LE MARQUIS DE LA ROUËRIE

DEUXIÈME PARTIE

 

V. — CHÉVETEL GLORIFIÉ.

 

 

L'épilogue de ces choses n'était pas moins tragique que le drame lui-même. Ces têtes fauchées, ces gens supprimés en pleine force d'âge et d'action, laissaient des foyers dévastés, des familles sans soutien.

Se figure-t-on l'horreur de ces maisons vides, le désespoir de ces enfants dont le père est émigré ou enrôlé dans les bandes chouannes, disparu, hors la loi ; dont la mère est morte sur l'échafaud : la maison est vendue, les meubles saisis, les terres séquestrées... Un étranger s'installe dans le manoir familial ; les petits sont jetés dehors, aux soins de la République, dont le nom seul les fait frémir d'épouvante, et qui, d'ailleurs, ne s'occupe pas d'eux. Qui les recueillera ? On risque sa tête à se montrer pitoyable ; les portes se ferment- les plus braves se cachent.

Combien chacun des arrêts de mort prononcés par le Tribunal représente-t-il d'existences brisées ? Que de projets d'avenir anéantis ! Que de bouleversements, que de ruines, quel chaos : la Révolution passa sur la société comme le soc d'une charrue dans une fourmilière.

Il fallait que cette génération fût douée d'une force d'âme peu commune, ou peut-être d'une singulière insouciance, pour se reprendre à vivre après de tels désastres : car, pour beaucoup, le cauchemar dura vingt ans et ne les quitta qu'à la Restauration. Étrange époque encore que cette renaissance du vieux monde : les gens se comptaient comme à la suite d'un naufrage : revenant qui d'exil, qui de la déportation, ils recherchaient leurs parents disparus, leurs enfants dispersés, rassemblaient les restes de leur fortune, retrouvaient leurs châteaux ou vendus ou en ruines, leurs bois défrichés, leurs étangs à sec, et s'efforçaient, comme après un cyclone, à reconstituer un foyer des débris de l'ancien. Ils récriminaient peu d'ailleurs, ayant la résignation facile et prenant leur parti de la mauvaise fortune avec une indifférence qui n'était pas sans grandeur.

 

Il nous reste donc à suivre celles des victimes de Chévetel et de Lalligand que laissait vivantes la sentence du 18 juin. Aucune famille bretonne ne se trouvait plus atteinte que celle de la Guyomarais. Le père et la mère venaient de perdre la vie sur l'échafaud ; des sept enfants qu'ils avaient en 1793, trois des fils étaient émigrés, Joseph, Edouard et Félix : le premier fut tué à Quiberon ; le dernier, lieutenant à l'armée des Princes, fut fait prisonnier en Belgique et mourut fusillé à Nieuport. Edouard seul survécut à la Révolution et épousa plus tard Mlle Victoire de Bertho. Deux autres fils, on se le rappelle, Amaury et Casimir, étalent demeurés chez leur père et avaient assisté à la mort du marquis de la Rouërie. Amenés à Paris et traduits devant le Tribunal, ils avaient été acquittés[1] ; mais, le jour même où le verdict était rendu, le Comité de Sûreté générale, se substituant à la justice, ordonnait que tous les accusés absous seraient immédiatement transférés à la prison de Sainte-Pélagie et maintenus en état d'arrestation[2]. Amaury y passa peu de temps : il obtint sa liberté sous condition d'être incorporé dans le 15e régiment de chasseurs à cheval qui guerroyait contre les Vendéens. Casimir vint l'y rejoindre le 23 décembre 1793 ; tous deux convinrent de s'échapper : un jour qu'ils menaient leurs chevaux baigner dans la Loire, Amaury de la Guyomarais parvint à mettre le sien à la nage, traversa le fleuve et courut s'engager dans l'armée de Charette, où il fut tué. Son frère, après avoir servi pendant deux ans dans les troupes républicaines, réussit à déserter avec sept chasseurs, le 28 janvier 1795, et reçut, de Boishardy, le commandement d'une bande de chouans qui opérait dans les environs de Lamballe. Il tint campagne jusqu'à la pacification : le roi Louis XVIII le nomma, en 1816, chevalier de la Légion d'honneur.

Les deux filles de la Guyomarais, laissées seules au château après l'arrestation de leurs parents, ne tardèrent pas à être emprisonnées à leur tour comme suspectes. L'aînée, Hyacinthe, était aimante et douce ; la plus jeune, Agathe-Julie[3], d'une taille élevée, très blonde, d'une grande distinction, passait pour avoir hérité de l'énergie de sa mère. Sur le certificat de civisme qu'on lui délivra lorsqu'elle sortit de prison après le 9 thermidor, on lisait :

Son caractère est celui d'une jeune personne qui ne peut désirer que la vengeance de la mort de ses parents[4].

 

Hyacinthe et Agathe étaient alors sans aucune ressource : tous leurs frères étaient morts ou émigrés ; la Guyomarais, ainsi que les terres qui en dépendaient, avait été séquestrée et en partie vendue ; le château était occupé par le citoyen Padel de Lamballe, qui l'avait transformé en entrepôt de sel ; la contrée était journellement le théâtre de combats entre les bleus et les partis de chouans auxquels la forêt de la Hunaudaye servait de retraite[5]. Les demoiselles de la Guyomarais furent recueillies par leur oncle, Micault de Mainville, celui-là même qui avait comparu devant le tribunal révolutionnaire. Sous l'Empire seulement, lorsque leur frère Casimir quitta l'armée royale définitivement licenciée, les jeunes filles reprirent avec lui possession du château de leur père : Hyacinthe s'y maria avec M. Couppé des Essarts, Agathe épousa le général de la Motte-Rouge. Leur nom, rendu illustre par les catastrophes auxquelles il fut mêlé, n'est plus porté aujourd'hui que par la vénérable Mlle Mathilde de la Guyomarais, leur nièce[6]. Il est donc condamné à s'éteindre : rien ne rend plus sensible l'horrible trouée que la Révolution opéra dans cette famille, dont le chef i comptait, avant 1792, neuf enfants vivants.

 

Le jardinier Perrin et le médecin Lemasson, condamnés à la déportation par la sentence du 18 juin 1793, avaient été transférés à Bicêtre pour y attendre le départ de la chaîne. Ils furent compris, le 8 messidor an II, dans une des fameuses fournées de la conspiration des prisons et moururent le jour même sur l'échafaud. Julien David revint en Bretagne et vécut jusqu'en 1840 ; les Drs Morel et Taburet reprirent également, après leur sortie de prison, l'exercice de leur profession. La leçon ne parut pas leur avoir profité, et les Mémoires du colonel de Pontbriand citent un fait qui prouve les relations suivies de Morel avec les chouans[7].

Si nous quittons la Guyomarais pour la Fosse-Hingant, nous retrouvons, dans la famille Desilles, des épisodes non moins tragiques. Après la crise de désespoir qui les avait terrassées à la sortie de l'audience, Mmes de Virel et d'Allerac, acquittées par le Tribunal, furent, ainsi que leurs compagnons, écrouées à Sainte-Pélagie par ordre du Comité de Sûreté générale. Elles y rencontrèrent Mme Roland, qu'elles avaient déjà connue à la prison de l'Abbaye. Elles voyaient clair, maintenant, dans la sombre intrigue qui avait amené leur infortune. L'absence au banc des accusés de Chévetel que, de tous, elles croyaient le plus compromis, son nom rayé des procès-verbaux, le mutisme absolu gardé à son égard par l'accusateur public, leur avaient enfin dessillé les yeux. Lalligand-Morillon, au reste, ne les abandonnait pas et entretenait soigneusement leur indignation contre le traître qui les avait vendues. Il était parvenu à gagner toute leur confiance et s'employait activement à obtenir leur mise en liberté sous caution : c'était une simple affaire d'argent : Chauveau-Lagarde s'était généreusement offert à garantir la rançon de ses clientes ; mais l'affaire traînait en longueur, et Lalligand affirmait que, si l'on ne graissait pas la patte du Comité de Sûreté générale, les portes de la prison ne s'ouvriraient point. Tel était l'usage, assurait-il, et sur ce point, du moins, il ne mentait pas[8].

Dans cette extrémité, sans argent et sans moyen de s'en procurer, Mme de Virel regrettait amèrement les deux cents louis dont, à la Fosse-Hingant, elle s'était départie au profit de Chévetel et que celui-ci avait empochés sans vergogne. Lalligand, instruit de l'incident, s'indigna, courut chez Chévetel, lui arracha, non sans menaces, une somme de cent louis, dont les membres du Comité de Sûreté générale voulurent bien, annonça-t-il, se contenter : il est bien probable qu'il en garda pour lui une part : en somme, cette affaire à laquelle il donnait des soins depuis si longtemps se soldait pour lui par un bénéfice minime : du moins il emportait l'estime de Mmes de Virel et d'Allerac, qui sortirent de prison en le bénissant et en se reprochant de l'avoir méconnu[9].

En arrivant en Bretagne, elles trouvèrent leur maison dévastée : leur mère était folle et gardée dans un hospice, leur père venait de mourir de désespoir à Jersey ; elles ne pouvaient demander asile à leurs cousines de Limoëlan qui, ayant elles-mêmes perdu leur père sur l'échafaud, avaient vu leur château séquestré et leurs biens saisis. Que devinrent-elles ? Nous l'ignorons ; elles disparurent, soit qu'elles eussent trouvé le moyen de gagner les îles anglaises, soit, ce qui paraît plus probable, qu'elles se fussent retirées dans quelqu'une de ces communautés secrètes, refuge mystérieux des religieuses chassées de leurs couvents. Il n'y avait pas, au reste, de sécurité pour elles en Bretagne : leur cousin Picot de Limoëlan, que nous avons vu servir le marquis de la Rouërie en qualité d'aide de camp, menait par le pays des bandes de chouans, faisant aux bleus une guerre d'embuscade acharnée. Il joua plus tard, dans l'affaire de la machine infernale, le principal rôle, parvint à dépister les policiers de Fouché et gagna l'Amérique, où il mourut prêtre en 1826[10].

De tous ceux qui vécurent dans l'intimité de la Rouërie, celui-là fut un des plus heureux : on a vu quel avait été le sort de Pontavice, de Fontevieux et de Thérèse de Moëlien ; les autres commensaux du marquis ne furent pas moins éprouvés. Le major Chafner, réfugié d'abord près des Princes, rentra en France dès qu'il eut appris l'exécution de ses amis : il voulait, sinon les venger, du moins lutter contre leurs bourreaux, et il prit rang dans l'armée vendéenne ; sa trace se perd là. On assure que, fait prisonnier dans un des combats de la Loire, il fut emmené à Nantes et devint l'une des victimes des noyades de Carrier.

Gervais Tuffin, le cousin du marquis, son factotum dévoué, eut une fin héroïque : dès qu'il fut sorti des prisons de Rennes, où nous l'avons vu incarcéré en août 1792, il courut s'engager sous les ordres de Boisguy, qui guerroyait contre les bleus sur la lisière du Bas-Maine et dans le pays d'Antrain : Il suivit ainsi toute la chouannerie. Envoyé par son chef en Angleterre, au commencement de 1794, il en ramena quelques émigrés bretons de marque : MM. de Bourmont, de Suzannet, de Botherel, de Serrent, de la Trémouille, etc. Tous débarquèrent dans la baie de Cancale pendant la nuit du 15 au 16 mars. L'éveil avait été donné aux troupes républicaines : tous les postes étaient renforcés, les passages gardés avec soin : la garnison presque entière de Saint-Malo et de Dol surveillait la côte. A peine le débarquement était-il effectué que les émigrés tombèrent dans une patrouille de trente hommes... Pour comble de malheur, les guides s'égarèrent dans les marais de Dol. Tuffin et les amis qui l'accompagnaient se trouvaient dans un lieu coupé de fossés avec des douves fort larges, la plupart remplies d'eau et dans un pays qui leur était entièrement inconnu : ils furent assaillis de tous côtés par une grêle de balles. Tuffin tomba l'un des premiers ; se sentant mortellement blessé, il remit à son camarade Duval l'or et les lettres qu'il avait pour du Boisguy, en le chargeant de lui transmettre son dernier adieu. Duval réussit à franchir toutes les tranchées et la rivière du Biez-Jan, d'où, prenant sur la droite sans s'arrêter, il parvint à traverser les marais et, tournant la ville de Dol, arriva au point du jour sur la paroisse de Baguer-Morvan, où, exténué de fatigue, il entra dans la première maison qu'il rencontra. Il eut le bonheur d'y trouver de braves gens, qui lui prodiguèrent leurs soins. Quelques jours après, il arriva au quartier général de Boisguy et lui remit une lettre du comte d'Artois avec mille louis d'or qu'avait apportés Tuffin et que cet homme intrépide avait réussi à sauver, quoique le poids de cet or l'eût horriblement fatigué pendant sa fuite[11].

Le fils naturel de la Rouërie disparut aussi dans la tourmente : confié, après la mort de son père, aux soins de la famille de Chappedelaine, il rejoignit bientôt les bandes de Puisaye et fut tué dans un engagement[12].

La mère du marquis survécut à la Révolution : on sait qu'ayant renoncé à vivre avec son fils elle s'était retirée, depuis le retour d'Amérique du colonel Armand, dans sa maison de Fougères : elle parvint, sans doute, à s'y faire oublier tant que dura la Terreur. Même, lorsqu'elle apprit les tragiques événements de la Guyomarais, elle crut prudent de ne pas donner signe de vie. La succession du marquis étant devenue vacante, elle ne la réclama point : le château et les terres, en qualité de biens d'émigrés ou réputés tels, appartenaient à la Nation. L'inventaire en fut dressé en octobre 1792[13], et une première vente eut lieu en janvier 1793. Thérèse de Moëlien acheta une grande partie du mobilier : elle ignorait encore à cette époque la mort de son cousin et s'efforçait, suivant peut-être les recommandations de celui-ci, d'empêcher la dispersion de ses meubles. Le 5 septembre suivant, nouvelles enchères et, cette fois, Thérèse de Moëlien n'étant plus là, les paysans de la contrée se ruèrent à la curée de leur ci-devant seigneur.

La mère du marquis s'obstina à ne point paraître, et il faut reconnaître que son abstention était inspirée par la plus élémentaire prudence. En l'an XI seulement, quand la chouannerie fut dispersée, quand le calme régna enfin dans le pays de Fougères, elle réclama l'héritage de son fils : un arrêté du 19 vendémiaire lui attribua en douaire la terre de la Rouërie, et le séquestre fut définitivement levé au mois de prairial de la même année.

La vieillesse de la marquise douairière de la Rouërie fut donc, sinon heureuse, du moins assurée contre la misère : elle mourut, âgée de soixante-dix-neuf ans, le 19 avril 1808, dans son hôtel de Fougères, où elle avait passé ses dernières années[14].

On n'a pas oublié, sans doute, le comte de la Belinaye, qui joua un rôle épisodique au commencement de notre récit : lui aussi traversa, sans trop d'encombre, la période révolutionnaire. Emigré dès le 10 janvier 1790, il obtint en 1792, grâce à ses relations avec le prince de Condé, le commandement de la première division d'infanterie noble qui prit part à la campagne d'Argonne[15] ; réfugié en Angleterre après le licenciement d'Arlon, il y séjourna pendant toute la durée de la Terreur, du Directoire et de l'Empire, et ne rentra en France qu'avec les Princes[16].

Mais il était ruiné ; il estimait que ses vingt-quatre ans d'émigration méritaient quelque récompense exceptionnelle, et voici la lettre que, ne voyant rien venir au bout de six ans d'attente, il écrivait en 1820 au Ministre de la Guerre : c'est un curieux échantillon de l'égoïste éloquence particulière à ceux qui, dans la Révolution, n'avaient perdu que de l'argent : il est à remarquer que ceux-là se lamentaient plus que les autres.

MONSEIGNEUR,

C'est avec une entière confiance dans la justice et les bontés de votre Excellence que je la supplie de vouloir bien mettre un terme aux dégoûts, aux chagrins et à l'humiliation dont, pour prix de soixante-seize années de bons et fidèles services et du sacrifice que j'ai fait à la fidélité que je dois au Roi de la totalité de la grande fortune dont je jouissais avant la Révolution, je suis abreuvé depuis ma rentrée en France à la suite du Roi au mois de juin 1814 après vingt-quatre ans d'émigration. Depuis cette époque je n'ai cessé de solliciter le cordon rouge et le traitement de mon grade de lieutenant-général... je n'ai pour toute décoration que ma petite croix de Saint-Louis, que je porte depuis cinquante-huit ans.

... Je suis entré au service en 1744 et suis officier général depuis quarante ans.

J'ai fait toute la guerre de sept ans et me suis trouvé au combat de Saint-Cast en 1758. Au 1er janvier 1770, je fus fait colonel du régiment de Condé-Infanterie, que j'ai commandé jusqu'au 1er janvier 1784, que j'ai été fait maréchal de camp. J'étais brigadier depuis le 1er janvier 1780.

J'ai émigré le 10 janvier 1790 et me suis rendu à Turin pour y prendre les ordres de S. A. R. Mgr le comte d'Artois et de S. A. S. Mgr le prince de Condé.

Et, d'après leurs ordres, après avoir parcouru toute l'Italie, j'ai été avec mes deux fils cadets me fixer près de Morges sur le lac de Genève et y réunis quelques gentilshommes pour nous rendre ensuite au rassemblement qui devait se faire à Lyon, et qui malheureusement n'a pas eu lieu.

Au mois de mars 1791 nous nous sommes rendus à Worms à la formation de l'armée de S. A. S. Mgr le prince de Condé. J'y ai commandé la 1re division de l'infanterie noble jusqu'après la campagne de 1792, que je me suis rendu en Angleterre dans l'espoir de servir le Roi plus utilement en allant en Bretagne rassembler les restes de la coalition de feu le marquis de la Rouërie, mon neveu, auquel j'ai fourni des fonds très considérables que j'ai perdus ; mais, les princes en ayant ordonné autrement, je suis resté en Angleterre jusqu'au mois de juin 1814, que ie suis rentré en France.

Lieutenant général pour tenir rang du 13 août 1814... Solde de retraite de 4.000 francs, tous mes biens vendus, je n'ai pour toute existence que cette misérable pension très insuffisante pour les besoins de la vieillesse..

Chantilly, le 20 octobre 1820.

DE LA BELINAYE[17].

 

L'argent ne vint pas, le cordon rouge pas davantage, et le vieux comte de la Belinaye fut réduit à ne porter jusqu'à sa mort survenue à quelque temps de là que sa petite croix de Saint-Louis.

 

Mais un personnage plus intéressant sollicite notre attention. Qu'était devenu Lalligand-Morillon, que nous avons laissé en possession des pièces du procès qui lui avait été intenté pour fabrication de fausse monnaie ? La joie du succès l'avait grisé et devait lui être fatale.

Tout alla bien pendant quelques mois ; soutenu par le crédit toujours grandissant de Bazire, — si manifestement associé à son cousin qu'il se chargea de faire à la Convention et sur les notes de celui-ci le rapport sur l'affaire de Bretagne[18], — Lalligand se crut de force à braver le proverbe et à passer pour prophète en son pays. Il retourna à Digoin, traita sur le pied de la camaraderie le conventionnel Bernard, qui régentait cette partie de la France, obtint de lui la révocation des fonctionnaires qui lui déplaisaient et leur remplacement par quelques-unes de ses créatures. La Révolution, peu scrupuleuse décidément sur le choix de ses fonctionnaires, avait fait un juge de ce Brigaud, dont nous avons déjà cité le nom et qui avait comparu jadis, comme complice de Lalligand, devant le tribunal d'Autun, pour crime de fausse monnaie. Brigaud avait été acquitté, et Lalligand ne lui avait pas pardonné cette préférence de la justice.

A peine arrivé à Paray, il fit incarcérer ce magistrat et le remplaça de sa propre autorité par un jeune homme de vingt-quatre ans, le seul de la commune qui eût des relations avec lui[19]. Ayant de la sorte solidement assis son crédit, il fit savoir à ses concitoyens de Digoin, de Paray, de Charolles et autres lieux qu'il arrivait porteur d'une commission l'autorisant à recueillir des renseignements sur les personnes suspectes et les émigrés réfugiés dans les montagnes du Beaujolais[20], et, dès l'abord, il manifesta l'intention d'emprisonner un certain citoyen Deshaies, qui passait pour riche. Deshaies fit intercéder en sa faveur ; Lalligand parla de sa conscience, de son devoir et aussi de sa trop grande bonté, qui confinait à la faiblesse. Bref, il demanda vingt raille livres pour prix de la liberté de Deshaies : on marchanda, on fit valoir que ce jeune homme n'était pas en état de payer une somme aussi considérable, et l'austère représentant du Comité de Sûreté générale voulut bien se réduire à six mille livres[21].

En peu de temps, notre homme obtint de la sorte plusieurs mises en liberté de suspects riches : chaque fois l'affaire se soldait pour lui par l'achat de quelque domaine payé comptant suivant acte dressé chez le citoyen Duchêne, notaire à Digoin[22]. Il spécula de cette façon sur les femmes Maublanc et Meyneaud, ex-nobles[23] ; celle-ci était la femme du ci-devant président du Parlement de Bourgogne, lequel, comme bien on pense, était en prison. C'était là une belle tête à racheter, et Lalligand, à qui on en avait offert un bon prix, vint ingénieusement proposer à la Société populaire de Digoin de lui verser trente-deux mille livres si elle voulait l'aider à réclamer la liberté de cet honorable magistrat[24].

Il se livrait ainsi ostensiblement à l'étrange commerce qu'il avait entrepris : il trafiquait de la vie des gens avec l'inconscience d'un homme qui comprend son époque, qui sait que le bon temps ne durera pas toujours et qui se hâte d'en profiter. Il vit en demi-dieu[25] à Digoin, se passant tous ses caprices, forçant un certain charpentier, nommé Harpet, son voisin, à lui céder sa maison, qu'il trouve plus commode que celle qu'il habite, rançonnant ses compatriotes ébahis de tant de cynisme et traitant la province en pays conquis. Un court billet, écrit par un des malheureux qu'il pressure, en dit plus long que tous les récits :

Remets à Lalligand les fauteuils qu'il réclame et tout ce qu'il demandera[26]...

 

Mais cet étonnant proconsulat devait avoir une fin. La mort de Bazire, compromis avec Chabot et Fabre d'Eglantine dans les spéculations de la Compagnie des Indes, porta un coup sensible au crédit de Lalligand. Ne le sentant plus soutenu en haut lieu, estimant naïvement que la probité est enfin à l'ordre du jour, les sociétés populaires de Digoin et de Charolles eurent le courage de dénoncer à la Convention ce monstre que la nature vomit sans doute dans sa colère, qui, brisant les liens les plus sacrés, fut mauvais fils, mauvais mari, un être enfin qui ne rêve et ne sue que crimes et dont l'infamie est notoirement connue[27].

Ces bons jacobins reconnaissaient cependant que le méchant est un instrument duquel on est quelquefois obligé de se servir en temps de Révolution, mais que l'on doit briser dès l'instant qu'il devient nuisible ; et, comme leur compatriote en était arrivé là, ils suppliaient humblement les représentants du peuple de purger le territoire de la République de cet être astucieux et pervers.

Ils avaient si grande hâte d'en être débarrassés qu'une délégation de la Société entreprit le voyage de Paris pour porter cette supplique au Comité de Sûreté générale. Lalligand fut rappelé : il voyagea en personnage d'importance, dans sa propre voiture et sous la surveillance de deux gendarmes à sa solde[28]. Le 8 prairial, il était écroué à la Conciergerie.

Il ne s'avoua pas vaincu et voulut payer d'audace, le moyen lui avait si souvent réussi ! Il réclama la faveur de comparaître, non pas devant le Tribunal, mais, ainsi qu’un décret spécial de la Convention lui en laissait la faculté, devant le Comité de Sûreté générale, pour y être contradictoirement entendu avec ses dénonciateurs, qu'il se proposait de confondre ; mais on ne lui répondit pas : les choses tournaient mal.

Pourtant, en découvrant sur les listes le nom de ce fidèle serviteur de la République, Fouquier-Tinville, qui, généralement, ne se montrait pas si pointilleux, craignit de commettre quelque sottise en confondant dans une fournée vulgaire cet homme qui, après tout, était de la maison. Pour un vieux prêtre inoffensif, pour une pauvre mère de famille simplement suspecte, il n'eût pas fait tant de façons ; mais cet espion, ce voleur, ce pourvoyeur de guillotine pouvait avoir des amis puissants, et Fouquier n'était pas de ces magistrats qui vous bâclent un réquisitoire sans y regarder de près. En cette affaire délicate il voulut prendre l'avis de ses chefs, et voici la lettre adroite que le président du Tribunal adressait, le 12 messidor, au Comité de Sûreté générale :

Les services importants rendus à la chose publique par Lalligand-Morillon, honorés et récompensés par la Convention nationale, semblent placer ce citoyen dans la classe des patriotes qui inspirent de l'intérêt, jusqu'à ce qu'ils soient reconnus coupables. Le Comité ne penserait-il pas qu'il est juste d'accélérer le jugement de Morillon, qui, dans sa prison, est affligé de maladies graves. Dans ce cas le Comité est prié de donner des ordres efficaces pour que les pièces soient remises à l'Accusateur public[29].

 

Le Comité se servait dans ces circonstances d'un mot qui calmait les scrupules de Fouquier ; il lui disait : Va ton train ! Cela signifiait : nous avons nos raisons que tu n'as pas besoin de connaître...

Les choses se passèrent de la sorte : Lalligand fut compris, comme un vulgaire honnête homme, dans la fournée du 19 messidor, — avec, entre autres, une vieille domestique de soixante-douze ans, convaincue : d'avoir abandonné les drapeaux de la liberté pour servir dans l’armée anglaise à Toulon, — et exécuté le même jour à la place du Trône. Son corps retrouva dans la fosse commune de Picpus celui du jardinier Perrin, qui l'y avait précédé depuis une décade.

Faut-il le dire ? La mort d'un si méprisable personnage était, à cette triste époque, une catastrophe pour bien des gens. En l'apprenant, le comte de Noyan se crut perdu ; de fait, il ne lui restait plus aucun protecteur, et l'argent lui manquait pour s'en procurer de nouveau. Mme de Sainte-Aulaire, exilée de Paris, comme tous les ci-devant nobles, par le décret du 27 germinal an II[30], s'était réfugiée dans une chambre louée à Vaugirard, près de la barrière ; elle vivait là, sans ressources, manquant de pain, ne pouvant sortir faute de vêtements[31].

La chute de Robespierre mit fin à cette situation : M. de Noyan sortit de prison l'un des premiers ; les administrateurs du département comprirent qu'un homme, resté pendant seize mois, sous le coup d'un acte d'accusation, sans que Fouquier-Tinville l'eût traduit en jugement, devait être tenu pour innocent : aucune pièce compromettante ne se trouva dans son dossier[32].

Le vieux gentilhomme, mis en liberté, loua un appartement rue Saint-Louis-au-Marais. Il l'habitait depuis quelques mois et causait, un matin, tranquillement dans son cabinet avec sa fille, quand on vint l'avertir qu'un homme âgé et de bonne mine demandait à le voir, sans consentir à donner son nom. M. de Noyan ordonna qu'on le fit entrer. Le visiteur annonça qu'il se nommait Lalligand-Morillon, qu'il venait réclamer le paiement d'une obligation de quinze mille francs souscrite au profit de son fils et qu'il avait recueillie dans la succession de celui-ci...

M. de Noyan ne s'attendait pas à une pareille sommation ; il eut peine à l'entendre sans colère et ne se montra nullement disposé à y faire droit. Il rappela même, en termes assez vifs, les circonstances qui avaient motivé la signature de cette obligation ; le vieux Lalligand, de même que son fils, était homme de belles manières et savait conserver une apparence de dignité dans les situations les plus équivoques. Il écouta M. de Noyan avec déférence et lui répondit froidement qu'il n'avait point à justifier la conduite de son fils, que les fautes de ce malheureux jeune homme avaient été expiées par sa mort, et qu'après tout ce n'était pas aux gens dont il avait sauvé la vie et la fortune à se montrer sévères pour sa mémoire. Vieux, infirme, ruiné, privé de son unique enfant, lui, Lalligand, s'était attendu à trouver plus de sympathie dans une famille dont son fils lui avait souvent vanté les vertus et la reconnaissance.

Le vieillard se retira ensuite avec une profonde révérence et en annonçant qu'il reviendrait, sous peu de jours, chercher la réponse.

Demeuré seul avec sa fille, M. de Noyan ne se contint plus. Le fond et la forme modérée de cette réclamation l'irritaient également ; un appel à sa générosité, à sa justice, lui semblait être une amère ironie. Mais Mme de Sainte-Aulaire, indépendamment de tout calcul de prudence, était touchée du souvenir des circonstances dans lesquelles sa signature avait été donnée, des serments qu'elle avait faits de ne jamais la contester. Elle déclara donc résolument à son père que cette dette lui semblait sacrée, qu'elle la paierait avec les premiers fonds dont elle aurait la disposition et qu'elle aimerait mieux travailler de ses mains pour vivre que d'engager un procès sur un pareil sujet.

M. de Noyan dut céder : il paya les quinze mille francs[33] ; mais il ne le pardonna jamais à sa fille, et rien ne contribua plus que ce fait à entretenir les pénibles démêlés qui peu à peu leur rendirent impossible la vie commune.

M. de Noyan ne retourna jamais en Bretagne ; il rappela près de lui son indispensable intendant Leroy, qui, après son évasion de la Tour-le-Bat, avait rejoint les chouans et fait bravement dans leurs rangs toute la campagne. Leroy parvint à réunir les débris de la fortune de son maître qui acheta, à Etioles, une magnifique propriété[34] ; c'est là que le comte de Noyan mourut au commencement de 1810, à l'âge de quatre-vingts ans. Une croix de fer, près de la porte de l'église du village, marque l'endroit où il fut inhumé[35].

***

Il nous reste à fixer le sort du principal comparse du drame que nous avons conté, de Chévetel. S'il fallait en croire la tradition locale, il n'aurait pas longtemps profité de sa trahison. Dans ce pays d'Antrain, où son nom est resté un objet de mépris et presque de terreur, les paysans montrent, sur le bord du chemin qui va de Bazouges à Marcillé-Raoul, une croix qu'on appelle la Croix-Chévetel, et la légende assure que, frappé par la foudre, l'homme qui avait livré ses amis au bourreau, fut un jour trouvé mort là, étendu dans le fossé qui borde la route. Ce n'est qu'une légende. Chévetel devait vivre longtemps, riche, honoré, heureux peut-être.

Son père avait été élu maire de Bazouges dès la constitution des communes ; c'était, nous l'avons dit, un médecin estimé et qui passait pour probe et libéral. Quelles furent ses relations avec son fils pendant le séjour de celui-ci en Bretagne ? L'aida-t-il dans l'exécution de sa mission ? Voilà ce qui semble impossible à connaître ; nous savons seulement qu'un nommé Legendre, curé constitutionnel à Marcillé-Raoul, dénonça Chévetel père comme royaliste, coupable d'avoir tenu des propos injurieux contre le Gouvernement républicain et d'avoir trahi sa patrie. Cette dernière accusation reposait sur ce fait que les autorités de Bazouges, maire en tête, avaient abandonné leur poste à l'approche de l'armée vendéenne. Chévetel père répondit que, si l'on était parti, c'est qu'on n'avait aucun moyen de défense : il produisit, en outre, de nombreux certificats attestant son civisme, et Legendre, convaincu d'avoir méchamment accusé un citoyen patriote, fut condamné à la déportation[36].

Nous trouvons dans ce fait l'indice que le maire de Bazouges jouissait auprès des autorités d'un grand crédit, auquel la personnalité de son fils n'était peut-être pas étrangère, crédit dont il n'usa guère en faveur de sa fille, Julie Chévetel, religieuse Urbaniste du couvent de Fougères, qui, emprisonnée en 1793 et transférée à Rennes, n'obtint sa liberté qu'en mars 1795[37].

Quoi qu'il en soit, Chévetel, après l'exécution des complices de la Rouërie, ne se risqua pas à reparaître en Bretagne. Il se fixa à Paris, sinon caché, du moins tâchant de se faire oublier et réussissant cependant à mettre à profit la Révolution pour arrondir sa fortune : vivant dans l'entourage de Danton, de Fabre, de Chabot, de Bazire, il était à bonne école.

Nous n'avons pu, d'ailleurs, recueillir aucun renseignement au sujet de la spéculation que porte à son actif Mme Roland dans les notes ajoutées à ses Mémoires. Chévetel, écrit-elle[38], visant à la fortune, avait gagné la confiance d'un riche particulier, appelé, je crois, Paganel ou à peu près ainsi, possédant entre autres des terres immenses en Limousin. Cet homme, désirant émigrer pour échapper aux orages de la Révolution, fait à Chévetel une vente simulée ; il part et compte sur les revenus que son fidèle ami doit lui faire passer ; mais Chévetel les garde et jouit avec Danton d'une opulence que tous deux ont acquise par des moyens pareils.

Le 5 floréal an II, en pleine Terreur, trois semaines après l'exécution de Danton, Chévetel se maria : il prit pour femme Mlle Fleury, l'actrice du Théâtre-Français, dont nous avons dit quelques mots[39], avec laquelle il entretenait, depuis longtemps, des relations et qui avait été, on se le rappelle, la maîtresse d'Armand de la Rouërie.

Mlle Fleury, mise en prison comme ses camarades de la Comédie, comme tout le monde, pourrait-on dire, avait eu l'heureuse fortune d'être réclamée par la section de Marat, rappelant les titres précieux de cette citoyenne à la bienveillance des patriotes ; c'était elle, en effet, qui, au mois de janvier 1700 avait sauvé Marat sur le point d'être arrêté. Le Comité de Sûreté générale, en reconnaissance de cette belle action, ouvrit les portes de sa prison à Mlle Fleury, ainsi qu'à Vanhove et à sa femme qui avaient participé à ce trait patriotique[40].

Quel rôle joua Chévetel dans l'intrigue à laquelle sa maîtresse dut sa liberté ? Il s'entremit activement sans doute pour obtenir cette faveur inespérée ; à cette époque Danton vivait encore et son influence restait grande ; mais, dès que le fougueux tribun qui avait été son plus puissant protecteur, eût porté sa tête sur l'échafaud, Chévetel, sournoisement, s'appliqua à disparaître. Ceux qui, ayant connu, comme lui, les dessous de l'intrigue politique, ayant été mêlés au tourbillon révolutionnaire, sont parvenus à se glisser hors de la bagarre, à si adroitement ramper entre l'orgie de sang de la Terreur, la brutale lessive de Thermidor, les représailles du Directoire, l'énergique répression du Consulat et à se garer des coups qui pleuvaient de toutes parts, ceux-là étaient des hommes vraiment forts : du jour où il ne figura plus sur les états d'émargement du Comité de Sûreté générale, le nom de Chévetel ne fut plus prononcé ; comme médecin même, on ne le rencontre dans aucun annuaire, sur aucune liste, et nous ne retrouvons le personnage que sous l'Empire, maire du village d'Orly, près de Choisy-le-Roi[41].

Comment était-il venu échouer là ? C'est un point assez obscur : on sait seulement qu'il se rendit acquéreur, pour un prix minime, d'un vaste rectangle de terrain situé au centre du village, en bordure de la place de la mairie ; logé dans une vieille maison qui existe encore, décrépite et grise, derrière le chevet de l'église, il y vécut d'abord assez simplement, en compagnie de sa femme, qui ne prit sa retraite que le 23 avril 1807[42].

Chévetel passait pour riche : nul ne savait rien de son passé ; il ne parlait à personne de ses accointances révolutionnaires et paraissait, au contraire, si dévoué au Gouvernement impérial qu'il fut, en 1811, nommé maire de la commune par le préfet de la Seine.

A la Restauration, il se montra partisan fanatique de la monarchie légitime : trop petit personnage pour qu'on songeât à s'inquiéter de la sincérité de ses opinions, il put, sans fausse honte, redevenir impérialiste en 1815. 11 avait pris, dans son village une certaine importance : sans qu'il exerçât officiellement son art, on n'ignorait pas qu'il était médecin ; les paysans le consultaient, et il ne faisait point payer ses conseils, ce qui lui assurait une certaine popularité.

Au second retour des Bourbons, on le revit royaliste ardent : son enthousiasme éclipsait même la ferveur des fonctionnaires militants ; auprès de lui les plus ardents paraissaient tièdes.

Lorsqu'en octobre 1823 le duc d'Angoulême revint de sa campagne d'Espagne, Chévetel ne put maîtriser ses sentiments d'amour pour un si grand prince, et, voici, dans sa grotesque platitude, la lettre qu'il adressait au baron de Viel-Castel, sous-préfet de l'arrondissement de Sceaux :

La France aspire après le retour du Restaurateur de la monarchie espagnole ; Paris lui prépare la couronne du triomphateur ; mais, parce que cet illustre Rejeton de notre bonheur y arrive, il est plus que probable qu'il traversera une partie de votre arrondissement ; nous serons même peut-être assez heureux pour qu'il entre dans le département de la Seine par la commune d'Orly ; à cette idée nos cœurs palpitent de joie ; nous n'avons que des vœux et des hommages de respect et d'admiration à offrir à ce prince chéri ; la bonté est l'apanage de son auguste famille, et nous aimons à croire qu'il agréerait avec bienveillance le triomphe de l'ovation offert par des cœurs simples et dévoués. Nous serait-il permis de le lui offrir, si notre bonne fortune voulait qu'il passât, à son retour, par chez nous ? Serez-vous assez bon pour nous prévenir afin que nous eussions le temps de lui ériger sur la grande route, hameau de la Vieille Poste, un arc de triomphe en verdure avec cette inscription : omnigenæ virtutis alumnus.

L'âme des héros aime à se reposer du tumulte des armes et du fracas des villes et des Cours : avec nous tout sera pur et sincère comme nos vœux pour le bonheur et la prospérité du digne Prince que nous désirons combler de bénédictions à son passage. Voudrez-vous bien, Monsieur le Sous-préfet, transmettre à qui de droit le désir que nous vous témoignons, si vous n'en trouvez pas l'accomplissement impossible, et me donner vos ordres et me faire connaître vos intentions dans le cas où l'on approuverait notre projet.

Agréez, Monsieur le Sous-préfet, mes salutations et mes civilités très humbles.

V. CHÉVETEL[43].

 

Le sous-préfet transmit à ses chefs la supplique du maire d'Orly, et l'histoire ignore ce qu'il en advint : il convient de dire que Chévetel se savait à cette époque assez menacé, et cette amplification dithyrambique n'avait d'autre but que de détourner une révocation réclamée par certains de ses administrés : on l'accusait de s'ériger en seigneur, de rétablir à son profit et à celui de ses créatures les anciens usages féodaux... D'ailleurs voici la note qui, émanée de la Direction de la police, parvint au cabinet du préfet :

Le sieur Chévetel, maire de la commune d'Orly (Seine), est signalé comme ayant de fort mauvaises opinions. On lui reproche d'avoir participé aux crimes de Danton, dont il était l'ami, et ces reproches sont fondés. On peut consulter à cet égard les Mémoires de Mme Rolland et l'Histoire de la guerre de la Vendée, par M. Beauchamp.

On impute aussi au sieur Chévetel d'infliger de son autorité privée des amendes à ceux de ses administrés qui sont traduits devant lui, soit pour querelles, soit pour vol et dévastation de récolte. Ces amendes sont ordinairement prononcées au profit des pauvres et du garde champêtre. On cite un cordonnier de Choisy-le-Roi et sa femme que, le 29 septembre dernier, le maire d'Orly aurait condamnés à 10 francs d'amende envers le garde champêtre pour s'être introduits dans un vignoble, où ils cueillaient du raisin[44].

 

Le préfet, M. de Chabrol, reçut en même temps[45] communication et de la proposition de Chévetel et de la dénonciation dont ce pur royaliste était l'objet : le contraste avait de quoi l'étonner : aussi, le jour même, il répondait à la demande de renseignements du Ministre :

MONSEIGNEUR,

Avant la réception de votre lettre, on m'avait désigné le sieur Chévetel comme ayant de fort mauvaises opinions, suite naturelle de celles qu'il aurait professées pendant la Révolution. J'ai pris des renseignements à ce sujet tant auprès de M. de Châteaugiron qu'auprès de M. le sous-préfet de Sceaux, et, d'après ce qu'ils m'ont assuré, il paraît constant que depuis dix ans la conduite de ce maire et les opinions qu'il manifeste hautement ont toutes les apparences d'un vif attachement à la famille royale et d'un véritable retour à la bonne cause. Afin de vous mettre à portée d'en juger, Monseigneur, j'ai l'honneur de vous adresser un billet qu'il écrivait le 14 octobre dernier à M. le sous-préfet de Sceaux. Les sentiments qui y sont exprimés ont un tel caractère de vérité qu'il serait impossible de feindre mieux ce que l'on ne sait pas sentir. — Le sieur Chévetel remplit d'ailleurs parfaitement ses fonctions de maire, et il paraît difficile de le remplacer sous ce rapport. — Quoi qu'il en soit, les faits qui vous sont signalés viennent appuyer la première accusation et commandent de nouvelles investigations. — J'en ai conféré avec M. le sous-préfet. Aussitôt qu'il m'aura fait parvenir le résultat ces recherches qu'il a déjà commencées et dans lesquelles il mettra le plus grand soin, je m'empresserai de les communiquer à Votre Excellence,

J'ai l'honneur d'être avec respect,

Monseigneur,

de Votre Excellence,

Le très humble et très obéissant serviteur,

CHABROL[46].

 

Et le Ministre concluait par cette note griffonnée sur le dossier :

Ne citer que les derniers faits : on peut dire seulement que la conduite de ce maire pendant la Révolution pourrait exciter de fortes présomptions contre lui.

 

Nous avons tenu à produire, dans leur texte même, les pièces de ce petit procès ; il ne laisse pas que d'être instructif : voilà, à l'heure où la Restauration est triomphante, le maire d'une commune de la Seine, dénoncé comme ayant joué dans la Révolution un rôle odieux ; c'est un ami de Danton, un jacobin, un espion des Comités de la Convention d'exécrable mémoire... Et le Ministre se borne à mettre en regard de cette accusation qu'il n'y a pas à rechercher les antécédents de ce magistrat. Le pardon inscrit dans la Charte n'était donc pas un vain mot ? Que vient-on nous parler de la Terreur blanche et des billets de confession. Comment ! La Restauration trouve sur son chemin, dans ses rangs, l'homme qui, traîtreusement, a porté au parti royaliste les plus rudes coups, et elle ne se croit pas le droit, sinon de le punir, du moins de l'exclure de l'Administration !

Si l'on compare cette candeur du préfet de Louis XVIII, qui, après lecture de la prose de Chévetel, note que les sentiments exprimés ont un tel caractère de vérité qu'il serait impossible de feindre mieux ce que l'on ne sait pas sentir, si l'on compare, disons-nous, cette naïve confiance à la prudence soupçonneuse du Comité de Sûreté générale, lorsqu'à la suite de ce même homme il envoyait en Bretagne espion sur espion, pour surveiller ses moindres agissements, on en arrive à penser que, suivant un mot fameux, ces gens de la Restauration n'avaient en effet rien appris et rien oublié : ils se croyaient encore au temps des nobles sentiments et des dévouements chevaleresques ; ils ne voulaient voir, dans le déchaînement des passions révolutionnaires qu'un coup de folie passager et jugeaient sincères tous les mea culpa dont les hypocrites se frappaient la poitrine.

 

Le contraste devient attristant si l'on rapproche cette indulgence d'autres faits d'une nature tout opposée. Vers cette époque, une pauvre femme, la veuve de Pontavice[47], l'aide de camp du marquis de la Rouërie, suppliait le Ministre de lui accorder un secours : son père, capitaine commandant de la Bastille, est mort en défendant la forteresse contre l'émeute le 14 juillet 1789 ; son mari a payé de sa tête son dévouement à la cause royale ; elle est demeurée pendant vingt ans sans ressources ; elle rappelle que le comte d'Artois a promis, jadis, à Coblentz, de récompenser les services rendus par Pontavice ; ayant, par prudence, brûlé tous ses papiers, elle ne peut représenter le brevet de colonel dont le marquis de la Rouërie avait gratifié son mari au nom des Princes ; elle supplie Son Altesse de vouloir bien faire appel à ses souvenirs...

Et un chef de division lui répond que le Gouvernement n'a pas à sa disposition des fonds sur lesquels on puisse imputer des pensions de la nature de celle qu'elle réclame ![48]

Un peu plus tard, une demande de renseignements, adressée par un particulier habitant Landrecies, parvient au Ministre de la Guerre : il s'agit de savoir ce qu'est devenu un officier du nom de Fontevieux et la date de son décès. Après enquête — après enquête ! — le Ministre répondit que ce Fontevieux, après la guerre d'Amérique, servait dans le régiment de Gévaudan, qu'il a émigré en 1791... Depuis lors on ignore ce qu'il est devenu[49] !

Ainsi les Princes, si prodigues de promesses au temps de l'émigration, en étaient arrivés à oublier jusqu'au nom de ceux qui étaient morts pour leur cause. L'avaient-ils jamais su, seulement ?

 

Et Chévetel restait maire[50] : aux grands jours il ceignait l'écharpe blanche et arborait à sa fenêtre le drapeau fleurdelisé.

Sa femme était morte le 23 février 1818 et, dans son acte de décès, signé du curé et des autorités d'Orly, l'ancienne actrice est désignée sous le titre de Pensionnaire de Sa Majesté. Car Chévetel est devenu un personnage : il n'administre pas sa commune, il y règne ; c'est lui qui consigne sur les registres les délibérations du Conseil qu'il préside ; cette même main qui, jadis, de la Cour des Princes exilés, adressait à Danton des listes de proscription, note, à chaque anniversaire, l'empressement des paysans à témoigner leur amour pour l'Auguste famille que le Ciel dans sa bonté a rendue à la France. Lors des fêtes du baptême du duc de Bordeaux, sa rédaction devient lyrique.

Le Conseil municipal de la commune d'Orly, rassemblé à la mairie le 15 avril 1821, considérant que la commune a toujours saisi avec empressement les occasions de témoigner son respect et son entier dévouement à l'auguste famille des Bourbons et que ce serait faire injure au sentiment de tous les habitants de douter un instant de la part sincère que chacun d'eux prendra au jour fixé pour le baptême du petit-fils de saint Louis, arrête :

1° Que le maire et l'adjoint, le Conseil municipal, le bureau de bienfaisance, la garde nationale en tenue et sous les armes, seront avertis de se rassembler à dix heures du matin, le 1er mai, pour se rendre en corps au temple, afin d'y rendre grâce au souverain Être de toutes choses de la faveur qu'il a accordée à la France en perpétuant l'auguste race de ses rois prête à s'éteindre, et lui adresser nos vœux ardents pour qu'il daigne veiller sur les jours précieux de l'enfant qu'il nous a accordé dans sa miséricorde.

Arrête : 2° Que dans le cas où l'autorité ecclésiastique supérieure n'aurait pas donné des ordres pour ce jour solennel, il sera envoyé séance tenante une députation du conseil municipal à M. le Curé pour l'inviter à célébrer ce jour-là une messe en actions de grâce en faveur de celle que le ciel nous accorde et de faire chanter un Te Deum si l'hyérarchie (sic) ecclésiastique ne s'y oppose pas, la veille du premier de mai et ce jour-là la cloche sera sonnée à plusieurs reprises chacun desdits jours.

A la sortie du temple il sera fait une distribution à domicile aux indigents qui seront désignés par le bureau de bienfaisance et par le conseil séance tenante. Le soir il y aura bal gratis sans illumination, les localités ne le permettant pas.

Le Conseil municipal considérant ensuite que, dans ce moment-ci, presque tous les bourgeois étant absents et que les granges vides (sic), considérant que le maire se charge de payer les frais de cérémonies de l'église et du bal, qu'il ne reste qu'à pourvoir à la distribution qui sera faite aux indigents, arrête que M. le préfet voudra bien autoriser le percepteur à compter une somme de 40 francs sur les fonds disponibles des deniers communaux versés en caisse sur l'exercice de 1820[51].

 

Ces palinodies ne l'empêchèrent pas d'acclamer la Révolution de 1830... et il resta maire ! Il maria au nom de Louis-Philippe, comme il avait marié au nom de Charles X, de Louis XVIII et de Napoléon. Mais, depuis la mort de sa femme, son existence s'était modifiée. On faisait bombance dans sa petite maison de la place de la Mairie, la broche, nous dit-on, y tournait nuit et jour. On y voyait se glisser, à la brume, des amis venus de Paris par le coche de Choisy-le-Roi, car il existe encore à Orly des gens qui ont connu Chévetel : ils se rappellent un homme gros et fort, de taille assez petite, marchant avec une peine extrême, car il souffrait de la goutte[52], et appuyé sur un bâton : chaque jour, il faisait, ainsi, son tour dans les rues du village, et les gamins, — vieillards aujourd'hui, — couraient à lui en criant :

Bonjour, monsieur Chévetel !

Il riait, car il était bon vivant, tutoyait tout le monde, ne se déshabituant pas de jouer au seigneur. Tout le monde avait recours à lui pour les soins aux malades, pour les remplacements militaires, pour les recommandations et les démarches de toute sorte. On n'ignorait pas qu'il aimait à intriguer, et on en abusait.

Cependant il était plus craint qu'aimé : son inconduite même causa du scandale : on lui connut un enfant, ce qui fit jaser, et l'on assure encore qu'il ne se gênait pas pour condamner à douze heures de violon les maris gênants. Il n'avait pour tout domestique qu'une vieille bonne hargneuse et insolente, détestée de tout le village.

En 1832 il donna sa démission de maire : le désordre de sa vie, ses démêlés avec le curé, un digne et saint prêtre, qui resta pendant quarante ans à Orly, rendaient impossible sa magistrature. Cette déchéance en amena d'autres, et sa fin fut misérable. Il n'avait plus de flatteurs, n'étant plus riche : il avait épuisé toute sa fortune et engagé ses immeubles. Sa servante allait de porte en porte mendier pour lui[53].

Chévetel mourut le 15 février 1834[54]. Son enterrement fut un événement : les habitants d'Orly voulurent conduire avec pompe à sa dernière demeure le magistrat qui, pendant vingt ans, avait présidé à leurs destinées. Les enfants des écoles faisaient la haie depuis la porte de la maison jusqu'à l'église : le corps fut inhumé dans l'ancien cimetière ; mais une délibération du Conseil municipal ordonna, quelques mois plus tard[55], qu'en reconnaissance des services rendus par Chévetel à la commune d'Orly ses restes seraient transportés au cimetière nouvellement établi à la sortie du village. Sa tombe y fut la première creusée : on l'y voit encore, à gauche de la grande allée, dans la partie supérieure de l'enclos. La dalle qui la recouvre est presque complètement fruste, et les caractères en sont effacés : on y devine cependant le nom et la consolante formule : qu'il repose en paix !

Souvent nous nous sommes arrêté devant cette pierre, et, songeant à ce que nous avions recueilli sur l'existence de celui qui dort là, nous nous disions : A quoi bon ? De quel droit raviver ces souvenirs et exhumer ce sinistre passé ? Ne vaut-il pas mieux se taire et laisser sa mémoire bénéficier de l'oubli ?...

Mais notre pensée se reportait à cette autre tombe, perdue au fond des bois de la Guyomarais, à cette épouvantable scène de l'exhumation du marquis de la Rouërie, à cette tête coupée au cadavre et roulant sur le parquet, à tous ceux que l'odieuse intrigue a désespérés, ruinés, perdus, tués.. Ceux-là aussi, pourtant, ont des droits à la vérité.

Si humble que soit un historien, si modeste que soient ses prétentions, son rôle est toujours celui d'un justicier. Pourquoi n'auriez-vous que rancune et qu'injure pour ces Bretons et ces chouans, si allègrement traités de brigands et de détrousseurs de grands chemins, tandis que vous prêcheriez l'effacement et l'oubli pour les Chabot, les Fouquier-Tinville, les Lalligand et les Chévetel ? L'histoire n'a point à faire acception de partis ni de personnes : tant pis pour ceux qu'elle cloue à son gibet. Ainsi que le disait le docteur Noir de Stello, elle s'en lave les mains, — lavez vos noms.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] On assure que Casimir aurait été exécuté si, sur le procès-verbal de son arrestation, le greffier du district de Lamballe ne l'avait porté comme étant seulement âgé de seize ans et demi. Ce ne fut qu'à l'époque de son mariage avec  Mlle de la Goublaye de Nantois que Casimir de la Guyomarais apprit que, né le 11 juin 1776, il avait, à l'époque du procès, dix-sept ans passés. — Note de Mlle Mathilde de la Guyomarais.

[2] 18 juin 1793. Le Comité de Sûreté générale, pénétré des dangers qu'il y aurait de laisser circuler librement les prévenus de la conspiration de Bretagne qui ont été acquittés par le Tribunal... arrête que tous les prévenus acquittés seront maintenus en état d'arrestation à Sainte-Pélagie, où ils seront à l'instant transférés. — Archives nationales, W, 275.

[3] Elle était sœur jumelle d'Amaury.

[4] La pièce est datée du 28 thermidor an II. — Souvenirs du général de la Motte-Rouge.

[5] On se battit en août 1794 dans la forêt même à la Loge-à-Madame ; en 1795 à Ploubalay ; en 1796 à Matignon, au bois de la Motte, à Plancoët, à Henan-Bihen et à Pleurtuit. — Mémoires du colonel de Pontbriand.

[6] Fille de Casimir de la Guyomarais et de Mlle de la Goublaye de Nantois. Mlle Mathilde de la Guyomarais habite encore aujourd'hui le château : c'est à elle que nous devons de si précieux renseignements sur les événements de 1793.

[7] Voici le fait curieux recueilli par le colonel de Pontbriand.

Le 22 janvier 1800, deux chouans ignorant que la petite ville de Plancoët était au pouvoir des républicains, y revinrent assez tard et furent faits prisonniers. Un officier nommé Malter les fit conduire sur le bord de la rivière d'Arguenon, et, après les avoir fait dépouiller et lier ensemble, il ordonna de les tuer à coups de baïonnette. Ces malheureux ainsi massacrés furent jetés ensuite dans la rivière. La mer était haute, la nuit assez noire ; mais Malter, ayant entendu comme le bruit d'un homme qui nageait, ordonna de tirer dans la direction, et une balle vint encore traverser le bras du nommé Bonnier, jeune homme de Dinan, qui, déjà percé de 4 coups de baïonnette, dont deux le traversaient de part en part, traînait avec lui le cadavre de son camarade. Il parvint cependant, en suivant le cours de la marée descendante, s'éloigner assez pour être à l’abri des coups de fusil et aborda dans les vases, sur l'autre rive, où il réussit à se débarrasser du corps de son compagnon. Il se remit ensuite à l'eau et gagna à la nage une ferme, où il pensait implorer du secours ; mais tout était fermé, et, ignorant s’il ne s'y trouvait pas des républicains, il monta dans un grenier, où il s'enveloppa dans du linge mouillé que les fermiers avaient déposé là. Il resta ainsi vingt-quatre heures sans connaissance ; ce ne fut que le lendemain, vers neuf heures du soir, qu'il lui revint des idées confuses de ce qui lui était arrivé. Il put descendre dans la maison, où il fit le récit de son aventure, et les fermiers allèrent prévenir un des frères de Pontbriand, qui lui envoya de suite M. Morel, médecin de Plancoët. Celui-ci ne revenait pas qu'un homme eût pu survivre à de telles blessures ; il lui donna tous ses soins, et son rétablissement fut si prompt que, le 11 février, il put rejoindre les royalistes au château de Chesne-Ferron, près Dinan, au moment de la signature de la paix. Il paraît que le froid et l'eau de mer arrêtèrent le sang et favorisèrent cette prompte guérison.

[8] J'ai vu les dames Desilles sortir de prison, je n'ai pas eu leur secret à cet égard ; mais je viens de voir Castellane quitter cette même prison au prix de 30.000 livres délivrées à Chabot. Dillon est sorti des Madelonnettes de la même manière. A cet instant, 22 août, j'ai sous mes yeux, une Dlle Briout, demeurant cloître Saint-Benoît, 207, fille entretenue dont l'ami est fabricateur de faux assignats. Dénoncé, on a paru le poursuivre, mais l'or a coulé dans les mains des administrateurs : celui qui met sur pied la force destinée à chercher sa personne et à s'en emparer, sait où il est caché ; sa maîtresse est arrêtée pour la forme ; les administrateurs qui paraissent venir l'interroger lui donnent des nouvelles de son ami, et bientôt ils auront ensemble la liberté puisqu'ils ont de quoi la payer. — Mémoires de Mme Roland.

[9] On retrouve encore l'écho de cette illusion dans les Mémoires de Mme Roland, à laquelle les prisonnières se confiaient : Jugées, acquittées, encore détenues et sans argent, les deux jeunes femmes se rappelèrent la bourse de louis ; elles confient cette particularité à un homme probe et ferme qui se rend chez Chévetel et lui demande les 200 louis. Chévetel, surpris, nie d'abord, s'étonne de la vigueur du requérant, qui menace de le couvrir de mépris à la place de l'Univers ; il balbutie, confesse la moitié et la rend en assignats, mais après plusieurs conférences. — Mémoires de Mme Roland.

[10] A Charles-Stown, le 29 septembre.

[11] Mémoires du colonel de Pontbriand.

[12] Suivons ici la tradition locale ; mais nous devons avouer que nous n'avons trouvé que très peu de traces authentiques da l'existence de ce jeune homme. Dans les registres paroissiaux de Saint-Ouen-de-la-Rouërie, il figure à deux reprises : une première fois (18 février 1789), comme témoin du mariage de Guillon (le domestique qui accompagna le marquis à Coblentz), et la seconde fois (16 décembre 1790) comme parrain du fils du même serviteur. Il signe simplement Armand. Voici d'ailleurs le texte du second de ces actes :

Armand-Jean Guillon, fils du sieur Michel et de dame Monique Palard, sa femme, demeurant au château de la Rouërie, né d'hier et baptisé le 16 décembre 1790. Parrain Armand, marraine, Jeanne-Marie Palard. Ont signé : Armand, Jeanne-Marie Palard.

[13] Inventaire des effets appartenant à Tuffin de la Rouërie, fait par nous maires et officiers municipaux de Saint-Ouen-la-Rouërie, suivant la loi du 8 août 1792. — Archives du Greffe du Tribunal de Fougères.

[14] Etat civil de Fougères.

[15] Archives du Ministère de la Guerre.

[16] Archives du Ministère de la Guerre.

[17] Archives du Ministère de la Guerre.

[18] Le 4 octobre 1793.

[19] Dénonciation de la Société populaire de Paray. — Archives nationales, W, 409.

[20] La Société populaire et régénérée de Charolles aux citoyens représentants du Peuple. — Archives nationales, W, 409.

[21] L'agent national de Charolles au Comité de Sûreté générale. 29 germinal an II. — Archives nationales, W, 409.

[22] La Société populaire et régénérée de Charolles aux citoyens représentants du peuple. — Archives nationales, W, 409.

[23] La Société populaire et régénérée de Charolles aux citoyens représentants du peuple. — Archives nationales, W, 409.

[24] Dénonciation de la Société populaire de Paray. — Archives nationales, W, 409.

[25] Dénonciation de la Société populaire de Paray.

[26] Archives nationales, W, 409.

[27] Archives nationales, W, 409.

[28] Archives nationales, W, 409.

[29] Archives nationales, W, 409.

[30] Décret concernant la répression des conspirateurs, l'éloignement des nobles et la police générale.

... ART. 6. — Aucun ex-noble... ne peut habiter Paris ni les places fortes... celui qui y serait trouvé dans dix jours est mis hors la loi.

Le même décret contenait cet article :

Si celui qui sera convaincu désormais de s'être plaint de la révolution vivait sans rien faire et n'était ni sexagénaire ni infirme, il sera déporté à la Guyane.

[31] Portraits de Famille, par le comte Sainte-Aulaire.

[32] Lalligand avait tenu sa parole ; tous les papiers compromettants pour le comte de Noyan avaient été rendus à Mme de Sainte-Aulaire, même les lettres de M. de Kersalaün, gendre de Noyan, qui était émigré. Voici, à ce sujet, une note conservée aux Archives de Dol :

L'administrateur du ci-devant district de Dol, sur la demande du citoyen Morillon, chargé de pouvoirs du Comité de Salut public (sic), lui adresse toutes les pièces trouvées à la Rouërie ainsi qu'à la Mancellière, chez Ranconnet ; on pourra trouver la lettre d'envoi des pièces dont il s'agit dans le registre de correspondance de ladite administration.

[33] Portraits de Famille, par le comte Sainte-Aulaire.

[34] C'est Leroy qui construisit à Etioles, dans une partie du parc que lui avait concédée M. de Noyan la bizarre maison qu'on y voit encore aujourd'hui.

[35] Portraits de Famille, par le comte Sainte-Aulaire.

[36] Vicomte le Bouteiller, Journal de Fougères, 1892.

[37] Julie-Louise-Georgine Chévetel, fille de noble homme Louis-Rose-Valentin Chévetel et de dame Louise Fontaine, née à Bazouges-la-Pérouse, le 26 mai 1763, prit l'habit aux Urbanistes le 9 janvier 1787 sous le nom de Sœur Sainte-Pélagie et fit profession le 15 janvier 1788. — Registres paroissiaux de Laignelet.

[38] Anecdotes faisant suite aux Mémoires de Mme Roland.

[39] Voir Première partie, chapitre premier.

[40] Journal de la Montagne, 28 pluviôse an II.

[41] L'acte de mariage de Chévetel a été notre seul guide dans cette recherche assez délicate. Il avait épousé, le 5 floréal an II, à Paris, l'actrice du Théâtre-Français. En suivant Mlle Fleury jusqu'à sa mort, nous avions chance de recueillir quelques renseignements sur son mari. L'érudit et obligeant archiviste de la Comédie-Française, M. Monval, nous apprit que ladite Mlle Fleury était morte à Orly et que ses dernières quittances étaient signées Fleury-Chévetel. C'est ainsi que nous avons été mené à retrouver, dans les registres de la mairie d'Orly, la trace de Chévetel et même, dans la mémoire des habitants du village, le souvenir de sa personne. Nous devons des remerciements à M. le secrétaire de la mairie d'Orly, dont nous avons mis à contribution la parfaite connaissance des Archives de la Municipalité.

[42] Archives de la Comédie-Française.

[43] Archives nationales, F 1BII, Seine, n° 17.

[44] Archives nationales, F 1BII, Seine, n° 17.

[45] Le 15 octobre 1823.

[46] Archives nationales, F 1BII, Seine, n° 17.

[47] Elisabeth-Louise Person, fille de feu Nicolas-Joseph Person, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, inspecteur des chasses de 8. A. S. Mgr le duc d'Orléans.

[48] Archives du Ministère de la Guerre.

[49] Archives du Ministère de la Guerre.

Il est bien stipulé qu'il s'agit de Jean-Baptiste-Georges de Fontevieux, baptisé à Straubig le 19 avril 1759. Il ne peut donc y avoir aucune confusion avec un autre officier du même nom.

[50] Etat civil de la commune d'Orly.

[51] Archives de la mairie d'Orly. Cette transcription, comme presque toutes celles du registre, d'ailleurs, est entièrement de la main de Chévetel.

[52] Dans les dernières années de sa gestion, sa signature sur les registres de la mairie devient presque illisible.

[53] Après la mort de Chévetel, cette femme fut admise dans un hospice de Paris.

Dans les Mémoires d'Outre-Tombe, Chateaubriand note en 1834 : La femme du fils du médecin Chévetel vient d'être recueillie à l'infirmerie Marie-Thérèse. Cette maison de retraite avait été fondée par Mme de Chateaubriand, et l'auteur du Génie du Christianisme, qui habitait alors la maison voisine de l'infirmerie, était en mesure d'être bien renseigné. Nous n'avons pu vaincre la discrétion de Mme la supérieure de l'Infirmerie Marie-Thérèse, ni, par conséquent, éclaircir cette note des Mémoires d'Outre-Tombe.

[54] L'an 1834, le 15 février, à sept heures du matin, par devant nous Jean Salvé, adjoint, remplissant en l'absence du maire les fonctions d'officier de l'Etat civil de cette commune d'Orly (canton de Villejuif), arrondissement de Sceaux, département de la Seine, sont comparus les sieurs Rose-Victor Genty, maître charron, âgé de trente-neuf ans, et Louis-Barthélemy Bonneau, maréchal-ferrant, âgé de quarante-cinq ans, tous deux domiciliés à la susdite commune d'Orly, rue Paruseau, et voisins du décédé ci-après nommé, lesquels nous ont déclaré qu'aujourd'hui, a quatre heures du matin, M. Valentin-Marie-Magloire Chévetel, docteur en médecine, âgé de soixante-treize ans, ancien maire de cette commune, est décédé en son domicile, situé en ce lieu d'Orly, susdite rue Paruseau, et les déclarants ont signé avec nous le présent acte de décès, après qu'il en a été donné lecture, lequel décès a été constaté suivant la loi par M. Carrère, docteur en médecine, demeurant à Choisy-le-Roi (Seine). — Archives de la Commune d'Orly.

[55] Registres des Délibérations de la commune d'Orly.

21 décembre 1834.

Le Conseil considérant que feu M. Chévetel qui fut, pendant vingt ans, maire de la commune, est décédé avant que le cimetière nouveau fût terminé, et que c'est sous son administration qu'il a d'abord été question d'opérer ce changement de cimetière, croit acquitter une dette de reconnaissance en demandant la translation des restes de son ancien maire dans le nouveau lieu de sépulture, et, à cet effet, s'étant fait rendre compte des frais que nécessiterait une pareille translation, lesquels s'élèvent à la somme de 100 francs, a voté ladite somme et demande à l'autorité supérieure l'autorisation de faire cette dépense.