QUESTIONS HISTORIQUES DU XVIIe SIÈCLE

 

L'ÉVASION D'UNE REINE DE FRANCE

 

 

La captivité de Marie de Médicis au château de Blois et son évasion dans la nuit du 21 février 1619 forment, après le meurtre des Guises, l'épisode le plus dramatique de l'histoire de cette vieille demeure des comtes de Blois-Champagne.

Les détails de ces événements nous ont été transmis par divers écrivains contemporains, dont plusieurs y ont été mêlés : par le cardinal de la Valette, fils du duc d'Épernon ; par Guillaume Girard, secrétaire de ce dernier ; par Richelieu, Brienne, Fontenay-Mareuil. Le père Griffet, d'ordinaire si bien informé, et qui a eu entre les mains tant de documents originaux, aujourd'hui perdus pour la plupart, les a, le premier, présentés avec la méthode et les vues d'ensemble qui distinguent l'historien du simple compositeur de Mémoires, mais qui changent à chaque grande évolution de l'esprit humain. Si l'on tient à recueillir sur ces événements tout ce qu'il semble possible aujourd'hui d'en connaître, il faut joindre aux divers éléments d'enquête que nous venons d'énumérer ceux qu'on trouve dans le Mercure de France, dans les pamphlets et les brochures de l'époque, et enfin dans divers documents récemment mis au jour ou signalés. Nous citerons, parmi les plus importants, les lettres, instructions diplomatiques et papiers d'État du cardinal de Richelieu, volumineuse collection dont la publication fait le plus grand honneur à M. Avenel ; les lettres diplomatiques du nonce Guido Bentivoglio, éditées à Turin en 1852, et les dépêches des ambassadeurs vénitiens près la Cour de France. Ces dépêches, tirées des archives de Venise par M. Armand Baschet, ont été par lui communiquées à M. Cousin, qui les a utilisées dans son étude sur le duc et connétable de Luynes et en a même publié plusieurs extraits[1]

Celui qui entreprend d'étudier, dans un de ses épisodes les plus caractéristiques, la lutte de Marie de Médicis et d'Albert de Luynes, n'a point, on le voit, à craindre la disette des renseignements. Son embarras naît bien plutôt de la difficulté d'accorder les témoignages. Sur les mêmes faits et sur les mêmes personnages, les écrivains dont il doit confronter les dépositions arrivent à des conclusions à peu près opposées. Ceux-ci, comme Richelieu et Bentivoglio, sont hostiles à la politique du duc de Luynes ; ceux-là, comme les ambassadeurs vénitiens, lui sont au contraire favorables et voient dans l'abaissement de Marie de Médicis un événement providentiel qui doit remettre le gouvernement français dans la grande voie tracée par Henri IV. Les uns et les autres, hommes de parti avant tout, font entendre plutôt le cri de la passion politique que la voix calme et désintéressée de l'histoire.

Même désaccord parmi les historiens de ces derniers temps. Pour M. Michelet, Luynes n'est qu'un vaniteux sans portée et sans prévoyance, qui entasse sur lui tout ce qui peut l'écraser. M. Bazin, le plus consciencieux et le meilleur des historiens de Louis XIII, n'accorde à l'imprudent favori qu'une attention dédaigneuse. Seul, M. Cousin voit en lui un politique de premier ordre, un homme de bien, presque un génie. Il glisse avec un parti pris évident sur les trames ourdies par son héros pour éloigner la veuve de Henri IV des affaires, sur les mesquines persécutions dont elle fut victime. Selon lui, la révolution du 24 avril 1617 ne fut pas très-violente[2]. L'exil de Marie de Médicis, qui fut la conséquence de ce lâche guet-apens, n'est qu'une précaution des plus inoffensives. Luynes, dit-il, tint quelque temps la reine mère éloignée de la Cour et des affaires, sans rigueurs inutiles[3]. On va voir ce qu'il faut croire de cette prétendue mansuétude. Pour le moment nous n'avons voulu constater qu'une chose : le désaccord des principaux écrivains contemporains et de ceux même de notre époque sur les personnages que nous allons mettre en scène et sur les faits dont nous essayerons de préciser l'esprit et les détails.

 

I

Le fils du capitaine d'Albert, le brillant et rapide fondateur de la fortune de cette grande Maison, dont la véritable origine semble encore un problème, avait-il les hautes qualités d'homme d'État dont l'a doté la plume complaisante de M. Cousin ? Pour notre part, nous osons en douter. Ces réhabilitations de caractères condamnés par la tradition historique sont un peu la manie de notre époque, qui veut du neuf avant tout, et M. Cousin s'en était fait une spécialité. Sans doute il y trouvait à son insu quelle chose de la jouissance que procure un paradoxe habilement soutenu, et qu'à force d'adresse on parvient à faire accepter pour vérité. Mais il était sincère et dupe lui-même de l'illusion qu'il communiquait à ses lecteurs. C'était de la meilleure foi du monde qu'il transformait en héroïnes immaculées ces galantes Armées de la Fronde, pour lesquelles il brûlait d'un amour sénile.

Il y a pourtant dans l'histoire des jugements acquis, des arrêts sans appel, contre lesquels toutes les habiletés de l'art le plus raffiné ne peuvent rien, parce qu'ils sont fondés sur des témoignages autorisés et sur les révélations qui ressortent de l'étude des faits et des caractères. Il en est ainsi de l'opinion commune sur l'heureux parvenu qui, arrivé à la Cour avec l'épée de son père et un grand fonds d'audace et de gaité pour toutes ressources, parvint rapidement au faite du pouvoir, réunit dans ses mains les fonctions les plus opposées, les sceaux et l'épée de connétable, la justice et la guerre, et disparut tout à coup, abandonné de tous à l'heure de la mort, sans même laisser un souvenir ou un regret. Quelques éclairs de génie.

diplomatique, quelques aspirations vers un régime de forte unité politique, ne suffisent point pour désarmer l'histoire ni pour faire oublier les perfidies et les violences qui furent le principe de cette brillante et rapide fortune. Jusqu'au jour, assez voisin de sa mort, où, comblé des faveurs les plus nombreuses et les plus hautes qui aient jamais été accumulées sur un courtisan, il n'eut plus rien à désirer, Luynes ne connut guère d'autre guide que l'intérêt. Son programme de politique intérieure se réduisit à un seul point : brouiller le roi avec sa mère et fonder sa propre fortune sur leurs divisions. Le meurtre de Concini, dont il s'appropria les charges et la majeure partie des biens ; le supplice de la maréchale d'Ancre, qu'il laissa exécuter au mépris de la promesse de grâce qu'il avait faite à ses juges ; la conspiration de l'ancien contrôleur général Barbin, qu'il imagina ; l'exil de la reine mère et la guerre qu'il lui fit jusqu'au jour où les circonstances le forcèrent à simuler un rapprochement dont personne ne fut dupe : tels furent les principaux ressorts qu'il mit en œuvre pour réaliser ce programme.

Condé, le chef des mécontents, était à la Bastille ; les princes, ses alliés, les ducs de Mayenne, de Nevers, de Vendôme et de Bouillon, faisaient au roi de France une guerre de partisans. Pour réussir, Luynes devait changer le système du maréchal d'Ancre, abandonner, au moins temporairement, la pensée de l'unité monarchique, que le premier ministre poursuivait, et s'appuyer sur les princes, que ce dernier avait combattus. Le nouveau favori, en un mot, était conduit à se faire l'expression du parti féodal, luttant contre la royauté absolue, sauf à se retourner plus tard contre ses alliés. De là sa popularité d'un jour ; de là cette joie brutale avec laquelle le peuple de Paris accueillit l'assassinat du favori de Marie de Médicis et le retour au pouvoir des vieux conseillers de Henri IV, que, la veille encore, il détestait. Au lendemain de cette révolution, il y eut un moment d'apaisement universel et de mutuelle confiance, une sorte de baiser Lamourette, auquel les princes eux-mêmes se prêtèrent. Seul, Condé fut exclu de la réconciliation générale. Il était trop redoutable pour que Luynes se décidât, sans urgente nécessité, à ouvrir les portes de sa prison ; il se contenta d'en élargir les fenêtres.

La mort de Concini n'avait été que le premier acte du drame ; la perte de la reine mère était la conséquence logique de celle du maréchal. Depuis longtemps Luynes y travaillait en secret.

Dès les premiers temps de sa faveur, il s'était appliqué à ruiner le peu d'autorité morale que Marie de Médicis conservait encore sur son fils. Rien n'avait été épargné pour aigrir leurs relations. Sous le souffle intéressé du favori, les soupçons, les méfiances injurieuses, les ferments de discorde germaient et se développaient dans l'esprit naturellement ombrageux du jeune roi. Les faveurs, les dignités, les grands biens dont la reine comblait Concini, le luxe insolent de ce parvenu, son orgueil, ses forfanteries, l'abandon et la pénurie dans lesquels il laissait le monarque, le sans-façon avec lequel il le traitait, c'étaient là autant de textes de perfides insinuations.

A ces accusations trop fondées, Luynes et ses amis en ajoutaient d'autres plus invraisemblables, mais qui ne trouvaient pas moins de crédit près de leur royal et naïf auditeur. On lui faisait lire les tragiques histoires de François II et de Charles IX, dont les jours, lui disait-on, avaient été abrégés par leur mère, une Médicis comme la sienne. On lui donnait à entendre que, pour prolonger l'autorité absolue de son amant, la reine ne reculerait pas devant un crime dont le résultat serait de transférer la couronne à son plus jeune fils. Ces terreurs, habilement entretenues, expliquent le facile consentement que Louis XIII donna au meurtre du maréchal d'Ancre et la joie sauvage qu'il manifesta après le succès de l'odieux guet-apens. Du haut du billard, où on l'avait hissé, le pauvre faible enfant vit défiler à ses pieds les ducs, les princes réconciliés, les anciens ministres et ceux qui aspiraient à le devenir, cette foule avide et sans scrupule qui encombre les avenues de tout nouveau pouvoir, et il se crut roi, parce qu'il changeait de maître.

De ce jour, la reine mère fut tenue pour prisonnière. Reléguée au fond de son appartement, entourée d'espions, abandonnée de ses courtisans, privée de ses gardes, Marie faisait encore trembler l'heureux favori. Tout fermé qu'il fût aux sentiments tendres et généreux, le cœur du roi n'avait point encore perdu l'habitude de la soumission et des douces obéissances du premier âge. Un moment d'attendrissement filial pouvait le remettre sous l'ancien joug et restaurer cette autorité maternelle dont les représailles eussent été terribles. Aussi n'y eut-il sorte de vexations que Luynes n'employât pour dégoûter la reine de la Cour et la pousser à demander elle-même son exil. Elle fut soumise à la plus injurieuse surveillance. On avait fait murer les portes qui conduisaient de son appartement à celui du roi ; le pont par lequel cet appartement communiquait avec le jardin avait été abattu. Des visites étaient faites chaque matin jusque dans sa chambre à coucher. A toutes les demandes d'entrevue et d'explication qu'elle adressait à son fils, ce dernier répondait par un refus absolu. Luynes fit si bien que la reine, désolée, sollicita enfin, comme une faveur, ce qu'on songeait à lui infliger comme une peine, la permission de quitter la Cour et de se retirer à Monceaux. Cette résidence fut jugée trop de près de Paris. On lui indiqua Moulins, qui faisait partie de son domaine. Mais le château de Moulins, abandonné depuis longtemps, avait besoin de grandes réparations. Blois fut enfin choisi par transaction.

On laissa à l'exilée tous les revenus de ses biens ; elle eut la permission d'emmener ses serviteurs et les personnes qu'elle affectionnait, à la condition toutefois qu'elles fussent agréées par le roi, c'est-à-dire par Albert de Luynes. L'évêque de Luçon, Richelieu, fut de ceux qui s'attachèrent à sa fortune, plus par nécessité que par dévouement. Il avait trouvé grâce devant l'ombrageux favori, et espéra un moment se maintenir au Conseil royal, dont il faisait partie ; mais, gravement compromis par des lettres qui, dans ce moment-là même, étaient produites au cours du procès de la maréchale d'Ancre[4], il jugea prudent de s'éloigner temporairement et de laisser passer l'orage. Marie le fit intendant de sa maison et chef de son conseil particulier. Trop habile pour ne pas ménager l'avenir, Richelieu n'accepta ces charges que sur la permission expresse du roi. Luynes n'était pas fâché de laisser auprès de Marie cet esprit rempli tout ensemble de prudence et de souplesse, capable de retenir la reine dans les résolutions désespérées que la colère pouvait lui inspirer, et, au besoin, d'en trahir le secret.

La veille du jour fixé pour le départ, un singulier bruit se répandit : la reine mère avait failli être assassinée. Le coupable était un certain Travail, jadis soldat et protestant, puis catholique et capucin, homme de sac et de corde, mêlé à toute sorte d'intrigues ténébreuses. Il avait été l'un des organisateurs du complot dont Concini venait d'être victime, et il paraît qu'en récompense de sa coopération, Luynes lui avait fait espérer l'archevêché de Tours, qu'occupait le frère de la maréchale. Richelieu prétend, sans le prouver, que, trompé dans ses espérances, le capucin voulut se venger en assassinant le nouveau ministre dans le lieu même où le meurtre de Concini avait été concerté. Il aurait découvert son dessein au marquis de Bressieux, premier écuyer de la reine-mère, et Luynes aurait pris le parti de se défaire de son ennemi en lui prêtant un projet criminel différent de celui qu'il avait réellement conçu. Il y a là un mystère qui n'a jamais été éclairci. On n'aperçoit pas clairement pourquoi Luynes aurait ainsi donné le change à la justice. Si son but était de se défaire de son exigeant complice, il y parvenait aussi sûrement par la vérité que par la fable qu'on l'accuse d'avoir inventée. Qu'il fût dirigé contre les jours du principal dépositaire du pouvoir ou contre ceux de la reine, le complot de Travail n'en était pas moins crime capital. On possède, d'ailleurs, la déposition du marquis de Bressieux, dont l'original est conservé à la Bibliothèque nationale. Elle est tellement circonstanciée, les détails qu'elle fait connaître sont si précis, qu'il est bien difficile d'admettre que tout y soit de pure invention. On ne doute guère, après l'avoir lue, que la victime choisie ne fût bien la reine et non Luynes. La haine que Richelieu portait à ce dernier l'a probablement poussé à le charger d'une imputation odieuse autant qu'invraisemblable[5].

Cet événement avait fait remettre au mai le départ de la reine, d'abord fixé au 3. Luynes fit savoir que chacun serait libre de prendre congé d'elle ; mais nombre de ses affidés furent chargés de recueillir les moindres paroles et d'épier jusqu'aux sentiments sur les visages. Presque toute la Cour et tous les corps de la ville se rendirent à ce devoir : le nouveau pouvoir était encore trop vacillant pour qu'on osât rompre ouvertement avec l'ancien. La reine, dit Richelieu, reçut tout le monde avec un même visage et une constance immobile, semblant plutôt s'aller promener en une de ses maisons qu'y être reléguée. Ses deux filles pleuraient : Si mes actions ont déplu au roi, leur dit-elle, elles me déplaisent à moi-même ; mais il connaîtra, je m'assure, un jour, qu'elles lui ont été utiles. Pour ce qui regarde le maréchal d'Ancre (ce souvenir, quoi qu'elle fit, lui revenait sans cesse à la pensée), je plains son âme et la forme qu'on a fait prendre au roi pour l'en délivrer. Ce fut le seul mot de critique qui lui échappa.

Elle avait obtenu à grand'peine de voir son fils avant de partir. Tous les détails de cette entrevue avaient été débattus et réglés comme un traité diplomatique ; les phrases qu'on devait échanger étaient convenues d'avance. Après son dîner, le roi entra chez sa mère, vêtu d'un pourpoint de satin blanc, déjà botté pour la chasse et tenant d'Albert de Luynes par la main. Dès qu'elle l'aperçut, Marie, impassible jusque-là, fondit en larmes, et, oubliant les paroles convenues, elle lui jeta quelques phrases entrecoupées, où elle accusait ses ennemis, qui, disait-elle, s'étaient servis de la jeunesse du fils pour ruiner la mère, et allaient à présent se servir de l'éloignement de la mère pour ruiner le fils.

Ce changement dans le programme bouleversa le roi qui interrogea des yeux son confident, aussi embarrassé que lui. Il se remit enfin, et s'adressant à sa mère avec une froideur glaciale et du ton d'un écolier qui débite une leçon : Madame, dit-il, je suis venu vous dire adieu et vous assurer que j'aurai soin de vous comme de ma mère. J'ai pris la résolution de ne souffrir plus qu'autre que moi commande en mon royaume. J'ai donné ordre à tout ce qui est nécessaire pour votre voyage, et commandé à La Curée de vous accompagner ; vous aurez de mes nouvelles étant arrivée à Blois. Adieu, Madame. Puis, comme la reine, toute en larmes, se baissait pour l'embrasser, le roi s'inclina profondément et lui tourna le dos, en sorte qu'elle n'embrassa que le vide[6]. En ce moment, Albert de Luynes se courbait respectueusement pour baiser le bas de sa robe. Marie lui saisit vivement le bras : D'Albert, dit-elle, j'ai vainement fait prier mon fils de me rendre Barbin, mon intendant. Obtenez qu'il m'accorde cette grâce : elle n'est pas si importante qu'on puisse me la refuser. On entendit en ce moment la voix du roi qui, déjà dans l'antichambre, criait : Albert ! Albert ! Obéissant à cet appel, le favori quitta brusquement la reine sans lui répondre.

Cet acte d'impertinence étonna la Cour, bien faite pourtant aux ingratitudes. Restée seule, la veuve de Henri IV, profondément humiliée, s'appuya contre la mitraille et pleura amèrement. Bassompierre et M. de Chevreuse lui baisèrent la robe en pleurant aussi[7]. Elle dîna à la hâte, puis, suivie de ses femmes et de ses officiers, qui portaient la tristesse et l'indignation peintes sur leurs visages, elles descendit à pas précipités le grand escalier du Louvre[8]. La jeune reine Anne, sa belle-fille, et Monsieur, frère du roi, l'accompagnèrent jusqu'à sa litière. Elle y monta en compagnie de Mmes Christine et Marie-Henriette, ses filles, qu'elle congédia aux portes de la ville. line immense affluence de peuple l'attendait à sa sortie du Louvre. Paris tout entier voulait se repaître du spectacle de cette grande chute. Il n'y avoit guère de personnes, dit Richelieu, qui eût si peu de sentiment des choses humaines, que la face de cette pompe quasi-funèbre ne l'émût à compassion. Mais l'aversion qu'on avoit pour son gouvernement étoit si obstinée, que le peuple ne s'abstint néanmoins pas de plusieurs paroles irrespectueuses en la voyant passer, qui lui étoient des traits qui rouvroient et ensanglantoient la blessure dont son cœur étoit entamé. Elle jeta, en traversant le Pont-Neuf, un mélancolique coup d'œil sur les marbres envoyés par les Médicis, et dans lesquels des ouvriers taillaient le piédestal qui devait supporter la statue du roi, son défunt mari. Le jeune Louis XIII s'était mis aux fenêtres pour voir partir l'exilée ; il courut au balcon de la galerie du Louvre pour la suivre plus longtemps des yeux[9]. Ce n'était pas signe d'affection de sa part, car il plaisantait tout haut avec Luynes et les deux frères de ce dernier sur les plumes et les équipages des dames de sa mère ; c'était une marque précoce de cette insensibilité qui lui fit plus tard abandonner à Richelieu les têtes de ses amis les plus chers. Quand le dernier carrosse eut disparu à l'angle du Pont-Neuf : Albert, cria le roi, ça, mes faucons, mes pies-grièches ! Je veux aller chasser à Vincennes.

Il partit une heure après avec la jeune reine, donnant pour prétexte à ce joyeux et brusque départ la nécessité de faire visiter exactement le Louvre, de crainte que des créatures de Concini et de la reine mère n'y eussent caché quelque machine infernale.

 

II

Marie de Médicis arriva à Blois le 10 mai. Elle avait mis six jours à ce voyage qu'on fait aujourd'hui en quatre heures. A peine installée, une nouvelle douloureuse lui parvint, bien faite pour aigrir encore ses ressentiments. La veuve du maréchal d'Ancre était condamnée à mort par le Parlement.

Malgré la lâche indifférence qu'elle avait témoignée pour le sort de cette infortunée dans les premiers moments qui suivirent le meurtre de Concini, Marie n'en fut pas moins saisie d'indignation à la nouvelle de cette condamnation inique. Léonora Galigaï était la sœur de lait de la reine : elle exerçait sur cette molle et ingrate nature l'ascendant d'un cœur viril et d'un esprit supérieur. Son seul crime était son dévouement aux intérêts de sa maîtresse : en la frappant, c'était la reine elle-même qu'on voulait frapper.

Cet arrêt, que Luynes eut tant de peine à arracher au Parlement, montrait assez dans quelle dépendance il tenait ce grand corps et qu'aucun scrupule n'arrêterait l'essor de son ambition. Maitre de la majeure partie des biens confisqués sur ses deux victimes[10], rêvant dès cette époque la brillante alliance et la haute dignité qui firent de lui le premier personnage de l'État, il suivit avec persistance le plan politique qu'il s'était tracé et qui consistait à tenir le roi dans une perpétuelle méfiance envers sa mère et à fournir à l'un et à l'autre de légitimes sujets de mécontentement. Sa lutte contre la veuve de Henri IV se continua de loin ; elle fut sans grandeur et sans dignité. Des persécutions journalières, des tracasseries mesquines, un espionnage organisé sur une large échelle, furent les armes qu'il employa. Quiconque avait servi la régente, quiconque était soupçonné de lui garder un cœur reconnaissant, devenait suspect et se voyait bientôt exclu de son emploi. Ceux qui connaissent l'égoïsme oublieux des hommes et, en particulier, celui des hommes en place, peuvent aisément se figurer le vide qu'un pareil traitement faisait chaque jour parmi les amitiés restées fidèles à l'exilée. La pitié même qu'inspirait une telle ruine était imputée à crime ; de sorte que, s'il y avait autrefois presse à mendier les bienfaits de la reine, il y en avait maintenant davantage à dénier qu'on en eût reçu.

Richelieu lui-même, à qui nous empruntons cette dernière phrase, ne resta point à l'abri de tout soupçon d'ingratitude. Il n'avait accepté qu'avec des précautions infinies l'emploi de chef du Conseil de la reine mère. Je savois bien, dit-il, l'épineuse charge que ce m'étoit de demeurer auprès d'elle ; mais j'espérois me conduire avec tant de candeur et de sincérité, que je dissiperois les ténèbres de la malice conjurée contre moi. Je ne manquai point aussi, dès que nous fûmes arrivés à Blois, en donnant avis au sieur de Luynes, de lui mander que je prévoyois assurément qu'il auroit tout contentement d'elle. Puis, de temps en temps, je lui rendois un compte exact des actions de la reine, afin qu'il ne lui pût rester aucun doute qui le fit entrer en soupçon[11]. Cette conduite, si pleine de candeur et de sincérité, ne ressemble-telle pas à s'y méprendre à l'espionnage et à la délation[12] ?

Tant de précautions devaient rester inutiles. Richelieu reçut l'ordre de se retirer dans son diocèse. Il fit ainsi connaissance avec ce supplice de l'exil qu'il imposa depuis à tant d'autres. Fut-il, comme il le prétend, la victime de calomnies et de cabales organisées contre lui, ou bien, comme cela semble résulter d'une de ses lettres récemment publiée, eut-il l'habileté de chercher de lui-même un dénouement à la position pleine de périls où il se trouvait et de se réserver pour l'avenir, quel que fût le parti qui finît par triompher, le rôle également profitable de serviteur obéissant ou de victime[13] ? C'est une question qu'on peut hésiter à résoudre. Mais il est certain que l'éloignement d'un homme qu'elle regardait à bon droit comme l'âme de son Conseil fut un coup sensible au cœur de la reine mère. Elle dépêcha sur-le-champ à Paris l'évêque de Béziers, chargé de faire des représentations à Luynes et au roi. On la paya de vaines excuses, mais on ne lui rendit point Richelieu, qu'on remplaça près d'elle par le sieur de Roissy, ouvertement chargé d'épier ses actions, et qu'elle dut, contre son gré, admettre dans son Conseil.

On la privait en même temps de la jouissance d'une partie de son douaire, du droit de gratifier ses serviteurs des bénéfices qui devenaient vacants sur ses domaines et de disposer des capitaineries qui en dépendaient. Le baron de Thémines, son capitaine des gardes, ne put obtenir la permission de céder sa charge au baron de la Tour, parce que le dévouement de ce dernier à l'exilée était trop notoire. On voulait que tous ses serviteurs fussent aux gages de la Cour. C'étaient autant d'oreilles et de bouches chargées de recueillir et de reporter au Louvre les moindres événements de la petite Cour de Blois.

Au commencement de l'année 1618, ces tracasseries devinrent si irritantes et si injurieuses, que la reine mère forma le dessein de voir le roi et de se plaindre à lui de ces vexations. Luynes connut ce projet, et trouva moyen d'en ajourner l'exécution en annonçant qu'il allait envoyer à Blois Cadenet, son frère, chargé d'entendre l'exilée et de faire droit à ses plaintes. Cadenet n'arrivant pas. Marie sollicita de nouveau et plus instamment que jamais la permission de se rendre à Paris. Elle eut à ce sujet une longue correspondance avec Barbin, son ancien intendant, enfermé à la Bastille après la mort du maréchal d'Ancre. Loin de mettre obstacle à cet échange de lettres, les deux geôliers de Barbin, le baron de Bournonville et son beau-frère, le baron de Persan, y prêtèrent les mains, sans soupçonner qu'un traître livrait les missives au sieur de Luynes, qui en prenait copie avant de les expédier. Il entrait dans les plans de ce favori de perdre d'abord les amis de la royale exilée, en donnant à cette innocente correspondance les apparences d'un complot tramé contre l'État. Pour frapper plus vivement les esprits, on imagina de prêter aux prétendus conjurés l'intention de délivrer à la fois la mère du roi et le prince de Condé, qu'on avait transféré de la Bastille au bois de Vincennes. Les deux chefs d'accusation furent formulés dans la Commission qui saisissait le grand Conseil du procès à faire à Barbin, à son gardien, le baron de Bournonville, et au baron de Persan, ancien gouverneur du bois de Vincennes et beau-frère du maréchal de Vitry. Le procès s'instruisit en même temps que celui des frères Siti, dont il sera fait mention tout à l'heure.

Dès lors cessèrent les ménagements tout extérieurs et l'espèce de décorum officiel qu'on gardait encore à l'égard de la mère du roi. L'espionnage se changea en surveillance, l'exil en captivité. Des troupes envoyées autour de Blois eurent ordre de l'arrêter, au cas où elle tenterait de marcher sur Paris[14]. Bien que Louis XIII, par une lettre adressée aux échevins de Blois, eût déclaré accorder à sa mère, tant dans le château que dans la ville, la même autorité qu'il y avait lui-même[15], Marie n'en fut pas moins traitée en prisonnière. On limita ses promenades, on lui défendit de sortir de la ville. Les personnages officiels qui passaient à Blois ne pouvaient la visiter sans une permission expresse, et ceux qui réclamaient cette permission étaient aussitôt tenus pour suspects. Avide de nouvelles, comme tous les exilés, Marie dut plus d'une fois refuser au peu d'amis qui lui demeuraient fidèles le périlleux honneur qu'ils sollicitaient. L'ambassadeur de l'Empereur étant passé à Blois et s'étant présenté au château, la reine prétexta une indisposition et se mit au lit pour ne pas le recevoir.

Telle était la terreur que la seule idée d'une entrevue entre la reine et son fils inspirait au futur duc de Luynes[16], qu'il entreprit d'ajouter à ces précautions matérielles des garanties toutes morales, et d'enchaîner son ennemie à Blois, non-seulement par la force, mais encore par les liens de la conscience et du serment. Il lui dépêcha le père Arnoux, confesseur du roi, chargé de lui représenter les dangers que sa seule présence à la Cour ferait courir à la France. Pour tenir en échec les ennemis du roi, dont son arrivée ranimerait les espérances, on serait forcé de mettre en liberté M. de Condé, et du choc de ces deux partis, celui du prince et celui de la reine, naîtrait la ruine de l'État. Son devoir comme sujette, son affection comme mère, lui commandaient donc également de rester éloignée de la Cour. Le révérend père fit si bien, que, moitié par intimidation, moitié par persécution, la reine prêta sur les saints Évangiles le serment de ne point se rendre auprès de son fils qu'il ne l'envoyât chercher lui-même, et, ce cas échéant, de ne se mêler d'aucune affaire politique. Marie dut ensuite renouveler par écrit cette promesse et copier de sa main un serment conçu dans le même sens et dont le texte avait été rédigé par le Garde des sceaux, du Vair. (3 novembre 1618).

Luynes n'avait oublié qu'une chose : c'est que ce serment, qu'un jésuite avait arraché, serait interprété par un jésuite. Le père Suffren, confesseur de la reine, n'eut pas de peine à détruire l'édifice si laborieusement construit par le père Arnoux[17], et Marie, déliée d'un serment imposé par la force, résolut enfin de se soustraire par la fuite aux dangers qui la menaçaient.

Quoique grossis par la passion et l'inquiétude d'esprit naturelle aux captifs, ces dangers n'étaient point imaginaires. Le génie actif et remuant de Marie de Médicis inspirait à Luynes un vague effroi, et la connaissance qu'il en avait le troublait au milieu de ses subites félicités. L'ancien fauconnier devenu président du Conseil royal, duc tout à l'heure et bientôt connétable, sentait instinctivement que toutes ces grandeurs seraient mal assises tant que cette femme respirerait l'air de la France. Il poursuivait dès 1618 le but que Richelieu après lui atteignit en 1631. Il entrait dans la destinée de la veuve de Henri IV d'être la victime des favoris de son fils, auxquels elle ne sut que disputer le pouvoir sans avoir jamais assez d'habileté pour le garder, ni assez d'abnégation pour y renoncer. Mais Luynes n'était pas à la hauteur de l'homme qui fit plus tard la journée des Dupes. Il allait droit et brutalement à son but. Vers la fin de 1617, il eut envie du gouvernement de Picardie, que possédait M. de Longueville. Il fallait à ce dernier un dédommagement, et Luynes trouva tout simple de lui offrir le gouvernement de Normandie, qui appartenait à la reine mère. Celle-ci s'indignant et résistant à la spoliation, on lui fit entendre que si elle persistait dans son refus, on la forcerait à sortir de France ou à se retirer dans un couvent.

On instruisait en même temps le procès de ses amis, procès de tendance s'il en fut, qui n'avait d'autre but que d'étourdir l'opinion publique et de lui communiquer, non la conviction, mais l'impression vague de quelque grand crime. Barbin et son gardien, le baron de Bournonville, le baron de Persan, frère de ce dernier, Chanteloube, Codony, Selvage, étaient mis en jugement. Bournonville fut condamné à mort, mais l'arrêt ne fut pas exécuté. Persan en fut quitte pour cinq ans de bannissement. Tous les deux tenaient de trop près au baron de Vitry, l'exécuteur en chef du complot contre Concini, pour que ce lien de famille ne leur fut pas de quelque secours. Quant à Barbin, il ne dut la vie qu'aux variations d'un conseiller qui, s'étant évanoui pendant la délibération, déclara en reprenant ses sens qu'il se voyait trop voisin de la mort pour condamner un innocent. On essaya même d'impliquer dans l'affaire le grand-duc de Florence, ou tout au moins son représentant à Paris, Bartolini. Ce dernier avait pour agents deux Florentins du nom de Siti, naguère attachés au service de la maréchale d'Ancre. Les deux frères Siti furent condamnés, l'un à la potence, l'autre à la roue, par arrêt d'une Commission du grand Conseil rendu le 30 août 1618[18]. C'est ainsi qu'étaient traités tous ceux qui tenaient à la malheureuse reine par les liens de l'affection et du dévouement. On l'eût frappée elle-même, n'eût été le respect du sang royal et la grande figure de Henri IV qui planait sur cette illustre infortune. Un jour Ornano, ce Corse qui avait joué. un si grand rôle dans l'assassinat du duc de Guise, et que Luynes allait bientôt faire maréchal de France, Ornano eut avec elle une altercation des plus vives. La reine tenait en ce moment le busc d'un corset. Brienne raconte qu'il échappa à Ornano de la menacer de la main en la touchant, audace inouïe envers une personne royale, et de lui dire que si elle entreprenait jamais la moindre chose contre le premier ministre, il se chargeait, lui Ornano, de la rendre plus sèche que le busc qu'elle tenait à la main.

Ces rigueurs indignes, ce traitement scandaleux, soulevèrent l'opinion publique et retournèrent les esprits. Il y avait alors, et il y aura toujours eu France, un fonds de générosité et de sensibilité chevaleresques qui ne permet pas aux puissants de triompher avec insolence et d'appesantir outre mesure leur main sur l'infortune, même coupable. Ceux même qui, dix-huit mois auparavant, avaient vu avec le plus de plaisir la fin 'misérable de cette Régence si prodigue, si faible, si impuissante, si livrée aux favoris de bas étage, ceux qui avaient applaudi à sa chute méritée, ceux-là s'étonnaient de cette haine tenace que tant d'humiliations ne satisfaisaient pas, et qui, la reine frappée, ne savait pas amnistier la femme. La commisération mène à la sympathie. La régente, d'ailleurs, c'était déjà le passé, ce passé toujours regretté en France. Les cœurs lui revenaient par le spectacle de l'insolente fortune de l'avide favori, par les inévitables déceptions qui suivent l'établissement de tout nouveau régime. Il se trouva un beau jour que cette pauvre femme exilée eut un parti, parti d'autant plus fort que tous les cœurs honnêtes pouvaient l'avouer, car il semblait celui du droit, de la tradition et du malheur. Les réformés, les princes dupés par Luynes, qui, aux mépris de ses promesses, retenait Condé sous les verrous, les amis du maréchal d'Ancre, enveloppés dans sa catastrophe, les mécontents enfin, si nombreux sous tous les régimes, confondaient leurs inimitiés et leurs prétentions adverses sous ce commun étendard. La délivrance de la reine : ce fut le mot d'ordre de tous ces esprits batailleurs, d'humeurs et de tendances si diverses. Chacun s'en mêla, chacun proposa son projet, dressa ses batteries, voulut prendre part à cette grande œuvre. Le duc de Mayenne, le prince de Joinville, le cardinal de Guise, les ducs de Rohan et de Bellegarde offrirent leurs services. On consulta le maréchal de Bouillon, qui était tenu pour un oracle en pareilles affaires et que Richelieu appelle quelque part le démon incarné de la sédition. Mais c'était à un agent plus obscur qu'était réservé l'honneur de cette délivrance.

 

III

La régente, au temps de sa puissance, comptait parmi ses familiers les plus intimes un abbé du nom de Ruccelaï.

Fils d'un gentilhomme florentin longtemps correspondant de Zamet et dont le père s'était enrichi dans le commerce, compatriote et créature du maréchal d'Ancre, avide comme lui, mais, comme lui, prodigue et hasardeux, parlant ce pur toscan si cher à la reine, Ruccelaï avait fait à la Cour un chemin rapide. Le maréchal, quelques jours avant la catastrophe qui termina sa vie, l'avait désigné pour faire partie du nouveau ministère qu'il comptait former[19]. Concini mort et Marie de Médicis exilée, Ruccelaï fut du petit nombre de ceux qui demeurèrent fidèles à la mémoire de l'un et à la cause de l'autre. Il suivit la reine à Blois, où il partagea quelque temps ses secrets avec Chanteloube et avec l'évêque de Luçon. Après l'exil de ce dernier, le rusé personnage, comprenant qu'un sort semblable le menaçait, acheta du duc de Luynes la permission de revenir à la Cour, en lui révélant divers placements que Concini avait faits à Rome. Ces placements avaient été opérés sous le nom de l'abbé, qui promit de les faire passer entre les mains d'Albert de Luynes. A ce prix, il put rester à Paris et travailler à la délivrance de la reine. Sans doute, dans son esprit, le but justifiait les moyens.

Par malheur, la qualité dominante de Ruccelaï n'était pas la discrétion. Son luxe, ses prodigalités, son esprit vain, léger, superficiel, mais brillant et libéral, lui avaient créé, sous la Régence, des amitiés nombreuses et des relations qui n'étaient pas toutes également avouables. Avec vingt mille écus de rente qu'il avait, il trouvait moyen de mener un train de prince. Sa table, dans un temps où les goûts étaient encore si grossiers, était renommée pour sa délicatesse. Tout en lui était élégant et raffiné : il passe pour le premier homme qui ait eu des vapeurs[20]. Ami des arts, connaisseur, à demi-artiste, comme tous les Italiens, il tirait de sa patrie ces curiosités dont elle abonde et les distribuait avec prodigalité. Ces libéralités, ces grandes façons lui gagnaient le cœur des femmes, et il se vantait d'en trouver peu de cruelles. Le bruit courait même qu'il avait osé élever ses vœux jusqu'à la reine[21]. Un tel homme était excellent pour organiser un complot, mais peu fait pour en garder le secret. Ses allées et venues de Paris à Blois[22], ses visites aux personnages les plus compromis et les plus notoirement hostiles au premier ministre et, par dessus tout. ses indiscrétions eurent bientôt mis la police de de Luynes sur la piste de ses projets. Ruccelaï reçut l'ordre de quitter Paris[23]. On ne l'arrêta point, mais une foule d'émissaires furent chargés d'épier sa conduite. Son portrait fut envoyé aux prévôts et sergents de tous les lieux où l'on crut qu'il pourrait nouer des intrigues. Ce pauvre abbé, si coquet, si délicat, si raffiné, si sensuel, fut alors réduit à la dure vie des conspirateurs. Il se cacha dans les forêts qui avoisinent Blois, ne voyageant que la nuit, sous des travestissements, et n'approchant de la ville et de la reine mère qu'avec d'infinies précautions.

Tel était l'homme auquel Marie de Médicis commit le soin de sa délivrance. Il faut dire à son honneur que, dès qu'il eut été officiellement chargé de cette grave mission, son caractère et ses façons de vivre changèrent comme par miracle. A la dissipation, à la légèreté, à l'indiscrétion succédèrent l'ordre, la gravité, la réserve. Il dompta jusqu'à la constitution délicate qu'il avait reçue de la nature, et l'homme que les moindres intempéries de l'air faisaient cruellement souffrir passa des semaines entières dans les bois et sur les grandes routes sans en paraître incommodé.

Ruccelaï était abbé de Ligny, près de Sedan. Après plusieurs semaines d'une vie errante, pendant lesquelles il risqua vingt fois sa vie pour voir la reine mère et où il dut lutter contre ses défianr4s et lui arracher la permission de la sauver, il partit enfin pour cette abbaye, muni des pleins pouvoirs de l'ex-régente. Il se trouvait là à portée des deux hommes sur lesquels il comptait pour le succès de son entreprise, le duc d'Épernon, qui était à Metz, et le duc de Bouillon, qui résidait à Sedan.

Ce n'était pas chose facile que de persuader ces deux hommes de guerre et de les déterminer à agir en commun. Tout deux avaient la plus mauvaise opinion de Ruccelaï, qu'ils jugeaient sur sa vie passée, et ils étaient d'ailleurs si hostiles l'un à l'autre, qu'il semblait impossible de les faire concourir à une œuvre commune. Aussi les premières démarches que l'abbé tenta près du duc de Bouillon furent-elles loin d'être heureuses. Le duc s'excusa sur sa vieillesse, sur les incommodités de son âge, qui lui faisaient une loi de se contenter de la position qu'il tenait et de ne plus courir le aventures. Il protesta toutefois de son dévouement à la reine mère. La meilleure preuve, dit-il, que je puisse lui en donner, c'est de lui indiquer un voisin plus propre que moi à accomplir ce qu'elle demande. Il est plein d'une vigoureuse santé. quoique dans un âge assez avancé, prudent, courageux, riche, appuyé d'enfants capables de grandes choses. Il a, avec cela, de bonnes places dans le cœur et aux frontières du royaume, et, ce qu'un doit considérer par dessus tout, il est blessé jusqu'au vif par les mauvais traitements qu'il reçoit de la Cour et ne rejettera pas sans doute les ouvertures d'une juste vengeance.

C'était désigner le duc d'Épernon.

 

IV

Le portrait que le maréchal de Bouillon traçait de ce favori de trois règnes était ressemblant ; la richesse, l'influence, l'irritation qu'il lui supposait étaient réelles.

Louis Nogaret de la Valette, duc d'Épernon, était alors âgé de soixante-cinq ans. L'ancien mignon de Henri III survivait comme Villeroi, à un demi-siècle d'intrigues et de guerres civiles. Après la mort du dernier roi, sa fortune immense déjà, s'était encore accrue. Il était pair et amiral de France, premier gentilhomme de la chambre, colonel de l'infanterie, gouverneur d'Angoumois, Saintonge et Aunis, de la Rochelle, du Limousin, de Normandie, de Loches et du pays Messin. Son insolence, sa liberté de langage, son esprit d'indépendance égalaient sa haute fortune. Jeune homme, il avait, en présence de Henri III, menacé le secrétaire d'État Villeroi de lui donner cent coups d'éperon, comme à un cheval rétif. Homme fait, il osait adresser à Henri IV cette réponse impertinente qu'on a pu lire dans l'étude qui commence ce volume. Entreprenant, rancunier, capable de toutes les violences, ce vieillard se croyait toujours l'homme que le dernier Valois avait voulu investir des droits de la souveraineté, celui qui, après la mort du Béarnais, était entré, la main sur la garde de son épée, au sein du Parlement, pour arracher l'arrêt qui conféra la régence à Marie de Médicis.

. Le rôle qu'il joua dans l'assassinat de Henri IV, on l'a vu par l'étude qui précède ; il en eut le bénéfice, sans en courir les périls. Le hasard seul lui épargna le crime qu'il allait accomplir : Ravaillac l'avait devancé. Le sentiment public se trompa sur les détails, mais non sur les intentions ; il fut un instant plus fort que son crédit. Mais le Parlement recula devant des investigations qui devaient, pour être complètes, monter jusqu'à la reine. Le moment était venu où les liens qui unissaient les deux grands conspirateurs allaient se renouer et leur ancienne complicité se trahir par un nouveau pacte. L'alliance, résultat des communs antécédents, était fatale et, en quelque sorte, imposée par les événements.

D'Épernon, favori déchu, ne pouvait supporter les favoris. L'homme qui arrivait à occuper la première place auprès du maître devenait par cela seul son ennemi. Il détestait Sully, qui, tant que vécut Henri IV, empêcha que ses bouderies ne dégénérassent en révoltes. Il avait quitté, la Cour quand Concini s'établit au faite du pouvoir ; il la quitta encore quand Albert de Luynes succéda à Concini. Le lendemain de la mort de ce dernier, rencontrant, comme il quittait le Louvre, les Luynes qui montaient le grand escalier et qui lui demandaient ce qu'il y avait de nouveau : Rien, Messieurs, leur répondit-il, si ce n'est que vous montez et que nous descendons. Le prétexte de cette seconde retraite était des plus futiles. Il s'agissait d'étiquette et de préséance[24] : d'Épernon, fils d'un notaire, était blessé que le Garde des sceaux osât s'asseoir en face de lui dans le Conseil. Du Vair, selon d'Épernon, devait prendre place au-dessous du Chancelier, et non en face des ducs. Le jour de Pâques, le roi entendant la messe dans l'église de Saint-Germain, et du Vair s'étant assis à ses côtés au-dessus de MM. de Montmorency, d'Uzès, de Retz et de Montbazon, d'Épernon, qui survint, s'approcha du Garde des sceaux, mit la main sur l'épaule et l'arracha de la place qu'il occupait près du roi. Le malheureux Garde des sceaux quitta l'église plein de confusion. Mais le lendemain, un arrêt du Conseil condamna les prétentions du duc, qui saisit cette occasion de quitter la Cour. Il était temps : on parlait tout haut de l'arrêter.

D'Épernon se retira à Metz, qui dépendait de son gouvernement ; il y réunit des troupes, et l'on put croire un instant qu'il allait secouer l'autorité royale. Louis XIII, conseillé par de Luynes, songea même un instant à marcher sur Metz et à s'assurer de la personne du duc. Les affaires du Béarn, où les huguenots refusaient obstinément de restituer les biens du clergé, la crainte de voir sa mère profiter des offres que lui faisaient les réformés, et, par dessus tout, la pénurie du Trésor détournèrent le roi de ce projet.

Tel était l'homme auquel Ruccelaï résolut de faire accepter le soin de délivrer la reine mère. L'entreprise était d'autant plus épineuse, que d'Épernon avait la plus mauvaise opinion du négociateur, et nourrissait même contre lui quelque ressentiment. Ruccelaï, sous la Régence, avait eu avec le marquis de Roilhac, neveu du duc, certain démêlé dans lequel ce dernier avait pris fait et cause pour le marquis[25]. Aussi, l'abbé jugea-t-il prudent de charger un tiers des premières négociations. Il fit choix d'un de ses amis, Italien comme lui, nommé Vincentio Ludovici, et ancien secrétaire du maréchal d'Ancre. Ce Vincentio, jeté en prison après la mort de son protecteur, s'était, au sortir de captivité, retiré à Ligny, près de Ruccelaï, son compatriote. Il accepta avec empressement la délicate mission qu'on lui confiait et partit pour Metz, muni d'une lettre de créance de la reine pour le duc d'Épernon.

Arrivé à Metz sous le costume d'un marchand ambulant, et logé à l'hôtellerie de la Tête-Noire, Vincentio y mande Du Plessis Baussonnière, gentilhomme attaché au duc d'Épernon, et qui passait pour son plus intime confident. Il lui fait dire qu'un- gentilhomme de ses amis, de passage à Metz, désire le voir. Cette seule annonce, dans ce temps d'intrigues et de conspirations, suffit pour éveiller l'attention de Du Plessis, qui, craignant, par une démarche inconsidérée, de' compromettre son maître, se contenta d'envoyer à la Tète-Noire un serviteur habile et délié nommé Cadillac. Ce Cadillac, Gascon d'origine, était destiné à jouer un certain rôle dans la suite de cette intrigue.

Il vit Vincentio, lui parla sans se faire connaître, s'assura qu'il était étranger et homme de Cour, et rapporta ses observations à Du Plessis, qui, après avoir pris l'autorisation du duc, s'achemina à son tour vers l'hôtellerie.

Là l'Italien livra la moitié de son secret. Il ne dit pas un mot de Ruccelaï ; mais il s'annonça comme venant de Blois, et comme chargé d'une mission importante pour le duc d'Épernon.

L'affaire parut grave. Malgré son esprit aventureux, malgré l'irritation qu'il nourrissait contre Luynes et ses frères, d'Épernon ne se dissimulait pas que recevoir un envoyé de la reine mère, c'était justifier les défiances de la Cour et lever l'étendard de la révolte. Il appela ses deux fils, le marquis de La Valette et l'archevêque de Toulouse. Ce dernier, à qui le duc de Luynes avait récemment refusé le chapeau de cardinal, nourrissait contre le favori une rancune qui n'attendait que l'occasion d'éclater : il insista pour que son père donnât audience à l'étranger.

L'entrevue eut lieu en effet, le lendemain, dans l'abbaye de Saint-Vincent de Metz, qui appartenait à l'archevêque de Toulouse. Vincentio remit au duc une lettre autographe de Marie de Médicis : Mon cousin, disait l'ex-régente, je vous prie de ne point douter de la fidélité de celui qui vous rendra cette lettre et d'ajouter foi à tout ce qu'il vous dira, vous laissant toutefois la liberté de répondre par lui ou par tel autre que bon vous semblera à la prière très-humble qu'il vous fera de ma part, et vous protestant qu'il ne parlera da. chose du monde contraire au service du Roi, Monsieur mon fils, lequel vous remerciera un jour de l'assistance que vous me rendrez en cette occasion, en laquelle vous me pouvez obliger à être toute ma vie votre bien bonne cousine, Marie.

Vincentio joignit à cette lettre tous les commentaires qu'il jugea propres à toucher le vieux duc. Il rappela les services qu'il avait rendus à la régente, services qu'elle regrettait en ce moment de ne pas avoir récompensés comme elle le devait. Il lui remémora les procédés bien autrement offensants des Luynes à son égard, leur insolence, leur parti pris d'éloigner du roi tous ceux à qui leur rang, leurs services et leurs emplois donnaient une part naturelle au gouvernement. Lui-même on songeait à le dépouiller. Vincentio fit luire enfin à ses yeux l'honneur qu'il retirerait de la délivrance de la reine et la récompense qu'il était en droit d'attendre d'un tel service.

Ces considérations enflammèrent les deux fils du duc, mais ne déterminèrent point d'Épernon à s'engager d'une façon complète et définitive. Il protesta de sa passion de servir la reine ; mais avant de rien promettre, il exigea qu'on lui fit connaître quelles personnes de condition elle avait dans ses intérêts et quelles sommes elle pouvait consacrer à la guerre ; se réservant, jusqu'à cet éclaircissement, son libre arbitre.

C'était pour le moment tout ce que voulait Ruccelaï. Il se hâta de transmettre à Blois le résultat des démarches de Vincentio, et, un mois après, ce dernier retournait à Metz, porteur de la réponse de la reine mère. Marie assurait d'Épernon du concours du duc de Montmorency, du maréchal de Bouillon et de la Maison de Guise. Quant à l'argent, ses pierreries devaient lui en procurer. Sur ces assurances, d'Épernon donna sa parole et remit au messager les chiffres qui devaient servir à la correspondance avec la reine. Pour plus de sûreté, cette correspondance devait être écrite en style de galimatias, comme on disait alors. La reine y prendrait la condition d'une marchande de Saverne écrivant à son mari ; le duc d'Épernon serait ce mari et aurait nom Fabert ; Du Plessis s'appellerait Floze, et le duc de Luynes l'armurier.

Ruccelaï crut alors le moment venu d'entrer en scène, afin de ne pas permettre qu'un autre retirât l'honneur et les fruits d'une intrigue dont lui seul était le pivot. Il vint à Metz à son tour, vit Cadillac d'abord et ensuite Du Plessis, qu'il étonna par l'exhibition des chiffres convenus entre le duc et la reine et auquel il se fit connaître comme le véritable négociateur de l'affaire. D'Épernon, à cette nouvelle, entra dans une violente colère. Son secret était aux mains d'un homme connu par sa légèreté, d'un Italien vindicatif et offensé : il se voyait compromis avant d'avoir agi, et perdu pour une rébellion encore en projet.

Il mit en délibération avec ses enfants la mort de Ruccelaï. Quelques mois auparavant, il avait blessé, maltraité et forcé à prendre la fuite, en l'effrayant sur sa vie, un envoyé du roi venu à Metz sous le prétexte de réclamer certains droits appartenant à la Couronne, mais, en réalité, pour espionner, au profit du duc de Luynes, la conduite de son ennemi. Il pouvait, à bien meilleur compte, et sans le moindre danger, se défaire de cet étranger, venu à Metz pour conspirer contre le roi, et dont la mort, loin d'être imputée à crime, passerait pour un service rendu à l'État.

Mais il avait affaire à un homme résolu qui avait d'avance envisagé toutes les conséquences possibles de son aventureuse entreprise, et chez qui la souplesse n'excluait pas le courage. Ruccelaï dit nettement au confident du duc ce qu'il était et ce qu'il voulait : que la reine mère avait mis en lui seul sa confiance ; que Vincentio n'était qu'un agent subalterne ; qu'il avait entre les mains de quoi perdre d'Épernon, et que, lorsque lui, Ruccelaï, voulait bien mettre sous les pieds, pour le service de la reine, une offense dont seul il avait à se plaindre, ce n'était pas au duc à montrer plus de mémoire qu'il n'en voulait avoir lui-même.

Ce fier langage imposa à d'Épernon. Il consentit à recevoir Ruccelaï, qui entra de nuit et travesti à la Haute-Pierre, logement habituel des gouverneurs de Metz. Il y demeura un mois dans un demi-mystère, qui excita la curiosité de toute la ville, nourri des plats de la table du duc, ne buvant que d'une certaine eau qu'il fallait aller chercher au loin, et servi par le seul Cadillac. Ces soins mystérieux firent croire à une bonne fortune du vieux duc, et l'intrigue politique s'abrita heureusement sous le voile d'une intrigue amoureuse.

Ruccelaï mit à profit cette longue retraite. Il fit cesser les dernières hésitations de son hôte en produisant une lettre que Marie de Médicis avait reçue du roi son fils au mois d'octobre 1618, c'est-à-dire à l'époque où le père Arnoux lui arrachait par la ruse des engagements si peu respectés. Louis XIII, dans cette lettre, invitait sa mère à voyager pour sa santé, à faire des pèlerinages aux lieux de dévotion les plus renommés, et Marie en tira depuis le meilleur parti pour justifier ceux qui avaient :concouru à sa délivrance. En même temps qu'il ménageait ainsi la retraite, l'adroit Florentin dressait les batteries d'attaque. Il réconciliait le maréchal de Bouillon avec le duc d'Épernon et établissait entre eux et le cardinal de Guise une sorte de traité d'alliance. On convint de lever en Champagne 12.000 hommes d'infanterie et 3.000 chevaux. Cette armée considérable pour une époque où les batailles les plus retentissantes ne comptaient pas en ligne plus de cinq à six mille hommes, cette armée, disons-nous, avait une double mission : elle devait faire une diversion si le roi, comme c'était probable, dirigeait ses. troupes sur l'Angoumois, où Marie méditait de se retirer ; elle était en outre destinée à appuyer le marquis de La Valette, fils du duc d'Épernon, dans le cas où Louis XIII entreprendrait de le chasser de Metz pendant que le duc serait occupé à la délivrance de la reine mère. Cette dernière avait trouvé moyen de faire parvenir à Ruccelaï deux cent mille écus, sur lesquels cent mille livres payèrent le dévouement du duc de Bouillon ; le reste fut employé à la levée des gens de guerre que le marquis de La Valette concentra à Metz.

Tout étant ainsi disposé, d'Épernon fit savoir à la reine qu'il était prêt à partir, qu'il ne restait plus qu'à déterminer le lieu où il devait l'attendre et celui où elle comptait se retirer, et qu'il réclamait ses ordres.

Mais c'était là précisément, c'étaient ces derniers détails de la fuite et de la retraite qui embarrassaient l'illustre exilée : le malheur avait fait le vide autour d'elle ; aucun des rares confidents qui lui restaient n'était capable de la guider. Presque tous ses serviteurs étaient vendus aux Luynes. Seuls, Chanteloube, l'un de ses gentilshommes[26] et le comte de Brenne, son écuyer, étaient d'un dévouement éprouvé ; mais l'un manquait d'énergie, l'autre était trop jeune pour inspirer grande confiance. Loin donc de guider d'Épernon, elle prit le parti de s'en remettre à sa décision et de le laisser maître de conduire les choses à son gré. Elle lui écrivit, par la plume de Chanteloube, la lettre suivante, en style de galimatias. Elle s'y déguisait, comme nous l'avons déjà dit, sous la figure d'une marchande de Saverne écrivant à son mari :

Monsieur, je me servirai de la plume de Magurin, l'un de nos commis, pour vous dire que je ne reçus de ma vie plus de joie que le jour que la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire me fut rendue, par laquelle vous m'assurez que vous m'aimerez toujours, ce qui m'a grandement consolée ; de sorte que, quelque affliction que Dieu m'envoie, je me réjouirai, pensant que mon mari m'aime et que j'aurai bientôt l'honneur de le voir. Je ne doute nullement de son affection, car il a l'âme si bonne, que j'estime qu'il n'oubliera jamais la personne du monde qui l'honore le plus, et que, tout aussitôt qu'il aura mis ordre à toutes les affaires que nous avons de par là, il voudra parachever celles que nous avons en ce pays, qui prennent un assez bon chemin, dont je loue Dieu.

Je suis en toutes les peines de savoir le lieu où il vous plaira que je vous attende ; car si vous jugez plus à propos que je m'en aille à notre maison que de demeurer ici plus longtemps, mandez-le-moi, et je ferai tout ce qui me sera possible pour surmonter tous les obstacles de la saison pour vous obéir. S'il arrive que je ne puisse partir de ce lieu, écrivez-moi comme il faudra que je me conduise pour vous aller rencontrer en chemin : pourvu qu'il ne faille point partir matin, je ferai merveilles. Je recevrai la loi de vous, laquelle j'observerai fort fidèlement et vous supplierai de me donner votre avis sur toutes les autres affaires, afin que je ne fasse rien qui puisse me nuire ; je ne saurais faillir en faisant ce que vous ordonnerez à votre très-humble et très-obéissante femme et servante.

Et en apostille : Celle-ci sera la dernière que je vous écrirai. C'est pourquoi je vous conjure de vous ressouvenir de me donner avis du temps que vous partirez, afin que je me prépare.

Si cette lettre fût tombée entre les mains des agents du ministre, nul doute qu'il en eût aisément pénétré le sens, assez mal dissimulé. Elle contenait bien des indices révélateurs ; la paresse bien connue de la reine s'y trahissait par ces mots : Pourvu qu'il ne faille pas partir matin. La formule finale elle-même, par son étrange obséquiosité, décelait la fiction : même à cette époque, les femmes de la bourgeoisie ne parlaient point à leurs maris de ce ton humble et soumis. Certes, le jeune Guez de Balzac, secrétaire de l'archevêque de Toulouse, et qui, à cette époque, prêtait sa plume au duc d'Épernon, se fût montré rédacteur plus avisé.

Par bonheur, cette maladroite épître parvint sans encombre à son adresse. Elle mettait d'Épernon en demeure d'agir, et il n'avait plus qu'à choisir entre les deux partis qu'elle indiquait. L'un et l'autre furent examinés dans un conseil où le duc convoqua ses deux fils, Ruccelaï et Du Plessis. Devait-on fixer à la reine un rendez-vous où elle se rendrait, armée de la lettre de Louis XIII, qui lui permettait d'aller où bon lui semblait pour sa santé ? Pouvait-on, dans cette hypothèse, régler si bien le voyage de Sa Majesté et celui du duc que tous deux se rencontrassent à l'heure et au lieu fixés ? Ne risquait-on pas, par la coïncidence de ces deux départs, d'attirer sur ces menées l'attention déjà si éveillée de la Cour ? Ou bien la reine devait-elle rester à Blois et n'en sortir que lorsque le duc d'Épernon serait arrivé à Loches et tout prêt à l'y recevoir et à- la conduire ensuite à Angoulême ?

On s'arrêta à ce dernier parti, qui reportait sur le seul d'Épernon la plus grande somme de dangers. L'entreprise pouvait certes passer pour hardie : il lui fallait, au cœur de l'hiver, traverser la moitié de la France pour arriver en Angoumois, puis revenir sur ses pas jusqu'au centre même du royaume, dans un pays couvert de troupes royales et de créatures des Luynes. Conspirateur émérite, il avait, il est vrai, pris la précaution de faire demander au roi la permission de se rendre dans ses gouvernements de Saintonge et d'Angoumois ; mais cette permission lui avait été poliment refusée[27], et ce refus même donnait à son voyage le caractère d'une rébellion. Au moment de partir, il voulut du moins sauver les apparences et se créer d'avance, en cas d'échec, un refuge et un système de défense. Il écrivit donc au duc de Luynes pour le prier d'obtenir du roi, à force d'instances, la permission qui lui avait été refusée, et il ajouta que, sûr d'avance d'être exaucé, il prenait le parti de se mettre en route avant d'avoir reçu la réponse. Ce fut Balzac qui rédigea cette audacieuse et perfide dépêche.

Restait à prévenir la reine de ces arrangements : Ruccelaï se chargea de ce soin. Un jeune page, nommé de Lorme, nourri dans sa maison et sur lequel il croyait pouvoir compter, reçut de lui la missive qui annonçait à Marie les derniers préparatifs de d'Épernon et son prochain départ.

Cette imprudence faillit tout perdre. Le jeune homme devina l'importance du papier qu'on lui confiait et crut pouvoir acheter la fortune au prix de l'honneur. Au lieu d'aller à Blois et de là à Confolens, en Angoumois, où il devait attendre le duc et lui rendre la réponse de la reine, il se dirigea droit sur Paris et vint frapper à la porte de l'hôtel de Luynes. Il était, dit-il aux gens du premier ministre, porteur d'un secret important, qu'il offrait de livrer moyennant bonne récompense. Mais depuis qu'il était au pouvoir, Luynes avait reçu bien des offres semblables ; il n'en était plus à cette période où le parvenu est encore poli envers la 'fortune, et se croyait maintenant en droit de la faire attendre. Trois jours durant, le page fit le pied de grue dans l'antichambre, sans pouvoir arriver au maître. Il y fut vu et reconnu par un de ses anciens amis, valet d'un conseiller au Parlement. Ce valet instruisit son maître de la présence, dans l'antichambre de Luynes, d'un homme appartenant à l'abbé Ruccelaï. Le conseiller Dubuisson était à la fois l'affidé de la reine mère, dont il possédait le secret, et l'obligé du duc d'Épernon, qu'un de ses frères servait en qualité d'officier. Il conçut des doutes, fit sonder le jeune De Lorme par son valet, l'englua par le moyen d'un de ses amis, qui se dit envoyé du duc de Luynes, et finalement acheta, pour cinq cents écus, les redoutables dépêches. Marie et d'Épernon ne connurent le danger qu'ils avaient couru qu'au moment même du succès.

Quant à de Luynes, à qui le sort venait d'offrir une si belle occasion de s'éclairer, il semble qu'il ait été frappé d'aveuglement. Marie avait récemment écrit à son fils pour le remercier de lui avoir accordé le rappel de M. de Roissy, qui commandait les troupes employées à surveiller Blois, et qu'elle avait été forcée d'admettre dans son Conseil. Le favori se paya des termes soumis de cette lettre et crut à la résignation que la reine y témoignait[28]. Aucun des ses nombreux espions ne lui ouvrit les yeux, et il serait à peine croyable, si tous les Mémoires du temps ne le constataient, qu'un complot qui avait demandé tant de temps, nécessité tant d'allées et de venues, et dont tant de gens avaient le secret, soit resté absolument inconnu de l'homme dont il menaçait l'autorité et qui avait tant de facilités pour le découvrir[29].

 

V

Le duc d'Épernon quitta Metz le lundi 22 janvier 1619, en compagnie de Ruccelaï[30]. Je vais faire, dit-il en sortant du palais du gouvernement, le coup le plus hardi que j'aie risqué de ma vie. Les portes de la ville avaient été fermées dès la veille et elles restèrent closes trois jours entiers après ce départ. Pendant tout ce temps, une compagnie de carabiniers garda jour et nuit la route de Paris, arrêtant tous ceux qui prenaient le chemin de la capitale. Ces précautions eurent un plein succès : les derniers avis qu'on reçut à la Cour du départ du duc d'Épernon furent ceux qui partirent de Metz.

Le mystère, du reste, était une question de vie ou de mort pour les conjurés. D'Épernon n'emmenait avec lui que cinquante gentilshommes, armés chacun de deux pistolets et d'une carabine, quarante gardes, ses officiers de bouche et quelques valets, en tout une centaine de chevaux[31]. C'était assez pour courir des aventures, mais non pour affronter des combats. La moindre troupe régulière eût mis en fuite cette poignée d'hommes, et deux ou trois fois la chose faillit arriver. A deux journées de Vichy, l'on aperçut deux gros de cavalerie qu'on prit de loin pour des chevau-légers de la reine- régnante. L'effroi se mit aussitôt dans la petite troupe : Il faut passer ou mourir ! dit le duc, et il envoya aussitôt à la découverte. C'étaient simplement deux gentilshommes qui se disputaient l'héritage d'une maison et qui n'avaient rien trouvé de mieux que de réunir leurs amis pour vider le différend à main armée ; ce détail peint les mœurs du temps et le cas que faisaient de la justice et des lois tous ces hobereaux batailleurs sur lesquels allait s'appesantir la main de Richelieu.

De Vichy, où il passa l'Allier, d'Épernon adressa une nouvelle dépêche au roi pour le prier d'agréer sa sortie de Metz, alléguant que sa présence y était moins nécessaire qu'en Angoumois[32]. Cette lettre, portée au duc de Luynes par le neveu de Du Plessis, jeta dans la Cour un étonnement mêlé d'appréhension. Le roi dit tout haut son opinion : il avait toujours pensé que si l'on refusait au duc le congé qu'il sollicitait, il était homme à s'en passer et à partir sans ordre. Ce propos montre que si l'équipée du duc irrita, du moins n'en aperçut-on pas de suite toute la portée. Luynes y vit un coup de tête et non une rébellion. Soucieux surtout de couvrir la dignité du pouvoir, il eut l'art de paraître concéder ce qu'il n'était plus en son pouvoir de prévenir, et il expédia au duc l'aveu du roi pour continuer son voyage.

Vingt jours après leur départ de Metz, d'Épernon et Ruccelaï arrivèrent à Confolens en Angoumois. Ils croyaient y trouver de Lorme, porteur de la réponse de la reine mère. L'absence du jeune page jeta les conspirateurs dans la plus grande perplexité. Il fallait croire à une trahison ou à un revirement dans les volontés de Marie. Le péril était égal dans les deux cas. On n'osait ni aller plus loin, ni revenir sur ses pas, et il était malaisé qu'on restât longtemps à Confolens, dont les habitants commençaient à s'étonner de la présence dans leurs murs d'un personnage aussi considérable que l'était d'Épernon. Dans cette extrémité, les deux chefs résolurent d'envoyer Du Plessis en éclaireur. Il devait prendre la poste à Châtellerault, gagner Loches, s'assurer de La Hilière, gouverneur de cette ville et le disposer à y recevoir la reine, puis s'aventurer jusqu'à Blois.

Du Plessis trouva dans La Hilière un homme dévoué à d'Épernon, mais irrésolu, qui s'effraya de la gravité de l'entreprise et n'osa ni accepter ni rejeter de prime abord les propositions qu'il recevait. Cependant, le temps pressait ; la reine, si de Lorme ne l'avait pas vue, devait être dans une anxiété mortelle. D'un autre côté, Du Plessis ne pouvait passer outre sans s'être assuré de Loches. Heureusement il avait amené Cadillac, ce Gascon fertile en ressources, dont le savoir-faire s'était déjà montré dans les premières négociations avec Ruccelaï. Cadillac fut dépêché à Blois, porteur des lettres du duc d'Épernon pour Marie et d'un mot pour le comte de Brenne, premier écuyer de la reine, qui devait servir d'introducteur à l'envoyé. Ainsi, ce fut entre les mains d'un simple domestique que fut, en fin de compte, remis le salut de l'entreprise.

Le premier écuyer n'avait aucun soupçon des projets de sa maîtresse ; il consentit toutefois à introduire secrètement Cadillac près de la reine. L'entrevue eut lieu le soir, dans le cabinet qui suit la chambre à coucher royale[33]. Marie, à qui le conseiller Dubuisson n'avait pas encore transmis les dépêches qu'il avait soustraites au page infidèle, Marie, disons-nous, respira en apprenant que ses libérateurs étaient si près d'elle. Il fut convenu que Cadillac retournerait de suite près de Du Plessis et l'amènerait jusqu'au faubourg de Blois qui précède le pont, à l'hôtellerie du Petit-Maure, où la reine se chargeait de l'envoyer prendre par une personne sûre.

Deux jours après, Du Plessis était au Petit-Maure, où l'attendait le maître d'hôtel du comte de Brenne. Il avait, pendant l'absence de Cadillac, fait taire les derniers scrupules de La Hilière et Loches était prête à ouvrir ses portes à la reine fugitive. Introduit le soir, en compagnie de l'infatigable Cadillac, dans l'appartement que le premier écuyer occupait au château de Blois, il y attendit que la reine mère se trouvât seule et en liberté. Quand enfin il put être admis en sa présence, il lui raconta en peu de mots le long et périlleux voyage du duc son maître, les craintes, les incertitudes de ce dernier, et il insista pour que la fuite eût lieu sans délai. -

La reine ne fit aucune difficulté sur ce point ; mais c'était peu de décider l'évasion, il fallait en trouver les moyens. Le château était bâti sur un rocher ; il était défendu par une avant-cour, des fossés, un pont-levis, des rampes escarpées, des portes solides et bien gardées. Ses antichambres, ses corridors étaient pleins d'espions vendus aux Luynes. Une fois encore on dut recourir à l'imaginative de Cadillac. Avec une intrépidité pleine de logique, le Gascon répondit que puisque les portes étaient si bien gardées, il fallait fuir par les fenêtres. Marie se récria les fenêtres ouvraient sur un abîme ; c'était affaire à un oiseau et non à une femme et à une reine. Cadillac, que rien n'embarrassait, fit respectueusement observer que plus le chemin était dangereux, plus il était sûr ; qu'à défaut des ailes de l'oiseau, l'on pouvait se procurer des échelles de corde, et qu'il n'y avait pas d'abîme au fond duquel une captive, fût-elle reine, ne dût descendre allègrement, quand elle savait devoir y trouver deux trésors inestimables : la vengeance et la liberté.

La reine se rendit à ces bonnes raisons, et il ne resta plus qu'à chercher comment on se procurerait des échelles. Il fallait de plus des chevaux, des voitures, des relais organisés ; pour tous ces préparatifs, un homme habile et sûr était indispensable. On finit, faute de mieux, par s'accorder pour charger le comte de Brenne de tous ces détails. Sa prudence seule, non son dévouement, était en doute. La reine le manda immédiatement, lui dévoila son projet et ne lui cacha que le nom du duc d'Épernon. Le jeune homme envisagea sans crainte la grave responsabilité qui allait peser sur lui ; il ne fit aucune question, trouvant sans doute que, dans ce jeu terrible- où on l'engageait les yeux à demi-bandés, il était magnanime de jouer sa vie sans même demander le nom de son partenaire. Échelles, chevaux et voitures, il s'engagea à tout disposer en un seul jour ; la rapidité, au point où en étaient les choses, étant la première condition du succès. On convint, en conséquence, que l'évasion aurait lieu dans la nuit du lendemain, celle du 21 au 22 février.

Du cabinet de la reine mère, où il resta caché, Du Plessis, dès l'aurore, expédia Cadillac à l'archevêque de Toulouse, qui devait attendre les fugitifs à Loches et veiller à la sûreté du chemin. A son arrivée dans cette ville, Cadillac y trouva le duc d'Épernon lui-même, qui n'avait pu se résoudre à séparer sa fortune de celle de son fils. Tous deux, le père et le fils, étaient depuis huit jours en de cruelles anxiétés. Aussi Cadillac fut-il reçu avec des transports de joie et dut-il recommencer cent fois le récit de son entrevue avec la reine. Il fut ensuite envoyé à Blois en toute hâte pour annoncer à cette dernière que l'archevêque de Toulouse, à la tête de cinquante chevaux, l'attendrait dans la nuit même à Montrichard, et que le duc d'Épernon, dès le lendemain matin, viendrait au devant d'elle avec le reste de sa troupe.

 

VI

Il était huit heures du soir lorsque Cadillac quitta Loches. Vers une heure du matin, il arriva dans le faubourg de Vienne, qui précède le pont de Blois, et où il rencontra plusieurs hommes qui gardaient un carrosse et quelques chevaux. Deux de ces hommes l'arrêtèrent : c'étaient l'écuyer du comte de Brenne et un valet de pied de la reine. Ils avaient ordre de ne laisser passer qu'un seul courrier, et, doutant que Cadillac fût celui qu'on attendait, ils résolurent de ne pas le quitter et s'acheminèrent avec lui vers la résidence royale. Mais le Gascon avait si bien observé la veille le chemin qu'il fallait suivre pour parvenir aux jardins du château, qu'il servait de guide à ceux mêmes qui le conduisaient.

Les terrasses du château de Blois n'avaient alors pour tout soutènement que la masse abrupte du rocher. Le revêtement de pierre ne fut exécuté que vingt ans plus tard, par Gaston d'Orléans. A moitié de la hauteur, entre le cabinet de la reine et le sol de la rue, les terrasses formaient une sorte de plate-forme. Aussi Brenne avait-il dû dresser deux échelles. La première flottait au niveau du sol de la rue et aboutissait à la plate-forme ; la seconde partait de ce dernier point et était attachée à la fenêtre du cabinet. Cadillac franchit lestement les deux échelles et vint appliquer l'œil à cette fenêtre.

La reine et cinq autres personnes étaient réunies dans le cabinet : ces cinq personnes étaient Du Plessis, le comte de Brenne, La Mazure et Du Lion, exempts des gardes de Sa Majesté, et enfin une femme de chambre italienne nommée Catherine. Marie n'avait pas jugé à propos d'associer plus de monde à son entreprise ; encore n'avait-elle révélé à ses compagnons de fuite que la moitié du secret. Elle leur avait annoncé sa délivrance sans leur faire connaître son libérateur. Le cabinet était plein d'émotion et de désordre. Tandis que la femme de chambre, tout en larmes, remplissait à la hâte les cassettes de la reine de ses plus riches pierreries, La Mazure et Du Lion se jetaient à ses pieds et la suppliaient de réfléchir encore avant de franchir un si grand pas. Brenne seul, quoiqu'aussi peu instruit qu'eux, témoignait par son attitude d'un calme et énergique dévouement. Du Plessis, debout dans l'ombre, gardait un silence plein d'anxiété. La reine, enfin, inquiète du retard du messager attendu et de la nuit qui avançait, sentait peu à peu s'évanouir sa résolution. Une circonstance fortuite augmentait ses craintes et sa perplexité. A la chute du jour, elle avait reçu le paquet confié au jeune page de Ruccelaï, paquet que le conseiller Dubuisson venait de lui faire parvenir, avec une lettre où il dévoilait la trahison dont elle avait failli être victime. Cette trahison, bien qu'éludée* lui en faisait soupçonner d'autres.

Enfin, un léger coup est frappé à la fenêtre. Brenne s'y précipite : Ouvrez à l'homme de Floze, dit une voix. C'était le nom de Du Plessis dans le galimatias convenu. La fenêtre est ouverte et Cadillac vient tomber aux pieds de la reine.

Madame, dit-il, tout marche au gré de vos désirs. M. le duc d'Épernon est à Loches, M. de Toulouse à Montrichard, et trois cents gentilshommes avec eux prêts à suivre partout Votre Majesté.

Ce fut comme le coup d'une baguette enchantée. Tout le monde, la reine et Du Plessis exceptés, entendait pour la première fois le nom du duc d'Épernon dans cette affaire. Ce nom assignait sa véritable proportion et son caractère à l'événement qui allait s'accomplir : il faisait de cette évasion une révolte et de cette escapade un coup d'État.

Sans perdre un moment, la reine leva sa robe, la serra autour de son corps, afin de descendre avec plus de liberté, franchit le balcon et mit le pied sur l'échelle. Du Plessis, qui venait ensuite, la soutenait de son mieux par la main, tandis que Brenne, passé le premier, veillait à ce que son pied s'appliquât sans broncher aux mobiles échelons.

Malgré ce double secours, la reine, qui était grasse et fort replète, eut tant de peine dans cette première descente, qu'arrivée sur la plate-forme, elle déclara qu'elle renonçait à une voie si périlleuse et qu'elle ne se risquerait pas sur la seconde échelle.

Il y eut alors pour la petite troupe un moment d'anxiété cruelle. Que faire ? Quel parti prendre ? La nuit était noire et glaciale ; la seule lumière qu'on aperçût était celle des cires qui se mourraient dans le cabinet qu'on venait de quitter ; le seul bruit que le vent apportât était le sourd fracas des' glaces qui se brisaient contre les piles du pont de Blois. On n'avait aucun secours à attendre de qui que ce fùt, et il était tout aussi difficile« de faire remonter la reine que de la faire parvenir jusqu'à la rue. Dans cette extrémité, ce fut Cadillac encore dont le génie inventif ouvrit la voie du salut. Il découvrit un endroit où le rocher ne se montrait pas à nu et où la terre de la plate-forme était éboulée et ravinée par les pluies. Plaçant la reine à l'ouverture de cette sorte de rigole, il la fit asseoir sur un manteau qui, soutenu par le haut et doucement tiré par le bas, la conduisit sans accident jusqu'au bas de l'escarpement. Marie respira en sentant enfin sous ses pieds le sol ferme. Elle venait de franchir une hauteur de près de cent pieds. Elle saisit vivement le bras de Du Plessis et celui du comte de Brenne, et s'engagea avec eux dans le faubourg du Foix. Des officiers de sa propre maison la rencontrèrent, et, voyant une femme sans flambeau entre deux hommes, lancèrent en passant quelques grossières plaisanteries. Ils me prennent pour une bonne dame, dit en riant l'illustre fugitive.

On passa le pont sans accident : mais, quand on fut à l'endroit où le carrosse et les gens de la reine devaient se trouver et où Cadillac les avait vus, on les chercha vainement : gens et carrosse avaient disparu. Nouvel embarras, non moins grand que le premier. Chacun examine déjà ses compagnons avec défiance et se demande s'il y a trahison et quels sont les traîtres. Un valet de pied accourt enfin qui annonce que la voiture a été cachée dans une ruelle voisine, jette à la hâte les paquets et les cassettes dans le carrosse, et la reine s'y précipite en compagnie du comte de Brenne, de Du Plessis et de Catherine. Le reste de la troupe monte à cheval ; on part, et l'on prend au galop la route de Montrichard. Tout à coup, la reine s'aperçoit qu'une de ses cassettes lui manque ; elle fait arrêter. L'impatience est au comble ; cinq minutes de retard peuvent tout perdre ; mais Marie déclare qu'il lui est impossible de partir sans cette boîte. Les valets sont envoyés à la recherche et trouvent enfin la malheureuse cassette dans la ruelle où l'on était monté en voiture : elle contenait pour cent mille écus de pierreries.

Au point du jour, les fugitifs rencontrèrent Ruccelaï, qui venait au-devant de la reine à la tête de quinze gentilshommes. Le brave abbé avait hâte de jouir de son ouvrage. A Montrichard, Marie fut reçue par l'archevêque de Toulouse, qui lui fit les honneurs du château ; elle était dès lors en sûreté, sous les fortes murailles bâties par Foulques Nerra. Toutefois son impatience était telle qu'elle prit à peine le temps de déjeuner et remonta de suite en voiture. Le duc d'Épernon l'attendait à deux lieues de Loches, en compagnie de deux cents gentilshommes. Elle avait désormais une armée et allait traiter sur le pied de l'égalité avec son fils[34].

Les préparatifs de cette fuite avaient été combinés avec tant d'habileté et de discrétion, qu'il n'y eut personne, dans le château de Blois, qui s'en aperçut. Le matin du 22 février, quand les domestiques préposés au service de la personne de la reine, étonnés de n'être pas appelés à l'heure ordinaire et ne sachant que penser d'un si profond silence, se décidèrent à pénétrer dans l'appartement et le trouvèrent vide, leur étonnement fut au comble. Les échelles avaient été retirées et jetées dans la Loire, de sorte que nul ne s'expliqua d'abord comment cinq personnes avaient pu, sans être vues, sortir d'un appartement entouré de gardes nombreux et dont les fenêtres ouvraient sur un précipice.

Ce fut la reine elle-même qui donna le mot de l'énigme. A peine arrivée à Loches, elle écrivit au roi pour lui faire connaître sa fuite et son dessein de se retirer à Angoulême. C'étaient, disait-elle, la longue oppression de son honneur et de sa liberté, une raisonnable appréhension pour sa vie, et par dessus tout, le péril de l'État, qui l'avaient conduite au parti désespéré qu'elle avait pris. Dès cette première lettre, Marie se posait en victime qui couvre d'un reste de déférence le juste ressentiment des injures reçues et qui se sent assez forte pour les venger.

Cette lettre arriva à la Cour au milieu des divertissements du carnaval et de la foire de Saint-Germain. Une suite de mariages illustres la tenait en haleine de plaisirs : ballets, spectacles, galas, réjouissances de toute sorte s'y succédaient. Luynes avait marié la sœur naturelle du roi, Mlle de Vendôme[35], avec le duc d'Elbeuf. Il venait de conclure l'union longuement discutée, de Mme Christine, seconde fille de France, avec Victor-Amédée, prince de Piémont. Enfin l'heureux favori avait récemment conduit le roi lui-même au lit de la jeune reine, et par la consommation si difficile et si longtemps différée de l'union royale, il s'était acquis des droits à la reconnaissance de la Cour d'Espagne et du Saint-Père[36]. Pour jouir sans trouble de sa haute fortune, il venait de faire adopter au roi le projet d'un voyage à Blois, voyage dans lequel, sous prétexte de visiter sa mère, Louis XIII devait, s'il faut en croire Richelieu, la mener honnêtement dans la forteresse d'Amboise, où on l'eût renfermée sous bonne garde pour le reste de sa vie. La lettre de Marie tombait comme une goutte d'eau froide sur cet orgueil en ébullition et ne laissait plus au favori d'autre refuge que la guerre civile.

Ce fut en effet la guerre civile qui sortit de l'évasion de Blois. Luynes crut opposer au duc d'Épernon un rival digne de lui en ouvrant les portes de Vincennes au prince de Condé et paralyser l'action de Ruccelaï en invitant secrètement Richelieu à se rendre près de la reine mère[37]. Il ne fit par là qu'aggraver la situation : la lutte s'agrandit avec les lutteurs. Le Traité d'Angoulême fut une trêve entre deux combats. En donnant l'Anjou à sa mère, Louis XIII acheta chèrement un moment de tranquillité. Toujours turbulente et vindicative, la veuve de Henri IV fit bientôt de sa petite Cour d'Angers un foyer de conspirations incessantes : le roi dut marcher contre elle. On se battit aux Ponts-de-Cé, et il fallut toute la diplomatie de Richelieu pour ménager entre la mère et le fils un fragile rapprochement, qui eut lieu au château de Brissac, le 13 août 1620.

Cette guerre, impie des deux parts, mit en lumière tous les vices du régime féodal ; elle éleva à la hauteur d'un besoin public la destruction de cette puissance expirante ; elle prépara ainsi les voies à Richelieu et justifia l'énergique intervention de ce grand niveleur.

 

 

 



[1] Cette étude de M. Cousin a paru dans le Journal des Savants, de mai 1861 à janvier 1863.

[2] Journal des Savants, mai 1861, p. 268.

[3] Journal des Savants, mai 1861, p. 264.

[4] Ce fait peu connu résulte d'une dépêche de l'ambassadeur de Venise en date du 29 juin 1617, et d'une missive du nonce Bentivoglio du 5 juillet suivant. Les lettres dont il s'agit avaient été écrites par Richelieu à Concini.

[5] Voyez la déposition du marquis de Bressieux, publiée dans la Revue rétrospective, t. II, p. 297. Ce qui donnerait quelque crédit aux accusations de Richelieu, c'est le soin que prirent les juges de décider que le procès de Travail serait brûlé avec lui, pour qu'il ne restai point de traces de son attentat (Mémoires de Richelieu, coll. Petitot, t. XXI bis, p. 438). C'était bien plutôt, dit un historien, pour que leur iniquité ne laissât point de traces après elle.

[6] Récit véritable de ce qui s'est passé au Louvre depuis le vingt-quatrième avril, jusques au départ de la royne mère du roy, Paris, Saugrain, 1617, ap. Archives curieuses, 2e série, tome XI.

[7] Suivant Richelieu, au contraire, la reine mère fit preuve, en cette circonstance, d'une rare fermeté. Elle ne répandit pas une larme au moment du dernier adieu qu'elle adressa à ses filles. — Voir Mémoires de Richelieu, coll. Petitot. t. XXI bis, p. 441.

[8] Récit véritable de ce qui s'est passé au Louvre, etc., p 32.

[9] Mémoires de Bassompierre, coll. Michaud et Poujoulat, 2e série, t. LXXXI, p. 127.

[10] Une dépêche de l'ambassadeur de la république de Venise à son gouvernement, en date du 11 juillet 1617, nous apprend que Luynes eut pour sa part, dans la dépouille de Concini, les terres d'Ancre et de Lésigny, plus 800.000 écus, tant en argenterie, qu'en valeurs monnayées. Il y faut joindre les grandes charges dont jouissait le maréchal : le gouvernement d'Amiens, la lieutenance générale de Normandie, la fonction de premier gentilhomme de la chambre.

[11] Mémoires, t. XXI bis, p. 464.

[12] On lit ce qui suit dans une lettre adressée par Richelieu à M. de Montbazon, lettre sans date, mais que M. Avenel, l'habile éditeur des lettres et papiers d'État du Cardinal de Richelieu, suppose de quelque temps antérieure au 7 avril 1618, jour où l'ordre de se retirer à Avignon lui fut donné : Je sçay, par la grâce de Dieu, ce que l'on doibt à son roy... Je suis venu auprès de la reyne sa mère par son commandement ; je m'y suis gouverné, et M. de Luynes le sçait, ainsi qu'il m'a fait cognoitre qu'il le desiroit ; quand on m'a témoigné que je luy ferois chose agréable de m'en éloigner, je l'ay fait. Lettres du cardinal de Richelieu, t. I, p. 561. Dès le 27 septembre 1617, le nonce Bentivoglio avait signalé dans une dépêche la conduite pleine de duplicité de Richelieu à Blois. Voyez les lettres publiées à Turin et citées dans le préambule de cette étude.

[13] Voici ce qu'on lit dans une lettre de Richelieu adressée au roi au commencement de 1618 Suppliant Votre Majesté, au cas que mon malheur empesche qu'elle ne puisse prendre confiance en moy, en ce lieu où elle apprendra, je m'assure par toute personne non-passionnée que je n'ay jamais eu autre dessein que de m'acquitter des fonctions de ma charge, de m'en prescrire tel autre qu'il lui plaira pour ma demeure où je puisse vivre sans calomnie. (Lettres de Richelieu, t. I, p.564.) Les lettres précédentes, dit M. Avenel, au sujet de cette phrase, montrent combien l'évêque de Luçon était préoccupé des mauvais offices qu'on lui rendait auprès du roi et, comme il dit, des calomnies dont on le poursuivait incessamment. Pour se mettre à couvert, il provoque lui-même une espèce d'exil ; le roi ne tarda pas à le satisfaire sur ce point. Par une lettre du 7 avril, Louis XIII lui ordonna de se retirer à Avignon.

[14] Mémoires de Fontenay-Mareuil, coll. Michaud et Poujoulat, 2e série, t. V. p. 132, et Mémoires de Pontchartrain, même volume, p. 399.

[15] Voici cette lettre, qu'on lit dans les registres de la ville de Blois : Chers et bien amez, la Royne, nostre très-honorée dame et mère, s'en allant faire sa demeure en nostre chasteau de Bloys, nous vous faysons la présente par laquelle nous vous mandons, ordonnons et très-expressément enjoignons que vous ayez à la recevoir, assister, servir et recognoistre avec tout l'honneur, le respect et l'obéissance qui lui sont deuhs, et tels que vous puissiez les rendre à notre propre personne ; lui donnant les mesmes pouvoir et autorité que nous avons, tant en nostre dict chasteau que en nostre ville de Bloys. Si n'y faictes faute, surtout que désiriez faire chose qui nous soit agréable. Car tel est nostre plaisir.

Donné à Paris, le 2 mai 1617.

LOYS.

[16] C'est seulement au mois d'août 1619, quelque temps après les événements que nous racontons, que la terre de Maillé fut érigée en duché-pairie, en faveur d'Albert de Luynes, dont elle prit alors le nom.

[17] Mémoires de Fontenay-Mareuil, loc. cit.

[18] Manuscrit de la Bibliothèque nationale, fonds Dupuy, n° 92.

[19] Mém. de Richelieu, coll. Petitot, livre VIII, p. 404 ; Vittorio Siri, Mémorie recondile, t. IV, p. 565 et suiv.

[20] Mém. de Montglat, t. Ier, note de la p. 28, coll. Petitot.

[21] Dépêche adressée le 16 juin 1619 par Guido Bentivoglio, nonce apostolique en France, au cardinal Borghèse, neveu et secrétaire d'État du pape Paul V, dans le recueil de ses dépêches publié à Turin en 1852 (2 vol. in-12). On y lit : Si parla publicamente ch'egli sia o faccia l'innamorato della regina, sebbene si puo credere l'uno e l'altro della sua vanità.

[22] Il avait obtenu la permission de venir à Paris par le crédit de Bassompierre, qui s'était porté caution de lui près de de Luynes et avait promis qu'il n'entrerait dans aucune intrigue contraire aux intérêts de ce favori. Mém. de Bassompierre, coll. Michaud et Poujoulat, 2e série, t. VI, p. 128.

[23] Bassompierre prétend que ce fut Ruccelaï lui-même qui, voulant quitter Paris, fit faire de fausses dénonciations contre sa propre personne pour se faire chasser de la Cour. Mém., p. 129.

[24] Ce n'était là, en effet, qu'un prétexte ; l'animosité du duc d'Épernon contre de Luynes avait des motifs plus sérieux. Depuis plus de six ans, le chapeau de cardinal était promis à l'archevêque de Toulouse, son troisième fils, et au mépris des droits de ce dernier, Luynes venait de le faire donner à Henri de Gondy, archevêque de Paris. De plus, d'Épernon était profondément blessé des procédés, qu'à l'instigation du nouveau favori, le jeune monarque affectait à son égard. Un jour que, sur l'ordre du prince, le vieux duc arrivait à Saint-Germain avec son train de grand seigneur de l'ancien régime et suivi de huit cents chevaux, le roi lui fit donner ordre d'entrer seul avec les membres de sa famille, et lui dit fièrement qu'il serait pour lui un bon maitre si, de son côté, il se montrait bon serviteur. — Dépêches du nonce Guido Bentivoglio, en date des 15 et 24 novembre 1617.

[25] Roilhac reprochait à Ruccelaï de l'avoir desservi près d'une dame qu'il aimait, et ce démêlé s'était terminé par des coups de canne, que le marquis avait donnés à l'abbé en pleine foire Saint-Germain.

[26] Jacques d'Apchon de Chanteloube ôtait d'une ancienne famille du Forez. Peu de temps après la fuite de la reine mère, il entra dans l'Oratoire, ce qui ne l'empêcha pas de jouer par la suite un grand rôle dans les divisions qui s'élevèrent entre elle et Richelieu.

[27] Mémoires de Fontenay-Mareuil, Coll. Michaud et Poujoulat, série, t. V, p. 135. Luynes motiva son refus sur la guerre d'Allemagne, qui nécessitait la présence du duc sur la frontière.

[28] Voici cette lettre, qui existe à la Bibliothèque nationale, Fonds de Béthune.

Monsieur mon fils, bien que je n'aie pas toujours été sans quelque petit déplaisir de voir ici M. de Roissy en la charge qu'il avait auprès de moi, je vous avouerai qu'il s'y est comporté avec tant de modestie et de respect, que j'ai occasion de m'en louer et lui en témoigner du gré. Il vous donnera compte de tout ce qu'il a reconnu de mon procédé pendant qu'il y a demeuré, et m'assure qu'étant homme véritable comme il est, il ne vous en rapportera chose qui vous puisse détourner de la bonne opinion que je vous supplie d'avoir, qu'il n'y a rien en ce monde que je prise d'avantage que l'honneur de votre bienveillance. Votre très-humble et affectionnée mère et sujette, MARIE.

[29] Voyez en particulier Fontenay-Mareuil, Coll. Michaud, t. V, p. 185, et la relation du cardinal de la Valette, dans le t. I. du Recueil d'Aubery sur Richelieu.

[30] Mercure de France, t. V, p. 98.

[31] Fontenay-Mareuil, loc. cit.

[32] Mercure, t. V, p. 98. Cette lettre est du 7 février 1619.

[33] Voyez, pour la description détaillée des lieux où se passa la scène la plus décisive du drame que nous racontons ici, notre ouvrage intitulé : Les Résidences royales de la Loire, 1 vol. in-18°, Dentu, 1863, p. 110 et suiv.

[34] Mémoires de Richelieu, ap. coll. Petitot, t. XXI bis, p. 527 et Aubery, t. Ier, p. 142.

[35] Catherine-Henriette, légitimée de France, fille naturelle de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées.

[36] Les négociations et les efforts au moyen desquels Luynes parvint à rapprocher les deux époux ont été très-bien exposés par M. Armand Baschet, dans le curieux volume intitulé : Le roi chez la reine, ou Histoire secrète du mariage de Louis XIII avec Anne d'Autriche, Paris, Aubry, 1864.

[37] Il est certain, d'une part, que Richelieu reçut, dès le commencement de mars, l'autorisation secrète de se rendre près de la reine mère ; le roi lui-même lui écrivit pour l'en prier ; d'une autre, qu'il se fît précéder d'un Mémoire où le renvoi de Ruccelaï était indiqué en termes voilés. Cet écrit, intitulé : Mémoires à M. le comte*** de ce qu'il aura à dire à la reine mère de ma part, a été publié par M. Avenel au t. I, p. 580, des Lettres et papiers d'État du cardinal de Richelieu. Sur les démarches faites par Luynes et par le roi près de Richelieu pour qu'il revint près de Marie de Médicis, voyez les Mémoires de Déageant, p. 210, et les Notes de M. Avenel sur le Mémoire précité.