FRANÇOIS Ier

 

LIVRE PREMIER. — LE ROI CHEVALIER - 1515-1526

CHAPITRE III. — PAVIE.

 

 

L'Empire germanique, dont François Ier et Charles-Quint convoitaient le titre plein de prestiges, avant qu'il ne devint vacant, par une ambition qui, chez le premier, avait plus en vue l'honneur que le pouvoir et chez le second le pouvoir que l'honneur, et qu'ils allaient se disputer, d'abord par les négociations, ensuite par les armes, était hiérarchisé et organisé avec la multiplicité, la complication mais non la précision des ressorts d'une horloge de Nuremberg.

Ce grand corps était composé d'une multitude de membres mal proportionnés et mal joints. Il renfermait des États héréditaires et des États électifs, un royaume, des électorats, des duchés, des margraviats, des landgraviats, des comtés, des seigneuries de dimensions variées, des villes libres de diverse importance, des principautés ecclésiastiques d'ordre différent, depuis les archevêchés jusqu'aux prieurés souverains. Ainsi composée, l'Allemagne, malgré les récentes tentatives de l'empereur Maximilien, qui avait voulu y fonder une justice commune par la création de la Chambre impériale, une milice régulière par l'établissement des Cercles, conservait un esprit d'insubordination que la force fédérale n'avait pu réduire à l'obéissance, et une diversité d'intérêts que rien n'était capable de ramener à l'accord.

Lorsqu'il fallait donner un chef à cette vaste et faible confédération, au milieu de laquelle se maintenaient toujours les ligues des villes, les associations des nobles, les alliances particulières des princes, le droit de le nommer appartenait aux sept électeurs. Les archevêques de Mayence, de Cologne, de Trèves, comme archi-chancelier du Saint-Empire, pour les anciens royaumes de Germanie, d'Italie, d'Arles, le roi de Bohême, le duc de Saxe, le comte palatin de Bavière, le margrave de Brandebourg, comme archi-échanson, archi-maréchal, archi-sénéchal et archi-chambellan de l'Empire, élisaient seuls, au nom de tous les souverains allemands, dont ils étaient les premiers et les plus considérables, le roi des Romains, futur empereur. Ce haut pouvoir, qu'ils exerçaient depuis le treizième siècle, avait été réglé en 1356 par la bulle d'or de Charles IV, qui prescrivait de faire l'élection dans la ville de Francfort, et qui rendait cette élection valide à la majorité des suffrages[1].

Nous n'avons pas à entrer dans le détail des longues négociations nouées par les deux princes prétendants auprès des électeurs pour se ménager leurs suffrages, c'est-à-dire pour l'acheter ; car l'argent joua dans cette grosse affaire un rôle prépondérant, indigne d'elle, et qui ne caractérise que trop les mœurs encore grossières d'un temps livré à la force et à la fraude, où tout était à vendre ou à prendre.

Les pourparlers entre François Ier et les électeurs attirés à sa cause par le prestige de sa jeune renommée s'ouvrirent plus de deux ans avant la mort de Maximilien ; dès le mois de novembre 1516, l'archevêque de Trèves et le margrave de Brandebourg en prirent l'initiative.

Un moment les affaires de François Ier marchèrent si bien, que les suffrages des quatre électeurs de Trèves, de Brandebourg, de Mayence et du Palatinat parurent assurer la majorité à sa candidature. Mais le jeune roi catholique n'était pas homme à se laisser frustrer sans résistance de cette couronne impériale qu'avaient portée dans le treizième et le quatorzième siècle Rodolphe de Habsbourg et Albert Ier, ses ancêtres paternels, et qui depuis quatre-vingt-un ans que s'était éteinte la maison de Luxembourg, en 1438, semblait s'être fixée dans sa maison. Nous ne pouvons mieux faire que d'emprunter à M. Mignet la belle page où il expose les motifs qui animaient l'ambition de Charles, et peint le caractère et le talent qu'il allait mettre au service de cette ambition :

Ses vastes États auraient été compromis si François ter, qu'il avait pour voisin en Flandre, en Franche-Comté, en Espagne, en Italie, s'établissait aussi en Allemagne. Le descendant des maisons de Bourgogne, de Castille, d'Aragon, d'Autriche, voulait d'ailleurs recueillir leur héritage, et ne rien laisser perdre de leur autorité. Sa position l'avait préparé aux affaires compliquées et lui rendait naturelles toutes les ambitions. Sans annoncer entièrement ce qu'il fut depuis, il le laissait pressentir. Chièvres, qui l'avait élevé et qui le dirigeait encore, aimait sa grandeur et tenait à ce qu'il devint capable de la conserver et de l'accroître. Il l'avait formé de bonne heure à la connaissance et à la conduite de ses intérêts divers. Dès l'âge de quinze ans, Charles présidait tous les jours son conseil. Il y exposait lui même le contenu des dépêches qui lui étaient remises aussitôt qu'elles arrivaient, fût-ce au milieu du sommeil de la nuit. Son conseil était devenu son école, et la politique, où il devait se rendre si habile, avait été son principal enseignement. Réfléchi comme celui qui est appelé à décider, patient comme celui à qui il appartient de commander, il avait acquis une dignité précoce. Ayant beaucoup de sens naturel, une finesse d'esprit pénétrante, une rare vigueur d'âme, il apprenait à juger, dans chaque situation et sur chaque chose, ce qu'il y avait à faire et comment il fallait le faire. Il s'apprêtait ainsi à être le plus délié et le plus ferme politique de son temps, à regarder la fortune en face, sans s'enivrer de ses faveurs, sans se troubler de ses disgrâces, à ne s'étonner d'aucun événement, à se résoudre dans tous les périls[2].

Grâce à ces qualités, Charles devait triompher d'une situation qui, au début, semblait des plus critiques. La nouvelle de la compétition encore secrète pour des yeux moins vigilants que ceux de ses conseillers, le surprit au moment où, confiant dans les assurances des traités de Noyon et de Cambrai, il allait en Espagne prendre possession d'une autorité que lui contestaient les susceptibilités d'une nation ombrageuse et volontiers mécontente. Tout règne nouveau a ses difficultés, et le sien en rencontrait plus d'une dans les scrupules intéressés de ceux qui le voyaient avec répugnance succéder à une mère encore vivante, Jeanne la Folle, dont le surnom explique l'incapacité et justifiait l'éloignement des affaires, mais dont il n'en semblait pas moins usurper les droits ; dans la rivalité de l'infant Ferdinand son frère, objet des préférences de la noblesse et peut-être de Maximilien son grand-père ; enfin dans la jalousie des grands seigneurs castillans que l'ambition et l'avidité des conseillers flamands de Charles, traitant l'Espagne comme une proie, allaient réduire à fomenter le terrible soulèvement des Communeros.

Malgré ces obstacles, que compliquait la pénurie de ses finances, Charles se décida à lutter, et invoqua l'appui de Maximilien, qui ne put le lui refuser, plus encore par orgueil dynastique que par affection personnelle.

Maximilien convoqua pour le mois d'août 1518 la diète ou assemblée des électeurs à Augsbourg. Deux grandes affaires justifiaient cette convocation ; l'une secrète : la succession à l'empire d'Allemagne ; l'autre publique : la défense de la chrétienté contre l'invasion imminente des Turcs. Sélim Ier en effet, continuant l'œuvre de ses plus heureux et de ses plus terribles prédécesseurs, s'apprêtait à attaquer l'Occident. En trois années, de 1514 à 1517, il avait vaincu le sophi de Perse Ismaïl à Tschaldivan, et lui avait enlevé le Diarbékir, Orfa et Mossoul, entre l'Euphrate et le Tigre ; il avait battu complètement le soudan d'Égypte à Alep et au Caire, détruit l'empire des Mamelucks, occupé la Syrie, la Palestine, l'Égypte, reçu la soumission du chérif de la Mecque et de beaucoup de tribus arabes. Après avoir consolidé ses conquêtes et créé une puissante flotte de plus de deux cents voiles, il était rentré à Constantinople plus menaçant que jamais pour l'Europe dont ses armes n'avaient été détournées que par la guerre si vite achevée d'Orient[3].

Le pape Léon X, justement ému de ce danger commun à tous, avait profité de la paix européenne pour pousser le cri d'alarme, et appeler, au nom de la foi et de la solidarité chrétiennes, les souverains à la guerre sainte décrétée par le concile de Latran dans sa douzième et dernière session. Chacun des deux compétiteurs à l'Empire proposa son concours et exposa son plan : celui de François Ier simple et pratique ; celui de Maximilien gigantesque et chimérique. Il fut réduit par son petit-fils Charles à des proportions plus raisonnables, mais qui exigeaient encore des négociations et du temps. A la faveur de cet ajournement l'affaire secrète en vue de laquelle la diète était réunie prit le pas sur l'objet ostensible de la réunion ; et les intrigues positives succédèrent aux discussions spéculatives. Le résultat de ces honteuses menées, où chaque parti se disputait à prix d'argent la conscience des électeurs mise aux enchères, ne fut pas favorable aux prétentions de François Ier. Maximilien acquit la majorité du collège électoral, l'enleva à François Ier moyennant une somme équivalant à plus de 30 millions de francs de notre monnaie, et, le 12 septembre 1518, il était muni de l'engagement, pris par cinq électeurs, d'élire son petit-fils roi des Romains.

François r ne fut pas découragé par cet échec ; et il fit représenter avec force par ses partisans que Maximilien, n'ayant pas été couronné empereur, n'était que roi des Romains, ce qui rendait un nouveau choix inutile, le titre n'étant pas vacant. Maximilien intimidé n'osa point passer outre avant d'avoir reçu lui-même la couronne impériale, qui ne se donnait qu'en Italie. Les négociations qu'il engagea sur cette question d'un tardif couronnement à Trente furent interrompues par sa mort subite et prématurée (le 12 janvier 1519). Cet événement remit tout en question, et parut procurer à François Ier les chances d'une réaction en sa faveur et d'un revirement dans les dispositions des électeurs, mobiles comme leur intérêt. Il ne négligea rien pour profiter d'une occasion décisive, et il employa, pour parvenir à un but auquel il ne tendait, déclarait-il, ni par avarice, ni par cupidité de dominer, ni par ambition, mais en vue de l'intérêt européen et chrétien, les moyens que les mœurs du temps imposaient à quiconque voulait réussir, surtout dans une entreprise de ce genre. Ses instructions pour ses agents auprès des électeurs de l'Empire, en date de la fin de janvier 1519, expriment naïvement et curieusement l'impatience de gloire, la noble ambition et la légitime confiance en lui-même du jeune roi victorieux :

Content de ce qu'il a plu à Dieu de lui donner, le roi très-chrétien, qui n'est mû par aucun motif d'intérêt ni d'ambition, n'aurait point visé à l'Empire qu'il sait lui devoir plus coûter et peser que profiter, s'il n'y avoit pas été invité par ceux qui demandent à être défendus, et si son grand désir d'être utile à la chrétienté ne l'y avoit point décidé. Il est jeune, et à la fleur de son âge, libéral, magnanime, aimant les armes, expérimenté et habile à la guerre, ayant de bons capitaines, un gros royaume, plusieurs pays, terres et seigneuries riches et puissantes où il est aimé et obéi tellement qu'il eu tire ce qu'il veut ; il a un grand nombre d'hommes d'armes qu'il tient continuellement à sa solde, et qui sont aussi vaillants que nuls autres de la chrétienté, beaucoup d'artillerie montée et d'aussi bons canonniers qu'on puisse trouver, des ports et havres en son royaume et dans ses autres pays, tant sur la mer Méditerranée que sur l'Océan, avec navires, galères, carraques, etc., équipés et armés. Il a bonne paix et amitié avec tous ses voisins, en sorte qu'il pourra employer au service de Dieu et de la foi sa personne et tout son avoir, sans que nul ne le détourne et que rien ne l'en empêche...

L'auteur de ces instructions, que le roi avait signées ou approuvées non sans une certaine complaisance, établissait entre François Ier et Charles-Quint un parallèle qui n'était pas à l'avantage de ce dernier. Son portrait peu flatté porte qu'il étoit en bas âge, qu'il n'avoit aucune expérience et aucune pratique de la guerre, où il n'avoit jamais paru encore, qu'il étoit maladif et hors d'état de porter un si lourd fardeau ; qu'il gouvernoit par des serviteurs qui bien souvent s'occupoient plus de leur intérêt que de la chose publique ; que ses royaumes étoient éloignés de l'Allemagne et qu'il lui seroit impossible de la secourir dans ses dangers et de l'aider dans ses affaires ; que les mœurs des Espagnols étoient tout à fait contraires à celles des Allemands, comme on l'avoit vu lorsqu'ils avoient fait la guerre ensemble ; enfin que le roi catholique étoit roi de Naples ; et qu'aucun roi de Naples, par suite même du serment qu'il prêtoit lors de son investiture, ne devoit aspirer à l'Empire ; et que s'il y parvenoit, ce seroit entre lui et le pape un commencement de guerre qui remettroit la division dans la chrétienté, maintenant unie.

Il est certain que la comparaison entre les deux prétendants, l'un déjà célèbre, l'autre inconnu, l'un déjà victorieux, l'autre encore vierge de tout autre combat que ces débats de cabinet où il aguerrissait son esprit plus que son bras, ne tournait pas du premier coup en faveur de Charles contre François pour tout esprit habitué à juger les choses au point de vue de l'idéal chevaleresque. Mais les électeurs étaient surtout des politiques, qui comprenaient une autre force que celle des armes et allaient lui assurer le succès. Les hasards de cette équivoque fortune d'une brigue à coups de ducats parurent d'abord sourire à François Ier. Il avait reconquis à sa cause les électeurs défectionnaires, et le pape Léon X s'était décidé à l'appuyer ouvertement. Les chances du roi de France parurent un moment si près de l'emporter que la gouvernante des Pays-Bas, Marguerite, pour conjurer la défaite prévue, imagina de conseiller à Charles de renoncer à sa candidature et d'en investir son frère l'archiduc Ferdinand, qui semblait plus sympathique aux Allemands. Charles, qui venait de pacifier son royaume espagnol et d'y faire sentir la main d'un maitre, ne détourna pas avec moins d'énergie et d'expérience précoces, le coup qui était porté à ses opiniâtres ambitions. Il interdit nettement à son frère toute candidature et tout voyage en Allemagne, le récompensant de cette obéissance et de cette abnégation par des promesses d'agrandissement et de succession qu'il devait tenir fidèlement. En effet, en 1521, il donna l'Autriche, la Carinthie, la Carniole, la Styrie et même le Tyrol à Ferdinand auquel en 1531 il fit décerner d'avance cette couronne germanique qui n'est pas sortie jusques à nos temps de la famille des Habsbourg.

En même temps, Charles enflammait le zèle de ses agents par des paroles qui ne laissaient aucun doute sur sa détermination d'emporter l'élection pour chose quelconque qu'elle dist couster, étant totalement délibéré à y rien épargner et à y mettre le tout pour le tout comme la chose en ce monde que plus il désiroit et avoit à cœur. François Ier ne demeurait pas en reste d'activité et de sacrifices, ainsi qu'en témoigne sa pittoresque réponse à son ambassadeur rebuté et effrayé par les exigences toujours croissantes du margrave de Brandebourg : Je veux qu'on le soulle de toutes choses. Enfin peu à peu les deux princes se trouvaient entraînés à prévoir, peut-être même à désirer au conflit une solution par les armes, et les préparatifs militaires, précurseurs d'une guerre imminente, se partageaient avec les négociations leurs sollicitudes.

La diète électorale fut convoquée par l'archevêque de Mayence, en sa qualité d'archichancelier de l'Empire, pour le 17 juin 1719. Dès le 8, tous les électeurs étaient arrivés au rendez-vous avec leurs états-majors de cour et leurs escortes de sûreté qui ne parurent pas inutiles, bien que, dans la ville réservée aux élections impériales, aucun prince ni aucun ambassadeur ne pût pénétrer depuis l'ouverture jusqu'à la clôture de l'assemblée.

Mais de telles clauses, en une époque favorables aux excès de la force et de la fraude, n'étaient pas difficiles à éluder. Aussi, dans le dénouement si contraire aux désirs et aux espérances de François Ier l'intimidation s'ajouta à la corruption. Le fameux aventurier Franz de Sickingen, d'abord à la solde de la France, puis brouillé avec elle, parut aux environs de Francfort avec plus de vingt mille hommes de l'armée de la ligue de Souabe, ce dont furent merveilleusement estonnez ceux qui vouloient bien au roy de France et très-fort joyeux ceux qui vouloient bien au roy catholique.

La diète s'ouvrit le 18 juin et ses membres préludèrent à leurs délibérations en invoquant le Saint-Esprit dans une messe solennelle à l'église de Saint-Barthélemy, et en jurant devant l'autel sur l'Évangile que leur liberté était intacte.

Le 28 juin, suffisamment édifiés sur les candidatures ou plutôt lassés des intrigues en sens contraire au milieu desquelles s'agitait leur vénalité, les électeurs, revêtus de leur costume de drap écarlate, se rendirent au son des cloches dans la petite chapelle près du chœur de l'église Saint-Barthélemy qui leur servait de conclave.

Le soir, sur les dix heures, éclata dans Francfort la nouvelle du choix définitif qui avait clos le débat. Les sept électeurs avaient réuni leurs suffrages sur l'archiduc Charles, élu roi des Romains et futur empereur sous le nom de Charles-Quint.

Il payait cet honneur de conditions onéreuses non-seulement pour ses finances, mais pour son pouvoir. Outre la garantie ordinaire des lois, des privilèges et des usages de l'Empire, les électeurs exigèrent qu'il ne pût, sans eux, convoquer aucune diète, établir aucun nouvel impôt, entreprendre aucune guerre, conclure aucun traité, qu'il n'introduisit point en Allemagne de soldats étrangers, qu'il y donnât tous les emplois publics à des Allemands, qu'il se servit dans ses lettres de la langue allemande, et qu'il vint au plus tôt se faire couronner en Allemagne et y résider. Nicolas Ziégler accepta et signa le 3 juillet cette capitulation au nom de Charles-Quint.

C'est le même jour que François Ier apprit à Poissy le résultat de l'élection. Il ne manifesta ni trouble ni dépit ; il permit au contraire à ses conseillers de s'applaudir devant lui de cet heureux échec ; il se félicita même d'avoir échappé à une dignité plus lourde encore que flatteuse. Enfin il écrivit à ses fidèles négociateurs, l'amiral Bonnivet, le président Guillart et Jean d'Albret pour les remercier et les réconforter, les invitant à revenir auprès de lui sans scrupules et sans appréhensions, rendant justice à leurs services, et les consolant d'un insuccès où il n'y avait rien de leur faute.

C'était là sans doute l'expression d'un sentiment sincère ; et cette attitude de François Ier répondait à une appréciation juste de la situation. Il est incontestable que le titre d'empereur l'eût plus gêné que servi, affaibli que fortifié, suscitant la jalousie des souverains, et l'obligeant à détourner, pour contenir des sujets étrangers, une partie des forces et des ressources de la France, déjà engagée outre mesure dans la défense de ses possessions précaires en Italie.

Mais il faut tenir compte dans les affaires humaines des passions des hommes. Si Charles eût échoué en même temps que François Ier, comme il eût pu arriver si celui-ci avait mis assez tôt au service d'une troisième candidature les ressources qu'il prodigua inutilement à la sienne, tout aurait pu peut-être s'arranger. La rivalité entre François Ier et Charles-Quint, aigrie par le succès de ce dernier, tournait fatalement à un conflit dont les occasions étaient multipliées par un voisinage fécond en froissements. Si la sagesse leur commandait de tout faire pour éviter un choc, la prévoyance la plus vulgaire leur imposait le devoir de le prévoir et de s'y préparer.

Ce conflit imminent ne devait pas manquer de causes ni de prétextes.

Du côté des Pays-Bas, sur les flancs desquels, soit au nord, soit au sud-est, François Ier entretenait ou avait remis dans son alliance le belliqueux duc de Gueldre, le politique duc de Lorraine et l'entreprenant Robert de la Marck, souverain de Sedan et de Bouillon, Charles-Quint revendiquait le duché de Bourgogne comme une partie de son héritage paternel, dérobée par Louis XI à la maison dont il descendait. Vers la frontière des Pyrénées, François Ier réclamait la restitution à Henri d'Albret du royaume de Navarre qu'avait envahi, huit années auparavant, Ferdinand le Catholique afin de l'incorporer à la monarchie espagnole, dont il avait ainsi achevé la grandeur. L'arrangement conclu à Noyon en 1516 était resté sans exécution en ce qui touchait le royaume de Naples et le royaume de Navarre. Depuis trois ans Charles n'avait pas payé les 100.000 ducats qu'il devait annuellement à François Ier sur le premier de ces royaumes, et il n'avait rien accordé à Henri d'Albret pour l'usurpation du second[4].

Une conférence avait été assignée au printemps de 1519, à Montpellier, dans le but de régler ces litiges. M. de Chièvres s'y était rendu de Barcelone, Artus de Boisy y était venu de Blois. Charles, plus disposé à engager sa personne qu'à obérer ses finances, fort chargées déjà ou à affaiblir son pouvoir, avait fait proposer quelques satisfactions dont la principale était son illusoire mariage futur avec la princesse Charlotte, fille de France encore au berceau, l'alliée, Louise ayant succombé en bas âge. Mais la question de la restitution de la Navarre fut l'écueil sur lequel devaient forcément échouer les négociations qui furent interrompues par la mort de Boisy (13 mai).

En Italie, l'opposition des intérêts de François et de Charles était encore plus âpre et semblait irréconciliable. Les possessions françaises et espagnoles dans la Péninsule, dont les unes occupaient la partie supérieure, les autres la partie inférieure, se faisaient en quelque sorte face, se gênant et se menaçant réciproquement. Un partage tranquille et une coexistence cordiale n'étaient pas possibles. Il fallait que l'un de ces deux voisins brouillés chassât l'autre.

La situation ainsi posée et envenimée peu à peu promettait un duel acharné. Les deux champions, avant d'en venir aux mains, cherchèrent à s'assurer des seconds, et les négociations les plus actives préludèrent, pendant qu'il en était temps encore, à l'appel à l'épée.

Les deux principaux témoins de la querelle, qu'il s'agissait d'y entraîner comme acteurs, étaient l'orgueilleux et avide Henri VIII, l'inconstant et ambitieux Léon X. Le premier avait toujours un pied-à-terre en France, où il possédait la ville fortifiée de Calais et le comté de Guines. Le second disposait de l'Italie centrale. En sa double qualité de pape et de chef de la maison de Médicis, il régnait sur les États du Saint-Siège, et il dirigeait la république de Florence[5].

Le pape Léon X, en tant que souverain temporel, traitait les affaires temporelles suivant les règles de la politique, qui n'était alors que l'art de faire triompher l'intérêt par la ruse ou par la force. Les avantages accordés à la famille de Médicis, les services rendus à la cour de Rome semblaient assurer son alliance ou tout au moins sa neutralité à François Ier. Et en effet, c'est suivant ces mobiles que le pape s'était conduit jusque-là François Ier avait fortifié ces dispositions par l'appât d'un traité qui promettait à Léon X une partie du royaume de Naples qu'il se proposait d'arracher à Charles-Quint. Mais celui-ci jeta dans la balance des indécisions pontificales le poids d'arguments encore plus décisifs. Il offrit au pape pour prix de son alliance, en lui permettant de ne se prononcer qu'avec ménagement et de ne se porter qu'au secours du plus fort, la restitution des deux villes de Parme et de Plaisance, objet constant de ses regrets et de ses espérances, et il fit même briller à ses yeux la perspective de l'annexion de Ferrare au domaine de l'Église. Léon X ne put résister à la tentation et devint l'allié secret de Charles-Quint, tout en restant l'allié apparent de François Ier, qu'il se réservait d'abandonner en même temps que la fortune.

François Ier, qui perdait ainsi sans le savoir l'alliance de Léon X, conserverait-il mieux l'alliance d'Henri VIII ? Celle-ci était pour lui plus importante encore ; car si l'inimitié du pape était dangereuse en Italie, l'agression du roi d'Angleterre l'aurait exposé à des périls plus grands dans les plaines de la Picardie, pendant que ses troupes combattraient au delà des Alpes. L'une le menaçait d'une dépossession en pays étranger, l'autre d'une invasion en France. Aussi mit-il tout en œuvre pour maintenir dans son amitié le monarque anglais, qu'on captait en le flattant, qu'on pouvait acquérir en le payant, et dont l'inconstance intéressée égalait la mobilité politique de Léon X[6].

Henri VIII devait être plus sensible à ces avances que fidèle aux promesses qu'elles lui arrachèrent. Un lien traditionnel en quelque sorte l'attachait à la maison de Bourgogne, qui avait appuyé constamment les prétentions des rois d'Angleterre sur les provinces occidentales de France. Ces prétentions faisaient partie de l'héritage d'Henri VIII, et une occasion favorable ne devait pas le trouver indifférent. Par son mariage avec Catherine d'Aragon, il était l'oncle de Charles-Quint. Il avait fait la guerre à Louis XII, et avait cherché à la faire à François Ier. La victoire de Marignan l'avait rempli de jalousie ; il n'avait pas vu sans humeur là compétition de François Ier à l'Empire et avait tardivement songé à lui opposer sa propre brigue.

François Ier ne pouvait se faire illusion sur les ambitions politiques et les griefs personnels qui pouvaient à un moment donné lui mettre sur les bras un ami si douteux. Aussi n'avait-il rien négligé pour acquérir l'alliance d'Henri VIII en flattant son orgueil par ses caresses, en rassasiant sa cupidité et celle de son principal ministre Wolsey par des subsides et des pensions. Il en était de même de Charles-Quint, qui, plus prodigue de promesses que d'effets, flattait l'ambition du roi d'Angleterre de son appui dans la revendication de la Guienne et de la Normandie, et amusait celle du cardinal Wolsey de l'espoir de la tiare.

Après l'élection, les deux rivaux en Allemagne, près d'en venir aux mains en Italie, vers les Pyrénées, sur les confins des Pays-Bas, se disputèrent de plus en plus l'assistance du roi d'Angleterre[7].

Tous deux recherchèrent avec une émulation flatteuse une entrevue avec Henri VIII. Elle était stipulée par le traité de Londres, qui en fixait le rendez-vous sur le territoire qui séparait les possessions des deux rois, entre Ardres et Calais. François affectait de dire que c'était la clause du traité à laquelle il tenait le plus ; et il avait affiché son impatience d'embrasser son ami, en faisant le vœu de ne couper sa barbe que lorsqu'elle serait satisfaite. Henri VIII avait répondu à cet empressement par un vœu identique auquel il ne fut pas fidèle ; car il fit un jour brusquement couper sa barbe. Cette impertinence ne laissa pas d'inquiéter notre ambassadeur et d'effaroucher les susceptibilités de la cour de France. Il y eut à ce sujet échange de notes diplomatiques. L'ambassadeur d'Henri VIII mit fin à l'incident en déclarant au nom de son maitre que la bonne affection était dans le cœur et non dans la barbe. Mais il fut impossible d'éluder plus longtemps sans discourtoisie la promesse de l'entrevue qui fut fixée au commencement de juin 1520.

Charles-Quint voulut renchérir encore sur l'empressement manifesté par François Ier, et le devancer. Pressé par les princes allemands d'aller prendre possession de l'Empire en se faisant couronner à Aix-la-Chapelle, il trouva le temps de faire à son oncle, en Angleterre même, une visite, où la politique profitait du voile de l'affection. Laissant l'Espagne à demi révoltée — et où de Tolède la sédition, qui avait trouvé un chef dans don Juan de Padilla, se propageait rapidement — au gouvernement du cardinal de Tortose, Adrien d'Utrecht, son ancien précepteur, Charles-Quint, ajournant l'heure du châtiment et de la vengeance, mit à la voile le 20 mai. Suivi de Chièvres, qui fuyait volontiers un pays où il était détesté, il aborda à Sandwich où il trouva le cardinal Wolsey, venu pour le recevoir. Henri VIII alla à sa rencontre jusqu'à Douvres. Là les deux monarques passèrent cinq jours ensemble, et abordèrent dans des entretiens intimes toutes les éventualités de l'avenir. Charles-Quint laissa Henri VIII prêt à tout faire pour lui, à la condition d'être secondé dans tout ce qu'il entreprendrait de son côté contre François Ier, et le cardinal Wolsey ; que dévorait l'ambition du souverain pontificat, lui fut acquis par cette ambition même dont Charles n'avait pas manqué d'irriter l'aiguillon.

Le jour même où il se sépara de Charles-Quint, Henri VIII s'embarqua pour aller voir François Ier. Il arriva à Calais le 1er juin, accompagné de la reine Catherine sa femme, suivi de son premier ministre Wolsey, escorté des grands officiers de sa couronne et des principaux prélats de son royaume, et conduisant avec lui ce que l'Angleterre avait de plus noble et de plus opulent. Il portait sur sa flotte tout un vaste palais en bois et en verre qui, ajusté et déployé hors du château de Guines, fut intérieurement recouvert en étoffes de velours et de soie ou orné avec les belles tapisseries d'Arras. Enfermé pendant la nuit dans le fort château de Guines, Henri VIII devait pendant le jour habiter cet élégant palais pour y recevoir et y fêter la cour de France[8].

On comprend bien que dans cette entrevue décisive, qui n'était au fond qu'une sorte de duel courtois, François Ier n'était pas homme à se laisser vaincre, soit en magnificence royale, soit en procédés chevaleresques. Il avait résolu de conquérir Henri VIII et se flattait d'y réussir, comptant beaucoup, avec raison, sur le prestige et le charme personnel qu'on lui reconnaissait. Prêt à déployer toutes les ressources d'un esprit admirablement doué pour cette œuvre de séduction, il s'était entouré de tous les moyens de la favoriser, et avait fait appel à ses plus intimes et à ses meilleurs auxiliaires. Il n'est que juste de placer en tête, par le double droit du rang et des services, sa mère Louise de Savoie (si habile quand elle n'était point passionnée) et la duchesse d'Alençon, ingénieuse, subtile et bien digne de représenter dans cette trinité, suivant le nom que les contemporains donnaient à l'union intime de la mère, de la sœur et du fils, la grâce la plus exquise, la plus irrésistible entre la ruse et la force.

Le roi de France était donc venu au château d'Ardres accompagné de sa famille et de sa cour. La pieuse reine Claude avait dû sortir, pour faire les honneurs de son hospitalité à Catherine d'Aragon, de l'ombre modeste où elle se plaisait. Quant à l'élite des princes, des seigneurs, des capitaines, des diplomates, des prélats, pas un n'avait manqué à l'appel du souverain. Le cortège du roi, aux occasions solennelles, ne comptait pas moins de quatre cardinaux et d'une douzaine de princes, parmi lesquels figuraient le connétable de Bourbon, impatient du premier rang, et le duc d'Alençon, qui eût volontiers préféré le second. Le chancelier du Prat, l'amiral Bonnivet se distinguaient par le luxe imposant qui leur était habituel, au milieu d'une foule de gentilshommes qui, considérant plus l'honneur que le profit et leur désir de paraître que leurs moyens, avaient vendu leurs forêts, leurs moulins, leurs prés et les portoient, dit Martin du Bellay, témoin oculaire, sur leurs épaules.

Nous empruntons quelques détails sur cette fastueuse réunion, où les Anglais ne luttèrent économiquement contre les Français qu'à armes très-inégales, aux Mémoires de du Bellay et de Fleuranges, qui y assistait aussi.

Si les Anglais ne se piquaient pas de la magnificence et de l'élégance françaises, ils prétendaient du moins ne rien perdre du côté du nombre. Nous possédons le curieux état de la suite d'Henri VIII. Au premier rang figure le cardinal d'York (Wolsey), légat marchant escorté de 300 serviteurs, parmi lesquels 12 chapelains et 50 gentilshommes ; son équipage se compose en outre de 150 chevaux. Après le cardinal, un archevêque, avec 70 serviteurs et 30 chevaux ; 2 ducs, suivis chacun de 100 serviteurs et de 30 chevaux ; 10 comtes, 5 évêques, 20 barons, 4 chevaliers de Saint-George, 70 chevaliers et plusieurs conseillers de robe longue avec un attirail de serviteurs et de chevaux proportionné à la qualité de chacun. Telle était la maison du roi, formant un ensemble de 3,997 personnes, avec 2,087 chevaux. Quant à la maison de la reine, elle était composée comme il suit : une duchesse avec 4 femmes, 6 serviteurs et 22 chevaux ; 10 comtesses et leur train, 12 baronnes, 20 femmes de chambre, 14 demoiselles, 3 évêques, 1 comte, 4 barons, 30 chevaliers et un certain nombre de valets ; total pour la maison de la reine : 1.175 personnes et 778 chevaux[9].

Si nous voulons avoir une idée de l'architecture et de la décoration de l'annexe portative préparée par ordre d'Henri VIII pour suppléer à l'insuffisance du château de Guines, en voici la fruste description :

Le roy d'Angleterre festoya le Roy, près de Guines, en un logis de bois où y avoit quatre corps de maison qu'il avoit faict charpenter en Angleterre, et amener par mer tout faict ; et estoit couvert de toile peincte en forme de pierro de taille, puis tendu par dedans des plus riches tapisseries qui se peurent trouver, en sorte qu'on ne l'eust peu juger autre sinon un des beaux bastiments du monde ; et estoit le dessin pris sur la maison des marchands (l'hôtel-de-ville) de Calais... Et estoit ladicte maison trop plus belle que celle des François et de peu de constance, et estant après désassemblée, fut renvoyée en Angleterre sans y perdre que le voiturage. Elle estoit assise aux portes de Guines, assez proche du chasteau, et estoit de merveilleuse grandeur en carrure, et estoit ladicte maison toute de bois, de toile et de verre ; et estoit la plus belle verrine que jamois l'on vist, car la moitié de la maison estoit toute de verrine ; et vous asseure qu'il y faisoit bien clair. Et y avoit quatre corps de maison, dont au moindre vous eussiez logé un prince ; et estoit la cour de bonne grandeur ; et au milieu de ladicte cour, et devant la porte, y avoit deux belles fontaines qui jectoient par trois tuyaux, l'un ypocras, l'autre vin et l'autre eaue ; et la chapelle. de merveilleuse grandeur, et bien étoffée tant de reliques, que touts aultres parements ; et vous asseure que si tout cela estoit bien fourni, aussi estoient les caves ; car les maisons des deux princes, durant le voyage, ne feurent fermées à personne...

Le roi de France avait ordonné son établissement sur un plan encore plus pittoresque. Outre le palais construit dans la ville d'Ardres, et qui ne le cédait en rien en magnificence au palais de bois anglais, tout en l'emportant par le goût avec lequel il avait été décoré, François avait fait bâtir, hors de la ville, un superbe logis en bois à trois étages, sur fondements en pierre, clans la forme des cirques romains. Non loin de ce cirque, aux gradins en amphithéâtre, destiné aux joutes et aux luttes, la cour et la suite du roi s'étaient installées dans une sorte de camp, couvrant la plaine qui s'étend entre Ardres et Guines, de ses tentes tendues et revêtues de drap d'or frisé ou de drap d'or ras, d'où le surnom donné à tout l'établissement français de Camp du drap d'or. Au milieu de ces tentes s'élevait celle de François lui-même. C'était un pavillon de soixante pieds carrés, flanqué, aux quatre coins, de quatre autres pavillons plus petits, mais tous, comme le pavillon central, tendus à l'intérieur de velours bleu semé de fleurs de lis d'or, et couverts à l'extérieur de drap d'or frisé. Une statue de saint Michel en bois doré surmontait le faite de ce féerique mais fragile édifice dont un jour le vent rompit les cordages de soie et d'or et ensevelit dans les vagues de sable, comme les voiles et les agrès d'un navire naufragé, la brillante carcasse et les précieux revêtements.

Pendant huit jours, les deux princes se tinrent à l'écart, laissant leurs conseillers discuter et libeller le traité auquel leur entrevue allait servir de gage et qu'ils allaient consacrer par une fraternelle accolade. Le cardinal d'York et le duc de Norfolk d'un côté, le chancelier du Prat et l'amiral Boknivet de l'autre, ayant parachevé leur œuvre diplomatique, cet heureux accord donna le signal des manifestations personnelles et des fêtes publiques. Tout d'abord la roideur britannique et la cordialité française, mises en présence, éprouvèrent un certain embarras. La première entrevue, avec ses minutieuses étiquettes et son reste de précautions méfiantes, fui, en dehors de l'embrassement officiel, quelque peu cérémonieuse et froide ; mais François Ier, avec sa chaleur communicative, ses élans chevaleresques et ses joviales saillies, triompha des dernières rigueurs et fondit toute glace.

Le jour de la Fête-Dieu de l'an 1520 eut lieu la première et solennelle rencontre des deux rois, suivant le protocole arrêté des deux parts non sans difficultés.

La chose entreprise et conclue, feut arrestée la veue des deux princes à ung jour nommé qui feut ung dimanche et pour ce que le comté d'Ardres n'a pas grande estendue du costé de Ghines, et qu'il falloit que les deux princes feissent autant de chemin l'un que l'aultre pour se veoir ensemble, et pouice que c'estoit sur le pays du roy d'Angleterre, feut ordonné de tendre une belle grande tente au lieu où ladicte veue se faisoit ; ce faict, regardèrent lesdicts princes quelles gens ils méneroient avecques eulx et s'accorderent de mener chascun deux hommes. Et mena le roy de France avecque luy, monsieur de Bourbon et monsieur l'admirai Bonnivet, et le roy d'Angleterre avoit le duc de Suffolk qui avoit espousé sa sœur (veuve de Louis XII) et le duc de Norfolk.

Et estoit ledict camp tout environné de barrieres bien ung ject de boule esloigné de la tente, et avoit chascun quatre cents hommes de leur garde. Et quand ce vint à l'approche, lesdictes gardes demeurèrent aux barrieres, et les deux princes passèrent oultre avecques les deux personnages, ainsi que dict est devant, et se vindrent embrasser tout à cheval, et se feirent merveilleusement bon visage ; et broncha le cheval du roy d'Angleterre en embrassant le roy de France. Et entrèrent dedans le pavillon tout à pied et se recommencèrent de rechef à embrasser et faire plus grande chiere que jamais ; et quand le roy d'Angleterre feut assis, print lui-mesme les articles et commença à les lire, et quand il eut leu ceulx du roy de France qui doibt aller le premier, il commença à parler de luy, et y avoit : Je, Henry roy... il vouloit dire de France et d'Angleterre ; mais il laissa le tiltre de France et dict au roy : Je ne le mettray point, puisque vous estes icy, car je mentirois, et dict : Je Henry, roy d'Angleterre. Et estoient lesdicts articles fort bien faicts et bien escripts, s'ils eussent esté bien tenus.

Ce faict, lesdicts princes se partirent merveilleusement bien contens l'ung de l'aultre et en bon ordre comme ils estoient venus s'en retournèrent, le roy de France à Ardres et le roy d'Angleterre à Ghines...[10]

Cette entrevue est un fait historique trop important pour que nous nous bornions- au récit du chroniqueur contemporain. Ce n'est là en effet qu'une ébauche naïve et grossière, qui ne donne que l'impression des, visages et non celle des caractères. Si on veut avoir le tableau achevé, il faut le demander à l'historien et à l'écrivain qui a signé les belles pages suivantes :

Le mercredi 7 juin, les rois de France et d'Angleterre, montés sur de grands coursiers, vêtus le premier de drap d'or, le second de drap d'argent, parsemés de perles, de diamants, de rubis et d'émeraudes, la tête couverte d'une toque de velours resplendissante de pierreries et que relevaient en flottant de magnifiques plumes blanches, se mirent en route à la même heure et du même pas. Leurs connétables les précédaient, l'épée nue à la main, et les seigneurs de leur cour, dans de somptueux costumes, leur servaient de cortège. Chacun d'eux était suivi de quatre cents archers ou hommes d'armes composant sa garde. Ils descendirent ainsi les deux coteaux qui, par une pente insensible, conduisaient dans l'agréable plaine du Valdoré, où avait été dressé un pavillon pour les recevoir. Ils ressemblaient à deux chevaliers marchant au combat plutôt qu'à deux princes allant à une entrevue politique. Leur escorte ne dépassa point une certaine distance où elle fit halte et d'où elle put veiller de loin sur eux... Un peu avant de se joindre, Henri et François piquèrent leurs coursiers qu'ils arrêtèrent avec la sûreté et la grâce de deux des plus habiles cavaliers du monde, lorsqu'ils se trouvèrent côte à côte. Portant alors l'un et l'autre la main à leur toque, ils se saluèrent noblement et s'embrassèrent sans descendre de cheval ; puis, ayant mis pied à terre, ils se rendirent, en se tenant par le bras, sous le pavillon préparé pour leur entrevue. Ils y entrèrent en même temps. Le cardinal Wolsey et l'amiral Bonnivet, qui, depuis la mort de son frère, le grand maitre Artus de Boisy, avait la faveur de François Ier et la conduite de ses affaires, les y avaient précédés.

François Ier exprima tout d'abord à Henri VIII son cordial empressement, et, cédant à la pensée qui ne le quittait pas, il lui offrit son assistance avec l'espoir d'obtenir la sienne. Cher frère et cousin, lui dit-il, j'ai mis peine à vous voir. Vous me jugez, j'espère, tel que je suis, et prêt à vous faire aide avec les royaumes et les seigneuries qui sont sous mon pouvoir. Henri VIII, éludant de s'engager, se dispensa de secourir François Ier en n'acceptant pas d'être, au besoin, secouru lui-même. Il se borna à lui donner l'assurance de son amitié, qu'il rendit encore conditionnelle. Je n'ai en vue, lui répondit Henri VIII, ni vos royaumes ni vos seigneuries, mais la loyale et constante exécution des promesses comprises dans les traités conclus entre nous. Si vous les observez, jamais mes yeux n'auront vu prince qui ait plus l'affection de mon cœur. Ils examinèrent alors le traité qui avait été arrêté la veille, et par lequel, conformément à la convention du 4 octobre 1518, le dauphin de France devait épouser la fille unique du roi d'Angleterre, et François Irr devait payer annuellement, aux deux termes de novembre et de mai, la somme de 100.000 francs, équivalant à plus de 2.000.000 de francs de notre monnaie, jusqu'à la célébration, encore très-éloignée, du mariage. En lisant le préambule du traité, dans lequel, selon l'étiquette diplomatique, le titre de roi de France était ajouté à celui de roi d'Angleterre et d'Irlande, Henri VIII dit avec une délicatesse spirituelle : Je l'omettrai puisque vous êtes ici, car je mentirais ; mais, s'il l'omit dans la lecture, il le laissa dans le traité, et un peu plus tard il eut l'ambition de le rendre réel, en envahissant la France et en voulant y régner. Après avoir conféré quelque temps et, suivant l'usage d'alors, pris leur vin ensemble, les deux monarques admirent auprès d'eux les seigneurs de leur cour qu'ils se présentèrent mutuellement, et qui furent embrassés, ceux de France par le roi d'Angleterre, et ceux d'Angleterre par le roi de France[11].

Cette première entrevue devait en engendrer d'autres. C'était le désir des deux cours, qui n'avaient pas fait tant de frais pour rien. C'était aussi le désir des deux rois, surtout de François Ier, qui se flattait de conquérir l'amitié un peu récalcitrante d'un prince orgueilleux et cupide par des procédés généreux et courtois. Il se prêta de la meilleure grâce à tous les arrangements qui lui furent suggérés par le cardinal Wolsey, au nom de son maitre, pour régler les rapports futurs des deux cours, tant au point de vue de l'étiquette qu'à celui de la sécurité. Il fut convenu que les roynes festoyeroient les roys, ét les roys les roynes ; et quand le roy d'Angleterre viendroit à Ardres veoir la royne de France, que le roy de France partiroit quant et quant aussitost pour aller à Ghines venir la royne d'Angleterre, et par ainsi ils estoient chascun en ostage l'ung pour l'aultre.

François Ier n'était pas homme à supporter longtemps la contrainte de ces règles inspirées par une méfiance qui répugnait à son caractère expansif et loyal. Il imagina un piquant moyen de se débarrasser de ces précautions qui excluaient l'intimité, de ces exigences qui annonçaient la jalousie. En même temps il rappelait délicatement le roi d'Angleterre au retour à ces usages et à ces formes de la chevalerie un peu trop négligés jusque-là. Écoutons le récit naïf du chroniqueur contemporain :

Le roy de France, qui n'estoit pas homme souspeçonneux, estoit fort marry de quoy on se fioit si peu en la foi l'ung de l'aultre. Il se leva ung jour bien matin, qui n'est pas sa coustume, et print deux gentilshommes et un page, les premiers qu'il trouva, et monta à cheval sans estre botté, avecques une cappe à l'espaignolle et veint devers lé roy d'Angleterre, au chasteau de Ghines. Et quand il feut sur le pont du chasteau, tous les Anglais s'esmerveillèrent fort, et ne sçavoient qu'il leur estoit advenu ; et avoit bien deux cents archers sur le dict pont, et estoit le gouverneur de Ghines avecques les archers, lequel feut bien estonné. Et en passant parmy euh le roy leur demanda la foy et qu'ils se rendissent à luy, et leur demanda la chambre du roy son frere, laquelle luy feut enseignée par le dict gouverneur de Ghines, qui luy dict : Sire, il n'est pas esveillé. Il passe tout oultre et va jusques à la dicte chambre, heurte à la porte, l'esveille et entre dedans. Et ne feut jamais homme plus esbahy que le roy d'Angleterre, et lui dict : Mon frere, vous m'avez faict meilleur tour que jamais homme ne feit à aultre, et me monstrez la grande fiance que je doibs avoir en vous ; et de moy je me rens vostre prisonnier dez cette heure, et vous baille ma foy.

Et deffeit de son col ung collier qui valloit quinze mille angelots[12] et pria au roy de France qu'il le voullust prendre et porter ce jour-là pour l'amour de son prisonnier. Et soubdain le roy, qui luy voulloit faire mesme tour, avoit apporté avecques luy ung bracelet qui valloit plus de trente mille angelots, et le pria qu'il le portast pour l'amour de luy, laquelle chose il feit et le luy mist au bras, et le roy de France print le sien à son col.

Et adonc le roy d'Angleterre voullut se lever, et le roy de France luy dict qu'il n'auroit point d'aultre valet de chambre que luy, et luy chauffa sa chemire, et luy bailla quand il feut levé. Le roy de France s'en voullut retourner, nonobstant que le roy d'Angleterre le voullust retenir à disner avecques luy ; mais pour ce qu'il falloit jouster après disner, s'en voullut aller et monta à cheval, et s'en revint à Ardres...

Cette royale escapade n'avait pas laissé d'inquiéter les conseillers de François Ier et ses serviteurs. Les mœurs du temps étaient empreintes d'une telle duplicité, d'une telle férocité, qu'on prenait, comme on l'a vu, entre souverains, les précautions les plus ombrageuses. Cela tenait à ce que, depuis Louis XI surtout, beaucoup de politiques pensaient que la fin justifie tous les moyens, et que c'est grande témérité à un prince d'en aller voir un autre sans être bien accompagné, et de se mettre à sa discrétion. La tentation peut être si forte, pour un homme sûr de l'impunité ! un accident est si vite arrivé ! le hasard est si grand ! Bref on n'était pas sans inquiétude au camp des Français, ce qui fait l'éloge de leur affection pour leur prince, mais ne fait pas l'éloge d'un temps où une visite de roi à roi pouvait inspirer de telles appréhensions.

Le roy rencontra beaucoup de gens de bien qui venoient au devant de luy, et entre autres l'Adventureux[13], qui luy dict : Mon maistre, vous estes ung fol d'avoir faict ce que vous avez faict ; et suis bien aise de vous reveoir icy et donne au diable celui qui vous l'a conseillé. Sur quoy le roy lui feit response et luy dict que jamais homme ne luy avoit conseillé et qu'il sçavoit bien qu'il n'y avoit personne en son royaulme qui luy eust voullu conseiller, et lors commença à compter ce qu'il avoit faict au dict Ghines, et s'en retourna ainsi en parlant, jusqu'à Ardres, car il avoit pas Loing. Si le roy d'Angleterre estoit bien aise du bon tour que le roy de France lui fist, encore en estoient plus aises les Anglois, car ils n'eussent jamais pensé qu'il se feust voullu mettre entre leurs mains le plus foible, et pour ce qu'il y avoit eu grosse difficulté pour leur veue, afin qu'ils ne [eussent point plus forts l'ung que l'aultre.

Le roi d'Angleterre rendit dès le lendemain matin au roi de France, mais sans le mérite de la spontanéité et le charme de l'imprévu, sa cordiale visite de la veille. Ce fut là le signal des fêtes et des joutes, qui durèrent huict jours, et feurent merveilleusement belles, à pied comme à cheval. Ici encore se place un épisode caractéristique :

Après les joutes, les lutteurs de France et d'Angleterre venoient avant et luttoient devant les roys et devant les dames, qui feut beau passetemps. Et y avoit de puissans lutteurs, et parce que le roy de France n'avoit faict venir de lutteurs de Bretaigne en gaignèrent les Anglois le prix. Après, allèrent tirer à l'arc, et le roy d'Angleterre lui-même, qui est ung merveilleux bon archer et fort, et le faisoit bon veoir. Après tous ces passetemps faicts, se retirèrent en ung pavillon le roy de France et le roy d'Angleterre où ils beurent ensemble. Cela faict, le roy d'Angleterre prist le roy de France par le collet et luy dict : Mon frère, je veulx lutter avecques vous. Et luy donna une attrape ou deux. Et le roy de France, qui est un fort bon lutteur, luy donna un tour, et le jetta par terre, et luy donna un merveilleux sault. Et voulloit encore le roy d'Angleterre relutter, mais tout cela feut rompu, et fallut aller soupper.

Après vingt-cinq jours passés ensemble au milieu des fêtes et des plaisirs, les deux rois songèrent à se séparer. Ils ne le firent qu'après une messe solennelle, à laquelle assistèrent les deux cours et où les deux rois communièrent ensemble, pendant que leurs hérauts proclamaient, au son des trompettes, paix éternelle entre les deux couronnes.

Cette éternité ne devait pas durer longtemps. L'entrevue du camp du Drap d'or n'avait resserré qu'en apparence des liens que dénouaient sourdement tant de causes secrètes d'antagonisme. La politique séparait fatalement les deux princes, et en se rapprochant sous prétexte de se mieux aimer, ils n'avaient fait en réalité que se mieux connaître. La magnificence française avait plus offusqué qu'ébloui la parcimonie anglaise. Plus d'un épisode de ces fêtes fastueuses et stériles où François Ier prodiguait à l'espoir de la paix un argent qui allait lui faire défaut et qu'il devait regretter pendant la guerre, avait été de mauvais augure.aux yeux des observateurs. A la première rencontre entre les deux rois, le cheval du roi d'Angleterre avait bronché au moment où il donnait à son frère une accolade plus cérémonieuse qu'affectueuse. Les tentes brillantes mais fragiles du camp français n'avaient pas résisté à une tempête qui avait épargné le massif édifice de bois, à pièces rapportées, que les Anglais avaient soigneusement débarqué, puis rembarqué ! Enfin, si les deux rois ne s'étaient pas mesurés, la lance ou l'épée courtoise à la main, dans les tournois où une sage réserve les avait empêchés d'être adversaires, ils avaient lutté ensemble ; et Henri VIII avait gardé sur le cœur le malin et décisif croc-en-jambe de François Ier.

Tous ces fâcheux présages prirent encore plus de consistance lorsqu'on apprit qu'en quittant François Ier, Henri VIII était allé à Gravelines, où l'attendait Charles-Quint, qui l'avait reconduit jusqu'à Calais. Ce que s'étaient dit les deux princes dans ces entretiens sévères où ni l'un ni l'autre n'avaient daigné s'entourer du luxe inutile et du frivole apparat de l'entrevue française, nul ne le savait ; mais on soupçonnait Henri VIII de s'y être ménagé, dans la rupture imminente entre les deux rivaux de Francfort, le rôle commode et lucratif d'une neutralité attentive et d'une médiation opportune. Ce rôle lui permettait de ne pas s'engager à fond, et de choisir le moment propice pour se déclarer arbitre impérieux.

Il ne s'en tint pas à cette conduite intéressée, à ces mystérieux calculs. Non content d'avoir donné, par son entrevue avec l'Empereur et le secret menaçant de leur entente, une juste cause d'ombrage à François Ier, Henri VIII, sondé par lui sur ses intentions, éluda la question en détournant contre Charles-Quint les susceptibilités qu'il avait provoques. Trahissant sans vergogne les desseins de l'Empereur pour mieux garder les siens, il ne dissimula point, avec cette fausse franchise qui est parfois la pire des perfidies, que Charles avait insisté vivement auprès de lui pour l'amener à rompre le mariage de la princesse Marie avec le Dauphin, en proposant de l'épouser lui-même, et n'avait rien négligé pour lui faire prendre parti dans une lutte inévitable. Henri se vantait d'avoir triomphé de ces obsessions ; mais le fait seul des propositions qu'il avouait était une injure que François let ressentit profondément et qui, en ajoutant à ses griefs, précipita le conflit.

A la guerre, celui qui frappe le premier coup est souvent assuré de frapper à la fois le plus fort et le plus juste. Les circonstances servaient en cela François Ier et se présentaient à lui avec le visage favorable de l'occasion. Charles-Quint était en ce moment en même temps aux prises avec les difficultés de sa souveraineté allemande et celles de sa souveraineté espagnole. Après avoir négocié avec Henri VIII, il s'était fait couronner Empereur à Aix-la-Chapelle ; de là il s'était rendu dans la ville de Worms, où était convoquée une diète. Faisant servir aux intérêts de sa politique le premier acte de son autorité, Charles-Quint allait y donner au pape Léon X, pour l'entretenir dans son parti par nécessité et par reconnaissance, le gage de la condamnation solennelle et de la proscription de Luther, le dangereux novateur. En Espagne il avait à lutter, en son absence, ce qui compliquait encore le péril, contre l'insurrection des Comuneros, sorte de révolution municipale et populaire qui, à la faveur du mécontentement universel contre les étrangers, avait gagné comme une traînée de poudre de Tolède Ségovie, de Ségovie Madrid, et de place en place menaçait son autorité jusque dans Valladolid, siège de son gouvernement.

Le moment était donc bon pour François Ier. S'il ne trouvait pas son adversaire désarmé, il le trouvait très-affaibli. Le roi de France se hâta donc de l'attaquer ; mais, avec une prudence égale à son ardeur, il s'y prit de manière à frapper indirectement et à rejeter au besoin sur d'autres la responsabilité de l'offensive. Il appela à Romorantin, maison de plaisance de la duchesse d'Angoulême. sa mère, où il tenait souvent sa cour, Robert de la Marck, seigneur de Sedan et de Bouillon, qui possédait de fortes places sur la frontière des Pays-Bas et y commandait une petite armée ; le duc de Lunebourg, gendre de son allié le duc de Gueldre, chef des bandes noires des lansquenets ; André de Foix, seigneur de Lesparre et parent des d'Albret, qui pouvait lever une troupe de Gascons au pied des Pyrénées. Il les renvoya après avoir concerté avec eux une attaque sur les flancs des Pays-Bas et une invasion de la Navarre, dont le recouvrement ne pouvait, en ce moment, être empêché par personne[14].

La guerre commença au printemps de 1521. Robert de la Marck, grand seigneur aventureux que l'ambition et l'intérêt avaient fait passer tour à tour du service de François

à celui de Charles-Quint, puis revenir au premier, osa envoyer défier l'Empereur au milieu même de la diète de Worms ; puis, avec des troupes secrètement renforcées de Suisses de la garde du roi de France et de gendarmes de ses compagnies d'ordonnance, il envahit la province de Luxembourg et assiégea Vireton.

En même temps le seigneur de Lesparre franchissait les Pyrénées et se présentait en Navarre à la tête de huit mille bons soldats de Gascogne et d'environ trois cents lances françaises (la lance valait un quart d'escadron), Le duc de Nojera, gouverneur de Navarre, fut pris au dépourvu, ayant affaibli ses garnisons pour fortifier l'armée des Caballeros près d'en venir aux mains avec l'armée des Comuneros.

Charles-Quint, en cette fâcheuse occurrence, fit preuve d'un sang-froid que rien ne pouvait troubler, d'une habileté que les obstacles semblaient accroître. Il paralysa l'effort séditieux des Comuneros en donnant satisfaction, spontanément, à la plupart des griefs qui les avaient soulevés. Il associa aux pouvoirs de son régent Adrien le connétable de Castille, don Inigo de Velasco, et l'amiral don Fadrique Henriquez, ralliant ainsi au maintien de son autorité les grands seigneurs dissidents et les chargeant eux-mêmes de la répression. Elle fut prompte et impitoyable. La bataille décisive de Villalar (21 avril) étouffa dans le sang l'insurrection, dont le supplice de ses chefs faits prisonniers, et surtout de don Juan de Padilla, le principal, acheva la déroute.

Pour la prévenir, Lesparre arriva sur la frontière d'Espagne et s'avança vers Pampelune, qui se souleva à son approche. Il y entra le lundi 20 mai, second jour de la Pentecôte, aux acclamations des habitants. La citadelle, après une vigoureuse résistance, dut capituler.

Parmi ses défenseurs se trouvait un gentilhomme guipuscoan, Ignace de Loyola. Blessé par un éclat de pierre aux deux jambes, dont l'une fut brisée, l'autre estropiée, Ignace fut relevé agonisant dans les fossés. C'est durant l'inaction méditative d'une longue convalescence que le mourant, rappelé à la vie, résolut de la consacrer à celui auquel il la devait. Tombé soldat de Charles-Quint, Ignace se releva soldat de Dieu. C'est alors qu'il combina dans son cerveau exalté par la fièvre de la grâce, les statuts de cet ordre religieux militant qui devait bientôt marquer sa place dans l'histoire du monde, grâce à ce levier nouveau de l'abdication individuelle et de l'obéissance passive, dont, durant sa carrière militaire, son fondateur, frappé des avantages de l'unité du but et de la discipline, avait pu mesurer là puissance.

André de Foix, reçu à Estella comme un libérateur, avait en quinze jours reconquis la Navarre, qu'il détacha de nouveau de l'Espagne et rendit à Henri d'Albret, son légitime seigneur.

Malheureusement, le difficile n'était pas de reprendre la Navarre, mais de la garder. Or, Charles-Quint tenait d'autant plus à cette possession, qu'elle était plus récente et plus précaire. Bien loin de se laisser déconcerter par l'agression directe du roi de France, car il ne se méprit point sur le concours secret qui avait poussé Robert de la Marck et Henri d'Albret à affronter les hasards d'une lutte si inégale, il affecta de s'en réjouir, préférant un ennemi découvert à un ennemi dissimulé, et un mal certain à un mal possible. D'ailleurs l'offensive prise contre lui servait ses desseins en mettant le tort de la provocation d'un autre côté que le sien : Dieu soit loué, s'écria-t-il, de ce que ce n'est pas moi qui commence la guerre, et de ce que le roi de France veut me faire plus grand que je ne suis ! Car en peu de temps, ou je serai un bien pauvre empereur, ou il sera un pauvre roi de France ! Et dénonçant d'un côté à François Ier la rupture des traités conclus avec lui, de l'autre, il invitait Henri VIII à se réunir à lui contre l'infracteur de la paix.

Henri VIII, pris trop à l'improviste pour faire la guerre, intervint du moins auprès de François Ier, pour en obtenir qu'il cessât les hostilités et remit à la raison de compromettants amis. François Ier, en effet, imposa à Robert le la Marck l'évacuation du Luxembourg. Mais cette condescendance ne le préserva pas des conséquences de sa témérité. Le comte de Nassau et Frank de Sickingen occupèrent et saccagèrent toute la seigneurie de Robert de la Marck, sauf les places de Jamets et de Sedan. Ils franchirent même la frontière française, où ils s'emparèrent de Monzon, tandis que d'autres bandes flamandes prenaient Saint-Amand et Mortagne, détruisaient Ardres, et que le seigneur de Fienne, gouverneur de Flandre, venait mettre le siège devant Tournay, récemment rendu à la France.

André de Foix ne fut pas plus heureux que Robert de la Marck, payant d'une spoliation presque complète la facile et passagère conquête du Luxembourg. Au lieu de concentrer tous ses efforts dans la conservation de la Navarre, le frère de Lescun et de Lautrec, aussi brave, mais aussi malhabile qu'eux, lit le premier expier en Navarre à François r, cette faveur obstinée de la famille de la comtesse de Chateaubriand, qui allait lui coûter si cher en Italie. Lesparre, non content de commettre la faute de licencier une partie de son armée, y ajouta celle d'intervenir tardivement, avec le reste, dans la lutte entre les Comuneros vaincus et les Caballeros victorieux. Il fut complètement battu à la journée d'Ezquiros (30 juin 1521). Blessé et fait prisonnier, il perdit la Navarre aussi rapidement qu'il l'avait conquise. Cette fois elle fut réunie à l'Espagne pour toujours[15].

François Ier, averti du danger par la leçon d'un double échec, prit ses mesures pour résister partout efficacement aux représailles qu'il avait provoquées. L'amiral Bonnivet partit pour les Pyrénées avec quatre cents hommes d'armes et six mille lansquenets. Le gouverneur du Milanais, Lautrec, alla y rejoindre le maréchal de Foix, Lescun, son frère, auquel furent envoyés des bataillons de piquiers suisses et d'aventuriers dauphinois levés par le comte de Saint-Vallier.

La plus considérable des armées de résistance fut destinée à faire face aux impériaux sur les confins de la Champagne et de la Picardie. Dix-huit mille hommes de pied français, dix-huit cents lances de la cavalerie des ordonnances et douze mille Suisses obtenus des cantons, composaient cette armée commandée par le connétable de Bourbon, le duc de Vendôme, les maréchaux de Châtillon et de la Palice et le sire de la Trémoille. François lu s'était transporté à Dijon, pour y diriger la défense de la Bourgogne et il avait confié au chevalier Bayard, qui devait s'en acquitter à merveille, le soin d'arrêter sur Mézières le premier effort de l'invasion.

En même temps les deux souverains belligérants, sentant le poids dont l'intervention de l'Angleterre devait être dans la balance, invoquèrent l'alliance d'Henri VIII, qui avait donné son appui à celui des deux qui serait provoqué par l'autre. Avant de se décider au rôle dangereux d'allié, Henri VIII voulut épuiser les commodités de celui de médiateur. Il répondit à l'ambassadeur de François Ier que, s'étant obligé par serment à prêter assistance au prince qui n'aurait point rompu les traités, il ne pouvait déterminer s'il devait l'accorder au roi très-chrétien ou à l'Empereur, jusqu'à ce qu'il sût parfaitement lequel des deux les avait enfreints, afin de sauver sa conscience devant Dieu et son honneur devant les hommes. En conséquence de cette décision, il pressa les deux contendants d'envoyer leurs plénipotentiaires à Calais, où ils trouveraient son ministre, le cardinal d'York, prêt à les entendre. Cette attitude à la fois impérieuse et équivoque était plus faite pour blesser les souverains rivaux que pour pacifier leur différend. Néanmoins l'alliance d'Henri VIII était si importante, si décisive à leurs yeux, qu'ils se résignèrent, pour ne pas le mécontenter, à se soumettre en quelque sorte à son arbitrage.

Les plénipotentiaires espagnols, conduits par le nouveau grand chancelier du roi catholique, Mercurin de Gattinara, successeur de feu M. de Chièvres dans la confiance de son maitre, et les négociateurs français, que dirigeait le chancelier du Prat, se réunirent donc à Calais le 4 août dans une conférence présidée par le cardinal Wolsey. Celui-ci, qui servait plus encore qu'il n'inspirait les desseins ambitieux et jaloux d'Henri VIII, s'appliqua plus à fomenter les divisions qu'à favoriser l'accord ; et les pourparlers furent rompus, dès que François 1 er eut acquis la conviction qu'on ne cherchait qu'à lui faire perdre en négociations illusoires un temps précieux, et qu'on ménageait à Henri VIII, secrètement lié avec Charles-Quint, une occasion propice pour intervenir.

François Ier, à la tète d'une puissante armée, s'avança sur la frontière du nord, et dégagea Mézières, que Bayard avait, pendant un mois, grâce à des miracles d'énergie et d'habileté, préservée d'un sort qui semblait inévitable. Les généraux de l'Empereur en levèrent le siège et battirent en retraite du côté de l'ouest vers Valenciennes, où Charles-Quint devait les rejoindre. François Ier, après avoir repris Monzon, les suivit et, chemin faisant, s'empara de Bapaume et de Landrecies qu'il fit raser.

Bientôt les deux armées se trouvèrent en présence entre Cambrai et Valenciennes, séparées seulement par l'Escaut. Là François Ier, qui avait su, à Marignan, saisir l'occasion, la laissa échapper, et se conduisit plus en soldat qu'en général. Ses troupes, fortes de vingt-six mille hommes de pied et de quinze cents hommes d'armes, possédant douze pièces d'artillerie, étaient supérieures à celles de l'ennemi. Elles le sentaient et cette certitude animait leur confiance. Malheureusement François Ier, indifférent à ces avances de la fortune, plaça à l'avant-garde son beau-frère, le duc d'Alençon, et lui donna pour guide le maréchal de Châtillon : l'un incapable, l'autre irrésolu. Il retint auprès de lui, au corps de bataille, les uns ont dit parce qu'il se méfiait déjà de son ambition mécontente, les autres ont assuré parce qu'il lui répugnait de lui fournir une occasion de gloire, le connétable de Bourbon, dont les griefs s'aggravèrent de cet affront fait à ses services. Depuis quelque temps déjà le connétable, par suite d'intrigues hostiles fomentées par la haine de la duchesse d'Angoulême, qu'il avait offensée par d'imprudents dédains, était à la cour dans une sorte de disgrâce qu'il ressentit surtout quand elle le priva du droit de sa charge, qui était le commandement de l'avant-garde.

Cependant l'occasion était décisive : François Ier pouvait frapper un grand coup, et faire éprouver à l'Empereur, sous Valenciennes, le sort que trois ans et demi plus tard il éprouva lui-même sous Pavie[16].

Il avait franchi l'Escaut sur un pont jeté au-dessous de Bouchain, malgré la résistance tardive mais opiniâtre du comte de Nassau. Il était allé offrir la bataille aux troupes impériales ; et s'il eût osé la leur imposer, la victoire était certaine. C'était l'avis du connétable, qui, oubliant ses ressentiments, insista pour une attaque sûre du succès. Le maréchal de la Palice et le sire de la Trémoille appuyaient de leur expérience l'opinion du duc de Bourbon. Français Ier préféra les timides conseils du maréchal de Châtillon. Il se contenta de voir fuir devant lui l'armée qu'il aurait pu détruire. Il la laissa vider le champ et ne l'inquiéta point dans sa retraite sur Valenciennes. Ce fut là une faute dont les conséquences devaient être irréparables, en dépit de la satisfaction d'avantages passagers dans cette campagne qui aurait pu être si fructueuse, si une victoire sur l'Escaut eût répondu aux succès qu'avait remportés l'amiral Bonnivet dans son expédition espagnole, signalée par la prise de Saint-Jean de Luz et de Fontarabie.

François Ier n'avait pas su pousser jusqu'à une victoire décisive ses avantages en Espagne et dans les Pays-Bas. Il fut encore moins heureux en Italie, par la faute de ses lieutenants. La domination française dans le Milanais avait cessé, avec le maréchal de Foix et son frère Lautrec, de s'inspirer des traditions conciliantes, modérées, politiques de Chaumont d'Amboise et du connétable de Bourbon, qui avaient su en rendre le joug léger à des populations mobiles et susceptibles. Odet de Foix, seigneur de Lautrec, que la faveur de la comtesse de Chateaubriand, sa sœur, avait porté et maintenait-dans un poste difficile qui n'aurait dû être confié qu'au mérite, se conduisit moins en administrateur qu'en conquérant, et au lieu d'effacer discrètement son action, l'exagéra au point d'exaspérer des mécontentements unanimes. La disgrâce d'un personnage important et populaire, le maréchal Trivulce, qui succomba au chagrin de cette injustice et de cette ingratitude, fit déborder le vase. Les Milanais de marque, que la tyrannie de Lautrec avait forcés de s'expatrier, nouèrent avec leurs amis demeurés dans la ville, mais impatients de la délivrance, une conjuration à laquelle Charles-Quint et Léon X prêtèrent, l'un ouvertement, l'autre secrètement, leur appui dans le double but de chasser les Français de Milan et de Gênes, et d'y restaurer François Sforza et Jérôme Adorno.

Le plan des conjurés échoua à sa première opération, une surprise combinée de Reggio, de Modène et de Côme ; et le coup de main essayé sur Gênes ne réussit pas davantage. Les-cuti, averti des armements des réfugiés lombards dans Reggio, parut en forces devant cette ville, violant ainsi le territoire des États de l'Église. Léon X, qui n'attendait qu'un prétexte pour se déclarer, profita de cette imprudence qu'il affecta de regarder comme une provocation. Il se décida à dénoncer le traité secret d'alliance offensive qu'il avait conclu avec Charles-Quint le 8 mai 1521. Il donna à l'Empereur l'investiture jusque-là différée du royaume de Naples, et le 29 juin, jour de la fête de saint Pierre, il reçut en échange son hommage et son tribut.

Les troupes pontificales et impériales entrèrent aussitôt en campagne, sous la conduite de Prospero Colonna, général expérimenté que secondaient des capitaines espagnols et italiens déjà renommés, tels que Ferdinand d'Avalos, marquis de Pescara, Antonio de Leyva, le marquis de Mantoue et Jean de Médicis. Leur première opération fut le siège de Parme où s'était enfermé le maréchal de Foix, frère de Lautrec. Une diversion vigoureuse de celui-ci le dégagea, et s'il eût su profiter de ce succès en écrasant dans leur retraite les confédérés divisés et abattus, il eût pu non-seulement délivrer Parme, mais sauver le duché de Milan. Deux fois l'occasion favorable s'offrit encore à lui au passage du P6 et à Rebecco. Lautrec la laissa passer, et quand il voulut enfin la saisir, elle se déroba. L'armée de l'Empereur et celle du pape ayant pu opérer leur jonction avec leurs renforts suisses, au-devant desquels elles avaient impunément marché, prirent l'offensive. Lautrec, affaibli par la défection de son contingent suisse mécontent de ses hésitations, se retira derrière l'Adda, où il commit encore la maladresse de se laisser déborder et tourner, et il n'eut que le temps de se jeter dans Milan, où il diminua encore ses chances de résistance par des représailles et des exécutions impolitiques. Eu une seule nuit (19 novembre), la ville révoltée, où la complicité d'un soulèvement intérieur favorisait l'attaque des confédérés, fut forcée et envahie de divers côtés à la fois par le marquis de Pescara, Prospero Colonna et le cardinal de Sion, et Lautrec dut l'évacuer précipitamment, après avoir laissé garnison dans la citadelle. Quatre jours après cet échec, la conférence de Calais terminait ses délibérations illusoires, et la décevante médiation d'Henri VIII démasquait son but, qui n'était autre qu'une ligue entre le pape, l'Empereur et le roi d'Angleterre.

Par le traité du 24 novembre, il fut convenu que l'Empereur se rendrait en Espagne au printemps prochain, afin d'y pacifier entièrement ses sujets, et de s'y pourvoir d'argent ; qu'escorté à travers le canal par une flotte anglaise unie à la flotte espagnole, il aborderait soit à Douvres, soit à Sandwich, où le roi d'Angleterre irait le recevoir, et d'où il le reconduirait ensuite à Falmouth ; que les trois confédérés attaqueraient de concert et à fond le roi de France au mois de mars 1523, le pape en Italie avec une armée considérable, l'Empereur en franchissant les Pyrénées avec dix mille chevaux et trente mille fantassins, le roi d'Angleterre en descendant sur les côtes de Picardie avec une armée non moins nombreuse, que renforceraient les troupes des Pays-Bas. Henri VIII devait se déclarer contre François Ier un mois après le passage de Charles-Quint en Angleterre, et tous les deux mettre sur pied des forces capables de résister à leur ennemi en attendant l'époque fixée pour la grande invasion de son territoire[17].

La mort imprévue de Léon X contraria ces desseins plus menaçants pour l'avenir que pour le présent, et que leur long délai d'exécution exposait à plus d'une vicissitude. Le 12 décembre une fièvre putride enleva prématurément ce pontife tour à tour ami et ennemi de la France, dont la mémoire mériterait plus d'un reproche du moraliste et de l'historien, mais dont la gloire comme protecteur éclairé des lettres et des arts demeurera immortelle : Du choix de son successeur dépendait, par la continuation ou par la rupture de la ligue conclue à Calais, le triomphe durable de Charles-Quint en Italie ou le retour victorieux de François Ier dans le Milanais[18].

Ce successeur, dont l'élection résulta moins d'un choix raisonné que de l'impossibilité où se trouva le conclave de s'entendre sur tout autre nom que le sien, ne fut ni le cardinal Wolsey, recommandé par l'Empereur, ni le cardinal Jules de Médicis, exclu par le roi de France, mais l'ancien doyen de la Faculté de théologie de Louvain, le Néerlandais Adrien Florisse, que Léon X avait fait cardinal de Tortose, et que Charles-Quint avait laissé comme régent dans le royaume de Castille (9 janvier 1522). C'était un homme d'un grand savoir, d'une vie exemplaire, et s'il n'avait pas les qualités nécessaires à la Papauté politique, il avait du moins les vertus nécessaires à la Papauté religieuse. Il n'était jamais venu à Rome, en ignorait les intrigues et s'était désigné sans le savoir au choix du Sacré-collège par la modestie même qui l'avait toujours empêché d'aspirer à cette tiare qu'il n'accepta qu'en tremblant (14 février 1522). Adrien VI ne prit possession que sept mois après son élection. Cette sorte d'interrègne, qui assurait à François déjà sûr de la neutralité de la république de Florence, celle du Saint-Siège, lui parut une occasion favorable pour tenter, avec l'appui des Vénitiens et celui des Suisses et sans autre adversaire que l'Empereur, de reconquérir le Milanais.

L'entreprise n'était pas sans quelques chances de succès, surtout si François Ier en avait pris la direction au lieu de la confier, par suite d'influences néfastes, à celui-là même qui, en perdant par sa faute le Milanais une première fois, avait donné des preuves surabondantes de son incapacité. Au lieu de descendre lui-même en Lombardie, François Ier donna à Lautrec la conduite. des opérations. A ces opérations devait concourir, conjointement avec les forces demeurées dans le Milanais, en possession de la citadelle de Milan et de la ligne de forteresses qui s'étendait depuis Trezza sur l'Adda jusqu'à Crémone sur le PÔ, une année de seize mille Suisses d'élite, commandée par le bâtard de Savoie, frère de la duchesse d'Angoulême, le grand écuyer San-Severino et le jeune Anne de Montmorency, successeur de J.-J. Trivulzi dans la dignité de maréchal de France.

Les impériaux, sous le commandement de Prospero Colonna, bon général de tactique, excellent dans la guerre défensive, avaient aussi en leur faveur les sympathies des habitants, que les Français s'étaient aliénées, et l'appui de prévoyants travaux de fortification entrepris à Milan et dans la plupart des places qu'ils occupaient.

Lautrec entra eu campagne aussitôt qu'il eut reçu les renforts des Suisses et des Vénitiens, et qu'il eut été rejoint par les trois mille hommes des bandes noires, passés avec leur chef Jean de Médicis à la solde de François Ier. Son objectif fut Milan, dont Prospero Colonna avait relevé les remparts, creusé les fossés, réparé les bastions, et où il s'était enfermé avec douze mille hommes de pied, sept cents hommes d'armes et sept cents estradiots, en attendant les dix mille lansquenets que lui amenaient François de Castelalt et Georges Frondsberg, chefs renommés de ces mercenaires.

Lautrec essaya en vain d'abord de se mettre en communication avec la garnison française de la citadelle, étroitement bloquée, ensuite d'emporter d'assaut quelque faubourg et de prendre bonne position pour un siège. Il ne fut pas plus heureux dans sa tentative ayant pour but d'empêcher la réunion des impériaux et des lansquenets, que Francesco Sforza amenait de Pavie, et qui entrèrent avec lui dans Milan le 4 avril 1522.

Comme revanche, le général français alla assiéger Pavie dégarnie de troupes depuis le départ des lansquenets. Prospero Colonna parvint malgré lui à ravitailler et à renforcer la garnison. Puis, au moyen d'une diversion vigoureuse, il gêna tellement les préparatifs de Lautrec, que celui-ci leva son camp pour le porter à Monza près de Milan, dont Francesco Sforza avait reçu la garde. Il fut accompagné de près dans cette démonstration par Prospero Colonna, qui, par un retour offensif non contrarié, vint couvrir Milan et s'établit dans une villa située sur une colline entourée de jardins, de bosquets coupés de ruisseaux et de fossés où il se retrancha inexpugnablement. Ce camp retranché s'appela la Bicocca, du nom de la villa.

Suivant ses prévisions, les Suisses, fatigués de cette campagne de marches et de contre-marches sans résultats, se mutinèrent et réclamèrent leur solde arriérée, puis bataille ou congé. Lautrec ne pouvait pas les payer, faute d'argent, et malgré son impéritie, il redoutait les hasards de cette lutte inégale contre un ennemi appuyé à Milan et solidement retranché. Les Suisses refusèrent de se rendre à ses remontrances, et consentirent à attendre leur solde, mais à la condition d'une bataille immédiate, qui leur permettait au moins la compensation du butin.

Le 27 avril eut lieu ce téméraire et funeste assaut général d'une armée à découvert contre une autre armée retranchée, abritée derrière de grands fossés et que couvrait en outre le feu plongeant de plates-formes garnies d'artillerie. Une telle entreprise ne pouvait être et ne fut qu'un désastre, malgré l'intrépidité des Suisses, marchant, suivant leur tactique traditionnelle, imperturbablement aux canons et essayant de les enlever, pour en tourner le feu contre les impériaux. Une fois de plus cette tactique fut déjouée. La première attaque des Suisses leur coûta trois mille hommes, parmi lesquels leur héroïque chef, Arnold de Winckelried.

Le maréchal de Foix, Lescun, avait amené de France à son frère un renfort composé surtout de ces intrépides cavaliers d'ordonnance qui avaient triomphé à Marignan ; il parvint à pénétrer avec eux jusque dans le camp ennemi ; mais embarrassés par les accidents de terrain, les abattis d'arbres, les fossés, les gendarmes, dont l'élan était paralysé, durent battre en retraite, tandis que Lautrec, avec l'aile qu'il commandait, en faisait autant. Les Vénitiens étaient demeurés spectateurs immobiles du combat et ne servirent qu'à arrêter la déroute.

Lautrec, désespéré, voulait tenter un nouvel effort. Mais les Suisses en avaient assez, et il fut impossible de les empêcher de rentrer dans leur pays. L'armée française dut se retirer de devant la Bicocca, et le fit en bon ordre, moins grâce à ses chefs démoralisés qu'à la prudence de Prospero Colonna, qui jugea plus avantageux de rester dans ses lignes que d'en sortir.

Privé du secours des Suisses, abandonné par les Vénitiens, Lautrec ne put conserver Lodi et partit pour la France, laissant dans Crémone son frère Lescun qui ne tarda point à être réduit à capituler par l'armée impériale. Francesco Sforza fut rétabli à Milan ; Antoniotto Adorno fut élu doge de Gênes, et il ne demeura plus à François Ier qu'un vain titre appuyé sur la possession précaire des trois citadelles de Milan, de Crémone et de Novare.

Le roi accourut à Lyon pour mesurer de plus près l'étendue du désastre et chercher les meilleurs moyens de le réparer. Lautrec l'y rejoignit, et l'entrevue fut d'abord orageuse. Aux reproches de son souverain, le général vaincu répondit hardiment par des reproches. Il se plaignit d'avoir été privé du nerf de la guerre, l'argent, et de n'avoir pu, faute de quatre cent mille écus, promis, annoncés, vainement attendus, retenir la gendarmerie non payée depuis dix-huit mois, ni garder les Suisses, qui, à défaut de solde, avaient exigé congé ou bataille.

François Ier, à ces plaintes inexplicables pour lui, appela son surintendant des finances Samblançay, pour avoir le mot de l'énigme. Samblançay ne put se justifier qu'en accusant la duchesse-mère elle-même, Louise de Savoie, d'avoir détourné de sa destination l'envoi si nécessaire aux troupes d'Italie. La duchesse, interpellée par son fils, nia le détournement. Le roi, malgré les dénégations énergiques de Semblançay, le disgracia, et c'est sur lui que tomba l'orage. Tout le monde se tira d'affaire, excepté lui. Lautrec fut excusé. Louise de Savoie échappa au blâme qu'elle repoussait avec une indignation qui paraissait celle de l'innocence, et qui n'était que l'assurance d'une coupable sûre de l'impunité ; et le malheureux surintendant, rendu responsable de l'impéritie de Lautrec, des intrigues de la comtesse de Chateaubriand, des dilapidations de la duchesse d'Angoulême, fut la victime expiatoire que ces haines puissantes coalisées contre lui ne tardèrent pas à offrir à la colère du roi et à la déception populaire. Mais le mystère du procès qui conduisit le surintendant au gibet de Montfaucon a été de nos jours dévoilé. Il n'est plus douteux qu'il n'ait été la dupe, puis la victime de l'avidité de Louise de Savoie, qui ne manquait pas de grandes qualités, mais qui avait des vices plus grands encore, notamment cette soif de l'or à laquelle elle sacrifia l'intérêt national, et jusqu'à l'honneur et à la vie d'un ministre innocent.

Au moment où François Ier faisait à Lyon les préparatifs d'une expédition vengeresse de ses échecs, réparatrice des fautes de tout le monde, sans excepter les siennes, car il avait été imprévoyant dans ses mesures et léger dans ses choix, Henri VIII, suivant la fortune, qui semblait partout acquise à l'Empereur, se mit définitivement du côté du plus fort et se déclara cyniquement contre le vaincu. Charles-Quint, victorieux de l'insurrection des Comuneros en Espagne, maître en Italie où il joignait la suzeraineté du duché de Milan au royaume de Naples, tranquille du côté de Rome par l'élection d'un pape qui avait été son précepteur, assuré en Allemagne contre toute rébellion ou toute rivalité par la reconstitution de la Chambre impériale et l'institution d'un Conseil de régence présidé par l'archiduc Ferdinand, son frère et son lieutenant, n'avait plus qu'à resserrer les liens qui l'unissaient à l'Angleterre et à achever, de concert avec Henri VIII, en l'attaquant en France même, le roi qui lui avait disputé la prépondérance en Europe.

Après avoir laissé l'administration des Pays-Bas à sa tante, l'intelligente et dévouée archiduchesse Marguerite, Charles-Quint se, rendit en Espagne afin d'en achever la pacification, d'y recruter des hommes et d'y recueillir de l'argent. Il passa par l'Angleterre et débarqua le 26 mai à Douvres, où Wolsey et Henri VIII vinrent à sa rencontre. Avec eux, il alla à Cantorbéry, à Greenwich, à Londres, à Windsor, où les fêtes d'une réception triomphale ne lui firent pas oublier le but principal de ce voyage. Les deux alliés, dont l'un devait être le gendre de l'autre et lui donnait d'avance le nom de père, convinrent d'attaquer en commun François Ier dans son royaume même, chacun avec une armée de trente mille hommes de pied et de dix mille chevaux, l'un dans le but de reprendre la Bourgogne, l'autre dans celui de reconquérir la Normandie et la Guienne. Les derniers accords accomplis, Charles-Quint s'embarqua le 4 juillet à Southampton pour l'Espagne avec une forte escorte de lansquenets pris par lui à sa solde et un menaçant équipage d'artillerie.

La visite de l'Empereur au roi d'Angleterre avait eu lieu fort à propos. Henri VIII, qui manquait de griefs, en avait cherché et trouvé un dans l'accueil fait par la France à la dernière proposition de son tyrannique arbitrage. Abusant de son rôle de médiateur, il avait voulu imposer à François Ier une trêve désavantageuse que celui-ci refusa avec une noble fierté. Devant cette résistance, hautement encouragée et approuvée par Bonnivet, seul témoin de cette entrevue mémorable du roi avec l'ambassadeur d'Angleterre, Sir Thomas Cheyney, celui-ci cessa de dissimuler les desseins dont il était l'interprète. Mais cette dernière tentative d'intimidation s'adressait mal. Quand il annonça à François Ier que, sur la demande de Charles-Quint partant pour l'Espagne, Henri VIII avait consenti à devenir le protecteur des Pays-Bas : C'était justice, dit le roi avec une fine ironie, et cette confiance est bien placée. L'Empereur ne pouvait mieux s'adresser qu'au roi d'Angleterre, puis qu'il est plus en état de défendre les Pays-Bas que leur propre souverain.

Il protesta ensuite qu'il n'avait jamais donné au roi d'Angleterre aucun motif de s'unir à son plus grand ennemi. Après ce qui vient de se passer, dit-il, je ne veux plus me fier à aucun prince vivant. Et il ajouta avec une résignation altière et une fermeté confiante que s'il n'y avait plus d'autre remède, il espérait pouvoir défendre lui et son royaume.

Le même jour, après que sir Thomas eut pris congé de François Ier, Clarence, héraut d'armes d'Henri VIII, demanda audience pour déclarer solennellement la guerre. Tout tremblant, le héraut d'armes porta le défi de son maitre au roi de France, qui l'accepta d'un ton haut et froid. Les hostilités ne se firent pas attendre. Le comte de Surrey, à la tète des flottes combinées d'Angleterre et d'Espagne, parut vers le milieu de juin sur les côtes de Normandie et de Bretagne, qu'il ravagea. Après avoir saccagé Morlaix, il escorta jusqu'à Santander l'Empereur qui débarqua le 16 juillet dans le port de la Vieille-Castille. Le comte de Surrey vint prendre ensuite le commandement des troupes anglaises descendues en Picardie pour y agir de concert avec les troupes des Pays-Bas, placées sous les ordres du comte de Buren[19].

Cette invasion obligea François Ier à détourner les yeux de l'Italie, et à s'occuper d'abord de là France, dont il fallait défendre les frontières partout violées ou menacées. Du côté des Pyrénées, le maréchal de la Palice débloqua et ravitailla Fontarabie. En Picardie, le duc de Vendôme et la Trémoille occupèrent Boulogne, Thérouanne, Hesdin et Montreuil, mais ne purent empêcher les coalisés de détruire Dourlans et de ravager les plaines du Boulonnais. Le mal qu'ils firent se borna pour l'année à ces dévastations, l'abondance des pluies et le manque de vivres ayant obligé le comte de Buren à rentrer dans les Pays-Bas et le comte de Surrey à retourner en Angleterre. Si François Ier avait été un prince plus politique que militaire, s'il n'avait eu sans cesse l'imagination hantée par l'attirante image de l'Italie, s'il eût su préférer les intérêts du pays à ses passions et la gloire modeste mais sûre de fortifier la France, à la gloire plus brillante mais plus fragile de reconquérir le Milanais, il eût renoncé à ces expéditions chimériques et lointaines et retourné du côté du Nord l'objectif de son ambition. Il eût songé à cette frontière des Flandres et de l'Artois sans cesse foulée par l'invasion, dont il pouvait faire à jamais reculer le flot en lui opposant la digue d'un agrandissement territorial solide. L'entreprise n'était pas sans difficultés ; mais elle était bien moins hasardée qu'une expédition au delà des Alpes, où il rencontrait, ligués contre lui, l'Espagne, l'Empire, Florence, le Saint-Siège et même Venise, tandis que, dans les Flandres, il n'avait affaire qu'à l'Angleterre réduite à Calais et au comté de Guines.

La sagesse conseillait donc à François Ier de réduire aux proportions d'une lutte moralement irréprochable, militairement beaucoup plus avantageuse, contre l'injuste oppression de l'Angleterre, sur le terrain de la défense nationale, ses trop vastes desseins et ses trop hasardeuses espérances. Cette politique avait été celle de Louis XI ; elle devait être celle d'Henri II, qui consomma trente-cinq ans plus tard la libération de la France, en chassant les Anglais de Calais.

Malheureusement François, fasciné parle fatal mirage de la revanche et de la conquête italienne, se borna à protéger sa frontière du nord-ouest au lieu d'y appuyer toutes ses forces pour jeter les Anglais à la mer et s'étendre aux dépens des Flamands. Il concentra toute son activité sur les moyens de se ménager réparation de ce grief qui lui tenait tant au cœur : sa dépossession du Milanais. Il sacrifia égoïstement à ce dessein tous les autres.

Il en était un pourtant qui était fait pour obtenir la préférence de cette âme chevaleresque, si elle n'eût été pour le moment fermée à toute autre ambition qu'à celle qui l'absorbait. Soliman II, fils de Selim, héritier des projets et des succès de son père, s'était emparé de Belgrade, avait insulté Vienne, et avait enfin porté contre Rhodes, poste avancé de la République chrétienne dans les mers du Levant, l'effort de ses deux cent mille soldats fanatisés.

En présence de ce danger commun, de plus en plus menaçant, les papes avaient supplié les princes de l'Europe de suspendre leurs différends, et de surseoir à toute querelle particulière dans l'intérêt, supérieur à tous les autres, de la cause de l'Europe et de la foi. Léon X avait proclamé une trêve générale qui devait réunir, contre l'Islamisme conquérant et victorieux, toutes les forces de l'Occident. Le pieux et honnête mais faible Adrien VI, reprenant le projet de croisade de son prédécesseur, avait cherché à profiter de l'émotion produite en Europe par la nouvelle du siège de Rhodes, où les chevaliers de Saint-Jean soutenaient héroïquement une lutte inégale, pour conseiller et au besoin pour imposer la paix aux princes de l'Europe.

François Ier ne demandait pas mieux que de se faire le champion de la chrétienté ; mais il invoquait la médiation de son chef pour rentrer dans cet héritage du Milanais dont il avait été dépouillé. Il proposait de rendre à l'Empereur Fontarabie et de désintéresser le roi d'Angleterre au moyen de ce qui lui serait payé pour la cession de ses droits sur le royaume de Naples. L'influence du cardinal de Volterra, de la maison de Soderini, rivale de celle de Médicis, avait d'abord été prépondérante sur le Saint-Père, et lui avait suggéré un avis favorable aux revendications de François Ier. Mais un revirement de cour, ménagé par le cardinal Jules de Médicis, fit succéder son impérieux ascendant à celui du cardinal de Volterra, tombé en disgrâce.

A partir de ce moment, Adrien VI ne put échapper aux obsessions de Charles-Quint, son ancien élève, et cessa de tenir la balance égale entre les deux contendants. Aiguillonné par la nouvelle de la prise de Rhodes, tombée aux mains des infidèles, il essaya d'intimider François Ier par des objurgations et des menaces qui envenimèrent le débat au lieu de l'apaiser.

Les négociations furent rompues, et -par une faute qui enlevait toute autorité à ses remontrances, le pape, donnant lui-même l'exemple de cette animosité contre laquelle il protestait, non-seulement se prononça contre le roi de France, mais entra dans la coalition formée contre lui (3 août 1523). Les Vénitiens, dès le mois de juin, avaient, obéissant à leur politique traditionnelle, abandonné le parti de leur ancien allié, trouvant plus avantageux d'avoir pour voisin un prince italien qu'un prince étranger, et un prince faible comme François Sforza qu'un prince puissant comme François Ier.

C'est ainsi que tous les États italiens et les principales puissances de l'Europe se confédérèrent contre le roi de France, dans le double but de le chasser de l'Italie, et même de le réduire à l'impuissance en morcelant son royaume.

Cette ligue formidable du royaume de Naples, du Saint-Siège, des républiques de Florence, de Sienne, de Venise, de Gênes, du duc de Milan, François Sforza, de l'archiduc d'Autriche Ferdinand, du roi d'Espagne, du roi d'Angleterre contre la France n'intimida point et n'arrêta point François Ier. Sa passion pour le Milanais, comme toutes les passions contrariées, ne fit que s'accroître. Il déclara nettement au Parlement de Paris, qu'il passerait outre à ses desseins : Toute l'Europe se ligue contre moi, s'écria-t-il ; eh bien ! je ferai face à toute l'Europe. Je ne crains pas l'Empereur, il n'a pas d'argent ; ni le roi d'Angleterre, ma frontière de Picardie est bien fortifiée ; ni les Flamands, ce sont de mauvaises troupes. Pour l'Italie, c'est mon affaire et je m'en charge moi-même. J'irai à Milan, je le prendrai et je ne laisserai rien à mes ennemis de ce qu'ils m'ont enlevé.

Comme l'année précédente, il ravitailla et fortifia les places de sa frontière du nord, dont il confia la garde au duc de Vendôme. Il envoya Lautrec occuper les passages des Pyrénées. Il réunit, pour franchir les Alpes à sa tête, une armée considérable dont l'amiral Bonnivet, maître du poste important de Suze, fut chargé de protéger la marche et d'assurer les logis. Puis il se rendit à Lyon dans la dernière quinzaine d'août, n'attendant, pour fondre sur l'Italie, que l'arrivée au rendez-vous de douze mille Suisses que lui amenait le maréchal de Montmorency, et de ses dernières compagnies d'ordonnance. Il avait tout prévu, hormis la trahison, et surtout celle par laquelle le plus redoutable de ses ennemis allait se déclarer dans sa famille. Pendant qu'il se disposait à sortir de son royaume, ses ennemis s'apprêtaient à l'envahir. Leur invasion devait être secondée par la révolte du second prince du sang, du dernier grand souverain territorial de la France féodale, du connétable de Bourbon, que François Ier, par des disgrâces offensantes et d'imprudentes injustices, avait poussé à cette criminelle extrémité. C'est dans sa route de Paris à Lyon que lui fut révélée la conspiration du connétable, qui n'attendait que son départ pour éclater et devait lui enlever la France au moment où il conquerrait Milan[20].

Cette trahison, par le connétable de Bourbon, de son pays et de son roi, demeure un crime inexcusable. Mais si le connétable garde à son compte ce crime qui déshonore à jamais sa mémoire, l'histoire impartiale doit reprocher à François Ier d'avoir, par la plus injuste, par la plus impolitique des disgrâces, rendu ce crime possible et presque inévitable.

Des dynasties provinciales issues de la dynastie centrale des Capétiens, celle des Bourbons, dont Robert, sixième fils de saint Louis, était l'auteur, avait seule survécu aux événements qui avaient fait successivement disparaître la maison de Bourgogne et la maison de Bretagne, la première, par la mort de Charles le Téméraire, décédé sans postérité masculine, la seconde par le mariage de la duchesse de Bretagne Anne, d'abord avec Charles VIII, ensuite avec Louis XII, et l'union de Claude, sa fille et son héritière, avec François Ier.

Charles III, comte de Montpensier, était devenu duc de Bourbon en qualité de représentant mâle de la deuxième ligne de la maison de Bourbon, et comme mari de l'héritière directe de la première ligne restée sans descendance masculine. Il avait réuni par son mariage avec Suzanne de Bourbon, fille unique du duc Pierre II et d'Anne de France, les droits et les possessions des deux branches. A l'office de grand chambrier ou chambellan de France, héréditaire dans la maison de Bourbon, il avait joint l'office de connétable dès l'avènement de François Ier. C'est ainsi que le plus grand seigneur du royaume par les possessions territoriales était devenu un des grands officiers de la couronne, se créant ainsi doublement des titres à une de ces influences avec lesquelles un roi même doit compter.

On aura une idée de la puissance concentrée entre les mains de Charles de Bourbon quand on saura qu'il possédait, à titre de fief ou d'apanage, des provinces entières. Au centre du royaume, il possédait d'un seul tenant le duché de Bourbonnais, le duché et le dauphiné d'Auvergne, le comté de Montpensier, le comté de Forez, le comté de la Marche, les vicomtés de Carlat et de Murat, les seigneuries de Combrailles, de la Roche-en-Regniers et d'Annonay. Il prolongeait jusqu'à la Bresse, par la seigneurie du Beaujolais et la principauté de Dombes, la ligne de sa domination. Enfin au connétable de Bourbon appartenaient le duché de Châtellerault en Poitou et en Picardie le comté de Clermont, dotation primitive du sixième fils de saint Louis, auteur de sa maison.

Le duc de Bourbon tenait un véritable état de souverain. Il avait à Moulins une cour brillante et une garde nombreuse. Il levait des impôts, assemblait les États du pays, nommait ses tribunaux de justice et sa cour des comptes. Il pouvait mettre une armée sur pied, et en entretenait le noyau dans les garnisons de ses forteresses. Rien ne lui manquait de l'appareil royal, pas même son petit Saint-Denis, l'abbaye de Souvigny, où reposaient les princes de sa famille. Lors de la mort du duc Pierre II en 1503, on avait vu son cercueil suivi jusqu'aux caveaux de la célèbre nécropole bénédictine, dont les flèches s'élevaient à l'ombre des tours de Bourbon-l'Archambault, par un cortège de dix-sept cents gentilshommes, officiers et clients de la maison.

Un tel homme devait être ménagé non-seulement à cause de sa puissance, mais à cause de son caractère ; il méritait de l'être par ses services.

Élevé à la cour de sa tante Anne de France, qui, sous le nom de dame de Beaujeu I avait gouverné la France durant la minorité de son frère Charles Viii, et avait montré, sans sa cruauté, le génie politique de Louis XI son père, Charles de Bourbon, qu'elle traitait comme son fils et dont elle devait faire son gendre, n'avait pas été inutilement à l'école de cette habile femme. Il était devenu un chevalier accompli. Dès l'âge de dix-neuf ans (en 1508), il avait été consacré capitaine par le succès de la charge des deux cents gentilshommes du roi qu'il commandait, et qui décida du gain de la bataille d'Agnadel. En 1514, le duc Charles de Bourbon, investi par la confiance de Louis XII du soin de défendre contre l'invasion notre frontière de l'est, s'en était acquitté avec habileté et avec succès. Devenu connétable, il justifia le choix de François Ier en prenant une part importante à la victoire de Marignan. Laissé en Italie comme lieutenant général du roi, il lui conserva le Milanais menacé par la coalition dont l'empereur

Maximilien s'était fait le chef. Rappelé et remplacé par le maréchal de Lautrec, qui commit toutes les fautes qu'il avait su éviter, il ne trouva à la cour, pouf prix de ses services, qu'un accueil glacial, et ne put pas même obtenir le remboursement des avances qu'il avait faites pour le service du roi.

Dédaignant de protester contre cette injuste disgrâce, il avait dissimulé son mécontentement. Il avait assisté, avec un luxe digne de son rang, aux fêtes de l'entrevue du camp du Drap d'Or. Il avait offert dans son duché de Châtellerault, au roi visitant le Poitou et la Guienne, une magnifique hospitalité. Lorsqu'éclata la rupture entre François let et Charles-Quint, il ne fut point compris, malgré ses droits, dans la distribution des grands commandements militaires de la Picardie, de la Champagne, de la Guienne, de la Lombardie qu'avait formés François Ier pour faire face à l'ennemi sur ses diverses frontières. Il se vit préférer le duc d'Alençon, le duc de Vendôme, l'amiral Bonnivet, le maréchal de Lautrec, dont aucun ne le valait.

Arrivé à l'armée de Picardie avec six mille hommes de pied et trois cents hommes d'armes levés dans ses États, prêt à oublier ses griefs, à la condition de participer dignement à la lutte, il fut dépouillé de son privilège de connétable, qui lui donnait le commandement de l'avant-garde, au profit du duc d'Alençon, général timoré, plus occupé à éviter les occasions de bataille qu'à en profiter, et François Ier parut consolé de cette campagne stérile par la pensée qu'en renonçant à la victoire, il avait empêché le connétable d'en partager l'honneur. Enfin le roi combla la mesure en prenant le parti de sa mère dans un procès en revendication des biens de la maison de Bourbon qui ajoutait aux offenses reçues la menace d'une spoliation. C'en était trop cette fois, et le vase déborda. Il ne pouvait en être autrement avec l'homme dont un éminent historien a tracé ce saisissant portrait :

Le connétable de Bourbon était aussi dangereux qu'il était puissant. Il avait de fortes qualités. D'un esprit ferme, d'une âme ardente, d'un caractère résolu, il pouvait ou bien servir ou beaucoup nuire. Très-actif, fort appliqué, non moins audacieux que persévérant, il était capable de concourir avec habileté aux plus patriotiques desseins et de s'engager par orgueil dans les plus détestables rébellions. C'était un vaillant capitaine et un politique hasardeux. Il avait une douceur froide à travers laquelle perçait une intraitable fierté, et sous les apparences les plus tranquilles il cachait la plus ambitieuse agitation. Il est tout entier dans ce portrait saisissant qu'a tracé de lui la main du Titien, lorsque, dépouillé de ses États, réduit à combattre son roi et prêt à envahir son pays, le connétable fugitif avait changé la vieille et prophétique devise de sa maison, l'Espérance, qu'un Bourbon devait réaliser avant la fin du siècle, dans ce qu'elle avait de plus haut, en cette devise terrible et extrême : Omnis spes in ferro est, toute mon espérance est dans le fer. Sur ce front hautain, dans ce regard pénétrant et sombre, aux mouvements décidés de cette bouche ferme, sous les traits hardis de ce visage passionné, on reconnait l'humeur altière, on aperçoit les profondeurs dangereuses, on surprend les déterminations violentes du personnage désespéré qui aurait pu être un grand prince, et qui fut réduit à devenir un grand aventurier. C'est bien là le vassal orgueilleux et vindicatif auquel on avait entendu dire que sa fidélité résisterait à l'offre d'un royaume, mais ne résisterait pas à un affront. C'est bien là le serviteur d'abord glorieux de son pays qu'une offense et une injustice en rendirent l'ennemi funeste, qui répondit à l'injure par la trahison, à la spoliation par la guerre. C'est bien là le célèbre révolté et le fougueux capitaine qui vainquit François Ier à Pavie, assiégea Clément VII dans Rome, et finit sa tragique destinée les armes à la main, en montant à l'assaut de la Ville éternelle[21]...

Le connétable avait perdu, au printemps de 1521, sa femme Suzanne de Bourbon, maladive, disgraciée de la nature, enlevée dans la triste fleur d'une hâtive jeunesse. Il l'avait épousée en 1504, quand elle n'avait que quatorze ans, de crainte de manquer l'héritage qui était le principal, l'unique but de cette union funèbre, dont les auspices étaient des espérances de mort. Eu 1517, brilla la fugitive lueur d'un espoir meilleur. Un fils naquit de cette union présumée stérile, dont le roi fut parrain, au milieu de fêtes magnifiques, mais témoignant de trop d'orgueil, de trop de triomphe, dont François Ier sentit plus le défi que l'hommage, et l'affront que l'honneur.

Déjà au camp du Drap d'Or, le connétable, avec son visage sombre, son air tragique, sa nombreuse suite de gentilshommes trop dévoués, dont le zèle indiscret allait au-devant des querelles — Pompérant, un de ses fidèles, alla jusqu'à tuer en duel un homme du roi qui avait mal parlé de son maitre —, ses façons hautaines, ses sarcasmes sur les favoris parvenus, les Lautrec, les Bonnivet, le pauvre duc de Vendôme, sot mari d'une femme si spirituelle, avait excité plus d'une fois les ombrages du roi et offusqué jusqu'aux yeux des étrangers.

En le voyant porter devant le roi l'épée de connétable avec je ne sais quel air mécontent, menaçant, d'un homme capable de la tourner contre son seigneur, Henri VIII n'avait pu se tenir de dire à François Ier qu'il avait là un sujet bien puissant, bien dangereux, et de ceux auxquels un roi avisé ne laisse pas longtemps la tête sur les épaules.

Ces idées à la Louis XI n'étaient pas d'un roi chevaleresque comme François Ier. Pourtant l'avis répondait trop chez lui à des pressentiments secrets, pour qu'il n'en tînt pas compte. Et son entourage ne manquait pas de l'y encourager, envenimant subtilement tout grief. Ce fut bien pis quand, devenu veuf, le duc de Bourbon, d'abord l'ami, le protégé, le favori de Louise de Savoie, à qui il devait son titre de connétable, qui l'avait fait combler par son fils d'honneurs et de pensions, s'enhardit jusqu'à se brouiller avec une telle femme, jusqu'à démentir, avec des propos injurieux, le bruit qu'il dût l'épouser, et qu'il y eût eu entre eux, comme gage, l'échange d'un anneau de fiançailles, jusqu'à afficher des prétentions matrimoniales dont les ambitieuses impatiences, tantôt anticipaient sur le veuvage de la duchesse d'Alençon, tantôt semblaient ne pas vouloir attendre la nubilité de Renée de France, sœur de la reine Claude et fille de Louis XII.

Ajoutez à cela d'imprudentes allures d'opposition, des caresses trop politiques aux meneurs de la fronde parlementaire, les relations suspectes avec l'étranger d'un prince cousin de Charles-Quint, parent par sa mère, une Gonzague, de ces marquis de Mantoue, généraux de l'Église, parent aussi des Croy, créatures de l'Empereur. Toutes ces circonstances n'étaient pas faites pour adoucir des rapports déjà aigris.

Dès 1518, brilla le premier éclair avant- coureur des orages prochains. La naissance d'un dauphin qui assurait la succession régulière du trône comblait les vœux de François Ier, mais ajoutait chez lui les susceptibilités du père à celles du roi. Peut-être le connétable ne dissimula-t-il pas assez sa déception. En 1519, ayant perdu son premier fils, puis les deux jumeaux qui lui avaient succédé, et qui, nés avant terme, n'avaient pas vécu, le connétable, secondé dans ses prévisions intéressées par sa tante et belle-mère, Anne de Beaujeu, amie d'Anne de Bretagne, ennemie de Louise de Savoie, digne fille de Louis XI, politique et maligne comme lui, obtint de sa femme le renouvellement testamentaire de la donation matrimoniale qu'elle lui avait faite en 1505 de tous ses biens et droits. Quand il fut devenu veuf en 1521, qu'éloigné de la cour, privé de ses pensions, privé comme nous l'avons vu du principal privilège de sa charge, il fut disgracié, ulcéré, un dernier coup, frappé par la haine coalisée du roi et de sa mère, vint l'atteindre dans ses derniers moyens de réparation ou de vengeance et le pousser au désespoir. Le roi, de concert avec sa mère, nièce du dernier duc de Bourbon, Pierre II, et seul rejeton de la branche aînée, revendiqua devant le Parlement les biens de la maison de Bourbon (12 août 1522). La vieille duchesse Anne de Beaujeu, voyant près de s'écrouler le laborieux édifice de son affection, en mourut de douleur et de dépit (14 novembre 1522).

Le connétable, par des soumissions habiles, une sage patience, de nouveaux services, eût pu désarmer la haine du roi, sinon celle de sa mère, obtenir compensation, transaction. Il ne vit, pour sortir de la situation qui condamnait son orgueil à l'obéissance, son ambition à la pauvreté qu'une issue, la trahison, la révolte, la réalisation de sa farouche devise : l'appel au fer, le recours à cette épée sous la garde de laquelle il avait fait graver son suprême espoir : Penetrabit (elle entrera). Mieux eût valu certainement imiter la patience, l'ambition calme, le savoir faire, le recours au temps de ces autres cadets plus sages, ses cousins de Bourbon-Albret, futurs rois de Navarre, futurs rois de France, dont la devise exprimait le fatalisme optimiste, la sereine confiance dans l'avenir : Ce qui doit être ne peut manquer.

La revendication royale, si peu opportune politiquement, était-elle au moins fondée en justice ? Les historiens de François Ier sont divisés sur cette question. M. Michelet pense que le droit royal ne fait pas doute. Voici l'opinion contraire d'un contradicteur plus autorisé :

Le droit d'après lequel se transmettaient les divers territoires appartenant à la maison de Bourbon avait varié. Le comté de Clerm.ont en Beauvoisis, donné en apanage à Robert, le sixième fils de saint Louis et le fondateur de cette grande maison, était d'abord seul soumis à la loi salique de la masculinité et devait revenir à la couronne si les héritiers mâles manquaient. Le duché de Bourbonnais, les comtés de Forez et de la Marche, la principauté de Dombes, les seigneuries de Beaujolais et de Combrailles, acquis par mariage ou par succession, ne reconnaissaient dans leur transmission que la règle féodale ordinaire. Les mâles y avaient la préférence sur les femmes, mais, à défaut de mâles, les femmes en héritaient[22]...

Il y eut diverses vicissitudes dans le droit féodal, et des solutions diverses intervinrent jusqu'au mariage de Charles de Montpensier et de Suzanne de Beaujeu, mariage destiné à fixer ce droit, à prévenir toute contestation, et ménagé dans ce but par Louis XII lui-même.

Après la mort du duc Pierre, Louis XII maria, en 1305, le comte Charles, représentant les Montpensiers et la duchesse Jeanne, héritière des Bourbons, afin de confondre, par leur union, les droits que l'un tenait de sa naissance et l'autre de sa concession. Anne de France, mère de Suzanne et tante de Charles, provoqua elle-même cette union, qui assurait par mariage à sa fille ce qui lui aurait été contesté par succession, et qui mettait un terme aux désaccords des deux lignes de la maison de Bourbon. Le comte de Montpensier, devenu duc de Bourbonnais et d'Auvergne, demeura possesseur sans trouble de tous les biens des deux lignes, tant que dura son mariage ; mais, lorsque Suzanne mourut en 152f, ne laissant pas d'héritier qui perpétuât la race et qui reçût les domaines des Bourbons de la branche aînée, la contestation commença, bien que Suzanne eût pris tous les moyens de la prévenir et de l'éviter. Ce qui pouvait lui revenir, elle l'avait cédé à son mari par une donation fortifiée d'un testament.

Y avait-il quelque incertitude sur la transmission de la totalité ou d'une partie de l'héritage ? Si l'on considérait le caractère exclusivement masculin qu'avaient pris, depuis 1400, les duchés de Bourbonnais et d'Auvergne, le comté de Forez, etc., et qu'avait consacré l'adhésion tacite ou expresse de tant de rois, le connétable comme dernier représentant mâle de cette branche des Bourbons en était le possesseur substitué. Si l'on considérait la nature particulière de certains biens restés transmissibles aux femmes, tels que la seigneurie de Beaujolais et la principauté de Dombes, le connétable, comme donataire d'abord et légataire ensuite de Suzanne, en était le légitime héritier. Ainsi le voulait à cette époque la règle des héritages, et ce n'était pas à un autre titre que Louis XI avait acquis le comté de Provence, dont le testament de Charles Ill avait disposé en sa faveur, et qui, sans cela, serait revenu au duc René II de Lorraine, parent le plus rapproché de Charles III. Le double droit du connétable ne paraissait donc pas douteux ; il lui était assuré par la loi monarchique des apanages, en ce qui concernait les grands fiefs de sa maison restés ou devenus masculins, par la loi romaine et par l'usage en ce qui concernait les possessions dont les femmes pouvaient être les héritières ou les donatrices[23]...

On le voit, d'après cet exposé, la revendication par Louise de Savoie des biens féminins de la succession de Suzanne de Beaujeu, à titre de nièce de Pierre Il et de cousine germaine de Suzanne, héritière plus proche d'un degré que le connétable, et par le roi des biens masculins, devant retourner selon lui, comme possessions apanagées, au domaine de la couronne, cette revendication, en dépit d'apparences spécieuses que le chancelier Du Prat devait mettre toute son habileté à faire valoir aux veux du Parlement, D'était rien moins que fondée eu droit. L'eût-elle été qu'il n'était pas de moment plus inopportun pour pousser à bout un prince puissant et un vaillant capitaine, dont le roi avait plus que jamais besoin à la veille d'une guerre ; et si Louise de Savoie se flatta d'amener par l'intérêt à la solution matrimoniale qu'elle souhaitait un homme comme le connétable, elle adopta, pour parvenir à ce but, le pire des moyens. L'affront d'une telle injustice, la crainte d'une si complète spoliation exaspérèrent le duc de Bourbon, et, triomphant de ses derniers scrupules, le jetèrent dans les bras de l'Empereur.

Celui-ci était un politique trop avisé pour ne pas se tenir à l'affût de toute occasion de resserrer avec le duc de Bourbon ces liens d'intimité que le roi laissait si imprudemment se rompre, et pour ne pas se ménager l'auxiliaire le plus capable de cette diversion d'une complication intérieure sur laquelle il comptait pour fermer au besoin à François Ier, vaincu en Italie, le refuge de son royaume.

Quelques mois après la mort de Suzanne de Bourbon, l'empereur fit sonder par le prévôt d'Utrecht, Philibert Naturelli, son ambassadeur à la cour de France, le connétable déjà disgracié, mais non encore menacé de spoliation. Quand cette menace anima jusqu'aux extrémités les plus désespérées son ressentiment, les affidés de Charles-Quint renouvelèrent leurs tentations, donnant à entendre que leur maure ne refuserait pas sa propre sœur en mariage à un ami tel que son cousin. Consulté par son neveu et gendre, la vieille et vindicative Anne de Bourbon, digne fille de Louis XI, l'encouragea à la résistance sinon à la rébellion. Mon fils, lui dit-elle avec l'autorité que donne à la voix des parents l'approche de la mort (et elle était alors mourante), considérez que la maison de Bourbon a été alliée de la maison de Bourgogne et que, durant cette alliance, elle a toujours fleuri et été en prospérité. Vous voyez à cette heure ici les affaires que nous avons, et le procès qu'on vous met sus ne procède que à faute d'alliance ; je vous prie et commande que vous preniez l'alliance de l'Empereur. Promettez-moi d'y faire toutes les diligences que vous pourrez, et je mourrai plus contente.

Fidèle à sa promesse de suivre ce conseil, d'accomplir ce vœu testamentaire, le duc de Bourbon, dès l'été de 1522, lors de la seconde campagne sur la frontière de France et des Pays-Bas, était entré, par l'intermédiaire du sénéchal de Bourbonnais d'Escars, seigneur de la Vauguyon, en négociations secrètes avec Adrien de Croy, seigneur de Beaurain, second chambellan de Charles-Quint, et son parent.

D'Escars informa Beaurain des griefs de son mandataire, et ces griefs étaient tels qu'ils ne lui permettaient plus de se contenter de l'appui de l'Empereur dans sa disgrâce ; il le lui fallait pour sa révolte. Il ne s'agissait plus d'une alliance de paix, mais d'une alliance de guerre, à laquelle le connétable était prêt à apporter le prestige de son nom, le concours de ses amis, la secrète connivence des parlements et des peuples, impatients de la tyrannie d'un prince abandonné à toutes ses passions, et résolus à accepter de l'étranger la délivrance et le salut.

Tel était le langage que l'on tenait au nom du connétable, et il ne le désavouait pas, tout en se tenant mystérieusement à l'écart de la négociation, jusqu'au moment où l'accord sur les conditions d'un traité en règle lui permettrait de jeter le masque.

Beaurain communiqua au comte de Surrey, amiral d'Angleterre, commandant les forces d'Henri VIII sur le continent, les propositions du connétable et les porta en Espagne à son maitre, l'empereur Charles-Quint. En mai et juin 1523 à Valladolid, puis à Londres, se poursuivirent les pourparlers nécessaires pour régler la part de coopération et de subsides de l'Angleterre et les conditions à faire au connétable. Le résultat des efforts de Beaurain en Espagne et en Angleterre fut l'accord, au moins en principe, sur un certain nombre de points ou d'articles acceptés par le cardinal Wolsey, et qu'il se chargea de faire agréer au connétable ; le docteur Knight, ambassadeur de Henri VIII auprès de Marguerite d'Autriche, tante de Charles-Quint et gouvernante des Pays-Bas, reçut mission de rejoindre Beaurain au rendez-vous de Bourg en Bresse, que le connétable lui avait assigné, et d'obtenir de lui la garantie, importante au point de vue des prétentions anglaises, d'un serment préalable d'hommage à Henri VIII, comme héritier légitime de la couronne de France. Moyennant cette reconnaissance l'Angleterre accédait, pour sa part, aux propositions de l'Empereur au connétable, et dont voici le résumé, tiré des instructions de Beaurain :

Traiter du mariage du connétable soit avec Éléonore, veuve du roi de Portugal, soit avec Catherine, la plus jeune des sœurs de Charles-Quint ; convenir que, dans les dix jours qui suivraient l'entrée des deux princes alliés sur le territoire de la France, il se déclarerait et joindrait ses troupes à l'armée d'invasion ; lui garantir, aussitôt qu'il se serait déclaré, le payement successif de 200.000 couronnes pour l'entretien de ses hommes de guerre ; lui demander d'ouvrir ses villes aux confédérés, qui recevraient des vivres dans ses États ; enfin lui promettre, en concluant une ligue offensive et défensive, qu'il serait soutenu envers et contre tous, et que l'Empereur et le roi d'Angleterre ne feraient ni paix ni trêve sans l'y comprendre[24]...

Beaurain ne trouva pas le connétable à Bourg en Bresse. Ce n'est pas que celui-ci, sentant bien qu'il avait brûlé ses vaisseaux, reculât devant l'énormité de son entreprise et cédât à la crainte ou au remords. Mais il voulait jusqu'au bout ménager les apparences d'un côté, et de l'autre se dérober à ses alliés, afin de faire mieux valoir son prix. Il savait que François Ier passait du soupçon à la certitude de ses menées. Il savait que le Parlement, embarrassé de son procès, le tramait en longueur, dans l'espoir d'un incident qui lui permettrait de sortir avec honneur de ce mauvais pas. En attendant son arrêt, le roi avait saisi préventivement le comté de la Marche, le comté de Gien, la vicomté de Murat et toutes les possessions données par Louis XI et Charles VIII à Anne de France, transmises par Anne de France à Suzanne et léguées au connétable. Celui-ci avait mis opposition à la saisie sans se faire illusion sur le succès.

Peut-être cependant espéra-t-il un moment ramener le roi à de meilleures dispositions ; ou plutôt voulut-il se donner, avant la rupture définitive, le prétexte d'une suprême injure. Il se rendit à la cour, et vint présenter ses hommages à la reine Claude, qui l'accueillit avec sa bonté habituelle et le fit asseoir à ses côtés. Le roi survint aussitôt qu'il fut informé de son arrivée. L'entrevue devint vite orageuse. — Il parait, lui dit brusquement François Ier, que vous êtes marié ou sur le point de l'être. Est-il vrai ? — Le connétable nia. Le roi maintint son propos. Il ajouta qu'il connaissait ses pratiques avec l'Empereur et répéta qu'il s'en souviendrait. Le connétable fit l'offensé, protesta contre un traitement immérité et osa s'indigner d'être menacé. Le roi le laissa dire, et borna pour le moment le châtiment d'un crime qu'il ne croyait encore que projeté à l'affront de cette explication où le connétable n'avait pas paru à son avantage. Celui-ci se retira dans son hôtel avec grand cortège de gentilshommes, et le lendemain déguerpit sous prétexte de remplir, en allant chasser une bande de soldats aventuriers qui infestaient et rançonnaient la Champagne et la Bourgogne, son office de connétable. L'expédition achevée avec un facile succès, il retourna dans le Bourbonnais, exhalant en paroles imprudentes sa déception, son mécontentement et son espoir d'une prochaine revanche. Dès ce moment, depuis longtemps conspirateur, il était déjà traître en son âme. Il ne lui manquait, pour l'être eu effet, que l'appât des offres définitives de l'Empereur. Justement il était à peine rentré à Moulins, se disputant aux derniers murmures de sa conscience, qu'il apprit l'arrivée à Bourg de Beaurain, chargé des dernières démarches auprès de ce Bourbon aux allures équivoques dont les fidèles déjà s'éloignaient, et qui allait sacrifier son honneur à la crainte d'être réduit, comme l'en avait menacé, dit-on, le chancelier Du Prat, à la condition d'un gentilhomme de quatre mille livres de rente.

Avec la méfiance d'un homme déjà coupable, le connétable, au lieu de se rendre à Bourg, où son voyage eût été suspect, donna audience à l'ambassadeur de Charles-Quint dans la petite ville de Montbrison. Il y était venu sous prétexte d'un pèlerinage à Notre-Dame du Puy, accompagné de ceux qu'il considérait comme les plus sûrs parmi ses serviteurs et ses conseillers : Antoine de Chabannes, évêque du Puy, frère du maréchal de la Palice, et Jacques Hurault, évêque d'Autun ; Tansannes, seigneur de Chezelles, Philippe des Escures, seigneur de Quinçay-le-Châtel, ses chambellans ; Jean de Bavant, Anne du Peloux, Jacques de Beaumont, seigneur de Saligny, ses maîtres d'hôtel, le lieutenant de sa compagnie d'hommes d'armes, Antoine d'Espinat et d'Espinat le jeune, seigneur de Coulombiers ; Robert de Grossone, seigneur de Montcoubelin, Hector d'Angeray, seigneur de Bruzon, Hugues Nagu, seigneur de Varennes ; les seigneurs de La Souche de Pompérant, de Lallière, de Lurcy, de Charency et une troupe de jeunes gentilshommes du Bourbonnais, de l'Auvergne, du Forez, du Beaujolais, attachés à sa personne et dévoués à sa fortune.

Avant d'arriver à Montbrison, le connétable s'était abouché à Varennes avec Aymard de Prie, seigneur de Montpoupon, de la Mothe, de Lézillé, et capitaine de cinquante hommes d'armes des ordonnances du roi, et avait combiné avec lui un coup de main sur Dijon.

Cependant le seigneur de Beaurain avait pénétré le 17 juillet au soir à Montbrison, en petit équipage, accompagné seulement du sire de Locquingham, capitaine au service de l'Empereur, de son secrétaire Château et des deux gentilshommes envoyés à sa rencontre par le duc de Bourbon. Il reçut dans le palais du connétable une hospitalité furtive, et dans des entrevues nocturnes acheva de convenir avec lui des conditions du traité qui consacrait son alliance avec l'Empereur et sa trahison envers la France. Avant même de l'avoir signé, il y associa, par une confidence faite sous la foi du serment, un personnage qui était, avec René de Bretagne, comte de Penthièvre, vicomte de Bridier et seigneur de Boussac, le principal de ses partisans. Il se nommait Jean de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier et comte de Valentinois.

Ce seigneur, mécontent comme le connétable, se plaignait de n'être pas traité à la cour suivant son rang, ses services et son caractère ; il reprochait au roi de n'avoir pas été remboursé de cent mille écus dépensés pour son service en Italie.. Il en voulait à Louise de Savoie de retenir à son préjudice, malgré des promesses formelles, le comté de Valentinois. Saint-Vallier, chevalier de l'ordre et capitaine des cent gentilshommes de la maison du roi, père de la célèbre Diane de Poitiers, qu'il avait mariée à Louis de Brézé, comte de Maulevrier, grand sénéchal de Normandie, n'était pas un ambitieux ni un mécontent vulgaire, et le connétable en jugea ainsi puisqu'après lui avoir fait l'aveu de ses desseins, il le constitua le témoin du pacte qui donnait à la conjuration l'appui de Charles-Quint et d'Henri VIII. C'est dans la nuit du samedi 18 juillet 1523 que fut signé et juré, sur les Évangiles profanés, ce traité de rébellion et de trahison dont les conséquences pouvaient être si terribles pour la France et ne furent fatales qu'à son auteur.

Par ce traité, le duc de Bourbon s'unissait à l'Empereur envers et contre tous, sans excepter son souverain. Sans prendre encore envers le roi d'Angleterre l'engagement de reconnaître ses prétentions à la couronne de France, s'en remettant de ce chef à la décision de l'Empereur, il l'avouait pour un des chefs de la ligue où il entrait. Moyennant la promesse de la main de la reine Éléonore ou de la princesse Catherine, avec une dot de deux cent mille écus, il s'obligeait à concourir avec des troupes levées dans ses États et dix mille lansquenets à la solde de l'alliance, enrôlés en Allemagne, à la double invasion espagnole et anglaise dont le départ de François Ier de Lyon devait être le signal, dix jours après les hostilités commencées à la fois dans le Midi et sur les côtes occidentales du royaume.

A minuit, quand le traité, transcrit par le secrétaire Château en deux exemplaires, l'un destiné à Charles-Quint, l'autre que devait garder le connétable, eut reçu parafes et serments, le connétable fit entrer Saint-Bonnet, seigneur de Bruzon, auquel il donna ordre d'accompagner M. de Beaurain dans son retour en Espagne, et qu'il chargea de ses hommages personnels pour l'Empereur ainsi que de sa demande en mariage de sa sœur.

Arrivé à Bourg en Bresse, Beaurain adressa, en même temps que des dépêches chiffrées, une copie du traité conclu avec le connétable, à l'archiduc Ferdinand par le capitaine Loquingham, et à Henri VIII par le secrétaire Château. Il invita le frère de l'Empereur à faire lever immédiatement les dix mille lansquenets à la tête desquels devait se mettre le duc de Bourbon au moment de sa révolte, et il proposa au roi d'Angleterre de ratifier le traité en ce qui le concernait, ou d'en conclure promptement un semblable. De là il se rendit par Gênes en Espagne, pour rendre compte à son maitre du succès de sa mission.

Pendant ce temps, s'il faut en croire la déposition de Saint-Vallier, le connétable goûtait la joie troublée de son criminel triomphe, et, un moment sensible aux adjurations de son confident épouvanté, il étouffait le dernier murmure de sa conscience pour descendre avec une sombre résolution cette pente de la trahison qu'on ne remonte pas. Il donna l'ordre de fortifier et de munir de canons, de poudre et de vivres ses châteaux de Chautelle et de Carlat. Il entra en pourparlers et préparatifs mystérieux avec le capitaine La Clayette, chef de sa compagnie d'hommes d'armes, et le capitaine Saint-Saphorin, qui avait servi sous ses ordres en Italie, et devait recruter pour lui quatre mille hommes de pied dans le pays de Vaud et le Faucigny. Il fit partir pour la Savoie Antoine de Chabannes, évêque du Puy, avec mandat de lui ménager l'appui du duc son parent. Enfin, convaincu que son suprême appel rangerait autour de lui deux mille gentilshommes liés à son sort, il songea à leur donner l'exemple et l'encouragement d'un coup de main hardi et heureux. Il écrivit donc à deux jeunes seigneurs normands qui avaient servi sous ses ordres, et qu'il avait distingués et favorisés, Jacques de Matignon et Jacques d'Argouges, pour les prier de s'aboucher à Vendôme avec son émissaire M. de Lurcy. Nous saurons bientôt ce qu'on devait leur proposer de sa part.

Une fois toutes ces mesures prises, tous ces agents mis en campagne, toutes ces mines chargées, le connétable, rongé des soucis du conspirateur, alla attendre à Moulins que ses menées eussent abouti pour éclater à la fois, dès le départ du roi pour l'Italie, et lui fermer le chemin de la France soulevée.

Mais le duc de Bourbon comptait sans les justes méfiances de François la, sans les scrupules et les aveux de certains de ses conjurés qu'il avait trop facilement jugés d'après lui, et qui n'avaient pas, en promettant de le servir sur d'incomplètes confidences, mesuré la profondeur de l'abîme où les entraînait la complicité. Le succès d'une entreprise pareille à celle du connétable eût été par trop décevant, par trop immoral. La providence de Dieu veille sur le monde, et, indifférente à ceux qui l'accusent, elle est implacable à ceux qui la calomnient. Les desseins du connétable, qui semblaient avoir tout pour eux, ne tardèrent pas à échouer, comme on va le voir. Une petite pierre partie de la montagne suffit, quand il le faut, pour renverser le colosse.

Le roi, tout entier aux préparatifs de cette expédition décisive qu'il devait conduire lui-même, les avait achevés non sans efforts et sans sacrifices. Il avait emprunté à l'Hôtel de ville de Paris, aliéné les biens de la couronne, multiplié les offices de justice et de finance par des créations encore plus abusives que lucratives, enfin dépouillant jusqu'aux églises, prélevé pour le nécessaire de la guerre jusqu'au superflu des trésors du sanctuaire. A ces mesures financières avaient correspondu les mesures militaires auxquelles elles avaient pour but de subvenir. François Ier avait concentré vers l'est le gros de ses troupes sous le commandement de l'amiral Bonnivet, qui l'avait précédé à Lyon et le devança en Italie. Il avait chargé Lautrec et son frère Lescun de défendre en Gascogne et en Languedoc les frontières contre une agression espagnole. Il avait ménagé, pour détourner le roi d'Angleterre d'une invasion en Picardie ou en Normandie, une double diversion politique et militaire par l'envoi en Écosse de Richard de la Poole, dernier représentant de la maison d'York et compétiteur dynastique d'Henri VIII, appuyé par une flotte et une armée que commandait le duc d'Albany. Après avoir ainsi pourvu au présent et préparé l'avenir, François Ier se rendit à Lyon, non sans avoir accompli des dévotions solennelles à Saint-Denis et à la Sainte-Chapelle, et sans avoir recommandé le dévouement à ses intérêts et l'obéissance à la duchesse régente, sa mère, aux gens de l'Hôtel de ville et du Parlement.

A Gien, où l'avaient accompagné la duchesse d'Angoulême et la reine Claude, François Ier rencontra d'Escars, l'un des serviteurs alarmés et des complices attiédis du connétable, et ne lui cacha point son mécontentement des menées du duc de Bourbon, lui laissant entendre qu'il en savait sur ce sujet plus qu'on ne le pensait. D'Escars intimidé ne put que conseiller au roi de ne point laisser derrière lui un serviteur calomnié sans doute, mais suspect ; et sur la route même du Bourbonnais qu'il voulait traverser pour aller à Lyon, le roi reçut des avis qui n'étaient pas faits pour l'encourager à la confiance et lui faire modifier son dessein d'avoir avec le duc de Bourbon une entrevue personnelle et une explication décisive.

L'erreur commune à tous les traîtres, c'est de compter sans la trahison. Matignon et d'Argouges, arrivés à Vendôme dans les premiers jours d'août au rendez-vous que leur avait assigné M. de Lurcy, dans la persuasion que le connétable voulait les mener avec lui en Italie, et leur confier des compagnies à commander, ne dissimulèrent ni leur surprise ni leur indignation lorsque leur interlocuteur, en leur faisant l'injure de ne pas douter de leur assentiment, leur communiqua le plan de rébellion et d'invasion auquel ils étaient appelés à coopérer, en favorisant l'entrée en Normandie des troupes anglaises.

Étourdis, mais loyaux, et plus effrayés que flattés de la confidence, les deux gentilshommes se récrièrent et refusèrent énergiquement leur concours. Non contents de cette désapprobation, ils se crurent obligés de dénoncer la machination odieuse à laquelle on avait prétendu les associer. Leurs révélations parvinrent, par l'évêque de Lisieux, au grand sénéchal de Normandie qui, sans se douter ou s'inquiéter du tort qu'il faisait ainsi à son beau-père, Saint-Vallier, les transmit au roi, en l'engageant à se tenir en garde, par une lettre que François ter reçut à Saint-Pierre le Moustier, l'avant-veille du jour où il devait entrer à Moulins.

Le connétable n'était pas venu à sa rencontre, s'excusant par l'intermédiaire de Robert de Grossone son envoyé, de son infraction à son devoir sur l'état de maladie qui le confinait dans sa chambre. François Ier envoya l'ordre au bâtard de Savoie, grand maitre de France, qui avait déjà dépassé Moulins, d'y revenir avec ses lansquenets. Il fit battre les champs et éclairer sa route par une grosse troupe aux ordres du duc de Longueville, et marcha environné de ses gardes vers la capitale du Bourbonnais. Il se logea au château, dont il prit les clefs, et s'y plaça sous la protection de sentinelles vigilantes, surveillant aussi attentivement la ville, que parcoururent ses patrouilles.

Le roi, auquel pesait la contrainte de cette hospitalité méfiante, en sortit bientôt pour avoir, avec le duc de Bourbon, l'entretien décisif qui était le principal objet de son voyage. Il ne lui cacha point qu'il était au courant de ses criminelles relations avec les ennemis de l'État et les siens. Sans les nier, le connétable chercha à en atténuer la portée. Il rejeta tous les torts sur l'Empereur qui l'avait fait obséder d'offres auxquelles il avait résisté. Il nia son alliance avec lui et le mariage qui devait en être le gage. Tout se réduisait à des communications imprudentes, il en convenait, mais non coupables. Le roi feignit de se contenter ou se contenta de ces explications, soit qu'il jugeât inopportun de pousser un tel homme à bout, soit qu'il préférât, conformément à son caractère, épuiser les voies de la clémence avant de recourir à la rigueur. Il promit donc, soit par politique, soit par générosité, au connétable de lui restituer ses biens si l'arrêt du Parlement lui était défavorable, se tenant pour satisfait de l'hommage rendu à son droit. Il répara spontanément l'injure faite au privilège du connétable dans la campagne de 1522, en lui offrant de partager avec lui le commandement de l'armée d'Italie. Certain du moins de mettre ainsi le connétable dans l'embarras et de rompre ses desseins, il insista pour qu'il passât avec lui en Italie où sa présence était nécessaire à son service.

Le connétable répondit à ces avances par l'affectation de la reconnaissance et du dévouement, et le roi, après avoir reçu la promesse formelle de sa prochaine arrivée à Lyon, le quitta, le laissant fort heureux d'en être quitte à si bon marché, mais inquiet de la présence de M. de la Roche-Beaucourt, délégué par le roi auprès de lui pour l'accompagner, et de ce cortège de lansquenets, commandé par le bâtard de Savoie, qui suivait le roi à distance, avec une lenteur calculée.

Ces précautions trop justifiées qui n'avaient rien d'offensant, mais qui attestaient de la part du roi la résolution bien arrêtée de ne pas renoncer au gage de sa présence auprès de lui, intimidèrent-elles le duc de Bourbon au point de le confirmer dans ses desseins, en lui faisant voir dans leur succès l'unique voie de son salut, ou bien ne fit-il que par force une promesse de rejoindre Je roi à Lyon qu'il n'avait pas l'intention de tenir ? Ce qui ferait pencher pour cette dernière hypothèse, c'est qu'il éluda son engagement et différa près de deux semaines son départ pour Lyon, dans l'espoir que le roi se lasserait de l'attendre, tout en continuant ses préparatifs de rupture et en envoyant à l'Empereur, l'un par la voie de Bayonne, l'autre par la voie de Perpignan, deux nouveaux émissaires chargés de renouveler ses engagements envers lui.

Cependant le roi, dans sa juste impatience, dépêcha à Moulins en poste un gentilhomme de sa chambre, Pérot de Warthy, avec mission de presser le duc de hâter son départ et de lui réitérer à cet égard ses ordres et ses promesses. Le connétable se débarrassa de ce témoin importun en l'assurant qu'il le suivrait dans le délai de trois jours, et que le roi pouvait y compter et prendre les devants.

François lu n'en fit rien et, le délai expiré, renvoya Pérot de Warthy au duc, porteur d'une injonction plus impérieuse. Cette fois, Warthy rencontra le connétable en route, à Saint-Gérand de Vaux près de Varennes. Il notifia au duc son mandat de ne plus le quitter et de l'informer que le roi n'attendait plus que lui pour passer en Italie, ajoutant qu'il laisserait aux environs de Lyon une troupe de 4 à 5.000 hommes, chargée d'observer les rassemblements suspects de lansquenets qui s'amassaient du côté de la Bourgogne. C'étaient les lansquenets qui, levés en Allemagne à la diligence de l'Empereur, attendaient, sous le commandement des comtes Guillaume de Furstemberg et Félix de Werdenberg, le signal du départ du roi pour venir se mettre aux ordres du duc révolté.

Le connétable voyageait en litière, fort lentement, et ce qu'il apprenait n'était pas de nature à précipiter sa marche vers le roi, dont la juste méfiance éclatait enfin dans le ton de ses ordres, l'impatience de s'on attente et le choix de ses surveillants. Pérot de Warthy prenait de plus en plus son rôle au sérieux, ne quittait pas l'ombre de la litière du connétable, et maugréait à chaque retard. Le jeudi matin 3 septembre on arriva à la Palice. On voyageait à raison de trois lieues par jour. C'était peu ; mais bientôt on fit encore moins. Dès la Palice même, le duc de Bourbon contrefit le malade, mit tout son monde en alerte, et fit savoir à Warthy par les médecins qu'en proie à la fièvre, il ne pourrait poursuivre sa route sans danger de mort. La scène est caractéristique :

Le connétable le lui confirma bientôt lui-même. L'ayant fait appeler auprès de son lit : Je me sens, lui dit-il, la personne la plus malheureuse du monde de ne pas pouvoir servir le roi. Si je passais outre, les médecins qui sont là ne répondraient pas de ma vie, et je suis encore plus mal que ne le croient les médecins. Je ne serai jamais plus en état de faire service au roi. Je retourne vers mon air natal, et si je retrouve un jour de santé, j'irai vers le roi. Il se tourna ensuite comme accablé et se tut.

Warthy lui exprima sa surprise et le mécontentement qu'éprouverait le roi à cette nouvelle. Il en sera, dit-il, terriblement marri. Ayant appris que le connétable devait, ce jour-là coucher à Gayete et faire quatre lieues en retournant sur ses pas, tandis qu'il prétendait ne pas pouvoir en faire trois en avançant du côté de Lyon, il n'eut plus aucun doute sur la perfidie de ses intentions. Il courut en informer le roi auprès duquel il se rendit à franc étrier, et arriva le soir même vers minuit[25].

C'en était trop ; la mesure de la patience était comble. Dans la nuit même, François Ier fit arrêter Saint-Vallier, qui était auprès de sa personne, en qualité de capitaine des cent gentilshommes de sa maison, Aymard de Prie, qui commandait une de ses compagnies d'ordonnance, Antoine de Chabannes, évêque du Puy, qui était revenu de Savoie sans avoir réussi dans sa mission auprès du duc, et quelques autres personnages qui étaient de la conjuration. Le 6 septembre au matin, il renvoya pour la troisième fois Warthy auprès du connétable, porteur d'injonctions comminatoires, tempérées encore par l'assurance du pardon, s'il commençait à se justifier en cessant un manège équivoque, dont on n'était plus dupe, et en se rendant à son devoir. En même temps il expédiait en Bourbonnais son oncle, le bâtard de Savoie, grand maître de France, et le maréchal de la Palice, Jacques de Chabannes, à la tête de quelque mille hommes de pied et de quatre ou cinq cents chevaux, pour s'emparer du connétable, s'il n'obéissait point.

Celui-ci n'en avait nulle envie. Il avait convoqué l'arrière-ban de la noblesse à Riom. Il avait ordonné des levées dans ses États. Bavait envoyé message au capitaine Sant-Saphorin pour le presser de hâter son recrutement dans le pays de Vaud et le Faucigny : Pendant la nuit du 6 septembre, il avait reçu secrètement, à Gayete, sir John Russell, parti d'Angleterre avec le secrétaire Château et le capitaine Loquingham et muni des pouvoirs de Henri VIII. Dans cette nuit du 6 au 7 septembre le connétable se lia avec le roi d'Angleterre à Gayete comme il s'était lié avec l'Empereur à Montbrison, et convint de favoriser l'invasion de la France et d'attaquer François Ier, moyennant le subside de cent mille écus nécessaire à la solde d'un corps de lansquenets dont il prendrait le commandement.

Dès le lendemain, pendant que les négociateurs du traité retournaient vers leurs maîtres pour en presser l'exécution, c'est-à-dire la double invasion, le duc de Bourbon, quittant sa litière courait à cheval s'enfermer dans son château fort de Chantelle. Pérot de Warthy ne tarda pas à l'y rejoindre. Le connétable le chargea pour le roi d'assurances illusoires, et le fit accompagner par l'évêque d'Autun, porteur d'une sorte d'ultimatum ainsi conçu : Pourvu qu'il plaise au roy lui rendre ses biens, monseigneur de Bourbon promet de bien le servir et de bon cœur, en tous endroits et toutes les fois qu'il lui conviendra. En témoignage de ce, il a signé la présente et prie le roy qu'il luy plaise pardonner à ceux auxquels il veut mal pour cette affaire. Charles.

Le mardi 3 septembre, vers une heure du matin, le connétable, monté sur sa mule et suivi de ses familiers, quitta furtivement Chantelle et prit la route des montagnes. Il emportait de 25 à 30.000 écus d'or dans des sacoches dont étaient chargés les hommes de sa suite. Du château de la Fayette, il se rendit au château d'Herment, d'où il délogea subrepticement, abandonnant à leur sort la plupart des gentilshommes de son cortège qui se dispersèrent, non sans l'avoir maudit. C'est ainsi que Pelota, Laitière, Tansannes, Saint-Bonnet, Desquières, Brion, durent se réfugier dans la Franche-Comté, sans autre profit que de s'être à jamais compromis pour un maitre qui les sacrifiait égoïstement à la sécurité de sa fuite. Car on ne peut plus donner d'autre nom à cet exode piteux et aventureux du duc de Bourbon, déguisé en valet de Pompérant, son gentilhomme, et courant les hasards d'une route furtive, accompagné seulement de deux de ses familiers et de deux de ses valets de chambre.

Du 15 septembre au 30 octobre on perd la trace du traître fugitif en proie à toutes les angoisses à toutes les alarmes d'un cheminement nocturne, tortueux, à travers les champs sillonnés de troupes marchant vers le rendez-vous de Lyon, et échappant à grand'peine aux recherches et aux poursuites de gens alléchés par la promesse royale, publiée à son de trompe, d'une récompense de dix mille écus d'or à qui le prendrait ou le livrerait. Enfin, un mois après son départ de Chantelle, le duc de Bourbon parut à Besançon le 9 octobre, et y fut rejoint par la plupart des gentilshommes auxquels il avait si brusquement faussé compagnie à Herment et qui durent, faute de mieux, crainte de pis, s'attacher de nouveau à sa fortune diffamée.

Cependant François Ier, qui se voyait avec peine détourné de son expédition d'Italie par des dangers plus pressants, et qui ne se résignait pas volontiers à voir un homme du rang et de la valeur du duc de Bourbon se joindre à ses ennemis, essaya d'une dernière négociation, moins pour reconquérir un douteux ami que pour priver l'Empereur et le roi d'Angleterre d'un si redoutable auxiliaire. Il fit offrir au connétable fugitif la restitution immédiate de ses biens, le remboursement sur le trésor royal de ce qui lui était dû, le rétablissement de ses pensions et l'a2ssurance qu'elles lui seraient payées avec exactitude. Bourbon refusa tout et repoussa jusqu'aux prières de la duchesse de Lorraine, sa sœur, par cette réponse à la fois résolue et désespérée : Il est trop tard.

Eu même temps que leur complice, trahi par leur impatience, les coalisés précipitaient l'exécution de leur plan d'invasion. Prospero Colonna, général de l'armée impériale en Italie, recevait de Charles-Quint l'ordre de pénétrer en Provence après avoir battu l'avant-garde des troupes françaises, conduite eu Lombardie par l'amiral Bonnivet. Sur la frontière du nord-ouest, Henri VIII, sans attendre le retour de son envoyé auprès du connétable, John Russel, avait donné à son beau-frère, le duc de Suffolk, le signal de débarquer à Calais quinze mille hommes de pied et six mille chevaux. Dès lès premiers jours de septembre, la petite armée flamande du comte de Buren s'était mise en communication avec les forces anglaises, et combinait ses mouvements avec les leurs. En Bresse, les dix mille lansquenets allemands des comtes de Furstemberg et de Werdemberg menaçaient la frontière de l'est. Enfin les Espagnols débordaient les Pyrénées dans la direction de Bayonne.

François Ier, affaibli par la double et inopportune expédition du Milanais et de l'Écosse, était ainsi pris au dépourvu dans ses propres États, et à peine en état de parer aux exigences d'une campagne de précaire défensive. Les villes de l'intérieur, sans remparts ou sans garnison, étaient incapables d'arrêter dans son élan l'ennemi marchant sur Paris. La Trémoille se multipliait en Picardie pour suppléer à ce défaut d'éléments de résistance. Négligeant Doullens qui leur résistait, les coalisés, poursuivant leur pointe intimidatrice, avaient brûlé Bray-sur-Somme, occupé Roye et Montdidier, et lancé leurs coureurs jusqu'à Compiègne, Clermont en Beauvoisis et Senlis. Ces villes effrayées appelaient à leur secours Paris dont les échevins réclamaient, par un message expédié en poste à Lyon, l'appui du roi.

Le 1er novembre, au milieu de l'alarme universelle, poussée à ce point qu'on avait interdit les solennelles sonneries de cloches de la Toussaint, afin de mieux entendre venir l'ennemi, le duc de Vendôme et Chabot de Brion, dépêchés par François Ier, arrivaient à Paris pour y organiser la défense, dénoncer au Parlement la trahison du connétable et profiter, pour obtenir son concours, de l'indignation patriotique que devait exalter une telle nouvelle.

Chabot de Brion et le duc de Vendôme firent au prévôt des marchands et aux échevins réunis à l'Hôtel de ville les mêmes déclarations qu'au Parlement. Ils insistèrent énergiquement sur les sollicitudes paternelles du roi, en échange desquelles il devait attendre les témoignages d'un dévouement filial. Ils protestèrent de son intention de pourvoir, avec une prédilection justifiée, à la défense de Paris. C'est ce sentiment réconfortant que Brion exprima en ces termes :

Le seigneur roi, plutôt que de perdre Paris, aimerait mieux se perdre lui-même. Il est délibéré de vivre et de mourir avec ceux de la ville de Paris, et s'apprête à les défendre. S'il en était empêché et n'y pouvait venir en personne, il y enverrait femme, enfants, mère et tout ce qu'il a, car il est assuré que, quand il aurait perdu le reste du royaume et qu'il aurait la ville de Paris, il recouvrerait aisément ce qu'il aurait perdu.....

L'assemblée décida de pourvoir tout de suite à la défense de Paris. Elle prescrivit d'y creuser des tranchées et d'y élever des remparts du côté de la Picardie. Une taille de seize mille livres fut imposée aux habitants pour solder deux mille hommes de pied. On leva les francs-archers de la prévôté et de la vicomté de Paris qui n'avaient pas été convoqués depuis longtemps. Le prévôt des marchands et les échevins ordonnèrent de tendre les chaînes de fer aux lieux accoutumés, et l'on se mit à l'œuvre pour remparer les faubourgs de Saint-Honoré et de Saint-Denis, et les enceindre de grands fossés[26].

François Ier, de son côté, ne demeurait pas inactif. Avec une ardeur qu'excitaient le dépit de l'affront et le sentiment du danger, il passait tour à tour de ses devoirs de roi militaire à ses devoirs de roi justicier, tantôt envoyant au grand sénéchal de Brézé l'ordre de lever six mille hommes de pied, de faire sonner le boute-selle de toute la noblesse de Normandie et de courir au secours de Paris ; tantôt chargeant ses lieutenants en Bourgogne et en Champagne, le comte de Guise et le comte d'Orval, de retarder et d'affamer les troupes d'invasion en rasant le plat pays, en abattant les fours, en rompant les fers des moulins ; tantôt enfin en faisant transporter au château de Loches ses prisonniers Saint-Vallier, Aymard de Prie, d'Escars, le chancelier du Bourbonnais, Papillon, les évêques d'Autun et du Puy, et en hâtant les interrogatoires de leurs juges : le premier président du Parlement de Paris, de Selve ; le président des enquêtes, de Loynes ; le maître des requêtes, Salat ; et le conseiller Papillon. Les formalités et les lenteurs du procès l'irritaient et il gourmandait les commissaires, leur réclamant, avec une impérieuse impatience, ce qu'ils ne se pressaient pas assez à son gré de lui fournir : les secrets encore inconnus de la conspiration et un

exemple assez prompt, assez énergique, assez décisif pour désarmer les rebelles et intimider les tièdes.

Cependant le péril qui rendait le roi si inquiet et si exigeant commençait à se dissiper. Les lansquenets allemands ; dont l'armée anglo-flamande attendait le renfort pour continuer sa marche sur Paris, n'avaient pu arriver au rendez-vous. Le comte de Guise et le comte d'Orval réunis les avaient harcelés, affamés à ce point qu'ils avaient été réduits à la retraite et que, trop faibles pour attendre les secours que le connétable leur préparait en Franche-Comté, ils avaient dû repasser la Meuse à Neufchâteau, où le duc de Guise les avait suivis, non sans y perdre beaucoup de monde, et aller combler leurs vides et réparer leurs jeûnes en Lorraine.

Le départ des lansquenets, les lenteurs du duc de Bourbon, les offres peu tentantes de la gouvernante des Pays-Bas, l'infante Marguerite d'Autriche, proposant à Henri VIII, dont les finances étaient fort embarrassées, de prendre à sa solde les Flamands du comte de Buren, qu'elle ne pouvait payer, jetèrent le désarroi parmi les coalisés et leur firent perdre le bénéfice de l'occasion. Henri VIII, mécontent des infractions au pacte qui menaçait de le laisser chargé de tout le fardeau d'une entreprise hasardeuse, refusa de garder à son compte les soudards flamands, qui se replièrent sur Valenciennes, et, faute de cavalerie, arme indispensable dans une campagne d'invasion, dut donner lui-même à ses troupes le signal de la retraite vers Calais, où elles prirent leurs quartiers d'hiver (septembre 1523).

Le plan des confédérés, qui avait échoué au centre dans ses tentatives de soulèvement et au nord dans son essai d'invasion, n'eut pas une meilleure issue au midi où Charles-Quint, promettant plus qu'il ne pouvait tenir, avait dû borner, faute d'argent et de troupes, son irruption à une entreprise sur Bayonne, victorieusement repoussée par Lautrec. La France se trouva ainsi heureusement délivrée, et l'Italie, où l'Empereur envoyait comme son lieutenant général le duc.de Bourbon, dont la révolte jusque-là avait été inefficace et l'alliance inutile, demeurait l'unique théâtre de la guerre et le suprême champ de bataille de la rivalité de Charles-Quint et de François Ier.

Pendant la fin de l'année 1523, les deux champions dont un, l'Empereur, devait se dérober sans cesse au périlleux honneur d'une rencontre directe, n'y furent représentés que par leurs seconds ou lieutenants.

Une trop imprévoyante faveur, née de l'affection plus que de l'estime, fondée sur une sympathie d'esprit et de caractère plus que sur des mérites et des services, avait valu à l'amiral Bonnivet, mis en relief par le hasard heureux de la prise de Fontarabie en 1521, le choix de François Ier.

C'est lui qui, de concert avec le maréchal Anne de Montmorency, fut chargé par la confiance de son maitre, égoïstement attaché à cette conquête en proportion même des sacrifices qu'elle lui coûtait, de reprendre ce Milanais dont le décevant mirage faisait oublier à François Ier jusqu'aux dangers de la France. A la tête de l'armée rappelée d'Italie il aurait pu, au lieu de se réduire à la défensive, tenter avec honneur le succès d'une guerre vraiment nationale, puisqu'il s'agissait de repousser du royaume l'envahisseur étranger. Tout entier à sa funeste passion, François Ier aima mieux se condamner aux angoisses de son attente douloureuse et humiliée à Lyon devant le spectacle du royaume assailli, désarmé, que de priver, en rappelant une partie de ses forces, Bonnivet d'un instrument dont il allait si mal se servir.

Le présomptueux amiral disposait d'une fort belle armée pour le temps : quinze cents hommes d'armes et vingt-cinq mille hommes de pied tirés des cantons suisses, du duché de Lorraine, du duché de Gueldre, inépuisables pépinières de mercenaires, des provinces françaises les plus belliqueuses et de quelques petits États d'Italie. Son état-major était rempli de valeureux et renommés capitaines : Bayard, à l'apogée de son expérience et de sa renommée ; Jean de Chabannes, seigneur de Vandenesse, digne frère du maréchal de la Palice ; le capitaine de Lorges, fameux chef de bandes ; le comte de Saint-Pol, frère cadet du duc de Bourbon-Vendôme ; le suisse Jean de Diesbach, les Italiens Federico da Bozzolo, de la maison de Gonzague, et Renzo da Ceri, de la maison des Orsini.

C'est avec ces forces et ces chances de succès que Bonnivet parut le 14 septembre sur les bords du Tessin et prit facilement possession de toute la partie du duché de Milan située à la droite de ce fleuve.

Prospero Colonna commandait toujours les troupes impériales ; mais elles étaient fort réduites et lui-même, atteint du mal qui devait l'emporter trois mois plus tard, privé du concours importun mais nécessaire de Ferdinand d'Avalos, le hardi et heureux marquis de Pescaire, avec lequel il n'avait pu s'entendre, ne tenait plus que d'une main affaiblie, avec les restes d'une ardeur qui s'éteint, les rênes d'une direction plus que jamais difficile. Mais il lui demeurait, pour le seconder, deux fameux capitaines espagnols : Alarcon et Antonio de Leyva, et un intrépide chef de bandes italien, Jean de Médicis.

L'impéritie de l'amiral Bonnivet, son indigne adversaire, ne devait pas non plus lui faire défaut. Loin de profiter de l'occasion qui s'offrait à lui de pousser à fond l'avantage de sa supériorité de forces, et de déloger de Milan, où il s'était réfugié, en abandonnant la rive gauche du Tessin, Prospero Colonna, incapable de défendre la ville, Bonnivet, aussi malencontreusement timide cette fois qu'il était souvent inopportunément résolu, suspendit sa marche et perdit un temps précieux. Prospero Colonna et François Sforza, qui s'apprêtait à quitter sa capitale, reprirent courage et rendirent confiance aux habitants qui aidèrent, avec un zèle enflammé par la haine de l'étranger, les troupes impériales à mettre Milan sur un pied de défense suffisant pour déconcerter le général français. Celui-ci, ne pouvant plus songer à enlever la ville par surprise, et ne voulant pas affronter les hasards d'un assaut, se contenta de la bloquer en établissant son camp au-dessous de Milan, entré Pavie et Lodi.

Ces dispositions, encore plus prudentes qu'habiles, et qui avaient le tort d'épuiser l'ardeur de son armée en permettant à l'ennemi d'être secouru, parurent d'abord favorisées par les circonstances. Tandis que Milan, sans cesse resserrée dans les étreintes du blocus, commençait à souffrir de la famine, le capitaine Bayard, à la tête d'un corps d'expédition, occupait Lodi où il laissait une garnison, commandée par Federico de Bozzolo et canonnait jusqu'à y faire brèche les remparts de Crémone en présence de l'armée vénitienne immobile.

En même temps que la cause impériale luttait contre le découragement de ses troupes, l'inertie égoïste de ses alliés, le manque dissolvant de vivres et d'argent, elle recevait l'atteinte de la mort imprévue d'un de ses principaux défenseurs, du chef de la ligue italienne, le pape Adrien VI (14 septembre). Le conclave, pratiqué par les intrigues et les influences des deux grands rivaux l'Empereur et le roi de France, ne parvint qu'après plus de deux mois de délibérations laborieusement stériles, à donner à ce pontife décédé un successeur, qui fut le cardinal Jules de Médicis (19 novembre), qui ceignit la tiare sous le nom de Clément VII.

L'avènement de ce pape, qui se montra d'abord dévoué à la cause impériale, ne modifia point, comme François Ier s'en était flatté, la situation en Italie, où Bonnivet persistait à attendre du temps, allié souvent perfide, un succès qu'il aurait mieux fait de demander à la rapidité et à l'énergie de ses opérations. Bayard avait échoué à emporter Crémone de vive force, et avait été rappelé à Monza pour contribuer à resserrer le blocus de Milan, qui, malgré la disette, ne se décida point à capituler, tandis que la rigueur inusitée de l'hiver obligeait Bonnivet à relâcher son investissement, à abandonner Monza et à se replier sur le Tessin, pour maintenir ses communications et ses approvisionnements.

Pendant qu'il laissait ainsi avorter une campagne qui aurait pu être si féconde, l'Empereur rétablissait, par un suprême effort, la fortune compromise de ses armes. A Prospero Colonna, mort en plein succès de Ses savantes et habiles dispositions, Charles-Quint donna pour successeur Lannoy, de Naples, qui ramena avec lui ; le marquis de Pescaire, et il réchauffa l'ambition et la haine du duc de Bourbon un moment presque disgracié, par le titre de son lieutenant général et représentant direct en Lombardie. Des subsides et des renforts portaient, à ce moment, les troupes impériales à un chiffre assez fort pour procéder à l'offensive, et abandonner le système de temporisation qui avait si bien réussi à Prospero Colonna.

Cette armée, qui comptait dix mille Allemands, sept mille Espagnols, quatre mille Italiens, huit cents lances et huit cents chevau-légers, outre les sept à huit mille hommes de garnison laissés dans Pavie à Antonio de Leyva et au marquis de Mantoue, commença ses opérations avec une décision qui rendit confiance aux Vénitiens, et fit, accourir sous le drapeau du plus fort les troupes de la République commandées par le duc d'Urbin.

Bonnivet, chassé de Rebecco, fut bientôt acculé, dans une posture des plus précaires, à Abbiate-Grasso. En même temps que la détresse de son général favori, François Ier apprenait que Charles-Quint venait de remporter, en recouvrant la place de Fontarabie, un succès qui ouvrait aux incursions espagnoles la frontière des Pyrénées.

Le roi de France, qui chassait et faisait bonne chère au château de Blois, dut s'arracher à ces insoucieuses délices ; mais l'hiver lui fermait le chemin des Alpes, et il espérait encore que Bonnivet se tirerait seul d'affaire ; en attendant, il attestait son réveil et la reprise de son métier de roi, en poursuivant inexorablement de l'épée et du flambeau de sa justice les complices de la trahison du connétable.

Cédant à son impatience d'un exemple salutaire et vengeur, le Parlement, le 16 janvier 1524, condamna Saint-Vallier à

être décapité, frappant d'un vain décret de prise de corps les conjurés contumaces : René de Bretagne, comte de Penthièvre ; Jean de Vitry, seigneur de Lanière ; Philibert de Saint-Romain, seigneur de Lurcy ; Pompérant, les deux frères d'Espinat, François de Tansannes, Jean de Bavent, François du Peloux, Bartholomé de Guerre, Beaumont, Guignard, Jean de l'Hôpital, Desguières et Brion ; Aymard de Brie et l'archer Baudemanche, coupables seulement de n'avoir pas révélé la conjuration, en furent quittes, le premier pour l'amende honorable et un exil de trois ans, les autres pour l'injonction de demeurer dans Paris àla disposition de la justice.

Cette solution d'un tel procès fut loin de satisfaire le roi et lui parut outrageusement indulgente. En attendant son retour à Paris, comminatoirement annoncé, il appesantit le poids de sa colère sur Saint-Vallier, l'unique victime expiatoire que lui abandonnât la mollesse du Parlement. Enfermé dans la tour de la Conciergerie, malade d'une fièvre qu'aggrava l'humiliation d'une dégradation solennelle, le malheureux Saint-Vallier, auquel on n'épargna la torture que pour le réserver au supplice, ne semblait pas devoir échapper à la mort infamante de l'échafaud, qu'il suppliait son gendre, le grand sénéchal de Normandie, sa fille Diane de Poitiers, comtesse de Brézé, femme du grand sénéchal, et l'évêque de Lisieux, de détourner de lui par une grâce due à leurs services. La grande sénéchale obtint en effet du roi, par ses prières et ses larmes, et non, comme l'a prétendu une légende que rien ne justifie, par des sacrifices indignes de tous deux, la vie de son père. La clémence, naturelle à l'âme de François Ier, n'avait pas besoin d'autre stimulant que le souvenir des anciens services du condamné, et surtout des services de son gendre qui avait révélé et déjoué le complot, dont son beau-père avait encore plus été la dupe que le complice. Il en fut, par une expiation poussée jusqu'aux angoisses suprêmes et qui donna naissance au fameux dicton populaire : la fièvre de Saint-Vallier, la première victime.

Extrait de la tour de la Conciergerie, il avait été mené sur le perron du Palais de justice, où lui avait été lue à haute voix la sentence qui le condamnait à avoir la tête tranchée. II avait ensuite été placé sur une mule avec un archer monté en croupe derrière lui pour le soutenir. II fut ainsi conduit à la place de Grève au milieu des arbalétriers, des sergents à verge et du guet. Il était sur l'échafaud, tout prêt à y subir sa sentence, lorsque accourut, fendant la foule, un archer de la garde du roi qui apportait sa grâce. Cette grâce était accordée, disait le roi dans sa déclaration, aux prières du grand sénéchal, en récompense sur tout du service éclatant qu'il en avait reçu ; mais elle était loin d'être entière. Au lieu d'avoir la tête tranchée, Saint-Vallier était condamné à passer sa vie entre quatre murailles maçonnées n'ayant qu'une petite fenêtre par laquelle on lui administrerait son boire et son manger. Ce supplice, que la perpétuité aurait rendu aussi cruel pour lui que la mort, ne commença pas même à lui être infligé. François Ier, que les prières de Diane de Poitiers avaient touché autant que les instances et le dévouement du grand sénéchal, étendit la grâce du père. Peu de jours après avoir fait remise de la peine capitale à Saint-Vallier, il prescrivit de surseoir à son emprisonnement, et il envoya bientôt un capitaine de sa garde avec ordre au Parlement de lui remettre le prisonnier pour le conduire où le voulait son bon plaisir. Mené dans un de ses châteaux sur les bords de l'Isère, Saint-Vallier y passa librement le reste de sa vie, qui ne se termina que douze ans après[27].

François Ier avait annoncé sa prochaine visite au Parlement dont il blâmait l'indulgence intempestive, dans l'affaire de la conspiration du connétable, dont il avait vivement ressenti, comme une atteinte à son autorité, comme une offense à sa majesté la longue résistance à l'exécution du Concordat et à l'établissement des charges nouvelles de conseillers, présidents, maîtres des requêtes, fâcheux expédient fiscal destiné à procurer à ses finances épuisées de précaires ressources.

Le roi se rendit en effet au Palais de justice pour gourmander le Parlement récalcitrant et lui rappeler qu'il ne tenait son autorité que de lui et qu'il n'était pas un Sénat de Rome. Il déclara avoir accordé la grâce de Saint-Vallier aux supplications de son gendre et de sa fille, et reconnu, en épargnant Saint-Bonnet, le mérite de ses révélations. Mais il reprocha vivement aux juges de Desguières, de Brion, de d'Escars, le chambellan du connétable, de Papillon son chancelier, de s'être contenté pour les premiers d'une détention de trois ans, et d'avoir épargné aux seconds la torture et la confiscation. Pour réparer le tort fait par ces jugements à sa justice et se dédommager en frappant le connétable en effigie de ne pouvoir le faire en réalité, il fit, séance tenante, citer à bref délai devant lui le traître fugitif.

Par son ordre, l'avocat général Lizet requit que, transfuge du royaume et notoirement criminel de lèse-majesté, messire de Bourbon fût, sous le bon plaisir du roi, assisté de ses pairs, princes du sang et membres de son conseil, condamné à être décapité, que ses fiefs fussent réunis à la couronne et ses autres biens confisqués. Les trois délais d'ajournement furent fixés à des termes assez rapprochés. Pour clore l'effet de cette intervention souveraine, le roi annonça aux commissaires chargés du procès du connétable rebelle qu'il leur adjoindrait des collègues empruntés aux autres Parlements et leur défendit, en attendant la révision des procès vidés,' de mettre en liberté les prisonniers.

Le roi fit meilleure figure aux gens de son Hôtel de ville, qu'il remercia gracieusement d'un prêt de 300.000 écus dont il allait se servir pour envoyer à l'amiral un renfort de huit mille Suisses. Ce renfort, le roi l'ignorait encore et ne tarda pas à l'apprendre avec une décevante nouvelle, était la suprême ressource de Bonnivet acculé jusqu'à Novare à la suite des incessantes et heureuses attaques qui le forçaient de rompre sans cesse devant un ennemi enhardi et supérieur en nombre.

Arrivant à temps, ce secours pouvait être fort utile, sinon décisif. Mais tout se tourna contre lui. Harcelé, traqué, traînant après lui des troupes démoralisées, diminuées par les échecs et les maladies, hors d'état de tenir à Novare, l'amiral, que ne rejoignaient ni les renforts suisses ni la cavalerie du duc de Longueville chargé de les lui conduire, s'avança jusqu'à la Sesia, au-devant des mercenaires suisses qui s'attendaient sur la rive opposée, résolus à se borner à protéger sa retraite. Cette retraite, poursuivie impitoyablement par le duc de Bourbon et Pescaire, et que ne guidaient plus ni Montmorency moribond, porté en litière, ni l'amiral lui-même, blessé au bras d'un coup d'arquebuse, ne tarda pas à dégénérer en déroute, malgré les héroïques efforts du comte de Saint-Pol et du chevalier Bayard, auxquels était demeuré le commandement.

Bayard se donna le poste le plus dangereux, celui de l'arrière-garde. Quand il était serré de trop près, il faisait volte-face avec quelques compagnies d'hommes d'armes et quelques bandes suisses, commandées par Jean de Diesbach, qu'il avait électrisées, et il dégageait l'armée par des charges d'une furie désespérée. Dans une de ces charges, le seigneur de Vandenesse, frère du maréchal de la Palice, fut atteint d'une blessure mortelle, et le chevalier sans peur et sans reproche reçut lui-même un coup d'arquebuse qui lui fracassa les reins.

Il se fit descendre de cheval, et, adossé à un arbre, il continua de combattre de la voix, des yeux, du visage, exhortant les siens, les consolant et montrant à l'ennemi un visage calme sur son lit sanglant. Doux envers la douleur, doux envers la mort, qu'il envisageait avec la sérénité du héros chrétien, il n'interrompit ses fermes adieux, ses dévotes prières, murmurées en baisant la croix de son épée, que pour adresser au duc de Bourbon, qui osait le plaindre, ce reproche d'avoir forfait à l'honneur, juste et rude châtiment de sa trahison, venant de l'homme qui était l'incarnation même de l'honneur. Nous emprunterons aux Mémoires de Du Bellay le court récit de cette dramatique rencontre :

Il se fit coucher au pied d'un arbre, le visage devers les ennemys, où le duc de Bourbon, lequel estoit à la poursuite de nostre camp, le vint trouver, et dit au dict Bavard, qu'il avoit grand pitié de luy, le voyant en test estat, pour avoir esté si vertueux chevalier. Le capitaine Bayard lui fit response : Monsieur, il n'y a point de pitié en moy, car je meurs en homme de bien ; mais j'ay pitié de vous, de vous veoir servir contre vostre prince et vostre patrie et vostre serment. Et peu après le dict Bayard rendit l'esprit.

Comme si la fortune et été apaisée par une telle victime, en en attendant une plus illustre encore, ou comme si la perte de Bayard, qu'ils redoutaient plus qu'une armée, eût semblé aux ennemis valoir une victoire, ils laissèrent, sans les harceler davantage, les débris des troupes françaises achever leur retraite sous les ordres du comte de Saint-Pol. Les Suisses rentrèrent chez eux par le val d'Aoste ; et les Français regagnèrent, par le col de Suze, Briançon, où ils trouvèrent, mais trop tard, les quatre cents hommes d'armes qu'amenait le duc de Longueville. Peu de temps après, les garnisons d'Alexandrie, de Lodi, de Crémone, où notre drapeau avait résisté deux ans, rentrèrent aussi, sous les ordres de Bussy d'Amboise et de Federico da Bozzolo, qui avaient dû capituler. Le roi, qui ne possédait plus pour la seconde fois, par la faute de Bonnivet, aussi malhabile et aussi malheureux que Lautrec, un seul pouce de terre italienne, allait avoir à défendre, contre l'invasion, le sol même de la France, et contre qui ? Contre le traître, le félon, le rebelle, le duc de Bourbon lui-même, à la tête d'une armée étrangère, payée par l'or du roi d'Angleterre, auquel il avait prêté serment d'hommage et de fidélité.

C'est le 1er juillet que ce digne sujet de l'étranger traversa les Alpes, passa le Var et s'établit au camp de Saint-Laurent, au bord de la mer, pour attendre son artillerie, que transportaient des vaisseaux espagnols et génois, et la portion de son armée qui devait le rejoindre. Cette armée d'invasion, composée de vétérans allemands, italiens, espagnols, enorgueillis par leurs succès du Milanais, et dont la riche proie française tentait la cupidité impatiente, avait avec elle son général de prédilection, le toujours heureux Pescaire et le marquis del Vasto, son neveu et son élève. Les comtes de Hohenzollern et de Lodron, et le fils du fameux Georges Frondsberg conduisaient les lansquenets.

Le plan du duc de Bourbon était, à la faveur d'une diversion opérée simultanément en Provence par ses troupes, en Picardie par les troupes anglaises, de fournir à Henri VIII le moyen de pousser de Normandie une pointe irrésistible sur Paris et de frapper au cœur la France et la dynastie. Pour le définir par le détail, l'objectif particulier du duc de Bourbon était de côtoyer la Provence, où il ne rencontrait que deux places fortes, le château de Monaco, dont Augustin Grimaldi, évêque de Grasse, devait lui ouvrir les portes, et Marseille qu'il assiégerait et prendrait. De là il offrait au besoin la bataille au roi, s'il relevait son gant, et s'avançait victorieux sur Lyon attaqué du côté où la ville était sans défense.

Ce plan orgueilleux, qui supposait partout le succès, subit la déception de plus d'un revers.

Tout d'abord, la flotte française, commandée par le seigneur de La Fayette et le célèbre amiral génois André Doria, captura le prince d'Orange, lieutenant de l'Empereur, qui venait rejoindre le duc de Bourbon, et malmena une partie de l'escadre chargée de son artillerie. Cependant ayant, à force d'intrépidité, conjuré les conséquences de cette première alerte,

Bourbon s'avança dans l'intérieur de la Provence sans rencontrer de résistance sérieuse, occupa Vence, Antibes, Cannes,

Fréjus, Draguignan, Hyères, Brignoles, et fit, le 9 août, son entrée dans Aix, où il reçut le serment des magistrats et prit le titre de comte de Provence ; enfin il mit le siège devant Marseille (19 août).

Il ne prenait pas la ville au dépourvu. Dès le mois de juin le commissaire Mirandel, envoyé par François Ier, avait présidé aux mesures de précaution qui permettaient une longue résistance. Renzo da Ceri et Chabot de Brion étaient venus seconder ses efforts et renforcer la garnison ; les habitants, animés de leur zèle patriotique, avaient fourni huit mille hommes de milice décidés à vaincre ou à mourir. Le 23 août, après quelques travaux d'investissement et de cheminement, Bourbon commença à battre la ville en brèche. Dès le lendemain la brèche était bouchée par les intrépides défenseurs que multipliait et qu'électrisait Renzo da Ceri.

Il fallut avancer les approches et essayer, au moyen de tranchées obliques, de saper les murailles et de les renverser par la mine. En même temps, on fit diversion par une attaque sur la tour de Toulon, que dirigeaient Beaurain par terre, et par mer Ugo de Moncada. Les Marseillais, pour contrarier les opérations des assiégeants, n'hésitèrent pas à sacrifier l'église de Saint-Cantiat et le palais épiscopal, comme ils avaient sacrifié leurs faubourgs et leurs villas. Les femmes elles-mêmes, animées d'un zèle héroïque, travaillèrent aux remparts et aux tranchées destinées aux contre-mines. Après vingt-deux jours de siège, le duc de Bourbon se flattait encore en vain d'un succès dont Pescaire voyait sans peine lui échapper l'honneur et le profit. La prise de la tour de Toulon et l'arrivée de troupes de renfort et de grosses pièces d'artillerie, tout en lui permettant de resserrer le siège au point d'inquiéter sur le dénouement les assiégés qui députèrent au roi Pierre Cépède et Jean Bègue pour hâter son secours, ne procurèrent point au duc l'Occasion décisive qu'il poursuivait.

Les députés de Marseille trouvèrent François Ier à son camp de Caderousse, un peu au-dessous d'Avignon. On comprend que la nouvelle de l'agression directe, provocatrice du duc de Bourbon n'était pas pour disposer le roi à l'indulgence envers lui ni envers ses complices. En attendant qu'il pût tirer vengeance, avec l'épée de bataille, du rebelle, qui osait le défier, le roi, qui avait adjoint à la commission du Parlement de Paris, chargée du procès du connétable et qui le menait trop mollement à son gré, deux présidents des parlements de Toulouse, Bordeaux, Rouen, un président du parlement de Bretagne et un conseiller du grand conseil, n'avait hâté sa marche de Blois vers Lyon et Avignon qu'après avoir appesanti sur les complices de Bourbon l'épée de justice.

Il avait reçu cette première satisfaction non d'un arrêt plus sévère contre les comparants, dont la peine était bornée à l'exil, mais contre les contumaces. Le 10 août, avaient été condamnés à être décapités le comte de Penthièvre, Lurcy, dont le corps devait de plus être mis en quatre quartiers, Tansannes, des Escures, Desguières, Pompérant, Simon, Beaumont, les d'Espinat, de Tocque, Louis de Vitry, François du Peloux, Jean de l'Hospital, Bavant, Nagu, Ponthus, de Saint-Romain. Leurs têtes devaient être mises au bout d'une lance, leurs corps pendus au gibet de Montfaucon, leurs biens confisqués et leurs fiefs incorporés à ceux du roi.

Après avoir encore gourmandé comminatoirement l'indulgence du Parlement en ce qui concernait Aymard de Prie, Papillon et d'Escars, et enjoint, de Bourges, de donner contre le duc de Bourbon, le troisième ajournement sans épuiser les délais et attendre son assistance, François Ier s'était mis en mesure de combattre celui qui, de son ennemi devenait l'ennemi public. Oubliant ses griefs contre les Suisses, il avait demandé aux cantons et obtenu d'eux une levée de six mille hommes, fortifié son infanterie par l'adjonction de deux corps de lansquenets venus des bords de la Moselle et du pays de Gueldre sous le commandement de François de Lorraine et de Richard de la Poole, convoqué ses hommes d'armes avec la Trémoille, le comte de Guise et le jeune roi Henri de Navarre. Il accueillit avec honneur les députés de Marseille, remercia et félicita la ville dans leur personne, de sa fidélité, promit de la délivrer, et en attendant y fit introduire par mer un secours de quinze cents hommes et d'assez abondants approvisionnements. Pendant que les Marseillais, encouragés par le récit de leurs envoyés, se préparaient à une résistance à outrance, Bourbon, jugeant la brèche suffisante, ordonnait un assaut suprême qui avorta par suite du refus successif des lansquenets, des Italiens, des Espagnols de tenter une escalade par trop hasardeuse. L'inaction de Charles-Quint et d'Henri VIII, l'approche de l'armée royale, achevèrent d'intimider et de décourager les troupes du duc de Bourbon, qui lui refusèrent de risquer la bataille contre François Ier comme elles lui avaient refusé de risquer l'assaut. Le 29 septembre le duc de Bourbon dut se résoudre à une humiliante retraite. Il leva le siège, évacua la Provence et se dirigea vers les Alpes Maritimes, vivement poursuivi par le maréchal de Montmorency, qui avait ordre de le harceler jusqu'au delà du Var et de passer ensuite les montagnes à gauche par le col de Tende. Le roi devait, après avoir remonté la vallée de la Durance, le rejoindre, par le col de Suze, en Italie, où allait encore être fatalement transporté le théâtre de la guerre.

Avec une impatience qu'avaient portée à son comble les obstacles des deux dernières années, et l'espoir de la victoire que la fortune devait lui rendre aux lieux de sa première faveur, François Ier, après quatre jours de séjour à Aix, se dirigea en toute hâte vers les Alpes. Il n'avait même pas pris le temps d'aller à Marseille récompenser par sa visite, qu'il ajourna à son retour, le succès d'une défense héroïque. Ses capitaines lui objectaient les fatigues, les périls, les hasards d'une campagne d'hiver. Épris opiniâtrement de sa chimère, il ne voulut rien entendre, ni les avis sérieux, ni les représentations badines de son fou Triboulet, ce jour-là plus sage que lui[28].

Résolu à frapper le premier coup, dont il attendait une sorte de fatidique effet, François Ier, favorisé par une température exceptionnellement douce, franchit heureusement avec son artillerie les passages des Alpes laissés libres. Il arriva à Verceil le jour même où l'armée impériale, qu'il avait devancée, se portait vers Alba, comme pour défendre l'accès du Piémont. Cette armée en retraite, fatiguée, démoralisée, ayant laissé sur son âpre chemin une partie de ses bagages et de son artillerie, n'était pas plus en mesure de s'opposer à l'invasion de la Lombardie qu'elle ne l'avait été de conserver la Provence.

Même en réunissant à ses débris les troupes fraîches qu'il avait gardées avec lui, par une égoïste indifférence, sourd aux plaintes et aux appels du duc de Bourbon devant Marseille, Lannoy, le vice-roi de Naples, ne pouvait, il le reconnut bien vite, affronter le premier abord d'une armée fraiche, nombreuse, enhardie par la présence du royal vainqueur de Marignan. Les chefs impériaux, renonçant à garder même la ligne du Tessin, résolurent de borner une campagne toute défensive à la conservation d'Alexandrie sur le Tanaro, de Pavie sur le Tessin, de Lodi et de Pizzighettone sur l'Adda, de Crémone sur le Pô, et, s'il était possible, de Milan. Pescaire parvint, en entraînant l'armée à marches forcées, à jeter dans Pavie une garnison de cinq mille Allemands, cinq cents Espagnols et trois cents hommes d'armes, dont il laissa le commandement à Antonio de Leyva, et il essaya de devancer devant Milan les troupes françaises.

Mais la ville venait d'être ravagée par la peste, et malgré leur attachement pour François Sforza et leur dévouement à l'indépendance nationale, les chefs de cette population décimée, réduite à la passivité des multitudes frappées par un fléau, avaient décidé de lui épargner les épreuves d'un siège ou d'une occupation de vive force. Ils avaient donc envoyé à François Ier, par une députation qui l'avait rejoint à Abbiate-Grasso, les clefs de la ville.

Pourtant, le lendemain, le capitaine Alarçon pénétra dans la ville avec deux cents chevaux, en avant-courrier de Pescaire, Bourbon et Lannoy qui y furent reçus au cri de Vive le duc ! Vive l'empire ! Mais le sentiment d'une situation impitoyable ne tarda pas à l'emporter sur ce regain d'enthousiasme. Les chefs impériaux reconnurent que la ville était hors d'état de résister, et, se retirant vers Lodi, ils évacuèrent Milan par la porte de Corne et la porte de Rome, pendant que François Ier, précédé par l'avant-garde, commandée par Théodore Trivulzi, y faisait son entrée par la porte de Verceil.

François Ier prit possession de Milan, dont il confia le gouvernement à la Trémoille, avec une garnison de trois cents hommes d'armes et de huit mille hommes de pied. En profitant hardiment de l'occasion, en frappant des coups prompts et répétés sur l'ennemi dispersé, intimidé, qui se dérobait devant lui, il pouvait en quelques jours donner un pendant à la courte et triomphante campagne de Marignan.

Ces premiers coups décisifs, plusieurs de ses capitaines lui conseillèrent de les porter à Lodi, aux restes de l'armée impériale aux abois. Bonnivet soutint un avis différent ; et, lui accordant une funeste confiance, le roi se décida à négliger Lodi, que son favori lui représentait comme devant l'arrêter trop longtemps, et à essayer de s'emparer de Pavie, qu'on lui disait incapable de tenir contre une attaque de vive force ; c'était le contraire qui était vrai.

Le roi, alléché par l'espoir d'avoir facilement raison avec une armée d'une garnison de six mille hommes, parut en vue de Pavie, dès le 26 octobre, vingt jours après son départ d'Aix. En apprenant sa décision, Pescaire, qui tremblait d'être attaqué à Lodi qu'il avait trouvé mal fortifié, sans vivres et sans munitions, s'écria joyeusement : Nous étions vaincus, avant peu nous serons vainqueurs.

En attendant son artillerie de brèche, le roi investit la grande et riche cité, couverte de monuments et d'églises, célèbre par son université comme par son histoire, qui épanouissait sur les bords du Tessin sa fleur architecturale défendue par une enceinte de murailles, précédée de fossés, garnie de tours, flanquée de bastions que resserrait comme un nœud une forte citadelle.

Vers le point où il coulait au sud, le Tessin baignait la ville d'un de ses bras qui atteignait le Pô, et de l'autre, appelé le Gravelone, décrivait une courbe assez spacieuse. Entre leur séparation en avant de la ville et leur jonction au-dessous, ces deux bras formaient une île, sur laquelle était bâti le faubourg Saint-Antoine, relié à ce corps de ville par un pont de pierre couvert d'une galerie et défendu par une tour.

Au nord de la place, en face de la citadelle et du côté de Milan s'étendait le parc de Mirabello, aussi pittoresque et aussi gracieux que son nom, qui faisait flotter ses verdures et murmurer ses cascades sur une étendue d'environ dix milles carrés. Ce vaste échiquier de bois, de prairies, de ruisseaux, promenade de la résidence d'été où les ducs de Milan allaient goûter les plaisirs de la vie agreste, était entouré sur les quatre côtés d'une muraille dont les portes étaient munies de pont-levis, et le palais, orné à l'intérieur de toutes les merveilles de l'art, était à l'extérieur fortifié comme une citadelle : pareil à ses seigneurs, qui doublaient la soie et la dentelle de leurs pourpoints de l'acier de la cuirassine et des mailles du gorgerin.

Pavie, défendue au sud par le Tessin, au nord par la citadelle confinant au parc de Mirabello, était moins protégée du côté de l'ouest, tourné vers Alexandrie.

Là le Tessin, au lieu de ceindre la ville, s'écartait d'elle, et entre les rives du fleuve et les murailles s'échelonnaient, au milieu des ombrages et des villas, la belle abbaye de San-Lanfranco, l'église de San- Salvator et le Borgaretto. C'était le défaut de la cuirasse, le point faible d'une défense qui n'offrait à l'attaque d'autre danger que celui d'avoir le Tessin à dos.

Du côté de l'est, au delà de la muraille du parc et des fortifications de la ville, s'étendaient des monticules et des vallons, arrosés par des affluents du Tessin ou du Pô, la Vernavola, l'Olona et le Lombro, et où les abbayes et les églises de San-Paolo, Santo-Spirito, San-Giacomo, San-Pietro in Vezzolo, Sant-Apollinari dressaient leurs dômes et leurs aiguilles.

C'est par le côté de l'ouest et par le côté de l'est que l'armée française commença l'investissement. Le roi, avec l'amiral Bonnivet et le bâtard de Savoie, établit le gros de ses troupes vers l'abbaye de San-Lanfranco et l'église de San-Salvator. Le maréchal de la Palice avec l'avant-garde, occupa les hauteurs qui dominaient la ville à l'est. Le duc d'Alençon et le grand écuyer San Severino, développant les approches, campèrent dans le parc de Mirabello ; enfin, resserrant l'étreinte, le duc de Montmorency prit position dans l'île que formaient au sud les deux bras du Tessin et ne fut séparé de la ville, ainsi cernée de tous les côtés, que par le pont de pierre, dont Antonio de Leyva fit rompre la communication.

Dès qu'il eut reçu ses gros canons, le roi ouvrit les tranchées d'approche. Après trois jours de feu, la brèche paraissant suffisante, l'assaut fut donné, mais sans succès, et cet essai meurtrier fut payé de grosses pertes. Dégoûté par cette résistance de l'attaque d'est et d'ouest, le roi résolut de saisir la place du côté sud, en détournant le bras principal du fleuve. L'entreprise était hasardeuse, mais pouvait être décisive. Mais elle fut contrariée par le Tessin lui-même, qui, grossi subitement par d'abondantes pluies, déborda, emporta les machines des Français et détruisit leurs travaux.

Outré de cette double déception, François Ier s'obstina, résolu à attendre du temps ce qu'il avait en vain demandé à la force. Il changea le siège en blocus, se retrancha dans ses positions et eu fit un vaste camp, dont les divers quartiers communiquaient entre eux au moyen de ponts jetés sur le Tessin.

L'armée renforcée de cinq mille Grisons et des bandes de Jean de Médicis, passé du service de Charles-Quint à celui de François Ier avec le sans façon du condottière, recevait en abondance ses approvisionnements du Piémont. Le parc de Mirabello était un immense marché, une foire perpétuelle. Logés dans des églises, des abbayes, établis sous des tentes, blottis dans des huttes souterraines, les soldats ne souffraient d'aucune des rigueurs de la saison, et attendaient patiemment que la faim leur livrât Pavie.

Le roi ne doutait pas du succès et oubliait au milieu de ses faveurs, qui lui ramenaient les hommages intéressés des Vénitiens, du duc de Ferrare, de Clément VII lui-même, les trahisons de la Fortune. Il comptait à ce point sur, elle que dans les instants lucides de cette fatale ivresse des délices de la Chartreuse de Pavie, pires pour lui que ne le furent pour Annibal les délices de Capoue, il préparait le plan, chimérique comme un rêve, d'une expédition sur le royaume de Naples, à laquelle devait concourir la flotte qui lui ramenait Renzo da Ceri et la garnison de Marseille délivrée.

Cependant la reddition de Pavie, que le roi attendait depuis trois mois, lui était disputée chaque jour par Antonio de Leyva, dont de meurtrières sorties attestaient la ténacité, et l'armée impériale renforcée se portait de Lodi au secours de la place. Cette armée, commandée par le duc de Bourbon et le vice-roi de Naples, M. de Lannoy, était à peu près égale en nombre à l'armée française, mais lui était inférieure comme cavalerie et artillerie. Elle ne possédait, sous ce premier rapport, que sept cents hommes d'armes, en y comprenant deux cents lances amenées d'Allemagne par le comte Nicolas de Salm, et cinq cents chevau-légers, commandés par Castrioto, marquis de Cività-Sant-Angelo, descendant de Scanderbeg. Elle avait seulement quelques pièces de canon. Mais elle comptait, et elle avait raison de le faire, sur les agiles et adroits arquebusiers espagnols dont Pescaire allait tirer un parti si décisif, et sur les lansquenets aux masses serrées, rivales en solidité des fameux piqueurs suisses que conduisaient Georges Frondsberg et March Sith.

L'armée impériale prit d'assaut la ville de Sant-Angelo et sembla prononcer son mouvement vers Milan. Mais n'ayant pas réussi à attirer par cette diversion les troupes françaises, comme c'était son but, elle cessa toute feinte, et de Marignan se dirigea sur Pavie, avec le dessein d'en faire lever le siège ou de livrer bataille.

François Ier, tiré par cette intervention de l'ennemi d'une longue inaction, n'était pas homme à refuser le défit. Il gardait encore l'égalité, sinon la supériorité du nombre, bien qu'il eût affaibli son effectif par l'envoi du duc d'Albany dans le royaume de Naples avec un corps détaché. Le roi, se portant de San-Lanfranco à Mirabello, se tint deux nuits sous les armes (le 1er et le 2 février), dormant en homme de guerre, comme à Marignan, c'est-à-dire au bivouac, prêt à revêtir l'armure à la première alerte. Mais l'ennemi, se détournant vers l'est, évita l'approche et alla camper à distance. Le roi vit dans cette hésitation un heureux présage. Il écrivit à sa mère avec une confiance un peu imprévoyante :

Nos ennemis sont allés baiser Milan, puis ils ont paru devant Belgiojoso ; mais l'amiral et quatre cents hommes d'armes leur ont fait tourner le nez. Ils se sont logés entre deux canaux, et à cela avons bien pu veoir qu'ils ne veulent pas manger de la bataille. Suivant l'opinion que j'en ai toujours eue, je crois que la dernière chose que feront nos ennemis sera de nous combattre, car, à dire la vérité, nostre force est trop grosse pour la leur.

Par un mouvement habile, le roi, quittant le château de Mirabello, s'établit avec la plus grande partie de ses troupes à l'orient de la place assiégée, vers les abbayes de San-Paolo, San-Giacomo, San-Pietro, dans une sorte de camp retranché, s'interposant ainsi entre Pavie et l'armée de secours à laquelle il barrait le chemin. Les deux armées restèrent ainsi en observation durant trois semaines, l'une attendant la fin de l'agonie de la ville, l'autre impuissante à la ranimer. Au commencement de février François Ier, qui semblait certain de sa proie, écrivait à sa mère :

Pavie s'en va perdue, s'ils ne la réconfortent de quelque chose ; et ils tournent autour d'elle pour la faire tenir jusqu'au dernier soupir, qui, je crois, ne sera pas long, car il y a plus d'un mois que ceux du dedans ne beurent vin, ne mangèrent chair ni fromage.

Les assiégés manquaient même de poudre ; et leurs libérateurs épuisaient leurs vivres. Ils étaient acculés à la bataille, et ne pouvaient la différer sans s'exposer à voir prendre congé, suivant leur habitude, les mercenaires espagnols et allemands qui n'étaient pas payés, et dont on eut grand peine à empêcher le mécontentement de dégénérer en mutinerie. Réduits à combattre, les Impériaux cherchèrent du moins à le faire dans les moins mauvaises conditions possibles.

Il fallait d'abord prolonger à tout prix la résistance de Pavie. On y parvint. Antonio de Leyva reçut furtivement, à la faveur du relâchement du blocus du côté de l'ouest, de la poudre et des munitions. Il en profita pour faire des sorties heureuses et se ravitailler. Avec ces événements heureux pour les Impériaux et les assiégés coïncidèrent pour François Ier des pertes inopportunes et fâcheuses. Son armée fut affaiblie par le brusque départ des Grisons, rappelés par les chefs de leur ligue à la défense de leur patrie menacée. Un corps de troupes de renfort, qui lui était envoyé, se laissa surprendre et fut taillé en pièces par les Impériaux enfermés dans Alexandrie. Enfin, Jean de Médicis attira la garnison dans une embuscade où elle eut à payer la revanche de sa dernière et victorieuse sortie ; mais il y fut grièvement blessé et son départ entraîna la dispersion de ses bandes.

En dépit de ces succès partiels les Impériaux étaient de plus en plus obligés de combattre, sous peine de voir Pavie succomber et leur armée se dissoudre ; et si François Ier résolu à attendre, dans ses retranchements inaccessibles, la réalisation de cet inévitable dénouement, savait résister à la tentation d'en sortir, il demeurait certain, malgré l'affaiblissement de son armée, du succès final.

La situation était si claire que même le pape Clément VII faisait exhorter le roi à ne pas sortir de l'expectative et à ne pas mettre un résultat certain à la merci toujours incertaine d'une bataille.

Le roi tint conseil. Les vieux capitaines et les plus sages furent d'avis de ne pas livrer la bataille. Ils dirent qu'en se maintenant dans la forte position qu'on occupait, ou qu'en se retranchant dans la position plus forte de Binasco entre Pavie et Milan, au milieu des canaux d'irrigation, on serait certain de vaincre sans même avoir à combattre et qu'on gagnerait tout sans rien exposer[29].

Malheureusement l'opinion de l'amiral Bonnivet et du maréchal de Montmorency fut toute contraire. Ils flattèrent l'impatience secrète de leur maître, firent appel à ses sentiments chevaleresques, à sa dignité de roi victorieux qui ne lui permettaient pas de reculer devant un défi, de demander le succès à la faim et à l'inaction, de douter de la fortune dont d'avait déjà reçu le gage de Marignan, et qui aime les audacieux.

François Ier décida qu'il ne provoquerait pas la bataille, mais qu'il ne la refuserait pas. Il fit venir de Milan, où il ne laissait à Théodore Trivulzi que le strict nécessaire en fait de troupes, le sire de la Trémoille et le maréchal de Foix, et attendit l'attaque que le manque de vivres ne permettait plus à l'ennemi de différer.

Le marquis (le Pescaire, appuyé par le duc de Bourbon dans un conseil de guerre tenu le 23 février, proposa d'attaquer de nuit le camp français, non de face, mais au nord, par une brèche pratiquée dans le parc de Mirabello, de façon à contraindre les Français à renoncer à l'avantage d'une position retranchée pour subir l'inconvénient d'une lutte sur un terrain accidenté, impropre aux manœuvres d'artillerie et de cavalerie, et au contraire fécond en ressources pour les arquebusiers espagnols. Antonio de Leyva, profitant de l'alerte qui lui rendrait la liberté, devait en profiter pour seconder l'attaque par une sortie en masse qui placerait l'ennemi entre deux feux. Pescaire, pour assurer le succès d'une opération dont le succès dépendait de la surprise et de la rapidité des coups, n'hésita pas à initier à son plan les arquebusiers espagnols, qui devaient y jouer un rôle décisif, et prit la précaution de leur faire mettre des chemises ou des morceaux de toile par-dessus leurs armures, afin de se reconnaître dans l'obscurité d'une nuit de février.

Le plan de Pescaire fut mis à exécution dès que tomba la nuit du 24 février, fête de saint Mathias et jour anniversaire de la naissance de Charles-Quint.

La muraille du parc résista plus longtemps qu'on ne l'avait supposé aux efforts des sapeurs et des pionniers, qui ne parvinrent qu'un peu avant l'aube à y pratiquer trois brèches suffisantes pour le passage des bataillons. Pescaire fit avancer aussitôt le marquis del Vasto, qu'il envoya, avec quinze cents arquebusiers et quinze cents lansquenets, occuper le château de Mirabello. Lorsque le reste de l'armée eut pénétré dans le parc, le jour avait paru, et elle y marchait sous le terne rayon d'une froide matinée d'hiver.

L'affaire sembla d'abord fort loin de tourner suivant les calculs et les espérances de Pescaire, qui en avait pris la direction. La vaste bruyère du parc offrait un champ beaucoup plus favorable qu'il ne l'avait supposé aux positions d'artillerie et aux déploiements de cavalerie.

Le grand maitre Galiot de Genouillac, sénéchal d'Armagnac. non moins habile et non moins heureux qu'à Marignan, posta ses canons de façon à prendre les Impériaux en écharpe à leur défilé d'entrée dans le parc, et son feu fit bientôt de larges et profondes trouées dans les rangs des assaillants. Au lieu de trouver une armée surprise en désordre dans la sécurité de la nuit, ils rencontraient les Français bien disposés sur un excellent terrain, le corps de bataille, formé par les Suisses, couvert aux ailes par les gendarmes d'ordonnance, gardé en arrière par le maréchal de Montmorency, chargé de surveiller Pavie. Le roi commandait le corps de bataille, entouré des grands officiers de sa couronne et des gentilshommes de sa maison, n'attendant que son signal pour fondre à tout élan sur l'ennemi, à la faveur de cette vaste plaine, pareille à la lice d'un immense tournoi.

L'action commença par le classique prologue de la canonnade, qui fut meurtrière pour les Impériaux. En présence de la fâcheuse tournure qu'elle prenait, Pescaire modifia instantanément son plan de bataille. Il ne s'agissait plus d'occuper le château de Mirabello, de s'y retrancher et d'y faire jonction avec la garnison de Pavie.

Il fallait, débarrassant le drame de toute diversion de détail, de tout savant épisode, pour précipiter le dénouement, concentrer l'effort décisif sur un seul point, en jetant les lansquenets sur les Suisses, leurs rivaux implacables, et en démontant les pesants hommes d'armes par le tir sûr et meurtrier des arquebusiers espagnols.

Pescaire rappela de Mirabello le marquis del Vasto et ses trois mille hommes, fit au vice-roi de Naples, Lannoy, le signal de lancer l'avant-garde et pressa le duc de Bourbon d'arriver avec le corps de bataille.

Les deux têtes d'armée s'abordèrent aussitôt dans un choc sanglant. Rien ne résista d'abord à la furia francese. Le roi abattit et tua d'un coup de sa lance le marquis de Cività Sant-Angelo, dispersa ses chevau-légers, et, faisant reculer les hommes d'armes de Lannoy, écrasa encore de la fin de sa charge une troupe de piquiers et d'arquebusiers qu'il rencontra au passage. Déjà joyeux de la joie de la victoire, il se tourna vers le maréchal de Foix, qui était à ses côtés, et lui dit gaillardement : Monsieur de Lescun, c'est maintenant que je peux m'appeler duc de Milan.

Il se trompait. Il suffit de la seconde reprise pour le lui montrer. La bataille changea de face. Les bataillons ébranlés se reformèrent. Les trois mille hommes du marquis del Vasto entrèrent en scène. La cavalerie impériale revint à la charge, appuyée par des essaims d'arquebusiers qui tiraillaient sur ses flancs. Les lansquenets de Frondsberg et de Sith s'avancèrent en masses serrées que le canon entamait sans les arrêter. Enfin, par un contretemps funeste, le sénéchal d'Armagnac dut suspendre le feu de ses batteries, masqué par les lansquenets des bandes noires aux prises avec l'ennemi qui les assaillait de trois côtés à la fois.

Malgré leur intrépidité, ils furent rompus, et entraînèrent la déroute de l'aile droite, bientôt suivie de celle du centre. Là les compagnies d'ordonnance, harcelées parles arquebusiers espagnols, reculèrent en désordre jusque sur les bataillons suisses, dont la réputation de solidité, compromise à Marignan et à la Bicocca, devait demeurer ensevelie dans le désastre de Pavie.

François Ier, après avoir fait reprendre haleine aux siens, s'était plongé de nouveau dans la mêlée, remplaçant par l'épée, dont il se servait avec la vigueur d'un athlète et le courage d'un héros, sa lance brisée.

Il n'avait pu voir les lansquenets des bandes noires succomber à droite et mêler le sang de la moitié d'entre eux à celui de leurs deux chefs, le duc de Suffolk et François de Lorraine, morts en combattant désespérément à leur tête.

Il ne se rendit compte du brusque revirement des chances favorables dont il croyait poursuivre l'heur, qu'en voyant les bataillons suisses fléchir, puis se débander. Il essaya en vain, avec Jean de Diesbach et le seigneur de Fleuranges, d'arrêter et de rallier les fuyards.

Alors, saisi de la fureur d'un désespoir héroïque, il se jeta, à la tête de quelques fidèles, au plus épais du fourré ambulant des piques, illuminé des coups de feu des arquebusiers espagnols. Il y eut là un moment d'inexprimable confusion, augmentée encore par la brusque irruption, sur le champ de bataille, de la garnison de Pavie, commandée par Antonio de Leyva.

La noblesse française, qui voyait son roi se battre en soldat, non plus pour la victoire ni pour le salut, mais seulement pour l'honneur, lui paya largement son tribut de courage et de fidélité. En quelques minutes tombèrent autour de lui, sur des monceaux de morts, le sire de la Trémoille, le maréchal de la Palice, le maréchal de Foix, le comte de Saint-Pol, le bâtard de Savoie, le grand écuyer San-Severino, chef du parti français dans le royaume de Naples, enfin l'amiral Bonnivet, qui ne voulut pas survivre à un désastre dont il était cause en partie et que sa mort n'expiait pas.

François Ier combattait toujours. Reconnaissable à son armure fleurdelisée, plus encore à ses coups, il était devenu le centre et le point de mire des ennemis acharnés après l'honneur et le profit d'une royale capture. Ou lui criait de se rendre. Mais il n'entendait pas et frappait toujours de sa longue et large épée qui tournoyait autour de lui sans parvenir à le dégager. Son cheval, déjà blessé, fut percé d'un coup de lance par le comte Nicolas de Salm, et s'abattit entraînant son cavalier, sur lequel se rua un cercle d'assaillants.

Pressé de nouveau de se rendre, François Ier se débattait toujours au milieu des lances et des épées, quoique étourdi par la chute et blessé à la main et au visage.

Il eût payé de sa vie son obstination à refuser merci, au milieu d'adversaires irrités par sa résistance et se disputant sa capture, sans l'intervention du vice-roi de Naples, le comte de Lannoy, qui, averti du danger où se trouvait le roi, accourut, sauta à bas de son cheval, le dégagea, le releva, et reçut à genoux le gantelet que lui tendait son royal prisonnier.

Le champ de bataille, où la nouvelle d'un tel événement suffisait à achever la victoire, retentit d'acclamations joyeuses. François Ier, qui étouffait sous son armet, le quitta, et le front ceint d'une toque de velours s'avança, avec une escorte de généraux, au milieu d'un hommage universel de respect, d'admiration et de pitié, vers le monastère de Saint-Paul, compris dans les lignes de ce camp, d'où la veille encore il considérait comme sa conquête cette ville de Pavie qu'on lui épargna du moins d'avoir pour prison.

La défaite de Pavie coûtait à la France, outre la liberté de son roi, plus de dix mille hommes qui avaient péri dans la lutte ou s'étaient noyés dans le Tessin, dont Antonio de Leyva avait détruit le pont. Nous avons dit le nom des victimes les plus illustres de la fatalité qui les avait si largement moissonnées dans l'entourage de François Ier. Les prisonniers ne furent pas moins nombreux et moins considérables que les morts, et les rançons allaient être, pour l'armée victorieuse, dignes du butin.

Le roi de Navarre, le comte de Saint-Paul, de la maison de Vendôme ; le seigneur de Fleurange, celui qui s'appelait le jeune Adventureux, et qui, après avoir été compagnon des jeux et des plaisirs de la jeunesse du duc de Valois, suivait le roi de France dans toutes les vicissitudes de sa fortune ; Federico de Bozzolo, de la maison de Gonzague ; le prince de Talmont, héritier de la Trémoille ; le maréchal Anne de Montmorency et Chabot de Brion, destinés à succéder aux charges et à la faveur de Bonnivet et du bâtard de Savoie ; le sénéchal d'Armagnac, grand maure de l'artillerie ; les seigneurs de Lorges, capitaine des gens de pied ; François d'Aubigny, les sieurs de la Guiche, de la Rochepot, de Montjean, etc., partagèrent la captivité de François Ier[30].

Un seul personnage de marque, le premier prince du sang, le duc d'Alençon, trouva moyen de manquer à la liste de ces illustres morts, de ces illustres prisonniers de Pavie. Il ne vit rien de mieux à faire que de quitter à toute bride le champ de bataille, lors du sauve qui peut, et ne s'arrêta qu'à Milan pour en sortir bientôt avec Théodore Trivuizi et repasser les Alpes avec les débris de l'armée. Marguerite aimait trop son frère pour pardonner à son indigne mari sa pusillanimité. A une époque où on passait tout aux princes, excepté le manque de courage, le duc d'Alençon ne rencontra partout qu'une réprobation indignée. Tout le monde tourna le dos à celui qui avait tourné le dos à Pavie où son roi avait fait face à la mort avec tant d'intrépidité. Deux mois après, le duc d'Alençon, qui pour vivre avait fui, mourait de honte et de regret, sans être regretté.

Les vainqueurs renvoyèrent, pour ne pas être obligés de les nourrir, quatre mille prisonniers. Ils ne gardèrent que l'élite, pour la mettre à rançon à loisir. Quant au roi, enfermé d'abord au château de Pizzighettone, il adressa, aussitôt qu'il lui fut permis d'écrire, la lettre suivante à sa mère :

Madame, pour vous faire sçavoir comme se porte le reste de mon infortune, de toutes choses ne m'est demeuré que l'honneur et la vie qui est saulve.

Et pour ce que, en vostre adversité, ceste nouvelle vous fera ung peu de reconfort, j'ay prié qu'on me laissast vous escrire ceste lettre : ce que l'on m'a aisément accordé, vous suppliant ne vouloir prendre l'extrémité vousmesme, en usant de vostre accoustumée prudence ; car j'ay espérance à la fin que Dieu ne me abandonnera point, vous reccommandant vos petits enfans et les miens, et vous suppliant faire donner le passage à ce porteur pour aller et retourner en Espagne, car il va devers l'empereur, pour sçavoir comme il voudra que je sois traicté.

Et sur ce va très-humblement se recommander à vostre bonne grâce

Vostre très-humble et très-obéissant filz,

FRANÇOIS[31].

 

 

 



[1] Mignet, t. I, p. 120-121.

[2] Mignet, t. I, p. 132-133.

[3] Mignet, t. I, p. 139.

[4] Mignet.

[5] Mignet, t. I, p. 229-230.

[6] Mignet, t. I, p. 234-235.

[7] Mignet.

[8] Mignet, t. I, p. 247.

[9] François Ier et sa cour, par Barthélemy Hauréau, p. 57.

[10] Mémoires de Fleuranges.

[11] Mignet, t. I, p. 249-252.

[12] Les angelots étaient une monnaie d'or frappée sous Henri VI, roi d'Angleterre, lorsqu'il était maitre de Paris. Le nom d'angelot venait d'un ange représenté sur cette monnaie, tenant les écussons de France et d'Angleterre. L'angelot valait quinze sous.

[13] Le maréchal de Fleuranges, auteur du récit.

[14] Mignet, t. I, p. 258.

[15] Mignet, t. I, p. 274.

[16] Mignet, t. I, p. 286.

[17] Mignet, t. I, p. 302-303.

[18] Mignet.

[19] Mignet, t. I, p. 347-348.

[20] Mignet, t. I, p. 361.

[21] Mignet, t. I, p. 368-369.

[22] Mignet, t. I, p. 377.

[23] Mignet, t. I, p. 378-380.

[24] Mignet, t. I, p. 391.

[25] Mignet, t. I, p. 418-419.

[26] Mignet, t. I, p. 438-439.

[27] Mignet, t. I, p. 493.

[28] On prétend, par exemple, qu'assistant au conseil où l'on délibérait avant l'expédition qui se termina par la bataille de Pavie et la captivité de François Ier, il dit au roi, avec la familiarité qu'on souffrait de lui :

— Cousin, vous voulez donc rester en Italie ?

— Non, répondit le prince.

— Eh bien ! vos avis me déplaisent.

— Et pourquoi, s'il vous plaît, beau sire Triboulet ?

— Vous parlez beaucoup d'entrer en Italie ; mais ce n'est point là l'essentiel.

— Et qu'est-ce donc ?

— C'est le moyen d'en sortir, dont personne ne parle.

(Magas. pittoresque, 1871, p. 288.)

[29] Mignet, t. II, p. 44.

[30] On trouve dans le volume des Documents sur l'Histoire de France intitulé Captivité de François Ier, p. 85-88, la liste détaillée des princes et seigneurs morts ou faits prisonniers à Pavie. La liste est longue et curieuse. Parmi les prisonniers ne figure pas Clément Marot, qui fut cependant blessé au bras droit et fait prisonnier à la bataille de Pavie, comme il nous l'apprend lui-même. Ce n'était qu'un poète ; il ne figure pas sur la liste des princes et seigneurs ; mais il demeure immortel, et ils sont oubliés.

[31] Captivité du roi François Ier, par M. Aimé Champollion-Figeac, Paris, Imprimerie royale, 1847, p. 129.