ÉTUDES SUR LES BARBARES ET LE MOYEN ÂGE

 

V. — SAINT LOUIS ET JOINVILLE

 

 

SOMMAIRE[1]. — Le siècle qui suivit le siècle de saint Louis fut funeste à la France ; mais alors elle était riche, peuplée, florissante, industrieuse. Ceux qui veulent voir ce que pouvaient les institutions du moyen âge pour la prospérité relative d'un pays en auront une vue succincte dans cette courte étude ; tout en se souvenant que le petit fils même de saint Louis allait porter à la papauté le coup violent qui fit la première scission avec les doctrines du moyen âge et prépara l'ère laïque ou moderne.

 

On trouverait à peine en France, dit M. de Wailly, une personne capable de comprendre la langue de Joinville contre cent qui sont en état de lire le latin ou quelque langue moderne. Cela est malheureusement vrai ; l'étude de notre vieille langue, bien que très-facile, est complètement négligée. C'est cette négligence qui justifie des tentatives comme celles de M. de Wailly ; à qui ne lit pas les textes originaux, il faut des traductions, si toutefois on doit appeler traductions ces versions de l'une à l'autre entre deux langues aussi voisines que le sont le vieux français et le français moderne. On en jugera par l'échantillon suivant. Voici le texte ancien, il s'agit de Louis IX débarquant et attaquant les Sarrasins qui défendent le rivage : Quant li roy oy dire que l'enseigne Saint-Denis estoit à terre, il en ala grant pas parmi son vessel, ne onques pour le legat qui estoit avec li, ne le voult lessier et sailli en la mer, dont il fu en yaue jusques aus esselles, et alal'escu au col et le heaume en teste et le glaive en la main, jusques à sa gent qui estoient sur la rive de la mer. Quant il vint à terre et il choisi les Sarrazins, il demanda quele gent c'estoient ; et en li dit que c'estoient Sarrazins ; et il mist le glaive desous s'esselle et l'escu devant li, et eust couru sus aus Sarrazins, se ses preudeshomes, qui estoient avec li, li eussent souffert. Voici maintenant la traduction : Quand le roi ouït dire que l'enseigne Saint-Denis était à terre, il traversa à grands pas son vaisseau, et, malgré le légat qui était avec lui, jamais il ne voulut la laisser, et sauta dans la mer, où il fut dans l'eau jusqu'aux aisselles. Et il alla l'écu au col, le heaume en tête et la lance en main jusques à ses gens qui étaient sur le rivage de la mer. Quand il vint à terre et qu'il aperçut les Sarrasins, il demanda quelles gens c'étaient ; et on lui dit que c'étaient des Sarrasins ; et il mit la lance sous son aisselle et l'écu devant lui, et il eût couru sus aux Sarrasins, si ses prud'hommes, qui étaient avec lui, l'eussent souffert.

Joinville atteignit un très-grand âge ; il mourut à quatre-vingt-quinze ans en 1319, ayant vu six rois, Louis VIII, Louis IX, Philippe le Hardi, Philippe le Bel, Louis le Butin, et Philippe V dit le Long ; il avait plus de quatre-vingts ans quand il commença d'écrire ses mémoires et quatre-vingt-cinq quand il les termina La ténacité de la mémoire chez les vieillards pour tout ce qui est de leur jeunesse explique comment, après un si long temps, il put fidèlement retracer ce qu'il avait vu et su de son bon et saint roi Louis. Le livre de Joinville n'est point une histoire de saint Louis, pas même de la croisade à laquelle il assista. C'est un récit attachant par les particularités, par les détails, par les mots, par les conversations. Avec ce récit on est présent à une foule de petites scènes d'intérieur où le temps et le roi se font voir et toucher.

Ce fut un bon temps et un bon roi : un bon temps, puisqu'alors la vie de la société fut pleine et entière 'suivant les conditions qui la régissaient ; un bon roi, puisque Louis IX appliqua au service de ses sujets un esprit bien fait, un cœur loyal, un grand courage. Scrupuleux observateur de la justice à l'égard de ses voisins, amoureux de la paix, aussi ferme que bienveillant avec ses barons, gardant, pour me servir de ses propres expressions, les bonnes villes et les coutumes du royaume, son règne fut une ère de prospérité, de tranquillité, de sage gouvernement. Et ce n'était pas un mince bienfait de tenir dans le repos les turbulents barons ; rien n'était plus désastreux que les petites guerres intestines qu'ils se faisaient. On brillait, on pillait, on tuait sans miséricorde ; voyez ce que dit Joinville dans le texte de M. de Wailly : Les barons vinrent brûlant et détruisant.... le trouble du comte de Champagne fut tel, que lui-même brûlait les villes avant la venue des barons pour qu'ils ne les trouvassent pas garnies. Outre les autres villes que le comte de Champagne brûlait, il brida Épernay et Vertus et Sézanne. Il s'agit d'une guerre des barons contre Thibaut, comte de Champagne, qui éclata au commencement du règne de Louis IX. Le roi imposa promptement la paix aux belligérants.

On sait que la minorité de saint Louis fut troublée par les prétentions des barons, et que la reine Blanche, sa mère, défendit son fils contre eux avec prudence et courage. Dans ces circonstances la fidélité de Paris et son amour se montrèrent avec éclat : Après que le roi fut couronné, il y eut des barons qui demandèrent à la reine qu'elle leur donnât de grandes terres ; et, parce qu'elle n'en voulut rien faire, tous les barons s'assemblèrent à Corbeil. Et le saint roi me conta que ni lui, ni sa mère, qui étaient à Montlhéry, n'osèrent revenir à Paris jusques à tant que les habitants de Paris les vinrent quérir en armes. Et il me conta que depuis Montlhéry le chemin était tout plein de gens en armes et sans armes jusques à Paris, et que tous criaient à Notre-Seigneur qu'il lui donnât bonne et longue vie, et le défendit et gardât contre ses ennemis. Dans mes citations je me sers toujours de la version de M. de Wailly.

Les écrivains philosophes du dix-huitième siècle ont beaucoup blâmé saint Louis de ses croisades. Sur la seconde je reviendrai ; la première se peut défendre. Condamner les croisades en général, c'est obéir à un rationalisme abstrait qui, en jugeant l'histoire, ne tient aucun compte des conditions. Pour que les croisades fussent injustes, il faudrait que l'islamisme n'eût pas eu les siennes et qu'après avoir chassé le christianisme de l'Égypte, de la Syrie, de l'Afrique, il ne fût pas venu en Espagne, en Italie, dans le midi de la France et jusque dans les plaines de Tours. Les deux monothéismes, une fois aux prises, n'entendirent plus se céder pacifiquement l'un à l'autre l'ascendant sur le monde ; et, quand à son tour le monothéisme chrétien se sentit assez fort, il voulut, par une même impulsion, honorer pieusement son berceau et imposer définitivement un frein aux entreprises musulmanes.

Au temps de saint Louis, les ardeurs et les motifs qui avaient animé les croisés étaient encore puissants, et il est naturel qu'il y ait obéi ; plus d'un roi de France avait pris la croix. Sans doute l'heure approchait grandement où ni le sentiment religieux ne suggérerait, ni la politique ne permettrait plus ces lointaines expéditions. Mais, dans la première moitié du treizième siècle, un roi d'une piété profonde et sincère put penser qu'il devait à la Terre sainte et au tombeau de Jésus-Christ un suprême hommage. Je ne m'associe donc aucunement au blâme jeté sur la croisade de 1248 par la philosophie du dix-huitième siècle. C'est à un autre point de vue que j'y trouve quelque chose à reprendre ; le roi se croisa à l'occasion d'une maladie : Il fut à telle extrémité, dit Joinville, que l'une des dames qui le gardaient lui voulait tirer le drap sur le visage, et disait qu'il était mort. Et une autre dame, qui était de l'autre côté du lit, ne le souffrit pas ; mais elle disait qu'il avait encore l'âme au corps. Comme il entendait le débat de ces deux dames, Notre-Seigneur opéra en lui et lui envoya tantôt la santé ; car avant il était muet et ne pouvait parler. Il requit qu'on lui donnât la croix, et ainsi fit-on. Pour une guérison qu'il crut devoir à l'intervention divine, je conçois qu'il eût voué quelque pèlerinage, en langes et pieds nus, comme on faisait alors ; c'était chose privée ; mais, pour une œuvre générale, telle que la croisade, j'aurais voulu qu'il la proclamât, comme la seconde, à la chapelle et sur l'échafaud des reliques, non dans un lit de malade. Il me semble qu'une morale délicate exigeait que, pour une grâce privée, ce fût non le public qui fût appelé à répondre, mais la personne seule qui avait reçu cette grâce.

L'expédition fut désastreuse, il n'y eut de sauvé que ce qui était resté à Damiette, tout le reste périt de misère et de maladie, fut tué ou fut pris. Saint Louis fut vaillant dans le combat, hardi à entreprendre, héroïque dans la retraite tant qu'il y eut retraite. Surtout il ne fit jamais le roi, et ses gens n'éprouvèrent pas une souffrance qu'il ne voulût partager avec eux. Mais on ne voit pas qu'il ait embrassé d'un coup d'œil de capitaine les difficultés de son expédition et les moyens de les surmonter. Le fait est que l'armée périt parce que son chef ne demeura pas maître du cours du Nil. Les Sarrasins établirent une flottille entre Damiette et le camp des chrétiens qui avaient marché du côté du Caire ; tout convoi fut intercepté. La famine se mit dans l'armée, le scorbut s'y joignit ; il devint impossible d'avancer, impossible de demeurer ; il fallut rétrograder ; cette retraite fut conduite avec une grande fermeté, et déjà la malheureuse troupe n'était plus qu'à cinq lieues de Damiette, quand une dernière attaque des Sarrasins, dont le nombre avait crû immensément, l'enfonça et la jeta dans un désordre irréparable. Mais, en tant que général, le roi ne montra aucune capacité éminente ; du moins, à part le succès du débarquement et la prise de Damiette, la défense fut partout supérieure à l'attaque ; les Sarrasins l'arrêtèrent plus d'un mois sur les bords d'un bras du Nil ; quand il l'eut passé, ils l'arrêtèrent encore devant Mansourah ; ils l'affamèrent dans son camp, et finalement ils l'écrasèrent en vue de Damiette. Toute l'habileté militaire est de leur côté.

Le désastre du comte d'Artois n'est pas imputable à saint Louis. Arrivé devant la branche du Nil dite de Tanis, on se trouva arrêté court, il s'agissait de passer le fleuve devant les Sarrasins campés sur l'autre bord. L'art des ingénieurs était peu avancé ; ce qu'on imagina fut de jeter une chaussée d'un bord àl'autre. Beaucoup de jours furent employés à ce travail ; enfin, désespérant d'y réussir, on s'enquit de quelque gué. Un bédouin en indiqua un, profond, périlleux, car on était à la nage dans une partie du trajet. Ce fut le roi qui se chargea de conduire cette dangereuse opération ; il emmena ses trois frères et la plus grande partie de la chevalerie et des autres gens à cheval. Li quens d'Artois — le comte d'Artois —, dit Jean Pierre Sarrasin, narrateur de la croisade comme Joinville, et li autre qui faisoient l'avant-garde se ferirent en l'iaue par grant hardement, et par gratis prouesses passerent et par grans perils de leur cors et de leur chevaus. En tele maniere passa li roys et tout li autre après. Certes, ce passage de la branche de Tanis n'a rien à envier au passage du Rhin tant célébré ; et même le péril était bien plus grand ; car l'armée des Sarrasins qu'on allait chercher était autrement puissante que le chétif corps hollandais qui attendait les plus renommés capitaines et les plus braves troupes de Louis XIV.

Quant li roys et li autre qui monté estoient por passer le flun (le fleuve), furent aus chans fors de l'ost, dit le même Jean Pierre Sarrasin, li roys commanda à trestous communement, aus haus et aus bas, que nus (nul) ne fust tant hardis que il se desroutast, ains se tenist chascuns en sa bataille, et que les batailles se tenissent près les unes des autres et alaissent tout ce pas et tout ordonéement, et quant li premier seroient passé le flun, qu'il atendissent sur l'autre rive d'autre part tant que li roys et li autre fussent passé. De cet ordre si précis le comte d'Artois ne tint aucun compte. A peine eut-il pris terre qu'il remonta le fleuve et alla attaquer le camp ennemi. Cette attaque eut le plus grand succès ; il se fit un grand carnage des Sarrasins : Granz pitiez estoit, dit Pierre Sarrasin, à veoir tant de corps de gens mors et si grant effusion de sanc, se ce ne fust des enemis de la foi crestienne. Là le maitre du Temple, frère Giles, conseilla de s'arrêter. Un chevalier inconnu, d'après Pierre Sarrasin, le comte d'Artois lui-même d'après la Complainte sur la mort de Guillaume Longue-Espée — ces détails ne sont pas dans Joinville —, répondit : Toujours y aura-t-il du poil du loup. Le poil du loup était un dicton pour indiquer mauvais vouloir et trahison. Le comte d'Artois ajouta que, si frère Giles avait peur, il pouvait demeurer. Freres Giles respondi en tele maniere : Sire, je ne mi frere — moi ni mes frères — n'avons pas paour ; nous ne demourrons pas, ains irons avecques vous ; mais sachiez que nous doutons que nous ne vous n'en reveignons jà. On se jeta dans Mansourah, et en effet personne n'en revint.

La Complainte dont je viens de parler est en anglo-normand, qui aurait été un dialecte de la langue d'oïl, si l'anglais, l'étouffant, ne l'et empêché de devenir la langue nationale de l'Angleterre, et qui resta un grossier patois. Le comte Guillaume de Salisbury, dit Longue-Épée, accompagna saint Louis dans la croisade, et il fut de cette avant-garde que le comte d'Artois alla perdre dans Mansourah. Joinville raconte d'une manière touchante comment le roi apprit le malheur advenu : Et alors vint à lui frère Henri de Ronnay, qui avait passé la rivière, et il lui baisa la main tout armée. Et le roi lui demanda s'il savait quelques nouvelles du comte d'Artois, son frère ; et il lui dit qu'il en savait bien des nouvelles, car il était certain que son frère le comte d'Artois était en paradis : hé sire, ayez-en bon réconfort ; car si grand honneur n'advint jamais au roi de France que celui qui vous est advenu ; car, pour combattre vos ennemis, vous avez passé une rivière à la nage, et les avez déconfits et chassés du champ de bataille, et pris leurs engins et leurs tentes là où vous coucherez encore cette nuit. Et le roi répondit que Dieu fût adoré pour les dons qu'il lui faisait, et alors les larmes lui tombaient des yeux bien grosses.

Que fût en paradis l'âme du prince qui, par son orgueil et son surcuider, avait causé la mort de tant de braves gens, telle n'était pas l'opinion de l'Anglais qui composa la complainte. Il le damne sans miséricorde :

Sa aime est en enfer, en graunt martire.

(Son âme est en enfer, en grand martyre.)

Il l'accuse même d'avoir manqué de cœur et de courage quand il se vit perdu :

Li count de Artoise sor son grand destrer ;

L'eschel de sa launce perça le primer ;

N'avoit cor ne courage plus demorer,

Tant fu fort assailli de fer et d'acer ;

Le primer qu'il encontra, à terre fist tumber ;

Puis s'en turna ver le flume, si s'en voit najer.

(Le comte d'Artois, sur son grand destrier, perça le premier, de sa lance, l'escadron ; il n'avait cœur ni courage pour demeurer davantage ; tant il fut assailli de fer et d'acier ! Le premier qu'il rencontra, il le fit tomber à terre, puis tourna vers le fleuve, et va se mettre à la nage.)

Au reste cet Anglais est peu disposé à faire honneur aux chevaliers de France ; tout le los est pour le comte Guillaume et les templiers. Suivant lui, un chevalier de Normandie propose à Guillaume Longue-Épée d'essayer de gagner le fleuve et de le passer à la nage ; à quoi Guillaume répond qu'il ne fuira pas Pour peur de Sarrasin ; qu'il est venu servir Dieu et mourir, s'il le faut, à son service ; qu'il vendra cher sa vie, et que c'est se mettre à honte que de tourner le dos et perdre le paradis réservé à qui mourra en combattant les infidèles. Le chevalier normand ne l'écoute pas, il pousse son cheval dans le neuve, se noie, et, suivant le charitable Anglais :

L'aime fu tantoat au deable comandée,

Et meint altre Fraunceis se nea le jour ;

De la vie perdre tant avaient paour ;

S'il se fussent combatu por le Dieu amour,

Lur aimes fussent en joie od lur creatour.

(L'âme fut aussitôt livrée au diable ; et maint autre Français se noya ce jour, tant ils avaient peur de perdre la vie ! S'ils eussent combattu pour l'amour de Dieu, leurs âmes eussent été en joie avec leur créateur.)

Mais ces détails sont de pure imagination ; on le jugerait à la manière, qui est tout à fait celle des chansons de geste ; on le jugera encore plus précisément par ceci : au dire de notre Anglais, le comte de Salisbury, dans la mêlée, a le pied coupé, et il continue à combattre ; un peu plus tard, un coup lui abat la main droite, il prend l'épée de la main gauche et en détranche les Sarrasins qui sont autour de lui. Tout cela ne se voit que dans les chansons de geste les artères de la jambe donnent une abondante hémorragie, qui ne laisse qu'un court moment au plus vaillant héroïsme ; très-vite le sang manque, les ténèbres obscurcissent la vue, la force s'en va, la syncope arrive. La vérité est qu'on ne sut que très-imparfaitement ce qui se passa à Mansourah. Joinville n'en dit rien. Jean Pierre Sarrasin, après avoir raconté que les chrétiens, dont les chevaux étaient si las qu'ils défaillaient tous, n'allant plus que par petites troupes, furent une proie facile, et que quelques-uns se jetèrent dans le fleuve pour s'échapper, mais qu'ils s'y noyèrent, ajoute : En cele bataille furent ou mors ou pris, on ne set mie bien lequel Robers li quens d'Artois, frere le roi Loys de France, Raouls li sires de Couci, Rogiers li sires de Rosoi en Tieraisse, Jehan sires de Chevisi, Erars sires de Braire en Champaigne, Guillaume Longue-Espée, quens de Salesbieres en Angleterre ; tout li templier furent perdu, et n'en demoura que quatre ou cinc. Moult grant plenté de nos barons, de chevaliers, d'arbalestriers et de sergans à cheval, des plus prens et des plus esleus de toute nostre ost, furent perdu, n'onques n'en sut on certaineté. On voit qu'au moment même, dans le camp des chrétiens, on ignorait ce qui précisément s'était passé. Peut-être en apprit-on plus tard un peu davantage, soit des Sarrasins, soit des captifs qui revinrent. Mais il est certain que, depuis la folie de Mansourah, on n'entendit plus jamais parler ni du comte d'Artois, ni de Guillaume Longue-Épée, ni des autres que nomme Jean-Pierre Sarrasin.

Cette malveillance, visible dans la complainte, du populaire d'Angleterre contre saint Louis et les Français, se montre aussi dans ce récit, que j'emprunte aux Miracles saint Loys : Hue de Norenthonne, du dyocese de Lincole, repareur de cuirs, qui demoroit en la vile Saint-Denis et i avoit demoré par trente anz, se moquoit de cens qui oroient au tombel saint Loys, et disoit que li rois Henris d'Engleterre avoit esté meilleur homme que li benoiet saint Loys, et se moquoit de cens qui, par devotion, besoient ledit tombel. Et come cil meesme Hue fust une fois en l'eglise de Saint-Denis, il prist et gita à terre deux chandeles qui estoient apuiées au tombel devant dit, en despit de celui meesmes benoiet saint Loys, pour ce que cil de la vile de Saint-Denis qui ilecques estoient escharnissoient — raillaient — ledit Hue et le roi d'Engleterre desus dit. Notre corroyeur fut puni de ses mauvais sentiments : une maladie le saisit, dont rien ne put le délivrer, si bien qu'il implora le tombeau qui faisait toute sorte de miracles ; et le saint roi, aussi bon après sa mort qu'il l'avait été pendant sa vie, accorda à l'Anglais la guérison de ses souffrances.

Les Sarrasins avaient à leur disposition le feu grégeois, dont les chrétiens ne connaissaient ni la composition ni l'usage. Ils amenèrent, dit Joinville, un engin qu'on appelle pierrière, et ils mirent le feu grégeois dans la fronde de l'engin. Quand mon seigneur Gautier du Cureil, le bon chevalier, qui était avec moi, vit cela, il nous dit ainsi : Seigneurs, nous sommes dans le plus grand péril où nous ayons jamais été ; car, s'ils brûlent nos châteaux et que nous demeurions, nous sommes perdus et brûlés ; et, si nous laissons nos postes qu'on nous a baillés à garder, nous sommes honnis ; c'est pourquoi nul ne nous peut défendre de ce péril, excepté Dieu. de suis donc d'avis et vous conseille que, toutes les fois qu'ils nous lanceront le feu, nous nous mettions sur nos coudes et nos genoux et priions Notre-Seigneur qu'il nous tire de ce péril. Sitôt qu'ils lancèrent le premier coup, nous nous mîmes sur nos coudes et nos genoux, ainsi qu'il nous l'avait enseigné. Le feu grégeois, composition incendiaire, n'était pas aisément maniable ; car les Sarrasins le lançaient, non à coups pressés, mais à de grands intervalles de temps. On voit quelle terreur il inspirait, et cependant les chevaliers de saint Louis étaient gens de haute prouesse, et ils en donnèrent mille preuves dans cette désastreuse expédition. Mais le courage, comme les autres qualités morales, a ses formes correspondantes aux diverses périodes historiques. Qu'était ce misérable feu grégeois à côté du feu d'une artillerie bien servie, que pourtant, quand il le faut, le soldat moderne endure avec une stoïque fermeté ? Supporter, impassible et sans bouger, des coups venus de loin n'était pas dans la forme du courage d'alors ; les légionnaires romains, eux-mêmes, n'avaient pas non plus cette forme de courage, et les historiens ne manquent jamais de nous dépeindre leur malaise quand ils se trouvaient exposés, à découvert et immobiles, aux frondeurs et aux archers.

Lorsque, dans la Chanson de Roland, Olivier, voyant l'innombrable armée des Sarrasins s'approcher, conseille à Roland de sonner du cor, pour signaler à Charlemagne le péril où ils sont, Roland répond qu'il n'en fera rien, de peur que quelque soupçon de faiblesse ne s'attache à cet appel et que

Male chanson de lui ne soit chantée.

Le poète n'a rien exprimé' que ne renfermât le cœur de ces vaillants barons. Joinville et les siens, entourés d'une multitude de Sarrasins, se défendaient vigoureusement, mais à grand'peine. Un de ses compagnons, Érard de Siverey, qui venait d'être frappé d'un coup d'épée au visage, tellement que le nez lui tombait sur le visage, lui dit : Sire, si vous croyiez que ni moi ni mes héritiers n'en eussions de reproche, je vous irais querir du secours au comte d'Anjou, que je vois là au milieu des champs. Lui aussi craignait blâme et male chanson s'il quittait, sans commandement, un lieu périlleux.

Les ecclésiastiques n'avaient pas encore cessé de porter les armes. Il y avait, dit Joinville, un très-vaillant homme dans l'armée, qui avait nom mon- seigneur Jacques de Castel, évêque de Soissons. Quand il vit que nos gens s'en revenaient vers Damiette, lui, qui avait grand désir d'aller à Dieu, ne s'en voulut pas revenir au pays où il était né ; mais il se hâta d'aller à Dieu, et piqua des éperons et attaqua tout seul les Turcs, qui, à coups d'épée, l'occirent et le mirent dans la compagnie de Dieu au nombre des martyrs. Joinville cite un prêtre qui mit en fuite huit Sarrasins : De ce corps de Turcs à cheval étaient descendus à pied huit de leurs chefs très-bien armés, qui avaient fait un retranchement de pierres de taille, pour que nos arbalétriers ne les blessassent pas ; ces huit Sarrasins tiraient au hasard dans notre camp, et ils blessèrent plusieurs de nos gens et de nos chevaux.... Un mien prêtre, qui avait nom monseigneur Jean de Voysset.... partit de notre camp tout seul et se dirigea vers les Sarrasins, ayant vêtu une veste rembourrée, un chapeau de fer sur la tête, une lance sous l'aisselle. Quand il vint près des Sarrasins, qui le méprisaient parce qu'ils le voyaient tout seul, il tira sa lance de dessous l'aisselle et leur courut sus ; il n'y en eut aucun des huit qui se mit en défense, mais ils prirent tous la fuite. Un autre clerc, non pas du camp et dans la croisade, mais à Paris, ayant été volé par trois sergents du Châtelet, qui lui enlevèrent tous ses habits, alla en chemise à son logement et y prit son arbalète et un coutelas. Ainsi armé, il courut après ses voleurs, en tua un d'un coup de flèche, trancha la jambe à un second, de manière qu'elle ne tenait plus qu'à la botte, fendit la tête du troisième jusqu'aux dents, et, cela fait, se rendit en la prison. Le lendemain, le prévôt l'amena au roi pour qu'il en fit sa volonté. Sire prêtre, fit le roi, vous avez manqué à être prêtre par votre prouesse ; et, pour votre prouesse, je vous retiens à mes gages, et vous vous en viendrez avec moi outre-mer. Et ce traitement je vous le fais encore parce que je veux que mes gens voient que je ne les soutiendrai en nulles de leurs méchancetés.

J'ai dit en commençant que le temps de saint Louis fut un bon temps ; je reviens sur cette expression, non pour la changer, mais pour la mettre au point de vue relatif, qui est le seul vrai en histoire. Les partisans du moyen âge disent que cette ère de foi catholique fut l'ère suprême du genre humain, en deçà de laquelle il n'y a que paganisme, au delà de laquelle il n'y a qu'hérésie, incrédulité et perversion ; les adversaires disent que cette ère est décadence à l'égard de l'antiquité païenne, barbarie et ténèbres à l'égard des temps modernes ; mais ceux qui considèrent l'histoire comme un phénomène naturel où l'antécédent produit le conséquent ne donnent leur assentiment ni à l'une ni à l'autre de ces assertions ; pour eux, le moyen âge est le produit de l'antiquité, et le temps moderne le produit du moyen âge, si bien que ces trois grandes époques ont contribué, chacune pour sa part, à la transmission et au développement de la civilisation supérieure.

Cela posé, il est évident que le moyen âge, et en particulier le treizième siècle et l'âge de saint Louis, est un passage vers un autre ordre meilleur. Il ne possède ni la haute science, ni cette grande morale véritablement humaine, qui s'exprime par le mot tout moderne de tolérance.

Le roi avait fait à Joinville, qui nous l'a conservé, un récit suffisant pour caractériser le siècle à cet endroit. Il s'agit d'une conférence de clercs et de juifs qui devait se tenir au monastère de Cluny. Il y eut là un chevalier à qui l'abbé avait donné le pain en ce lieu pour l'amour de Dieu ; et il demanda à l'abbé qu'il lui laissât dire la première parole, et on le lui octroya avec peine. Et alors il se leva et s'appuya sur sa béquille, et dit qu'on lui fit venir le plus grand clerc et le plus grand maitre des juifs ; et ainsi firent-ils. Et il lui fit une demande qui fut telle : Maitre, fit le chevalier, je vous demande si vous croyez que la vierge Marie, qui porta Dieu en ses flancs et en ses bras, ait enfanté vierge et qu'elle soit mère de Dieu ? Et le juif répondit que de tout cela il ne croyait rien. Et le chevalier lui répondit qu'il avait vraiment agi en fou quand, ne croyant en elle ni ne l'aimant, il était entré en son église et en sa maison. Et vraiment, fit le chevalier, vous le payerez. Et alors il leva sa béquille et frappa le juif près de l'oreille, et le jeta par terre. Et les juifs se mirent en fuite, et emportèrent leur maitre tout blessé.

Tandis que la tolérance est le signe éminent du développement moral, la reconnaissance de la stabilité des lois naturelles est le signe éminent du développement scientifique. Pour Joinville, tout baron qu'il est, chargé du gouvernement d'un grand fief, conseiller de saint Louis, chevalier revenu d'outre-mer, lettré et capable d'écrire ses mémoires, il ne lui vient jamais à l'esprit de mettre en doute le plus extravagant 'et le plus inutile des miracles. Ici c'est un saint moine pour qui la Vierge prend soin qu'il ne s'enrhume : Sachez, fit-il — au moine de Clairvaux —, ce que j'ai ouï conter à un prudhomme qui était couché au dortoir là où l'abbé de Cheminon dormait ; l'abbé avait découvert sa poitrine à cause de la chaleur qu'il avait ; et ce prudhomme, qui était couché au dortoir où l'abbé de Cheminon dormait, vit la Mère de Dieu qui alla au lit de l'abbé, et lui ramena la robe sur la poitrine de peur que le vent ne lui fit du mal. Dans la navigation vers l'Égypte, une montagne surnaturelle les menaça d'un grand péril : Quand les mariniers virent cela, ils furent tout ébahis, et nous dirent que nos vaisseaux étaient en grand péril ; car nous étions devant la terre aux Sarrasins de Barbarie. Alors un prêtre prudhomme, qu'on appelait le doyen de Maurupt, nous dit qu'il n'eut jamais à souffrir en sa paroisse ni par défaut d'eau ni par trop de pluie, ni de tout autre fléau, sans que, aussitôt qu'il avait fait trois processions trois samedis, Dieu et sa Mère le délivrassent. C'était samedi, nous finies la première procession autour des deux mâts du vaisseau ; moi-même je m'y fis porter à bras, parce que j'étais grièvement malade. Jamais depuis nous ne vîmes la montagne, et nous vînmes en Chypre le troisième samedi. Notez que Jean-Pierre Sarrasin ne dit pas un mot de l'obstacle que rencontra la navigation. Joinville rapporte un autre exemple de l'efficacité des trois processions : Quand la Saint-Remi fut passée sans qu'on ouït nulles nouvelles du comte de Poitiers — il amenait l'arrière-ban de France —, de quoi le roi et tous ceux de l'armée étaient en grand trouble, alors je rappelai au légat comment le doyen de Maurupt nous avait fait trois processions en mer, par trois samedis de suite, et comment avant le troisième samedi nous abordâmes en Chypre. Le légat me crut et fit crier les trois processions dans le camp par trois samedis  Avant le troisième samedi vint le comte de Poitiers, et il n'était pas besoin qu'il fût venu auparavant ; car, dans l'intervalle des trois samedis, il y eut une grande tempête en mer devant Damiette.

La science, telle que les modernes l'ont faite, n'admet point ces interruptions de l'ordre naturel ; du moins elle n'en a jamais constaté ; et, transformant en loi le résultat empirique d'une expérience qui depuis des siècles n'a reçu aucun démenti dans aucun de ses domaines, elle fonde là-dessus toutes ses doctrines et toutes ses pratiques. De la science, cette grande notion s'infuse peu à peu dans les diverses couches des sociétés civilisées.

Pour quiconque jette un coup d'œil attentif sur les associations psychologiques, il n'est pas douteux que le développement moral ne tienne par un lien étroit au développement scientifique. La science donne à l'esprit rectitude et impartialité ; rectitude par le vrai qu'on atteint, impartialité pour les résultats toujours finalement acceptés, bien qu'ils choquent opinions, préjugés, croyances. Or la rectitude et l'impartialité ont une étroite affinité avec la justice qui, en définitive, est la régulatrice des choses sociales. C'est ainsi que le vrai et le bon, le progrès scientifique et le progrès moral se donnent la main, et que les sociétés acquièrent, dans leurs rapports entre elles et avec leurs membres, plus d'équité et plus de bonté.

L'antiquité a vu sur le trône un empereur philosophe ; le moyen âge y a vu un saint roi. Sans doute le roi n'est pas un philosophe, mais l'empereur ressemble beaucoup à un saint. C'est que l'empereur et le roi furent captivés l'un par le côté moral de sa philosophie, l'autre par le côté moral de sa religion. Ils ne furent, mi l'un ni l'autre, des génies politiques qui modifient les choses sociales, préparent les voies des peuples et devancent le temps. Ils ne furent pas non plus inégaux à leur tâche, et un tendre respect entoure la mémoire de ces deux hommes excellents qui, sévères uniquement pour eux-mêmes, n'eurent, dans les tentations du pouvoir, que la tentation du bien. Mais combien la situation de l'un et de l'autre est différente ! L'un, maitre du monde civilisé, est solitaire dans son élévation ; pas d'États frères qui fassent corps avec le sien ; son sénat n'est qu'une ombre ; les soutiens de son trône ne sont que des fonctionnaires, et au septentrion s'amasse un orage de nations et d'hommes qui emportera l'empire, tout puissant qu'il est. L'autre est membre d'un vaste corps politique qui embrasse l'Europe entière et où les opinions, les croyances, les intérêts sont solidaires ; les institutions féodales régissent la société, et les barons se pressent autour de leur suzerain ; point de barbares à l'horizon ; seulement, dans l'avenir, une transformation qui, sans rupture et sans rien de pareil à la catastrophe impériale, amènera une civilisation plus développée.

L'acte reprochable dans la vie de saint Louis est sa seconde croisade. Quand il en fut question, Joinville, qui n'est suspect d'avoir manqué ni de foi dans sa religion ni de dévouement à son saint roi, refusa de l'y suivre : Je fus beaucoup pressé par le roi de France et le roi de Navarre de me croiser. A cela je répondis..... que, si je voulais agir au gré de Dieu, je demeurerais ici pour aider et défendre mon peuple ; car, si je mettais mon corps dans les aventures du pèlerinage de la croix, là où je verrais tout clair que ce serait pour le mal et le dommage de mes gens, je courroucerais par là Dieu, qui mit son corps pour sauver son peuple. C'étaient là les vrais conseils de la religion commandant à Louis IX de faire son office de roi en demeurant pour le bien de son peuple, et non d'aller chercher au loin les mérites d'un pèlerin dévot. Mais une étroite préoccupation du salut l'emporta dans son esprit et le poussa aux rivages de l'Afrique. Du moins, homme généreux qu'il était, n'hésita-t-il point à courir les dangers de la mer, de la guerre, de la peste, et à donner sa vie pour sa dévotion, bien différent en cela de celui de ses arrière-descendants qui, désireux de faire son salut, mais, comme dit Saint-Simon, aimant à le faire aux dépens d'autrui, s'ôta toutes les inquiétudes de sa conscience en livrant aux supplices, aux galères, aux dragonnades, à la spoliation, des hérétiques profondément tranquilles et tout dévoués à sa personne.

Dans ces lointaines expéditions il arriva que des barons et des chevaliers, las d'une longue absence, s'en revinrent à tout prix sans s'inquiéter de la gent menue qu'ils avaient emmenée. Joinville avait été mis en garde contre ce méfait : Monseigneur de Boulaincourt, mon cousin germain (que Dieu absolve !), me dit, quand je m'en allais outre-mer : Vous vous en allez outre-mer, fit-il, or prenez garde au retour ; car nul chevalier, ni pauvre ni riche, ne peut revenir qu'il ne soit honni, s'il laisse aux mains des Sarrasins le menu peuple de Notre-Seigneur, en compagnie duquel il est allé. Aussi, quand saint Louis, délivré de captivité, délibéra avec son conseil s'il devait rester en la terre sainte ou retourner en France, Joinville opina-t-il fortement pour que le roi restât ; car, s'il s'en va, les pauvres prisonniers qui ont été pris au service de Dieu et au sien ne seront jamais rendus. Le roi suivit le conseil le plus honorable ; il renvoya ses frères ; mais, quand il songea au retour, il avait obtenu des Sarrasins la délivrance ou procuré le rachat de plusieurs milliers 'de captifs qui étaient demeurés entre leurs mains.

Joinville, baron féodal, sénéchal de Champagne, chevalier croisé, même ami de Louis IX, serait profondément oublié comme tant d'autres barons, sénéchaux et chevaliers, s'il n'avait songé à réchauffer ses vieux ans de ses vifs souvenirs de familiarité avec le saint roi et de guerre avec les félons Sarrasins. Ce n'est pas un livre écrit à tête reposée, dit M. de Wailly dans sa préface, et qui trahisse nulle part l'étude ou le calcul ; c'est une longue déposition dictée et comme improvisée, depuis la première page jusqu'à la dernière, par un témoin qui s'abandonne au courant naturel de ses souvenirs. Il ne s'agit pas pour lui d'être éloquent, mais de laisser parler sa mémoire, son cœur, son imagination, sa conscience surtout, d'où la vérité jaillit comme de source. Il ne l'épargne à personne, pas même au clergé qu'il respecte profondément, ni au saint roi qu'il a tant aimé sur la terre avant de le vénérer dans le ciel. Quiconque ne l'a pas lu ne connaît véritablement ni saint Louis ni le treizième siècle. Son histoire est du petit nombre de celles qu'aucune autre ne peut remplacer, et les meilleures ne sauraient apporter plus d'instruction, mériter plus de confiance ni exciter plus d'intérêt. Ce n'est pas pour décourager, c'est bien plutôt pour encourager l'étude de nos anciens textes que M. de Wailly a écrit sa version. Il compte que Joinville aura de la sorte plus de lecteurs et que, parmi ceux-là quelques-uns auront le désir de faire connaissance avec l'original. J'y compte aussi. Je l'ai déjà dit plus d'une fois : pour un Français qui a quelque teinture des lettres, apprendre le vieux français est chose facile et qui n'exige que l'exercice, prolongé pendant quelque temps, d'une lecture assidue et réfléchie. On s'ouvre ainsi l'accès à toute une littérature qui autrement demeure lettre close ; et, en vérité, pour quiconque connaît l'antiquité classique et l'ère moderne, n'est-ce pas une lacune préjudiciable historiquement de ne rien savoir sur l'époque intermédiaire sans laquelle l'antiquité semble n'avoir pas d'issue, et l'ère moderne pas d'origine ?

 

 

 



[1] Histoire de saint Louis, par Joinville, texte rapproché du français moderne et mis à la portée de tous, par M. Natalis de Wailly, Paris, Hachette. — Journal des Savants, octobre 1865.