LES CRIMES ET LES PEINES

 

CHAPITRE VIII. — L'ALLEMAGNE AU MOYEN ÂGE.

 

 

§ 1. — RIGUEUR DE LA PÉNALITÉ GERMANIQUE.

Caractères principaux du droit pénal germanique : la rigueur et le symbolisme des peines. — Miroir des Saxons ; Miroir de Souabe ; fondation d'un droit territorial. — Supplices nombreux appliqués aux crimes non rachetables ; crimes intéressant la foi. — L'écartèlement emprunté aux plus anciennes traditions des Goths ; supplice de Svanibilda, d'après Jornandès. — La roue ; son origine, ses tempéraments en France ; sa rigueur en Allemagne. — Liberté extrême laissée au juge pour le choix des peines ; théorie de l'indétermination de la peine ; ses conséquences en Allemagne ; tableau de la pénalité germanique emprunté à Conrad Celtes. — Coutume de couper en quatre le corps des suppliciés et d'en exposer les morceaux aux quatre points cardinaux des villes ; son introduction en France ; exécution d'un des meurtriers du duc Louis d'Orléans, ordonnance de payement de l'exécuteur. — Résultat de l'exagération des peines.

 

Les caractères principaux de la pénalité germanique au moyen âge sont, d'une part, son excessive rigueur, de l'autre le symbolisme du châtiment. Nous parlerons d'abord de la rigueur des peines.

Même après le démembrement de l'empire de Charlemagne, la composition, le wergeld, resta longtemps la base du droit pénal germanique. Le Sachsenspiegel, ou Miroir des Saxons, donne une échelle complète de wergeld dressée selon le rang des personnes. Ce livre, dont l'auteur présumé est un juge de Thuringe du nom d'Eike de Repgow, remonte, selon les conjectures d'Eichhorn, au commencement du treizième siècle. Toutes les inégalités que présente la société germanique à cette époque y sont exprimées par le chiffre des wergeld et des amendes, toujours proportionnés au rang des offensés. Seulement, le droit de la société s'est singulièrement étendu depuis Charlemagne : un grand nombre de crimes ont maintenant déclarés non rachetables. On peut dès lors prévoir le jour où, la composition ayant entièrement disparu, la peine restera seule, d'autant plus terrible qu'elle a été exagérée à dessein dans le but de pousser le coupable à s'en racheter à prix d'argent. Un autre changement considérable a été introduit : le jugement n'a plus lieu selon le droit de l'accusé, mais selon le droit de la province. La société s'affirme de plus en plus ; elle tend à régulariser son action et à la fonder sur un droit territorial.

Le Miroir des Saxons conquit rapidement une autorité considérable. Ses principales dispositions furent reproduites dans un autre monument législatif qui lui est un peu postérieur, le Miroir de Souabe (Schwasbenspiegel), quelquefois désigné sous le nom de Kaiserrecht ou Jus cæsareum, ouvrage dans lequel le droit germanique primitif est fondu et combiné avec le droit romain et celui des capitulaires. Le Miroir de Souabe fut pour le midi de l'Allemagne ce qu'était l'autre Miroir pour le nord, une sorte de compendium du droit de l'époque, œuvre toute personnelle, dépourvue d'autorité légale, mais profondément empreinte de l'esprit du temps, et puisée dans les entrailles mêmes du droit germanique. Ainsi s'explique la longue influence de ces deux traités. Beaucoup d'autres sources juridiques, en particulier le droit des villes libres impériales et celui des villes hanséatiques, devraient être interrogées si l'on voulait écrire une histoire du droit pénal allemand au moyen âge. Mais le Miroir de Saxe et celui de Souabe suffisent au but que nous nous proposons en ce moment, et qui est de dessiner les lignes principales de la pénalité germanique.

La loi du talion est conservée en ce qui concerne les mutilations ; cette loi est la conséquence naturelle du droit de composition. Celui qui a coupé les mains, les pieds, le nez, les oreilles de son ennemi, rachète son crime au prix d'un demi-wergeld ; s'il est trop pauvre pour se racheter, il subit une mutilation exactement semblable à celle qu'il a faite[1].

La plupart des législations germaniques distinguent soigneusement entre le crime accompli de jour et le crime qui a lieu pendant la nuit. C'est ainsi que celui qui vole du, bois ou de l'herbe pendant la nuit est puni de l'osier (pendu), tandis que le vol des mêmes objets accompli pendant le jour se punit seulement sur la peau et sur les cheveux, c'est-à-dire par le fouet et la tonsure[2]. La tonsure était, en effet, une marque d'infamie pour un peuple chez qui les longs cheveux passaient pour un signe de noblesse. La distinction que nous venons de signaler ne s'applique pas, toutefois, au cas où le crime, accompli pendant le jour, a eu lieu au mépris d'une paix jurée : le coupable est alors pendu avec un lien d'osier à l'arbre le plus proche du lieu où il a été saisi[3].

Les supplices appliqués aux crimes non rachetables sont nombreux et accusent la férocité sauvage des mœurs : l'épée, la potence, le feu, la roue, la noyade, l'enfouissement, l'écartèlement, sont les peines ordinaires et communes à toutes les parties de l'Allemagne féodale. La cruauté naturelle aux peuples barbares, longtemps comprimée par l'indépendance individuelle, par le droit de composition largement appliqué, se fait jour et déborde du moment où les empereurs sont parvenus à établir ces paix territoriales que les tribunaux sont chargés de maintenir, et qui rendent à la loi toute son énergie. Celui qui rompt la paix par le meurtre, l'incendie ou tout autre acte de violence, est maintenant puni de mort.

Les législations, ou plutôt les coutumes, car les constitutions ne sont que des reflets des usages établis, les législations, disons-nous, semblent s'appliquer à proportionner l'atrocité du supplice à celle du crime ; mais aucune échelle régulière de pénalité n'est dressée ; le caprice des juges intervertit souvent les degrés de la peine. Nous reviendrons tout à l'heure sur ce point.

La potence, est le supplice ordinaire des voleurs. Celui dont le vol s'élève à moins de cinq schellings n'est pas pendu, mais on doit lui brûler au moins quelque chose et lui rompre quelque membre[4].

Les apostats, les sorciers, les empoisonneurs, les misérables adonnés au péché contre nature, sont brûlés vifs. On saisit ici le rapport qui existe, en cette partie, entre la législation germanique et celle des Établissements de saint Louis : toutes deux ont subi l'influence du droit romain de Théodose et de Justinien. Le feu, en Allemagne comme en France, est la peine ordinaire des crimes qui intéressent la foi ou dont la connaissance appartient à l'Église.

Le polygame a la tête tranchée ; même peine pour le rapt, le viol et l'adultère, aussi bien celui de la femme que de l'homme.

L'incendiaire est brûlé vif si son crime a eu lieu la nuit. Les traîtres, les déserteurs, sont écartelés.

Enfin les brigands, les détrousseurs de grand chemin, ceux qui pillent les objets commis à la foi publique ou consacrés au culte, les charrues, les moulins, les cimetières, les églises, tous ces larrons doivent expirer sur la roue ; on continue à leur égard les traditions des cartulaires carlovingiens.

Nous devons, avant d'aller plus loin, donner ici quelques détails sur les deux derniers supplices que nous venons de mentionner.

L'écartèlement, dont l'histoire. des premiers temps de Rome nous a offert un exemple (voir notre chapitre III), n'était pas pourtant un emprunt fait par l'Allemagne' aux lois romaines ; elle tenait ce supplice de ses propres traditions, et cette similitude est une preuve de plus de l'origine commune de rades en apparence très-dissemblables. Jornandès, ce Goth du 'sixième siècle qui écrivait les annales de sa nation au moment même où elle disparaissait de l'Italie, balayée par les armes de Bélisaire et de Narsès, Jornandès nous a transmis le récit d'un supplice de ce genre infligé par le roi goth Ermanaric à la femme d'un déserteur appartenant à une tribu récemment soumise : Une femme de la race des Roxolans, appelée Svanibilda, dont le mari avait traîtreusement déserté, fut, par ordre du roi, liée à des chevaux sauvages qui l'écartelèrent. Ses frères, Sarus et Ammius, vengèrent la mort de leur sœur en frappant Ermanaric d'un coup d'épée dans le flanc[5]. On trouve dans l'Edda de Sœmund un fragment où cette aventure, si brièvement contée par le chroniqueur, prend toute la grandeur et tout l'éclat de l'épopée[6].

Passons au supplice de la roue.

Cette effroyable peine est mentionnée dans Grégoire de Tours[7], mais l'Allemagne parait être la première nation qui l'ait élevée au rang de supplice légal. Une constitution de l'empereur Frédéric Barberousse, datée de 1156, punit de la roue l'assassinat accompagné de guet-apens. Vers l'année 1226, le comte Frédéric d'Isenberg, ayant tué l'archevêque de Cologne, Engebert, fut condamné à mourir sur la roue[8].

C'est donc à l'Allemagne que notre droit pénal est redevable de ce supplice, qui parait s'être naturalisé en France sous le règne de François Ier ; du moins nous ne connaissons aucune ordonnance qui l'ait mentionné avant celle de janvier 1535. Il était, chez nous comme en Allemagne, appliqué principalement aux voleurs de grands chemins et aux meurtriers par guet-apens. Mais il est juste d'ajouter qu'en France, à partir du dix-septième siècle, on ne condamna guère à la roue que pour des crimes atroces ; et que, le plus souvent, le coupable était étranglé avant d'être rompu.

On verra tout à l'heure ce qu'était la roue en Allemagne : le dur esprit germanique ne s'accommodait pas de ces ménagements[9].

Tels étaient les principaux supplices usités dans l'Allemagne féodale. Mais, nous l'avons dit déjà, l'usage, bien plutôt que la loi, déterminait à nature du supplice propre à chaque espèce de crime. Le juge n'était nullement contraint d'appliquer un châtiment spécial à chaque crime, spécial à la gravité du fait, l'endurcissement du coupable, la récidive, étaient autant de circonstances qui lui permettaient d'aggraver, de modérer ou de combiner entre elles les diverses peines. Il n'était pas rare même qu'il en inventât de nouvelles, dans le but de proportionner le châtiment à l'atrocité de l'attentat. Ce système de l'indétermination de la peine eut d'effroyables résultats. On frémit d'horreur quand on parcourt les annales judiciaires des nombreux États allemands au moyen Age. Ce ne sont, à chaque page, que gens tenaillés avec des fers rouges, jetés. vivants dans un bûcher, cuits dans l'huile bouillante, écartelés à quatre chevaux, démembrés et coupés vivants en quatre morceaux. Pour de minces délits contre les mœurs ou la propriété, les récidivistes sont tantôt marqués au front, tantôt privés des yeux ou des oreilles, tantôt mutés, de sorte qu'ils ne voient plus ni soleil, ni lune, et qu'il n'y ait d'ouverture que pour passer des aliments.

Point d'entrailles, nulle humanité chez le juge. Son premier devoir est l'impassibilité ; son seul souci est de mesurer le châtiment au crime ; sa plus grande préoccupation d'épouvanter le malfaiteur. On sent qu'il vit dans un temps de dure barbarie, où la force a volontiers raison contre le droit, où nulle route n'est sûre, où nulle maison n'est à l'abri du pillage ; il lui faut des supplices qui parlent aux yeux, qui ébranlent fortement les imaginations, qui répondent par d'effroyables combinaisons aux atroces inventions du crime. Ces supplices, il les étale à la lumière ; il s'y complaît ; il les dramatise ; il ignore le danger d'accoutumer le peuple à ces horribles spectacles, et il serait bien étonné si un moraliste lui disait qu'aucune arme légale ne s'émousse aussi vite que celle de la terreur, et que l'inhumanité des lois, reflet de l'inhumanité des mœurs, a pour effet de former des mœurs plus inhumaines encore.

Nous ne voulons pas insister personnellement sur ce côté de la pénalité germanique : nous aurions peur qu'on ne nous reprochât d'abuser des couleurs sombres et de nous complaire dans l'horrible. Nous aimons mieux céder la parole à un autre, à un Allemand qui écrivait dans un temps où cette atroce pénalité était encore en vigueur. Conrad Celtes, à qui nous empruntons les citations qu'on va lire, né à Wipfelt, près de Wurtzbourg, le 1er février 1459, était à la fois professeur d'éloquence et bibliothécaire de Maximilien Ier, qui lui décerna le titre de poète impérial. Ainsi s'expliquent les couleurs poétiques et les réminiscences mythologiques répandues sur ces pages. La sombre imagination de Dante n'a rien inventé de plus effroyable que cette peinture, empreinte d'une si vivante réalité :

On n'ôte la vie à personne par l'effet du poison, le plus doux des genres de mort, et j'attribue cela à la simplicité germanique. Ceux contre lesquels on sévit avec le plus de rigueur sont les brigands, les parricides, les voleurs et les traîtres à leur patrie. Près.des portes de nos villes, vous pourriez voir les cadavres de ces malheureux, qui, suspendus aux gémonies, vont au souffle de la tempête se heurter les uns aux autres et devenir la proie des corbeaux et des oiseaux de proie, comme autrefois les animaux des étables de Diomède. On voit que les Germains avaient hérité des Romains l'usage d'élever des gibets aux portes des villes, usage qu'on retrouve également en France et qui ne s'explique pas seulement par la tradition, mais aussi par une raison de salubrité publique.

 Ceux qui trompent sur l'argent ou sur la qualité des marchandises, on les fait brûler en les jetant vivants dans un bûcher, ou en les attachant à un tronc d'arbre et en plaçant dans leurs cheveux et dans leurs parties génitales du nitrate d'argent en poudre, afin de donner à la flamme un aliment plus facile.

Veut-on savoir maintenant ce qu'était le supplice de la roue chez les Germains ? Qu'on lise cette épouvantable description :

Ils ne mettent pas en croix les brigands et les parricides et ne les cousent pas dans des sacs[10], mais ils brisent les jointures des bras et des jambes avec des roues à pointes aiguës, et le bourreau, après avoir ainsi broyé les os, fait tourner, par une impulsion précipitée, la tête, les entrailles et les épaules du supplicié, forçant ainsi l'âme infortunée à s'élancer hors de sa chère demeure et de son siège intime. Ensuite on expose aux oiseaux de proie ce corps informe et déchiré, pendant qu'il respire encore et que ses veines sont encore chaudes.

Ceux que l'on traite avec plus de douceur, on les frappe vivants avec le glaive ; ensuite on applique le tronc décapité sur le gibet ou sur la roue, sévissant ainsi contre un corps mort et inanimé. Et on ne laisse pas ces malheureux marcher au supplice, mais on les y trahie attachés à la queue d'un cheval, au milieu des cailloux, des trous et des conduits d'eau de nos rues et de nos places publiques, en déchirant leur corps comme celui d'Hippolyte, dont la tragédie nous a fait pleurer la destinée ; sans compter les ongles de fer et les forceps rougis par lesquels on tenaille et on déchire les parties les plus charnues du corps en pénétrant jusqu'aux nerfs et aux muscles.

Joseph de Maistre, qui sans doute n'avait pas lu Conrad Celtes, a tracé, lui aussi, un émouvant tableau de ce supplice de la roue[11]. Mais malgré toute sa science de coloriste, l'éloquent et paradoxal publiciste reste bien au-dessous de cette peinture d'un réalisme si saisissant tracée par un naïf Allemand du quinzième siècle,

Tel est, continue Celtes, le triste spectacle qu'offrent les rigueurs de la pénalité germanique ; et cependant, pour réprimer les brigandages, les meurtres et les rapines des hommes perdus, ce n'est pas encore un exemple suffisant et efficace que d'exposer aux dents des chiens et au bec des oiseaux des corps déchirés, des troncs et des membres souillés de sang. On ouvre les entrailles aux ennemis de la patrie et à ceux qui conspirent contre elle, et le bourreau, pareil à un aruspice on à un anatomiste, fouille d'abord le cœur, puis, ayant arraché les intestins, coupe en quatre parties le corps ainsi vidé ; d'autres fois, on coupe les mains et les jambes. C'est une coutume devenue en quelque sorte sacrée d'attacher les cadavres de ces criminels à des piloris et à des croix placées en dehors des portes de la ville, et d'exposer les quatre morceaux du cadavre aux quatre points cardinaux du ciel. Tant est atroce la vindicte publique en Germanie.

Notons en passant que cette coutume de couper le corps des suppliciés et d'exposer les quatre morceaux aux quatre points cardinaux des villes s'introduisit en France de bonne heure. Au mois de juillet 1412, l'un des assassins du duc Louis d'Orléans, Olivier Bourgaut, fut exécuté à Orléans. Voici l'ordonnance de payement délivrée au bourreau pour son salaire par le prévôt de cette ville, Jean Barbelier. Toutes les parties, nous allions dire tous les actes, du drame émouvant que formait alors l'exécution d'un grand criminel y sont succinctement relatées :

Pour lui avoir copé la main au pilori : 5 sous.

Pour lui avoir copé la tête et décollé : 5 sous.

Pour lui avoir copé les quatre membres, par chaque, 5 sous, au total : 20 sous.

Pour iceux avoir pendu en quatre lieux ordonnés et accoutumés, pour ce : 20 sous.

Pour avoir brûlé et ars le corps dudit Olivier : 5 sous.

Au total : 55 sous parisis.

Revenons à Conrad Celtes. Il énumère, en finissant, les supplices auxquels les femmes étaient généralement soumises et qui consistaient à les submerger, cousues dans un sac, à les jeter dans les flammes, à les enfouir vivantes dans la terre, et il termine par cette réflexion : Toutes ces peines et toutes ces tortures n'empêchent pas qu'elles n'entassent crime sur crime : leur esprit pervers est plus fécond à inventer de nouveaux forfaits que celui des juges à imaginer des supplices qui leur correspondent[12].

Nous ne voulons pas, de notre côté, d'autre conclusion à ce paragraphe. Cet aveu échappé, il y a trois siècles et demi, à un publiciste en avance sur son époque, renferme un enseignement qu'on ne saurait assez méditer et qui suffira, nous l'espérons, pour qu'on nous pardonne les détails horribles dans lesquels nous a conduit l'examen d'un des principaux caractères de la pénalité germanique.

 

§ 2. — SYMBOLISME DE LA PÉNALITÉ GERMANIQUE.

Le symbolisme pénal est de tous les pays et de tous les âges. — Symbolisme des peines appliquées chez divers peuples ; peine de la fille devenue enceinte, chez les Ditmarses ; du parricide et de l'infanticide, chez les Saxons ; du braconnier, dans la haute Allemagne ; du calomniateur, en Suède. — Autres peines symboliques appliquées au parjure, au faux témoin, au voleur de nuit, à l'homme adultère. — Peines grotesques à sens symbolique.

 

L'ancienne jurisprudence, a dit Vico, fut toute poétique ; le droit romain dans son premier âge fut un poème sérieux.

M. Michelet a cherché les origines du droit français dans les symboles et les formules du droit universel. Nous renvoyons à son livre et aux Antiquités du droit allemand de Grimm ceux qui seraient curieux d'étudier la place considérable que le symbolisme occupe dans le droit primitif de tous les peuples. C'est un imposant spectacle, dit très-bien M. Michelet, de voir les principaux symboles juridiques se reproduire chez tous les peuples, à travers tous les âges. Il est peu de nations chez lesquelles on ne retrouve la coemptio, la confarreatio, la tradition par le fétu, le jet et la chevauchée (comme occupation ou mesure des terres), l'union par le sang versé[13], etc.

Le symbolisme est donc de tous lés pays et de tous les âges ; mais nulle part il ne s'est mieux développé qu'en Allemagne, nulle part il n'a rencontré une terre mieux préparée pour le recevoir ; nulle part, comme le dit encore M. Michelet, le droit ne s'est plus richement épanoui en formes juridiques, capricieuse végétation et luxuriante à désespérer l'analyse. Vous compteriez tout aussi bien les feuilles bruissantes dans les chênes de la forêt Noire.

C'est surtout, comme nous le montrerons tout à l'heure, dans la procédure des tribunaux secrets que le génie poétique de l'Allemagne, ami des images et des figures sensibles, s'est donné une libre carrière ; mais la même propension au symbolisme se retrouve dans toutes les législations primitives. Toutes s'efforcent d'imprimer à la peine un caractère analogue au délit et de la rendre par là parlante et intelligible pour tous. Quelques exemples suffiront pour le prouver.

Grimm raconte que chez les Ditmarses, quand une fille devenait enceinte, on pouvait, avec le conseil et l'aide des amis de la famille, l'ensevelir vivante sous la glace[14]. Dans cette froide couche devaient s'éteindre les feux de la concupiscence ; c'était un symbole par voie de contraste ou d'interversion.

Chez les Saxons, le parricide était puni à la manière romaine ; il était enfermé dans un sac de cuir qu'on plongeait dans une mare profonde. Cela signifie, dit le Miroir de Saxe, que son corps ne doit pas souiller le regard des hommes, ni du soleil, ni de la lune, ni du jour, ni de la nuit. On songe involontairement, en lisant ces lignes, à celles où Cicéron fait la peinture des souffrances infligées à Rome au parricide, lignes que nous avons déjà citées[15].

Les mêmes peuples appliquaient la peine du pal aux infanticides. La loi semblait dire à la mère dénaturée : C'est par les entrailles que tu périras, toi qui as fait périr le fruit de tes entrailles[16].

Dans la haute Allemagne, le braconnier pris en flagrant délit était attaché à un cerf qu'on lançait ensuite à travers les ronces et les fondrières des bois[17].

En Suède, le calomniateur payait ramende des lèvres, se donnait un coup sur la bouche et sortait à reculons du tribunal[18].

C'est une peine symbolique, celle qui consistait à couper la langue aux blasphémateurs.

C'est une peine symbolique, celle dont parle Conrad Celtes et qu'on infligeet.au parjure : On coupe les doigts au parjure, ces mêmes doigts qui avaient touché les choses saintes en prenant à témoin la Divinité de la vérité de ses dépositions[19].

C'est une peine symbolique, celle que l'inquisition espagnole appliquait au faux témoin : On lui attachera sur la poitrine deux langues de drap rouge, longues d'une palme et demie et larges de trois doigts ; on lui en attachera deux autres par derrière entre les épaules, avec ordre de les porter toujours[20].

C'est une peine symbolique, celle qui fut édictée en 1189 par le roi Richard d'Angleterre contre les voleurs de nuit. Le malfaiteur sera tondu, sa tête enduite de poix bouillante, et sur sa tête ensuite on secouera les plumes d'un oreiller.

Enfin c'est une peine symbolique, celle qui consistait à ravir à l'homme coupable d'adultère les marques de la virilité. Ce supplice fut infligé par ordre de Philippe le Bel à deux gentilshommes normands dont un drame célèbre a popularisé le nom. Philippe et Gautier d'Aulnay[21], convaincus d'avoir eu des rapports criminels avec les deux belles-filles du roi, Blanche et Marguerite, subirent cette affreuse mutilation.

Citons encore, afin de montrer que le symbolisme est de tous les pays, la peine dont saint Louis veut qu'on frappe celui qui se dit chevalier quoique son père ne soit pas gentilhomme et que sa mère seule soit de noble extraction. On lui tranchera ses éperons sur un fumier, car usage n'est mie que femme franchisse home[22].

Nous sortirions des limites que nous nous sommes tracées si nous voulions aborder l'exposé des peines grotesques si communes au moyen âge. Presque toutes ont un sens symbolique.

Ici le voleur de nuit est pendu avec une clochette au cou, un bonnet de femme enduit de poix sur la tête et le front couronné de cornes de bouc et de queues de renard.

Ailleurs, dans la Hesse supérieure, la femme qui abattu son mari est promenée sur un âne dont l'époux débonnaire tient la bride.

Ailleurs encore, le libertin pris en flagrant délit est couvert d'un enduit gluant, roulé. ensuite dans la plume et promené dans cet état par les rues.

L'esprit français, essentiellement raisonneur et logique, n'eut jamais qu'un goût médiocre pour le symbolisme. La mystique et rêveuse Allemagne était sa patrie naturelle : il fleurit à l'aise aussi bien dans sa procédure que dans sa pénalité. On en jugera par le peu que nous allons dire des tribunaux vehmiques.

 

§ 3. — LA SAINTE VEHME.

Origine des tribunaux vehmiques ; francs-juges ; origine de cette dénomination. — Rites et formules d'initiation. — Supplice de ceux qui révèlent les secrets de la Vehme. — Influence des tribunaux secrets ; efforts des empereurs pour s'en rendre maîtres.— Organisation définitive de cette association. — Son principal siège.— Mode de tenue de ses assises ; erreurs à ce sujet. — Crimes relevant des tribunaux vehmiques ; citations ; jugement d'un franc-juge ; d'un non-initié ; conjurateurs ; formule d'anathème vehmique ; formes symboliques de la condamnation. — Supplice unique adopté par la Vehme ; exception pour le cas de flagrant délit. — Décadence des tribunaux secrets ; leur anéantissement définitif en 1811.

 

Les savants allemands ont longuement disputé sur l'origine des tribunaux secrets dits cour vehmgerichte ou sainte Vehme et naturellement, en leur qualité de savants allemands, ils ont plutôt embrouillé qu'élucidé la question. D'antiques formules vehmiques représentent Charlemagne et son contemporain, le pape Léon III, comme les fondateurs de cette justice anormale. Mais elle est très-probablement antérieure à ces deux princes : son origine parait se confondre avec celle des plus anciennes juridictions germaniques. Envisagée de près, elle est loin de présenter le caractère exceptionnel et original dont l'imagination populaire s'est plu à la doter. On retrouve dans la Vehme l'institution des scabins et celle des conjurateurs ou compurgateurs, bases essentielles du droit barbare. Les formes de sa procédure diffèrent peu de celles qu'indique le Miroir des Saxons et rappellent, dans leurs points principaux, les formes judiciaires communes à tous les peuples germaniques.

On parait s'accorder sur ce point que, dans le duché de Westphalie qui, à partir du douzième siècle, releva de l'archevêque de Cologne, la justice fut, dès les temps les plus anciens, rendue par le tribunal du comte. Les membres de ce tribunal étaient appelés francs-juges parce qu'ils appartenaient à la classe des propriétaires primitifs du sol qui n'avaient jamais reçu de terres en fief. Le freygrave, le franc-comte, leur président, était nommé par le prince ou le seigneur. Les francs-juges, les freyschoffe, étaient aussi appelés savants (wissende) parce que, seuls, ils avaient connaissance de la procédure et des formules vehmiques.

L'initiation se faisait selon des rites compliqués. L'initié s'agenouillait devant le tribunal et posait deux doigts sur une épée dont la poignée figurait une croix et sur un lacet de cordes placé sur une table ; puis il répétait à haute voix une formule que lui dictait le franc-comte et par laquelle il jurait de rester fidèle au tribunal vehmique, de le défendre contre l'eau, le soleil, la lune, les étoiles, le feuillage des arbres, tous les êtres vivants et tout ce que. Dieu a créé entre le ciel et la terre, contre père, mère, frères, sœurs, enfants, tous les hommes enfin, le chef de l'empire seul excepté, et de dénoncer au tribunal secret les délits de sa compétence qu'il viendrait à connaître, afin que les coupables y fussent jugés comme de droit.

Le franc-comte faisait ensuite couvrir le nouveau franc-juge ; puis il lui donnait le sens des quatre lettres mystérieuses de la Vehme : S. S. G. G. (sloch, stein, gras, grein, bâton, pierre, herbe, pleurs), lettres qui servaient de moyen de reconnaissance aux initiés. Il lui révélait ensuite le mot d'ordre donné par Charlemagne au tribunal secret, le salut et la réponse en prose rythmée que les francs-juges étaient tenus de s'adresser en s'abordant. Il terminait en lui demandant le supplice que devait entraîner la résistance aux ordres du tribunal ou la révélation de ses secrets. A quoi le nouveau scabin répondait par un article du Code de Dortmund : Celui qui divulgue quelque chose du tribunal secret ou qui résiste à ses ordres doit être arrêté ; on doit lui bander les yeux, lier ses mains derrière son dos, lui mettre une corde au cou, le jeter sur le ventre, lui ouvrir le cou par derrière, lui arracher la langue par la nuque et le pendre sept fois plus haut qu'un voleur convaincu[23].

C'était là un supplice épouvantable. Mais le célèbre Æneas Sylvius, qui fut élu pape en 1458 sous le nom de Pie II, assure que, de son temps, il n'avait encore jamais été appliqué : tant était puissante la terreur mystérieuse que la Vehme inspirait. On s'en fera une juste idée quand nous aurons dit que cette formidable association comptait, à l'époque de sa plus haute prospérité, plus de cent mille initiés et qu'il ne paraît pas qu'aucun d'eux ait jamais trahi ouvertement le secret des délibérations. Elle n'eût certes pas acquis un tel développement si elle n'eût répondu à un besoin public. Sa forte organisation, l'impénétrable secret qui entourait ses arrêts, l'inviolabilité garantie à ceux qui les exécutaient, étaient seuls capables d'assurer l'administration de la justice au milieu des ruines de tous les pouvoirs, renversés dans les luttes des empereurs et de la noblesse.

Impuissants à la détruire, les empereurs voulurent au moins dominer l'association vehmique et disposer à leur profit de son influence. Plusieurs se firent initier lors de leur couronnement et exercèrent alors l'office de grand maitre. C'est comme grand maitre que l'empereur Robert imposa aux francs-juges, en 1404, une réforme dont les statuts nous sont parvenus. A partir de cette époque, la Vehme eut une organisation et une hiérarchie régulières. Au-dessous du grand maitre étaient les francs-comtes. Le franc-comte devait perdre la langue s'il prononçait un arrêt sans avoir reçu l'investiture de l'empereur ou de l'archevêque de Cologne, son vicaire habituel. Au troisième degré étaient les francs-juges, qui n'étaient guère autre chose que les anciens scabins germains et parmi lesquels on distinguait les loyaux francs-juges ou chevaliers francs-juges et les véritables francs-juges ou saints juges du tribunal sacré. Ces derniers prenaient seuls une part active à l'exécution des jugements.

Le siège principal de la Vehme était à Dortmund, en Westphalie ; c'était là que les savants tenaient le plus souvent leurs chapitres généraux auxquels l'empereur se faisait ordinairement représenter par un délégué, ce qui explique pourquoi le tribunal de Dortmund était quelquefois désigné sous le nom de : Miroir de la chambre du roi des Romains. Beaucoup d'autres tribunaux secrets furent institués à diverses époques dans un certain nombre de villes allemandes ; mais leur juridiction ne parait pas s'être étendue au delà des limites du pays où ils s'établissaient, tandis que les tribunaux secrets de Westphalie, de la terre rouge, selon l'expression consacrée[24], étendaient la leur sur toute l'Allemagne.

Contrairement à ce qu'ont avancé bon nombre d'écrivains, amis du merveilleux, il parait établi que les séances du tribunal secret ne se tenaient ni la nuit, ni dans les lieux souterrains. La vaste caverne taillée dans le roc, que l'on rencontre près de Bade, sous l'ancien château des Margraves, cette caverne, malgré ses bancs de pierre, ses prétendues oubliettes et sa chambre de sang destinée aux tortures et aux exécutions, n'a jamais été le siège d'un tribunal de francs-juges. La Vehme qui faisait trembler les princes les plus puissants, qui mettait à son ban des villes telles qu'Augsbourg, Lubeck et Breslau, qui résistait aux injonctions des empereurs, qui, en 1454, sommait Frédéric III de ne point soustraire le duc Guillaume de Saxe à sa juridiction, sous peine d'être cité lui-même à sa barre, un tel tribunal se savait trop fort pour songer à cacher ses arrêts dans la nuit. Le lieu où tenait ses assises, il l'appelait fièrement le siège du roi et, ce siège, il le plaçait sur les collines ou au milieu des champs : à Sudkirken dans le cimetière, à Bodellschwing sous un poirier, à Elleringhausen sous des aubépines, à Arensberg dans un jardin public ; il ne jugeait qu'en plein air et au grand jour, fidèle en ces deux points aux anciennes traditions barbares, longtemps conservées chez tous les peuples sortis de la souche germanique[25]. Le siège du roi était mesuré avec une aune, symbole d'une règle égale pour tous les accusés.

Quels étaient les crimes qui relevaient du tribunal vehmique ? Peut-être, comme l'assurent quelques érudits, ce tribunal n'a-t-il connu, dans le principe, que des délits intéressant la religion ; mais il est certain qu'avec le temps il étendit singulièrement sa juridiction, s'arrogeant le droit de juger toutes les infractions aux commandements de Dieu, l'abjuration, la profanation des églises et des cimetières, l'usurpation par ruse du pouvoir souverain, le vol, le meurtre, l'incendie, les violences contre les marchands, les malades, les femmes enceintes, enfin la désobéissance aux ordres du tribunal secret. Il faut, selon quelques auteurs allemands, joindre à cette nomenclature, déjà passablement étendue, les crimes dont l'Église avait habituellement connaissance, tels que la magie, la sorcellerie, l'hérésie, le péché contre nature. Les juifs, les ecclésiastiques, les femmes et les enfants en bas Age n'étaient pas justiciables de la Vehme.

Les francs-juges, dit Æneas Sylvius, ont des coutumes sévères, des usages mystérieux d'après lesquels ils exécutent les criminels. La plupart d'entre eux sont inconnus. Ils vont de province en province, tiennent note des coupables, portent plainte contre eux au tribunal secret et fournissent la preuve de leurs crimes. Aussitôt les con, damnés sont inscrits sur un registre appelé le livre de sang, et l'on charge les francs-juges de la dernière classe de l'exécution des sentences. Le condamné est mis à mort partout où on le trouve.

Ces lignes, écrites à une époque où la sainte Vehme était encore puissante, contiennent un résumé exact de sa procédure et des moyens qu'elle employait pour assurer l'exécution de ses arrêts.

Tout franc juge pouvait en effet dénoncer lui-même et directement le coupable dont le délit lui était connu. La citation devait être inscrite sur une feuille de parchemin vierge à laquelle pendait le sceau de six francs-juges et celui du comte, et accompagnée d'une pièce de monnaie à l'effigie de l'empereur, sans doute afin que l'accusé indigent pût se rendre aux ordres du tribunal. S'il s'agissait d'un homme sans domicile connu, d'un brigand, d'un vagabond, on choisissait, dans un bois qu'il passait pour fréquenter, un carrefour auquel aboutissait quatre routes. Des copies de la citation étaient jetées aux quatre coins de ce carrefour avec autant de pièces de monnaie. Que si, au contraire, l'accusé était un personnage puissant, habitant un lieu fortifié où le franc-juge ne pouvait pénétrer sans danger, ce dernier devait arracher trois copeaux au poteau du pont-levis ou de la porte et introduire sa citation dans une entaille ; après quoi il criait au veilleur de nuit : Ayez à recueillir la lettre au sceau royal qui est affichée près du verrou, et dites à l'assigné qu'il ait à faire la comparution légale devant le franc-siège de la juridiction supérieure. Quelquefois ces citations étaient attachées à la porte de la ville où l'accusé habitait, dans l'église, sur une tombe du cimetière ou sur le tronc aux aumônes, ordinairement placé au pied d'une croix, en dehors de la cité.

Au jour fixé, le freygrave, assis dans un fauteuil, siégeant à l'orient de l'assemblée, suivant un antique usage, mais la face tournée vers l'occident, ayant devant lui l'épée à poignée en forme de croix et la corde entrelacée d'osier, symboles de la miséricorde et de la justice, entouré de six assesseurs à jeun comme lui, sans armes et la tête nue, donnait l'ordre à l'huissier d'amener l'accusé et ceux qui devaient jurer avec lui. Si le prévenu était un initié, il se présentait sans armes et n'avait nul besoin de cojurateurs. Il lui suffisait pour être absous d'étendre la main sur la

 corde et sur l'épée et de jurer en touchant la croix de la poignée. Après quoi il jetait un denier aux pieds du président. Tout était dit : il était réputé innocent. Qui l'eût attaqué eût violé la paix du roi. S'il dédaignait ce faible moyen de justification et qu'après débat contradictoire, il fût jugé coupable, l'un des juges allait briser une baguette sur sa tête, et l'on procédait de suite à son exécution.

Mais si l'accusé n'était pas initié, les choses se passaient bien différemment. L'accusateur posait un doigt sur sa tête et jurait que cet homme avait commis tel crime ; puis le même franc-juge accusateur produisait des cojurateurs qui mettaient successivement un doigt sur son bras et répondaient par serment non de la vérité de son allégation, mais de la foi qu'on devait en général à sa loyauté et à sa parole. Pour détruire l'autorité de ces cojurateurs, le malheureux accusé devait en produire un plus grand  nombre : l'accusateur en fournissait-il six, il fallait que l'accusé en opposât treize. Quand l'accusateur était arrivé à produire vingt cojurateurs, le débat était clos ; la sentence était immédiatement prononcée. De témoins dans le sens véritable du mot, il n'en était question que dans un seul cas, celui où le prévenu pouvait faire ce qu'on appelle la preuve négative, par exemple établir un alibi, et alors l'accusateur avait le droit de lui opposer des témoins à charge.

Une procédure si sommaire et qui laissait si peu d'ouverture à la défense inspirait nécessairement une grande terreur. Aussi peu d'accusés déféraient-ils aux citations. L'assignation était alors renouvelée trois fois ; à la troisième, le prévenu était considéré comme ayant avoué et le franc-comte prononçait sur lui l'anathème vehmique : De toute la force et puissance royale, je le prive de tout droit à la justice et à la liberté qu'il a obtenue après le baptême ; je le mets au ban du roi et le voue aux plus cruelles angoisses. Je lui interdis les quatre éléments que Dieu a créés pour les hommes. Je le déclare hors la loi, sans paix, sans honneur et sans sûreté, de sorte qu'il puisse être traité comme un condamné et un maudit, indigne de toute justice ou liberté, soit dans les châteaux, soit dans les villes, sauf les lieux sacrés. Maudits soient sa chair et son sang ! Qu'il n'ait jamais de repos sur la terre ; qu'il soit tourmenté par les vents ; que les corneilles, les corbeaux, les oiseaux de proie le poursuivent et le mettent en pièces ! Je voue son cou à la corde, son corps aux vautours ; mais que Dieu ait pitié de son âme !

Le franc-comte proférait cette malédiction à trois reprises, en lançant à chaque fois un jet de salive hors de la bouche, action qu'imitaient tons les francs-juges présents et qui symbolisait l'expulsion du condamné hors de la communauté humaine ; après quoi le président lançait par-dessus le tribunal le nœud de corde placé devant lui, en adjurant tous les rois, princes, chevaliers, écuyers, comtes et scabins du saint-empire de prêter main-forte au tribunal secret pour la punition du maudit.

De ce moment le condamné était dévoué à la mort. Des milliers de personnes disséminées par toute l'Europe et dont rien ne pouvait déceler la mission, étaient conjurées pour sa perte : aucun abri, ni la profondeur des bois, ni l'épaisseur des murailles, ne pouvait le soustraire à son sort. C'était un devoir pour tout franc-juge de le saisir en quelque lieu qu'il le rencontrât et de le pendre à l'arbre le plus voisin. Un couteau dont le manche figurait une croix était ensuite enfoncé dans le tronc de l'arbre afin que chacun connût qu'il ne s'agissait pas d'un assassinat.

Telle était la justice de la Vehme. Son code ne contenait qu'une seule peine, la mort, et c'est pourquoi elle s'intitulait : le suprême tribunal de sang du saint-empire, des heiligen reichs obergericht uben blut. Il ne parait pas qu'elle usât d'un autre genre de mort que la pendaison, que le coupable fût noble ou vilain. Toutefois, quand un franc-juge surprenait un malfaiteur en flagrant délit, il avait le droit de le tuer avec le poignard de forme particulière qu'il portait à la ceinture et qu'il devait laisser dans la plaie.

Toute rapide, toute sommaire que fût cette justice, elle permettait pourtant aux condamnés d'appeler de ses arrêts. L'appel était porté soit devant le chapitre général qui se tenait d'ordinaire à Dortmund, soit devant le souverain lui-même, s'il était illuminé. Mais le jugement suprême de ce dernier ne pouvait être prononcé que par l'intermédiaire de commissaires pris parmi les francs-juges et l'enquête ne devait avoir lieu que sur la terre rouge.

L'appel des initiés contumaces se faisait suivant des formes particulières et symboliques. L'appelant se présentait en séance secrète, accompagné de deux francs-juges, les reins ceints d'une corde et tenant entre ses mains, couvertes de gants blancs, une croix verte et un florin de l'Empire. Il s'agenouillait devant le tribunal et implorait sa grâce.

Cette redoutable institution, née du désordre et de l'anarchie, devait s'affaiblir à mesure qu'un ordre régulier s'introduirait dans l'administration de la justice. La violence l'avait produite, elle devait périr par la violence. Elle avait proscrit et mis à son ban des villes entières qui avaient essayé de résister à ses arrêts. Ces villes firent alliance et jurèrent de défendre contre la justice occulte et illégale de la Vehme la justice régulière que leur assuraient les chartes qu'elles s'étaient données. Les empereurs secondèrent ce mouvement. Les francs-juges s'étaient vus contraints d'accepter la réforme que leur imposa l'empereur Robert ; Frédéric III et Maximilien restreignirent encore leur juridiction. Lorsque la chambre impériale, dont nous parlerons tout à l'heure, eût conquis une grande autorité dans l'empire, les tribunaux vehmiques ne purent s'opposer à ce que les appels de leurs sentences fussent portés devant elle. La ville de Weissenbourg, qui s'était arrogé le droit de mort sur des brigands, ayant été citée devant le siège de Wattdorf, elle en appela à la chambre impériale. D'autres eurent recours au pape. Un certain Cord de Langel, condamné par le tribunal secret, porta son appel devant le concile de Bâle. De toutes parts surgit la résistance contre l'arbitraire et l'illégalité.

La Vehme résista longtemps, soutenue par la force de son organisation, par la puissance de l'habitude et par la terreur mystérieuse qu'elle inspirait. La Caroline, dont nous parlerons tout à l'heure, lui porta un coup moral décisif en traçant des règles fixes de procédure qui devinrent la loi générale de l'empire. Elle se vit enfin réduite à n'être plus qu'une de ces associations secrètes qui se cachent dans les ténèbres et que la main de la justice finit tôt ou tard par étouffer. En 1811, quand la législation française s'établit dans la Westphalie, elle y trouva encore un franc-siège, le freygericht de Gehmen, dans le pays de Munster. C'était le dernier vestige d'une institution qui avait compté des initiés par centaines de mille et que tant d'empereurs et de rois avaient vainement travaillé à détruire[26].

 

§ 4. — MODIFICATIONS DE LA PÉNALITÉ GERMANIQUE À L'ÉPOQUE DE LA RENAISSANCE ET DE LA RÉFORME.

Unité introduite dans la pénalité germanique. — Création d'une chambre impériale. — Publication de la Caroline ; l'instruction secrète et la torture introduites en Allemagne. — Ordonnances complétant ce nouveau régime. pénal. Véritable caractère de l'ordonnance de 1540, relative aux hérétiques ; femmes enterrées vives ; raison de ce supplice. — Transition à la pénalité de l'inquisition. — Renvoi pour la suite de la pénalité germanique au chapitre traitant de la conférence des pénalités modernes issues du droit romain.

 

Nous avons signalé les caractères les plus saillants de la pénalité germanique au moyen âge. L'un de ces caractères, la rigueur excessive des peines, résista à tous les changements survenus dans l'organisation politique et judiciaire, et c'est lui qui domine encore la législation pénale de l'Autriche. Il n'entre pas dans notre plan de relever ici tous ces changements. Contentons-nous d'indiquer les deux faits principaux qui les introduisirent : la création d'une chambre impériale et la publication de la 'grande ordonnance de Charles-Quint, la Caroline.

En 1495, l'empereur Maximilien, sur la demande formelle de la diète de Worms, publia une paix publique et perpétuelle, qui défendait tout défi, sous peine, par le coupable, d'être mis au ban de l'Empire ; la même peine était prononcée contre quiconque recueillerait ou protégerait un perturbateur du repos public, chacun étant tenu de recourir aux tribunaux ordinaires. Comme conséquence de cette défense, la diète institua une chambre impériale, jugeant en dernier ressort, et à laquelle ressortissaient tous les tribunaux de l'Empire. Ainsi fut commencée l'œuvre de l'unification de la législation pénale allemande.

Charles-Quint reprit et continua la pensée de son grand père. Jusque-là les empereurs s'étaient efforcés de faire prédominer le droit romain ; mais les seigneurs et les villes même restaient fermement attachés aux anciennes coutumes. En 1532, lorsque Charles-Quint se vit contraint, par la ferme attitude des princes protestants, de sacrifier momentanément l'unité religieuse, il essaya d'établir au moins l'unité de législation. Il profita de leur présence à la diète de Ratisbonne pour leur imposer, en même temps qu'une paix universelle, un code général de pénalité. La Caroline (die peinliche Gericht-Ordnung), nommée en latin Constitutio criminalis Carolina, essaya de faire la part du droit écrit et celle du trône, en attribuant à l'un les cas imprévus, et à l'autre la décision des causes. Cette ordonnance importante, si peu connue hors de l'Allemagne qu'elle a échappé à Robertson lui-même, devint la base de l'instruction criminelle et de la pénalité allemande. Tout en respectant la procédure par voie d'accusation privée, qui était trop passée dans les mœurs pour être facilement détruite, elle lui porta un coup mortel en autorisant, parallèlement avec elle, l'instruction par voie d'enquête, le secret et la torture, malheureux emprunts faits à l'inquisition d'Espagne, et dont l'emploi, joint à l'effroi qu'inspirait cette institution, devait amener pour Philippe II la perte des Pays-Bas. Seulement, par respect pour les anciennes traditions germaniques, le juge dut être assisté de deux personnes, qui ne furent pas même astreintes à posséder les connaissances nécessaires. Ce fut tout ce qui demeura de l'ancien scabinat.

Un grand nombre d'ordonnances complétèrent le système pénal de la Caroline. Nous n'en citerons que deux : celle qui fut donnée à Namur le 18 juillet 1542, et qui avait pour but de rendre un peu de sécurité aux grandes routes infestées par le brigandage[27], et celle du 4 octobre 1540, relative aux hérétiques.

Nous ne voulons pas empiéter ici sur ce que nous dirons dans le chapitre suivant, touchant les supplices particuliers à l'inquisition. Aussi passerions-nous sous silence cette ordonnance, si elle n'avait été qu'une arme de plus mise entre les mains de ce tribunal redoutable. Mais l'inquisition ne fut pour rien, du moins ostensiblement, dans les persécutions plus politiques encore que religieuses que cet édit organisa. Elle ne parvint point, sous le règne de Charles-Quint, à s'établir en Allemagne ni dans les Pays-Bas[28]. La résistance des évêques qui réclamaient l'antique privilège de juger les hérétiques, celle, bien plus forte encore, de l'électeur de Saxe et des princes protestants, contraignirent l'empereur à respecter les anciennes coutumes et à prendre des biais pour arriver à son but. L'ordonnance de 1540 conféra aux juges séculiers la connaissance des crimes d'hérésie et de sorcellerie, mais elle arma en même temps ces juges de pouvoirs redoutables, plus redoutables rhème que. ceux dont jouissait l'inquisition. Ils devinrent de véritables inquisiteurs laïques, mais des inquisiteurs relevant de l'empereur, et agissant en vertu de lois publiques et connues. Il parait même que les évêques concoururent rarement aux jugements qu'ils rendirent. C'est ce qu'atteste Damhoudère, auteur d'un curieux traité de justice criminelle, écrit vers 1545. Notre présente coustume et usance est telle, que tous juges séculiers, communément, n'ont pas seulement l'exécution, mais aussi prennent la cognoissance des causes et prononciation de la sentence en crime d'hérésie. Et communément, en la punition par le feu, accordent les droits et lois divines, ecclésiastiques, séculières et coutumières[29]. C'est donc à tort que M. Michelet, à la suite du passage qu'on va lire, semble attribuer à l'inquisition une action directe dans les supplices dont l'édit de 1540 fut le principe[30]. Le bilan de l'inquisition est assez lourd pour qu'il ne soit pas nécessaire de mettre encore ces horreurs à son compte.

Quand Charles-Quint, quittant l'Espagne en 1540, laissa ne pouvoir au grand inquisiteur, quand il traversa la France pour comprimer la révolte des Flandres, le clergé des Pays-Bas lui dit que les lois d'Espagne ne suffisaient pas ; qu'il en fallait de singulières, extraordinaires et terribles.

Défense de s'assembler, de parler, de chanter et de lire. Ceux qui ne dénonceront pas sont punis des mêmes peines que ceux qu'ils n'ont pas dénoncés. Quelles peines ? Les hommes brûlés, les femmes enterrées vives.

La chose se fit à la lettre. Les villes furent fermées, et l'on fit des visites domiciliaires qui procurèrent sur le champ une razzia de victimes, vingt-huit dans Louvain seulement. Deux femmes furent enterrées vives....

Pourquoi ce supplice étrange ? Une femme brûlée donnait un spectacle non-seulement épouvantable, mais horriblement indécent, que n'aurait pas supporté la pudeur du Nord. On le voit par le supplice de Jeanne d'Arc. La première flamme qui montait dévorait les vêtements, et révélait la pauvre nudité tremblante.

Donc on enterrait par décence. La chose se passait ainsi. La bière, mise dans la fosse sans couvercle, était par-dessus fermée de trois barres de fer quand la patiente était dedans. Une barre serrait la tête, une le ventre, une les pieds. La terre était alors jetée sur la personne vivante. Quelquefois, par charité, le bourreau, pour abréger, étranglait d'avance (supplice de la femme du tailleur de Tournai, 1545). Mais on voit par un autre exemple, celui de la femme du barbier de Mohs, que l'exécution se faisait parfois d'une manière plus sauvage, plus lente, et par étouffement. La pauvre femme, répugnant à recevoir la terre sur la face, demanda un mouchoir au bourreau, qui le lui donna avant de jeter la terre. Puis il lui passa sur le ventre, la foula aux pieds, tant que finalement elle rendit heureusement son esprit au Seigneur (1549).

Le supplice du feu était extrêmement variable, arbitraire à l'infini. Parfois rapide, illusoire, quand on étranglait d'avance ; parfois horriblement long, quand le patient était mis vivant sur des charbons mal allumés, tourné, retourné plusieurs fois par un croc de fer, ou encore flambé à petit feu de bois vert[31].

Nous ne faisons pas de l'horrible à plaisir. Notre but n'est pas de donner des attaques de nerfs aux femmes et aux lecteurs impressionnables, mais de mettre en lumière, par une suite d'études sur la pénalité, la loi morale qui préside à son perfectionnement, le rapport constant qui existe entre les supplices particuliers à chaque époque et à chaque peuple, et l'état social de ce peuple et de cette époque. Nous ne reproduirons donc pas la description que donne M. Michelet, à la suite du passage qu'on vient de lire, de l'épouvantable supplice subi en 1555 par Hooper. D'ailleurs, cet évêque protestant n'appartenait pas à la réforme d'Allemagne, et c'est en Angleterre qu'il fut brûlé.

Mais nous nous trouvons conduit par l'analyse de l'ordonnance de 1540, et par la citation qui précède, à traiter de l'inquisition et des supplices qu'elle infligeait. Ce sera l'objet du chapitre qui va suivre. La matière qui fait l'objet du présent paragraphe trouvera son complément naturel dans le chapitre où nous essayerons de mettre en regard et de rapprocher les pénalités de la France et de l'Allemagne, et en général des peuples dont le droit pénal procède du droit romain et du droit canonique.

 

 

 



[1] Speculum Saxonicum, liv. II, art. 16.

[2] Speculum Saxonicum, liv. II, art. 16.

[3] Voy. Hist. du droit criminel, par M. Albert du Boys, t. II, p. 605.

[4] Leibniz, Scriptor. rer. brunswick., t. III, p. 500, et M. Albert du Boys, Hist. du droit criminel, t. II, p. 606.

[5] Jornandès, De rebus geticis, 4, 5, 23, 24.

[6] M. Ozanam, les Germains avant le christianisme, note de la p. 386.

[7] Grindionem apprehensum intextum rotæ, in sublime sustulerunt. (Grégoire de Tours, liv. V, ch. XXIX.)

[8] Duchesne, Preuves de l'histoire de la maison de Limbourg, à la p. 67 de la Vie d'Engebert.

[9] Voy. plus bas la citation d'un texte de Conrad Celtes.

[10] Cela ne fut vrai probablement qu'à partir du quinzième siècle ; on verra plus loin que chez les Saxons, au treizième siècle, les parricides étaient noyés, enfermés dans des sacs.

[11] Soirées de Saint-Pétersbourg.

[12] Conrad Celtes, De origine, situ, moribus et institut. Germaniæ, De pœnis, cap. XIV. Nous avons emprunté, en la rectifiant légèrement, la traduction que M. A. du Boys a donnée de ce morceau.

[13] Origines du droit français, Introduction, p. cm

[14] Grimm, 694 ; Michelet, Origines du droit, p. 387.

[15] Voy. notre ch. IV.

[16] Voy. M. A. du Boys, Hist. du droit criminel, t. II, p. 617.

[17] Voy. M. A. du Boys, Hist. du droit criminel, t. II, p. 620.

[18] Michelet, Origines, p. 382.

[19] De origine, situ, moribus et institutionibus Germaniæ, cap. XIV.

[20] Glossaire de du Cange, au mot LINGUA.

[21] Voy. Carpentier, au mot ADULTERIUM. Les deux frères avaient préalablement été écorchés ; ils furent ensuite attachés à la queue de chevaux fougueux, puis pendus. Leur crime était un attentat à la majesté royale, et la punition fut tout arbitraire.

[22] Établissements, I, 130.

[23] Grimm, Antiquités du droit allemand, 684.

[24] Parce que le fond des armes de la Westphalie était de cette couleur.

[25] Voy. sur ce point M. Michelet, Origines du droit, etc., p. 301.

[26] On peut consulter sur les tribunaux vehmiques les ouvrages suivants :

Baron de Bock, Histoire du tribunal secret, Metz, 1801.

Loëve-Weimar, Précis de l'histoire des tribunaux secrets dans le nord de l'Allemagne, etc., Paris, 1824, in-18°.

A. du Boys, Histoire du droit criminel, t. II.

G. Wigand, Das fehmgericht Westphalens, Hamin, 1825.

J. Berck, Gesch. der Westphalischen fehmgerichte, Brême, 1814.

[27] Elle ordonne aux juges de poursuivre par tous les moyens les vagabonds et mauvais garçons, et de les condamner à la hart sans forme de procès.

[28] Charles-Quint avait toutefois donné un édit qui établissait l'inquisition dans les Pays-Bas. Sur les représentations de sa sœur Marie, gouvernante de ces provinces, il exempta d'abord les étrangers de la juridiction inquisitoriale et adoucit les procédures et les peines à l'égard des naturels du pays. liais ces concessions ne suffirent point pour assurer l'exécution de l'édit ; les évêques, les magistrats, les princes protestants résistèrent, et l'empereur dut renoncer à courber les Pays-Bas sous le joug de l'inquisition. Philippe II reprit le projet de son père, et de là naquit l'insurrection qui eut pour conséquence rétablissement de la république de Hollande.

[29] Damhoudère, Practique judiciaire ès causes criminelles, Anvers, 1564, fol. 50. Voy. sur ce livre curieux une note contenue au Bulletin du bibliophile de Techener, mai 1861. On y établit que la première édition est antérieure à 1555.

[30] Aux Pays-Bas, l'inquisition reprochait au clergé d'exploiter cette terreur et de rançonner les accusés. (Michelet, Guerres de religion, p. 90.)

[31] Guerres de religion, p. 87 et suiv.