LE MARQUIS DE LA ROUËRIE

PREMIÈRE PARTIE

 

IV. — MONSIEUR MILET.

 

 

Le marquis de la Rouërie avait quitté son quartier général, mais il n'avait pas fui : ce projet de retraite entrait dans ses plans[1] : satisfait du résultat des stratagèmes qui lui avaient permis de prendre son temps et de réunir chez lui, à la barbe des municipaux hostiles, les chefs du complot, il avait abandonné son château, moins en proscrit qu'en stratégiste, exécutant un mouvement dès longtemps médité.

Il en était sorti en plein jour, emmenant avec lui son fils, les personnes composant sa société habituelle, ses aides de camp et quelques-uns de ses serviteurs[2] : les gens assuraient qu'il était parti par la route de Rennes, d'autres l'avaient vu s'éloigner sur le chemin d'Avranches ; en réalité, il avait pris une toute autre direction.

Avant de le suivre dans le refuge qu'il s'était choisi, il faut dire que les récents événements n'avaient pas abattu son courage ni diminué sa confiance dans le succès prochain de son entreprise.

A Coblentz on voyait les choses sous un jour plus favorable encore : là, il ne s'agissait plus d'espérances, on avait la certitude du triomphe, et les émigrés, dont la vaniteuse inconscience ne prévoyait plus d'obstacles, parlaient de représailles et disposaient de la France comme s'ils en eussent été les maîtres.

Vers la fin du mois de juin, Fontevieux[3] apportait aux conjurés bretons ces maladroits encouragements :

Les Princes frères du roi, informés de la position où se trouvent en Bretagne les citoyens demeurés fidèles à la religion et au roi, exhortent le marquis de la Rouërie à continuer d'entretenir ces bons sentiments, à les confirmer de plus en plus et attendre avec confiance le moment où l'action prochaine des forces extérieures offrira aux bons Français la possibilité de manifester ouvertement leur loyauté et leur courage. Les Princes feront paraître incessamment un manifeste, qui fera connaître que leurs vœux ne tendent qu'au rétablissement de l'ordre et annoncera l'esprit d'équité et de modération qui dirige toutes leurs démarches. Ce manifeste, soutenu par les armées des puissances confédérées, sera tel qu'il puisse éclairer la nation sur ses véritables intérêts, dissiper les fausses inquiétudes qu'on lui a imprimées, la rassurer contre la crainte d'être surchargée d'impôts ou privée d'une liberté légitime ; mais en même temps il présentera tout ce qu'ont à craindre les factieux révoltés contre le gouvernement paternel d'un roi dont ils ont indignement méconnu la honte, et il fera trembler les plus audacieux en leur faisant voir la vengeance due à leurs forfaits suspendue sur leurs têtes.

La prudence dont, jusqu'à présent, le marquis de la Rouërie nous a donné des preuves, nous persuade qu'il évitera toute explosion prématurée ; mais, si la violence d'une secte sanguinaire attentait à la vie et aux propriétés des citoyens, nous autorisons M. de la Rouërie à repousser en ce cas la force par la force, et nous ordonnons à tous les Français fidèles de lui prêter assistance, de seconder son zèle, de l'aider de tous leurs pouvoirs, nous reposant entièrement pour les moyens d'exécution, sur la sagesse et la modération dudit marquis de la Rouèrie.

A Coblentz, le 14 juin 1192.

LOUIS-STANISLAS-XAVIER,

CHARLES-PHILIPPE[4].

 

Ces folles illusions, cette inintelligence complète de la situation n'étaient pas, du reste, personnelles aux seuls Princes ; leur entourage les partageait, ainsi que tous les Français groupés sur le Rhin. Il serait facile, en puisant dans certains Mémoires, écrits cependant après la cruelle déception qui attendait les émigrés, de tracer un tableau burlesque de cette étrange armée qui organisait non la campagne, mais la victoire ; sans même chercher ailleurs que dans les documents en rapport direct avec notre sujet, nous retrouvons trace de cet incroyable état d'esprit.

Fontevieux qui fit, en août, un nouveau voyage[5], apporta à ses amis de Bretagne une lettre de Calonne écrite sous l'impression bien évidente de la plus complète tranquillité ; ce billet, daté du 11 août, était ainsi conçu :

Notre brave et féal[6] n'a pas négligé vos affaires, cher général, et nous ne l'avons pas négligé non plus, quoique nous l'ayons retardé. Il emporte la pièce qui va paraître le jour même que nous marcherons vers nos pénates, et c'est après-demain. Il ne vous porte que l'épreuve. C'est tout ce que nous avons et il vaut mieux s'en contenter que d'attendre encore deux jours. Vous aurez ainsi les commissions signées et 10.200 livres[7], faisant moitié de ce que vous recevrez dans un certain genre, qui sera- bientôt dans le cas de vous être envoyé où vous indiquerez. Euge, euge ; macte animo, vir generose, est tout ce qu'on peut vous dire à présent, et on vous le dit de la part d'un grand homme dont nous sommes parfaitement contents, ainsi que d'une grande majesté[8].

Recevez les embrassements et les vœux de votre serviteur...

DE CALONNE[9]

 

Les commissions signées qu'envoyait Calonne étaient des formules manuscrites, portant en cire noire le cachet de Monsieur et la signature autographe des deux frères du roi[10]. Quant à la brochure dont Fontevieux apportait l'épreuve, c'était un factum qui devait être répandu en Bretagne à un très grand nombre d'exemplaires, au moment de la prise d'armes : il était signé d'Armand de la Rouërie[11] et portait ces indications, qui constitueraient le plus brûlai des anachronismes, si l'on ne devait y voir une preuve nouvelle de la façon dont les princes escomptaient la victoire, avant même d'avoir passé la frontière :

Coblentz, le 2 mars 1792. — Imprimée à Verdun, de l'imprimerie des Princes Français.

Cette brochure mériterait d'ailleurs une étude détaillée ; certains passages indiquent que le concours des Bretons à la cause des émigrés n'était pas tout à fait désintéressé : le marquis de la Rouërie n'avait point, pour sa part, abandonné le rêve d'indépendance provinciale qui l'avait jadis conduit à la Bastille : il se sentait assez fort, maintenant, pour imposer au roi ses conditions, et, en retour de l'appoint qu'il apportait à la contre-révolution, il exigeait très catégoriquement le rétablissement des anciens États et l'autonomie de la Bretagne[12]. Nous nous contenterons de signaler ici cette convention, restée presque tacite, à laquelle font allusion, pourtant, les lettres des Princes déjà citées et d'autres documents que nous produirons par la suite[13].

La prise d'armes, devant coïncider avec l'entrée prochaine de l'armée des Princes à Châlons, était donc imminente, et, dès la fin de juillet, la Rouërie fit passer à tous ses comités l'ordre de se tenir prêts. La Bretagne tout entière ignorait alors la retraite du chef qui allait la conduire au combat : le secret en avait été si bien gardé que les commissaires eux-mêmes, encore qu'ils correspondissent avec lui au moyen d'émissaires discrets, paraissent n'avoir pas eu connaissance du lieu où il s'était retiré.

 

Au reçu de l'ordre d'entrée en campagne, les comités hésitèrent. Tenus jusque-là en haleine par la présence du marquis, stimulés par l'exemple de son activité, ils avaient montré une soumission absolue. Maintenant qu'ils n'étaient plus sous l'œil du maître, leur résolution faiblissait : le recrutement des commissaires s'était fait, d'ailleurs, assez légèrement, et, en certaines localités, on avait même admis aux conseils de la conjuration des hommes d'une tiédeur royaliste avérée. Ceux-ci discutaient au lieu d'obéir ; ils estimaient plus pratique d'attendre, pour soulever la province, que la Révolution fût vaincue et que les Princes fussent rentrés à Paris. Cette opinion ralliait tous les prudents, et l'indignation de la Rouerie fut sans bornes lorsqu'on lui présenta, à l'heure même où il croyait ses affiliés prêts à l'action, une remontrance assez aigre du comité de Saint-Malo.

Nous n'approuvons pas, disait cette pièce, datée du 1er août, nous n'approuvons pas les ordres donnés de se mettre actuellement en campagne, et nous doutons que, malgré la généralité de leurs pouvoirs, les Princes approuvent jamais cette marche, à moins qu'un succès inespéré en excuse l'indiscrétion actuelle.

 

Les mécontents se permettaient de discuter ensuite le but même de l'association : quel est son projet ? disaient-ils.

Il y en a deux : l'un ostensible... et purement définitif.

C'est de protéger et défendre les personnes et les propriétés..., le second... c'est de concourir à obtenir la délivrance du roy et de sa famille, l'entier rétablissement de la monarchie française, la réintégration de la province dans ses droits, franchises et libertés, et non pas seulement la tolérance, mais le triomphe complet de la religion de nos pères.

Mais les efforts de l'association ne pouvaient jamais être en ce cas qu'auxiliaires, et c'est dans ce sens seulement que les Princes les ont agréés... L'association... a des forces sans doute, mais elle n'en connaît pas d'une manière précise ni le nombre, ni l'étendue... Ensuite, en agissant seule dans ce moment ici, sans l'appui des armées étrangères, elle donne à sa démarche le caractère défavorable de soulèvement ou de sédition populaire.

... Le seul instant utile où elle puisse et où elle doit agir, c'est celui où les armées étrangères, non seulement investiront Paris, mais où elles y seront entrées et où elles auront soumis cette criminelle capitale.

C'est alors et dans cet instant-là seul que le devoir de l'association sera de se montrer et de s'empresser de soumettre la province entière à l'autorité de son roi légitime pour en faire de suite porter la nouvelle aux Princes et à l'armée victorieuse à Paris.

La prise et la punition de Paris auront jeté tout ce qu'on appelle patriotes dans l'effroi et la consternation... C'est alors que, suspendant l'exercice de tous les corps administratifs contraires à la constitution bretonne, elle les fera remplacer provisoirement par les anciens commissaires intermédiaires de la province en leur y adjoignant les comités : c'est alors enfin que, d'après la députation de chaque ville et la réunion de ce qui se trouvera des membres du clergé et de la noblesse dans la ville de Rennes, elle formera une représentation provisoire de la province, qui commencera par jurer et faire jurer fidélité au Roi et à l'ancienne constitution bretonne et qui nommera des députés pour aller porter aux Princes l'acte de ce serment solennel...

 

La remontrance se terminait par une réprimande à l'adresse de la Rouërie :

... Nous nous étonnons qu'avant d'agir le chef n'ait pas soumis son plan général et ses résultats à l'examen des comités ou qu'il n'ait pas sourdement ordonné un rendez-vous à un député de chaque comité... Il croit sans doute faire pour le mieux ; mais, quand on joue aussi gros jeu que la vie des siens et la sécurité des autres, ce serait le cas de demander du moins les avis de ceux qui apportent dans la partie un aussi terrible enjeu[14].

 

Quelle dut être la fureur d'Armand de la Rouërie en recevant cette leçon ? Comment se figurer, même en connaissant l'impétuosité de son caractère autoritaire, la rage dont il fut saisi ? Un chiffon de papier, découvert plus tard avec les autres pièces de la conjuration et sur lequel, tout bouillant de colère, il avait griffonné, d'une écriture presque illisible, une réponse aux commissaires factieux, nous apprend comment il reçut ce coup porté à son autorité.

On m'a remis un écrit du comité de Saint-Malo, qui, en réponse à des ordres que je lui ai envoyés, commence par : Nous n'approuvons pas !

Le seul désir d'éviter à MM. les membres du comité les suites d'une plus longue erreur sur leur position m'engage à répondre à cet écrit.

 

Puis les phrases se suivent sans lien, sans ordre : on sent que les griefs du maître contre ces raisonneurs exercent une telle poussée sur son esprit qu'il ne parvient pas à cacher son mépris et à maîtriser son indignation.

J'ai laissé à ces comités la liberté de choisir leurs membres, même de choisir ceux de mon conseil ; j'ai eu pour celui de Saint-Malo des égards que sa négligence et mon devoir n'auraient dû admettre... J'ai fait plus : des hommes livrés au système exécrable de la Révolution ont été admis, sans m'en prévenir, dans les comités, et je ne m'en suis pas plaint !

... Loin de reconnaître mes ordres et de leur obéir, ce comité prend sur lui de jouer le rôle d'un sénat souverain. Il n'approuve pas les ordres donnés ! Et de quel droit peut-il me dire qu'il n'approuve pas, et quel effet peut avoir sur moi sa non-approbation ?

De quel droit ce comité vient-il me dire que je connais à peine mes propres forces, lorsque je lui dirai que celles qu'il m'a procurées, m'ayant toujours paru être à peu près ce qu'elles sont, c'est-à-dire zéro pour agir, il me reste à demander à MM. du comité s'ils ont aucune connaissance des autres parties et si, d'ailleurs, ils sont chargés d'une surveillance plus étendue que celle que je leur ai prescrite ?

J'ai marché et marcherai mes commissions et pouvoirs à la main[15]...

 

Cette tentative de rébellion nous semble d'ailleurs être restée un incident isolé : si nous ne nous trompons, le comité de Saint-Malo devait compter, entre autres, des affiliés sûrs et dévoués, tels que Desilles, Groult de la Motte, Locquet de Granville, Picot de Limoëlan, Thomazeau, Dubuat, et ceux-ci, sans doute, parvinrent à calmer l'insubordination de leurs collègues.

 

Le marquis de la Rouërie, cependant, restait introuvable : le directoire du département d'Ille-et-Vilaine mettait tout en œuvre pour découvrir sa retraite ; on savait que, chaque jour, les affiliés recevaient de leur chef des ordres et des admonestations, sans qu'aucun indice révélât les fils secrets à l'aide desquels il communiquait avec ses agents : les initiés étaient forcément en nombre considérable, et cette discrétion de toute une population est une singulière preuve du prestige que le colonel Armand, — il avait repris son surnom d'Amérique, — exerçait dans la contrée, ou, tout au moins de la crainte qu'inspiraient ses chances de réussite. Aujourd'hui encore on serait réduit aux suppositions si, tout récemment, le journal manuscrit d'un des témoins de son aventureuse existence n'était venu apporter la lumière sur ce point obscur de cette odyssée[16].

Tandis que les autorités le cherchaient aux environs de Saint-Brice et d'Antrain, le marquis s'était porté à 15 lieues de là, près de Loiron, c'est-à-dire à l'avant-garde de ses positions, du côté de Paris, car il ne semble pas que l'association eût compté des recrues en-deçà de Laval. Là se trouvait, réuni par une avenue au village de Launay-Villiers, le château du chevalier de Farcy de Villiers, qui, resté célibataire, vivait avec sa sœur Mme de Pont-Farcy, ses nièces et une autre de ses parentes, Mme Tuffin. En prévision du soulèvement prochain de la province, Mme de Langan était venue avec ses deux filles se réfugier également chez son frère : on restait à Launay-Villiers dans la plus parfaite tranquillité ; on n'y apprenait que par les journaux et les lettres les progrès de la Révolution et les troubles qui agitaient la Bretagne. Les paysans des environs étaient bons, pieux, peu curieux et pauvres ; vivant des bienfaits du châtelain, ils lui étaient entièrement dévoués.

Dans les derniers jours de ce mois de mai 1792, M. de Farcy, un matin, au cours du déjeuner, annonça à ses jeunes nièces qu'elles dîneraient avec quelqu'un de leur connaissance, mais qu'il fallait ne désigner que sous le nom de M. Milet, négociant de Bordeaux. Le marquis arriva au château la nuit suivante[17] : il était accompagné de ses domestiques et d'un de ses plus fidèles agents, dissimulé sous le sobriquet de Fricandeau, et qui n'était autre que Loisel, ancien contrôleur aux actes à Plancoët et à Saint-Malo, remplaçant Deshayes près du chef en qualité de secrétaire.

La Rouërie avait habilement choisi son refuse : outre que Launay-Villiers, se trouvant sur le territoire du département de la Mayenne, était hors de l'atteinte immédiate du Directoire d'Ille-et-Vilaine, l'endroit était sauvage et retiré, également distant des routes de Fougères et de Rennes et proche des bois de Misedon, des Gravelles, des Effretais et de la forêt du Pertre, qui offraient alors des taillis presque impénétrables[18]. Il vécut là pendant trois mois, et nous avons, sur son séjour à Launay, un document d'une si pittoresque authenticité qu'il serait regrettable de ne point le citer intégralement : c'est le récit de Mlle de Langan, qui, presqu'une enfant à l'époque de la Révolution, vit ces choses tragiques avec des yeux si jeunes qu'en les évoquant dans sa vieillesse elle les retrouvait amusantes et joyeuses encore du reflet de ses seize ans.

Quel plaisir, dit-elle, que de prendre part à une aventure si romanesque et d'être initiée à un pareil secret. Aussi je me souviens combien j'étais fière et combien je prenais de précautions inutiles pour me donner un air d'importance. Assurément, si nous eussions été observés, mon air mystérieux nous eût perdus ; mais, comme tout le monde était dans le secret, mes soins indiscrets n'étaient que risibles.

On logea M. de la Rouërie dans la grande chambre, près le salon, dont la porte resta fermée de manière à ce que ce côté-là de la maison lui était consacré et semblait inhabité, car on n'ouvrait jamais les jalousies. Deux jours après, nous déjeunâmes avec MM. Tuffin (neveu du marquis) et Chafner, qui, après avoir passé deux jours à Villiers, se rendirent chez Mme de Bourgon, au Bois-Blin, où ils restèrent cachés sans jamais revenir à Villiers. Toutes les nuits il arrivait des courriers ou des principaux chefs qui avaient une manière particulière de se faire connaître et qui étaient introduits par le grand perron. Nous les voyions à déjeuner. Je me souviens de MM. du Pontavice, Vincent, Rallier et le Bouteiller. Ce dernier venait très souvent et possédait toute la confiance de M. de la Rouërie.

On conçoit combien cette vie agitée et variée avait de charme pour moi et avec quelle curiosité je descendais pour le déjeuner, sûre d'y trouver des nouveaux venus. Tout cela m'occupait plus que la grande affaire qui se faisait et à laquelle je n'étais pas étrangère cependant ; car, après avoir veillé à la sûreté de notre hôte, dont je faisais la garde, et brodé des écharpes blanches semées d'hermines et de fleurs de lys, M. de la Rouërie me faisait copier beaucoup de choses. Je ne me rappelle que d'une : c'était la manière dont la coalition éclaterait ; c'était ce que l'on devait faire à Fougères, où le général devait se rendre, la nuit, avec ses gens. Tous ces détails semblaient si nouveaux, cette guerre si chevaleresque, que j'ai eu longtemps ma copie dans la mémoire. Maintenant il n'en reste plus rien ; des faits sont venus effacer ce qui n'était qu'un projet.

Le marquis n'était connu que de la famille et, pour ne pas donner des soupçons, on continuait de recevoir les personnes qui avaient l'habitude de venir à Villiers. Quand on ne venait que pour dîner, nos hôtes restaient dans leur chambre ; mais, quand on venait poux plusieurs jours, M. de la Rouërie se montrait sous le nom de M. Milet, négociant de Bordeaux et compromis dans une affaire de Révolution. Les amis qui venaient le voir, s'ils étaient nombreux, restaient renfermés. Nous eûmes, pendant huit jours, Mme de Montigny, qui nous gêna bien. Elle croyait fermement être avec M. Milet et s'intéressait beaucoup à son sort, lui faisant raconter comment il avait été compromis, sans jamais s'apercevoir que jamais il ne parlait de ses aventures de la même manière, attendu qu'il les inventait chaque fois. Je me souviens d'une scène qui me sembla plaisante.

M. de la Rouerie rentra un jour chargé de fleurs qu'il avait cueillies dans le jardin, demanda du fil, s'assit devant une table et se disposa à nous faire des bouquets. Mme de Montigny le regarda et dit : — Vous aurez beau faire, vous ne serez jamais aussi habile que M. de la Rouërie. Vous n'avez jamais entendu parler de ce fou-là à Bordeaux ? Figurez-vous qu'il a payé très cher une bouquetière pour lui apprendre à faire des bouquets. C'est le même qui est allé s'enfermer à la Trappe, qui en est sorti au bout de quelques jours pour aller faire la guerre en Amérique. Tout cela fit beaucoup de chagrin à son grand-père, qui était un brave amiral...

Amiral ! dit M. de la Rouërie, je vous assure, Madame, que mon grand-père...

Mais qui vous parle de votre grand-père ? dit la dame en riant. Votre grand-père n'était pas M. de la Belinaye, et, heureusement pour vous, vous n'êtes point le marquis de la Rouërie, la plus mauvaise tête de Bretagne et qui s'occupe encore de je ne sais quelle affaire, qui l'oblige à se tenir caché. Je ne comprends pas qui pourrait se fier à lui[19].

Les habitants de Villiers vivaient dans de continuelles inquiétudes. Un jour M. de la Rouërie déjeunait tranquillement dans la petite salle à manger ; deux gardes nationaux entrèrent tout à coup dans le corridor. M. de la Rouërie eut d'abord l'idée de s'échapper par une porte vitrée, qui dégageait cet appartement du côté de l'étang ; mais, voyant ces étrangers entrer de suite dans la salle à manger, il saisissait un couteau pour vendre du moins sa vie quand il reconnut dans les -deux prétendus patriotes MM. du Pontavice — c'était, je crois, Louis-André du Pontavice — et Le Bouteiller, qui s'étaient déguisés pour pénétrer jusqu'à lui. Il était rare cependant que les conjurés vinssent le jour : comme le dit ma mère, ils se rendaient la nuit à Villiers. Il existait, du reste, à Villiers une cachette sous le plancher de la grande chambre ; M. de la Rouërie ne s'est jamais servi de cette retraite, mais elle eût pu lui être utile en cas de surprise.

 

Ces précautions n'étaient pas inutiles ; le Directoire d'Ille-et-Vilaine n'avait pas, en effet, renoncé à découvrir la retraite du chef de la conjuration. Les événements du 10 août avaient ramené bien des indécis à la cause de la Révolution : certaines municipalités qui, jusque-là, s'étaient montrées fort tièdes, affectaient maintenant de se faire pardonner, à force de zèle, leur pusillanimité : les dénonciations affluaient : on fouillait les châteaux dans l'espoir d'y découvrir les desservants réfractaires, et c'est ainsi que, le 24 août, la gendarmerie de Vitré se transportait au château de Bois-Blin, dans la paroisse de Bréal, tout proche de Villiers-Launay[20].

Bois-Blin appartenait à Mme du Guiny de Bourgon[21], qui, assurait-on, donnait chez elle asile à des prêtres insermentés. Le lieutenant de gendarmerie Masson et dix de ses hommes se présentent au château vers quatre heures du matin, placent des sentinelles aux diverses avenues et demande à parler à Mme du Guiny. Après une demi-heure d'attente, on leur ouvre la maison ; ils parcourent les chambres du premier étage, y trouvent deux particuliers, — c'est le terme consacré, — qu'ils arrêtent et se préparent à regagner la ville avec leurs prisonniers. Tandis qu'ils se groupent devant le perron, un individu traverse tranquillement la cour : interpellé par le sergent Marie, il répond qu'il est domestique ; on le laisse aller, il entre dans l'étable. Quelqu'un qui se trouvait là prévient l'officier que cet homme n'est autre que M. Bélisan, le chapelain du château : les gendarmes pénètrent dans l'étable, l'appellent, le cherchent... personne. Force fut donc aux soldats de reprendre le chemin de Vitré avec les particuliers suspects : la prise était bonne, d'ailleurs : c'étaient Gervais Tuffin et le major Chafner, les deux plus intimes confidents du marquis de la Rouërie. On les écroua, le soir, à la prison du district[22].

Tuffin commit une maladresse : pendant la nuit il appela le gardien et lui offrit 25 louis s'il consentait à le laisser fuir. Comme celui-ci se tâtait, Tuffin proposa 50 louis. Cette fois, le geôlier n'eut plus d'hésitation : soit qu'il ne crût pas à la réalité d'une si fantastique promesse, soit qu'il comprît qu'un détenu si opulent ne pouvait être qu'un contre-révolutionnaire d'importance, il adressa un rapport à ses chefs et, dès le lendemain, Tuffin et Chafner étaient dirigés sur les prisons de Rennes. Leur interrogatoire ne révéla rien : Tuffin déclara que sa mère était émigrée à Jersey, que lui-même revenait d'un voyage à Paris, où il avait logé dans un hôtel de la rue du Sépulcre ; Chafner[23] avoua qu'il habitait depuis huit ans avec la Rouërie, qu il avait connu en Amérique : le jour où le marquis abandonna son château, Chafner avait accompagné jusqu'au Rocher-Portail Mme du Pontavice et Mlle de Moëlien. Tous deux affirmèrent qu'ils étaient en visite chez Mme du Guiny, ayant été invités à passer quelques jours à Bois-Blin[24]. Il ne semble pas que le Directoire du département attachât grande importance à leur arrestation : ils furent mis en liberté peu de jours plus tard, sans que les interrogatoires qu'ils eurent à subir aient rien appris aux autorités touchant le refuge où vivait le marquis de la Rouërie.

Celui-ci, dans la solitude de Launay-Villiers, s'exaltait à la pensée de ses futurs exploits : la Résistance à ses ordres qu'avaient montrée certains de ses comités lui apportait bien quelques désillusions ; mais il avait trouvé dans sa retraite un disciple ardent et docile, le seul de tous, peut-être, qui comprît pleinement la pensée du maître et partageât son enthousiasme.

Gavard, dont nous avons déjà cité le nom, en Venant un jour conférer à Launay avec le marquis, avait pris pour guide, à travers la forêt de Misedon, un faux-saulnier du Bas-Maine, qui, en cette qualité, connaissait tous les sentiers perdus de la contrée[25]. Gavard présenta à la Rouerie l'homme qui s'appelait Jean Cottereau.

Comment ce paysan se lia-t-il avec le gentilhomme fugitif ? Il n'y a, de cette rencontre étrange, qu'une explication plausible : tous deux se comprirent au premier abord : tous deux était possédés de la même passion d'aventures, de la même fièvre d'indépendance. Cottereau sentit en la Rouërie un maître digne de lui ; le marquis, de son côté, trouva dans le contrebandier une de ces natures ardentes qu'il aimait, un homme d'une intrépidité folle, d'une endurance fanatique, d'un royalisme désintéressé et farouche, comme il en avait jusque-là trop peu rencontrés, à son gré. Il se livra tout entier à Cottereau, lui apprit ses projets, lui révéla son plan, la stratégie de la campagne qu'il allait entreprendre, stratégie qu'il n'avait encore dévoilée à aucun de ses affiliés, non point par méfiance, mais par crainte des critiques, des remontrances ou des railleries.

Ce qu'il méditait, en effet, c'était une façon nouvelle de combattre, une guerre de partisans, d'embuscades, de ruses, appropriée au courage sournois des paysans et où les landes et les haies de sa chère Bretagne, qu'il connaissait mieux que personne, joueraient le principal rôle. Il dit le parti qu'on pouvait tirer des routes du pays, presque toujours en déblai, bordées par des rochers et de hautes levées de terre couvertes d'ajoncs offrant des abris inaccessibles : il montra propices aux guets-apens ces bas chemins, ces champs, clos de broussailles et de lignes d'arbres, qui ne permettaient pas à la vue de s'étendre à plus de cent toises..

Cottereau l'écoutait religieusement, s'imprégnant de ses paroles ; le soir, il regagnait sa hutte, grisé, la tête en feu, rêvant aventures et combats. De tous ceux auxquels le marquis de la Rouërie transmit la bonne parole, Cottereau est celui qui profita le mieux de la leçon. On sait qu'il devint fameux sous le nom de Jean Chouan. Comme Vespuce à Colomb, il déroba, sans l'avoir voulu, la célébrité qui devait revenir à son maître ; car, si Jean Cottereau fut le parrain de la chouannerie, la Rouërie en fut véritablement le père. Il la créa de toutes pièces, chefs, soldats, armes, stratégie, moyens d'action, tout lui est dû, et c est à lui qu'en doivent revenir les lourdes responsabilités et la redoutable gloire.

***

Si la confiance des patriotes dans le succès de la Révolution augmentait, celle des partisans de la Rouërie n'avait reçu des derniers événements aucune atteinte Les affiliés de tous rangs suivaient avec un intérêt anxieux la marche de l'armée des Princes. Le manifeste de Brunswick, qu'avait rédigé un ancien intendant du comte de Provence, Geoffroy de Limon[26], lancé le 25 juillet, était parvenu le 28 à Paris : la déclaration qui le suivit deux jours plus tard et qui était due à la plume du comte de Moustiers[27], auquel Calonne réservait dans son futur cabinet le portefeuille de la Marine, avait achevé, dans l'état de fermentation où se trouvait la France, d'enflammer les esprits. Le 11 août, l'avant-garde de Hohenlohe campait à Rodemach et à Sierk, en Lorraine ; le 19, par un temps pluvieux et froid comme en novembre, le gros de l'armée prussienne passait la frontière à Rédange. Ce même jour, avait lieu, à Fontoy, le premier engagement où la cavalerie française fut mise en déroute : elle s'était défendue pourtant, ce dont Brunswick ne revenait pas[28] ; il croyait ne recevoir que des fleurs et des bravos, mais pas un seul coup de fusil. Le 20, Longwy était investi et capitulait après trois jours de pourparlers.

Ces débuts étaient d'un heureux augure pour les émigrés qui avaient mis le siège devant Thionville. Au camp du comte d'Artois, dont le quartier général était à Hettange, les visages ne respiraient que la joie et l'espérance ; on se disait que la campagne serait de courte durée ; on savait que la Bretagne était prête à se soulever ; il n'était pas un de nous, raconte Las Cases, qui ne se vît, à quinze jours de là, chez lui, triomphant, au milieu de ses vassaux humiliés et soumis[29].

On comprend dans quelle angoisse vivaient, au reçu de ces nouvelles, tous ceux qui avaient donné des gages au nouveau régime. Nul doute que, si les Princes eussent fait entendre des paroles d'indulgence et d'oubli, leur cause n'eût gagné bien des partisans ; mais Brunswick s'était institué leur porte-parole, et il n'annonçait que représailles et châtiment. Les modérés qui seraient venus à résipiscence, si on les y eût invités doucement, se voyant acculés à une situation désespérée, brûlèrent leurs vaisseaux et se jetèrent dans le parti extrême. L'infatuation des émigrés, la folle certitude qu'ils avaient de leurs droits et de leurs succès furent les principales causes de la résistance acharnée qu'ils rencontrèrent.

Chévetel, cependant, hésitait encore. La catastrophe du 10 août avait porté ses amis au pouvoir, et, tandis que la marche de la coalition absorbait tous les esprits, seul, dans l'entourage gouvernemental, il connaissait le danger qui, du côté de l'Ouest, menaçait la Révolution. S'il continue à se taire, il trahit son parti politique ; s'il parle, il livre à l'échafaud ses amis de Bretagne : l'alternative était cruelle, mais il l'envisageait de sang-froid, soucieux seulement de son intérêt personnel. Était-il temps de prendre position ? La monarchie était-elle assez définitivement vaincue pour qu'il n'y eût plus à se compromettre en lui portant un dernier coup ? L'association bretonne était-elle de force à triompher et pouvait-on, sans imprudence, se ranger au nombre de ses adversaires ? — Questions embarrassantes auxquelles Chévetel ne savait que répondre, étant depuis plusieurs mois sans nouvelles des progrès de la conjuration. Il voulut juger par lui-même des chances de la Rouërie, et, au commencement d'août, il partit pour la Bretagne.

Il n'avait pas dépassé Laval que déjà il connaissait, par la rumeur publique, la découverte des projets de la Rouërie, le siège et la prise de son château, sa fuite et l'obligation où il était de se cacher[30]. S'arrêta-t-il à Bazouges ? C'est probable, puisqu'il parle de ses voyages entre Dol et Dinan : il n'aurait pu, décemment, passer si près de son village sans aller voir son père. Toujours est-il qu'au cours de ses pérégrinations dans cette contrée où il était né, où il avait vécu longtemps et où il connaissait tout le monde, il fut vite mis au courant de la conjuration. A l'en croire, il ne questionna personne ; servi par ce même hasard qui l'avait déjà fait, malgré lui, le dépositaire des secrets de la Rouërie, il aurait reçu bien des confidences sans jamais en solliciter aucune[31]. La chose, pour être improbable, n'est cependant pas impossible : venu pour se renseigner, il devait fréquenter, de préférence, chez les principaux affiliés, qui, le sachant, de longue date, l'ami du marquis, n'avaient aucun motif de lui cacher leurs projets et leurs espérances. Il s'introduisit ainsi chez Mme de Saint-Gilles, qui ne se gêna pas pour blâmer hautement en sa présence la tentative du marquis et se plaindre des inconsidérations de Mlle de Moëlien, qui courait les campagnes en habit d'amazone avec des épaulettes et un panache à son chapeau ; elle termina en disant que la Rouërie, d'ailleurs, n'était pas venu chez elle et qu'il se cachait sous le nom de Milet[32].

Muni de ces renseignements, Chévetel se présenta chez Desilles, au château de la Fosse-Hingant[33]. Ce qu'il savait de la situation financière de l'association lui permit de simuler une connaissance approfondie des ressources dont elle disposait. Desilles ne pouvait témoigner de la méfiance à l'ami qui s'était, à deux reprises, obligeamment entremis pour le change des billets envoyés de Coblentz : à quoi bon dissimuler, d'ailleurs, avec un homme qui paraissait si bien documenté ? Quand le docteur manifesta le désir de rendre visite au marquis, Desilles n'y mit aucun obstacle et s'offrit à préparer discrètement cette entrevue.

Depuis quelques jours la Rouërie était informé du séjour de Chévetel en Bretagne : nous avons dit déjà les sentiments d'affection qu'il gardait à cet ami des jours heureux, affection augmentée encore de cette sorte de déférence soumise qu'on éprouve pour un médecin en la science duquel on a confiance[34]. Il reçut le docteur avec empressement, lui parla ouvertement de ses projets, du pillage de son château, ne dissimula pas qu'il voulait pousser sa pointe ; il se plaignit de la lenteur des Princes ; de la jalousie de Botherel, alors à Jersey et qui, sous prétexte de prudence, retenait par perfidie un envoi d'armes. Il lui apprit que Pontavice était en observation à Paris, lui vanta enfin l'activité de Fontevieux, alors en mission auprès des Princes et dont il attendait le retour d'un jour à l'autre[35]. Chévetel se retira après mille protestations d'amitié et d'encouragements : le soir même il reprenait la route de Paris, où il arriva le 2 septembre[36]. Il se rendit, sur-le-champ, à l'hôtel de la Chancellerie, qu'habitait Danton ; mais celui-ci s'excusa de ne point le recevoir et lui donna rendez-vous pour le lendemain entre trois et six heures du matin.

A l'heure fixée, Chévetel fut introduit dans le cabinet du Ministre, où se trouvait Danton en compagnie de Camille Desmoulins et de Fabre d'Églantine. Sur quel point précis roula l'entretien ? C'est là ce qu'il est impossible de connaître d'une façon certaine[37]. Chévetel louvoyait-il encore et chercha-t-il seulement à se faire donner une mission vague, un mot signé de Danton, qui pût l'aider à jouer, auprès des conjurés, double jeu sans risquer d'être pris, le cas échéant, pour un des leurs ? Danton lui-même, dans l'incertitude où il était du dénouement de la Révolution, voulut-il, ainsi que l'assura Chévetel, se Ménager un rapprochement possible avec les royalistes de Bretagne et, par ce moyen, composer avec le parti de la cour ? Eut-il simplement l'intention de fortifier le crédit de Chévetel auprès de la Rouërie, de manière à pénétrer plus avant dans les secrets de l'association ? Toutes ces hypothèses sont également admissibles ; mais les dessous de cette intrigue sont si complexes que tous devons nous en tenir au récit des faits. Or il est certain que, sans séjourner à Paris, Chévetel partit le jour même pour la Bretagne[38], avec mission officielle d'accélérer la levée des troupes et de l'artillerie qu'on devait diriger vers la Champagne[39]. Après une semaine d'absence, au plus, il rentrait à la Fosse-Hingant, où se trouvaient le marquis, Thérèse de Moëlien et quelques-uns des principaux conjurés.

Il y fut reçu très froidement. Presque en même temps que lui était arrivée une lettre de Pontavice, qui, ainsi que nous l'avons vu, resté en observation à Paris, avait pris sur Chévetel des informations et dévoilait au marquis les relations du médecin avec les chefs du parti révolutionnaire.

La Rouërie n'était pas l'homme des moyens détournes ; son caractère impétueux et franc s'accommodait mal des réticences : il brusqua l'explication et somma Chévetel de se disculper

Celui-ci ne se troubla point : loin de nier ses rapports avec Danton, il se vanta de l'avoir gagné à l'association : — Le Ministre, disait-il, n'ignore pas que la cause de la Révolution est perdue ; lui-même est attaché de cœur à la monarchie et souhaite le retour de l'ancien ordre de choses ; il partage les désirs des royalistes et veut, sans toutefois compromettre son influence sur le parti avancé, seconder les projets de la coalition en rappelant le roi au pouvoir. En ce qui concerne la conjuration bretonne, il en connaît les ressources et en approuve le but... Et, comme preuve de ce qu'il avance, Chévetel met sous les yeux du marquis la commission qui le fait maître de toute la force armée de l'Ouest, et aussi une lettre autographe où Danton protestait de son dévouement à Louis XVI[40].

Si grande était la loyauté du marquis, si insidieuse l'hypocrisie de Chévetel, que cette étrange confidence ne fit naître aucun soupçon. Bien au contraire la Rouërie se félicita de cet appui inespéré ; la duplicité du Ministre ne lui inspira pas peut-être pleine confiance ; mais de cela il se souciait peu : ce gentilhomme pouvait-il croire à l'importance d'un Danton ! Le point capital à ses yeux était la mission de Chévetel, qui lui donnait la haute main sur les troupes régulières de la contrée, en lui permettant de les déplacer à son gré et d'écarter ainsi toute résistance à sa marche sur Paris.

Ce qui prouve avec quel aveuglement le crédule chef de la conjuration bretonne tomba dans le piège qui lui était tendu, c'est qu'aussitôt, comme si ce qu'il venait d'entendre eût redoublé sa funeste confiance en Chévetel, il admit celui-ci au conseil de l'association, et le dépêcha à Jersey pour hâter l'envoi des fusils et des munitions nécessaires à l'entrée en campagne et que Botherel retenait dans l'attente d'une occasion sûre de débarquement clandestin. Chévetel prit la mer à Saint-Malo, trouva l'île remplie d'émigrés prêts à rallier au premier signal l'insurrection bretonne : il joua si habilement son double rôle que, sans éveiller la méfiance des nombreux amis de la Rouërie cantonnés à Jersey, flattant Botherel, se faisant bien voir des Anglais, il parvint à obtenir du sous-gouverneur de l'île l'embargo sur le navire chargé d'armes dont il avait mission d'accélérer le départ[41].

Comment, à son retour en Bretagne, fit-il accepter le piteux état de sa mission ? Quel mensonge servit d'excuse à l'échec volontaire de sa diplomatie ? On ne le sait pas : peut-être le mauvais effet de son ambassade se perdit-il dans la consternation que causaient aux affiliés les nouvelles de l'Est. La coalition venait d'être battue en Argonne et les bruits les plus pessimistes commençaient à circuler sur le désastre et la misère des émigrés.

La singularité des événements qui se passaient alors en Champagne en a fait longtemps un problème historique, même pour ceux qui y ont coopéré[42]. L'armée prussienne, victorieuse, maîtresse de nos places fortes, s'arrêtant tout à coup comme effarée et reculant lorsqu'elle est sûre de vaincre[43] ; nos généraux prenant l'engagement de ne pas inquiéter sa retraite[44], voilà des faits si étranges qu'ils ont donné lieu aux plus invraisemblables suppositions. Peut-être ce que nous savons des préparatifs de la Bretagne éclaire-t-il un petit coin de l'intrigue à laquelle la Révolution dut son salut.

De l'avis unanime, c'est Danton qui a tout conduit : or, parmi les membres du gouvernement, lui seul connaissait, dès les premiers jours de septembre, l'imminence du danger qui menaçait Paris du côté de l'Ouest. Il avait appris, par Chévetel, que l'entrée de l'armée coalisée à Châlons était le signal attendu du soulèvement général de la Bretagne ; il savait que les royalistes de Paris étaient enrégimentés et prêts à une suprême tentative, et il semble évident que tous ses efforts n'eurent qu'un but : empêcher l'ennemi d'arriver jusqu'à Châlons.

C'est sur ce point qu'il concentre toutes les forces dont dispose la France ; c'est là que sont dirigées à la hâte les bandes de volontaires : la ville n'offre plus qu'un vaste chaos où s'agite une multitude rebelle à toute discipline[45] et inapte à combattre ; mais ceci importe peu ; il faut en imposer aux Prussiens, et les rapports qui leur parviennent s'accordent tous pour annoncer la formation d'un corps considérable de nouvelles levées destinées à fermer la route de Paris[46]. La situation pourtant est si désespérée que les autorités de Châlons pensent à quitter la ville ; l'ordre est déjà donné d'évacuer les magasins militaires, de couper le pont de la Marne ; bien plus, on propose d'abandonner Paris, d'emmener le roi et le Trésor à Chartres, à Blois, à Tours... Danton s'irrite, tonne, résiste ; s'il dit un mot du secret qu'il possède, tous les courages vont s'effondrer, ce sera un sauve-qui-peut général : il se garde d'en parler ; il expédie à Dumouriez Fabre d'Eglantine, son intime confident. Fabre qui, lui aussi, a entendu les confidences de Chévetel ; et Dumouriez, docile[47], s'obstine à barrer la route de Châlons, sans prendre l'offensive, tant il redoute qu'un mouvement l'oblige à découvrir la ville menacée.

Et, quand Brunswick se décide à la retraite, Dumouriez le suit pour la forme — le mot est de Dillon, — car il craint, en le harcelant, de lui rendre le courage du désespoir[48] ; en vain les Princes Français qui, eux aussi, savent qu'un seul pas en avant doit changer la face des événements, supplient Frédéric-Guillaume de soutenir au moins un dernier et facile effort ; en vain le comte d'Artois se fait fort d'emporter, à la tête de la noblesse, l'artillerie de Kellermann... le roi de Prusse, sourd à ces objurgations, reprend la route du Rhin. Et les émigrés, cantonnés à Saint-Remy, à Suippes, à la Croix-en-Champagne, apercevaient dans la plaine les clochers de Châlons, cette terre promise, où leur entrée devait être le signal du soulèvement tant escompté !

Ils durent suivre leur allié et se retirer, la rage au cœur. Pour la seconde fois un fatal enchaînement des hasards accablait la cause royale : déjà, en ce même pays d'Argonne, Louis XVI, fuyant vers la frontière, avait été arrêté à cinquante mètres du pont de Varennes, au-delà duquel il eût été sauvé ; aujourd'hui l'armée des Princes s'arrêtait, à deux heures de marche du but où elle devait trouver la victoire ; car, dans l'affolement où vivait Paris, l'annonce simultanée de la prise de Châlons et de la rébellion des provinces de l'Ouest aurait à coup sûr occasionné une panique qui pouvait être la fin de la Révolution. Lorsqu'il endigua l'invasion, Danton ne vainquit pas seulement la Prusse, il abattit du même coup la coalition bretonne.

La retraite des émigrés fut un désastre ; tous, maintenant, maudissaient cette guerre si gaîment engagée et si tristement finie. Tous se demandaient ce qu'ils allaient devenir. Les neuf dixièmes d'entre eux étaient réduits à demander l'aumône ; dès le départ de Verdun, quelques-uns implorèrent le secours des plus riches. Chateaubriand, qui faisait partie de ces bandes désolées, affaibli par la dysenterie, en proie au plus violent désespoir, voulut rester dans la terre labourée où il enfonçait jusqu'aux genoux et y mourir ; ses compagnons durent l'arracher de cette boue et l'entraîner avec eux. On ne rencontrait, dit-il, que des caissons brisés, des affûts et des canons embourbés, des chariots renversés, des vivandières avec leurs enfants sur le dos, des soldats expirants ou morts ; le futur auteur des Martyrs frappait en vain aux portes des auberges ; on ne voulait de lui nulle part. Ses cheveux pendaient sur son visage masqué par sa barbe et ses moustaches ; il avait la cuisse entourée d'un torchis de foin ; par-dessus son uniforme en loques, il portait, nouée à son cou, une couverture de laine qu'une femme charitable lui avait donnée. Aux portes d'Arlon, une file de voitures attelées encombrait la route ; les chevaux, les uns debout, les autres agenouillés étaient morts et leurs cadavres se tenaient raidis entre les brancards. Quelques-uns de ses malheureux compagnons rentrèrent en France, disant qu'ils aimaient mieux être massacrés que de mourir de faim ; les autres jetèrent leur uniforme, et, couverts de la blouse des paysans, tentèrent de gagner la Bretagne ; plusieurs se brûlèrent la cervelle. Le reste reflua sur Liège, où, suivant l'ordre de la cour de Vienne, les débris de l'armée des Princes devaient prendre leurs quartiers d'hiver[49].

Les récits de cette catastrophe commençaient à circuler en Bretagne et y causaient un indicible effarement : le marquis de la Rouërie, avisé l'un des premiers, avait reçu, dès la fin de septembre une lettre de Calonne[50], l'avertissant de différer de se montrer, et qu'on agirait en grand dans le mois de mars.

Il essaya de se faire illusion : il ne voulait pas s'avouer vaincu sans combat ; il cherchait à se persuader que ses chances restaient entières et qu'il était assez fort pour agir avec le seul concours de ses affiliés.

Il tenta de faire partager cet espoir insensé aux chefs de l'association, qu'il convoqua secrètement à la Fosse-Hingant ; combien cette réunion différait de celle tenue au mois de mai précédent, alors que la certitude de la victoire prochaine enflammait tous les courages. Aujourd'hui, quelques commissaires seulement furent exacts au rendez-vous : l'accueil fut silencieux et triste. Les plus fidèles cependant étaient là, Desilles, Dubuat de Saint-Gilles, Fontevieux, Thérèse de Moëlien,... Chévetel. Quand ses amis eurent pris place autour de la table, la Rouërie parla d'un projet de prise d'armes, qui serait indubitablement Secondé par les agents royalistes de Paris et par une descente sur les côtes des émigrés de Jersey : il proposa la date du 10 octobre ; mais un silence accueillit ses paroles.

Le marquis, agité, fiévreux, interrogeait les assistants du regard : l'un d'eux émit enfin la crainte qu'une tentative si peu préparée n'eût d'autre effet que de hâter la perte du roi. Les autres, alors, encouragés par cet argument, se montrèrent unanimement d'avis de remettre la levée de drapeaux à une date indéterminée. Les chefs resteraient à leurs postes et se tiendraient prêts au premier signal ; mais les circonstances actuelles imposaient une extrême prudence, et la Rouërie devait comprendre qu'un seul parti lui restait : gagner Jersey et attendre, à l'abri des poursuites engagées contre lui, l'heure favorable à un soulèvement général[51].

Thérèse de Moëlien, seule femme admise à ce conseil, prit à son tour la parole et protesta avec énergie contre cette proposition : la fuite de celui qui avait entraîné tant de braves gentilshommes dans un complot périlleux ressemblerait à une lâcheté.

Tous se récrièrent contre l'ingérence de Thérèse : une scène très vive suivit : l'un des affiliés observa que la présence de la Rouërie exposait ses amis au danger d'être arrêtés : qu'en ce moment même la municipalité de Saint-Malo le faisait chercher partout dans la ville, où le bruit public le disait caché[52]. Lui, grave, impassible, le front dans les mains, écoutait en silence[53] ; mais sa résolution était prise : il était de cette race d'hommes qu'on pouvait croire éteinte depuis les temps féodaux, et qui, tout à l'action, ne faisaient aucune dépense superflue de sensibilité.

— Messieurs, dit-il enfin, je suis très touché de vos efforts et surtout du motif qui les dicte ; mais la pensée de Mlle de Moëlien peut être aussi celle de quelques autres, qui, seulement, n'auraient pas sa franchise. Mon parti est donc irrévocable : je resterai ; il ne sera pas dit que j'ai imposé à personne un fardeau dont je n'aurais pas pris la plus large part[54].

Sur ces mots il congédia les conjurés et resta seul avec Fontevieux et Chévetel qu'il projetait d'envoyer vers Calonne et les Princes ; il prit quelques dispositions en vue de leur départ, et, le soir même, il quitta la Fosse-Hingant.

Thérèse s'était occupée à lui trouver une nouvelle retraite : son choix était tombé sur la Mancellière, ce château du comte de Noyan où la conjuration bretonne avait pris naissance. Le petit-fils de M. de Noyan, alors de séjour à la Mancellière, a tracé un croquis très vivant de l'entrevue de Thérèse et du comte :

J'étais alors, dit-il, dans ma quinzième année. Je remarquais bien qu'il se passait dans le château quelque chose d'extraordinaire. On y arrivait à toute heure de jour et de nuit ; on parlait bas en ma présence ; les hommes se réunissaient dans des chambres écartées et y restaient enfermés longtemps. Mon grand-père me regardait comme un enfant et se méfiait de mon imprudence. Mais ma mère, sûre de ma discrétion, n'avait rien de caché pour moi. Ma curiosité fut un jour vivement excitée par l'arrivée d'une grande et belle personne, dont la présence me sembla causer une émotion extraordinaire. Sa visite fut courte et solennelle. Après avoir conféré avec mon grand-père en grand secret, elle remonta à cheval et partit au milieu de la nuit.

Ma mère me conta que ce mystérieux personnage était Mlle de M..., cousine et amie intime du marquis de la Rouërie. Elle venait prévenir mon grand-père que la Rouërie, caché dans les environs, arriverait le lendemain au château et se proposait d'y passer quelques semaines. Mon grand-père répondit que M. de la Rouërie serait chez lui le bienvenu. Mais il ajouta que sa maison était suspecte et fort surveillée ; un grand nombre de gens, dont il ne pouvait répondre, y affluaient ; la présence du chef de l'association serait immanquablement signalée aux autorités de Dol et de Saint-Malo, qui amèneraient de forts détachements de troupes pour le saisir. M. de Noyan était bien décidé à ne pas laisser exécuter chez lui une arrestation dont il prévoyait les conséquences, mais à résister et à périr dans les murs de son château plutôt que de se rendre ; M. de la Rouërie ne devait donc y venir que s'il voulait partager cette chance[55].

 

Soit que la Rouërie ne consentît pas à compromettre son vieil ami, soit, plutôt, que le comte de Noyan, dont la franchise était sans détours, n'eût pas caché à Thérèse de Moëlien que la retraite du marquis à Jersey pouvait seule sauver la vie de ses affiliés, elle détourna son cousin de venir se réfugier à la Mancellière.

Accompagné seulement de Loisel, dit Fricandeau et de Saint-Pierre, le proscrit passa la Rance et s'enfonça dans le cœur de la Bretagne.

 

 

 



[1] Dès le mois de mars, en effet, une brochure manifeste était préparée où il prévoyait l'obligation de disparaître jusqu'au jour de l'entrée en campagne.

[2] Telle n'est pas la tradition locale que nous ne mentionnons que pour mémoire, car elle est en opposition avec les interrogatoires et les procès-verbaux officiels : on m'a montré à la Rouerie la fenêtre par laquelle se serait évadé le marquis à l'approche des troupes venues pour l'arrêter. On dit même qu'en sautant de cette fenêtre il se cassa la jambe et qu'il mourut des suites de sa blessure. D'autres parlent d'un souterrain au moyen duquel il aurait gagné la campagne. Or le château de la Rouerie n'a, pas plus aujourd'hui qu'en 1792, ni souterrain, ni sous-sols ; l'unique cave est située sous l'écurie. — Inventaire des objets mobiliers du château de la Rouërie, 17e jour du 8e mois de l'an I de la République. — Archives du département d'Ille-et-Vilaine.

[3] Ce voyage de Fontevieux, que les correspondances, il ne faut pas l'oublier, désignaient sous le nom de le Petit, nous est révélé par la singulière missive que voici et dont nous avons vainement cherché à pénétrer le sens :

A M. du Pera, à son hôtel, à Senlis

Si un mouvement général entraînait beaucoup de monde et que la secousse se fît sentir jusque dans nos environs, ce serait le moment de paraître. Vous pouvez, mieux que personne, juger de l'à-propos. Sans cela, il faudrait mieux attendre le retour de votre ami ou de ses nouvelles, d'ailleurs au ... (illisible), et vous pouvez compter que le jardin que vous cultivez avec tant de soins vous donnera des fruits avant l'automne.

Ce 28 mai.

Sur la même feuille et d'une autre main :

J'ajoute un mot à ce que vous écrit la belle personne pour vous instruire que le Petit se propose de quitter ces lieux dans deux ou trois semaines. Il ne passera pas par les routes ordinaires, on prétend que les chemins sont remplis de montagnes et de fossés ; il veut conserver ses membres pour vous faire la révérence, mais si, malgré les précautions, il venait à se rompre le cou, ce que les gazetiers ébruiteraient bientôt, il faudrait prendre cet événement comme un signal qui doit déterminer notre activité. J'embrasse de toute mon âme le maître jardinier et son compagnon. — Pièce saisie à la Fosse-Hingant, n° V. — Archives nationales, W, 274.

[4] Pièce saisie à la Fosse-Hingant, n° I. — Archives nationales, W, 214.

[5] Il m'est dû la somme de 1.200 livres pour un voyage au mois d'août 1792. Note du chevalier de Fontevieux. Pièce saisie à la Fosse-Hingant, n° XXIII. — Archives nationales, W, 274.

[6] Le nom est raturé sur la pièce originale.

[7] Livres sterling (?).

[8] Le roi de Prusse n'écoutait que les émigrés. On suit entièrement nos principes, écrivait Bouillé à Breteuil, et j'ai ri des intrigues dont j'étais témoin, parce que j'étais bien sûr qu'elles ne prévaudraient pas. Ce fut sous l'inspiration des émigrés que fut lancé le fameux manifeste du 25 juillet. — Chuquet, la Première Invasion prussienne, p. 146.

[9] Pièce saisie à la Fosse-Hingant, n° IX. — Archives nationales, W, 274.

[10] On saisit à la Fosse-Hingant une quarantaine de ces commissions en blanc qui n'avaient pas été utilisées. En voici la reproduction :

Monsieur . . . . . . . . . ., étant instruits des motifs fondés sur votre mérite et l'utilité de vos services,

Qui ont porté M. le marquis de la Rouërie, d'après les pouvoirs qu'il a reçus de nous, à vous nommer, nous approuvons et ratifions ladite nomination, voulons et ordonnons que vous soyés reconnu et obéi en cette qualité. En foi de quoi nous avons signé, la présente confirmation et y avons fait apposer le cachet de nos armes.

Fait à Coblentz, le juin 1792.

LOUIS-STANISLAS-XAVIER,

CHARLES-PHILIPPE.

Par leurs Altesses Royales :

COURVOISIER.

Pièces saisies à la Fosse-Hingant, n° XX. — Archives nationales, W, 274.

[11] En voici le début :

De par leurs Altesses Royales...

Nous Armand-Charles Tuffin de la Rouerie, fondé des pleins pouvoirs de leursdites Alt. Roy., chef de l'association bretonne et commandant général en leur nom, en la province de Bretagne et pays limitrophes.

Aux habitants de ladite Province

CITOYENS,

Malgré toutes les recherches et tous les efforts des factieux, je parais au milieu de vous, à la tête d'une force imposante, au nom et sous les ordres des Princes, frères du Roi... Rassurez-vous, je ne suis armé que pour défendre vos personnes et vos propriétés...

Archives nationales, W, 274.

[12] La brochure est très explicite sur ce point :

Et vous, Bretons, mes chers amis, je veux vous aider à recouvrer vous-mêmes les anciennes franchises, et les anciens droits qui étaient à la fois le rempart le plus solide de votre liberté politique et religieuse, comme le plus sûr garant de votre paix intérieure et de la prospérité qu'elle produit.

[13] Voir notamment ci-dessous les remontrances du comité de Saint-Malo.

[14] Pièce saisie à la Fosse-Hingant, n° X. — Archives nationales, W, 274.

[15] Pièce saisie à la Fosse-Hingant, n° VIII. — Archives nationales, W, 274.

[16] Ce témoin était Mme Émilie-Charlotte de Langan de Bois-Février, épouse de Jacques de Vaujuas et grand'mère maternelle de M. le vicomte le Bouteiller, qui possède le manuscrit de son aïeule et qui en a publié les principaux passages dans le Journal de Fougères (1892).

[17] L'arrivée du marquis au château de Launay-Villiers doit avoir eu lieu dans la nuit du mardi 29 au mercredi 30 mai. Nous savons qu'il quitta la Rouerie le mardi, vers quatre heures : il est probable qu'il fit d'une traite les 15 lieues qui séparaient son château de celui de M. de Farcy, chez qui il pouvait être vers minuit.

[18] Le château de Launay-Villiers est encore aujourd'hui la propriété de la famille de Vaujuas-Langan.

[19] Ici s'arrête le manuscrit de Mlle de Langan ; les souvenirs qui suivent ont été recueillis par un de ses fils en un livre de famille que possède M. le vicomte de Bouteiller. V. Journal de Fougères, 1892.

[20] Bois-Blin n'est qu'à une lieue et demie de Launay-Villiers, mais il se trouve sur le territoire d'Ille-et-Vilaine.

[21] Mme du Guiny était la mère des demoiselles du Guiny, qui, plus tard, ont rendu leur nom fameux en offrant un asile à Mme la duchesse de Berry, dans leur maison de Nantes.

[22] Archives nationales, W, 275.

[23] Le greffier Durocher, qui transcrivit l'interrogatoire avait des connaissances géographiques assez sommaires : la pièce porte en effet : Chaffner, né en la ville de Lanquaster, province de Pince-le-Vannie (Pennsylvanie) en le continant de la Mérique.

[24] Archives nationales, W, 275.

[25] La Bretagne, pays de franchise, n'était point assujettie à l'impôt du sel ; il s'y vendait au plus 1 sou la livre, tandis que tout à côté le paysan du Bas-Maine le payait 13 sous. On appelait dans le Maine faux-saulniers ceux qui faisaient la contrebande 4u faux sel, c'est-à-dire du sel pour lequel on n'avait pas acquitté l'impôt de la gabelle. Souvenirs de la Chouannerie, par J. Duchemin des Cépeaux.

[26] Chuquet, la Première Invasion prussienne.

[27] Chuquet, la Première Invasion prussienne.

[28] Mémoires de Mallet du Pan.

[29] Chuquet, la Première Invasion prussienne.

[30] Récit de Chévetel.

Nous avons déjà cité cette référence ; mais le moment est venu d'en discuter la véracité. Ce récit, publié par M. Bord dans la Revue de la Révolution, est évidemment dû à la plume de Chévetel. Lui seul a pu raconter la conspiration de la Rouerie sans nommer une seule fois... Chévetel. Sa narration n'a qu'un but, se laver de la trahison dont il s'était rendu coupable. En l'écrivant vers 1807, — il y parle, comme vivante encore, de la mère de la Rouërie qui ne mourut qu'en 1808, — il ne pouvait se douter qu'un jour viendrait où ses allégations seraient contrôlées à l'aide de ses propres rapports, qu'il croyait perdus à tout jamais, sans doute. De ce rapprochement, les mensonges de son récit ressortent flagrants. Ainsi, dans son écrit de 1807, il déclare avoir passé le mois de septembre 1792 à se promener en Bretagne, entre Dol et Dinan, tandis que, dans son rapport officiel du 23 janvier 1793, il parle du voyage à Jersey qu'il entreprit en ce même mois de septembre 1792. Il affirme, en outre, n'avoir quitté Paris que le 3 septembre, et, plus loin, il raconte que, lorsqu'il vit la Rouërie, celui-ci attendait le retour de Fontevieux en mission à Coblentz. Or le retour de Fontevieux est du mois d'août, nous en avons la preuve (v. plus loin). D'ailleurs la famille Desilles, dont la franchise, nous dirions même la naïveté, mérite toute créance, a certifié que Chévetel passa en Bretagne la plus grande partie du mois d'août. Nous voyons bien l'intérêt qu'avait Chévetel à intervertir les dates et à brouiller à dessein l'ordre de ses démarches. Il voudrait faire croire que le hasard seul s'acharna il le mettre sur la piste des conspirateurs et qu'il n'attendit pas, pour vendre ses amis bretons, que l'insuccès de la conjuration fut assuré. Mais le simple examen des documents suffit à renverser cet échafaudage de mensonges, maladroitement construit, d'ailleurs, et les dates de ses déplacements doivent être ainsi rétablies : de son propre mouvement il part pour la Bretagne au commencement d'août 1792 ; nous le savons par le récit de la famille Desilles. En septembre, il retourne à Paris, se rapproche de Danton, revient chez Desilles, fait, pour le compte de la Rouërie un voyage à Jersey, et, dès qu'il apprend la retraite des Prussiens qui ruine les espérances de la conjuration, il accourt à Paris et dévoile tout à Danton. A cette heure le parti révolutionnaire triomphe, et il n'y a plus à ménager les royalistes. Si tel n'avait pas été son calcul, il n'aurait pas attendu, pour parler, que la fortune se décidât. Ce n'est donc pas le récit de Chévetel, trop justement suspect, que nous prendrons pour guide en racontant ses agissements ; nous ne nous appuierons que sur des témoignages moins sujets à caution ou sur des pièces officielles dont bon nombre, au reste, émanent de Chévetel lui-même : là, du moins, s'il se vantait, son intérêt même lui interdisait le mensonge, et nous verrons qu'il était étroitement surveillé, tant sa duplicité inspirait de méfiance, même à ceux qui l'employaient. Nous glanerons cependant chez lui certains détails qu'il fut seul à connaître quand nous les trouverons en concordance avec d'autres documents. Ceci soit dit, non point pour nous excuser de charger la mémoire de Chévetel, mais pour expliquer les divergences de notre narration avec l'écrit qu'il a laissé et qui, étant jusqu'ici le seul récit original qu'on possédât des exploits de ce personnage, a pu passer pour l'expression de la vérité.

[31] Je rencontrai, par hasard, un avocat... auquel je dis que je savais les plans de la Rouërie, persuadé qu'il les savait encore mieux que moi : il parla donc, ne fit aucun mystère, m'apprit que l'association était organisée, prête à fonctionner de Caen à Nantes et qu'on ne désespérait pas d'être à Paris avant les Prussiens. — Récit de Chévetel.

[32] Récit de Chévetel.

[33] A mi-route de Saint-Malo à Cancale.

[34] Journal de Rennes, août 1847.

[35] Cette entrevue dut avoir lieu, si nous ne nous trompons, dans les derniers jours d'août, et non pas à Villiers-Launay, mais chez Desilles.

[36] Je fus assez malheureux pour être presque le témoin du massacre des Carmes. M'étant trouvé le 2 septembre à la porte du Luxembourg, rue de Vaugirard, au moment où des cannibales déchiraient une de leurs victimes vis-à-vis trois cents spectateurs. Récit de Chévetel. Les souvenirs de Chévetel le trompent encore sur ce point : les massacres des prêtres aux Carmes n'eurent lieu que dans l'intérieur du couvent, fort loin, par conséquent, de la porte du Luxembourg.

[37] Il ne fut même pas question de l'affaire de la Rouërie. Récit de Chévetel.

[38] Je partis le 3 septembre. Récit de Chévetel.

[39] Ce fut Danton qui choisit les trente commissaires chargés seconder les représentants que l'Assemblée avait envoyés dans les départements pour hâter la formation des nouveaux bataillons de volontaires. En vain Roland demande un jour de réflexion. Danton enlève en une séance la nomination de ses agents ; il se présente au conseil le 29 août ; il jette sur la table les commissions dressées à l'avance ; il assure que ses candidats sont d'excellents patriotes. Roland et ses collègues signent sans faire d'objections, et voilà un essaim d'intrigants de sections ou brouillons des clubs, patriotes par intérêts, très dévoués à Danton, leur protecteur, les voilà représentants du conseil exécutif dans les départements ! — V. Chuquet, la Retraite de Brunswick.

[40] Pontavice découvrit l'intrigue de Chévetel et la dénonça à la Rouerie. Pour se disculper, le traître se vanta d'avoir gagné Danton aux projets des rebelles et produisit, à l'appui de son assertion, une lettre supposée de ce Ministre. Les relations de Chévetel avec Danton furent autorisées et même encouragées. Robidou, Histoire et Panorama d'un beau Pays.

Nous ne raconterons pas ici les intrigues et les manœuvres de ce traître (Chévetel), qui recevait toutes les confidences des conjurés et les livrait à Danton. Nous ne dirons pas comment ce dernier, se ménageant une situation dans chaque camp, ne craignit pas d'écrire une lettre où il protestait de son dévouement à Louis XVI, lettre que Chévetel présenta lorsque du Pontavice découvrit ses rapports avec le trop fameux conventionnel. Et c'était à ce moment même qu'avaient lieu les massacres de septembre. On ne crut pas à Danton, mais on crut à Chévetel. Le Bouteiller, Journal de Fougères, 1892.

Chévetel apprit à M. de la Rouërie qu'il avait tout confié à Danton. Il ajouta que celui-ci, partageant leur opinion et voulant seconder leurs projets, lui avait donné le pouvoir de faire déplacer les troupes qui se trouvaient en Bretagne. Chévetel devait, par ce moyen, procurer au parti de grands avantages. — Note écrite en 1812 par un des membres de la famille Desilles.

Enfin voici le texte de la lettre, vraie ou supposée, de Danton, tel que le donne Th. Muret dans son Histoire des Guerres de l'Ouest.

Si tout ce que le porteur de la présente m'a dit des dispositions de M. de la Rouërie et de la Bretagne a quelque fondement, j'estime que, pour sauver la France du mauvais pas dans lequel on l'a engagée, les hommes qui ne veulent pas la ruine du pays doivent se réunir dans un commun effort. Il ne s'agit plus ici de discussion de principes plus ou moins contestables : il faut sauver le trône constitutionnel et l'intégrité du territoire. Dans le cas probable où la Bretagne pourrait offrir quelque réalité à un mouvement combiné sur ces bases, j'autorise le porteur de la présente à traiter en mon nom et en celui de mes amis qui, comme moi, ne veulent pas s'enfoncer jusqu'au fond de l'anarchie.

[41] J'avais, à mon premier voyage à Jersey, au mois de septembre dernier, fait mettre par le sous-gouverneur de l'île l'embargo sur 1.800 fusils, 6 pièces de canon avec leurs affûts, 4.000 gargousses, 4.000 boulets et 10.000 cartouches achetés par Calonne et destinés à la conjuration de Bretagne. Compte rendu par Chévetel, 24 janvier 1793. —Archives nationales, W, 274.

[42] Voir Dumouriez, Mémoires.

[43] Kersaint, arrivant de Sedan, disait au conseil des ministres : il est aussi impossible que, dans quinze jours, Brunswick ne soit pas à Paris, qu'il l'est que le coin n'entre pas dans la bûche quand on frappe dessus. Louis Blanc, Histoire de la Révolution, liv. VIII, chap. II.

[44] Louis Blanc, Histoire de la Révolution, liv. VIII, chap. II.

[45] Chuquet, la Retraite de Brunswick.

[46] Mémoires de Caraman. — Chuquet, la Retraite de Brunswick.

[47] Kellermann traitait d'acharnement l'entêtement de Dumouriez à ne pas se replier sur Châlons ; plus tard Napoléon disait ne pas s'expliquer l'immobilité de Dumouriez. — Chuquet, la Retraite de Brunswick.

[48] Chuquet, la Retraite de Brunswick.

[49] Mémoires d'outre-tombe ; — et Chuquet, la Retraite de Brunswick.

[50] C'est très probablement Fontevieux qui apporta au marquis la fatale nouvelle : il devait, semble-t-il, accompagner l'armée des Princes en Champagne, sans doute comme faisant partie de l'état-major de Calonne. Nous trouvons en effet un passeport à son nom, visé à Sedan, à la date du 30 septembre 1792. — Archives nationales, W, 274.

[51] Robidou, Histoire et Panorama d'un beau Pays. — Journal de Rennes, 1847. — Note écrite en 1812 par un des membres de la famille Desilles.

[52] Robidou (loc. cit.).

[53] Journal de Rennes, 1847.

[54] Journal de Rennes, 1847.

[55] Portraits de Famille, par le comte de Sainte-Aulaire.