HENRI IV

 

PRÉFACE.

 

 

Lorsque, au lendemain de nos malheurs, j'ai cherché dans le passé des raisons de me consoler du présent et d'espérer en l'avenir, c'est avec un irrésistible attrait et la prédilection d'une sorte de pressentiment que mes yeux se sont reposés sur le règne d'Henri IV.

Il est impossible de n'être point frappé des analogies et des coïncidences qui existent entre cette période de notre histoire et le temps présent. Nous remarquons aux deux époques 1590-1870, à la distance de trois siècles, la même chute de dynastie, les mêmes désastres de guerre civile et étrangère, la même révolte de Paris, les mêmes luttes de partis, les mêmes incertitudes des politiques, les mêmes angoisses des honnêtes, poursuivant la réalisation de leur patriotique idéal de pacification et de stabilité à travers les épreuves de ces jours critiques où il n'est pas moins difficile de discerner sou devoir que de l'accomplir.

Ces tristes ressemblances seraient faites pour décourager, si l'espérance ne trouvait son compte à ce merveilleux retour de la fortune, à cette victoire si longtemps disputée et d'autant plus complète qui couronnèrent enfin les efforts d'un roi héroïque, lui permirent de reconquérir son peuple, de chasser l'étranger et de rendre à la France la plus glorieuse et la plus féconde paix.

C'est là le double tableau dont les leçons m'ont paru convenir le mieux au moment où nous sommes, qui m'a semblé le plus digne d'être offert aux jeunes esprits auxquels je me plais à consacrer nies veilles d'historien, à cette France nouvelle dont la mission est de nous rendre, dans ce qu'elle a d'éternellement beau et d'éternellement grand, l'ancienne France.

C'est à cette jeune génération qui grandit, je l'espère, pour la consolation et pour l'honneur de la patrie mutilée, que je dédie ce livre, où j'ai encadré, dans le tableau fidèle des crimes et des malheurs de la Ligue, l'image, aussi ressemblante que possible, du plus brave, du plus aimable du plus populaire, de nos rois, de celui qui rétablit sur les bases nouvelles de l'unité politique et de la tolérance religieuse, la monarchie, la nation, la société si profondément ébranlées.

Rien ne manque à cette histoire privilégiée d'un prince exceptionnel, de ce qui fait le charme et l'enseignement des récits du passé. Les vicissitudes inouïes de cette existence si longtemps militante avant d'être victorieuse, si longtemps aventureuse avant de devenir héroïque, font passer tour à tour le lecteur par les plus salutaires émotions du roman et du drame. Ce drame, ce roman, sont de main de maître, puisque c'est Dieu qui en est l'auteur. Aussi sont-ils d'une moralité égale à leur éloquence. On sort meilleur du spectacle de ces efforts généreux d'un prince dont les grandes qualités furent unies à certains défauts, qui mêla plus d'une faute à ses vertus, auquel enfin rien de ce qui est humain ne demeura étranger, pour triompher de tant d'ennemis et se vaincre lui-même. On sort plus patriote du spectacle de la nation livrée aux mêmes luttes que son roi, et triomphant comme lui, avec lui, non sans avoir payé un cruel tribut de larmes et de sang à la chimère des discordes civiles, aux maux de l'invasion étrangère.

L'écueil d'une pareille histoire était moins dans les excès de la critique que dans ceux, également dangereux, de l'admiration. Sa perfection serait d'être complètement juste, dans le double sens de ce noble mot, et de ne dépasser en rien l'exacte proportion, l'inflexible mesure. J'affirme avoir essayé d'atteindre à cet équilibre, à cette harmonie sans me flatter d'y avoir toujours réussi, d'avoir toujours échappé à l'entraînement des événements, à l'irrésistible fascination de cette joviale, martiale, cordiale figure du Béarnais.

Je me suis toujours, du moins, fait une loi de peser les témoignages (le façon à choisir la meilleure version des faits susceptibles de controverse, et de soumettre scrupuleusement mon opinion à celle de ces maîtres de la critique historique contemporaine dont on peut dire que l'avis mérite de devenir l'arrêt de la postérité. J'ai constamment puisé aux sources authentiques, contemporaines, mais non sans en vérifier, assainir, épurer le flot parfois troublé ou corrompu, avant d'inviter le public à y boire la vérité.

L'Histoire universelle de de Thou, l'Histoire et les Mémoires d'Agrippa d'Aubigné, les Œconomies de Sully, le Recueil des lettres missives d'Henri IV m'ont fourni les matériaux de première main. Les ouvrages de MM. de Chateaubriand, Guizot, Villemain, Mignet, de Carné, Sainte-Beuve, Legouvé, Poirson, Perrens, E. Yung, Mercier de Lacombe, Bascle de la Grèze, etc., qui se rapportent à mon sujet, ont ajouté aux éléments d'information les moyens de contrôle et de critique.

Grâce à ce perpétuel recours aux sources, à ce constant conseil demandé à ceux de mes devanciers qui ont laissé sur ce sujet une trace utile ou magistrale, j'espère avoir atteint mon modeste but, qui était de faire admirer Henri IV sans empêcher de l'aimer, et de montrer en lui, malgré ses erreurs et ses fautes, le meilleur et le plus grand de nos rois.

Ces erreurs et ces fautes, je me suis fait un scrupule d'y insister ; je me suis borné à prouver que je ne les ignorais pas, et à éviter le reproche de les avoir laissé ignorer au lecteur. Mais je me suis borné à ces allusions discrètes, à ces légères ombres au tableau qui suffisent et, même qui conviennent seules à un ouvrage destiné à la jeunesse. Car s'il est des pudeurs inutiles il en est de nécessaires. Faire marcher devant la jeunesse, dans son ivresse et dans sa nudité, l'ilote chargé d'apprendre la tempérance aux Spartiates, m'a toujours paru une leçon aussi stérile que cynique, et je ne suis pas étonné de voir à Lacédémone, où de tels procédés étaient en usage, la corruption des mœurs succéder à cette brutale et théâtrale austérité.

Je demeure convaincu que pour apprendre à aimer la vertu, le spectacle de la vertu vaudra toujours mieux que celui du vice, même puni. Je n'ai donné, sur la vie publique ou privée d'Henri IV, que les détails par lesquels elle est exemplaire. J'ai tiré le rideau sur le reste. Il sera toujours assez tôt soulevé.

J'en ai même moins dit sur ce point que le bon archevêque Hardouin de Péréfixe, dont la sainteté a pu aller sans témérité jusqu'à une limite que je n'ai pas voulu même atteindre, par crainte de la dépasser.

J'ai répondu, il me semble, à toutes les questions que le public honnête, et qui veut être respecté, a le droit de poser à un écrivain qui aspire à son suffrage.

J'espère qu'il m'accordera celui auquel je tiens le plus, en reconnaissant mes efforts pour mettre à sa vraie place et à son vrai jour dans cette histoire un prince qui n'a pas besoin d'être flatté.

Comme homme, il est incontestablement le plus aimable de nos rois.

Comme roi, il est non moins incontestablement, le plus grand.

Mais il n'a été ni le seul bon, ni le seul grand, et Chamfort a été injuste et paradoxal, comme il l'est souvent, quand il a répété, en l'approuvant, ce mot de l'abbé de Voisenon :

Henri IV fut un grand roi ; Louis XIV ne fut que le roi d'un grand règne.

La seconde partie de la proposition est aussi fausse que la première est vraie.

Ce n'est point ici le lieu de l'établir ; mais je ne voudrais pas que mon admiration pour Henri IV pût paraitre à personne complice d'une exagération en sens contraire au détriment de Louis XIV, qui, tout compte fait, ne fut pas seulement le roi d'un grand règne.

L'œuvre traditionnelle et séculaire qui s'appelle la nation, la société, la monarchie française ne fut pas celle d'un seul auteur ; si la Révolution française, qui a détruit la monarchie sans la remplacer encore par quelque chose de mieux, prétend avec raison garder sa part dans l'honneur du progrès moderne, en raison des grandes vérités qu'elle a rendues immortelles, elle ne peut avoir droit à la justice pour ses conquêtes et ses bienfaits, qu'à la condition de reconnaître et de respecter les conquêtes et les bienfaits de Charlemagne, de Saint-Louis, de Philippe-Auguste, de Charles V, de Louis XI, de Louis XII, de François Ier, de Louis XIV, et même de Louis XVI.

 

M. DE LESCURE.

Paris, le 25 octobre 1873.