des documents historiques, et restituer par là leur autorité aux témoins oculaires qu'elle contredit. En l'éliminant de la discussion, on enlève à l'accident qu'elle raconte son caractère violent et anormal. La concordance et l'harmonie des dépositions, qui ne sont plus en opposition que sur des points secondaires,. permettent dès lors de porter un jugement assuré sur les préliminaires, les symptômes et la nature même de la maladie à laquelle succomba si opportunément celle qui allait, à quinze jours de là, s'asseoir sur le trône, à côté de Henri IV.

 

V

Gabrielle ne logea point chez Zamet ; elle ne prit chez lui qu'un repas qui lui fut servi le mardi soir, vingt-quatre heures environ avant l'apparition des premiers symptômes de sa maladie. Aucun soupçon d'empoisonnement ne plana d'abord sur l'homme qui lui avait offert ce repas, et, loin de suspecter son innocence, le roi, aussitôt après la mort de sa maîtresse, lui fit un don considérable. Sans doute l'imagination populaire, toujours amie de l'extraordinaire et qui veut une explication surnaturelle aux catastrophes subites, ne se fit pas faute d'attribuer celle-là au poison, et M. de Vernhyes nous apprend que les proches de la défunte furent enveloppés dans ces suspicions, si toutefois c'est bien là le sens qu'il faut attribuer à cette phrase obscure : Elle est soupçonnée de poison, principalement des siens. Mais il nous indique en même temps tout ce que ces vagues rumeurs, auxquelles il ne paraît pas d'ailleurs ajouter foi, avaient d'invraisemblable, quand il ajoute que les ennemis du roi, voyant cette mort si opportune, la lui rejettent par communs bruits. Accusation absurde, mais qui nous montre tout ensemble que l'opinion publique faisait fausse route et qu'elle ne songeait point à accuser Zamet.

Faut-il maintenant formuler une conclusion, qui sans doute s'est déjà imposée d'elle même à l'esprit du lecteur ? Toute rapide qu'ait été l'évolution de la maladie qui mit fin aux jours de Gabrielle d'Estrées (et l'on a pu voir que cette rapidité fut moindre de beaucoup que nombre d'auteurs le prétendent), cette maladie et la mort qui s'en suivit n'en, eurent pas moins des causes simples, naturelles, et qu'il est possible de saisir. Les convulsions puerpérales comptent certainement au nombres des principales, et ce sont elles qui expliquent les effroyables mouvements et cette perte de tous les sens dont parle M. de Vernhyes, ce visage devenu tout hideux, au dire de Cheverny, cette tête tournée presque devant derrière, comme l'a écrit d'Aubigné, tellement changée, ajoute Bassompierre, qu'elle n'était pas reconnaissable.

Quinze heures environ avant sa mort, Gabrielle avait subi un laborieux accouchement, accompli dans les plus mauvaises conditions, par les violents procédés de la chirurgie opératoire. Sa situation, déjà si critique, fut encore aggravée par tut phénomène très-grave que nous livre M. de Vernhyes ; et il faut ici demander pardon au lecteur de ces détails techniques mais probants : les médecins furent impuissants à attirer le second flux d'après le fruit ; en d'autres termes, il ne parvinrent pas à délivrer l'accouchée de cette enveloppe membraneuse qui protège l'enfant dans le sein de sa mère et qui porte un nom vulgaire bien connu. L'autopsie enfin révéla des désordres tels qu'à eux seuls ils suffisaient, dans un temps assez court. pour déterminer la mort.

Outre la lésion du cerveau, qui pouvait être le résultat de la congestion amenée par l'éclampsie, c'est-à-dire par les convulsions. Si toutefois elle n'en était pas la cause, l'autopsie montra que le poumon et le foie étaient gâtés, et que le rein renfermait une pierre en pointe. Mais, fait bien remarquable, il ne paraît pas, et le silence de M. de Vernhyes sur ce point est significatif, qu'au-curie lésion ait été remarquée dans l'estomac. C'est à cet organe pourtant que le poison se fut d'abord attaqué, s'il avait été administré soit dans un citron, soit dans les mets de l'unique repas que Gabrielle prit chez Zamet, le mercredi soir, trois jours et quatre nuits avant son décès.

Il est inutile. sans doute de faire ressortir l'importance de ces détails ; qui suppléent au procès-verbal d'autopsie et qui vraisemblablement furent transmis au roi, car on sait que, malgré son désespoir, il n'ordonna aucune enquête sur cette mort, ce qui prouve assez qu'il la considéra comme naturelle.

Quand bien même elle ite nous livrerait que ces constatations si précises, la lettre de M. de Vernhyes n'en ajouterait pas moins un précieux supplément d'informations à l'espèce d'instruction judiciaire depuis si longtemps ouverte sur ce mystérieux événement. Entre les dires de La Varenne, ou plutôt de Sully, et ceux des autres témoins oculaires, ce document permet, de plus, de décider de quel côté est la sincérité, et l'on peut, grâce à lui, se faire une juste idée de la suite et de l'enchainement des faits.

Qu'on ne nous reproche pas d'avoir examiné cette question à la loupe, pour ainsi parler, d'en avoir pour la seconde fois scruté tous les coins, pesé et comparé tous les éléments. Si mince que soit le service ainsi rendu à la vérité, il a pourtant son prix, car il n'est jamais inutile d'arracher des esprits ces erreurs enracinées qui sont comme les mauvaises herbes de l'histoire. C'est ainsi qu'en a jugé M. Littré qui, sur une erreur historique toute semblable, l'empoisonnement de Mme Henriette d'Angleterre, écrivait récemment, avec une remarquable sureté de méthode, une discussion destinée, comme celle-ci, à restituer à l'affection qui mit fin aux jours de cette princesse son caractère naturel[45]. La mort subite de Gabrielle d'Estrées n'est sans doute qu'un événement secondaire dans l'histoire du XVIe siècle ; il a eu pourtant de sérieuses et lointaines conséquences. Éliminez, en effet, cette rapide catastrophe où tant de contemporains crurent voir la main de la Providence[46] ; supposez Gabrielle légitimement assise au trône du premier des rois Bourbons, vous rayez de nos annales l'un de leurs plus grands règnes. La couronne appartient aux Vendôme, race de soldats épicuriens, épaisse et peu affinée sans doute, énergique toutefois et guerrière, qui ne nous donnait pas Louis XV, et, par là retardait, enrayait peut-être la Révolution.

 

 

 



[1] Revue contemporaine, livraisons des 15, 28 février et 15 mars 1867.

[2] Problèmes historiques, Hachette, 1867, 1 vol. in-18°.

[3] Anne de Levis, duc de Ventadour, comte de la Voûte, baron de Donzenac, Boussac, la Roche en Renier, Annonay, Cornillon et Vauvert, gouverneur et sénéchal du haut et bas-Limousin en 1591, puis lieutenant général du Languedoc, où il fit l'ouverture des États, le 8 novembre 1622.

[4] Il ha les yeulx rouges comme un jadeau de Vergne, dit Rabelais, liv. Ier, ch. XXXIX. L'aune, qui est rouge sous son écorce, sert en effet à faire des écuelles (jadeaux).

[5] J'en dois la communication à l'obligeance de M. Rouffy, président du Tribunal civil de Clermont et membre de l'Académie de cette ville, lequel tenait ce document d'un membre de la famille de Vernhyes, originaire de Salers (Cantal), et représentée aujourd'hui par la maison de Bargues, qui a longtemps habité Salers. M. Rouffy est né dans les environs de cette ville, ce qui explique comment il a pu se procurer la pièce dont il s'agit.

[6] Sismondi, Hist. de France, t, XXII p. 32, note. — Michelet, Henri IV et Richelieu, p. 31. — Problèmes historiques, p. 271.

[7] Annali d'Italia, p. 509 el 510.

[8] Œconomies royales, coll. Michaud et Poujoulat, 2e série, t. III. p. 290.

[9] Ainsi qu'il a été dit plus haut, cette lettre est chiffrée dans ses parties les plus intéressantes, dans celles qui, par leur nature compromettante, devaient surtout être mises à l'abri des indiscrétions. Dans ces parties, l'auteur emploie parfois un langage abréviatif et elliptique. Par exemple, en faisant connaître les mariages projetés pour aplanir les voies à l'union de Gabrielle d'Estrées avec Henri IV, il dira simplement : Mariages : fille de M. de Savoie avec M. de Vendosme, celui de Mercure (Mlle de Mercœur) avec M. le Prince.

Autant qu'on en peut juger par quelques lettres très-petites tracées au-dessus des chiffres, un essai d'interprétation semble avoir déjà été fait sans grand succès par l'un des détenteurs successifs de ce document. Pour arriver méthodiquement à en percer le mystère, je suis parti de ce principe que, les voyelles étant, dans notre langue, d'un emploi beaucoup plus fréquent que les consonnes, et la lettre e étant, des cinq voyelles, celle qui reparaît le plus souvent, on devait, en se livrant à un calcul comparatif des chiffres, parvenir à reconnaître ceux qui représentent l'e et les autres voyelles. Cette première découverte accomplie, le reste n'était plus qu'une affaire de patience et de tâtonnements. Ces principes sont très-simples, comme on voit ; mais il faudrait bien se garder de croire qu'ils s'appliquent indifféremment à toutes les lettres chiffrées du XVIe et du XVIIe siècle, car les systèmes cryptographiques étaient nombreux et variés, même en ce temps où l'art d'écrire au moyen d'un chiffre convenu était encore dans l'enfance. Tels sont aujourd'hui les progrès de cet art qu'on peut affirmer que nul, dans l'avenir, ne découvrira le secret du chiffre dont usent nos agents diplomatiques, s'il n'a entre les mains la clef qu'on leur transmet et que, pour plus de sécurité, on a soin de renouveler fréquemment.

Voici la clef du chiffre employé par M. de Vernhyes : les lecteurs pourront l'appliquer aux nombres que j'ai eu soin de reproduire au bas de chaque passage traduit, et vérifier ainsi la fidélité de l'interprétation ; peut-être même l'un d'eux parviendra-t-il à élucider les obscurités que j'ai signalées dans le dernier passage chiffré de la lettre.

1. Ce chiffre n'est pas employé.

2. A.

3. B.

4. Y.

5. C.

6. X.

7. D.

8. U. V.

9. B.

10. T.

11. F.

12. S.

13. G.

14. R.

15. Ce nombre n'est pas employé.

16. Q.

17. I. J.

18. P.

19. L.

20. 0.

21. M.

22. N.

Le chiffre 9, qui représente la lettre E, est souvent répété sans autre but que de dérouter le lecteur. Il en est de même du nombre 10. Les lettres H et K ne figurent pas dans la partie chiffrée.

[10] Port-Dieu, prieuré du Limousin, près de Bort, sur les rives de la Dordogne.

[11] Voici les chiffres qui sont dans l'original à la place des mots ici imprimés en italiques ; 199 1420 412 912 102 2210 149 1220 198 28 212 1417 215 99 : ce dernier 9 est inutile, et a pour but de dérouter les chercheurs.

[12] 1217 199 1417.

[13] 182 189.

[14] Il y a probablement ici une omission : il faut lire sans doute consenti. Voici les chiffres : 520 2212 99.

[15] 1420 1722 99. Ce dernier 9 est inutile.

[16] 914 214 1010. Dans ce dernier groupe, la répétition des deux derniers chiffres n'a pour but que de dérouter le lecteur : il faut 10 et non 1010.

[17] Voici le texte de ce passage tel qu'il est dans l'original, depuis le mot : Mariages : 1117 1919 97 921 79 122 820 179 28 95 21 79 89 227 2012 219. Celuy de 219 145 814 91 89 521 199 1814 1722 59, en apparence seulement et pour le contenter, alioqum 79 12101 722 92 199 1213 1917 129. On s'asseuroit d'ailleurs du ;72.0 2212 922 109 219 2210 910 218 1420 32 1017 2022 de tous les 1814 1722 59 127 919 2014 217 229 Madamoiselle de Guise 119 219 118 108 149 78 212 1416 717 127 95 98 149 21 79 317 1420 22 212 227 99 pour luy faire rendre et trouver bon 192 1220 98 148 109 1411 229 79 192 1420 1222 911 810 814 99 fille de M. de 39 199 222 80. (Il est probable qu'au lieu de 80, il faut 810.) Comtés 317 1320 1414 99 1018 914 1320 1410 (Pirgort est ici pour Périgord), avec réserve de l'office de 1912 189 99 et grandes commodités en argent pour estre l'appuy de tous, d'aultant qu'on 229 122 1212 98 1420 1710 78 520 812 1722 sinon durant la vie du chef. Mesdames 1814 1722 59 1212 97 95 2022 1017 910 1722 1320 199 1221 99 mandées avec lettres d'affection, de promesse, affin de l'approuver et faire trouver bon aux leurs. M. 817 199 1420 418 149 1210 922 208 92 812 914 219 2210 d'y servir de vie et honneur.

[18] 1420 2217.

[19] De faire héritiers les aisnés 28 2210 199 212 1417 21 920 85 98 1216 817 922 714 2017 2210 218 149 1219 25 2022 1220 212 1417 213 99. Il faut encore rappeler ici que, presque toujours, le second 9 est inutile, quand il termine un membre de phrase chiffré.

[20] Ici l'auteur de la lettre s'est embrouillé : la syllabe ma l'a trompé. Ayant écrit consoma, il s'est cru plus avancé dans sa cryptographie qu'il ne l'était réellement, et il a sauté de suite à la fin du membre de phrase.

[21] 1217 199 1417.

[22] 222 1712 2212 99. Le dernier 9 est inutile.

[23] Voici le texte chiffré de cette phrase : 717 23 2019 2020 pour ce que 2022 192 717 112 219 etiam injuste 72 820 1714 98 79 122 2222 92 86. Ce passage fait probablement allusion à certains bijoux donnés par le roi et qui n'auraient point été retrouvés après la mort de Gabrielle. Ou verra plus loin que, dès le lendemain de cette mort, le roi reçut l'inventaire des bagues et joyaux de la défunte que M. de Bellièvre avait fait par son commandement. Au nombre de ces bijoux se trouvait l'anneau dont Henri IV avait épousé la France à son sacre, et qu'il avait donné à sa maîtresse à l'occasion de leur prochain mariage. — Voyez l'Inventaire des biens meubles de Gabrielle, publié par M. de Fréville, dans la Bibliothèque de l'École des Chartes, 1re série, t. III, p. 148 et suivantes.

[24] Voilà qui contredit singulièrement la prétendue lettre de La Varenne que je discute plus loin, et d'après laquelle ce serviteur trop zélé aurait trompé le roi et l'aurait poussé à rebrousser chemin, en lui persuadant que sa maîtresse était déjà morte, à un moment où son agonie commençait à peine.

[25] Henri, duc de Joyeuse.

[26] Le chancelier de Cheverny.

[27] Voici les chiffres qui représentent ces deux mots : 212 1713 149 219 2210 149 59 88. Le dernier 8 est de trop.

[28] Cela signifie peut-être que Mme de Sourdis va parler aux officiers de la bouche. Mais ce sens est douteux.

[29] Voici ce passage important, tel qu'il est dans l'original. avec les chiffres : Comme disait Tacite, 919 199 912 1012 208 185 2022 99 79 1820 1712 2022, principalement des siens. Ains les meschants (quia adeo opportuna mors) 922 229 2117 127 814 204 192 198 414 917 910 922 1010 par communs bruicts.

[30] Le mot écus a probablement été oublié par l'auteur de le lettre.

[31] Tout ce passage est tellement elliptique qu'il est à peu près incompréhensible. Il s'agit de Marthe Brossier, prétendue démoniaque dont on se servait, au dire de M. Michelet, pour exalter le mécontentement de Paris. Un homme distingué (des La Rochefoucauld), fort dévot, ami des Jésuites, la menait et la montrait, d'abord dans les villes du Centre, sur la Loire, enfin à Paris. (Henri IV et Richelieu, p. 21.) L'Estoile écrit tt ce sujet : Le sieur André Duval a insinué dans son sermon que d'empêcher d'exorciser les démoniaques, c'était priver les infidèles et les hérétiques d'un miracle que les exorcismes opèrent ordinairement en chassant les démons des corps des possédés, ce qui ne peut être fait que par les ministres de la véritable Église. (Journal de l'Estoile, coll. Michaud et Poujoulat, 2e partie, t. Ier, p. 302).

Voici le texte du passage chiffré. De plus habiles parviendront peut-être à le traduire mieux que je n'ai pu faire ; mais il est possible que l'auteur de la lettre, fatigué par la longue attention qu'elle avait réclamée, et par la goutte qui le travaillait, ainsi qu'il le dit lui-même en terminant sa missive, ait commis ici plusieurs omissions de chiffres. Je commence après les mots : mauvaises besoignes, en faisant observer que, dans tout ce passage, comme, du reste, dans presque toute la lettre, il n'y a aucune ponctuation et que l'original, en cet endroit, est en assez mauvais état.

168 2022 129 228 208 1920 1710 1291481714 1820 814 112 1714 98 2221 1714 21 199 et sur iceluy accommoder les 158 138 922 2010 1216 89 1919 92 912 100 1723 1210148 175 109 M. 199 32 188 517 2217 debvoit faire 199 2117 142 519 912 222 1212 52 820 1714 et faict d'aulcune malice quelques grands 2022 109 1210 923 2021 912. On voit que, pour donner un sens à la phrase, j'ai mis entre parenthèses les mots faict d'aulcune malice. Je suppose que l'énumération des mauvaise besognes confessées par Marthe Brossier s'arrête après la déclaration qu'elle a été instruite, c'est-à-dire qu'on lui avait fait la leçon. M. de Vernhyes reprend ensuite la parole en son nom et ajoute que, par un acte de malice, quelques grands personnages ont été nommés.

Il se peut que, au lieu de quelque grands, il l'aille lire quelque grande ; j'ai opté pour la lecture qui s'accorde le mieux avec la fin de la phrase, et c'est pour la faire comprendre que j'ai reproduit le texte de M. Michelet qui confluence cette note.

Lugoli, dont il est question dans ce passage, était prévôt de l'hôtel : quant au capucin exorciste, il s'appelait le P. Séraphin.

[32] Les États de Hollande.

[33] Il y a ici trois mots illisibles ; probablement : appel à Dieu. La phrase finale prouve qu'un appel à la Providence divine doit se trouver dans celle qui précède.

[34] Nous négligeons la date du départ de Fontainebleau, que M. de Vernhyes fixe au dimanche des Rameaux, contrairement à plusieurs autres témoignages qui lui assignent la date du lundi. Cette question est absolument sans intérêt. Ce qui importe, c'est la date de l'arrivée à Paris, sur laquelle M. de Vernhyes est d'accord avec les relations les plus autorisées. Suivant ces relations, Gabrielle, pendant son voyage, n'aurait couché qu'une fois en route, à Melun, où le roi la quitta. M. de Vernhyes prétend qu'elle coucha le dimanche soir dans cette ville, et le lundi à Savigny. Mais, dans les deux systèmes, l'arrivée à Paris se fait le mardi, et c'est là le seul point qui vaille la peine d'être précisé.

[35] Cheverny. Suivant cet auteur, ce barbare spectacle fut donne pendant que Gabrielle respirait encore.

[36] Amours du grand Alcandre, à la suite du Journal de Henri III, t. IV, p. 379.

[37] Problèmes historiques, pages 357 et 359.

[38] Cette observation est justifiée par la transition subite, dans l'une des premières phrases, du prétérit à l'imparfait de l'indicatif, qui semble avoir été le temps primitivement employé par le rédacteur des Économies, avant qu'il songeât à donner à la partie la plus importante de sa narration la forme d'une lettre : Elle s'en alla ouïr aux Ténèbres au Petit-Sainct-Anthoine, où il se fait tous les ans, à pareil jour, un des plus excellents concerts de musique qu'il se puisse ouïr, durant lequel il luy avoit pris quelques éblouissemens qui l'avoient fait revenir plus tost qu'elle n'avoit délibéré au logis dudit sieur Zamet.

[39] Problèmes historiques, p. 210 et suivantes

[40] Marbault, à la suite des Économies, Collection Michaud, 2e série, t. III, p. 49.

[41] Tous louent Sully, et peu le suivent, dit M. Michelet. Moi, j'ai osé le suivre dans ses assertions les plus graves (Henri IV et Richelieu, p. 468.) On voit pourtant, par ce qui précède, que ceux qui ne le suivent pas aveuglément n'ont pas tout à fait tort.

[42] La première édition des Économies ne porte pas de date. Celle que je donne ici résulte de deux mentions écrites sur l'exemplaire de cette édition originale appartenant à la bibliothèque publique d'Orléans, par le notaire de la petite ville de Sully à qui l'auteur avait donné cet exemplaire. Voici d'abord celle qu'on lit sur le titre du premier volume : Imprimé à Sully, suivant le contract passé par devant moi, Pichery, notaire, le 7 d'aoust 1638. On sait, en effet, que le duc avait fait, pour l'impression de ses Mémoires, un traité avec un imprimeur d'Angers qui, à cet effet, transporta ses presses au château de Sully. La sec6nde mention, écrite sur le second volume, est ainsi conçue : Ce livre m'a esté donné par Monseigneur le duc de Sully, le dernier apvril 1642 : Pichery, notaire royal à Sully. — Voir, sur ce point, ma Monographie du château de Sully, Orléans, Herluison, 1868. — J'ai fait à Sully, chez le successeur de Pichery, de longues et infructueuses recherches pour découvrir la minute du traité dont il vient d'être question : elle a disparu.

[43] MM. Champollion-Figeac et Aimé Champollion fils.

[44] Remarquons que les écrivains qui, comme Sully, penchaient vers l'hypothèse de l'empoisonnement, avaient tout intérêt à fixer au mercredi au lieu du mardi l'arrivée de Gabrielle à Paris et, par suite, au jeudi seulement l'apparition des premiers symptômes de la maladie. De cette façon, ils ne tenaient pas compte du calme qui régna pendant toute la nuit du mercredi au jeudi et la matinée de ce jour ; Gabrielle étant censée n'avoir pas repris connaissance à partir de l'apparition de ces prodromes, et les accidents étant rapides et comme foudroyants, les soupçons d'empoisonnement acquéraient plus de vraisemblance. On voit par là qu'il y a grand intérêt à préciser les dates de tous les faits qui précédèrent la mort.

[45] Médecine et Médecins, Hachette,1872. Sur ce curieux travail de M. Littré, j'ai publié, dans le journal Le Temps, n° des 2, 3 et 4 novembre 1872, sous ce titre : La mort de Mme Henriette d'Angleterre, selon M. Littré, une étude où, tout en m'accordant avec l'illustre physiologiste sur le fond de la question, qui est la mort naturelle de la princesse, je conteste seulement l'explication pathologique qu'il en a donnée.

[46] Hic est manus Dei, dit le médecin La Rivière, en sortant de la chambre où Gabrielle expirait.